Avant d'entreprendre nos travaux de
brouillonnologie, sachons qu'on ne peut compter sur la
CGMM pour nous guider.
À en juger du moins par le manuel des prétendus
« généticiens » où la
sottise
surpasse les fautes d'analyse et même les ignorances dont
personne bien entendu n'est à l'abri. En revanche, les
fautes de logique, surtout lorsqu'elles sont importantes et
nombreuses, voire systématiques, sont impardonnables.
Avec ces « savants »
théoriciens
faisant carrière universitaire en
« génétique
littéraire » on se croirait revenu à la
belle
époque de la « sémiotique
greimassienne ».
On
peut bien se permettre cette généralisation par
hypothèse, puisque aucun généticien n'a encore
dénoncé les idées de la secte publiées
en leur nom
dans
ce manuel de la CGMM.
Voilà donc ces
Éléments de critique génétique
[pour] lire les manuscrits modernes d'Almuth
Grésillon. Cet ouvrage vient en effet après plus
de vingt-cinq ans de désolation
générée par l' « Institut des
textes et manuscrits modernes » (ITEM), les
fonctionnaires
universitaires qui ont géré sous ce nom les
brouillons des écrivains français modernes,
d'Aragon à Zola, de A à Z. Il s'agit, il devrait
s'agir d'un exposé théorique prenant appui sur
l'histoire de deux décennies de travaux pratiques et de
réflexion en ce domaine. Aussi, le plus inattendu est-il
d'y lire, de page en page, des incongruités, niaiseries
et platitudes vraiment surprenantes dans un ouvrage savant. Un
ouvrage savant ? Un exposé de femmes savantes et
bourgeois gentilshommes, plutôt. Bref, on trouve dans ce
livre des sottises qu'il importe d'illustrer pour faire
comprendre à quel niveau se situe la « critique
génétique » des « manuscrits
modernes », la CGMM de l'ITEM.
Alors ? Alors il faudrait que cela cesse,
tout
simplement. Il est donc grand temps de mettre en ordre,
alphabétique, la défense et illustration des
études
de genèse, de sources et d'influences, sciences
littéraires séculaires, que les
spécialistes des études littéraires que sont
les généticiens,
trop pressés de faire carrière probablement, ont
failli
à développer depuis plus de deux décennies
(lorsque
ce ne sont pas de jeunes chercheurs qui se sont mis de la partie).
Et
ce sont eux qui, après avoir mis la « critique
traditionnelle » sous le boisseau, ont donné dans
l'avant-garde de la CGMM,
en
ignorant très activement l'apport du structuralisme.
Il faut donc que l'on sache que la
CGMM n'a rien, absolument rien de progressiste.
Une farce ? Oui. En tout cas, tant qu'on
n'opposera pas au sottisier qui suit un glossaire rigoureux des
idées et concepts viables de l'école, je pense qu'on
devra
s'en tenir à cette conclusion.
Apologétique.
Apparition.
Avant-texte.
Baveux.
Bégaiement.
Bellamin-Noël.
Bibliographie, étude
bibliographique.
Brouillon.
Brûler.
Carnet.
Certitude.
Chef-d'oeuvre.
Cheminement.
Chiant.
Codé.
Complexe.
Correction.
Création.
Dieu.
Écrit.
Écriture.
Édition.
Émerveillement.
Énonciation.
Faits.
Flaubert.
French Studies.
Genèse.
Génétique.
Goldin.
Humour.
Imprimé.
Macintosh.
Manuscrit.
Manuscrit ancien.
Manuscrit de travail.
Manuscrit moderne.
Mitterand.
Passion.
Plan.
Prudence.
Rapport.
Respect.
Revue de littérature
comparée.
Science des manuscrits modernes.
Sciences exactes.
Subversif.
Téléologie.
Téléologique.
Tentation.
Texte.
Thématique.
Transition.
Travail.
Vieux.
J'ai des dizaines d'amis parmi des centaines
d'auteurs que
j'adore, que j'adule. Il ne me viendrait toutefois jamais
à l'esprit de rédiger l'apologie d'aucun de leur
livre pour la livrer à la section « compte
rendu » d'une revue sérieuse. Dans le cas
d'ouvrages universitaires, on ne saurait même plus parler
d'amitié... Pourrait-on confondre la publicité et
le compte rendu ? L'apologie, le résumé et
le compte rendu critique ? Non ? Alors, honte
à French Studies et à la Revue de
littérature comparée. Raymonde Debray
Genette a publié une courte apologie de ces
Éléments dans French Studies.
Je résume, en vous recopiant le début et la fin:
« Voici le premier livre qui présente un
état
complet à ce jour, pratique et théorique, de la
critique génétique. [...] De tous ces points de
vue, ce livre si riche est fondamental » (FS, no 49,
1995,
p. 368-369). De son côté, Colette Becker a
signé un résumé du livre dans la Revue
de littérature comparée, un
résumé un peu trop long pour figurer en
quatrième de couverture, mais qui pourrait tout aussi
bien être de l'éditeur et, on en jurerait, avoir
été rédigé par Almuth
Grésillon. On appelle cela un résumé
conforme, j'imagine. Pas la moindre petite réserve. Et
le plus extraordinaire est que ni French Studies, ni
la Revue de littérature comparée, j'en
suis absolument sûr, ne se sont fait payer pour faire
paraître ces textes publicitaires.
Stupéfiante génération
spontanée
d'oeuvres sans brouillon: « Or, pour des raisons
multiples, nous l'avons dit, certaines oeuvres existent bel et
bien sans qu'il y en ait jamais eu d'avant-texte visible et
lisible » (p. 29). Cela dit, l'institution
littéraire devrait sévir contre de tels abus
« (pour la France, c'est grosso modo le cas pour
le XVIe, le XVIIe et la première moitié du XVIIIe
siècle) » (p. 29). Les éditeurs, les
imprimeurs, voire les critiques et surtout les jurys des prix
littéraires devraient dorénavant exiger qu'une
copie conforme des avant-textes soit déposée en
même temps que le manuscrit, et si
possible une collection de manuscrits, comme cela se faisait
couramment au Moyen Âge. Les auteurs sont priés de
joindre le stemma de leurs manuscrits.
L'objet d'un « scrupule
terminologique »
(p. 109). En
effet, le moins que l'on puisse dire est que la notion
d'avant-texte
implique celle de texte, ce qui est bien fâcheux
(cf. téléologie). La solution dès lors est
simple et rien moins que radicale en ce qui concerne
l'utilisation de ce mot composé : « Mieux
vaudrait alors peut-être, sinon y renoncer, du moins en
faire un usage modéré, et en connaissance de
cause. Il est des notions qui sont entrées dans l'usage,
et même si elles véhiculent une connotation
douteuse, on aurait tort de les supprimer
complètement » (p. 109).
Ignorants mais surtout baveux. En effet, il
y a toutes sortes
de raisons de s'intéresser à la
genèse des oeuvres littéraires. « Bref, le
déclic peut venir aussi bien du texte
imprimé que de la genèse elle-même, et ce
constat a son importance. Il est en effet faux de croire —
et
de faire croire — que la recherche génétique
est
conditionnée par l'existence du texte imprimé et
orientée vers la défense et illustration de
celui-ci » (p. 108).
Bégaiement de la main, l'une des
maladies du brouillon.
Pour Almuth Grésillon, il s'agit, en termes bibliques, de
rien de moins que la terre promise, son « manuscrit
»
imaginaire. « Tout manuscrit est une terre
d'élection pour les amoureux de la langue en acte.
Non celle des systèmes et langages formels, mais
celle qui vit, se construit, se trompe, se
réajuste » (p. 147). Correspond à
« cet
objet en perpétuel devenir qu'est le manuscrit »
(p.
147). « Et ce regard-là découvrira que
l'écriture, loin de suivre régulièrement
une progression linéaire, est tout autant
traversée de tensions et de contradictions, de retours et
de détours, d'impasses, de fourvoiements, turbulences,
faux départs et tarissements, en sorte qu'à la
place d'un modèle linéaire on songe davantage
à la théorie des catastrophes »
(p. 140). La
théorie des catastrophes, vraiment ?
Jean Bellamin-Noël, « l'auteur
du premier et
principal
ouvrage de référence en critique
génétique (le Texte et l'avant-texte,
1972) » (p. 169).
« Nous soulignons en effet que la
"science des
manuscrits modernes" inclut dans son champ
d'étude
le sort éditorial d'un texte, en tout cas les
éditions revues et corrigées par l'auteur »
(p. 97, n. 1). La « science des manuscrits
modernes »
n'a vraiment rien à son épreuve. L'étude
bibliographique, que les Français appellent la
« bibliographie matérielle », n'a
qu'à
bien se tenir. Mais alors ? Comment se fait-il donc que
le manuel en ignore tout ? Pas une seule question
d'étude bibliographique n'y est jamais abordée,
aucun de leur nombreux théoriciens n'y est même
nommé.
Le chaînon manquant de la CGMM. Objet
de la brouillonnologie, les brouillons sont en
général les
pièces principales du dossier de genèse, de telle
sorte que le mot les désigne par métonymie. On dit
« les brouillons de Madame Bovary »,
pour
désigner l'ensemble des pièces d'archives
rassemblées
et mises au point par Flaubert pour rédiger son roman.
Définition du « Glossaire de critique
génétique » : « Brouillon
= manuscrit
de
travail d'un texte en train de se constituer;
généralement
couvert de ratures et [de] réécritures »
(p. 241).
Et
« Manuscrit de travail = tout manuscrit qui montre les
traces de
l'élaboration textuelle; voir brouillon »
(p. 244).
« Par bonheur, cette
logique-là, envisagée
par certains dans toute sa radicalité [sic], n'aboutit
presque jamais » (p. 90). Pourquoi ? Les
écrivains n'ont plus de foyer, n'ont plus de briquet ou
n'ont plus de courage ? Dans les prochaines
décennies, il est permis de croire que la tendance se
renversera : tout plutôt que de tomber entre les mains
des adeptes de la CGMM... Voir CARNET.
L'édition de carnets (cahiers,
journaux, plans et
scénarios)
est de plus en plus populaire. Mais doit-on favoriser cette
formule ? Ici, une précision s'impose :
« il va
de
soi que les auteurs qui ne tiennent pas de journal, qui ne prennent
pas de
notes dans des carnets, qui écrivent immédiatement du
texte
[sic], sans jamais préparer de plan[s] ou de
scénarios
ou de
listes de mots, ne se prêtent pas à ce type
d'édition
partielle » (p. 191). Almuth Grésillon
aurait bien fait, je
crois, de garder cette phrase dans ses carnets et de les
brûler
à la première occasion. Voir brûler.
« La certitude n'existe pas dans ce
domaine »
(p. 95, n. 3).
La certitude ? (voir certitude). En
voilà au
moins une : un chef-d'oeuvre est un chef-d'oeuvre et ce ne
sont
tout de même pas ses brouillons qui vont nous apprendre le
contraire. Puisque ce serait là raisonner à
l'envers et donner tête première dans la fameuse
téléologie. Mais faisons la critique
génétique des navets, ces chefs-d'oeuvre
potentiellement mal corrigés. Et je proposerais de
commencer par ces molles mièvreries romanesques
intitulées Atala et René de ce
bon Chateaubriand. « On l'a assez
répété,
ce n'est pas le résultat
final qui compte. Puisqu'en principe on sait d'avance que le
produit est une oeuvre, arrivée à son état
de « perfection »,
d'« achèvement »,
il n'est pas étonnant que l'analyse
génétique, la plupart du temps, vienne confirmer
ce savoir. Il n'y a là aucun effet de circularité
qui condamnerait la méthode » (p. 206). Une
seule
question dès lors se pose : pourquoi « la
plupart du temps » ? Car si la CGMM se contente de
confirmer ce que l'on
sait et que parfois elle n'y arrive même pas, alors c'est
bien peu; si dans certain cas elle pouvait nous apprendre du
neuf, ce serait tout de même utile.
Les cheminements génétiques sont
complexes. Voir
à complexe.
« N'a-t-on jamais envisagé de
montrer aux
élèves de l'école primaire qui ont tout le
mal du monde à maîtriser les mouvement physiques
contraints de l'écriture manuscrite et qui, un peu plus
tard, doivent apprendre à rédiger, n'a-t-on jamais
envisagé de leur montrer l'énergie
dépensée par des écrivains sur leurs
feuilles de brouillons ? » (p. 19). Voir
génétique ou plutôt
CODÉ,
c'est plus près.
Humour blanc à l'usage des
spécialistes :
« les seuls cas où nous plaiderions pour une
transcription linéarisée sont des manuscrits
pauvres en réécritures » (p. 129).
Voir
COMPLEXE.
Le plus compliqué, c'est de simplifier,
bien entendu.
Mais pourquoi toujours, chaque fois ? S'il y a un
enseignement de la CGMM, c'est bien
l'inverse, qu'il est en fait très simple de tout
compliquer. « Il y va chaque fois du cheminement
complexe
qui conduit de l'informe et de l'indistinct à des formes
organisées » (p. 2). Ou le contraire, et
dans le
même sens. Voir CORRECTION.
« Jusqu'à ces temps derniers,
le texte
définitif
était seul à recevoir les honneurs de la
publications »
(p. 3). Après avoir mis un temps fou à
détériorer son premier jet et à enjoliver son
brouillon, l'écrivain moderne publiait sans
réfléchir
un texte mis au propre. « La démarche
téléologique [c'est bien honteux: cf. téléologie, théléologique] renvoie donc
à un idéal de finalité, d'efficacité et
de
perfection. Elle permet de réduire des masses complexes
à
la simplicité d'une structure unifiée, et le chaos
des
événements à une progression
linéaire »
(p. 137) : dire que des imbéciles appellent cela
la mise au
net. Voir CRÉATION.
La création avec ses microtechniques ne
saurait
être l'objet des études littéraires. Voici
trois questions essentielles: « Y aurait-il donc autant
de
façons d'écrire un roman que de romanciers ?
Chaque dossier génétique serait-il un cas
d'espèce ? N'existe-t-il rien qui permette une
quelconque modélisation ? » (p. 100).
Oui,
page cent ! C'est bien au milieu de son livre qu'Almuth
Grésillon se pose enfin ces questions préalables.
Et elle ne sait même pas que la réponse est trois
fois oui, bien entendu : il y a autant de façon de
créer une oeuvre qu'il y a de créateurs, voire
d'oeuvres; chaque dossier génétique est par
définition un cas d'espèce; il s'agit là de
« pratiques » dont on peut tout au plus
établir
une typologie ou une sorte de panorama. Tout cela est de
notoriété publique depuis au moins la parution de
Seuils de Gérard Genette (Paris, Seuil, 1987,
p. 363-370). C'est la part artisanale de l'art; elle ne
connaît que des manières, des pratiques et des
habitudes ou encore de remarquables innovations
« où
l'on (voit) chaque auteur (et parfois chaque oeuvre) se
caractériser par ses choix,
délibérés ou instinctifs »
(Seuils,
p. 365). Bref, s'il existe assurément une
psychologie des microtechniques de la création, on ne
saurait en faire une science littéraire. Voilà ce
qui discrédite dès le départ une improbable
science littéraire des brouillons. Pourtant la grande
spécialiste qui rédige nos
Éléments de critique génétique
n'en sait strictement rien. On pourrait croire qu'elle
n'a jamais lu cette analyse de Gérard Genette, mais
justement elle la cite quelques lignes plus bas. Il est clair
qu'elle n'y a tout bonnement rien compris. En effet, en plus de
poser naïvement ces trois questions, elle poursuit sans
rire : « De manière très globale, on
admettra par hypothèse que toute genèse traverse
successivement trois phases différentes (attestées
ou non) : une phase prérédactionnelle
[...], une phase rédactionnelle [...],
enfin une phase de mise au point », phase
postrédactionnelle s'il en est (p. 100). Bref,
il faut admettre, de manière générale, et
bien entendu par hypothèse, que tous les écrivains
écrivent, c'est-à-dire qu'ils se proposent d'abord
d'écrire, qu'ils écrivent ensuite et, enfin,
qu'ils ont écrit et parfois se corrigent, et que
voilà une modélisation d'une terrible
efficacité, notamment pour poser la question de la
typologie des documents génétiques. Voir
DIEU ? N'exagérons rien : voir
émerveillement.
« Quel est le rapport,
révélé par
les
manuscrits de Newton, entre le discours de la science et la
parole mystique, voire alchimique, entre l'élaboration de
la théorie de la gravitation universelle et la
pensée d'un Dieu insaisissable et pourtant présent
partout et toujours ? » (p. 236).
« Des traces figées; de
l'écrit donc, non
de
l'écriture » (p. 129).
« Des traces figées; de
l'écrit donc, non
de
l'écriture » (p. 129).
Notion clé absente de notre manuel en
dépit du
fait qu'il consacre un chapitre à l'
« édition génétique ».
C'est
faute d'avoir réfléchi (sur la genèse de
l'oeuvre) qu'Almuth Grésillon peut ranger
anachroniquement le texte dans les imprimés ou
le définir comme tel. Le « texte
définitif » est une notion tout aussi
aberrante que celle du « brouillon mouvant et
fugitif ».
Ce qui sépare le brouillon de l'oeuvre,
c'est précisément et très clairement la
publication. Or, celle-ci ne se limite pas du tout à
l'impression, mais correspond simplement à
l'édition, tout aussi bien le manuscrit P6106 de la
Guerre des Gaules de César, l'édition
princeps de Pantagruel par Rabelais ou le premier
disque de Gainsbourg, Du chant à la une !...,
sur disque Philips en 1958. Plus
généralement, la composition d'une oeuvre et son
édition sont les deux grands processus
complémentaires de sa genèse. Dans le cas
particulier de l'oeuvre littéraire, il s'agit de la
rédaction et de l'établissement (du texte) de
l'oeuvre ou, si l'on veut, de la composition du texte et de sa
composition typographique. Contrairement à ce qu'une
vision simpliste de la dynamique artistique laisserait croire,
les deux processus ne sont pas successifs, bien qu'ils soient
souvent complémentaires; en réalité, ils
sont orientés en sens inverse l'un de l'autre et peuvent
se chevaucher durant longtemps, le second limitant l'expansion
du premier précisément pour en permettre la
diffusion. Voilà le poète qui rédige le
Livre à venir (sans aucune contrainte éditoriale),
voici au contraire le rédacteur qui doit revoir un nouvel
article qui doit s'ajouter à la seconde édition
d'une encyclopédie, un texte que nous pourrions tous
avoir rédigé pour lui, bien entendu, et entre les
deux, exactement au centre, le journaliste vedette qui met la
dernière main à son reportage. Prenons maintenant
les cas les plus quotidiens qui soient : la lettre mise
à la poste, l'envoi d'un message électronique ou
la diffusion d'une note photocopiée à l'intention
des employés d'une entreprise. Il ne faut pas deux
décennies de réflexion pour saisir ici
l'édition à l'oeuvre, l'acte de publication qui
produit le texte de l'ouvrage, celui auquel aboutit le
brouillon, si brouillon il y a. Or, brouillons de Flaubert il y
a. Brouillon, brouillon manuscrit,
manuscrit à faire composer typographiquement,
publication manuscrite, épreuves
d'impression, imprimé, texte
imprimé, texte, oeuvre,
voilà autant de notions qui ne peuvent rien
désigner précisément sans être
définies en fonction d'un seul et unique concept, celui
de l'édition. Almuth Grésillon a
pourtant réussi à faire tout un livre
là-dessus en confondant les manuscrits et les brouillons
d'une part, précisément parce qu'elle a confondu
texte et texte imprimé de l'autre. Et c'est ainsi
qu'elle a produit une incongruité digne du Père
Ubu, l'auteur incroyable du manuel de génie,
Éléments de genèse critique du
perméable parapluie passoire. Les
Éléments d'Almuth Grésillon, un
manuel de 250 pages, couronnant vingt-cinq ans de CGMM. Poil au
parapluie moderne.
« On est parfois
étonné de voir quelle
masse
de traces écrites dorment dans les tiroirs, les greniers,
les maisons de famille, les instituts de recherche et les
archives publiques » (p. 222).
« La théorie linguistique de
l'énonciation »
(passim, p. 217, par exemple). Entre la théorie
de la
gravité et celle de la relativité, probablement.
Voir dieu.
« Or, les faits prouvent
malheureusement que la cause du
mal n'est pas là, que cela n'est qu'un alibi commode pour
dissimuler une carence réelle » (p. 126).
Les faits
ont toujours eu le dos large.
L'oeuf ou la poule ?
« D'abord, qui parlerait de
Christophe Colomb s'il n'avait découvert
l'Amérique ? Qui de Galilée en dehors de la
révolution de la terre autour du soleil ? Qui,
même, de Flaubert sans Madame Bovary ou
l'Éducation sentimentale ? » (p.
207). Un des grand sommet de l'humour blanc jamais atteint dans
le monde universitaire. Nous sommes en pleine
génétique fiction : sans Galilée, la
terre tournerait-elle autour du soleil ? Reprenons notre
sérieux, nous n'avons pas fini de rigoler.
L'Amérique, la Terre, le Soleil. Mallarmé, lui,
avait découvert la Lune, ce gros fromage, Valéry
nous l'a dit. Mais le pauvre Flaubert, dans ce contexte, ne
paraît pas une valeur très sûre. D'autant
que l'étude de ses brouillons pourrait bien nous
apprendre la vérité, à savoir qu'il
n'était pas très doué en grammaire et en
stylistique, comme l'illustrent les corrections de Maxime
Du Camp.
Voir apologétique.
« Quant aux premiers pas de la
critique
génétique, vers le début des années
70, ils trahissaient non seulement l'enthousiasme
conquérant, mais aussi une certaine
naïveté : comme si les
généticiens étaient les premiers
astronautes des études littéraires »
(p. 2).
En 1994, au moment où ces lignes sont
rédigées, il n'y a aucune raison de ne pas
considérer que les adeptes de la CGMM sont
toujours les premiers astronautes des études
littéraires. On espère tous que les premiers
seront les derniers, et les seuls. Spoutnik, beatnik,
génétinik.
On doit faire attention, évidemment,
que le mot
« genèse » n'a pas son sens propre dans
le manuel de la CGMM et dans les citations qu'on en trouve dans ce
sottisier. Justement ! « Genèse »
est ici un équivalent d'« étude de
CGMM », rien de plus.
« Tout comme la
génétique des biologistes,
la
critique génétique est une science du
vivant » (p. 238). « Un luxe superflu que
s'accordent
les nations de culture pour célébrer leurs
génies » (p. 238) ? Pas du tout :
« c'est toute la dynamique de l'esprit humain qui est
interrogée. En cela, la critique génétique
a partie liée avec la pensée du XXe
siècle » (p. 238). « Si la
critique
génétique est autre chose qu'une mode, c'est parce
qu'elle participe directement de cette pensée »
(p.
238). Et voilà : « tout cela atteste la
vitalité de ce courant où chercheurs et
écrivains se retrouvent dans un élan
partagé. Mais, se demandera-t-on, les amateurs de
littérature suivront-ils ? [...] Cela suppose que
l'on songe à guider leurs pas » (p. 238).
Les
élèves, par exemple (cf. chiant) :
« songe-t-on à leur montrer et à leur
expliquer les traces passionnantes de ce processus sans fin dont
témoignent les manuscrits ? » (p. 238).
Eh
oui, tout cela se trouve sur la même page, la
dernière.
Tout cela n'a pas grand chose à voir
avec les études
de genèse et la critique génétique, bien
entendu. « Génétique » est pris
ici au sens de CGMM.
Jeanne Goldin, « les Comices
agricoles » de
Flaubert (Paris, Droz, 1984, 2 vol.). Étude de
genèse et transcription systématique de tous les
brouillons d'un chapitre de Madame Bovary.
« Ouvrage utile et accessible au lecteur en fonction du
nombre réduit de signes diacritiques : c'est
l'avantage des transcriptions diplomatiques; bibliophiles
s'abstenir : c'est une dactylographie de qualité
médiocre; la micro-informatique permet [= a permis]
entre-temps de réaliser des transcriptions plus
agréables à l'oeil » (p. 193). Ce
commentaire est tellement niais, s'agissant d'évaluer la
qualité scientifique d'un travail d'édition et de
recherche que Jeanne Goldin serait en droit d'en exiger des
excuses.
On se reportera au chapitre Goldin pour une mise en situation de son travail
dans l'ensemble des travaux sur les brouillons de Madame
Bovary.
L'humour blanc est l'humour involontaire des
imbéciles,
des cuistres et des ignorants. J'ouvre ma table de hasard dont
les trois premiers chiffres, moins autant de fois qu'il le
faudra le nombre de pages du livre d'Almuth Grésillon
(250), me prescriront la page à l'étude. Soit 574
- 250 = 324 - 250 = 74. Ce sera la page 74. Vous voulez
rigoler combien de fois ? Il y en a assez pour mourir de
rire, je vous jure. Ne pas « féticher la
rature »,
le mot d'ordre de Valéry pris a contrario. Le
fait d'aller déposer chez l'éditeur un
« manuscrit » qui n'est plus un
« manuscrit » complique de beaucoup nos grands
débats sur le brouillon. « Afin
d'éviter toute confusion, nous proposons de garder le
terme « manuscrit » pour désigner
l'ensemble
des documents susceptibles d'éclairer la genèse
d'une oeuvre » (p. 74). Mettons que c'est un peu
restrictif, s'agissant d'un mot si courant. Mais ne
lésinons pas sur le comique : accordé !
Sauf qu' « ils peuvent comporter également des
tapuscrits, des épreuves corrigées et même
les exemplaires d'une édition revue et corrigée
par l'auteur en prévision d'une nouvelle
édition ». Tout cela, c'est assez peu
manuscrit,
chère madame... En effet :
« toutefois, ces conventions sont éminemment
fragiles ». Je vous jure que je n'invente absolument
rien.
Textuel. Et ce n'est pas moi qui ai choisi la page 74.
D'ailleurs, après ce petit tiers de page, je trouve que
nous nous sommes assez amusés, même si le plus
hilarant suit (sur deux pages manuscrites de Raymond Roussel
dont la seconde version est plus corrigée que le
brouillon orignal; le multiforme des dictaphones; la page qui
désigne « en principe » le recto ou le
verso
d'une feuille, avec ses abus de langage). Cet humour blanc est
proprement inépuisable. Revenons tout en haut de la page
pour en relire la toute première proposition :
« selon nous, ce qui compte, c'est de disposer de traces,
quelles qu'elles soient, qui témoignent des
opérations d'écriture », car des
propositions
comme poétique des brouillons ou science
des brouillons, bref la brouillonnologie, et là
c'est textuel : ces propositions risquent « de
fétichiser la rature, le chaos, le fécond
désordre pour reprendre un terme de
Valéry ». Bien entendu, il est probable que vous
ne
me croirez jamais si vous ne vous imposez pas d'aller lire cette
page. Bon. Mais la question suivante, elle, est vraiment toute
simple : « Dans ces conditions, qu'est-ce qu'on
peut
encore considérer comme manuscrit
autographe ? » (p. 74) ! Un manuscrit
écrit de la main de l'auteur ou un enregistrement de sa
voix dans son propre dictaphone ? Allez, allez,
répondez, mais sans rire. L'humour blanc est comme un
lis plus fragile que les épines de l'humour noir sont
vivaces et solides. Aussi faut-il féliciter les
universitaires qui depuis vingt-cinq ans lisent très
sérieusement les articles théoriques d'Almuth
Grésillon, la citent sans rire et donnent à son
humour pur une résonnance de travaux de foire et de
cirque dans le domaine pourtant fort crispé des
études littéraires. Le contenu de ce sottisier,
on le doit à ces Pierrot de la CGMM.
Une parenthèse rassurante :
« (lequel
continue
naturellement d'exister) » (p. 21). Tout
brouillonnologues
que nous soyons, il faut tout de même garder à
l'esprit qu'on ne peut pas jeter tous les propres, surtout
lorqu'ils ont été imprimés. Soyons
réalistes. L'imprimé continue d'exister,
malheureusement. Sur l'opposition brouillon/imprimé,
manuscrit/imprimé, manuscrit/texte, etc., cf.
édition.
L'ordinateur « permet à
l'écriture une
fluidité où l'écrit reste à jamais
révisable, déplaçable et
réutilisable : l'opération du
"coupercoller" en fournit un éloquent
témoignage » (p. 223).
Sur les contresens liés aux diverses
acceptions du mot
manuscrit, pourtant élémentaire, on fera
bien de se reporter à l'entrée
ÉDITION : tout l'ouvrage repose sur ces quiproquos.
On en vient même aux manuscrits imprimés. Voici
une réflexion inspirée par les Cahiers
de Valéry et Henry Brulard de Stendhal :
« ...les manuscrits sont en passe de gagner un
réel
public de lecteurs; grâce à un nouveau type
d'édition, ils seront lisibles, du moins pour un public
de spécialistes. Ce qui veut dire aussi qu'ils ont des
chances de faire progressivement partie de la
littérature, entendons de cette communication
littéraire supposant l'existence de lecteurs. Certes,
ils ne seront pas confondus avec l'oeuvre... »
(p. 29).
Donc, résumons, le brouillon tout court ne sera pas
confondu avec l'oeuvre dont il est le brouillon, tandis que le
brouillon de l'oeuvre parue s'il est publié à son
tour, en devenant lisible, pourra être lu et faire
progressivement partie de la littérature qui suppose (du
moins dans un certain sens) l'existence de lecteurs qui la
lisent, avec ces brouillons qui sont publiés, de plus en
plus, du moins pour les spécialistes. Enfin bref, le
brouillon (cf. brouillon) imprimé (cf.
imprimé)
est un manuscrit (cf. manuscrit !)
« en passe de gagner
un
réel public de lecteurs ».
Le manuscrit a-n-c-i-e-n existe.
Découverte
fondamentale de la CGMM, « science des manuscrits
modernes ». La paléographie, qui étudiait
les manuscrits, des Sumériens à Gutenberg (qui
s'est mis à les reproduire à la machine), ignorait
tout de cet objet. Ainsi, la paléographie est-elle
devenue ce qu'elle était sans le savoir, la
« science des manuscrits anciens ». Elle a un
bel
avenir derrière elle.
C'est ainsi qu'on désigne en allemand
(Arbeitshandschrift)
le brouillon. Est-ce qu'en français il ne
serait pas plus simple d'appeler un brouillon un
brouillon ? « La critique génétique
a progressivement défini son objet propre : les
manuscrits de travail des écrivains en tant que support
matériel, espace d'inscription et lieu de mémoire
des oeuvres in statu nascendi » (p. 1).
C'est
bien ce que l'on dit : c'est très simplement la
brouillonnologie. Mais répétons :
« l'objet des études génétiques,
c'est
le manuscrit de travail, celui qui porte les traces
d'un acte, d'une énonciation en marche, d'une
création en train de se faire, avec ses avancées
et ses blocages, ses ajouts et ses biffures, ses pulsions
débridées et ses reprises, ses relances et ses
hésitations, ses excès et ses manques, ses
dépenses et ses pertes. C'est le brouillon, avec ce que
l'étymologie du terme évoque à la fois de
boue et d'ébullition » (p. 33). Question,
alors : est-ce que la brouillonnologie devra s'en tenir
aux brouillons corrigés et même aux seuls
brouillons fortement corrigés ? Non, bien
sûr. Or, tout l'ouvrage d'Almuth Grésillon repose
sur la conception imaginaire d'un certain genre de brouillon, le
brouillon bien barbouillé. On peut même dire que
ses Éléments de critique
génétique sont un poème à la
gloire du « fouillis graphique des brouillons »
(p.
151), un éloge à la « marée noire
des
pages d'écriture » (p. 142), à la
« déraison graphique du manuscrit »
(p. 171,
n.), au « puzzle sémiotico-discursif assez
complexe » (p. 173), à la
« textualité
complexe de l'oeuvre en devenir » (p. 173),
« fouillis
graphique » (p. 151), « chemins
cahotiques » (p.
161). Depuis vingt-cinq ans, personne ne lui a donc fait
remarquer qu'il y a bien entendu deux catégories de
brouillons et trois états de l'opération, le texte
qu'on ne corrigera pas, le texte à corriger et le texte
corrigé ? en vingt-cinq ans, il ne lui est jamais
venu à l'esprit, surtout, que bien des auteurs s'en
tiennent en quelque sorte au premier jet qui peut être
moins ou plus corrigé et parfois, bien souvent,
très peu ? Or, le petit brouillon propret n'en
relève pas moins de la brouillonnologie, même s'il
échappe totalement à la représentation
épique de la poétesse. Pour elle, en effet,
« les manuscrits des grands écrivains sont en
général plus riches en travail d'écriture
et de réécriture que les autres »
(p. 207).
Cela dit, après plus de cinquante pages brouillonnes,
Almuth Grésillon apporte une intéressante
précision à cet égard :
« d'autres spécialistes entendent
« manuscrit » dans un sens plus restrictif qui
est
à peu près l'équivalent de ce qu'on appelle
aussi « manuscrit définitif » [sic] et
par
rapport à quoi tout ce qui l'a
précédé est désigné comme
« brouillons ». En tout cas, le mot
« brouillon » évoque, bien mieux que
celui de
« manuscrit », l'idée d'une
écriture en
gestation, traversée de ratures et d'hésitations
et d'un préalable nécessaire à
l'achèvement de l'oeuvre » (p. 71). Bref, le
mot
brouillon évoquerait mieux pour certains le brouillon que
le mot manuscrit.
Brouillon. Voir manuscrit
ancien.
« Henri Mitterand, expert reconnu de
tous les
modèles du langage, qu'ils soient structuralistes ou
générativistes » (p. 149).
« Les mobiles qui décident un
chercheur à
travailler sur telle genèse peuvent être de tous
ordres, [dont le] choix de se spécialiser sur un auteur
dont tout l'intéresse, y compris la genèse des
oeuvres » (p. 107). Un auteur dont tout
l'intéresse... Y compris ses oeuvres ?
Brouillon rédigé avec ou sans
plan ?
« écriture à programme » [sic] et
non
pas « écriture à processus »
[sic].
« L'écriture à programme [...] est
attesté chez des auteurs dont la rédaction
correspond à la réalisation d'un programme
préétabli » (p. 102). Par opposition
aux
programmes postétablis, bien entendu.
À votre avis, l'examen
détaillé des rapports
entre
la genèse des oeuvres et l'histoire littéraire
permet-elle d'hésiter longtemps à conclure que,
peut-être, il ne faut jamais trancher hâtivement les
questions délicates ? En tout cas, sur quelques
ressemblances entre un manuscrit du Tasse et un autre... de Paul
éluard (!), « il serait
prématuré
de dire que l'écriture du manuscrit [= la
rédaction (d'un brouillon)] s'effectue en dehors des
courants de l'histoire littéraire et de l'histoire tout
court » (p. 27).
Pour un chef-d'oeuvre d'humour blanc, question
prudence, voir Téléologique.
« Il y a un rapport entre un
récit cosmogonique
comme celui de l'Ancien Testament, le code
génétique de la biologie moléculaire et le
domaine de la critique génétique »
(p. 1).
Textuel. Devinette : lequel ? — Réponse
à l'entrée « cheminement ».
« Par-delà donc ces
différences qu'il
convient de respecter, la recherche génétique aura
toujours pour tâche de... » (p. 228).
Voir apologétique.
Voir manuscrit moderne.
Après avoir évoqué
l'authentification du
« célèbre » journal d'Anne Frank
et la
fraude des « fameux » carnets d'Adolf Hitler
sur une
petite demi-page, pour rappeler très vaguement
certaines techniques auxiliaires d'analyse de l'encre
ou du papier, Almuth Grésillon peut conclure:
« nous avons volontairement insisté un peu
longuement sur ces analyses de laboratoires : trop peu
connues, elles témoignent d'un concours précieux
entre recherche en sciences humaines et sciences
exactes »
(p. 113).
Avez-vous déjà osé
imaginer qu'une intrigue
narrative puisse naître ou bifurquer en cours de
rédaction ? C'est ce que vous apprendra enfin la
CGMM. « Voilà de quoi
troubler des savoir établis » (p. 162).
Familier, terme d'injure parmi les adeptes de
la CGMM.
« Que veut dire « faire de la
téologie » ? C'est, de manière
générale, soumettre un tout de nature souvent
complexe à une idée globale, un telos,
dominé par une vectorisation, susceptible d'être
à la fois cause première et fin ultime et de
légitimer ainsi l'existence de toutes les
parties »
(p. 137). C'est peut-être confus, mais, avouons-le,
proprement scandaleux.
« Fêter les fastes
théo-téléologiques
textuels » (p. 137). La pire
injure jamais proférée à l'endroit d'un
brouillonnologue, orientation CGMM.
Le simple fait de prendre en considération qu'un
brouillon puisse se situer dans un processus de rédaction
est une hérésie comparable au pélagianisme.
Ou plus précisément, pour filer la
métaphore, au jansénisme, car taxer une
pensée de janséniste, en soi, n'est pas
scandaleux, mais par prudence on doit s'en abstenir.
« En
tout cas, il ne peut exister de critique génétique
sans que l'objet même de cette recherche soit correctement
construit, c'est-à-dire comme ensemble ordonné en
fonction des opérations qui l'ont promu à
l'existence. Nul doute non plus que l'écriture est une
activité orientée par le temps, on ne sortira pas
de là [...]. Cette remontée dans le temps est par
définition guidée par la rationalité et la
logique interne qui permettent de reconnaître
« B » comme une réécriture de
« A », et ainsi de suite. S'il n'y avait pas
le
risque du fameux malentendu, il ne serait même pas
scandaleux en soi de taxer cette démarche de
"téléologique". Par prudence,
on s'en
abstiendra » (p. 139). Le « fameux
malentendu »,
bien sûr, et « on ne sort pas de
là »,
c'est qu'un brouillon soit un brouillon — et non un brouillon
moderne. Ni un manuscrit moderne.
« L'illusion
téléologique est sournoisement
présente dans la recherche génétique, et la
tentation d'y céder malgré soi est permanente.
Pourquoi ? » (p. 137).
C'est le « mirage du
texte » (p. 146).
« Ne pourrait-on imaginer que tel
écrivain
maintienne à travers toute son oeuvre une seule et
même structure thématique, quand tel autre en
change au passage des oeuvres de jeunesse à celles de la
maturité, ou même, d'une oeuvre à
l'autre ? Et plus : chez un même
écrivain, ne pourrait-on pas imaginer à la fois
des thèmes stables et des thèmes variants ?
Quelles que soient les réponses, elles influeront sur le
rapport entre génétique et thématique, qui,
en l'état actuel, paraît loin d'être
clair » (p. 168). Original inquisitoire. Si, en
apparence, il ne fallait pas beaucoup d'imagination pour poser
les trois possibilités correspondant à la
permanence, au changement et à la variation des
thèmes dans les oeuvres d'un auteur, il fallait une sorte
de courage présomptueux pour supposer qu'un
téméraire puisse répondre
négativement et influencer tout de même le cours
des études de genèse des univers
thématiques ou imaginaires.
Peu importe de quoi il s'agit, Almuth
Grésillon sait
manier l'art de la transition. « L'exemple de
Supervielle
est convaincant à cet égard, mais peut-être
le dernier mot n'est-il pas dit » (p. 168).
Souvent, le travail d'Almuth Grésillon
est facile et il
faut s'en réjouir. « Quand on choisit de
travailler
sur un corpus précis [= donné], toutes les
situations sont possibles » (p. 110),
écrit-elle.
D'abord, il peut heureusement arriver que le travail qui
consiste à localiser et dater les manuscrits soit
déjà fait. On n'y pense pas souvent, mais c'est
tout de même l'idéal : « Dans certains
cas, idéalement simples, un rapide examen montre que tout
le travail préparatoire de collecte et de classement des
manuscrits est déjà fait : on peut alors
passer à l'étape suivante » (p. 110).
Même chose pour le classement chronologique des
pièces : « Là encore, deux situations
sont possibles. Ou bien le cassement est déjà
fait », ou bien faut le faire (p. 114). Mais il
peut
arriver aussi que l'accès aux archives soit interdit; ce
n'est pas l'idéal, bien entendu, mais ce n'est tout de
même pas trop fatiguant; cela n'arrive, heureusement,
qu'auprès de « certains collectionneurs qui
ignorent
la différence (malheureusement pas encore
instaurée officiellement) entre bien matériel (qui
leur appartient en propre) et bien culturel (le contenu
intellectuel du manuscrit qui fait partie du patrimoine
écrit d'une nation) » (p. 110, les
parenthèses sont bel et bien de la prétendue
généticienne). Bien sûr, il peut arriver
qu'on ne trouve aucune, absolument aucune pièce au
dossier, ce qui est, et de loin, le plus simple pour la CGMM. Et
le cas inverse peut se
présenter avec exactement le même effet :
s'il y a trop de pièces au dossier, trop de
difficultés, trop d'ouvrage ! C'est ainsi qu'Almuth
Grésillon, en 1984, s'est trouvée devant un gros
dossier de Berlin Alexanderplatz de Döblin
où les pièces n'étaient pas même
foliotées, tandis que la famille gardait la main haute
sur le dépôt. « Découragée par
tant d'obstacles, dit-elle, j'abandonnai le projet » (p.
111). Lalalère !!... encore en congé. Et
après on se demandera pourquoi la brouillonnologie ne
progresse pas.
Vieux et respectable. « La vieille
et respectable
philologie » (p. 24). « Un succès
certainement
aussi durable et aussi respectable que la philologie »
(p.
228). « La vieille critique des sources »
(p. 173).
Un peu comme la vieille anatomie, l'ancienne physique ou
l'antique géométrie.
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