On efface tout et on recommence ? D'accord.
Mais avant, il
faut refaire tout le travail de Pierre-Marc de Biasi qui est
très fort en
CGMM, mais bien piètre brouillonnologue. D'abord, la
première
version de l'incipit est celle du plan original qui porte
« I.
éducation — château »
(fo 490r :
c'est le
folio 490, au recto, comme on l'étudie depuis plus d'un
siècle
et tel que le consigne la transcription de Giovanni Bonaccorso au
vol. 3 du
Corpus Flaubertianum, « La légende de saint
Julien
l'Hospitalier », édition diplomatique et
génétique
des manuscrits, Paris, Didier, 1998, lxxiii-369 p.).
Ensuite, très grave, Pierre-Marc de
Biasi ne
présente pas les caractères essentiels du synopsis
réécrivant le plan initial (fo 492r). Ce fragment
se distribue
en deux alinéas. Le premier comprend deux
propositions
séparées d'un trait : « Jamais il n'y
eut
meilleurs parents.
ni d'enfant mieux élevé que le petit
julien » (sans point
final). Cette transcription de Bonaccorso, qui marque le tout
petit trait de plume
d'un point, est confirmée à la vue du folio reproduit
p. 492,
planche II intitulée « Plan de 1875,
chap. 1 ».
Les deux propositions sont séparées par un tiret.
Rien
n'empêche de les considérer comme deux propositions
d'une phrase, on
le verra, mais l'important est qu'elles forment le premier
alinéa. On passe
ensuite au second alinéa, qui lui commence ainsi :
« Ils
habitaient un château, sur une montagne boisée,
ensemble dans le
paysage. — enceinte, tours... » (Bonaccorso, 3:
41). On
comprend
qu'après le tiret commence la description du château.
Avant le tiret,
on trouve ce qui dans ce synopsis doit lancer la description.
La suite du travail de rédaction au
brouillon consiste
à développer deux
« alinéas » pour les
fondre en une phrase inaugurale, un premier alinéa, dont la
caractéristique stylistique (style et grammaire) essentielle
est de
n'être pas du Flaubert (phrase simple et complète,
sujet et
déterminatif, verbe et double circonstanciel de lieu, d'une
rare platitude
calculée — concordant avec les incipit de chacun des
Trois contes,
évidemment —, digne de l'incipit de
l'Éducation
sentimentale,
il faut le dire). — Dans l'ensemble, Pierre-Marc de Biasi
observe
que ce travail
tient de la « méthode flaubertienne de la
condensation »
(p. 112) qui consiste à resserrer un brouillon
prolifique. Mais il est
comique de voir calculer l'opération en pourcentage, sur la
base du nombre
de « mots », la condensation dépassant
les 100%, pour
atteindre des... 176 % de « capital
lexical » !
Question de détail, en
brouillonnologie, rien ne permet
de distinguer les diverses « campagnes de
corrections »
qu'improvise Pierre-Marc de Biasi, notamment sur la
« seconde
campagne » du fo 411v, où Flaubert ajouterait
« grands » (bois) après avoir
soustrait
« petit » (Julien), dans la foulée de la
« campagne » antérieure. Même
chose en ce qui
concerne la distinction entre sa rédaction du premier
jet (sic) et
sa correction sur le fo 411v (avant la mise au net au
fo 437v). Cela
sert à merveille l'exposé fabuleux de la
« rédaction », mais ne correspond
nullement à une
description rigoureuse du document pour la brouillonnologie.
Giovanni Bonaccorso
est sur ce point très justement descriptif, de sorte que
rien
n'empêche que « grands » soit d'abord
ajouté, puis
« petit » soustrait, avec tout le premier
alinéa, ce qui
m'amuse beaucoup et ce qui amusera n'importe quel lecteur relisant
la belle
histoire de Pierre-Marc de Biasi qui fait de cette surcharge une
« hésitation ».
À remarquer enfin que Giovanni
Bonaccorso lit au
fo 409v « la pente d'une colline terminant
une large
vallée », tandis que Pierre-Marc de Biasi y lit
« dominant une large vallée »,
sans indiquer s'il
corrige une faute de lecture. En revanche, celui-ci ne tient pas
compte de la
ponctuation du brouillon au fo 411v, qui encadre
« au
milieu » de virgules, en dépit de ses
compléments
déterminatifs (« des [gds] bois »), ce
qui laisse croire
à des additions au fil de la plume, peut-être avant
l'intégration du premier alinéa à cette
phrase.
Bref, on doit recommencer, comme on le voit.
Les
« aventures » de monsieur Gustave Flaubert
rédigeant sa
nouvelle commencent dans sa tête (sic), par une
« phase de
conception mentale du récit » (p. 114), par
de longues
« rêveries dirigées » (p. 38
et 107,
épisode mental fameux du traité) qui vont conduire
l'auteur à
planifier et à rédiger les brouillons de son oeuvre,
jusqu'au
manuscrit final qu'il livrera à l'impression. Cette
histoire est une
gentille et inoffensive affabulation construite sur les
évaluations
et les interprétations de Pierre-Marc de Biasi des
pièces au
dossier. En ce qui concerne l'évaluation, quelques cours
d'études
textuelles seraient à conseiller aux adeptes de la CGMM,
à commencer
par un bon cours de grammaire, avec si possible quelques notions de
grammaire
générative, afin de pouvoir apprécier avec
rigueur les
réécritures de Flaubert. Autrement, la simple
description des
mécanismes de rédaction dans les pièces au
dossier ne sera pas
correcte. En tout cas, l'interprétation de Pierre-Marc de
Biasi
relève des méthodes romantiques des
« lectures
littéraires », avant que le structuralisme ne
vienne apporter la
rigueur scientifique nécessaire aux descriptions des objets
à
l'étude. En effet, en ce qui concerne
l'interprétation,
l'auteur devrait savoir qu'il y a plus de trente ans maintenant
qu'on
n'« interprète » plus les textes comme
il le fait. Sans
compter qu'il se lance dans de véritables narrations qu'on
ne croyait plus
possibles aujourd'hui : « C'est maintenant pour
Flaubert une
affaire essentielle qui engage le sens même de son
récit. Il vient
de le découvrir en faisant évoluer sa description du
château
[qui vient de dégringoler à mi-pente]. [...] On
verra de quelle
façon plus loin... » (p. 113). Il est
pathétique de
lire de telles aventures romantiques destinées à
l'« interprétation » d'un auteur comme
Flaubert sous la
plume d'un « critique » pourtant contemporain,
comme si le
structuralisme n'avait pas frappé d'interdit ces fabulations
tenant lieu de
« critiques littéraires ». Les adeptes
de la CGMM
devraient également prendre quelques cours en histoire
pour comprendre
au moins qu'on ne fait pas d'histoire en racontant des aventures,
comme la belle
« histoire » de la rédaction de
l'incipit par monsieur
Flaubert.
Étudions l'incipit des brouillon
de Flaubert.
Étude stylistique. Le premier incipit
de Flaubert
n'est pas une phrase agrammaticale; et c'est même du
français
très correct qu'il est stupéfiant de voir
qualifié de
« faute de syntaxe » (p. 109, 110, cf.
p. 116),
Pierre-Marc de Biasi analysant la phrase ainsi :
« Jamais il n'y eut
meilleurs parents [...] que le petit Julien » !
(p. 109). En
réalité, on le sait, il s'agit de deux propositions;
mais à
supposer qu'elles soient juxtaposées explicitement (à
l'aide de la
virgule), puisqu'elles se trouvent ainsi disposées dans le
synopsis, cela
donne du pur Flaubert, du point de vue grammatical et
stylistique :
« Jamais il n'y eut meilleurs parents, ni d'enfant mieux
élevé que le petit Julien » est non
seulement une phrase
immédiatement intelligible, mais elle possède des
qualités
d'expression indéniable, où la détermination
sémantique
se fait en trois temps:
parents > enfant > petit Julien
tandis que la phrase se constitue de deux propositions elliptiques
qui se
complètent réciproquement, la première faite
d'une forme de
superlatif absolu (« pas de meilleurs parents »
pour de
« très bons parents », absolument), la
seconde d'un
comparatif relatif (« pas d'enfant mieux
élevé que
Julien »), relation qui rétablit d'elle-même
le superlatif
relatif de la première proposition (« pas de
meilleurs parents que
les parents de Julien »), ce qui fait en retour un
superlatif absolu de
la seconde proposition (« Julien est un enfant
très bien
élevé », « jamais il n'y eut
d'enfant mieux
élevé »).
Étude thématique. L'enfant, le
fils,
l'éducation. C'est surtout l'éducation, d'abord
celle d'un enfant
par ses parents, comme l'annonce l'incipit, ensuite ce sera une
« éducation sentimentale » qui petit
à petit se
retournera contre ces merveilleux parents, des meilleurs,
sacrifiés à
la sainteté de leur fils, le meilleur.
Étude narrative. Tout comme dans la
version
définitive, mais beaucoup plus explicitement (ou
abruptement, comme on
voudra), le narrateur du synopsis anticipe sur l'histoire, de
manière
à créer un raccordement de son récit où
le lecteur
devra lui-même nommer le personnage avant qu'il ne le fasse
ensuite
explicitement (c'est le raccord narratif). La figure narrative est
destinée
à rythmer les parties de la narration. « À
force de prier
Dieu, il lui vint un fils » et ce fils ne sera pas
identifié par
le narrateur avant le très naturel syntagme « le
père de
Julien » (et pourtant, le lecteur était en droit
d'hésiter,
puisqu'il n'est pas dit que Julien sera fils unique ni qu'il soit
l'aîné). La même anticipation sera
réclamée du
narrataire lors de l'arrivée de ses parents au château
de Julien (qui
lui, au contraire, ne saura rien anticiper...), puis devant le
moine en cagoule qui
suit le cortège funèbre (c'est le remarquable
« il » qui ouvre ensuite la troisième
partie du conte,
passant du moine à Julien), et pour finir, bien sûr,
la
métamorphose du lépreux en Notre-Seigneur
Jésus que le lecteur
aura identifié bien avant la dernière phrase du
récit
où le narrateur le nomme enfin, l'avant-dernière,
juste avant la
phrase de fermeture qui reprend le titre dans le cadre de la
situation narrative,
le vitrail d'une église de son pays, déjà en
place depuis le
plan initial.
Étude générique.
D'aucune manière
le « petit Julien » n'évoque le
« Petit
chaperon rouge », même si l'ouverture de
Guigemar de Marie
de France pourrait être une source de l'incipit du brouillon,
si le
rapprochement était confirmé : « On
appelle le jeune
homme Guigemar. Il n'y en avait pas de plus beau dans le royaume.
Sa mère
le chérissait étonnamment et son père l'aimait
beaucoup » (citation de Pierre-Marc de Biasi,
p. 111). Cela dit,
je ne sais pas si la « source » avait
été
signalée avant Pierre-Marc de Biasi, car il se
présente comme
l'auteur de ce rapprochement; je ne sais pas non plus si Flaubert
croit la
dénoter dans son incipit (ce que pourrait nous apprendre sa
correspondance);
mais je sais au moins une chose : je n'aurais pas pu faire ce
rapprochement
sans Pierre-Marc de Biasi. Je soupçonne que des milliers de
narrations
commencent par situer l'enfant dont on fera un héros en
fonction de ses
parents. En revanche, si le rapprochement entre le conte de
Flaubert et le texte
de Marie de France (p. 111) peut un jour être
corroboré, alors
la genèse de l'oeuvre pourra se développer, pas
avant. D'ici
là, rien sur le « genre » du texte de
Flaubert ne peut
en être inféré. Autrement, et c'est la
question qui nous
importe, l'incipit originel, tout comme l'incipit du texte final,
n'implique rien
d'autre que ses deux désignations on ne peut plus
explicites, s'agissant
d'un « conte », d'une
« légende »
dont le sujet est incrusté dans le plomb d'un
« vitrail » désignant le Moyen
Âge.
L'un ou l'autre des
deux incipit présentent la caractéristique
remarquable de ne pas
désigner un « saint », alors que le
titre annonce
l'histoire d'une légende sacrée, celle de la
légende
dorée, inattendue sous la plume de « monsieur
Gustave
Flaubert », l'auteur des romans que l'on connaît.
Alors pas de
surprise, si l'on peut dire ! Le narrateur joue son
rôle de
« romancier réaliste » : voici
trois personnages
(le héros et ses parents) et leur château; suit une
longue
description du château, description qui va passer peu
à peu aux
portraits des personnages. C'est bien l'oeuvre d'un narrateur
réaliste qui
entre en scène (évidemment rationaliste,
anticlérical
certainement et athée probablement). On ne trouve nulle
part dans cette
ouverture la moindre trace du merveilleux des contes de fées
(ni le Petit
Chaperon rouge, p. 108, 111; ni la Belle au bois dormant,
p. 118).
Étude historique. Le Moyen Âge
de
Flaubert est celui
du XIXe siècle et la première de toutes ses
caractéristiques
est « architecturale » : c'est le
château. Une
réplique du château de Concarneau voit naître le
Julien de
Flaubert, tandis que sa source, l'essai d'E.-H. Langlois,
présentait d'un
mot le « manoir » familial.
Étude de genèse ! Comme on le
voit, il n'y a
rien à tirer de la « genèse » de
l'incipit pour
l'analyse du conte de Flaubert et c'est normal, l'étude
génétique d'une oeuvre ne se réalisant pas au
hasard. Ce que
Pierre-Marc de Biasi appelle pompeusement une
« microgénétique »
(l'opposé d'une
« macrogénétique » !,
p. 105-106) est
un simple exercice scolaire. D'ailleurs, on ne propose pas
l'étude de
genèse d'un fragment si l'on ne sait d'avance quelles
importantes
conclusions on pourra en tirer (pour dater la rédaction
d'une oeuvre, pour
caractériser sa composition ou pour évaluer les
intentions de
l'auteur, par exemple). Rien de tel ici, on le voit bien.
Passons outre ? Pas du tout. Venons-en au
contraire aux
prétentions de Pierre-Marc de Biasi et de la CGMM.
S'il n'y a rien à tirer, du point de
vue des
études littéraires de la genèse de l'incipit
du conte de
Flaubert, alors même que Pierre-Marc de Biasi nous propose
les
« aventures » de cette rédaction, c'est
que
l'« objet » de la CGMM n'est pas de cet ordre.
Or, on ne le
trouvera pas ailleurs non plus. Cet objet n'est pas
différent, il n'existe
pas. La CGMM n'a pas d'objet, elle n'étudie rien.
Cela était pourtant prévisible,
s'agissant d'une
pseudo-science. Il est temps d'expliquer pourquoi, en revoyant au
texte le
traité de CGMM point par point à ce sujet. Le
présupposé théorique est fort simple et on ne
le
répétera pas assez tant que les adeptes de la CGMM ne
déclareront pas forfait. Il s'énonce comme
suit : d'aucune
manière un brouillon ne saurait permettre
d'interpréter l'oeuvre
qu'il a servi à produire. En pratique, cela signifie qu'une
oeuvre ne peut
être interprétée à l'aide de ses
brouillons, sauf dans
deux cas très précis, celui assez rare où le
brouillon permet
de rétablir la « lettre » du texte (et
dans ce cas, il
ne s'agit pas d'interprétation, mais d'établissement
du texte), et
le cas encore plus rare où le brouillon est mis en
scène dans
l'oeuvre, c'est-à-dire que le « travail de
rédaction » est textualisé — et dans
ce
cas, nul besoin
d'avoir le brouillon pour mener l'étude de genèse,
puisque la
production figure alors dans le produit. Dans tous les autres cas,
ce qui signifie
toujours en regard de ces deux cas exceptionnels (rétablir
la lettre les
Pensées à partir du brouillon de Pascal ou
mener l'analyse de
Naked Lunch sans l'aide d'aucun brouillon), jamais le
brouillon ne peut
permettre d'interpréter le texte. Aucune ligne d'aucun
brouillon de
Flaubert ne peut permettre d'interpréter Madame
Bovary. C'est
impossible.
Et ce n'est pas un postulat, mais au contraire
un
théorème facile à prouver, avec seulement
quelques
propositions simples : serait-il impossible d'aboutir
à
l'oeuvre Z sans
les brouillons a, b, c... ? Le sens de l'oeuvre Z change-t-il
selon que l'on
possède ses brouillons a, b, c... ? Ce sens
changera-t-il lorsque l'on
découvrira le brouillon d ? Puis encore avec le
brouillon e ? Les mécanismes de rédaction,
on peut le
croire, impliquent ou peuvent impliquer des formes de
création, c'est
possible; selon que j'improvise ou que je planifie, je pourrai
peut-être
aboutir à des formes différentes; mais ces formes
produites n'ont
aucun rapport avec leur production. En termes simples, votre
lettre ou votre roman
peut procéder ou non de cinquante-six brouillons ou
être
improvisé, cela ne peut jamais rien changer du point de vue
du
résultat, ce qui a été produit avec ou sans
brouillon, dans
telles ou telles conditions.
Ce n'est pas l'avis de Pierre-Marc de Biasi et
de la CGMM.
Ils sont très influencés par des romanciers comme
Gugusse, c'est
évident et tout à leur honneur. Comme on a pu le
voir, notre pauvre
champion de la rédaction n'est ni très habile ni
très
intelligent, pas doué du tout, c'est évident, pour la
composition, et
tous nous lui reconnaissons un grand « talent »
pour le
brouillon. Il n'est tout de même pas nécessaire que
je redescende
les caisses de son roman épistolaire du grenier, car
nous sommes tous
émus par son fameux incipit qu'on n'oubliera jamais,
« Trop peu
longtemps je me suis levé tard, épuisé de ces
nuits sans
sommeil consacrées à te rêver, mon
amour ». La
lettre de cet incipit est bien établie et cet incipit
n'implique nullement
sa rédaction, sa source étant explicite. Mais c'est
pourtant des
caisses de brouillons de cet incipit au grenier (il s'agit de
l'« atelier », du
« laboratoire » et des
« coulisses » dans l'imaginaire de la CGMM)
qu'est sortie la
pensée des adeptes de la secte de l'école. On la
trouve toute crue
dans le petit traité de Pierre-Marc de Biasi.
C'est la « pensée »
de la CGMM, qui
voit dans le dossier de genèse un
« objet ». On sait
maintenant que c'est une vue de l'esprit. Dossier de presse,
dossier de
réception critique ou dossier de genèse
désignent simplement
les corpus des pièces à l'étude, rien de plus.
Par ailleurs,
le mot désigne des « individus », chaque
corpus
étant par définition individuel et chacun doit
être
décrit en fonction des deux concepts complémentaires
d'échantillon et de population; dans le cas du dossier de
genèse,
il faut encore le décrire en fonction de la production et de
la conservation
des avant-textes, avec les raisons qui ont motivé et la
production et la
conservation des pièces. Mais ce corpus ainsi
constitué,
décrit et justifié, la CGMM ne l'interroge
jamais : comment,
pourquoi et par qui ces pièces ont-elles été
conservées, recueillies, collectionnées,
achetées, etc. ?
Au contraire, il est présupposé de facto signifiant,
significatif et
même nécessaire à l'interprétation de
l'oeuvre dont il
est censé représenter la conception, la
rédaction,
l'écriture et la mise au point en acte, puis la mise
au net, la
correction et l'établissement du texte de l'oeuvre. Car la
CGMM ne
lésine pas : le brouillon représente la
conception de l'oeuvre
d'un côté et permet de l'interpréter de
l'autre. C'est pour
commencer « la beauté à l'état
naissant »
(p. 124); et, pour finir, ce « dossier de
genèse »
est réputé nécessaire à
l'interprétation de
l'oeuvre. C'est beaucoup, c'est trop et c'est faux.
C'est faux parce que jamais d'aucune
manière un
brouillon n'a permis d'interpréter une oeuvre, tandis
qu'aucune oeuvre ne
souffre d'interprétation correcte faute de brouillon.
Affirmer le contraire
n'est pas ridicule, c'est risible. C'est l'humour blanc de la CGMM
de
l'école de l'ITEM du CNRS de la République
française. Il me
semble qu'il faudrait que cela cesse.
Les oeuvres littéraires n'ont pas de
secrets et la
fonction des études littéraires n'est pas de les
interpréter,
mais de les décrire. De la même manière, les
études
textuelles au service de la brouillonnologie n'ont pas d'autre
fonction que de
décrire et d'éditer les avant-textes.
Alors ce ne sera pas mauvais de reprendre mot
à mot les
affirmations de Pierre-Marc de Biasi, question
« herméneutique ». Son traité
s'ouvre par cet
exposé « théorique » qu'on vient
de
qualifier : « L'interprétation de l'oeuvre
à la
lumière de ses brouillons ou de ses documents
préparatoires » (p. 6), voilà ce qui
définit
la CGMM depuis une trentaine d'années. D'où il suit
que nous avons
un gros et très suant travail de
réinterprétation à
faire, afin de « redécouvrir le texte de l'oeuvre
à travers
la succession des esquisses et des rédactions qui lui ont
donné
naissance et qui l'ont conduit à sa forme
définitive »
(p. 7); voilà un « nouveau point de vue
critique sur
l'oeuvre » (p. 124), de sorte que les oeuvres
littéraires,
comme l'incipit du conte de Flaubert, auront
« gagné un peu en
intelligibilité », afin de « renouveler
notre lecture
des textes » (p. 122). Pierre-Marc de Biasi
l'affirme avec la plus
radicale netteté, page après page :
« la
génétique des textes propose de relire les oeuvres
à la
lumière de leurs manuscrits de travail »
(p. 104). Tout cela
est faux, impossible et absurde. D'ailleurs, on est
brouillonnologue ou on ne
l'est pas. Pierre-Marc de Biasi ne l'est pas.
C'est toute la thématique
pseudo-scientifique de la
CGMM présentée le plus sérieusement du monde
par Pierre-Marc
de Biasi. Il est établi, on l'admettra maintenant, qu'une
oeuvre ne peut
s'interpréter à la lumière de ses
brouillons ? Pour
Pierre-Marc de Biasi, là se trouve les
« secrets » de
l'oeuvre. Quels secrets ? Lorsqu'il ne s'agit pas de
considérations
idéalistes impliquant de nouvelles interprétations
littéraires
(p. 85-86 et 104-105), il s'agit tout bonnement des
« secrets » de la
« fabrication » de
l'oeuvre, ce qui paraît être un secret bien
gardé avant
l'arrivée des Sherlock Holmes de la CGMM :
« Pour mieux
comprendre l'oeuvre [sic] : connaître de
l'intérieur sa
composition, les intentions cachées [sic] de
l'écrivain, ses
procédés [!], etc. » (p. 7);
« Ces
manuscrits n'attendent, pour livrer leurs secrets, que le
talent et la
curiosité d'une nouvelle génération de
chercheurs »
(p. 8), soit la CGMM... C'est le travail de la lecture
(sic) :
« c'est là que l'approche génétique
du texte peut
devenir, pour l'élucidation profonde de l'oeuvre, une
ressource
essentielle : en donnant à voir le tissu du texte en
train de se
former, l'avant-texte permet au critique de découvrir des
stratégies,
etc. » (p. 105). Ce mythe des
« secrets » de
la composition (p. 77), allègrement confondus avec les
« secrets » de l'oeuvre
(« intelligibilité »,
« renouveler notre
lecture », p. 122, grâce même aux effets
du formidable
« traitement optique-numérique venus enrichir,
quelquefois en les
modifiant, la compréhension que la critique
littéraire avait de leur
oeuvre », p. 68), est un des grands thèmes
(p. 123), des
plus poétiques, de Pierre-Marc de Biasi. Avec son
étude fabuleuse
de la « genèse » de l'incipit de
Saint Julien,
il nous proposerait, « histoire d'en finir avec la
fiction de "la
clôture du texte", un exemple, clair espère-t-il, des
profits que l'on
peut attendre de l'analyse génétique pour la
lecture et
l'étude littéraire[s] du texte
imprimé »
(p. 107). — On l'a montré : ce sera rien du
tout. Je mets la
correction entre crochets, car peut-être Pierre-Marc de Biasi
oppose-t-il la
lecture et l'étude littéraire ou encore, ce qui est
le plus probable,
la « lecture » et
l'« étude » sont-elles
pour lui synonymes, comme c'était le cas pour les
« critiques littéraires » avant
l'avènement du
structuralisme.
D'ailleurs, depuis trente ans maintenant, il
n'y a plus de
« critiques littéraires » ailleurs que
dans les journaux
— et, comme on le voit, à l'Institut.
Cela dit, Pierre-Marc de Biasi présente
aussi le
phénomène à l'envers : il s'agit des cas
(« qui ne sont pas si rares ») où
« les
interprétations littéraires qui, à l'abri de
cette fameuse
"clôture du texte", se trouvent en contradiction flagrante
avec ce que nous
disent les brouillons de l'oeuvre » (p. 83). On
n'en trouvera aucun
exemple dans ce traité de CGMM, puisque c'est impossible.
Pierre-Marc de
Biasi en invente pourtant un. Il s'agirait de la publication du
manuscrit (du
manuscrit moderne !) des Champs magnétiques en
1988 qui aurait
fait enfin la preuve, avec ses ratures, corrections et repentirs,
que
l'« écriture automatique » du texte par
Breton et
Soupault n'était qu'un des « grands mythes de la
littérature moderne » (p. 74). Voyons
donc ! D'abord
la note de Breton dans l'exposé du Premier Manifeste du
surréalisme, en 1924 sur l'oeuvre de 1919, est fort
claire à ce
propos; ensuite, jamais le manuscrit (car il ne s'agit pas
d'un
« brouillon ») des Champs
magnétiques n'a
été l'objet d'aucun ostracisme; enfin, jamais non
plus les variantes
et leçons de ce manuscrit, connues depuis toujours, n'ont
été
« révélées » par une
édition des
adeptes de la CGMM. Il suit que jamais l'étude de cette
oeuvre, proche du
manuscrit, n'a été en
« contradiction » avec
l'étude de ses « brouillons ». Or, il
s'agit d'un
exemple, du seul exemple de ce dont « les exemples ne
sont pas si
rares ». Cet exemple est un non-lieu. On attend un
ou deux de ces
« exemples qui ne sont pas si rares » où
une oeuvre a
été réinterprétée à la
lumière de
ses brouillons. D'ici là, on tiendra la chose pour
impossible et
l'affirmation pour une imposture.
Vient ensuite, le mythe du brouillon, celui de
la CGMM. C'est
la révélation de la « réalité
sauvage » de la vie même de Stendhal que cachait le
« pseudo-texte, policé et travesti » par
la
« tradition éditoriale » !
(p. 74). Pour
laisser à la postérité l'idée d'une vie
rangée,
mieux vaudrait brûler ses brouillons... « C'est
cet ensemble
touffu, imprévisible, hétérogène,
énigmatique,
surprenant et souvent bien difficile à déchiffrer,
qui constitue le
véritable objet de la » CGMM (p. 16).
« Les
manuscrits couverts de ratures et d'ajouts interlinéaires
deviennent de plus
en plus opaques. C'est dans ces brouillons que commence
à se
fabriquer le style proprement dit et que se crée le milieu
textualisant dans
lequel les notes documentaires viennent s'intégrer et abolir
leur
extériorité » (p. 42-43) : nous
sommes ici dans
la descriptions des ébauches et des brouillons, lorsque
apparaissent
« de véritables phrases qui se forment un peu
partout sur la page,
entre les lignes, et dans les marges avec divers systèmes de
renvois
mutuels » (p. 42). Ce sera pour finir la
« jungle
apparemment aberrante des brouillons » (p. 63), la
« réalité des conflits, des désirs,
des
hésitations, des circonstances fortuites, de tous ces
"possibles", souvent
fort éloignés du texte, qui caractérisent la
genèse » (p. 87), comme le montrent les
brouillons.
D'où, bien entendu, « l'épaisseur graphique
et dynamique
de la genèse » (p. 100). Toute la CGMM est
là. Comme
la matière ne manque pas, on peut donner à n'importe
quel
collégien ou lycéen le petit devoir de
présenter la conception
que se fait du brouillon Pierre-Marc de Biasi. Le bon
étudiant trouvera
vite le sommet de ce délire, conjuguant au brouillon les
« aventures » de la genèse :
« l'histoire réelle de la genèse,
c'est-à-dire une
aventure largement désorientée, une série
ininterrompue
d'aléas et d'incompatibilités, un parti pris de
feinte et de mensonge
(le « mentir vrai »), une
délibération entre
différents mondes possibles, etc. » (p. 88,
l'« etc. » est de Pierre-Marc de Biasi). C'est
la
« plongée dans le passé du
texte » !
(p. 88). Il faut dire que ce moment fort consiste à
opposer le texte
définitif à l'univers mobile du brouillon
(« où rien
n'est jamais définitif », sic), pour expliquer la
question et les
dangers de la fameuse téléologie. La pensée
de la CGMM
présuppose, au contraire, que l'auteur nageait en rond dans
le passé
du texte jusqu'à ce qu'il atteigne, épuisé, la
rive de
l'oeuvre à venir. C'est la tempête de l'inspiration,
le naufrage de
l'écrivain et l'épave d'une rature, de belles
aventures
génétiques...
Devoir de composition : imaginer les
aventures de
Gugusse plongé dans le passé de son incipit
fameux.
Si le brouillon est pour la CGMM l'oeuvre
(c'est le cas de le
dire !) des épileptiques romantiques, elle n'en a pas
conscience et ne
l'étudie pas comme tel, au contraire. Une
présentation de la
CGMM implique une histoire critique des archives d'écrivains
et des
collectionneurs, comme de leur commerce (voyez la petite notule de
la p. 13);
une étude des achats par les bibliothèques
d'État et plus
récemment par les universités de ces fonds
d'archives; et pour finir
une histoire critique de l'ITEM du CNRS (voyez encore la petite
notule de la
p. 27-28). Au lieu de tout cela, qui devrait être
l'objet principal
d'un traité de CGMM, nous avons droit à un autre
mythe.
C'est la naissance fabuleuse de la
« nouvelle
génétique », qui apparaît par magie
avec deux aspects
complémentaires : la négation active des acquis
du
structuralisme d'une part et l'ignorance méprisante des
études de
genèse qui se sont développées depuis plus
d'un siècle
de l'autre. Mais le plus extraordinaire est la manière avec
laquelle notre
auteur, avec l'art de n'y pas toucher, présente la CGMM
comme le
« prolongement » des études structurales
dans le domaine
littéraire, un « renouvellement du
structuralisme » considéré comme une
forme d'analyse
littéraire parmi d'autres, comme à la belle
époque. Contre
le Texte des structuralistes (p. 26, 29), la CGMM a enfin
réagi et
s'est mise à l'étude des Processus (p. 27), afin
d'enrichir
(sic) « le texte d'une dimension qui lui faisait
cruellement
défaut : la quatrième dimension, celle du temps
humain,
où le sens reprend possession de sa propre
histoire »
(p. 87)... Voici ce que réplique la
brouillonnologie : il ne
fait pas de doute que les études littéraires qui se
sont
renouvelées et développées rigoureusement avec
le
structuralisme peuvent décrire et éditer aujourd'hui
de
manière scientifique les brouillons et avant-textes de
n'importe quelle
oeuvre, qu'elle soit littéraire ou non; il ne fait pas de
doute non plus
qu'on puisse soumettre ces rédactions à
l'étude scientifique
de la psychologie cognitive, propre à étudier la
rédaction,
la composition et la création, dont profitera l'étude
historique de
la littérature, l'étude biographique des
créateurs et
l'évaluation de leurs intentions, c'est-à-dire de
leurs
esthétiques. En revanche, jamais, absolument jamais cela ne
produira
l'étude d'aucune oeuvre littéraire. Jamais. C'est
clair ? On
comprend toutefois que les études de genèse ont
profité de la
rigueur du structuralisme, genèse nécessaire à
l'établissement des textes, mais préalables aux
études
littéraires (participant aux études historiques et
biographiques).
La CGMM tourne le dos aussi bien aux études de genèse
qu'aux
développements des études littéraires sous
l'impact du
structuralisme. De ce point de vue, Pierre-Marc de Biasi ne
réussit pas
à noyer le poisson.
Bien au contraire : le poisson saute du
bocal de son
traité avec la rencontre d'un prétendu objet
scientifique et de la
brouillonnologie sur la table à dissection. Le
traité ne saisit pas
le bout de la queue d'une démarche simplement
raisonnée.
Voilà, nous dit-on, un champ de recherche immense
(p. 58 et
passim) appelant un travail immense (p. 69).
C'est bien
possible, mais ce travail se fait en pure perte puisqu'il ne s'agit
pas d'un projet
scientifique — ni d'une science, ni d'une théorie, ni
même d'une
simple méthode. Présenter la mise en ordre d'un
dossier de
génétique (p. 30-31) comme un travail
scientifique, par exemple,
c'est ridicule; affirmer que la CGMM correspond à une
« méthode » (p. 25, 123) ou
à une
« théorie » (p. 18), voire à
une
« science », c'est risible. Ce serait une
« philosophie » (p. 85-86), mais il
faudrait pour cela que
Pierre-Marc de Biasi l'assume sienne comme telle. D'ici là,
le mieux est
de la considérer pour ce qu'elle est, une idéologie,
une
théologie, la religion d'une petite secte de fumistes.
L'écrit à l'état naissant
(p. 16),
les images mentales de l'auteur (p. 42), voilà bien la
rédaction
inspirée d'un rédacteur sacré. La CGMM est un
retour aux
études de « l'homme et l'oeuvre », sous
la forme d'une
régression infantilante, « l'homme et l'oeuvre
—
et leurs
brouillons », rien de plus, sous prétexte
d'études
littéraires, triste logique de plastique. Qu'y a-t-il de
plus
désolant que la phrase qui termine le traité de
Pierre-Marc de
Biasi ? « À l'horizon de ces investigations,
on voit se
profiler une convergence théorique qui pourrait bien
constituer un enjeu
scientifique majeur pour notre siècle »
(p. 124).
Il n'y a rien là pourtant qu'une
pseudo-science.
Anthologie, pièce de
« Génétique et
critique
textuelle : décalage, conflits,
complémentarités » (p. 85-87). Ces
deux pages
constituent une pièce d'anthologie de la CGMM. C'est
là qu'on trouve
l'origine du petit torchon que Pierre-Marc de Biasi avait servi aux
lecteurs du
Monde en « réponse » à la
critique de
Laurent Jenny dans le même journal (10 décembre 1996)
— il est
possible que ces pages aient une origine antérieure dans son
oeuvre
critique, peut-être son texte à Universalis (1985) que
je ne connais
pas encore. Quoi qu'il en soit, ces deux pages, telles quelles,
sont un
condensé des sottises de la CGMM, doublé d'une
virulente et explicite
attaque du structuralisme présenté comme
l'« interprétation » ou
l'« herméneutique » du Texte,
« l'ordre
limpide d'un objet unique et délimité ».
Emporté par son enthousiasme, comme
c'était
déjà le cas dans le Monde, Pierre-Marc de
Biasi finit par
désigner ce Texte comme le Livre divin, agenouillant devant
lui tous ceux
qui ne sont pas de la CGMM. C'est le « texte
révélé » des structuralistes, tandis
que la CGMM est
« résolument laïque », comme la
« médiologie » (sic !).
« Les manuscrits
enseignent que le texte ne vit que par la mémoire vive de sa
propre
écriture, que le sens est instable et la
vérité
problématique » (p. 86). Or, ce n'est pas
vrai.
Les bonnes intentions, pourtant, ne manquent
pas. Pierre-Marc
de Biasi pense construire une
« épistémologie historique
et peut-être matérialiste de l'écriture
littéraire » (p. 86-87). Or, tel ne peut
être le cas
de la CGMM, mais celui seulement de la brouillonnologie,
l'étude
scientifique des brouillons.
Bonnet, Henri, et Bernard Brun
« On doit à B. Brun de
très nombreuses
contributions à la recherche en génétique
proustienne » (bibliographie, p. 126).
Brun, Bernard
Voir Bonnet, Henri.
Bustarret, Claire
« On doit à cet auteur de
très
nombreuses contributions à tous les aspects codicologiques
de la recherche
en génétique textuelle » (bibliographie,
p. 126).
Dossier de genèse
« L'écrivain n'a jamais
travaillé avec
un dossier de genèse aussi bien rangé que celui qui
sort des
mains » des adeptes de la CGMM (p. 87).
Ferrer, Daniel
« On doit à cet auteur de
très
nombreuses contributions à la théorie (notamment
psychanalytique) de
génétique textuelle et au corpus Joyce »
(bibliographie,
p. 127).
Figurabilité
Mot inventé pour expliquer ce qui se
passe dans la
tête de Flaubert aux fulgurants moments de la naissance de
son oeuvre, ses
Trois contes, sa Légende de saint Julien
l'Hospitalier en tout
cas, ce qui explique la « stupéfiante
densité visuelle de
ses évocations » : « si ses
phrases
libèrent de tels flux d'images, c'est qu'elles n'ont,
originairement, pas
d'autre source que la figurabilité du songe, cette
faculté
d'évocation visuelle interne que l'on pourrait appeler chez
Flaubert
l'unité spontanément figurale du processus de
conception
narrative » (p. 108). Il n'y a que la CGMM pour
découvrir
comment Flaubert a pu « visionner » ses oeuvres
avant
même de prendre la plume.
Comment ? Le secret n'a pas été
bien
gardé. En effet, j'ai pu savoir que l'ITEM a fait
procéder, à
l'aide d'un puissant scanner au laser, au décalque de la
figurabilité
du fond de tain des miroirs de l'hôtel de Concarneau à
la date du 24
septembre 1875. C'est là qu'on a bien vu la
stupéfiante
densité visuelle de ses évocation mentales. On
y voyait,
paraît-il, en filigrane, le fameux vitrail de la
cathédrale de Rouen
sur la légende de saint Julien.
Grésillon, Almuth
« On doit à cet auteur de
très
nombreuses contributions à tous les aspect de la recherche
en
génétique textuelle » (bibliographie,
p. 127).
Hay, Louis
« On doit à cet auteur,
fondateur de la
génétique des textes en France, de très
nombreuses
contributions à tous les aspects de la recherche »
(bibliographie,
p. 127).
Herschberg, Pierrot Anne
« On doit à cet auteur de
très
précieuses contributions sur les aspects stylistiques de la
recherche en
génétique textuelle » (bibliographie,
p. 127).
Interprétation
Depuis trente ans, on ne trouve plus de
« critiques
littéraires » ailleurs que dans la presse,
évidemment. On
en trouve toutefois encore à l'ITEM du CNRS de la
République
française. En tout cas, Pierre-Marc de Biasi en est un fier
dinosaure,
toujours vivant et actif, qui a pour but
d'« interpréter » les oeuvres
littéraires et,
remarquable Sherlock Holmes, de nous en révéler les
secrets.
Il s'agit, bien sûr, de secrets connus
de tous qui
seront révélés lundi passé.
Lebrave, Jean-Louis
« On doit à cet auteur de
très
nombreuses contributions sur tous les aspects de la recherche en
génétique textuelle, et notamment sur la question des
éditions
électroniques et hypertextuelles » (bibliographie,
p. 127).
Le Calvez, Éric
« Excellent auteur
spécialiste de la
poétique génétique »
(bibliographie,
p. 127).
Lejeune, Philippe
« Philippe Lejeune,
spécialiste
incontesté de l'autobiographie » (p. 93).
« On
doit à cet auteur de très nombreuses contributions
à tous les
aspects autobiographiques de la recherche en
génétique
textuelle » (bibliographie, p. 128).
Logique de plastique
Forme particulière d'humour blanc et
trait
caractéristique de la pensée de Pierre-Marc de Biasi.
Elle est
caractérisée par la surenchère de la
« logique » comme on la trouve chez les enfants
de quatre ans,
ultra-conservateurs et ultra-rationalistes. Dans le traité
de CGMM, la
logique de plastique est illustrée de manière
remarquable avec
l'exposé sur la rature. Mais les tableaux des phases de
pré-rédaction,
rédaction et post-rédaction sont également
patents à cet égard.
Cela dit, s'il fallait un
« traité » de CGMM, il lui fallait sa
logique propre,
d'un comique irrésistible et bel exemple d'humour blanc.
Répétons-le : « À l'horizon de
ces
investigations, on voit se profiler une convergence
théorique qui pourrait
bien constituer un enjeu scientifique majeur pour notre
siècle »
(p. 124).
Manuscrit définitif (prix du)
Avant l'invention de la machine à
écrire, les
écrivains avaient un gros problème sur les bras. Ils
n'arrivaient
pas à trouver avant leur mort des copistes capables de
mettre au point le
« manuscrit du copiste » à partir de
leurs brouillons
informes et devaient produire eux-mêmes le
« manuscrit
définitif » qui doit être défini
comme « le
dernier état autographe de l'avant-texte : le
Manuscrit (avec un M
majuscule) doté d'une valeur symbolique
particulière... »
(p. 45).
Or, la valeur a son prix, si je puis
dire ! et la valeur
ne reste pas longtemps symbolique. Aussi Pierre-Marc de Biasi nous
raconte-t-il
une autre histoire (que celle que je viens de proposer), le plus
sérieusement du monde : « À partir du
premier tiers
du XIXe siècle, les écrivains prennent l'habitude de
protéger
ce document et, au lieu de le donner à l'imprimeur [sic], le
font copier par
un professionnel qui en fournit une version calligraphiée
[sic] »
(p. 45). On n'est jamais trop prudent avec les
éditeurs.
Marty, Éric
« On doit à cet auteur de
très
précieuses contributions à tous les aspects
phénoménologiques de la recherche en
génétique
textuelle » (bibliographie, p. 128).
Neefs, Jacques
« On doit à cet auteur de
très
nombreuses analyses de corpus (XIXe et XXe siècles) et de
précieuses
contributions théoriques, notamment dans le domaine de
l'esthétique
génétique » (bibliographie,
p. 128).
Publication (perspectives de)
« Il est clair, d'ailleurs, qu'un
auteur qui entend
publier son texte prend très au sérieux, au moins
vers la fin de son
travail, la perspective de l'édition »
(p. 44).
« Processus indiscutablement finissant »
(p. 44) de la
phrase post-rédactionnelle qui n'est pas dite pour rien
« pré-éditoriale » (sic).
Rature
De tout le petit traité de Pierre-Marc
de Biasi, la
longue section sur la « rature » est la plus
significative.
Cet exposé marque toute la différence entre la CGMM
et la
brouillonnologie, entre la rêverie et la rigueur, entre le
mythe et la
science. D'ailleurs, pour l'auteur, la rature est un thème
de la CGMM et
son exposé, une poétique.
« La rature est une composante
très complexe
de l'écriture » (p. 53). La première
surprise, c'est
un choc !, est d'apprendre qu'il existe des « rature
de
suppression » et que ce n'est pas là sa forme
fondamentale,
s'agissant en fait d'une « rature de
substitution » dans
laquelle le « segment substitué » est
nul ou vide. Il
faut savoir qu'« en terme de structure fonctionnelle, la
substitution
constitue le modèle primaire de toute rature »
(p. 57) et que
les ratures ont cinq fonctions, dont la plus
élémentaire est la
« substitution par rien » ou « par le
vide » (p. 57). Bref, contrairement aux vues
embrouillées
du sens commun, la rature est assez rarement une soustraction et
presque toujours
une addition, une substitution ou un déplacement, qui, dans
certains cas,
cinquième fonction, sera une inversion, qui consiste
à raturer ici
pour ajouter ailleurs. Bref, « la rature est un
phénomène
spécifiquement génétique, sensible à un
environnement
soumis à d'incessantes et multiples
métamorphoses »
(p. 57). Bel exemple d'humour blanc.
Je vous explique maintenant comment cela
fonctionne en
brouillonnologie, où la rature est considérée
comme un
phénomène très simple constitué d'un
tout bête
trait de plume sur un mot, un groupe de mots, un syntagme, une
ligne, une phrase,
un fragment ou un groupe de fragments, ou encore une page ou une
suite de pages.
Il existe deux sortes de ratures, la biffure et la rayure, qui
correspondent
respectivement aux traits horizontaux où les
éléments sont
« physiquement » biffés et aux
traits diagonaux
où les éléments sont
« symboliquement »
rayés. Il suit qu'on biffe
généralement un mot, tandis
qu'on raye une page.
Vient ensuite l'analyse de la substitution
d'un
élément ou d'un fragment biffé en cours
d'écriture,
puis l'étude de la surcharge au-dessus d'un
élément
biffé après coup. Vous voulez une analyse claire de
la rature, de
l'addition, de la surcharge (substitution) et du déplacement
dans le
contexte d'une rédaction et d'une révision
linéaire ?
La brouillonnologie peut vous proposer cela. La CGMM vous en fait,
elle, un beau
mais inutile poème.
Texte
« Le texte, lorsqu'il existe, est
évidemment
l'objet littéraire par excellence »
(p. 104).
Lorsqu'il s'agit
d'« interpréter »
les oeuvres, notre Sherlock Holmes des études
littéraires est tout
ce qu'il y a de plus téléologique. Tout converge
vers le texte dont
la CGMM permet de découvrir les secrets. Car il s'agit de
« mieux
lire les oeuvres », d'« enrichir leur
interprétation », de « mieux
lire »; sans
compter que les « manuscrits de l'oeuvre contiennent
toujours plus que
la méthode d'interprétation la plus
sophistiquée et, du point
de vue de l'intelligibilité, paradoxalement toujours plus
aussi que le texte
achevé lui-même ». Tout cela p. 104.
Intitulons cela
« Plaidoyer pour l'Interprétation ou
L'Herméneutique ». Comme on le voit, la
CGMM n'a rien
à son épreuve : sans compter que grâce
à elle, le
texte de l'oeuvre achevé le plus simple (« objet
autosuffisant ») devient « infiniment
complexe »
(p. 105).
Vachon, Stéphane
« On doit à cet auteur de
très
importantes contributions à la recherche en
génétique
balzacienne » (bibliographie, p. 128).
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