L A   B R O U I L L O N N O L O G I E

TdM


Guy Laflèche, Université de Montréal

TGdM

Laflèche Grésillon Biasi Cerquiglini Goldin BIBLIOGRAPHIES

Table

Le traité de CGMM
de Pierre-Marc de Biasi
Second manifeste de l'école de l'ITEM


6.  Brouillonnologie de l'incipit

      On efface tout et on recommence ? D'accord. Mais avant, il faut refaire tout le travail de Pierre-Marc de Biasi qui est très fort en CGMM, mais bien piètre brouillonnologue. D'abord, la première version de l'incipit est celle du plan original qui porte « I. éducation — château » (fo 490r : c'est le folio 490, au recto, comme on l'étudie depuis plus d'un siècle et tel que le consigne la transcription de Giovanni Bonaccorso au vol. 3 du Corpus Flaubertianum, « La légende de saint Julien l'Hospitalier », édition diplomatique et génétique des manuscrits, Paris, Didier, 1998, lxxiii-369 p.).

      Ensuite, très grave, Pierre-Marc de Biasi ne présente pas les caractères essentiels du synopsis réécrivant le plan initial (fo 492r). Ce fragment se distribue en deux alinéas. Le premier comprend deux propositions séparées d'un trait : « Jamais il n'y eut meilleurs parents. ni d'enfant mieux élevé que le petit julien » (sans point final). Cette transcription de Bonaccorso, qui marque le tout petit trait de plume d'un point, est confirmée à la vue du folio reproduit p. 492, planche II intitulée « Plan de 1875, chap. 1 ». Les deux propositions sont séparées par un tiret. Rien n'empêche de les considérer comme deux propositions d'une phrase, on le verra, mais l'important est qu'elles forment le premier alinéa. On passe ensuite au second alinéa, qui lui commence ainsi : « Ils habitaient un château, sur une montagne boisée, ensemble dans le paysage. — enceinte, tours... » (Bonaccorso, 3: 41). On comprend qu'après le tiret commence la description du château. Avant le tiret, on trouve ce qui dans ce synopsis doit lancer la description.

      La suite du travail de rédaction au brouillon consiste à développer deux « alinéas » pour les fondre en une phrase inaugurale, un premier alinéa, dont la caractéristique stylistique (style et grammaire) essentielle est de n'être pas du Flaubert (phrase simple et complète, sujet et déterminatif, verbe et double circonstanciel de lieu, d'une rare platitude calculée — concordant avec les incipit de chacun des Trois contes, évidemment —, digne de l'incipit de l'Éducation sentimentale, il faut le dire). — Dans l'ensemble, Pierre-Marc de Biasi observe que ce travail tient de la « méthode flaubertienne de la condensation » (p. 112) qui consiste à resserrer un brouillon prolifique. Mais il est comique de voir calculer l'opération en pourcentage, sur la base du nombre de « mots », la condensation dépassant les 100%, pour atteindre des... 176 % de « capital lexical » !

      Question de détail, en brouillonnologie, rien ne permet de distinguer les diverses « campagnes de corrections » qu'improvise Pierre-Marc de Biasi, notamment sur la « seconde campagne » du fo 411v, où Flaubert ajouterait « grands » (bois) après avoir soustrait « petit » (Julien), dans la foulée de la « campagne » antérieure. Même chose en ce qui concerne la distinction entre sa rédaction du premier jet (sic) et sa correction sur le fo 411v (avant la mise au net au fo 437v). Cela sert à merveille l'exposé fabuleux de la « rédaction », mais ne correspond nullement à une description rigoureuse du document pour la brouillonnologie. Giovanni Bonaccorso est sur ce point très justement descriptif, de sorte que rien n'empêche que « grands » soit d'abord ajouté, puis « petit » soustrait, avec tout le premier alinéa, ce qui m'amuse beaucoup et ce qui amusera n'importe quel lecteur relisant la belle histoire de Pierre-Marc de Biasi qui fait de cette surcharge une « hésitation ».

      À remarquer enfin que Giovanni Bonaccorso lit au fo 409v « la pente d'une colline terminant une large vallée », tandis que Pierre-Marc de Biasi y lit « dominant une large vallée », sans indiquer s'il corrige une faute de lecture. En revanche, celui-ci ne tient pas compte de la ponctuation du brouillon au fo 411v, qui encadre « au milieu » de virgules, en dépit de ses compléments déterminatifs (« des [gds] bois »), ce qui laisse croire à des additions au fil de la plume, peut-être avant l'intégration du premier alinéa à cette phrase.

      Bref, on doit recommencer, comme on le voit. Les « aventures » de monsieur Gustave Flaubert rédigeant sa nouvelle commencent dans sa tête (sic), par une « phase de conception mentale du récit » (p. 114), par de longues « rêveries dirigées » (p. 38 et 107, épisode mental fameux du traité) qui vont conduire l'auteur à planifier et à rédiger les brouillons de son oeuvre, jusqu'au manuscrit final qu'il livrera à l'impression. Cette histoire est une gentille et inoffensive affabulation construite sur les évaluations et les interprétations de Pierre-Marc de Biasi des pièces au dossier. En ce qui concerne l'évaluation, quelques cours d'études textuelles seraient à conseiller aux adeptes de la CGMM, à commencer par un bon cours de grammaire, avec si possible quelques notions de grammaire générative, afin de pouvoir apprécier avec rigueur les réécritures de Flaubert. Autrement, la simple description des mécanismes de rédaction dans les pièces au dossier ne sera pas correcte. En tout cas, l'interprétation de Pierre-Marc de Biasi relève des méthodes romantiques des « lectures littéraires », avant que le structuralisme ne vienne apporter la rigueur scientifique nécessaire aux descriptions des objets à l'étude. En effet, en ce qui concerne l'interprétation, l'auteur devrait savoir qu'il y a plus de trente ans maintenant qu'on n'« interprète » plus les textes comme il le fait. Sans compter qu'il se lance dans de véritables narrations qu'on ne croyait plus possibles aujourd'hui : « C'est maintenant pour Flaubert une affaire essentielle qui engage le sens même de son récit. Il vient de le découvrir en faisant évoluer sa description du château [qui vient de dégringoler à mi-pente]. [...] On verra de quelle façon plus loin...  » (p. 113). Il est pathétique de lire de telles aventures romantiques destinées à l'« interprétation » d'un auteur comme Flaubert sous la plume d'un « critique » pourtant contemporain, comme si le structuralisme n'avait pas frappé d'interdit ces fabulations tenant lieu de « critiques littéraires ». Les adeptes de la CGMM devraient également prendre quelques cours en histoire pour comprendre au moins qu'on ne fait pas d'histoire en racontant des aventures, comme la belle « histoire » de la rédaction de l'incipit par monsieur Flaubert.

7.  Étude structurale de l'incipit

      Étudions l'incipit des brouillon de Flaubert.

      Étude stylistique. Le premier incipit de Flaubert n'est pas une phrase agrammaticale; et c'est même du français très correct qu'il est stupéfiant de voir qualifié de « faute de syntaxe » (p. 109, 110, cf. p. 116), Pierre-Marc de Biasi analysant la phrase ainsi : « Jamais il n'y eut meilleurs parents [...] que le petit Julien » ! (p. 109). En réalité, on le sait, il s'agit de deux propositions; mais à supposer qu'elles soient juxtaposées explicitement (à l'aide de la virgule), puisqu'elles se trouvent ainsi disposées dans le synopsis, cela donne du pur Flaubert, du point de vue grammatical et stylistique : « Jamais il n'y eut meilleurs parents, ni d'enfant mieux élevé que le petit Julien » est non seulement une phrase immédiatement intelligible, mais elle possède des qualités d'expression indéniable, où la détermination sémantique se fait en trois temps:

parents > enfant > petit Julien

tandis que la phrase se constitue de deux propositions elliptiques qui se complètent réciproquement, la première faite d'une forme de superlatif absolu (« pas de meilleurs parents » pour de « très bons parents », absolument), la seconde d'un comparatif relatif (« pas d'enfant mieux élevé que Julien »), relation qui rétablit d'elle-même le superlatif relatif de la première proposition (« pas de meilleurs parents que les parents de Julien »), ce qui fait en retour un superlatif absolu de la seconde proposition (« Julien est un enfant très bien élevé », « jamais il n'y eut d'enfant mieux élevé »).

      Étude thématique. L'enfant, le fils, l'éducation. C'est surtout l'éducation, d'abord celle d'un enfant par ses parents, comme l'annonce l'incipit, ensuite ce sera une « éducation sentimentale » qui petit à petit se retournera contre ces merveilleux parents, des meilleurs, sacrifiés à la sainteté de leur fils, le meilleur.

      Étude narrative. Tout comme dans la version définitive, mais beaucoup plus explicitement (ou abruptement, comme on voudra), le narrateur du synopsis anticipe sur l'histoire, de manière à créer un raccordement de son récit où le lecteur devra lui-même nommer le personnage avant qu'il ne le fasse ensuite explicitement (c'est le raccord narratif). La figure narrative est destinée à rythmer les parties de la narration. « À force de prier Dieu, il lui vint un fils » et ce fils ne sera pas identifié par le narrateur avant le très naturel syntagme « le père de Julien » (et pourtant, le lecteur était en droit d'hésiter, puisqu'il n'est pas dit que Julien sera fils unique ni qu'il soit l'aîné). La même anticipation sera réclamée du narrataire lors de l'arrivée de ses parents au château de Julien (qui lui, au contraire, ne saura rien anticiper...), puis devant le moine en cagoule qui suit le cortège funèbre (c'est le remarquable « il » qui ouvre ensuite la troisième partie du conte, passant du moine à Julien), et pour finir, bien sûr, la métamorphose du lépreux en Notre-Seigneur Jésus que le lecteur aura identifié bien avant la dernière phrase du récit où le narrateur le nomme enfin, l'avant-dernière, juste avant la phrase de fermeture qui reprend le titre dans le cadre de la situation narrative, le vitrail d'une église de son pays, déjà en place depuis le plan initial.

      Étude générique. D'aucune manière le « petit Julien » n'évoque le « Petit chaperon rouge », même si l'ouverture de Guigemar de Marie de France pourrait être une source de l'incipit du brouillon, si le rapprochement était confirmé : « On appelle le jeune homme Guigemar. Il n'y en avait pas de plus beau dans le royaume. Sa mère le chérissait étonnamment et son père l'aimait beaucoup » (citation de Pierre-Marc de Biasi, p. 111). Cela dit, je ne sais pas si la « source » avait été signalée avant Pierre-Marc de Biasi, car il se présente comme l'auteur de ce rapprochement; je ne sais pas non plus si Flaubert croit la dénoter dans son incipit (ce que pourrait nous apprendre sa correspondance); mais je sais au moins une chose : je n'aurais pas pu faire ce rapprochement sans Pierre-Marc de Biasi. Je soupçonne que des milliers de narrations commencent par situer l'enfant dont on fera un héros en fonction de ses parents. En revanche, si le rapprochement entre le conte de Flaubert et le texte de Marie de France (p. 111) peut un jour être corroboré, alors la genèse de l'oeuvre pourra se développer, pas avant. D'ici là, rien sur le « genre » du texte de Flaubert ne peut en être inféré. Autrement, et c'est la question qui nous importe, l'incipit originel, tout comme l'incipit du texte final, n'implique rien d'autre que ses deux désignations on ne peut plus explicites, s'agissant d'un « conte », d'une « légende » dont le sujet est incrusté dans le plomb d'un « vitrail » désignant le Moyen Âge. L'un ou l'autre des deux incipit présentent la caractéristique remarquable de ne pas désigner un « saint », alors que le titre annonce l'histoire d'une légende sacrée, celle de la légende dorée, inattendue sous la plume de « monsieur Gustave Flaubert », l'auteur des romans que l'on connaît. Alors pas de surprise, si l'on peut dire ! Le narrateur joue son rôle de « romancier réaliste » : voici trois personnages (le héros et ses parents) et leur château; suit une longue description du château, description qui va passer peu à peu aux portraits des personnages. C'est bien l'oeuvre d'un narrateur réaliste qui entre en scène (évidemment rationaliste, anticlérical certainement et athée probablement). On ne trouve nulle part dans cette ouverture la moindre trace du merveilleux des contes de fées (ni le Petit Chaperon rouge, p. 108, 111; ni la Belle au bois dormant, p. 118).

      Étude historique. Le Moyen Âge de Flaubert est celui du XIXe siècle et la première de toutes ses caractéristiques est « architecturale » : c'est le château. Une réplique du château de Concarneau voit naître le Julien de Flaubert, tandis que sa source, l'essai d'E.-H. Langlois, présentait d'un mot le « manoir » familial.

      Étude de genèse ! Comme on le voit, il n'y a rien à tirer de la « genèse » de l'incipit pour l'analyse du conte de Flaubert et c'est normal, l'étude génétique d'une oeuvre ne se réalisant pas au hasard. Ce que Pierre-Marc de Biasi appelle pompeusement une « microgénétique » (l'opposé d'une « macrogénétique » !, p. 105-106) est un simple exercice scolaire. D'ailleurs, on ne propose pas l'étude de genèse d'un fragment si l'on ne sait d'avance quelles importantes conclusions on pourra en tirer (pour dater la rédaction d'une oeuvre, pour caractériser sa composition ou pour évaluer les intentions de l'auteur, par exemple). Rien de tel ici, on le voit bien.

      Passons outre ? Pas du tout. Venons-en au contraire aux prétentions de Pierre-Marc de Biasi et de la CGMM.

8.  L'objet de la CGMM

      S'il n'y a rien à tirer, du point de vue des études littéraires de la genèse de l'incipit du conte de Flaubert, alors même que Pierre-Marc de Biasi nous propose les « aventures » de cette rédaction, c'est que l'« objet » de la CGMM n'est pas de cet ordre. Or, on ne le trouvera pas ailleurs non plus. Cet objet n'est pas différent, il n'existe pas. La CGMM n'a pas d'objet, elle n'étudie rien.

8.1  Une oeuvre ne peut être interprétée à la lumière de ses brouillons, jamais un brouillon ne peut servir à interpréter une oeuvre

      Cela était pourtant prévisible, s'agissant d'une pseudo-science. Il est temps d'expliquer pourquoi, en revoyant au texte le traité de CGMM point par point à ce sujet. Le présupposé théorique est fort simple et on ne le répétera pas assez tant que les adeptes de la CGMM ne déclareront pas forfait. Il s'énonce comme suit : d'aucune manière un brouillon ne saurait permettre d'interpréter l'oeuvre qu'il a servi à produire. En pratique, cela signifie qu'une oeuvre ne peut être interprétée à l'aide de ses brouillons, sauf dans deux cas très précis, celui assez rare où le brouillon permet de rétablir la « lettre » du texte (et dans ce cas, il ne s'agit pas d'interprétation, mais d'établissement du texte), et le cas encore plus rare où le brouillon est mis en scène dans l'oeuvre, c'est-à-dire que le « travail de rédaction » est textualisé — et dans ce cas, nul besoin d'avoir le brouillon pour mener l'étude de genèse, puisque la production figure alors dans le produit. Dans tous les autres cas, ce qui signifie toujours en regard de ces deux cas exceptionnels (rétablir la lettre les Pensées à partir du brouillon de Pascal ou mener l'analyse de Naked Lunch sans l'aide d'aucun brouillon), jamais le brouillon ne peut permettre d'interpréter le texte. Aucune ligne d'aucun brouillon de Flaubert ne peut permettre d'interpréter Madame Bovary. C'est impossible.

      Et ce n'est pas un postulat, mais au contraire un théorème facile à prouver, avec seulement quelques propositions simples : serait-il impossible d'aboutir à l'oeuvre Z sans les brouillons a, b, c... ? Le sens de l'oeuvre Z change-t-il selon que l'on possède ses brouillons a, b, c... ? Ce sens changera-t-il lorsque l'on découvrira le brouillon d ? Puis encore avec le brouillon e ? Les mécanismes de rédaction, on peut le croire, impliquent ou peuvent impliquer des formes de création, c'est possible; selon que j'improvise ou que je planifie, je pourrai peut-être aboutir à des formes différentes; mais ces formes produites n'ont aucun rapport avec leur production. En termes simples, votre lettre ou votre roman peut procéder ou non de cinquante-six brouillons ou être improvisé, cela ne peut jamais rien changer du point de vue du résultat, ce qui a été produit avec ou sans brouillon, dans telles ou telles conditions.

      Ce n'est pas l'avis de Pierre-Marc de Biasi et de la CGMM. Ils sont très influencés par des romanciers comme Gugusse, c'est évident et tout à leur honneur. Comme on a pu le voir, notre pauvre champion de la rédaction n'est ni très habile ni très intelligent, pas doué du tout, c'est évident, pour la composition, et tous nous lui reconnaissons un grand « talent » pour le brouillon. Il n'est tout de même pas nécessaire que je redescende les caisses de son roman épistolaire du grenier, car nous sommes tous émus par son fameux incipit qu'on n'oubliera jamais, « Trop peu longtemps je me suis levé tard, épuisé de ces nuits sans sommeil consacrées à te rêver, mon amour ». La lettre de cet incipit est bien établie et cet incipit n'implique nullement sa rédaction, sa source étant explicite. Mais c'est pourtant des caisses de brouillons de cet incipit au grenier (il s'agit de l'« atelier », du « laboratoire » et des « coulisses » dans l'imaginaire de la CGMM) qu'est sortie la pensée des adeptes de la secte de l'école. On la trouve toute crue dans le petit traité de Pierre-Marc de Biasi.

      C'est la « pensée » de la CGMM, qui voit dans le dossier de genèse un « objet ». On sait maintenant que c'est une vue de l'esprit. Dossier de presse, dossier de réception critique ou dossier de genèse désignent simplement les corpus des pièces à l'étude, rien de plus. Par ailleurs, le mot désigne des « individus », chaque corpus étant par définition individuel et chacun doit être décrit en fonction des deux concepts complémentaires d'échantillon et de population; dans le cas du dossier de genèse, il faut encore le décrire en fonction de la production et de la conservation des avant-textes, avec les raisons qui ont motivé et la production et la conservation des pièces. Mais ce corpus ainsi constitué, décrit et justifié, la CGMM ne l'interroge jamais : comment, pourquoi et par qui ces pièces ont-elles été conservées, recueillies, collectionnées, achetées, etc. ? Au contraire, il est présupposé de facto signifiant, significatif et même nécessaire à l'interprétation de l'oeuvre dont il est censé représenter la conception, la rédaction, l'écriture et la mise au point en acte, puis la mise au net, la correction et l'établissement du texte de l'oeuvre. Car la CGMM ne lésine pas : le brouillon représente la conception de l'oeuvre d'un côté et permet de l'interpréter de l'autre. C'est pour commencer « la beauté à l'état naissant » (p. 124); et, pour finir, ce « dossier de genèse » est réputé nécessaire à l'interprétation de l'oeuvre. C'est beaucoup, c'est trop et c'est faux.

      C'est faux parce que jamais d'aucune manière un brouillon n'a permis d'interpréter une oeuvre, tandis qu'aucune oeuvre ne souffre d'interprétation correcte faute de brouillon. Affirmer le contraire n'est pas ridicule, c'est risible. C'est l'humour blanc de la CGMM de l'école de l'ITEM du CNRS de la République française. Il me semble qu'il faudrait que cela cesse.

8.2  Les oeuvres littéraires n'ont pas de secrets

      Les oeuvres littéraires n'ont pas de secrets et la fonction des études littéraires n'est pas de les interpréter, mais de les décrire. De la même manière, les études textuelles au service de la brouillonnologie n'ont pas d'autre fonction que de décrire et d'éditer les avant-textes.

      Alors ce ne sera pas mauvais de reprendre mot à mot les affirmations de Pierre-Marc de Biasi, question « herméneutique ». Son traité s'ouvre par cet exposé « théorique » qu'on vient de qualifier : « L'interprétation de l'oeuvre à la lumière de ses brouillons ou de ses documents préparatoires » (p. 6), voilà ce qui définit la CGMM depuis une trentaine d'années. D'où il suit que nous avons un gros et très suant travail de réinterprétation à faire, afin de « redécouvrir le texte de l'oeuvre à travers la succession des esquisses et des rédactions qui lui ont donné naissance et qui l'ont conduit à sa forme définitive » (p. 7); voilà un « nouveau point de vue critique sur l'oeuvre » (p. 124), de sorte que les oeuvres littéraires, comme l'incipit du conte de Flaubert, auront « gagné un peu en intelligibilité », afin de « renouveler notre lecture des textes » (p. 122). Pierre-Marc de Biasi l'affirme avec la plus radicale netteté, page après page : « la génétique des textes propose de relire les oeuvres à la lumière de leurs manuscrits de travail » (p. 104). Tout cela est faux, impossible et absurde. D'ailleurs, on est brouillonnologue ou on ne l'est pas. Pierre-Marc de Biasi ne l'est pas.

      C'est toute la thématique pseudo-scientifique de la CGMM présentée le plus sérieusement du monde par Pierre-Marc de Biasi. Il est établi, on l'admettra maintenant, qu'une oeuvre ne peut s'interpréter à la lumière de ses brouillons ? Pour Pierre-Marc de Biasi, là se trouve les « secrets » de l'oeuvre. Quels secrets ? Lorsqu'il ne s'agit pas de considérations idéalistes impliquant de nouvelles interprétations littéraires (p. 85-86 et 104-105), il s'agit tout bonnement des « secrets » de la « fabrication » de l'oeuvre, ce qui paraît être un secret bien gardé avant l'arrivée des Sherlock Holmes de la CGMM : « Pour mieux comprendre l'oeuvre [sic] : connaître de l'intérieur sa composition, les intentions cachées [sic] de l'écrivain, ses procédés [!], etc. » (p. 7); « Ces manuscrits n'attendent, pour livrer leurs secrets, que le talent et la curiosité d'une nouvelle génération de chercheurs » (p. 8), soit la CGMM... C'est le travail de la lecture (sic) : « c'est là que l'approche génétique du texte peut devenir, pour l'élucidation profonde de l'oeuvre, une ressource essentielle : en donnant à voir le tissu du texte en train de se former, l'avant-texte permet au critique de découvrir des stratégies, etc. » (p. 105). Ce mythe des « secrets » de la composition (p. 77), allègrement confondus avec les « secrets » de l'oeuvre (« intelligibilité », « renouveler notre lecture », p. 122, grâce même aux effets du formidable « traitement optique-numérique venus enrichir, quelquefois en les modifiant, la compréhension que la critique littéraire avait de leur oeuvre », p. 68), est un des grands thèmes (p. 123), des plus poétiques, de Pierre-Marc de Biasi. Avec son étude fabuleuse de la « genèse » de l'incipit de Saint Julien, il nous proposerait, « histoire d'en finir avec la fiction de "la clôture du texte", un exemple, clair espère-t-il, des profits que l'on peut attendre de l'analyse génétique pour la lecture et l'étude littéraire[s] du texte imprimé » (p. 107). — On l'a montré : ce sera rien du tout. Je mets la correction entre crochets, car peut-être Pierre-Marc de Biasi oppose-t-il la lecture et l'étude littéraire ou encore, ce qui est le plus probable, la « lecture » et l'« étude » sont-elles pour lui synonymes, comme c'était le cas pour les « critiques littéraires » avant l'avènement du structuralisme.

      D'ailleurs, depuis trente ans maintenant, il n'y a plus de « critiques littéraires » ailleurs que dans les journaux — et, comme on le voit, à l'Institut.

      Cela dit, Pierre-Marc de Biasi présente aussi le phénomène à l'envers : il s'agit des cas (« qui ne sont pas si rares ») où « les interprétations littéraires qui, à l'abri de cette fameuse "clôture du texte", se trouvent en contradiction flagrante avec ce que nous disent les brouillons de l'oeuvre » (p. 83). On n'en trouvera aucun exemple dans ce traité de CGMM, puisque c'est impossible. Pierre-Marc de Biasi en invente pourtant un. Il s'agirait de la publication du manuscrit (du manuscrit moderne !) des Champs magnétiques en 1988 qui aurait fait enfin la preuve, avec ses ratures, corrections et repentirs, que l'« écriture automatique » du texte par Breton et Soupault n'était qu'un des « grands mythes de la littérature moderne » (p. 74). Voyons donc ! D'abord la note de Breton dans l'exposé du Premier Manifeste du surréalisme, en 1924 sur l'oeuvre de 1919, est fort claire à ce propos; ensuite, jamais le manuscrit (car il ne s'agit pas d'un « brouillon ») des Champs magnétiques n'a été l'objet d'aucun ostracisme; enfin, jamais non plus les variantes et leçons de ce manuscrit, connues depuis toujours, n'ont été « révélées » par une édition des adeptes de la CGMM. Il suit que jamais l'étude de cette oeuvre, proche du manuscrit, n'a été en « contradiction » avec l'étude de ses « brouillons ». Or, il s'agit d'un exemple, du seul exemple de ce dont « les exemples ne sont pas si rares ». Cet exemple est un non-lieu. On attend un ou deux de ces « exemples qui ne sont pas si rares » où une oeuvre a été réinterprétée à la lumière de ses brouillons. D'ici là, on tiendra la chose pour impossible et l'affirmation pour une imposture.

8.3  Le poème du brouillon selon la CGMM, objet anti-structuraliste

      Vient ensuite, le mythe du brouillon, celui de la CGMM. C'est la révélation de la « réalité sauvage » de la vie même de Stendhal que cachait le « pseudo-texte, policé et travesti » par la « tradition éditoriale » ! (p. 74). Pour laisser à la postérité l'idée d'une vie rangée, mieux vaudrait brûler ses brouillons... « C'est cet ensemble touffu, imprévisible, hétérogène, énigmatique, surprenant et souvent bien difficile à déchiffrer, qui constitue le véritable objet de la » CGMM (p. 16). « Les manuscrits couverts de ratures et d'ajouts interlinéaires deviennent de plus en plus opaques. C'est dans ces brouillons que commence à se fabriquer le style proprement dit et que se crée le milieu textualisant dans lequel les notes documentaires viennent s'intégrer et abolir leur extériorité » (p. 42-43) : nous sommes ici dans la descriptions des ébauches et des brouillons, lorsque apparaissent « de véritables phrases qui se forment un peu partout sur la page, entre les lignes, et dans les marges avec divers systèmes de renvois mutuels » (p. 42). Ce sera pour finir la « jungle apparemment aberrante des brouillons » (p. 63), la « réalité des conflits, des désirs, des hésitations, des circonstances fortuites, de tous ces "possibles", souvent fort éloignés du texte, qui caractérisent la genèse » (p. 87), comme le montrent les brouillons. D'où, bien entendu, « l'épaisseur graphique et dynamique de la genèse » (p. 100). Toute la CGMM est là. Comme la matière ne manque pas, on peut donner à n'importe quel collégien ou lycéen le petit devoir de présenter la conception que se fait du brouillon Pierre-Marc de Biasi. Le bon étudiant trouvera vite le sommet de ce délire, conjuguant au brouillon les « aventures » de la genèse : « l'histoire réelle de la genèse, c'est-à-dire une aventure largement désorientée, une série ininterrompue d'aléas et d'incompatibilités, un parti pris de feinte et de mensonge (le « mentir vrai »), une délibération entre différents mondes possibles, etc. » (p. 88, l'« etc. » est de Pierre-Marc de Biasi). C'est la « plongée dans le passé du texte » ! (p. 88). Il faut dire que ce moment fort consiste à opposer le texte définitif à l'univers mobile du brouillon (« où rien n'est jamais définitif », sic), pour expliquer la question et les dangers de la fameuse téléologie. La pensée de la CGMM présuppose, au contraire, que l'auteur nageait en rond dans le passé du texte jusqu'à ce qu'il atteigne, épuisé, la rive de l'oeuvre à venir. C'est la tempête de l'inspiration, le naufrage de l'écrivain et l'épave d'une rature, de belles aventures génétiques...

      Devoir de composition : imaginer les aventures de Gugusse plongé dans le passé de son incipit fameux.

8.4  Une pensée institutionnelle de fonctionnaires des lettres

      Si le brouillon est pour la CGMM l'oeuvre (c'est le cas de le dire !) des épileptiques romantiques, elle n'en a pas conscience et ne l'étudie pas comme tel, au contraire. Une présentation de la CGMM implique une histoire critique des archives d'écrivains et des collectionneurs, comme de leur commerce (voyez la petite notule de la p. 13); une étude des achats par les bibliothèques d'État et plus récemment par les universités de ces fonds d'archives; et pour finir une histoire critique de l'ITEM du CNRS (voyez encore la petite notule de la p. 27-28). Au lieu de tout cela, qui devrait être l'objet principal d'un traité de CGMM, nous avons droit à un autre mythe.

      C'est la naissance fabuleuse de la « nouvelle génétique », qui apparaît par magie avec deux aspects complémentaires : la négation active des acquis du structuralisme d'une part et l'ignorance méprisante des études de genèse qui se sont développées depuis plus d'un siècle de l'autre. Mais le plus extraordinaire est la manière avec laquelle notre auteur, avec l'art de n'y pas toucher, présente la CGMM comme le « prolongement » des études structurales dans le domaine littéraire, un « renouvellement du structuralisme » considéré comme une forme d'analyse littéraire parmi d'autres, comme à la belle époque. Contre le Texte des structuralistes (p. 26, 29), la CGMM a enfin réagi et s'est mise à l'étude des Processus (p. 27), afin d'enrichir (sic) « le texte d'une dimension qui lui faisait cruellement défaut : la quatrième dimension, celle du temps humain, où le sens reprend possession de sa propre histoire » (p. 87)... Voici ce que réplique la brouillonnologie : il ne fait pas de doute que les études littéraires qui se sont renouvelées et développées rigoureusement avec le structuralisme peuvent décrire et éditer aujourd'hui de manière scientifique les brouillons et avant-textes de n'importe quelle oeuvre, qu'elle soit littéraire ou non; il ne fait pas de doute non plus qu'on puisse soumettre ces rédactions à l'étude scientifique de la psychologie cognitive, propre à étudier la rédaction, la composition et la création, dont profitera l'étude historique de la littérature, l'étude biographique des créateurs et l'évaluation de leurs intentions, c'est-à-dire de leurs esthétiques. En revanche, jamais, absolument jamais cela ne produira l'étude d'aucune oeuvre littéraire. Jamais. C'est clair ? On comprend toutefois que les études de genèse ont profité de la rigueur du structuralisme, genèse nécessaire à l'établissement des textes, mais préalables aux études littéraires (participant aux études historiques et biographiques). La CGMM tourne le dos aussi bien aux études de genèse qu'aux développements des études littéraires sous l'impact du structuralisme. De ce point de vue, Pierre-Marc de Biasi ne réussit pas à noyer le poisson.

      Bien au contraire : le poisson saute du bocal de son traité avec la rencontre d'un prétendu objet scientifique et de la brouillonnologie sur la table à dissection. Le traité ne saisit pas le bout de la queue d'une démarche simplement raisonnée. Voilà, nous dit-on, un champ de recherche immense (p. 58 et passim) appelant un travail immense (p. 69). C'est bien possible, mais ce travail se fait en pure perte puisqu'il ne s'agit pas d'un projet scientifique — ni d'une science, ni d'une théorie, ni même d'une simple méthode. Présenter la mise en ordre d'un dossier de génétique (p. 30-31) comme un travail scientifique, par exemple, c'est ridicule; affirmer que la CGMM correspond à une « méthode » (p. 25, 123) ou à une « théorie » (p. 18), voire à une « science », c'est risible. Ce serait une « philosophie » (p. 85-86), mais il faudrait pour cela que Pierre-Marc de Biasi l'assume sienne comme telle. D'ici là, le mieux est de la considérer pour ce qu'elle est, une idéologie, une théologie, la religion d'une petite secte de fumistes.

      L'écrit à l'état naissant (p. 16), les images mentales de l'auteur (p. 42), voilà bien la rédaction inspirée d'un rédacteur sacré. La CGMM est un retour aux études de « l'homme et l'oeuvre », sous la forme d'une régression infantilante, « l'homme et l'oeuvre — et leurs brouillons », rien de plus, sous prétexte d'études littéraires, triste logique de plastique. Qu'y a-t-il de plus désolant que la phrase qui termine le traité de Pierre-Marc de Biasi ? « À l'horizon de ces investigations, on voit se profiler une convergence théorique qui pourrait bien constituer un enjeu scientifique majeur pour notre siècle » (p. 124).

      Il n'y a rien là pourtant qu'une pseudo-science.

S o t t i s i e r

Anthologie, pièce de

      « Génétique et critique textuelle : décalage, conflits, complémentarités » (p. 85-87). Ces deux pages constituent une pièce d'anthologie de la CGMM. C'est là qu'on trouve l'origine du petit torchon que Pierre-Marc de Biasi avait servi aux lecteurs du Monde en « réponse » à la critique de Laurent Jenny dans le même journal (10 décembre 1996) — il est possible que ces pages aient une origine antérieure dans son oeuvre critique, peut-être son texte à Universalis (1985) que je ne connais pas encore. Quoi qu'il en soit, ces deux pages, telles quelles, sont un condensé des sottises de la CGMM, doublé d'une virulente et explicite attaque du structuralisme présenté comme l'« interprétation » ou l'« herméneutique » du Texte, « l'ordre limpide d'un objet unique et délimité ».

      Emporté par son enthousiasme, comme c'était déjà le cas dans le Monde, Pierre-Marc de Biasi finit par désigner ce Texte comme le Livre divin, agenouillant devant lui tous ceux qui ne sont pas de la CGMM. C'est le « texte révélé » des structuralistes, tandis que la CGMM est « résolument laïque », comme la « médiologie » (sic !). « Les manuscrits enseignent que le texte ne vit que par la mémoire vive de sa propre écriture, que le sens est instable et la vérité problématique » (p. 86). Or, ce n'est pas vrai.

      Les bonnes intentions, pourtant, ne manquent pas. Pierre-Marc de Biasi pense construire une « épistémologie historique et peut-être matérialiste de l'écriture littéraire » (p. 86-87). Or, tel ne peut être le cas de la CGMM, mais celui seulement de la brouillonnologie, l'étude scientifique des brouillons.

Bonnet, Henri, et Bernard Brun

      « On doit à B. Brun de très nombreuses contributions à la recherche en génétique proustienne » (bibliographie, p. 126).

Brun, Bernard

      Voir Bonnet, Henri.

Bustarret, Claire

      « On doit à cet auteur de très nombreuses contributions à tous les aspects codicologiques de la recherche en génétique textuelle » (bibliographie, p. 126).

Dossier de genèse

      « L'écrivain n'a jamais travaillé avec un dossier de genèse aussi bien rangé que celui qui sort des mains » des adeptes de la CGMM (p. 87).

Ferrer, Daniel

      « On doit à cet auteur de très nombreuses contributions à la théorie (notamment psychanalytique) de génétique textuelle et au corpus Joyce » (bibliographie, p. 127).

Figurabilité

      Mot inventé pour expliquer ce qui se passe dans la tête de Flaubert aux fulgurants moments de la naissance de son oeuvre, ses Trois contes, sa Légende de saint Julien l'Hospitalier en tout cas, ce qui explique la « stupéfiante densité visuelle de ses évocations » : « si ses phrases libèrent de tels flux d'images, c'est qu'elles n'ont, originairement, pas d'autre source que la figurabilité du songe, cette faculté d'évocation visuelle interne que l'on pourrait appeler chez Flaubert l'unité spontanément figurale du processus de conception narrative » (p. 108). Il n'y a que la CGMM pour découvrir comment Flaubert a pu « visionner » ses oeuvres avant même de prendre la plume.

      Comment ? Le secret n'a pas été bien gardé. En effet, j'ai pu savoir que l'ITEM a fait procéder, à l'aide d'un puissant scanner au laser, au décalque de la figurabilité du fond de tain des miroirs de l'hôtel de Concarneau à la date du 24 septembre 1875. C'est là qu'on a bien vu la stupéfiante densité visuelle de ses évocation mentales. On y voyait, paraît-il, en filigrane, le fameux vitrail de la cathédrale de Rouen sur la légende de saint Julien.

Grésillon, Almuth

      « On doit à cet auteur de très nombreuses contributions à tous les aspect de la recherche en génétique textuelle » (bibliographie, p. 127).

Hay, Louis

      « On doit à cet auteur, fondateur de la génétique des textes en France, de très nombreuses contributions à tous les aspects de la recherche » (bibliographie, p. 127).

Herschberg, Pierrot Anne

      « On doit à cet auteur de très précieuses contributions sur les aspects stylistiques de la recherche en génétique textuelle » (bibliographie, p. 127).

Interprétation

      Depuis trente ans, on ne trouve plus de « critiques littéraires » ailleurs que dans la presse, évidemment. On en trouve toutefois encore à l'ITEM du CNRS de la République française. En tout cas, Pierre-Marc de Biasi en est un fier dinosaure, toujours vivant et actif, qui a pour but d'« interpréter » les oeuvres littéraires et, remarquable Sherlock Holmes, de nous en révéler les secrets.

      Il s'agit, bien sûr, de secrets connus de tous qui seront révélés lundi passé.

Lebrave, Jean-Louis

      « On doit à cet auteur de très nombreuses contributions sur tous les aspects de la recherche en génétique textuelle, et notamment sur la question des éditions électroniques et hypertextuelles » (bibliographie, p. 127).

Le Calvez, Éric

      « Excellent auteur spécialiste de la poétique génétique » (bibliographie, p. 127).

Lejeune, Philippe

      « Philippe Lejeune, spécialiste incontesté de l'autobiographie » (p. 93). « On doit à cet auteur de très nombreuses contributions à tous les aspects autobiographiques de la recherche en génétique textuelle » (bibliographie, p. 128).

Logique de plastique

      Forme particulière d'humour blanc et trait caractéristique de la pensée de Pierre-Marc de Biasi. Elle est caractérisée par la surenchère de la « logique » comme on la trouve chez les enfants de quatre ans, ultra-conservateurs et ultra-rationalistes. Dans le traité de CGMM, la logique de plastique est illustrée de manière remarquable avec l'exposé sur la rature. Mais les tableaux des phases de pré-rédaction, rédaction et post-rédaction sont également patents à cet égard.

      Cela dit, s'il fallait un « traité » de CGMM, il lui fallait sa logique propre, d'un comique irrésistible et bel exemple d'humour blanc. Répétons-le : « À l'horizon de ces investigations, on voit se profiler une convergence théorique qui pourrait bien constituer un enjeu scientifique majeur pour notre siècle » (p. 124).

Manuscrit définitif (prix du)

      Avant l'invention de la machine à écrire, les écrivains avaient un gros problème sur les bras. Ils n'arrivaient pas à trouver avant leur mort des copistes capables de mettre au point le « manuscrit du copiste » à partir de leurs brouillons informes et devaient produire eux-mêmes le « manuscrit définitif » qui doit être défini comme « le dernier état autographe de l'avant-texte : le Manuscrit (avec un M majuscule) doté d'une valeur symbolique particulière... » (p. 45).

      Or, la valeur a son prix, si je puis dire ! et la valeur ne reste pas longtemps symbolique. Aussi Pierre-Marc de Biasi nous raconte-t-il une autre histoire (que celle que je viens de proposer), le plus sérieusement du monde : « À partir du premier tiers du XIXe siècle, les écrivains prennent l'habitude de protéger ce document et, au lieu de le donner à l'imprimeur [sic], le font copier par un professionnel qui en fournit une version calligraphiée [sic] » (p. 45). On n'est jamais trop prudent avec les éditeurs.

Marty, Éric

      « On doit à cet auteur de très précieuses contributions à tous les aspects phénoménologiques de la recherche en génétique textuelle » (bibliographie, p. 128).

Neefs, Jacques

      « On doit à cet auteur de très nombreuses analyses de corpus (XIXe et XXe siècles) et de précieuses contributions théoriques, notamment dans le domaine de l'esthétique génétique » (bibliographie, p. 128).

Publication (perspectives de)

      « Il est clair, d'ailleurs, qu'un auteur qui entend publier son texte prend très au sérieux, au moins vers la fin de son travail, la perspective de l'édition » (p. 44). « Processus indiscutablement finissant » (p. 44) de la phrase post-rédactionnelle qui n'est pas dite pour rien « pré-éditoriale » (sic).

Rature

      De tout le petit traité de Pierre-Marc de Biasi, la longue section sur la « rature » est la plus significative. Cet exposé marque toute la différence entre la CGMM et la brouillonnologie, entre la rêverie et la rigueur, entre le mythe et la science. D'ailleurs, pour l'auteur, la rature est un thème de la CGMM et son exposé, une poétique.

      « La rature est une composante très complexe de l'écriture » (p. 53). La première surprise, c'est un choc !, est d'apprendre qu'il existe des « rature de suppression » et que ce n'est pas là sa forme fondamentale, s'agissant en fait d'une « rature de substitution » dans laquelle le « segment substitué » est nul ou vide. Il faut savoir qu'« en terme de structure fonctionnelle, la substitution constitue le modèle primaire de toute rature » (p. 57) et que les ratures ont cinq fonctions, dont la plus élémentaire est la « substitution par rien » ou « par le vide » (p. 57). Bref, contrairement aux vues embrouillées du sens commun, la rature est assez rarement une soustraction et presque toujours une addition, une substitution ou un déplacement, qui, dans certains cas, cinquième fonction, sera une inversion, qui consiste à raturer ici pour ajouter ailleurs. Bref, « la rature est un phénomène spécifiquement génétique, sensible à un environnement soumis à d'incessantes et multiples métamorphoses » (p. 57). Bel exemple d'humour blanc.

      Je vous explique maintenant comment cela fonctionne en brouillonnologie, où la rature est considérée comme un phénomène très simple constitué d'un tout bête trait de plume sur un mot, un groupe de mots, un syntagme, une ligne, une phrase, un fragment ou un groupe de fragments, ou encore une page ou une suite de pages. Il existe deux sortes de ratures, la biffure et la rayure, qui correspondent respectivement aux traits horizontaux où les éléments sont « physiquement » biffés et aux traits diagonaux où les éléments sont « symboliquement » rayés. Il suit qu'on biffe généralement un mot, tandis qu'on raye une page.

      Vient ensuite l'analyse de la substitution d'un élément ou d'un fragment biffé en cours d'écriture, puis l'étude de la surcharge au-dessus d'un élément biffé après coup. Vous voulez une analyse claire de la rature, de l'addition, de la surcharge (substitution) et du déplacement dans le contexte d'une rédaction et d'une révision linéaire ? La brouillonnologie peut vous proposer cela. La CGMM vous en fait, elle, un beau mais inutile poème.

Texte

      « Le texte, lorsqu'il existe, est évidemment l'objet littéraire par excellence » (p. 104).

      Lorsqu'il s'agit d'« interpréter » les oeuvres, notre Sherlock Holmes des études littéraires est tout ce qu'il y a de plus téléologique. Tout converge vers le texte dont la CGMM permet de découvrir les secrets. Car il s'agit de « mieux lire les oeuvres », d'« enrichir leur interprétation », de « mieux lire »; sans compter que les « manuscrits de l'oeuvre contiennent toujours plus que la méthode d'interprétation la plus sophistiquée et, du point de vue de l'intelligibilité, paradoxalement toujours plus aussi que le texte achevé lui-même ». Tout cela p. 104. Intitulons cela « Plaidoyer pour l'Interprétation ou L'Herméneutique ». Comme on le voit, la CGMM n'a rien à son épreuve : sans compter que grâce à elle, le texte de l'oeuvre achevé le plus simple (« objet autosuffisant ») devient « infiniment complexe » (p. 105).

Vachon, Stéphane

      « On doit à cet auteur de très importantes contributions à la recherche en génétique balzacienne » (bibliographie, p. 128).


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