MM 1.3 (octobre 2003)
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Supplément (2)

La brochure estampillée « Descartes »

Voici maintenant le cas d'une modeste publication destinée aux étudiants de première année du Département des études françaises de l'Université de Montréal, ceux précisément pour lesquels j'ai rédigé, mis sur la Toile et publié le Manuscrit moderne.

Jacques Audet et Roxanne Roy, les Travaux en études littéraires : guide pratique de l'étudiant, s. l. n. é, 2003, 70 p. (cahier de 18 feuillets ou 36 folios, paginés de 3-72, avec le dernier folio en blanc, les deux premières « pages » (1 et 2) correspondant à la première page de couverture et à son verso). Son adresse bibliographique devrait être celle du Département des études françaises de l'Université de Montréal.

Une modeste publication ? La modestie ne s'affiche jamais pour rien. Voici ce qu'écrivent les auteurs de la brochure dans leur avant-propos : « Cette brochure n'entend nullement se substituer aux divers ouvrages et guides méthodologiques qu'on trouve en bibliographie ». Or, sur la présentation des travaux, on trouve en référence le Manuscrit moderne et le bibelot de secrétariat de Québec/Amérique. « [Les professeurs] pourront à l'occasion renvoyer les étudiants à la présente brochure pour certaines questions plus techniques ne pouvant faire l'objet de discussions approfondies en classe (par exemple le protocole de présentation des travaux) » (p. 3). Textuel. Bref, les professeurs vont renvoyer, pour les « discussions approfondies » à la brochure qui, pour les discussions approfondies, certainement, ne prétend pas se substituer au Manuscrit moderne. Il ne s'agit pas seulement d'une faute de logique : renvoyer aux discussions approfondies, pour la « modeste » brochure, c'est une marque de snobisme.

Faute de logique (renvoyer à un guide qui renvoie ailleurs) et snobisme (pour « discussion approfondie ») n'expliquent pas encore tout. On ne trouve aucune « discussion approfondie » dans le Manuscrit moderne, car il s'agit d'un très simple guide justifié. Par exemple, il explique tout bonnement pourquoi on met la pagination au centre en haut de la page; la modeste brochure déclare que « la pagination peut se faire en haut à droite [mais pas au centre, vous remarquez !], en bas au centre ou à droite... » (p. 55). Cela dit, mon cher étudiant, pour une « discussion approfondie », comme on a l'habitude de les faire sur la montagne, voir le Manuscrir moderne, que la présente brochure n'entend nullement remplacer...

Pftt!...

Table

Un guide sous forme de sermon sur la montagne

On attend d'un guide des consignes précises et justifiées. Ce devrait être un ouvrage pratique, précisément adapté aux utilisateurs auxquels il est destiné. Les étudiants de première année de baccalauréat universitaire sont des adultes, ce ne sont plus des enfants, des élèves ou des collégiens. Il est donc surprenant qu'un guide officiel les prenne pour des demeurés, leur servant en plus le plus snob des sermons sur la montagne. C'est pourtant une brochure estampillée « Descartes ».

Mais le plus extraordinaire est certainement de voir présenter dans ce soi-disant guide un protocole de « présentation matérielle des travaux », qui contredit radicalement et par son esprit et par son contenu l'objectif matérialiste de mon Manuscrit moderne. Mais avant d'en venir à ce sujet, qui est ici le nôtre, commençons par la prédication.

1.1  Questions bibliographiques, questions éditoriales

À la lecture de la brochure, on comprend qu'il s'agit d'une publication du Département des études françaises de l'Université de Montréal rédigée par Jacques Audet et Roxanne Roy sous la direction de Gilbert David et d'Élisabeth Nardout-Lafarge. La brochure n'a pas de page de titre identifiant le lieu de l'édition ni l'éditeur et la première page de couverture, qui en tient lieu, ne les identifie pas non plus.

En première page, Jacques Audet et Roxanne Roy ont « préparé » l'ouvrage; en page quatre de couverture, ils deviennent ses auteurs. On ne doute pas qu'ils en sont les auteurs, évidemment : il suffit de lire l'ouvrage et en particulier son paratexte pour s'en rendre compte.

Oublions les fautes de mise en page, peu nombreuses (marges tout à fait inadéquates; pagination de la page 4, tandis qu'elle manque p. 67; saut de page en p. 51, alors que le texte devait évidemment se poursuivre avec le paragraphe 4.2 : ce sont en effet des vétilles, malheureuses dans un « guide », mais rien de plus). En revanche, disons-le, la présentation typographique de la brochure est vraiment laide, tristement conventionnelle, défigurée par d'insupportables soulignés qu'on ne voit presque plus en typographie moderne depuis plus d'un demi-siècle. Et cela sans compter les nombreuses décisions typographiques prises par le logiciel de traitement de texte utilisé, à commencer par les retraits de trois picas à des niveaux très divers, qui ne sont certainement pas justifiés par l'esthétique, c'est le moins que l'on puisse dire. Mais peu importe peut-être : c'est le résultat typographique attendu d'une « publication maison ». Il est seulement dommage que cela sorte des « presses » d'un département consacré aux études littéraires (car il suffisait de demander des projets de maquettes pour éviter de mettre ces tristesses sous les yeux des étudiants, les littéraires ne manquant jamais d'imagination en ce domaine, plusieurs d'entre eux étant fort près des milieux de l'édition -- sans compter les poètes, généralement sensibles aux questions typographiques : cf. Un coup de dés..., de Mallarmé, Calligrammes d'Apollinaire).

1.2  Questions de contenu, questions de compétence

Dès mon retour de congé sabbatique, alors que mon département imposait comme prétendue « norme commune » le manuel encyclopédique de Québec/Amérique qui, on l'a vu, ne propose absolument aucune « norme », voilà que j'apprenais aussi qu'on avait relancé l'offensive avec l'objectif de produire un « guide » approprié pour les étudiants de baccalauréat. Il s'agissait de mettre au point un concentré de vitamines méthodologiques propre à être inoculé sans douleur dès l'entrée à l'université. Produit d'une efficacité toute moderne, distribué gratuitement à l'Université de Montréal seulement, d'office, produit officiel du Département des études françaises. Guide de la présentation matérielle, guide des travaux et guide des théories et méthodes littéraires, tel était le projet destiné à nos étudiants de première année. Comme mon Petit manuel des études littéraires et mon Manuscrit moderne ont précisément été conçus pour eux, je me trouvais quelques raisons de protester ! J'ai donc immédiatement pris contact avec Jacques Audet et Roxanne Roy, les directeurs du projet et mes collègues du Département des études françaises pour dénoncer énergiquement contre cette entreprise, me proposant pour diriger l'entreprise (!), voire de la réaliser moi-même... dans de toutes autres perspectives, des perspectives critiques, de niveau universitaire, comme les deux ouvrages que je viens de nommer.

Jacques Audet et Roxanne Roy n'ont jamais répondu à mes envois, alors que je leur ai écrit nommément et précisément deux fois à ce sujet. Ils savaient donc que je répliquerais à leur travail publiquement, ce que je fais maintenant en publiant l'analyse critique de leur guide. Voilà qui ne manquera pas, comme on va le voir, d'être très profitable aussi bien du vue intellectuel que pédagogique. Je me serais toutefois bien passé, on s'en doute, de l'avantage pédagogique de reprendre point par point les quinze pages de leur protocole de présentation des travaux écrits qui contredit abruptement et sans aucune raison mon Manuscrit moderne. Comme je n'ai évidemment pas à expliquer ou à justifier des intentions qui ne sont pas les miennes, il est naturel que je m'en amuse, ce qui est la moindre des choses, pour me payer de ma peine et aussi pour essayer d'oublier le caractère insultant de l'entreprise à mon endroit. J'aurai le tact de ne rien ajouter, sauf à dire qu'il y a un mot qui désigne les soldats qui remplissent les missions des autres et que, jamais, un intellectuel ne doit se mettre dans cette situation déplorable.

La moitié du projet a heureusement été abandonné. Elle consistait à tenter l'impossible : à demander à deux « doctorants » (sic ! étudiants de doctorat) de présenter à nos étudiants de première année toutes les méthodes d'analyse littéraire. L'entreprise était purement et simplement inqualifiable, puisqu'il s'agit précisément de l'objet des enseignements et recherches des professeurs d'université dont on ne peut évidemment pas demander à des étudiants de faire la synthèse, alors que tous les professeurs n'ont pas la compétence pour réaliser ce travail, tous n'étant pas spécialisés dans le domaine épistémologique et méthodologique des sciences et des théories des études littéraires.

Cela dit, on va le voir, la désinformation n'en est pas moins grave dans le cas des pratiques pédagogiques. Si un professeur de l'Université de Montréal, c'est moi, prend la peine de rédiger son cours de présentation matérielle des travaux de recherche pour les étudiants de première année, il ne me paraît pas indiqué que deux étudiants de doctorat (dirigés par deux professeurs qui, jusqu'à preuve du contraire, n'ont absolument aucune compétence dans ce domaine) proposent à nos étudiants un autre protocole, abrégé, non justifié, contredisant péremptoirement mon exposé. Si l'on avait absolument besoin d'un sommaire de la présentation matérielle des travaux en études françaises, pour nos étudiants de première année, alors il me semble que je suis mieux placé que des étudiants pour le faire.

Mais laissons les causes injustifiables et saugrenues, ce sont les résultats qui comptent. La preuve de la compétence, c'est la modestie, tandis que celle de la pensée scientifique se trouve dans l'esprit critique. Rien ne dit, évidemment, que des étudiants ne puissent avoir raison contre moi et je suis fort aise de confronter leur prétendu guide de présentation matérielle au mien. C'est ce que je ferai en montrant que mon « guide raisonné » non seulement résiste à la critique mais sort renforcé de sa confrontation avec les propositions inadéquates de ce protocole. Cela dit, je ne tiens pas au dernier mot. Jacques Audet et Roxanne Roy ont tout à fait le droit de répliquer et ce serait là l'heureux début d'un débat profitable à tous, comme j'espère qu'il en sera également du présent compte rendu critique.

1.3  Le snobisme

On trouve partout dans ce guide une faute de langue et de goût propre à conforter tous ceux qui ont la mauvaise idée de présenter les professeurs et les étudiants de l'Université de Montréal comme des snobs, particulièrement en études littéraires. Alors parler sans rire d'« espace » au féminin dans un guide des étudiants des études françaises est d'un ridicule évident, digne d'une plume de coq ou d'un bec en cul de poule. Lisons : « UNE espace est laissée entre chaque mot... » (p. 55), et la note justifie (!) cette hypercorrection navrante : « Le mot espace est féminin en ce sens (en typographie, en photocomposition et dans le domaine de l'édition » (n. 21), alors qu'on n'est évidemment dans aucun de ces trois cas avec des consignes qui tiennent de la méthode de dactylographie ou de clavier de l'ordinateur ! Et, note suivante : « l'espace insécable est UNE espace... » (n. 22), etc., page après page.

Est-ce que l'on désire que nos étudiants de première année deviennent la risée de tous ? Dès que j'ai eu en main la première version de ce guide, j'ai expliqué qu'il s'agissait là d'une faute de lecture de nos dictionnaires courants, inattendue chez des littéraires, spécialistes des études bibliographiques notamment (car les petits Larousse et Robert prennent le soin d'en faire deux entrées distinctes, parfaitement claires : espace, féminin, « petite pièce de métal... », etc.). Le mot espace, au féminin, est un archaïsme resté dans la langue des typographes qui est un jargon de métier; bien entendu, il arrive (parfois) que les spécialistes des études bibliographiques (étude de la fabrication des livres et de l'histoire de l'édition) ou des métiers de la typographie l'utilisent ainsi par métonymie; mais il est tout simplement comique de le voir utiliser en dactylographie, en informatique ou dans la présentation matérielle des travaux -- s'agissant de l'argot des typographes travaillant composteur en main ! Autrement, on l'emploie évidemment par ignorance et, manifestement, par snobisme. On ne sait pas de quoi l'on parle, mais on pense bien parler !

Je vous explique l'affaire (vous renvoyant aux glossaires, manuels et historiques de l'imprimerie pour plus de précisions). Les espaces désignées au féminin (qui se distinguent en espaces proprement dites et espaces fines, servant à la justification des lignes) sont de petits objets de plomb, qui se distribuent sur le composteur du typographe, avec les autres caractères correspondant aux lettres et signes de ponctuation. UNE espace est un objet. Ce n'est évidemment pas son produit, ces petits espaces (espace, masculin) qui séparent les mots et parfois les autres caractères sur la page imprimée. Un compositeur, un presseur ou un correcteur d'épreuves de formes imprimantes au plomb, lorsqu'ils travaillaient ensemble à un ouvrage, parlaient évidemment des espaces au féminin. Mais il faut vraiment être un snob du Département des études françaises de l'Université de Montréal pour apprendre à ses étudiants de première année qu'ils doivent mettre UNE espace insécable à l'intérieur des guillemets français, UNE seule espace après la virgule et non pas UNE mais deux espaces après un point. Si j'étais un étudiant réaliste et normal de l'UQAM (c'est l'Université du Québec à Montréal, en bas et assez éloignée de la montagne), je demanderais simplement : mon cher ! ces belles espaces, pissantes, est-ce que tu peux pisser dessus ? C'est en effet de cette manière très efficace que les typographes lavaient les paquets de caractères, les précieuses espaces comme les autres, avant de les retourner dans leur casse, jusqu'à la fin du XVIIIe siècle. Tu ne savais rien de cela, ma chère ?

« Il faut UNE espace après la virgule, deux après le point... ». Quel snobisme. Qu'on me trouve un seul manuel de dactylographie qui s'exprime ainsi (car c'est de dactylographie qu'il s'agit) et je vous lave tous les caractères virtuels du présent exposé à la méthode ancienne !

Mais il y a snobisme plus frappant que les gentilles ignorances des précieuses. Voyez les Précieuses ridicules de Molière et leurs « commodités de l'enseignement », ainsi qu'elles désigneraient les guides des « doctorants » à l'usage des non-doctorants de première année, mes chères !

Alors, prenons maintenant les « plans » de la dissertation. Notre guide nous présente sans rire les plans « dialectique », « analytique », « comparatif » et... « syllogistique » ! -- et je signale en passant que nos étudiants de doctorat doivent nous servir en note la définition du « syllogisme ». Je n'invente rien ! car vous trouverez, mort de dire, la définition du Petit Robert, p. 36, n. 14 : « Le Petit Robert définit ainsi le syllogisme... »). Lorsqu'on ne sait pas ce qu'est un syllogisme, je me demande franchement de quel collège on sort. Mais revenons à nos dissertations. Cette typologie des « plans » de la dissertation littéraire est pour moi, avec trente ans d'expérience dans la présentation de la dissertation, du mémoire et de la thèse d'étude littéraire, incongrue. Or, on enseigne cela à nos étudiants de première année. Jacques Audet et Roxanne Roy se sont-ils déjà demandés si leurs dissertations étaient de ces ordres ? Je les imagine mal expliquer que leur mémoire n'obéissait pas au plan « syllogistique », sacrifiant légèrement au modèle « dialectique » dans la perspective de l'« inventaire analytique », sur une question évidemment comparative, donc « plan comparatif ». Après mon cours classique (c'était à l'époque les cours du collège), j'ai mis quelques années à comprendre que ces prescriptions de modèles pour la dissertation philosophique n'étaient pas de saison dans le domaine des études littéraires où l'argumentation (et par conséquent l'organisation d'un développement discursif) était entièrement subordonnée à la mise en oeuvre des faits littéraires (stylistiques, narratifs ou thématiques) -- et non des idées, comme en philosophie. Qu'est-ce à dire ? Qu'aucun étudiant ne doit se mettre en frais d'envisager en lettres des « types » de plan -- c'est une aberration, puisque c'est confondre les dissertations philosophique et littéraire, l'étude philosophique et les études littéraires, voire la philosophie et la littérature.

Bien entendu, Jacques Audet et Roxanne Roy ne font que ressasser ce qu'ils ont trouvé dans de nombreux manuels courants sur la dissertation, comme le fameux bibelot de secrétariat de Québec/Amérique. Il est assez normal que de tels manuels retardent de plus d'un demi-siècle sur la recherche et l'enseignement, puisque, précisément, le guide qui nous occupe contribue puissamment à ce phénomène de frottement propre à ralentir le progrès. En tout cas, nous voilà avec un guide qui enseigne à nos étudiants ce qu'aucun professeur de littérature ne fait jamais dans le moindre de ses articles ! Et pour cause, puisqu'il s'agit de dissertations ou d'études littéraires.

Conclusion : je viens de vous développer le plan « syllogistique », du genre « Descartes croyait que l'intelligence était le partage de tous les hommes; or, l'intelligence ...; donc, ... pas très intelligents ». En effet, que peut bien venir faire l'ouverture du Discours de la méthode de Descartes comme illustration en page de couverture du guide de Jacques Audet et Roxanne Roy ? Est-ce que ceux-ci veulent dire aux étudiants auxquels ils destinent leur brochure qu'ils doivent se méfier d'eux-mêmes ? que ces étudiants, comme tout le monde, n'ont pas souvent l'intelligence de douter de leur compétence ? Je ne sais pas. En tout cas, il est clair que le message est pour le moins sibyllin et qu'il est difficile d'y trouver d'autres explications que moralisatrices. C'est évidemment l'estampillage de la montagne. Chose certaine, cet « exergue » est de lui-même d'un snobisme patent, étalé en manière d'énigme en page de couverture du guide.

1.4  Moralisme et désinformation

Snobisme et strabisme ne sont pas les seuls défauts de ce guide, car non seulement il implique qu'on ait tendance à se prendre pour d'autres dans notre Département des études françaises de l'Université de Montréal, mais il fait la preuve qu'on prend nos étudiants de première année pour des élèves du collège secondaire. Le plus grave, c'est la désinformation qui en découle.

Quel exemple voulez-vous ? L'insipide notule sur le plagiat (p. 37) ? La comédie en cinq paragraphes des défauts de rédaction (p. 39-40) ? J'avoue que c'est vraiment un morceau réussi de prêchi-prêcha s'adressant forcément à des demeurés. J'imagine qu'on ne pourrait même pas proposer au collège les consignes vraiment hilarantes sur les « épreuves et examens » (p. 36-37) : le comique, c'est que nous ne sommes pas du niveau du collège, mais à peine à l'école primaire, en tout cas bien avant l'âge où un collégien apprend le sens du mot « syllogisme ». « Fiches de lecture » (longues tartines, p. 19-25), « résumé » et « compte rendu » (de... textes argumentatifs ! quel barbarisme), « explication de texte », « commentaire composé » (la tarte à la crème des lycées français) et la « dissertation » sont autant de petits bouts d'exposés propres à désinformer un étudiant qui arrive à l'université.

L'exemple que j'ai donné aux auteurs, dans ma correspondance critique, à Jacques Audet et Roxanne Roy, est celui du résumé : « pour faire un bon résumé, l'étudiant doit avoir lu le texte plusieurs fois, l'avoir étudié et compris », etc. (p. 26). Pour ma part, je ne me permettrais jamais de dire de telles choses à des adultes. Sans compter que ce sont des faussetés. Dire que pour résumer un texte il faut l'avoir compris, s'agissant d'une oeuvre d'art ou d'une étude littéraire, c'est de l'ordre du moralisme. Dire qu'il faut lire plusieurs fois (!) un roman et l'avoir étudié (!) avant de le résumer, c'est tout ce qu'il y a de plus faux : je ne vais pas lire deux fois Madame Bovary avant de pouvoir résumer le roman de Flaubert et s'il s'agit d'un texte de quelques pages, il faut que je sois bien fatigué ou qu'il soit bien obscur pour que je doive le lire plusieurs fois avant de le résumer -- ou que je ne sois pas très intelligent, peut-être. La consigne est franchement comique. Ce discours de maîtresse d'école est absolument incompatible avec un enseignement propre à expliquer à un étudiants de première année d'études littéraires comment se résume une oeuvres OU une études littéraires, qui posent évidemment des problèmes très différents de ce point de vue. Il suffisait pourtant d'expliquer qu'on ne peut produire le résumé justifié d'un texte discursif sans d'abord en établir le plan, tandis que le résumé d'une oeuvre littéraire pose de nombreux problèmes qui n'ont, actuellement, de solutions simples que dans le cas du texte narratif, s'il est de l'ordre de l'histoire événementielle. Impossible de résumer Un coup de dés n'abolira jamais le hasard. Pour nos étudiants de première année, adepte du guide étudiant de Jacques Audet et Roxanne Roy, il suffit pourtant de le lire plusieurs fois. Bravo ! Et c'est ainsi que ce guide est une triste entreprise évidemment inconsciente de désinformation.

Je ne prendrai pas l'exemple de la lecture (« travail personnel » !, p. 6-8) ni les « Concepts clés et notions de base » (p. 9-14), ce serait trop facile, puisque mon Petit Manuel des études littéraires (Montréal, VLB, 1979) n'est pas seulement cité dans la bibliographie qui confond la somme de Welleck et Warren et toutes sortes d'ouvrages d'intérêts très divers où le mien ne figure pas : pourquoi ? je l'ai précisément signalé aux auteurs, de sorte que c'est par choix qu'il ne figure pas là; alors je répète : pourquoi ? On me permettra d'insister, car il y a là comme un problème d'orientation, mes travaux étant matérialistes, leur guide manifestement idéaliste, voire angélique).

Je donnerai simplement l'exemple de la première page du guide, « la prise de notes efficace » (p. 5-6). Que l'on trouve autant de moralisme en deux petits alinéas, cela correspond à ce que l'on a vu fort bien illustré jusqu'ici. Aligner autant de lieux communs sur la prise de notes en classe, c'est un véritable tour de force. Malheureusement, ce n'est pas un morceau de Jean Tardieu se moquant de l'enseignement universitaire. Il s'agit bien d'un guide qui dit sérieusement à nos étudiants qu'ils doivent prendre des bonnes notes ! « claires, structurées, organisées selon le plan de chaque leçon » (p. 5), etc. Devinez pourquoi l'étudiant doit les relire ? -- pour y « repérer les notions incomprises » ! Surtout que l'exposé commence par le fait que « la prise de notes », on se demande bien pourquoi, « suppose une écoute active et une concentration constante en classe ». Ce discours moralisateur et franchement insipide n'a absolument aucun intérêt pour un adulte. En revanche, l'essentiel des consignes relatives à la prise de notes à l'université ne s'y trouve pas : qu'est-ce que l'on doit prendre en notes dans tel ou tel cours (selon les manuels et documents pédagogiques) ? comment, c'est-à-dire sous quelles formes, se prennent les notes selon les types d'enseignement ? enfin, comment se révisent les notes, en fonction des diverses fonctions mnémoniques dont la prise de notes est le support (les notes d'un cours conduisant à un examen portant sur la matière du cours se révisent nécessairement trois fois en fonction des trois portées de la mémoire). On me dira que voilà l'objet d'un exposé, voire d'un cours. Évidemment. Mais alors quel est l'intérêt, dans un guide pour des étudiants de première année de remplacer tout cela par un édifiant et inutile discours moralisateur qui confond un adulte avec un élève de collège ?

Or, ce n'est pas du tout un exercice innocent et il faut se méfier des prétentions des prêcheurs et autres curés de l'enseignement universitaire. En effet, non seulement ce discours moralisateur est nuisible parce qu'il remplace un enseignement juste et efficace, mais également parce qu'il est faux, gravement incomplet, mensonger. C'est la désinformation.

Une déclaration qui présente la prise de notes en classe comme une sorte d'activité personnelle est propre à confondre la pratique et l'objectif : « [la prise de notes] est personnelle, il n'y a pas de méthode universelle » (p. 5). Une telle phrase (comme tout l'exposé) laisse croire que les notes de cours sont choses personnelles qui dépendent des caprices, des talents et des intérêts ou des connaissances de chacun. Rien n'est plus faux. De la sténographie personnelle et des abréviations à la mise en place des informations notées, il y a en effet plusieurs techniques (dont il n'est évidemment pas dit un seul mot dans cette page sublime), tandis que le résultat est de l'ordre du procès-verbal. La prise de notes d'un cours se fait nécessairement en trois opérations (implicites ou explicites : notation, révisions et rédaction, car une bonne notation a été assez bien révisée au point où elle pourrait être rédigée n'importe quand, sur demande), dont le produit n'a absolument rien de personnel. Le Cours de linguistique générale de Ferdinand de Saussure nous est aujourd'hui connu par les notes de cours de Charles Bally et d'Albert Sechehaye. Ce n'est évidemment pas ce que risque de faire comprendre le discours moralisateur du guide. Il représente, bien au contraire, tristement inconsciente, la négation de l'enseignement. Le bon sens le plus élémentaire dit qu'on ne saurait guider personne sur des questions méthodologiques et pragmatiques qu'on n'a jamais eu l'occasion d'étudier. On ne s'improvise pas « guide » dans quelque domaine que ce soit, sans risquer de tenir des discours de prêcheurs, inutiles, dommageables. Quelle tristesse.

On le verra encore mieux en comparant mon guide raisonné sur la présentation matérielle des manuscrits, résultat de recherches et d'enseignements, avec les diktats moralisateurs injustifiés de ce prétendu « guide » pratique.

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