(1) GL, 8 juin 1997 (révisé le 18
juillet).
Sujet :
introduction.
Le présent fichier, intitulé
« brouillon »,
sert
à mettre en place et à
développer les idées de notre petit groupe sur le
sujet. Un
brouillon
composé à trois ou quatre. Nous innovons non
seulement en
brouillonnologie, mais également en brouillonnage : UN
BROUILLON
EN
COURS
SUR LE BROUILLON ! C'est ici que l'équipe de recherche
en
brouillonnologie élaborera sa théorie.
Le brouillon, mental, griffonné ou imprimé,
est une
opération
essentielle
de la rédaction. Dans notre métier, on s'y retrouve
comme des
poissons
dans l'eau. D'où l'idée qu'il faut procéder
au
classement et
à la
définition des brouillons : brouillon à
corriger ou non
(premier jet) et
brouillon(s) corrigé(s), avec campagnes de correction, comme
disent les
brouillonnologues. Mais attention : l'idée de
« manuscrit
moderne » est
d'autant plus inexacte que les brouillons peuvent être
imprimés :
soit à
la machine à écrire, soit encore par
l'imprimerie : c'est
non
seulement le
cas de la correction d'épreuves, mais également celui
de
l'édition en
feuilleton dans le journal (le roman qui paraît ensuite en
volume peut
être une sorte de mise au propre : il faut voir si
c'est le cas
de
Balzac
qui a fait paraître ainsi ses premiers romans); le cas
également
des
articles de revues qui paraissent ensuite en recueil, même si
on ne peut
pas facilement considérer l'édition en revue comme un
brouillon
aussi
aisément que dans le cas du journal où paraît
le
feuilleton,
car l'auteur
sait bien que son « roman » ne sera pas souvent
conservé
(je connais le cas
de Maria Chapdelaine de Louis Hémon paru dans le
Temps
que
les
éditeurs subséquents ont considéré
comme un
véritable brouillon, avant que
Nicole Deschamps mette la main sur le tapuscrit annoté, soit
le
brouillon
corrigé avant la mise au net éditoriale (qui le
trahissait
largement).
(2) GL, 21 août 1994. Sujet : Le
sujet de la
brouillonnologie.
L'objet de la brouillonnologie, c'est d'abord sa
matière (ce
sera
ensuite
ses méthodes et ses problématiques, la mise en place
d'une
théorie du
brouillon). Et sa matière, ce devrait être la nature
propre du
brouillon,
avant même de se mettre en frais de préciser les
diverses formes
qu'il
peut prendre (formulation de projet d'écriture, notes et
annotations,
plans, scénarios, rédactions de fragments, etc., bref
les
diverses
formes
écrites de l'avant-texte, dont il faudra faire
l'inventaire).
Terminologie. Le Dictionnaire historique de la
langue
française
(Paris,
Robert, 1992) enregistre le verbe transitif
« brouillonner »
(1829), dérivé
de « brouillon », fém.
« brouillonne ». On construit donc
brouillonnologie
pour désigner « l'étude scientifique du
brouillon » improprement désigné
depuis quelques années par le mot
« génétique »
(« génétique textuelle »,
« génétique littéraire »,
etc.) comme
si
les études de genèse textuelle
pouvaient se réduire à l'étude des brouillons
ou de
l'ensemble
des pièces
de l'avant-texte.
Etymologie. « Brouillon »
apparaît en
français
en 1649, sur le verbe
« brouiller » (au sens de
« griffonner »),
pour désigner le « travail destiné à
être recopié ».
« Brouiller »,
quant
à lui, paraît venir de « bro » ou
« brou »
(dont le sens est la « boue » ou
l'« écume »), de l'ancien
provençal, tel
qu'on le trouve dans « brouet » en
français et
« brodo » en italien,
« soupe »
et « bouillon ». La première forme du
mot en
français, dans ce sens de
« brouillon » est
« brouillard », en
1550
(toutes ces informations sont prises
de Bloch et von Wartburg, Dict. étymologique de la langue
française,
Paris, P.U.F., 1968).
Au XVIIe siècle, le mot a
déjà les
deux
familles de sens que
l'on trouve en français contemporain. Le premier contexte
est celui
où le
mot désigne « une personne semant le
trouble » ou
« qui manque de clarté dans
les idées » (un brouillon, une brouillonne, nom et
adjectif).
Le
second
contexte, celui qui nous intéresse ici, avait
déjà au
XVIIe
siècle les
trois sens qu'il a encore aujourd'hui. Il désigne (1) un
écrit
de
premier
jet (qu'on se propose de corriger), cet (2) écrit
corrigé (avec
ses
ratures et ses additions et corrections, avant la mise au net) et
enfin,
par métonymie, (3) le papier lui-même qui contient cet
écrit, écrit que l'on
donne à « transcrire et mettre au
net ».
Voici l'article correspondant du dictionnaire de
Furetière
(1690) :
« BROUILLON est aussi un papier sur lequel on jette ses
premieres
pensées
en écrivant, qu'on revoit aprés, & qu'on rature avant
que de
mettre
l'ouvrage au net. [Exemple :] Ce n'est là que le
brouillon, je
le vais
faire transcrire & mettre au net. »
Depuis que l'on donne aux auteurs des épreuves
à
corriger, qui
sont
évidemment des brouillons par rapport à la copie qui
aura le
« bon à
tirer », plus nettement encore depuis la
généralisation de
la machine à
écrire, le « brouillon » n'est plus
une désignation réservée
aux
seuls manuscrits. Mais
déjà on peut considérer la première
édition
d'un ouvrage comme un
brouillon de la seconde. On dit souvent « édition
revue et
corrigée ». La
MANUSCRIPTOLOGIE (qui n'est d'ailleurs qu'un
inutile synonyme de
« paléographie ») ne convient donc pas
pour
désigner l'étude du brouillon.
Pour la même raison, on ne peut pas parler non plus, comme le
font
à
tort
les adeptes de la CGMM, du « manuscrit
moderne » et de la
« science des manuscrits
modernes » (mis d'ailleurs pour « manuscrit des
écrivains modernes »).
D'ailleurs le brouillon n'a absolument rien de moderne. En
effet,
avec
son sens scolaire, la première idée que
suggère le
« brouillon » est le
premier jet d'une lettre manuscrite que l'on garde comme copie
(copia, en
latin; sans même distinguer les deux familles du mot
brouillon, le TLF
compte 41 cas de co-occurrences des mots lettre et brouillon sur un
total
de 200 occurrences du mot brouillon). Parmi les recueils les plus
célèbres de ces brouillons figurent ceux des
Généraux
de la Compagnie de
Jésus à Rome (Epistolae Generalium), depuis le
XVIe
siècle.
Traductions
LATIN, sens légal : copia (copie originale,
minute,
procès-verbal). Donc
pas d'équivalent au mot français.
ITALIEN : brutta copia, minuta. Donc pas
d'équivalent
au mot
français,
mais plutôt une périphrase.
ESPAGNOL : borrador (de borrar,
« effacer »,
d'ailleurs
borrador signifie
également « gomme à effacer »),
le mot
apparaît en 1570 (Joan Corominas,
Breve diccionario etimológico, Madrid, Gredos, 1996);
borrador
et
borrón désignent tous deux le cahier de
brouillons :
borrón signifie
d'abord « tache d'encre » et dérive
aussi de
borrar.
ANGLAIS : rough copy. La même
périphrase qu'en
italien.
Dans
un sens
particulier du mot brouillon en français (correspondant plus
généralement
à scribouillard, scribouilleur), on trouve : scribble
(et to
scribble),
scribbler et scribbly, tous très péjoratifs, qui
dérivent
évidemment de
scribe.
Mais a-t-t-e-n-t-i-o-n ! L'essentiel,
pour désigner l'ignorance obtuse et caractérielle de
nos adeptes de la CGMM :
ALLEMAND : Arbeitshandschrift, brouillon,
littéralement, manuscrit de travail, le fin mot d'un
beau délire.
Bibliographie
Il est souvent question des brouillons dans les
études de la
CGMM,
mais,
comme son nom l'indique, ils sont assimilés incorrectement
aux
« manuscrits
[des écrivains] modernes », c'est-à-dire
limités
à une part négligeable du
phénomène (phénomène qui devrait
justement
permettre
de les étudier !); on
ne sera pas trop surpris que le sujet y soit traité de
manière
assez
superficielle. On y trouve au moins un titre
évocateur :
Christian Béthune, « Qu'est-ce qu'un
brouillon ? ou le
brouillon, objet
transitionnel », Revue d'esthétique, nos
3-4 (coll.
« 10/18 », 1979), p. 43-52.
Je n'ai trouvé encore aucune étude d'ensemble
sur le
brouillon.
Et
une
seule étude spécialisée, sur le brouillon
scolaire :
Claudine Fabre, les Brouillons d'écoliers ou
l'entrée en
écriture,
Grenoble, CEDITEL, 1990.
(3) 5 septembre 1997. Noële Racine.
Sujet : Courte réflexion sur la nature et la teneur du
mot
« brouillon ».
Comme l'a fait remarquer Guy Laflèche, le brouillon
peut
être
« mental,
griffonné ou imprimé ». Il ne se limite
aucunement
à la définition du
manuscrit moderne ou encore à celle du « premier
jet ».
Ainsi, le sens du
mot « brouillon » semble élargi, mais la
question
qui
demeure est la
suivante : gagnerait-il à s'ouvrir davantage ?
« Les brouillons peuvent être
imprimés : soit
à
la machine à écrire, soit
encore à l'imprimerie : c'est non seulement le cas de
la
correction
d'épreuves, mais également celui de l'édition
en
feuilleton
dans le
journal... ». Et le roman devient ainsi volume et les
articles se
voisinent dans un recueil... Mais que faire — ou
plutôt que
dire —des
textes — en fait, des brouillons — imprimés qui
n'étaient pas
destinés à
l'être ?
Attention, ici, nous ne parlons ni des projets interrompus
par la
mort de
l'auteur ni des publications posthumes. Nous pensons aux
« brouillons »
publiés, mais qui en eux-mêmes ne constituent pas une
matière
« imprimable », c'est-à-dire qui ne se
révèlent pas d'une importance
transcendante. Pensons, par exemple à la publication des
notes que
Racine
avait mises dans les marges des livres composant sa
bibliothèque ou
encore
aux notes de cours des étudiants de Saussure. Ceci, parce
qu'avouons-le,
ces écrits n'avaient pas pour but ultime d'être
dévoilés
à tous et à
toutes. Le fait qu'ils soient imprimés ou non,
publiés ou non
« ne change
rien à l'affaire » pour reprendre la formule de
Brassens — le
« brouillon »
n'étant pas une question de matière, mais bien une
question
d'essence. En
fait, le « brouillon » n'est pas une
état
fixé
du texte (parce que tout état
doit se redéfinir par rapport à un autre qui le suit
ou le
précède : il est
donc en perpétuelle mouvance, en constante
redéfinition), mais
plutôt une
nature essentielle de l'écrit. Un
« brouillon »
est un
texte qui appelle ou
commande une suite — supposément meilleure — de
lui-même.
Aussi, le cas des annotations que Jean Racine inscrivait
dans les
marges
de ses bouquins, ou les notes que les étudiants de Saussure
prenaient
religieusement sur les bancs d'école ne pourraient pas
porter, selon
nous,
l'appellation de « brouillons », puisqu'ils
n'étaient
pas destinés à être
retravaillés, paufinés, imprimés ou encore
édités. Si nous devions les
caractériser d' « oeuvre », nous
devrions les
appeler
«©oeuvres achevées »
puisque non retouchées — et qui dans une certaine
mesure
restent non
retouchables (qui tiendrait mordicus a perfectionner le style de
ses notes
télégraphiques ?) !
Le seul problème — qui, malheureusement,
demeure
irrésolu — c'est
que
seuls ces écrits — du moins, dans la critique
racinienne —
qui ne
seraient
pas des brouillons sont étudiés comme des brouillons,
au sens
o— la
génétique textuelle classique l'entend. Ce sont les
seuls qui
bénéficient
de remarques telles que : « la phrase est
écrite
à
l'encre noire en
diagonale dans la marge de droite » (nous inventons, bien
entendu).
Rien
de
tel pour les manuscrits restant des tragédies ou encore des
lettres
manuscrites et inédites ! Ce cas mérite donc
réflexion.
---------------
En terminant, vous me permettrez une remarque tout à
fait
hors propos,
mais néanmoins pertinente au sujet qui nous
intéresse.
À lire l'étymologie du mot brouillon et
à
chercher les
mots
qui composent
sa famille lexicale, nous serons surpris de constater comment le
sens du
mot brouillon et l'étude du brouillon en tant que tel sont
totalement
contradictoires.
« Brouillon » d'une part, et d'autre
part :
« brouille » (mésintelligence);
« rouiller » (mêler, troubler, rendre
confus);
« embrouillement » (confusion,
enchevêtrement, complication);
« embrouiller »
(enchevêtrer, entortiller,
compliquer, rendre obscur); « embrouillage »
(désordre);
« embrouille »
(tromperie); « brouillage » (confusion,
trouble);
« brouillamini » (désordre
extrême, confusion)... Tous ces termes s'opposent à
la
simplicité et à la
clarté. Le mot « brouillon » semble
porter en
lui-même un sème de
difficulté, d'obscurité — et ce, jusqu'aux
termes
« brouillasse » et
« brouillasser » qui suggèrent une
bruine
opaque :
tout le contraire de la
limpidité.
Et si le « brouillon » est synonyme de
désordre,
l'étude de ce même
« brouillon » peut amener à son
contraire,
puisqu'en
l'analysant, les
pistes se démultiplient et se compliquent, certes... mais il
n'en reste
pas moins qu'il en ressort une clarification certaine — sinon
une
certaine
clarification. Et tout comme l'ordre sort du chaos, la noirceur
(page
noircie) faît naître la lumière. (Pensez
à
Phèdre, fille du Soleil,
sortant d'un sombre palais où elle se meurt !)
(4) GL, 12 juin 1999
Notes sur l'article de Laurent Jenny à Yale
French
Studies
(no 89, 1996, p. 9-25), « Genetic Criticism and its
Myths »,
complété par son intervention dans le Monde des
livres,
« Divagations généticiennes » (20
décembre
1996, p. v). J'en prends connaissance au printemps 1999,
à
l'occasion
de
la mise à jour de mes bibliographies. Cette critique a
été
formulée à peine six mois avant que la mienne ne
commence
à
prendre forme, au printemps 1997. Il s'agit de deux critiques
radicales,
indépendantes, faites de deux points de vue
différents.
N'est-il pas
symptomatique que les deux critiques viennent de Genève et
de
Montréal, alors qu'on ne trouve rien d'équivalent en
France ?
C'est le début et la fin de l'article qui
correspondent le
mieux au contenu de l'intervention parue dans le Monde et
ils
expliquent la raison, la nature et la violence de la
réplique de
Pierre Marc de Biasi (le Monde, 14 février 1997,
p. xii).
Laurent Jenny oppose le succès institutionnel de la
CGMM et son échec scientifique. Le
succès institutionnel repose tout simplement sur une parodie
de
science pure et un simulacre d'objet scientifique, la
réalité matérielle des brouillons des
écrivains modernes et l'ensemble des avant-textes de leurs
oeuvres,
(1) objet on ne peut plus matériel, nécessitant (2)
d'importantes équipes de recherche manipulant une (3) lourde
technologie informatique de pointe (p. 9-10). À
l'autre
bout de la
chaîne de production, Laurent Jenny nous présente les
utopies
de Pierre-Marc de Biasi rêvant d'une sorte de Pentecôte
archivistique (« an archival Pentecost »,
p. 24),
où les textes des oeuvres seront complètement
noyés,
dissous et désintégrés, comme le fragile
papier acide
des brouillons de ces écrivains, sous la masse d'information
hypertextuelle. À l'image de la théorie des tenants
de la CGMM,
on va le voir, qui tend à dissoudre le
texte dans l'avant-texte. Conclusion : « ...in
theory and
in the logig of its emergence, genetic criticism renders the
critical
relationship null and void. For more than fifteen years now,
genetic
criticism has engaged in enormous archival and methodological word
and yet
has remained astonishingly ininterested in the meaning of its own
practice. We seek here only to break the silence »
(p. 25 : « en théorie comme dans la
logique de
son
développement, la critique génétique a rendu
la
relation critique nulle et non avenue. Depuis plus de vingt-cinq
ans
maintenant, la génétique a entrepris un énorme
travail d'archivage et de technologie, mais reste toujours
étonnamment silencieuse sur le sens de ces pratiques. Nous
avons
seulement cherché ici à briser ce
silence »).
Genèse de la CGMM (« The genealogy of
genetic criticism », p. 11-16). Laurent Jenny voit
l'origine de
la
CGMM dans le renversement de la critique textuelle.
Sur deux exemples très précis,
l'écriture de
Roland
Barthes et l'OEuvre ouverte d'Umberto Eco, il montre comment
ces deux
notions structurales, deux notions clés de la critique
textuelle, sont
complètement inversées par la CGMM :
l'écriture n'est plus l'écriture du texte, mais une
sorte de
« texte de l'écriture », à
textualiser,
celui du
brouillon et des avant-textes, et surtout une écriture qui
s'oppose
au texte. Non pas d'ailleurs vraiment un « texte de
l'écriture » qui prendrait appui sur les
processus de la
production textuelle attestées par les brouillons, mais
plustôt
une
sorte de récit ou d'histoire des gestes de l'écriture
(d'un
texte)
où la fascination est tout entière dans le
pré-textuel
absolu.
En fait, de ce point de vue, pour Laurent Jenny, il existe deux
formes de la CGMM, la génétique de l'écriture
(selon
Louis Hay, c'est connu, « Le texte n'existe
pas »,
Poétique, no 24, 1985) et une génétique
du texte
(Raymonde Debray-Genette, « Génétique et
poétique », dans les Essais de critique
génétique, 1979, p. 21-68). La seconde
seule se
propose
d'interpréter ou de réinterpréter le texte, la
première
ayant produit l'inverse de la clôture du texte, le refus de
la relation
téléologique au produit textuel « (unless
the final
text
is itself considered to be homogeneous to the pre-text, the final
creative
trace) » (p. 14).
Pour toutes sortes de raisons, dans les deux cas,
l'étude
littéraire devient proprement impossible. Elle est
indéfiniment
suspendue. Pour une raison de fait : les brouillons et
avant-textes
édités ou simplement publiés deviennent
à leur
tour un
texte (un texte, c'est ça ! ce qu'on établie ou
publie,
comme
le montre les oeuvres de Ponge). Pour une raison de logique assez
évidente : l'avant-texte est par définition
infini,
puisqu'on
ne peut en rassembler toutes les pièces et que toutes les
pièces
théoriquement données, elles représentent un
processus
dont
on ne rassemble que des traces, quelques traces (d'où
l'image du
sismographe, p. 22). Et pour la raison que l'essence du
processus
n'est pas
réductibles aux traces laissées dans ces
pièces.
Conclusion : « If genetic criticism, then, can
hardly hope to
prop
up interpretation, it certainly has the power to suspend
interpretation or
render
it indeterminate for reasons of a quasi-technical
nature » (p. 15).
La suspension de l'interprétation (p. 16-20)
tient
à une
double corrélation. D'abord son corpus fort limité,
essentiellement
les textes de Hugo et de Flaubert, puis de Zola, Valéry et
Proust,
rédigés de 1850 à 1920 environ. Ensuite,
l'esthétique
mise en place par ces auteurs, le « testament »
de Victor
Hugo
(31 août 1881) et le culte du travail stylistique de
Flaubert, de sorte
que
le matériel étudié et la théorie (=
l'idéologie)
qui le sous-tend concordent : le passé de l'oeuvre se
perd dans
les
intentions du créateur et son futur dans la mise à
jour et le
dépouillement de l'oeuvre complète ou, plutôt,
de l'oeuvre
toujours incomplète (this « posthumous
narcissism »,
this « textual infiniteness » :
« c'est
la
fonction de la science du Manuscrit de nous présenter
cet infini
en détruisant la notion d'oeuvre
complète »,
p. 17). En conséquence, il est assez attendu que les
spécialistes
de
la CGMM
retrouvent chez Flaubert la pensée, la théorie ou
l'idéologie
qui les a produits ! C'est le concept
d'indédermination (p. 18).
Bref, la génétique est la « couverture
scientifique » des auteurs romantiques qui nous prient de
croire que
ce
devait être très beau et qui nous demandent d'attendre
de tout
lire,
leur oeuvre complète, puis leurs archives, avant de
juger.
La CGMM interdit et s'interdit
l'interprétation des oeuvres. Elle fait plus : elle
empêche la
lecture de celles qu'elle édite. En textualisant les
archives,
l'édition génétique entremêle l'axe
horizontal de
la
genèse et l'axe vertical ou paradigmatique des états
à
chaque
point du texte. Voilà qui conduit l'éditeur à
ne pas
éditer et le lecteur à ne plus pouvoir lire
(« It
seeks,
rather, to undo these same texts and to suspend their
interpretations »,
p. 19).
La troisième et dernière section de l'article
porte sur
la
réalité utopique de l'objet de la CGMM
(« The dream of the real », le rêve de la
réalité, p. 20-25). Comme j'ai
déjà
parlé
de
la conclusion dès le début, je m'en tiendrai à
une
proposition : il serait fascinant et extrêmement
significatif de
poursuivre le travail esquissé ici par Laurent Jenny. Il
consiste
à
faire l'étude thématique et idéologique des
brouillons
tels
qu'ils sont présentés par les divers
spécialistes de la
CGMM :
la « pensée à l'état
naissant », le
« travail du désir », la
« route
sauvage », l'« inconscient du
texte », etc.
(p. 20-21). Ces ténébreux caractères, ce
sont
les divers
aspects de la réalité pour la CGMM,
l'« homme-plume » de Pierre-Marc de Biasi par
exemple, que
l'on
prétend cerner dans le matériel dont on produit
finalement de
monumentales éditions. Une réalité
rêvée.
Un
rêve.
Jusqu'ici, j'espère ne pas avoir trahi la
pensée de
Laurent
Jenny en la traduisant non seulement de l'anglais au
français (car
j'espère bien que l'original français de ce texte
sera
publié), mais aussi dans mon vocabulaire incomparablement
plus abrupt
et
polémique que le sien. Et justement, je crois que la
première
faille
de cette analyse est de se situer trop aisément du point de
vue de la
CGMM,
sans commencer par montrer que ce point de vue est
intenable.
Seconde critique. En conséquence, je ne crois pas
qu'il soit
possible de parler d'une « théorie » de
la
CGMM, au sens scientifique. Il s'agit proprement
d'une idéologie. En ce sens, je crois que l'article de
Laurent Jenny
ne
tient pas les promesses de son titre. On ne peut donc pas
prêter aux
adeptes de la CGMM une pensée en exposant les idées
qu'ils
enfilent en utilisant constamment un vocabulaire jamais
défini.
Avant-texte, brouillon, écriture, édition,
genèse,
génétique, manuscrit, oeuvre, rédaction et
texte,
voilà
dix concepts qui ont la propriété d'être
complètement
vides de sens sous la plume des tenants de la CGMM. Ce sont
pourtant les dix
mots les plus fréquents de leurs exposés. Alors le
moins que
l'on
puisse dire est qu'il ne s'agit pas d'exposés
théoriques, mais
bien
de discours idéologiques.
Dernières critiques. Comment Laurent Jenny peut-il
ignorer
complètement le manuel d'Almuth Grésillon ?
Est-ce par
charité qu'il ne la cite jamais dans son article ? En
tout cas,
je
crois qu'il a tort de situer implicitement en 1979 le
« moment
fondamental » de la genèse de la CGMM (avec
l'article de Debray-Genette cité plus haut). À mon
avis, il
serait
plus
logique d'en chercher les toutes premières expressions
(d'où la
mise
en place de ma chrono-bibliographie) : l'oeuvre de Jean
Bellemin-Noël
en représente la naissance mythique, l'enfantement se trouve
peut-être
dans un numéro de Zeitschrift für
Literaturwissenschaft und
Linguistik (Jahrgang 5, Heft 19-20, Wolfgang Haubrichs
éd.),
« Edition und Wirkung », en 1975. C'est
là qu'on
trouve
l'article de Henning Boetius, « Vorüberlegungen zu
einer
generativen
Editionstheorie » (p. 147-159), dont toute la CGMM
pourrait bien être sortie. En tout cas c'est à la
lumière de ce texte et de ce recueil (car on peut penser
également
à l'influence des travaux de Hans Zeller) qu'il faudrait
lire les
articles
des Cahiers Heine et des autres recueils de l'école
de 1965
à 1975, ceux en particulier de Louis Hay, d'Almuth
Grésillon et de
Jean-Louis Lebrave. Mon intuition repose sur une idée bien
simple :
si la CGMM s'est inventé une origine, c'est qu'elle
pourrait en cacher une véritable, celle qui expliquerait
pourquoi elle
tient
un discours idéologique et non théorique ou
scientifique, la
théorie se trouvant peut-être chez Boetius.
À suivre ! Je ne lis pas l'allemand,
malheureusement, de sorte
qu'on devra m'aider à évaluer l'influence des travaux
de
Boetius (éventuellement aussi ceux de Zeller) sur les
origines
cachées de la CGMM, voire
secrètes, Boetius ne figurant pas à la bibliographie
des
Éléments de critique
génétique.
(5) GL, 10 mai 2000
C'est en préparant le premier état de la
bibliographie
des
travaux de genèse, ce printemps, que j'ai pris conscience de
l'usurpation
à laquelle nous participons tous lorsque nous adoptons le
jargon de
l'Institut.
On comprend vite que le « manuscrit
moderne »,
dans la
phraséologie de l'école, désigne tout
simplement le
brouillon
et on voit aussitôt quels avantages les fonctionnaires ont pu
tirer
à
leur profit de ce détournement de sens. Non seulement, en
bon
français, un « manuscrit » vaut
forcément
plus
cher qu'un « brouillon », mais il est assez
évident
que
les ...brouillonnologues n'apprécient pas beaucoup (et c'est
bien
dommage)
la seule désignation qui leur convienne pourtant. Ou du
moins leur
conviendrait s'ils faisaient oeuvre scientifique. Chose certaine,
leur objet,
c'est essentiellement le brouillon. Brouillon, brouillonnologue,
brouillonnologie : on sait de quoi l'on parle.
Il est plus difficile d'être clairement conscient du
détournement de sens des mots
« genèse »,
« génétique » et
« généticien » par l'école
d'Almuth
Grésillon. Pire, c'est l'usurpation d'une compétence
dont on
se fait
complice : voilà des
« généticiens »
promus au titre de spécialiste de la
« génétique
textuelle », de la « critique
génétique » et de
l'« édition
génétique ». L'emploi des composés
du mot
« genèse » dans tous ces contextes doit
être
dénoncé comme une scandaleuse usurpation. —
Pour
illustrer le problème, il faut dire que j'ai moi-même
participé à cette usurpation, avec la plus parfaite
inconscience, depuis trois ans, ici même... (de sorte que
j'ai dû me corriger pour désigner la CGMM correctement
par son nom).
Voyez aussi les rares opposants de l'école. Jean
Pierre Chopin
analyse la « critique génétique »
et Laurent
Jenny s'en prend aux « divagation
généticiennes »
pour stigmatiser les mythes de la « critique
génétique ». Le nom courant des pratiques
de nos
brouillonnologues n'est rien de moins que la
« génétique textuelle ».
C'est
scandaleux. Ainsi donc tout le présent fichier aura
été
affligé durant trois ans (comme j'en laisse la trace dans
les comptes
rendus
et les sottisiers) de guillemets et de toutes sortes de
restrictions au sujet
de
la prétendue « critique
génétique » des prétendus
« généticiens ». Et j'en viens
naturellement,
à force de guillements et de restriction, à parler
simplement
de la
génétique textuelle pour désigner des travaux
sans
rapport
avec les études de genèse et qui ne portent
même pas sur
des
textes.
C'est continuer à faire le jeu de l'Institut. Les
« manuscrits modernes » sont des brouillons
comme les
autres
et les travaux des fonctionnaires de l'Institut ne sont pas des
études
de
genèse. Il faut donc les baptiser. Puisqu'ils ont
été
incapables de se désigner correctement et qu'en plus ils
s'approprient
injustement le nom d'une science qu'ils ignorent et
dénigrent en
même
temps, il faut absolument qu'ils soient nommés par cette
imposture
même. Alors il faut appeler l'école de l'ITEM du CNRS
très
simplement du même nom que le « manuel »
qu'ils se
sont
donné. C'est la critique génétique du
manuscrit
moderne (ou des manuscrits modernes).
Ce n'est pas tout. Il faut, dans cette désignation,
que les
quatre
mots soient indissolubles, car la « critique
génétique » est aujourd'hui centenaire dans
notre
domaine,
tandis que le « manuscrit moderne » est apparu
avec la
machine
à écrire, au début du siècle. On
désignera
donc
d'un sigle la science prétendue d'un objet incorrectement
nommé.
Ce
sera la
CGMM, la Critique Génétique du/des
Manuscrit(s)
Moderne(s). Il est assez heureux que le mot
« critique »,
à peu près disparu des études
littéraires avec le
structuralisme, soit le premier mot du nom de cette
activité. Les
membres
de l'école sont en effet les spécialistes, les
praticiens, les
théoriciens (!), les tenants ou même les adeptes
de la
CGMM — les
derniers critiques, survivants d'une autre époque.
Toute simple et objective que soit cette
désignation, le
sigle CGMM, elle
a un impact critique considérable, car elle permet de
libérer
la
génétique que la CGMM avait prise en otage. La
preuve en est
qu'on
en venait à reprocher à Jean-Yves Tadié
d'appeler la
critique
génétique par son nom ! L'imposture a des
limites. Que
les
grands prêtres de la CGMM s'imaginent avoir inventé
une science
et
qu'il l'appelle la génétique textuelle, c'est une
chose, qu'on
leur
accorde cette prétention, c'en est une autre.
En réalité, on est maintenant en droit
d'écrire
en
français et d'affirmer que la CGMM a fort peu de rapport
avec la
génétique. Bien plus, il faut rappeler qu'elle
ignore la
critique
génétique. Et qu'elle n'a absolument aucune
idée de ce
qu'est
un manuscrit moderne. L'avenir de la CGMM augure mal, dès
qu'on
l'appelle
par son nom.
(6) GL, 13 juin 2003
Voici, pour le plaisir de la chose, un petit compte rendu
critique
du
« débat » lancé par Jean-Yves
Tadié
dans la revue Débat, notamment pour s'amuser à
voir le
travail du fonctionnaire de service chargé de lui
répliquer au nom de l'ITEM. Espérons que Louis Hay,
renvoyé aux douches, ne sera pas trop vite
déclaré
perdant par défaut (d'arguments et de logique) et que son
combat ne
découragera pas tous les Itémiens. On aimerait bien
s'amuser
encore un peu.
Jean-Yves Tadié, « L'écrivain et
ses
archives » entretien avec J.-Y. Tadié, le
Débat
(Paris), no 102, p. 174-181. Louis Hay, « Le
débat
du Débat », le Débat,
no 105, 1999,
p. 188-190, avec la mise au point de Jean-Yves
Tadié.
Commençons par la réplique désolante
de Louis
Hay qui
pose l'ITEM en victime alors que l'Institut aurait produit mer et
monde depuis
vingt-cinq ans, permettant de « saisir l'oeuvre à
travers le
mouvement de son devenir » (p. 189b) ou encore de
« faire revivre le mouvement de la plume »
(ibid.).
Bref, on devrait à l'ITEM ce phénomène
vraiment
extraordinaire, voir la plume de Flaubert écrivant Madame
Bovary. C'est la phraséologie insipide de la CGMM.
Mais
attention, voici ce qu'en déduit le plus naïvement du
monde notre
brouillonnologue qui s'ignore : « Sans une telle
ambition, on
aurait d'ailleurs peine à comprendre à quel usage
sont
destinés les considérables moyens consacrés
à
l'acquisition et la conservation des manuscrits de travail
littéraires » (ibid.). Comme il ne s'agit
pas d'une
phrase toute faite, comme les deux précédentes, on ne
peut
être absolument certain que Louis Hay se rend compte de ce
qu'il dit
ici. On sait bien, évidemment, que les brouillons de l'ITEM
ne servent
à rien d'autre qu'à justifier l'utilisation de
ressources
considérables en pure perte, mais on ne s'attend pas
à ce que
Louis Hay le déclare tout ingénument ! Bref,
nous dit-il,
si l'ITEM, et de façon plus générale, si la
CGMM
accaparent
des moyens si considérables pour acquérir et
conserver des
brouillons d'écrivains modernes, cela prouve qu'elle est une
activité extraordinairement importante. Saisir Madame
Bovary
dans le mouvement de son devenir, par exemple. Par ailleurs, si on
comprend
bien le généticien de la CGMM, lire le roman de
Flaubert, ce
serait se contraindre à « la seule contemplation
archéologique de l'objet » (ibid.) —
à moins
qu'il n'entende le contraire, à savoir qu'on ne saurait s'en
tenir
à la nature même des brouillons, ce qui serait une
lueur de
génie vraiment inattendue de la part d'un porte-parole de
l'École, prêtant ainsi flanc à la
téléologie.
Cela dit, Louis Hay ne désire nullement nous
convaincre de
quoi que ce
soit et ne répond d'ailleurs à aucune des critiques
de Jean-Yves
Tadié, d'où le rôle de victime qu'il se donne
à
travers l'Institut. Il s'en prend donc seulement à la
critique qu'il
appelle la polémique (p. 190a). Il ne trouve
absolument aucune
« justification scientifique, ou tout simplement
intellectuelle » à la critique (ibid.).
Pour lui, la
CGMM est complémentaire de toutes les études
littéraires
que l'on voudra. « En définitive,
écrit-il, rien ne
serait plus vain que de se disputer des places au soleil des
institutions... » (p. 190b). Jean-Yves Tadié
répond à cela que voilà
précisément la
pensée « communiste » qu'il reproche
à
l'Institut (c'est-à-dire la mise en place par un
gouvernement
« de gauche » d'une Institution
« technocratique ») : pas d'opposition,
pas de
critique, pas de polémique, tout le monde doit être
d'accord, et
avoir un peu raison, ceux qui ont tort comme les autres. C'est
évidemment la logique de Louis Hay, des fonctionnaires et
des Instituts
(il n'y en a pas qu'un !). Je pense qu'il faut être
encore plus
sévère envers ces prétendus
généticiens en
expliquant une chose toute simple. Puisqu'il dénonce la
polémique au lieu de répondre à la critique,
Louis Hay
fait du même coup la preuve de l'inanité de la CGMM.
La
pensée scientifique n'est jamais si heureuse qu'au moment de
voir
contester ses observations, ses hypothèses et ses
théories.
Bref, Louis Hay doit être envoyé aux douches
!
Cela dit, soyons réalistes et par conséquent
cruels : la
CGMM est une sinistre imposture intellectuelle qui ne saurait
résister
à la polémique du brouillonnologue, ni même
affronter la
douce critique du spécialiste des études
littéraires.
Je la résume en disant que Jean-Yves Tadié,
dans son
travail
d'édition critique de l'oeuvre de Proust et de Sarraute a
trouvé
fort peu d'avantages à étudier
systématiquement les
brouillons du premier et peu d'inconvénients à
n'avoir pas
accès aux brouillons de la seconde. À son avis, les
brouillons
ont généralement deux intérêts en regard
de
l'étude et de l'analyse des oeuvres littéraires, le
premier est
de servir parfois à rétablir la lettre du texte
lorsqu'elle a
été déformée par l'édition, le
second est
de permettre de mieux saisir le sens de raccourcis stylistiques ou
de
formulations hermétiques. De ce second cas, il donne
l'exemple des
versions successives des oeuvres de Mallarmé. Pour ma part,
je trouve
que Jean-Yves Tadié schématise beaucoup trop les
études
génétique dont les impacts sont variés aussi
bien sur
l'établissement de la lettre du texte que sur son
interprétation. En revanche, il a parfaitement raison
d'expliquer que
l'étude des brouillons d'une oeuvre ne saurait conduire
à autre
chose qu'à l'oeuvre, du point de vue
génétique
(Tadié n'est évidemment pas un brouillonnologue et
encore moins
un brouillonnologue qui s'ignore !), c'est le bon sens qui le
dit. Et
le moins que l'on puisse dire est que Jean-Yves Tadié est un
homme
intelligent.
Du point de vue historique, la génétique
littéraire fait
partie depuis longtemps de l'arsenal classique des études
littéraires. Tadié pense que la critique
génétique universitaire a commencé vers 1880
à la
Nouvelle Sorbonne et que Gustave Lanson compte parmi ses fondateurs
avec son
analyse du manuscrit de Paul et Virginie (1908). Au
départ,
l'étude de genèse n'est donc pas finaliste par
vocation,
précise-t-il, puisque justement Lanson croit la version
manuscrite
supérieure aux éditions données par Bernardin
de
Saint-Pierre. Très souvent, d'ailleurs, la question se pose
dans
l'évaluation des versions, depuis les brouillons jusqu'aux
éditions et rééditions. Toute l'oeuvre de
Proust,
notamment, est faite d'états successifs dont le premier
brouillon
était déjà un chef-d'oeuvre :
« Je redeviens finaliste, en somme. Avec un génie
tel que
Proust, on ne peut être que finaliste. Le dernier
état est
toujours le meilleur » (p. 179a).
Mais, dans cet entretien qu'il accorde à
Débat, il arrive
vite là où il veut en venir, c'est-à-dire au
saccage
idéologique de l'ITEM. Et la réussite est vraiment
spectaculaire. Pour lui, c'est clair, l'Institut est une
institution
politique à la noix de coco digne des petits politiciens de
républiques de bananes. Évidemment, on peut
difficilement lui
donner tort, puisqu'il appuie son argumentation et sur les
réalisations
de la CGMM (ou plutôt son tout petit nombre de
réalisations
intéressantes du point de vue des études
littéraires) et
sur sa phraséologie insignifiante qui est justement sa plus
grande
réalisation. L'Institut est une créature des
communistes (il
faut entendre des politiciens communistes français) et par
conséquent animé par une pensée
« communiste » qu'il ridiculise dans une
très
simple formule polémique :
« Aux yeux de l'équipe des fondateurs, les
brouillons sont
devenus des prolétaires opprimés par le patronat du
texte
définitif. Il y a donc eu révolte du brouillon,
grâce aux
gens qui les analysaient. Fini le règne du texte final,
à nous
l'oeuvre ouverte. »
Je ne sais pas encore si l'analyse politique et
idéologique
est
fondée. En revanche, la description de la
phraséologie
(théorie sans aucun fondement scientifique) est, elle,
parfaitement
juste. « Au début, on crée une association
pour
accueillir les brouillons, et puis, à la fin, les brouillons
sont faits
pour l'institution » (p. 180a). Et sur l'imposture,
Jean-Yves
Tadié est bien plus féroce que je ne l'ai jamais
été : « l'Institut
Machin », dit-il,
« appelons-le Zénaïde-Fleuriot pour ne
froisser
personne », n'est fondé que pour obtenir des
budget et
construire des carrières. Et voilà comment au terme
d'une
florissante recherche on publiera une édition
génétique
de quelques pages d'un carnet de Fleuriot.
Reste la brouillonnologie. Jean-Yves Tadié n'en
connaît
vraisemblablement pas l'existence, mais en fin critique il trouve
le moyen de
ne jamais nommer autrement que par leur nom les brouillons des
oeuvres
littéraires. Je le répète, il s'agit vraiment
d'un homme
intelligent et de bon sens. Aussi le coeur de l'entretien est-il
consacré tout simplement à exposer les divers
rapports que des
auteurs entretiennent avec leurs brouillons. Il s'agit, dans
l'ordre, de
Victor Hugo, Mallarmé, Apollinaire, Malraux, Mauriac, Proust
(passim), Byron, Sarraute (passim) et Henry James.
Aussi bien
du point de vue de l'analyse littéraire que de la
brouillonnologie, son
exposé est implacable : ou bien on utilise le
brouillon pour
étudier la genèse de l'oeuvre et en tirer les
conséquences littéraires (l'établissement du
texte et son
interprétation), ou bien on fait du brouillon son objet
—
dans ce cas
on ne fait pas d'études littéraires,
évidemment, et par
conséquent, pour Jean-Yves Tadié, on perd son temps
et son
énergie, avec les deniers de l'État, et c'est ce que
font fort
bien les carriéristes de la CGMM. Pour ma part, je crois
que dans ce
second cas, on doit décider d'étudier le brouillon
pour ce qu'il
est : c'est la brouillonnologie.
(7) GL, 20 juin 2003
Je viens de dépouiller la bibliographie d'Odile de
Guidis
(Genesis, no 15, 2000), comme je le fais chaque
année et
comme toujours avec plaisir et profit.
Bien entendu, je suis très critique vis-à-vis
de la
bibliographie de l'organe officiel de l'ITEM. Certes, je ne peux
pas
m'attendre à ce que le répertoire officiel de la CGMM
distingue
radicalement, comme je le fais, les publication de l'École
et de ses
adeptes, des travaux scientifiques de génétique
littéraire, mais on pourrait au moins s'attendre à ce
qu'Odile
de Guidis s'en tienne aux travaux de la CGMM. Or, de plus en plus
souvent
(comme je viens de l'expliquer à l'occasion des
« Mélanges
Beugnot »),
elle répertorie les
publications des tenants, adeptes, sympathisants de la CGMM, quels
que soient
ces publications, souvent sans aucun rapport avec la CGMM, de sorte
que la
bibliographie est détournée de son objet.
En revanche, il ne me viendrait pas à l'esprit de
chicaner
la
bibliographe pour ses rares coquilles, dont quelques
répétitions
d'un numéro à l'autre de la bibliographie ou encore
les fautes
qui tiennent manifestement aux manipulations informatiques des
entrées.
Elles sont d'autant moins importantes qu'on les corrige
soi-même sans
peine. Bien au contraire, la bibliographie d'Odile de Guidis est
d'une
remarquable tenue orthographique, typographique et bibliographique,
comme on
l'attend toujours d'un tel travail, alors même qu'il est
très
difficile de le réaliser avec autant de soin. Cela
représente
un travail considérable et beaucoup de minutie.
Dès lors, quelques fautes inattendues, toutes
petites,
paraissent
vraiment monstrueuses en regard de la maîtrise d'Odile de
Guidis. La
première est d'affubler toutes les entrées de langues
romanes
autres que le français de la mention « En
portugais », « En espagnol », etc.,
alors que
tout le monde le voit bien au titre en portugais ou en
espagnol ! Plus
inacceptable et moins comique est la mention « En
russe »
ou « En japonais » alors que le titre est
donné...
en français.
La seconde faute importante tient au classement. Je ne dis
rien,
évidemment, de la première section que j'ai
déjà
critiquée sévèrement : la
désignation
« Éditions de texte, inédits » ne
recouvre
nullement les très précises et heureusement fort peu
nombreuses
transcriptions de la CGMM. Je ne dis rien du drôlatique
qu'il y a
maintenant à les retenir également... en
traduction !
puisqu'il s'agit de répertorier quelques travaux d'amis de
la CGMM.
Ma critique porte simplement sur la seconde section et ses trois
premières
« catégories » :
1- La collection « Textes et manuscrits » de
l'IMEC, trois
titres dont un repris de la dernière tranche de la
bibliographie;
2- Tous les ouvrages collectifs du monde entier, hors de la
collection de
l'IMEC;
3-... Ouvrage en russe ! (un seul dans le numéro
18).
Il n'y a évidemment aucune raison d'établir
de telles
catégories, contrairement à la quatrième, bien
appropriée (« Catalogues
d'exposition »).
(8) GL, novembre-décembre 2005
La CGMM au Québec. Oui, c'est reparti ! Au cours
des
prochaines semaines, je m'offre
quelques jours de vacances. Il était temps qu'on s'amuse un
peu. Et ça commence bien. Figurez-vous que
Genesis a publié un dossier sur la
CGMM au Canada ! C'est grand le Canada. Les Maritimes et le
FarWest doivent nous réserver de belles surprises... Il
est significatif, très significatif que le
Québec se fonde dans le grand tout canadien question CGMM,
ce qui devrait indiquer justement le caractère totalement
artificiel (pour ne pas dire « ethnique ») de
l'affaire, dont probablement la domination parisienne
de l'ITEM via quelques maîtres et disciples
montréalais.
Autrement, on aurait droit à une CGMM proprement
québécoise, bien entendu. En tout cas, je vois d'un
coup d'oeil que cet état présent ignore mes travaux
et mes
critiques. Ce qui est assez canadien comme attitude, en
effet. Autrement, au Québec, en France, aux
États-Unis, à peu près dans tous les PAYS du
monde, on prendrait en considération mes critiques, sans les
dénigrer sous le nom de
« polémiques », évidemment. Cela
dit, nous sommes ici devant des maître et disciples de le
CGMM. Aucun esprit critique.
Mais moi, tout « polémiste
impénitent » qu'on me qualifie et
discrédite, je suis mort de rire. Jacinthe Martel,
introduction Bernard Beugnot, nous propose « La critique
génétique au Canada » (Genesis,
no 23, 2004). Alors, je vais vous proposer,
à partir de ce dépouillement même, un
véritable historique
et une analyse critique de la CGMM au Québec !
Ça va faire mal !
Voici en vrac les éléments
pertinents de l'analyse.
L'avant-propos de Bernard Beugnot repose sur une
idée empruntée toute crue au dernier livre de Louis
Hay qu'il vient de lire, repiquage qui ne manque pas de piquant.
Ce qu'illustrerait le
« bilan » de Jacinthe Martel sur la CGMM au
Canada, c'est qu'il s'agit d'une « discipline de plein
droit » ! Louis Hay, dans « Critique de
la génétique » (1995, rééd.
la Littérature des écrivains, Paris,
José
Corti, 2002, p. 89-110), tente de répondre à la
critique de Graham Falconer, en supposant un objet valéryen
à la CGMM (OVNI = objet valéryen non identifié
des études littéraires, à ce qu'on sache), les
processus d'écriture inscrits dans
les brouillons — bien le dire : jamais Valéry
n'a dit
une telle sottise, ce qu'on appelle de la
récupération < note de régie : je
crois, vérifier > — : « Ce
faisant,
elle prend place de
plein droit dans le champ des études
littéraires... » (p. 103). Bernard Beugnot
est pragmatique, fondant une discipline sur la géographie
de ces pratiques, comme l'illustrerait le bilan de Jacinthe Martel.
Bilan, parlons-en. L'essentiel du panorama consiste à
torcher un sommaire très approximatif de l'histoire de
l'édition critique au Québec (oui, au Québec,
non pas au Canada), tandis que la dernière note de la
dernière page de son texte cite... le bilan parfaitement
bien informé, lui, de Marcel Olscamp (p. 19,
n. 25 !), manifestement découvert après sa
recherche très sommaire, vraisemblalement
réalisée par des étudiants de recherche,
tandis que mon étude critique de l'édition critique
au Québec (dans Polémiques, 1992) aura
échappé aux dépouillements. On appelle cela
« découvrir la lune » et n'en
connaître qu'une face. C'est avant l'ère des
spoutnics. Situer les travaux de Graham Falconer (oui, lui !)
et de Brian T. Fitch à leur place, à l'opposé
des fumeux adeptes de la CGMM; autrement, en faire des
« Bernard Beugnot », c'est plus que
ridicule, c'est risible. Humour blanc : comique
< surcharge, car nous sommes ici dans un brouillon :
pathétique >, étant donné que jamais
d'aucune manière Jacinthe Martel ne présente le
contenu d'aucune, absolument aucune étude de CGMM, ce qui
paraît vraiment incroyable, même pas une petite liste
des auteurs québécois victimes de la CGMM. Pour
Bernard Beugnot aussi, évidemment, plus comique
assurément < surcharge :
pathétique >, lorsqu'il juge du rayonnement des
« travaux » de Julie LeBlanc, étant
donné son auteur, ce qui sans conteste accuserait un
clair-obscur < rayé : dit-il
sérieusement >. Ignorer activement mon analyse
critique,
alors qu'on est forcé de la citer (et deux fois), ce n'est
forcément pas intelligent. Organiser l'histoire de la CGMM
au Québec impose qu'on y reporte la distinction de la
génétique et de la CGMM, comme aussi des pratiques et
des théorisations < corriger : théories
de la génétique d'un côté, fumisteries
de l'école de l'autre >, notamment en regard du
discours
idéologique de l'école de l'ITEM < note de
régie — répéter deux fois
« fumisteries » pour être certain que
même les adeptes novices comprennent > dont Bernard
Beugnot
et Jacinthe Martel sont précisément des adeptes et
propagandistes. Histoire précise et détaillée
de l'expression de ce discours délirant au Québec.
L'histoire de la génétique au Québec se
dégage aisément des pratiques de l'édition
critique et ses deux exemples priviligiés seront
forcément les éditions des Poésies et
des
carnets de Nelligan, puis celles de Maria Chapdelaine.
Travail
de recherche simple : les travaux et les directions
respectives de Jeanne Goldin et de Bernard Beugnot à
l'Université de Montréal; bibliographie stricte des
travaux, mémoires et thèses, de même que la
liste des subventions obtenues, dans le cadre strict de
l'école de l'ITEM. Conférenciers de l'ITEM au
Québec, Québécois invités dans les
colloques de l'ITEM. Les travaux divers de Bernard Beugnot dans le
texte et la bibliographie de Jacinthe Martel; moi-même
(aucune de mes éditions citées, aucun de mes travaux
de génétique, les niaiseries dites sur ma
brouillonnologie). Carrière en CGMM : Julie LeBlanc,
Sophie Marcotte et Jacinthe Martel. Postulat non
interrogé : en quoi une science et sa pratique
peuvent-elles être le moindrement nationales, voire
géographiques ? sauf précisément dans le
cas des
pseudo-sciences — excellente illustration de
l'idéologie
d'une école, quelques membres de la secte oeuvrant au
Québec. Le Québec, terre de missions
étrangères, avec le Brésil ! De quoi
amuser follement le polémiste. Bernard Beugnot = saint
François-Xavier de l'ITEM à Montréal. La
combine : comparer les achats de papiers d'écrivain
à la BNQ et à la BNC. Fonds d'archives.
Insister : jamais ce panorama de la CGMM « au
Canada » ne présente le contenu d'aucune des
études à l'étude, j-a-m-a-i-s.
Analphabètes ? Question : ce travail
subventionné réalisé par des assistants de
recherche à la gloire de la CGMM de l'école de l'ITEM
du CNRS de la République française permettra-t-il
autre chose que d'obtenir d'autres subventions de recherche pour
faire encore pis ? Belle finale ? Non :
écraser l'infâme fumisterie. Style Voltaire. Cela
s'enseigne au Québec actuellemement ? Voir le
programme de l'UQAM.
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