La brochure estampillée « Descartes »
Voici maintenant le cas d'une modeste publication destinée aux
étudiants de première année du Département des
études françaises de l'Université de Montréal,
ceux précisément pour lesquels j'ai rédigé, mis
sur la Toile et publié le Manuscrit moderne.
Jacques Audet et Roxanne Roy, les Travaux en études
littéraires : guide pratique de l'étudiant,
s. l. n. é, 2003, 70 p. (cahier de 18 feuillets ou
36 folios, paginés de 3-72, avec le dernier folio en blanc, les deux
premières « pages » (1 et 2) correspondant à
la première page de couverture et à son verso). Son adresse
bibliographique devrait être celle du Département des
études françaises de l'Université de Montréal.
Une modeste publication ? La modestie ne s'affiche jamais pour rien.
Voici ce qu'écrivent les auteurs de la brochure dans leur
avant-propos : « Cette brochure n'entend nullement se
substituer aux divers ouvrages et guides méthodologiques qu'on trouve
en bibliographie ». Or, sur la présentation des travaux, on
trouve en référence le Manuscrit moderne et le bibelot
de secrétariat de Québec/Amérique. « [Les
professeurs] pourront à l'occasion renvoyer les étudiants
à la présente brochure pour certaines questions plus techniques
ne pouvant faire l'objet de discussions approfondies en classe (par exemple
le protocole de présentation des travaux) » (p. 3).
Textuel. Bref, les professeurs vont renvoyer, pour les
« discussions approfondies » à la brochure qui,
pour les discussions approfondies, certainement, ne prétend pas se
substituer au Manuscrit moderne. Il ne s'agit pas seulement d'une
faute de logique : renvoyer aux discussions approfondies, pour
la « modeste » brochure, c'est une marque de snobisme.
Faute de logique (renvoyer à un guide qui renvoie ailleurs) et snobisme
(pour « discussion approfondie ») n'expliquent pas encore
tout. On ne trouve aucune « discussion approfondie » dans
le Manuscrit moderne, car il s'agit d'un très simple guide
justifié. Par exemple, il explique tout bonnement pourquoi on met la
pagination au centre en haut de la page; la modeste brochure déclare
que « la pagination peut se faire en haut à droite [mais pas
au centre, vous remarquez !], en bas au centre ou à
droite... » (p. 55). Cela dit, mon cher étudiant, pour
une « discussion approfondie », comme on a l'habitude de
les faire sur la montagne, voir le Manuscrir moderne, que la
présente brochure n'entend nullement remplacer...
Pftt!...
Table
On attend d'un guide des consignes précises et justifiées.
Ce devrait être un ouvrage pratique, précisément
adapté aux utilisateurs auxquels il est destiné. Les
étudiants de première année de baccalauréat
universitaire sont des adultes, ce ne sont plus des enfants, des
élèves ou des collégiens. Il est donc surprenant qu'un
guide officiel les prenne pour des demeurés, leur servant en plus le
plus snob des sermons sur la montagne. C'est pourtant une brochure
estampillée « Descartes ».
Mais le plus extraordinaire est certainement de voir présenter
dans ce soi-disant guide un protocole de « présentation
matérielle des travaux », qui contredit radicalement et par
son esprit et par son contenu l'objectif matérialiste de mon
Manuscrit moderne. Mais avant d'en venir à ce sujet, qui est
ici le nôtre, commençons par la prédication.
À la lecture de la brochure, on comprend qu'il s'agit d'une
publication du Département des études françaises de
l'Université de Montréal rédigée par Jacques Audet
et Roxanne Roy sous la direction de Gilbert David et d'Élisabeth
Nardout-Lafarge. La brochure n'a pas de page de titre identifiant le lieu de
l'édition ni l'éditeur et la première page de couverture,
qui en tient lieu, ne les identifie pas non plus.
En première page, Jacques Audet et Roxanne Roy ont
« préparé » l'ouvrage; en page quatre de
couverture, ils deviennent ses auteurs. On ne doute pas qu'ils en sont les
auteurs, évidemment : il suffit de lire l'ouvrage et en
particulier son paratexte pour s'en rendre compte.
Oublions les fautes de mise en page, peu nombreuses (marges tout
à fait inadéquates; pagination de la page 4, tandis qu'elle
manque p. 67; saut de page en p. 51, alors que le texte devait
évidemment se poursuivre avec le paragraphe 4.2 : ce sont
en effet des vétilles, malheureuses dans un
« guide », mais rien de plus). En revanche, disons-le,
la présentation typographique de la brochure est vraiment laide,
tristement conventionnelle, défigurée par d'insupportables
soulignés qu'on ne voit presque plus en typographie moderne depuis plus
d'un demi-siècle. Et cela sans compter les nombreuses décisions
typographiques prises par le logiciel de traitement de texte utilisé,
à commencer par les retraits de trois picas à des niveaux
très divers, qui ne sont certainement pas justifiés par
l'esthétique, c'est le moins que l'on puisse dire. Mais peu importe
peut-être : c'est le résultat typographique attendu d'une
« publication maison ». Il est seulement dommage que cela
sorte des « presses » d'un département
consacré aux études littéraires (car il suffisait de
demander des projets de maquettes pour éviter de mettre ces tristesses
sous les yeux des étudiants, les littéraires ne manquant jamais
d'imagination en ce domaine, plusieurs d'entre eux étant fort
près des milieux de l'édition -- sans compter les poètes,
généralement sensibles aux questions typographiques : cf.
Un coup de dés..., de Mallarmé, Calligrammes
d'Apollinaire).
Dès mon retour de congé sabbatique, alors que mon
département imposait comme prétendue « norme
commune » le manuel encyclopédique de
Québec/Amérique qui, on l'a vu, ne propose absolument aucune
« norme », voilà que j'apprenais aussi qu'on avait
relancé l'offensive avec l'objectif de produire un
« guide » approprié pour les étudiants de
baccalauréat. Il s'agissait de mettre au point un concentré de
vitamines méthodologiques propre à être inoculé
sans douleur dès l'entrée à l'université. Produit
d'une efficacité toute moderne, distribué gratuitement à
l'Université de Montréal seulement, d'office, produit officiel
du Département des études françaises. Guide de la
présentation matérielle, guide des travaux et guide des
théories et méthodes littéraires, tel était le
projet destiné à nos étudiants de première
année. Comme mon Petit manuel des études
littéraires et mon Manuscrit moderne ont
précisément été conçus pour eux, je me
trouvais quelques raisons de protester ! J'ai donc immédiatement
pris contact avec Jacques Audet et Roxanne Roy, les directeurs du projet et
mes collègues du Département des études françaises
pour dénoncer énergiquement contre cette entreprise, me
proposant pour diriger l'entreprise (!), voire de la réaliser
moi-même... dans de toutes autres perspectives, des perspectives
critiques, de niveau universitaire, comme les deux ouvrages que je viens de
nommer.
Jacques Audet et Roxanne Roy n'ont jamais répondu à mes
envois, alors que je leur ai écrit nommément et
précisément deux fois à ce sujet. Ils savaient donc que
je répliquerais à leur travail publiquement, ce que je fais
maintenant en publiant l'analyse critique de leur guide. Voilà qui ne
manquera pas, comme on va le voir, d'être très profitable aussi
bien du vue intellectuel que pédagogique. Je me serais toutefois bien
passé, on s'en doute, de l'avantage pédagogique de reprendre
point par point les quinze pages de leur protocole de présentation des
travaux écrits qui contredit abruptement et sans aucune raison mon
Manuscrit moderne. Comme je n'ai évidemment pas à
expliquer ou à justifier des intentions qui ne sont pas les miennes,
il est naturel que je m'en amuse, ce qui est la moindre des choses, pour me
payer de ma peine et aussi pour essayer d'oublier le caractère
insultant de l'entreprise à mon endroit. J'aurai le tact de ne rien
ajouter, sauf à dire qu'il y a un mot qui désigne les soldats
qui remplissent les missions des autres et que, jamais, un intellectuel ne
doit se mettre dans cette situation déplorable.
La moitié du projet a heureusement été
abandonné. Elle consistait à tenter l'impossible :
à demander à deux « doctorants »
(sic ! étudiants de doctorat) de présenter à
nos étudiants de première année toutes les
méthodes d'analyse littéraire. L'entreprise était
purement et simplement inqualifiable, puisqu'il s'agit
précisément de l'objet des enseignements et recherches des
professeurs d'université dont on ne peut évidemment pas demander
à des étudiants de faire la synthèse, alors que tous les
professeurs n'ont pas la compétence pour réaliser ce travail,
tous n'étant pas spécialisés dans le domaine
épistémologique et méthodologique des sciences et des
théories des études littéraires.
Cela dit, on va le voir, la désinformation n'en est pas moins
grave dans le cas des pratiques pédagogiques. Si un professeur de
l'Université de Montréal, c'est moi, prend la peine de
rédiger son cours de présentation matérielle des travaux
de recherche pour les étudiants de première année, il ne
me paraît pas indiqué que deux étudiants de doctorat
(dirigés par deux professeurs qui, jusqu'à preuve du contraire,
n'ont absolument aucune compétence dans ce domaine) proposent à
nos étudiants un autre protocole, abrégé, non
justifié, contredisant péremptoirement mon exposé. Si
l'on avait absolument besoin d'un sommaire de la présentation
matérielle des travaux en études françaises, pour nos
étudiants de première année, alors il me semble que je
suis mieux placé que des étudiants pour le faire.
Mais laissons les causes injustifiables et saugrenues, ce sont les
résultats qui comptent. La preuve de la compétence, c'est la
modestie, tandis que celle de la pensée scientifique se trouve dans
l'esprit critique. Rien ne dit, évidemment, que des étudiants
ne puissent avoir raison contre moi et je suis fort aise de confronter leur
prétendu guide de présentation matérielle au mien. C'est
ce que je ferai en montrant que mon « guide
raisonné » non seulement résiste à la critique
mais sort renforcé de sa confrontation avec les propositions
inadéquates de ce protocole. Cela dit, je ne tiens pas au dernier mot.
Jacques Audet et Roxanne Roy ont tout à fait le droit de
répliquer et ce serait là l'heureux début d'un
débat profitable à tous, comme j'espère qu'il en sera
également du présent compte rendu critique.
On trouve partout dans ce guide une faute de langue et de goût
propre à conforter tous ceux qui ont la mauvaise idée de
présenter les professeurs et les étudiants de
l'Université de Montréal comme des snobs,
particulièrement en études littéraires. Alors parler
sans rire d'« espace » au féminin dans un guide des
étudiants des études françaises est d'un ridicule
évident, digne d'une plume de coq ou d'un bec en cul de poule.
Lisons : « UNE espace est laissée entre chaque
mot... » (p. 55), et la note justifie (!) cette hypercorrection
navrante : « Le mot espace est féminin en ce
sens (en typographie, en photocomposition et dans le domaine de
l'édition » (n. 21), alors qu'on n'est évidemment
dans aucun de ces trois cas avec des consignes qui tiennent de la
méthode de dactylographie ou de clavier de l'ordinateur ! Et,
note suivante : « l'espace insécable est UNE
espace... » (n. 22), etc., page après page.
Est-ce que l'on désire que nos étudiants de
première année deviennent la risée de tous ?
Dès que j'ai eu en main la première version de ce guide, j'ai
expliqué qu'il s'agissait là d'une faute de lecture de nos
dictionnaires courants, inattendue chez des littéraires,
spécialistes des études bibliographiques notamment (car les
petits Larousse et Robert prennent le soin d'en faire deux entrées
distinctes, parfaitement claires : espace, féminin,
« petite pièce de métal... », etc.).
Le mot espace, au féminin, est un archaïsme resté
dans la langue des typographes qui est un jargon de métier; bien
entendu, il arrive (parfois) que les spécialistes des études
bibliographiques (étude de la fabrication des livres et de l'histoire
de l'édition) ou des métiers de la typographie l'utilisent ainsi
par métonymie; mais il est tout simplement comique de le voir utiliser
en dactylographie, en informatique ou dans la présentation
matérielle des travaux -- s'agissant de l'argot des typographes
travaillant composteur en main ! Autrement, on l'emploie
évidemment par ignorance et, manifestement, par snobisme. On ne sait
pas de quoi l'on parle, mais on pense bien parler !
Je vous explique l'affaire (vous renvoyant aux glossaires, manuels et
historiques de l'imprimerie pour plus de précisions). Les
espaces désignées au féminin (qui se distinguent
en espaces proprement dites et espaces fines, servant à la
justification des lignes) sont de petits objets de plomb, qui se distribuent
sur le composteur du typographe, avec les autres caractères
correspondant aux lettres et signes de ponctuation. UNE espace est un objet.
Ce n'est évidemment pas son produit, ces petits espaces (espace,
masculin) qui séparent les mots et parfois les autres caractères
sur la page imprimée. Un compositeur, un presseur ou un correcteur
d'épreuves de formes imprimantes au plomb, lorsqu'ils travaillaient
ensemble à un ouvrage, parlaient évidemment des espaces au
féminin. Mais il faut vraiment être un snob du
Département des études françaises de l'Université
de Montréal pour apprendre à ses étudiants de
première année qu'ils doivent mettre UNE espace insécable
à l'intérieur des guillemets français, UNE seule espace
après la virgule et non pas UNE mais deux espaces après un
point. Si j'étais un étudiant réaliste et normal de
l'UQAM (c'est l'Université du Québec à Montréal,
en bas et assez éloignée de la montagne), je demanderais
simplement : mon cher ! ces belles espaces, pissantes, est-ce que
tu peux pisser dessus ? C'est en effet de cette manière
très efficace que les typographes lavaient les paquets de
caractères, les précieuses espaces comme les autres, avant de
les retourner dans leur casse, jusqu'à la fin du XVIIIe siècle.
Tu ne savais rien de cela, ma chère ?
« Il faut UNE espace après la virgule, deux après le
point... ». Quel snobisme. Qu'on me trouve un seul manuel de
dactylographie qui s'exprime ainsi (car c'est de dactylographie qu'il s'agit)
et je vous lave tous les caractères virtuels du présent
exposé à la méthode ancienne !
Mais il y a snobisme plus frappant que les gentilles ignorances des
précieuses. Voyez les Précieuses ridicules de
Molière et leurs « commodités de
l'enseignement », ainsi qu'elles désigneraient les guides des
« doctorants » à l'usage des non-doctorants de
première année, mes chères !
Alors, prenons maintenant les « plans » de la
dissertation. Notre guide nous présente sans rire les plans
« dialectique », « analytique »,
« comparatif » et...
« syllogistique » ! -- et je signale en passant que
nos étudiants de doctorat doivent nous servir en note la
définition du « syllogisme ». Je n'invente
rien ! car vous trouverez, mort de dire, la définition du Petit
Robert, p. 36, n. 14 : « Le Petit Robert
définit ainsi le syllogisme... »). Lorsqu'on ne sait pas ce
qu'est un syllogisme, je me demande franchement de quel collège on
sort. Mais revenons à nos dissertations. Cette typologie des
« plans » de la dissertation littéraire est pour
moi, avec trente ans d'expérience dans la présentation de la
dissertation, du mémoire et de la thèse d'étude
littéraire, incongrue. Or, on enseigne cela à nos
étudiants de première année. Jacques Audet et Roxanne
Roy se sont-ils déjà demandés si leurs dissertations
étaient de ces ordres ? Je les imagine mal expliquer que leur
mémoire n'obéissait pas au plan
« syllogistique », sacrifiant légèrement au
modèle « dialectique » dans la perspective de
l'« inventaire analytique », sur une question
évidemment comparative, donc « plan comparatif ».
Après mon cours classique (c'était à l'époque les
cours du collège), j'ai mis quelques années à comprendre
que ces prescriptions de modèles pour la dissertation
philosophique n'étaient pas de saison dans le domaine des
études littéraires où l'argumentation (et par
conséquent l'organisation d'un développement discursif)
était entièrement subordonnée à la mise en oeuvre
des faits littéraires (stylistiques, narratifs ou thématiques)
-- et non des idées, comme en philosophie. Qu'est-ce à
dire ? Qu'aucun étudiant ne doit se mettre en frais d'envisager
en lettres des « types » de plan -- c'est une aberration,
puisque c'est confondre les dissertations philosophique et littéraire,
l'étude philosophique et les études littéraires, voire
la philosophie et la littérature.
Bien entendu, Jacques Audet et Roxanne Roy ne font que ressasser ce
qu'ils ont trouvé dans de nombreux manuels courants sur la
dissertation, comme le fameux bibelot de secrétariat de
Québec/Amérique. Il est assez normal que de tels manuels
retardent de plus d'un demi-siècle sur la recherche et l'enseignement,
puisque, précisément, le guide qui nous occupe contribue
puissamment à ce phénomène de frottement propre à
ralentir le progrès. En tout cas, nous voilà avec un guide qui
enseigne à nos étudiants ce qu'aucun professeur de
littérature ne fait jamais dans le moindre de ses articles ! Et
pour cause, puisqu'il s'agit de dissertations ou d'études
littéraires.
Conclusion : je viens de vous développer le plan
« syllogistique », du genre « Descartes croyait
que l'intelligence était le partage de tous les hommes; or,
l'intelligence ...; donc, ... pas très intelligents ». En
effet, que peut bien venir faire l'ouverture du Discours de la
méthode de Descartes comme illustration en page de couverture du
guide de Jacques Audet et Roxanne Roy ? Est-ce que ceux-ci veulent dire
aux étudiants auxquels ils destinent leur brochure qu'ils doivent se
méfier d'eux-mêmes ? que ces étudiants, comme tout
le monde, n'ont pas souvent l'intelligence de douter de leur
compétence ? Je ne sais pas. En tout cas, il est clair que le
message est pour le moins sibyllin et qu'il est difficile d'y trouver d'autres
explications que moralisatrices. C'est évidemment l'estampillage de
la montagne. Chose certaine, cet « exergue » est de
lui-même d'un snobisme patent, étalé en manière
d'énigme en page de couverture du guide.
Snobisme et strabisme ne sont pas les seuls défauts de ce guide,
car non seulement il implique qu'on ait tendance à se prendre pour
d'autres dans notre Département des études françaises de
l'Université de Montréal, mais il fait la preuve qu'on prend nos
étudiants de première année pour des élèves
du collège secondaire. Le plus grave, c'est la désinformation
qui en découle.
Quel exemple voulez-vous ? L'insipide notule sur le plagiat
(p. 37) ? La comédie en cinq paragraphes des défauts
de rédaction (p. 39-40) ? J'avoue que c'est vraiment un
morceau réussi de prêchi-prêcha s'adressant
forcément à des demeurés. J'imagine qu'on ne pourrait
même pas proposer au collège les consignes vraiment hilarantes
sur les « épreuves et examens »
(p. 36-37) : le comique, c'est que nous ne sommes pas du niveau du
collège, mais à peine à l'école primaire, en tout
cas bien avant l'âge où un collégien apprend le sens du
mot « syllogisme ». « Fiches de
lecture » (longues tartines, p. 19-25),
« résumé » et « compte
rendu » (de... textes argumentatifs ! quel barbarisme),
« explication de texte », « commentaire
composé » (la tarte à la crème des
lycées français) et la « dissertation » sont
autant de petits bouts d'exposés propres à désinformer
un étudiant qui arrive à l'université.
L'exemple que j'ai donné aux auteurs, dans ma correspondance
critique, à Jacques Audet et Roxanne Roy, est celui du
résumé : « pour faire un bon
résumé, l'étudiant doit avoir lu le texte plusieurs fois,
l'avoir étudié et compris », etc. (p. 26). Pour
ma part, je ne me permettrais jamais de dire de telles choses à des
adultes. Sans compter que ce sont des faussetés. Dire que pour
résumer un texte il faut l'avoir compris, s'agissant d'une oeuvre d'art
ou d'une étude littéraire, c'est de l'ordre du moralisme. Dire
qu'il faut lire plusieurs fois (!) un roman et l'avoir étudié
(!) avant de le résumer, c'est tout ce qu'il y a de plus faux :
je ne vais pas lire deux fois Madame Bovary avant de pouvoir
résumer le roman de Flaubert et s'il s'agit d'un texte de quelques
pages, il faut que je sois bien fatigué ou qu'il soit bien obscur pour
que je doive le lire plusieurs fois avant de le résumer -- ou que je
ne sois pas très intelligent, peut-être. La consigne est
franchement comique. Ce discours de maîtresse d'école est
absolument incompatible avec un enseignement propre à expliquer
à un étudiants de première année d'études
littéraires comment se résume une oeuvres OU une études
littéraires, qui posent évidemment des problèmes
très différents de ce point de vue. Il suffisait pourtant
d'expliquer qu'on ne peut produire le résumé justifié
d'un texte discursif sans d'abord en établir le plan, tandis que le
résumé d'une oeuvre littéraire pose de nombreux
problèmes qui n'ont, actuellement, de solutions simples que dans le cas
du texte narratif, s'il est de l'ordre de l'histoire
événementielle. Impossible de résumer Un coup de
dés n'abolira jamais le hasard. Pour nos étudiants de
première année, adepte du guide étudiant de Jacques Audet
et Roxanne Roy, il suffit pourtant de le lire plusieurs fois. Bravo !
Et c'est ainsi que ce guide est une triste entreprise évidemment
inconsciente de désinformation.
Je ne prendrai pas l'exemple de la lecture (« travail
personnel » !, p. 6-8) ni les « Concepts
clés et notions de base » (p. 9-14), ce serait trop
facile, puisque mon Petit Manuel des études littéraires
(Montréal, VLB, 1979) n'est pas seulement cité dans la
bibliographie qui confond la somme de Welleck et Warren et toutes sortes
d'ouvrages d'intérêts très divers où le mien ne
figure pas : pourquoi ? je l'ai précisément
signalé aux auteurs, de sorte que c'est par choix qu'il ne figure pas
là; alors je répète : pourquoi ? On me
permettra d'insister, car il y a là comme un problème
d'orientation, mes travaux étant matérialistes, leur guide
manifestement idéaliste, voire angélique).
Je donnerai simplement l'exemple de la première page du guide,
« la prise de notes efficace » (p. 5-6). Que l'on
trouve autant de moralisme en deux petits alinéas, cela correspond
à ce que l'on a vu fort bien illustré jusqu'ici. Aligner autant
de lieux communs sur la prise de notes en classe, c'est un véritable
tour de force. Malheureusement, ce n'est pas un morceau de Jean Tardieu se
moquant de l'enseignement universitaire. Il s'agit bien d'un guide qui dit
sérieusement à nos étudiants qu'ils doivent prendre des
bonnes notes ! « claires, structurées,
organisées selon le plan de chaque leçon »
(p. 5), etc. Devinez pourquoi l'étudiant doit les relire ?
-- pour y « repérer les notions
incomprises » ! Surtout que l'exposé commence par le
fait que « la prise de notes », on se demande bien
pourquoi, « suppose une écoute active et une concentration
constante en classe ». Ce discours moralisateur et franchement
insipide n'a absolument aucun intérêt pour un adulte. En
revanche, l'essentiel des consignes relatives à la prise de notes
à l'université ne s'y trouve pas : qu'est-ce que l'on doit
prendre en notes dans tel ou tel cours (selon les manuels et documents
pédagogiques) ? comment, c'est-à-dire sous quelles formes,
se prennent les notes selon les types d'enseignement ? enfin, comment
se révisent les notes, en fonction des diverses fonctions
mnémoniques dont la prise de notes est le support (les notes d'un cours
conduisant à un examen portant sur la matière du cours se
révisent nécessairement trois fois en fonction des trois
portées de la mémoire). On me dira que voilà l'objet
d'un exposé, voire d'un cours. Évidemment. Mais alors quel est
l'intérêt, dans un guide pour des étudiants de
première année de remplacer tout cela par un édifiant et
inutile discours moralisateur qui confond un adulte avec un
élève de collège ?
Or, ce n'est pas du tout un exercice innocent et il faut se
méfier des prétentions des prêcheurs et autres
curés de l'enseignement universitaire. En effet, non seulement ce
discours moralisateur est nuisible parce qu'il remplace un enseignement juste
et efficace, mais également parce qu'il est faux, gravement incomplet,
mensonger. C'est la désinformation.
Une déclaration qui présente la prise de notes en classe
comme une sorte d'activité personnelle est propre à confondre
la pratique et l'objectif : « [la prise de notes] est
personnelle, il n'y a pas de méthode universelle »
(p. 5). Une telle phrase (comme tout l'exposé) laisse croire que
les notes de cours sont choses personnelles qui dépendent des caprices,
des talents et des intérêts ou des connaissances de chacun. Rien
n'est plus faux. De la sténographie personnelle et des
abréviations à la mise en place des informations notées,
il y a en effet plusieurs techniques (dont il n'est évidemment pas dit
un seul mot dans cette page sublime), tandis que le résultat est de
l'ordre du procès-verbal. La prise de notes d'un cours se fait
nécessairement en trois opérations (implicites ou
explicites : notation, révisions et rédaction, car une
bonne notation a été assez bien révisée au point
où elle pourrait être rédigée n'importe quand, sur
demande), dont le produit n'a absolument rien de personnel. Le Cours de
linguistique générale de Ferdinand de Saussure nous est
aujourd'hui connu par les notes de cours de Charles Bally et d'Albert
Sechehaye. Ce n'est évidemment pas ce que risque de faire comprendre
le discours moralisateur du guide. Il représente, bien au contraire,
tristement inconsciente, la négation de l'enseignement. Le bon sens
le plus élémentaire dit qu'on ne saurait guider personne sur des
questions méthodologiques et pragmatiques qu'on n'a jamais eu
l'occasion d'étudier. On ne s'improvise pas
« guide » dans quelque domaine que ce soit, sans risquer
de tenir des discours de prêcheurs, inutiles, dommageables. Quelle
tristesse.
On le verra encore mieux en comparant mon guide raisonné sur la
présentation matérielle des manuscrits, résultat de
recherches et d'enseignements, avec les diktats moralisateurs
injustifiés de ce prétendu « guide »
pratique.
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