MM 1.3 (octobre 2003)
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Supplément (2)

La brochure estampillée « Descartes »

Suite

Le sermon sur le manuscrit moderne

Pourquoi, en effet, remplacer un exposé systématique, le mien, par un petit sommaire inutilisable d'une quinzaine de pages sur la « présentation matérielle des travaux » ? Bien entendu, c'est désolant pour moi qui ai précisément rédigé et publié pour nos étudiants de première année mon Manuscrit moderne, mais il faut objectivement poser la question complémentaire : à quoi peut bien servir un méli-mélo de consignes injustifiées prises un peu partout et lancé ex cathedra, dont le caractère sommaire le rend, par définition, inutilisable ? À quoi cela rime-t-il ? Comme on va vite le voir, il s'agit tout simplement du quatrième et dernier volet de la rhétorique missionnaire déployant le moralisme didactique qu'on a vu à l'oeuvre jusqu'ici. Snobisme et strabisme sont la clé d'un exposé tout simplement incompétent. Car, évidemment, je ne doute pas que Jacques Audet et Roxanne Roy puissent un jour produire un meilleur travail que le mien (c'est le progrès scientifique), mais d'ici là je ne vois pas bien ce qui les autorisent à me corriger péremptoirement, sans justifications explicites. Autrement, bien sûr, on dit n'importe quoi comme n'importe qui, ce qui ne devrait jamais être permis à des universitaires.

« La présentation d'un travail doit être soignée, sobre, propre et aérée (interlignes, marges et espaces suffisants entre les paragraphes) » (p. 52). Ainsi s'ouvre dans la perspective angélique et toujours moralisatrice un exposé dont le résultat doit manifester le « sérieux de l'étudiant » ! Rien de plus symptomatique de la visée des auteurs, fort sérieux en effet... Voici donc le sermon sur la montagne prenant pour objet la présentation matérielle des travaux. Et voilà qui risque d'être assez contradictoire. En effet. Premier objectif, attester le « sérieux de l'étudiant » (p. 52) et première méthode, présentation « aérée ». J'imagine qu'un étudiant de première année n'y verra que du feu, mais une entrée en matière aussi glauque est propre à l'initiation d'un étudiant de l'« Université de montréal ». S'il réussit à sortir vivant de l'aquarium, ce sera ou un snob (ce qui est probable) ou un génie (souhaitons-le). Voyons cela en suivant l'ordre du Manuscrit moderne, celui de la logique du guide raisonné, sur tous les points où le guide irraisonné le contredit, c'est-à-dire partout. Car voilà évidemment une bonne occasion de profiter de la mise à l'épreuve.

« 2.2.1 »   Le choix du caractère typographique

« Les caractères Times New Roman d'une taille de 12 points, le (sic) Arial de 11 points et le Bookman Old Style de taille 11 point permettent une présentation lisible et sobre » (p. 53).

Présentation « aérée », en effet ! Une telle consigne n'a aucun sens parce qu'il ne s'agit pas de produire, à l'université, une présentation « lisible et sobre ». Dans le cas d'un travail qui constitue un exercice universitaire, le premier objectif du choix du caractère est d'uniformiser la longueur des textes (notamment pour un groupe d'étudiants comme une classe), ce qui ne peut se faire sans la détermination préalable des marges et le choix conséquent d'une police à chasse fixe comme le Courrier et ses équivalents (Sans sérif, Monaco, Ibm, etc.) qui produiront automatiquement un nombre donné de caractères par ligne (80 dans le cas du Courrier et ses équivalents en 10 points, qui est la norme donnée et justifiée du Manuscrit moderne).

Évidemment, dans le cas des mémoires et des thèses, la question ne se pose pas, puisque le travail s'évaluera en nombre de mots à plusieurs dizaines de pages près (qu'un mémoire ait 130 ou 150 pages, qu'un doctorat ait 250 ou 300 pages, cela ne porte pas à conséquence, sauf si la longueur est due au Times ou à l'Arial et autres caractères choisis en 14 points !). Mais tel n'est pas le cas d'un travail réalisé par un groupe d'étudiants de baccalauréat où le professeur et ses correcteurs n'ont manifestement pas le loisir d'apprécier subjectivement sa longueur.

Or, voilà précisément une belle occasion d'annuler complètement cet artifice typographique pour faire comprendre l'importance du dépouillement dans la présentation du manuscrit moderne : ce n'est pas parce que nos ordinateurs peuvent réaliser facilement les formes de l'IMPRIMÉ qu'on doive les utiliser dans la production du MANUSCRIT. Bien au contraire. Il y a une ascèse obligée du manuscrit moderne dont le résultat est de toute beauté, contrairement aux pimpantes variétés typographiques du Times New Roman, de l'Arial, du Bookman Old Style et autres jupettes et pantalonnades typographiques.

Bref, la consigne est simple : il faut adopter le Courrier en 10 points ou tout caractère équivalent, de chasse fixe.

« 2.2.2 »    Les marges, la justification

Les marges du manuscrit sont de 2 et 2,5 cm (pour la droite et le bas, puis la gauche et le haut de la page, respectivement), pour les raisons expliquées dans le Manuscrit moderne. Ces consignes justifiées correspondent à la réalisation éprouvée de la machine à écrire, avec le Courrier en 10 points, donnant 80 caractères par ligne.

À partir du moment où l'on propose comme Jacques Audet et Roxanne Roy des marges d'un pouce et un pouce et demi (!), avec les caractères Times, Arial et autres (caractères qui ne sont pas de chasse fixe), il faut nécessairement exiger que le texte soit à simple interligne et sur deux ou trois colonnes ! C'est évidemment beaucoup plus efficace pour la lecture rapide, cela ne fait absolument aucun doute. En revanche, si le texte n'est pas divisé en colonnes, comme l'explique le Manuscrit moderne, on produit une aberration. Plus de 80 caractères par ligne, cela multiplie les points de sauts oculaires et ralentit d'autant la lecture. C'est toute la différence entre le journal quotidien et le rapport de recherche.

La justification, maintenant. Jacques Audet et Roxanne Roy veulent être pris très au sérieux : « il est conseillé, disent-ils, aux étudiants qui travaillent avec un traitement de texte de justifier le corps du travail (comme le présent document) » (p. 54). Faut-il justifier ou non son travail, c'est-à-dire aligner ses lignes sur la marge de droite ? Comme j'ai expliqué que je ne saurais conseiller ni l'une ni l'autre des deux options et expliqué au contraire les avantages ou le sens des deux possibilités, je me demande bien qui conseille quoi ici. En revanche, si le corps du texte est justifié, alors tout le texte doit l'être (notes et apparat), et inversement.

Cela dit, comme j'ai précisé qu'un texte justifié paraîtra plus classique, emportant l'autorité de l'« imprimé », il n'est pas surprenant que nos auteurs trouvent cela bien plus approprié.

« 2.2.3 »   Les types et les corps de caractères

Règles de dactylographie : espacement. « Le point- virgule [...] (est) précédé d'une [sic] espace insécable et suivi d'une [sic] espace » (p. 53-54). Je ne connais aucune méthode de dactylographie qui propose un tel traitement du point-virgule.

Cela se trouve souvent en typographie, il est vrai (où le traitement des espaces n'est pas le même qu'en dactylographie). La virgule, le point-virgule et le point sont trois signes de ponctuation équivalents, de force progressive, qui se traitent évidemment de la même façon. Le cas des deux-points (qui peut, lui, être précédé d'un espace) est particulier, entre les signes de ponctuation logique et les ponctuations expressives, qui sont précédées d'un espace et suivi de deux, si elles terminent la phrase (car dans le cours de la phrase, la ponctuation expressive n'est suivie que d'un seul espace).

Pourquoi faudrait-il que les citations et les notes viennent dans un corps plus petit que le texte ? (p. 55 et 56). C'est évidemment une habitude courante de typographie, parmi biens d'autres artifices de composition. Mais pourquoi en faire une règle du manuscrit moderne ? Puisque les consignes sont déjà nombreuses, il me semble qu'il faut s'en tenir à l'essentiel et surtout à des règles justifiées. La variation du corps de caractère dans un travail est de l'ordre de l'esthétique typographique et n'a rien à faire dans un protocole de présentation des manuscrits. -- Certes, on peut bien se permettre de faire tout ce qui n'est pas « interdit » par la codification raisonnée du manuscrit moderne (c'est-à-dire toutes les règles imposées ici), et en particulier les fantaisies de son logiciel de traitement de texte. On fait simplement la preuve qu'on n'a pas compris la différence entre les règles de dactylographie d'un manuscrit et les choix typographiques de l'imprimé. On n'a pas compris mon cours, on a mal lu le Manuscrit moderne.

À remarquer, enfin, que nos auteurs font un usage abusif du souligné tout au long de leur brochure. Cela tient à ce qu'ils en font un équivalent du caractère gras, de sorte qu'on le retrouve ici et là dans les sous-titres : « le caractère gras (ou souligné) est réservé aux titres et sous-titres du travail... » (p. 53). C'est tout à fait inexact, comme on le verra dans n'importe quel traité de dactylographie et dans le traitement de n'importe quel manuscrit moderne : le souligné est au contraire le strict équivalent de l'italique et on n'utilise jamais les deux dans un manuscrit. Mais cela se produit parfois en typographie, malheureusement, puisque c'est presque toujours une faute de goût.

Corrigeons pour finir l'arithmétique du tiret qui vaut deux (et non trois, p. 64) traits d'union en dactylographie.

« 2.2.4 »   Interlignes

« Entre les paragraphes [= alinéas], il y a un interligne double, et un interligne triple entre les différentes parties du travail » (p. 53). Évidemment, ce n'est pas clair, parce que si l'on écrit ou dactylographie à simple ou à double interligne, on ne peut compter que des lignes (et non des « interlignes ». On croit comprendre toutefois qu'il est proposé d'ajouter une ligne blanche entre les alinéas et deux entre les paragraphes.

Pourquoi cette consigne de Jacques Audet et Roxanne Roy ? -- Pour faire « aéré » et avoir l'air « sérieux » ! On fera en effet plus long.

On laisse un retrait de six frappes en tête de chaque alinéa précisément pour économiser la ligne blanche inutile (celle qui ajoute de l'espace dans les travaux des collégiens pour faire plus long). Si on ajoute une ligne blanche entre l'introduction et le développement et chacune des deux ou trois parties de celui-ci, ce qui n'est pas à conseiller, c'est pour permettre au lecteur de les mesurer avant sa lecture. Dans les rapports de recherche destinés à la lecture (comme c'est le cas des dissertations), et non à la consultation, on n'a nullement besoin de cette indication typographique.

« 2.2.5 »    L'en-tête ou la page de titre

Voici un guide qui s'adresse à des étudiants de première année de baccalauréat dont la majorité des travaux auront moins de dix pages et ne devraient donc pas avoir de page de titre, mais un simple en-tête. Aucun mot à ce sujet dans notre guide irraisonné. Il est donc probable que nos étudiants se comportent toujours comme des collégiens, ajoutant une solennelle page de titre à un texte d'une demi-page !

Bref, pas un mot sur l'en-tête.

En revanche, la page de titre du travail deviendra pour ces pauvres étudiants une « page de couverture ». Cela est assez attendu d'auteurs incapables de produire correctement la page de titre de leur brochure et qui la remplacent par sa première de couverture !

Or, la « page de couverture » qu'ils proposent est d'une assez évidente laideur, non seulement affligeante du point de vue esthétique, mais désolante du point de vue humain. Dorénavant, nos étudiants de première année seraient astreints à déclarer leurs travaux de recherche par le titre du travail (comme le fera évidemment un fonctionnaire), avec la préposition « par », suivi de l'identification administrative et matriculaire appropriée, sans compter que leur travaux doivent être déclarés de « madame » ou de « monsieur » leur professeur en plein milieu de la page (plus béni-oui-oui que ça, c'est benêt !) -- je me demande pourquoi Jacques Audet et Roxanne Roy n'exigent pas aussi que l'on ajoute le rang du professeur (chargé de cours, adjoint, agrégé ou titulaire) et que le tout, trônant au milieu de la « page de couverture », ne soit en gras, en majuscules et en souligné. Je trouverais cela encore plus beau, chic, et un brin snob qui ne serait pas pour déplaire pas à nos auteurs... Et tout en bas de la page, il faut mettre sur deux lignes le lieu et la date de remise. J'ai vraiment hâte de voir comment des étudiants de première année de baccalauréat traduiront le « lieu de remise ». Montréal ? Université de Montréal ? Département des études françaises de l'Université de Montréal ? Pavillon Lionel-Groulx, 3200 rue Jean-Brillant, salle C- 432 ! Dans la logique du snobisme de l'espace (devenant masculin), je proposerais d'y aller franchement avec les coordonnées de la montagne : 45,33 degrés nord par 73,33 ouest, 243 mètres au-dessus du niveau de la mer. Abrégé : le flanc nord du Mont-Royal.

Reportez-vous à la page 52 du guide irraisonné pour apprécier la glauque laideur de cette « page de couverture », surtout en comparaison de la page de titre d'une remarquable beauté et d'une implacable logique du Manuscrit moderne. Pourquoi donc Jacques Audet et Roxanne Roy ont-ils tenu à me corriger sur ce point ?

Peut-être parce qu'ils raisonnent « collège » et « administration ». Pourquoi faut-il que le programme d'étude et le numéro matricule de l'étudiant figurent sur la page de titre de son travail ? Si l'on se trouve dans une usine d'enseignement collégial ou dans le bureau d'un administrateur d'université, il est probable qu'on ne soit pas trop surpris de l'incongruité. En revanche, un universitaire, un professeur d'études littéraires devrait pouvoir expliquer que les auteurs n'inscrivent jamais leur numéro d'assurance sociale sur la page couverture de leurs livres. Qu'on puisse demander à des étudiants universitaires de le faire (autrement qu'en situation exceptionnelle d'« examen ») est plus qu'incongru : c'est insultant. Le nom qui doit figurer en tête et en haut de la page de titre d'un travail de recherche à l'Université, c'est le nom d'un auteur. C'est même le nom d'une personne humaine. L'« identification » administrative en tête d'un travail intellectuel a quelque chose d'immoral.

Si les administrations l'exigent, alors l'indication du numéro matricule de l'étudiant, comme l'ISBN des livres, viendra isolée au verso de la page de titre, tout en bas, sur une « page » qui ne sera donc même pas comptée, tant la chose ne saurait faire partie d'un travail intellectuel.

« 2.2.6 »   La pagination

J'ai expliqué et justifié précisément pourquoi il fallait paginer le travail en haut de la page, au centre. Nos auteurs, laxistes ou libertaires, affirment sans explication ni justification : « La pagination peut se faire en haut à droite, en bas au centre ou à droite... » (p. 55).

Plus extraordinaire encore : « La page de couverture [sic], la table des matières, les annexes, l'index et la bibliographie sont numérotés en chiffres romains ». Comme consigne pour des étudiants de première année de baccalauréat, on aura déjà vu plus pertinent et réaliste (ou moins snobinard). Si l'on comprend bien, nos étudiants doivent mettre quelque part sur leur « page de couverture » le chiffre romain I. Avec le code permanent, le numéro d'assurance social et bientôt le chiffre de son programme d'étude, voilà une page entièrement soumise à l'arithmétique. Un petit code à barres avec cela ? On attend donc non seulement une « table des matières » pour les travaux de première année, mais également un index !

Cette consigne loufoque qui contredit absolument la règle élémentaire du Manuscrit moderne est irrecevable : tout le manuscrit doit très simplement être numéroté en chiffres arabes, du début à la fin, à partir de la troisième page dans le cas des travaux comportant une page de titre, qui est la première page (ou à partir de la seconde dans le cas du petit travail ne comprenant qu'un en-tête en première page). Il faut expliquer pourquoi on ne fait pas l'inverse. C'est fort simple. La pagination en chiffre romain qui complète la pagination du corps du travail en chiffre arabe vient tout simplement de la composition des vieilles presses au plomb, où la mise en page se faisait sur le marbre. Très souvent, c'est pendant que l'ouvrage s'imprimait que l'auteur écrivait sa préface ou son introduction qui étaient donc paginées ensuite à part, avec la page de titre. Il en va de même des index et appendices qu'on imprimait au fur et à mesure de la progression du travail (dans des cahiers signés en lettres grecques et qui souvent n'étaient même pas paginés). Depuis l'invention des photocomposeuses et surtout de nos traitements de texte, ces aléas sont évidemment disparus. Heureusement, le manuscrit moderne est soumis à une pagination uniforme et systématique, une seule, de la page de titre à la table des matières.

Évidemment, des bouts de travaux paginés en chiffres romains, voilà qui fait vraiment « sérieux », ma chère. Dès notre première année à l'Université de Montréal, en études littéraires, de belles espaces, de beaux index... Le sermon, on le voit, continue.

En tout cas, je me demande si les étudiants de l'Université du Québec à Montréal mettent une table des matières à leurs travaux de première année de quelques six ou sept pages... Quand un rapport de recherche fait 25, 50 ou 100 pages, on peut se demander sérieusement s'il faut mettre la table au début ou à la fin, parler aussi des annexes et des index. Nos auteurs, qui ne reculent devant rien, en font une note à l'édification de nos étudiants de première année ! « La place de la table des matières peut varier selon le modèle choisi. Le modèle américain [sic = étatsunien]... », etc. (p. 55, n. 23). Je suis mort de rire, évidemment, mais je suis certain que voilà un bon moyen de stresser à mauvais escient (si ce n'est pas fait pour !) notre étudiant de baccalauréat qui achève la mise au point de sa dissertation de six ou sept pages. -- « Page de couverture », au début, en chiffre romain, I. « Table des matières », pour huit pages !, mettons à la fin. Elle fera pas quatre pages. Mettons une. En chiffre romain. Page I ou II ? Ah ! c'est vrai, l'index doit venir avant... L'index, l'index...

Finalement, le Manuscrit moderne, c'est peut-être du pinaillage, mais c'est pas mal moins stressant !

« 3.3.2 »   La note

Notre guide de première année donne le choix de placer les notes en bas de page (ce qui serait « préférable ») ou à la fin du travail et joue du corps de caractère. Je ne comprends pas, car rien de cela n'est évidemment justifié.

Le Manuscrit moderne explique précisément pourquoi les notes doivent venir impérativement en bas de page et non en fin de texte (sauf dans le cas du manuscrit envoyé à l'imprimerie pour y être recomposé). La note infrapaginale est particulièrement essentielle dans le cas des références en études littéraires où le lecteur doit l'avoir immédiatement sous les yeux.

Pas de lignes blanche entre les notes qui doivent venir dans le même caractère et dans le même corps que le texte. Si l'on économise la ligne blanche entre les alinéas grâce au retrait, on fait de même entre les notes grâce à l'appel de note en retrait. C'est la loi de la plus grande simplicité possible, ainsi que l'explique clairement le Manuscrit moderne.

« 2.3.3 »   La référence bibliographique
et « 2.3.5 »   les systèmes de renvois

Jacques Audet et Roxanne Roy ne sont pas trop forts en pédagogie. Ils exposent en effet pas moins de quatre modèles de références bibliographiques, mais n'ont pas la présence d'esprit de conserver les mêmes exemples d'un modèle à l'autre. Cela dit, ils inventent purement et simplement les catégories de « modèle traditionnel » et de « modèle européen », celui évidemment « qui est recommandé par le Département d'études françaises » (p. 59, n. 26). L'Europe, c'est grand, très grand, mes chers amis... Sans compter que voilà l'invention d'un « modèle anglo-saxon », et même le « modèle américain [sic] du MLA »... (p. 58-64).

J'ai expliqué au contraire que les diverses formes de références bibliographiques ne dépendent pas à proprement parler des langues, des pays ou des cultures, mais bien plutôt des domaines scientifiques. Certes, la Modern Language Association a réussi à imposer à ses membres son MLA Handbook largement adopté dans les universités étatsuniennes, mais il faut savoir que ce protocole n'est pas accepté généralement au Canada anglais par exemple et à peu près jamais au Royaume-Uni. Pourquoi ? Parce qu'il n'est pas approprié à la finalité des études littéraires, privilégiant le système de renvoi à la bibliographie ! Bien au contraire, dans les études de lettres, il est impérieux de connaître précisément dès leur première apparition les références exactes aux textes et à leurs éditions. Voilà pourquoi on doit privilégier un système qui n'a absolument rien d'européen, sinon qu'il s'est élaboré, en Occident, dans les travaux de lettres au cours du XIXe siècle, pour s'imposer tout au long du siècle dernier (avec sa petite série d'abréviations latines qu'on peut aisément traduire en français). Et il en va de même des adresses bibliographiques.

Alors que mon guide raisonné est clair et succinct sur ces questions, je ne pense pas qu'un étudiant s'y retrouve facilement dans le méli-mélo des prétendus « modèles » de Jacques Audet et Roxanne Roy.

En revanche, on reconnaîtra immédiatement leurs utilisateurs à leur snobisme : « Livres anciens : leur notice bibliographique doit préciser le format du livre (sa pliure) : in-plano [les placards ne forment pourtant pas souvent des livres !...], in- folio, in-4o, in-8o, in-12o, in-16o, in-32o, ainsi que le nombre de pages » (p. 64, l'in-12o et la suite n'ayant pas leur dernière voyelle d'abréviation). C'est le sexe des anges, le genre de l'espace et les formes d'impositions qu'il est fort impressionnant de voir évoquer dans un protocole de règles bibliographiques. Surtout si l'exemple est l'in-12o d'Antoine de Courtin, son fameux Dom Juan d'Autriche... La consigne est encore un mot d'ordre digne des Précieuses ridicules de Molière et il y a bien des raisons de s'en amuser. Qu'est-ce donc qu'un « livre ancien » ? Les bibliographies (des dissertations de première année !) feront donc deux catégories de livres ? Et pourquoi faudrait-il donner le nombre de pages de l'« in-duocimo » de ce cher Antoine de Courtin, mais pas des ouvrages modernes ? Pas des ouvrages modernes ?! Réponse : pour un ouvrage moderne, c'est trop facile, voyons ! Ce sont les choses compliquées qui font la preuve du « sérieux de l'étudiant ».

Ah! ces snobs, toujours le mot pour la complexité, sans complexe.

« 2.3.4 »   La transcription des titres

Si nos auteurs ne disent jamais un mot de la transcription des titres d'ouvrage, ils n'appliquent pas les règles de distribution des majuscules très généralement utilisées en français, de sorte que ce guide est de lui-même un mauvais exemple pour nos étudiants sur ce point.

Par contre, il faut dire que l'usage du guide est fort simple : le premier mot du titre d'ouvrage prend la majuscule, quel qu'il soit, mais aucun autre, sauf les noms propres (comme on le fait pour les titres des articles et parties de livre entre guillemets et par conséquent toujours isolés des textes qui les portent). Ce qui donne Les nouveaux désordres de l'amour ou le Grand dictionnaire encyclopédique Larousse (p. 63), et non les Nouveaux Désordres de l'amour et le Grand Dictionnaire encyclopédique Larousse. Cette belle simplicité serait appropriée pour des collégiens du secondaire, mais nos étudiants d'université ne la verront jamais appliquée nulle part (pour les raisons qu'explique précisément le Manuscrit moderne), de sorte que le guide de Jacques Audet et Roxanne Roy sera de lui-même une très remarquable curiosité qui risque bien d'être devenue pour ses utilisateurs une fort mauvaise habitude.

Comme on le voit sur ce point, ce guide n'est pas moins dommageable par son enseignement que par son exemple.

Le guide qui vous perd

En effet, les Travaux en études littéraires : guide pratique de l'étudiant est un ouvrage qui ne devrait tout simplement pas exister.

Comment peut-on proposer un « guide » dont les conseils sont systématiquement mauvais ? Qui peut conduire des étudiants de première année de baccalauréat sans pouvoir justifier les moyens d'atteindre des objectifs eux-mêmes justifiés ? Mais, dira-t-on, « cette brochure n'entend nullement se substituer aux divers ouvrages et guides méthodologiques qu'on trouve en bibliographie » (p. 3); on n'y trouve que des « informations de base »; sans compter que ces informations « seront complétées en classe par les professeurs ». Non, c'est faux et ce sont de fausses prétentions, car il s'agit objectivement d'une très inconsciente entreprise de désinformation.

On l'a vu pour l'exposé sur la prise de notes en classe, on le voit encore pour les règles de présentation matérielle des travaux écrits. Lorsqu'on tient un discours non approprié, alors qu'on est en situation d'autorité, on se place en conflit idéologique évident, surtout s'il s'agit d'une chaîne d'irresponsabilités et d'incompétences, car aucune « majorité », celle d'un groupe de professeurs par exemple, ne saurait contrevenir aux principes élémentaires de la responsabilité intellectuelle qui est par définition nominale : le Département des études françaises de l'Université de Montréal ne saurait être responsable des idées de Jacques Audet et Roxanne Roy, ni de celles d'aucun de ses professeurs d'ailleurs. On ne saurait tenir un discours moralisateur en distribuant des conseils tout à fait inappropriés pour les présenter comme des « notions de base » que d'autres seront chargés de « compléter », puisque la conclusion qui s'impose ici est tout bonnement que ces notions sont fausses, inexactes ou inutiles et qu'elles ne doivent pas être complétées, mais bien dénoncées, contredites ou corrigées comme je viens précisément de le faire. Mais pour tous les utilisateurs de ce guide, le mal sera déjà fait.

Cela dit, nos étudiants sont majeurs. Mais peut-être pas encore vaccinés. Toutefois, ils devraient pouvoir survivre à ce mauvais coup pédagogique et méthodologique, car ils en recevront bien d'autres. Mais le plus amusant est que la désinformation leur vienne précisément du département où ils sont inscrits. Car au-delà du snobisme et du strabisme, cet ouvrage sur les Travaux en études littéraires se présentant comme un Guide pratique de l'étudiant correspond précisément à une demande de nombreux étudiants, de sorte que plusieurs d'entre eux ont bien ce qu'ils demandent et méritent, une injection d'antibiotique méthodologique.

Car voilà bien l'ultime conclusion du « plan syllogistique » que j'achève de développer ici. Nos étudiants mettent plus d'un trimestre, plus d'une année et parfois les trois ans de baccalauréat pour comprendre que le savoir ne s'achète pas. Il faut leur expliquer souvent et longuement que le « guide pratique » qu'ils souhaitent de tous leurs voeux n'existe pas. Bien entendu, il est naturel qu'un collégien qui arrive à l'université se croit quelque temps dans un « gros collège » où on en aura enfin pour son argent. Ce n'est pas qu'il veut la vie facile, c'est tout simplement qu'il veut savoir sans apprendre. Savoir sans comprendre, réussir sans travailler, c'est vouloir obtenir tout cuit dans le bec. Où donc prendra-t-il le « guide pratique » (le plus petit et commode possible, évidemment) où se trouve bien expliqué tout ce que l'on doit SAVOIR ? La présentation matérielle d'un travail, les règles simples, précises et succinctes permettant de faire très facilement et rapidement des travaux complexes, substantiels et très longs comme en font les universitaires, le tour de main afin de prendre en notes en un tournemain les cours les plus difficiles et même les plus obscurs ! -- et surtout la présentation complète des champs et méthodes qu'ont l'air de connaître tous ceux qui se sont « payés des cours universitaires » dans le domaine des lettres, la stylistique et la grammaire, la thématique et la psychosomatique, l'esthétique, l'herméneutique, la sociocritique, la psychanalyse de l'inconscient des textes, la psychocritique, le dialogisme, la pragmatique, le structuralisme, l'esthétique de la réception, la narratologie (la science qui dépasse d'un suffixe les études narratives), le formalisme et le structuralisme, le féminisme et l'homosexualisme du texte, la CGMM et la brouillonnologie, la critique des sources, la sémiologie, le déconstructionnisme, l'impact de la culture de la betterave sur la poésie moderne par le recyclage (ne pas oublier d'ajouter la théorie du recyclage) de ses déchets dans la fabrication du papier où s'étale souvent le langage poétique, le recyclage, la critique de l'imaginaire, les formalistes russes, la bonne vieille Nouvelle Bibliographie anglo-saxonne, la critique psychanalytique (déjà nommée ? mais non, c'est l'autre, la critique psychanalytique après l'enterrement de Freud, la psychanalyse non freudienne des textes).

Au moment de réaliser votre travail de première année, comment faire ? Eh bien ! c'est simple. « Concept clés et notions de base » (p. 9-14), car cela se trouve très naturellement dans les dictionnaires ! puis, « Théories et méthodes critiques », en trois pages (p. 14-17) et vingt livres parmi lesquels ne se trouve pas mon Petit Manuel des études littéraires, comme je suis bien aise de le répéter. Un peu plus et on produisait un guide pratique de l'étudiant d'une vingtaine de pages (« plan inventaire », évidemment), comme si le savoir littéraire, la culture et la pratique des oeuvres, l'étude des sciences et des méthodes de l'étude littéraire pouvaient correspondre à un simple savoir, comme si deux étudiants de doctorat pouvaient en dresser les listes et les bibliographies qu'il suffirait de mettre dans un cahier, à la portée de tous : entreprise désastreuse que dénonce justement mon Petit Manuel « pour une science générale de la littérature ».

Bien au contraire, le plaisir consiste ici à savoir apprendre (pour comprendre). Le Manuscrit moderne est un exposé de niveau universitaire sur la présentation matérielle des travaux écrits. Y substituer, pour quelque raison que ce soit, un protocole prétendant répondre aux « attentes » des étudiants qui voudraient se faire inoculer le savoir à haute dose de guide pratique, c'est criminel. Il n'y a pas de méthodes universitaires comme il y a des méthodes de dactylographie ou de solfège. Même dans le cas le plus propice, celui de la présentation matérielle des travaux écrits, il faut se refuser à proposer aux étudiants un succédané vitaminé et avoir le courage de les inciter à lire le Manuscrit moderne. Lire. Ce sera un effort, peut-être, mais il ne sera pas inutile, comme ce cahier de vitamines méthodologiques produit en pure perte et comiquement estampillé « Descartes » en page couverture.

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