La brochure estampillée « Descartes »
Suite
Pourquoi, en effet, remplacer un exposé systématique, le mien,
par un petit sommaire inutilisable d'une quinzaine de pages sur la
« présentation matérielle des travaux » ?
Bien entendu, c'est désolant pour moi qui ai précisément
rédigé et publié pour nos étudiants de première
année mon Manuscrit moderne, mais il faut objectivement poser la
question complémentaire : à quoi peut bien servir un
méli-mélo de consignes injustifiées prises un peu partout et
lancé ex cathedra, dont le caractère sommaire le rend, par
définition, inutilisable ? À quoi cela rime-t-il ? Comme
on va vite le voir, il s'agit tout simplement du quatrième et dernier volet
de la rhétorique missionnaire déployant le moralisme didactique qu'on
a vu à l'oeuvre jusqu'ici. Snobisme et strabisme sont la clé d'un
exposé tout simplement incompétent. Car, évidemment, je ne
doute pas que Jacques Audet et Roxanne Roy puissent un jour produire un meilleur
travail que le mien (c'est le progrès scientifique), mais d'ici là
je ne vois pas bien ce qui les autorisent à me corriger
péremptoirement, sans justifications explicites. Autrement, bien sûr,
on dit n'importe quoi comme n'importe qui, ce qui ne devrait jamais être
permis à des universitaires.
« La présentation d'un travail doit être
soignée, sobre, propre et aérée (interlignes, marges et
espaces suffisants entre les paragraphes) » (p. 52). Ainsi s'ouvre
dans la perspective angélique et toujours moralisatrice un exposé
dont le résultat doit manifester le « sérieux de
l'étudiant » ! Rien de plus symptomatique de la visée
des auteurs, fort sérieux en effet... Voici donc le sermon sur la montagne
prenant pour objet la présentation matérielle des travaux. Et
voilà qui risque d'être assez contradictoire. En effet. Premier
objectif, attester le « sérieux de l'étudiant »
(p. 52) et première méthode, présentation
« aérée ». J'imagine qu'un étudiant de
première année n'y verra que du feu, mais une entrée en
matière aussi glauque est propre à l'initiation d'un étudiant
de l'« Université de montréal ». S'il
réussit à sortir vivant de l'aquarium, ce sera ou un snob (ce qui est
probable) ou un génie (souhaitons-le). Voyons cela en suivant l'ordre du
Manuscrit moderne, celui de la logique du guide raisonné, sur tous
les points où le guide irraisonné le contredit, c'est-à-dire
partout. Car voilà évidemment une bonne occasion de profiter de la
mise à l'épreuve.
« 2.2.1 » Le choix
du caractère typographique
« Les caractères Times New Roman d'une taille de 12 points,
le (sic) Arial de 11 points et le Bookman Old Style de taille 11 point
permettent une présentation lisible et sobre » (p. 53).
Présentation « aérée », en
effet ! Une telle consigne n'a aucun sens parce qu'il ne s'agit pas de
produire, à l'université, une présentation « lisible
et sobre ». Dans le cas d'un travail qui constitue un exercice
universitaire, le premier objectif du choix du caractère est d'uniformiser
la longueur des textes (notamment pour un groupe d'étudiants comme une
classe), ce qui ne peut se faire sans la détermination préalable des
marges et le choix conséquent d'une police à chasse fixe comme le
Courrier et ses équivalents (Sans sérif, Monaco, Ibm, etc.) qui
produiront automatiquement un nombre donné de caractères par ligne
(80 dans le cas du Courrier et ses équivalents en 10 points, qui est la
norme donnée et justifiée du Manuscrit moderne).
Évidemment, dans le cas des mémoires et des thèses, la
question ne se pose pas, puisque le travail s'évaluera en nombre de mots
à plusieurs dizaines de pages près (qu'un mémoire ait 130 ou
150 pages, qu'un doctorat ait 250 ou 300 pages, cela ne porte pas à
conséquence, sauf si la longueur est due au Times ou à l'Arial et
autres caractères choisis en 14 points !). Mais tel n'est pas le cas
d'un travail réalisé par un groupe d'étudiants de
baccalauréat où le professeur et ses correcteurs n'ont manifestement
pas le loisir d'apprécier subjectivement sa longueur.
Or, voilà précisément une belle occasion
d'annuler complètement cet artifice typographique pour faire
comprendre l'importance du dépouillement dans la présentation du
manuscrit moderne : ce n'est pas parce que nos ordinateurs peuvent
réaliser facilement les formes de l'IMPRIMÉ qu'on doive les utiliser
dans la production du MANUSCRIT. Bien au contraire. Il y a une ascèse
obligée du manuscrit moderne dont le résultat est de toute
beauté, contrairement aux pimpantes variétés typographiques
du Times New Roman, de l'Arial, du Bookman Old Style et autres jupettes et
pantalonnades typographiques.
Bref, la consigne est simple : il faut adopter le Courrier en 10 points ou
tout caractère équivalent, de chasse fixe.
« 2.2.2 » Les
marges, la justification
Les marges du manuscrit sont de 2 et 2,5 cm (pour la droite et le bas, puis
la gauche et le haut de la page, respectivement), pour les raisons
expliquées dans le Manuscrit moderne. Ces consignes
justifiées correspondent à la réalisation
éprouvée de la machine à écrire, avec le Courrier en
10 points, donnant 80 caractères par ligne.
À partir du moment où l'on propose comme Jacques Audet et
Roxanne Roy des marges d'un pouce et un pouce et demi (!), avec les
caractères Times, Arial et autres (caractères qui ne sont pas de
chasse fixe), il faut nécessairement exiger que le texte soit à
simple interligne et sur deux ou trois colonnes ! C'est évidemment
beaucoup plus efficace pour la lecture rapide, cela ne fait absolument aucun doute.
En revanche, si le texte n'est pas divisé en colonnes, comme l'explique le
Manuscrit moderne, on produit une aberration. Plus de 80 caractères
par ligne, cela multiplie les points de sauts oculaires et ralentit d'autant la
lecture. C'est toute la différence entre le journal quotidien et le rapport
de recherche.
La justification, maintenant. Jacques Audet et Roxanne Roy veulent
être pris très au sérieux : « il est
conseillé, disent-ils, aux étudiants qui travaillent avec un
traitement de texte de justifier le corps du travail (comme le présent
document) » (p. 54). Faut-il justifier ou non son travail,
c'est-à-dire aligner ses lignes sur la marge de droite ? Comme j'ai
expliqué que je ne saurais conseiller ni l'une ni l'autre des deux options
et expliqué au contraire les avantages ou le sens des deux
possibilités, je me demande bien qui conseille quoi ici. En revanche, si
le corps du texte est justifié, alors tout le texte doit l'être (notes
et apparat), et inversement.
Cela dit, comme j'ai précisé qu'un texte justifié
paraîtra plus classique, emportant l'autorité de
l'« imprimé », il n'est pas surprenant que nos auteurs
trouvent cela bien plus approprié.
« 2.2.3 » Les types
et les corps de caractères
Règles de dactylographie : espacement. « Le point-
virgule [...] (est) précédé d'une [sic] espace
insécable et suivi d'une [sic] espace » (p. 53-54).
Je ne connais aucune méthode de dactylographie qui propose un tel traitement
du point-virgule.
Cela se trouve souvent en typographie, il est vrai (où le traitement
des espaces n'est pas le même qu'en dactylographie). La virgule, le
point-virgule et le point sont trois signes de ponctuation équivalents, de
force progressive, qui se traitent évidemment de la même façon.
Le cas des deux-points (qui peut, lui, être précédé d'un
espace) est particulier, entre les signes de ponctuation logique et les
ponctuations expressives, qui sont précédées d'un espace et
suivi de deux, si elles terminent la phrase (car dans le cours de la phrase, la
ponctuation expressive n'est suivie que d'un seul espace).
Pourquoi faudrait-il que les citations et les notes viennent dans un corps
plus petit que le texte ? (p. 55 et 56). C'est évidemment une
habitude courante de typographie, parmi biens d'autres artifices de composition.
Mais pourquoi en faire une règle du manuscrit moderne ? Puisque les
consignes sont déjà nombreuses, il me semble qu'il faut s'en tenir
à l'essentiel et surtout à des règles justifiées. La
variation du corps de caractère dans un travail est de l'ordre de
l'esthétique typographique et n'a rien à faire dans un protocole de
présentation des manuscrits. -- Certes, on peut bien se permettre de faire
tout ce qui n'est pas « interdit » par la codification
raisonnée du manuscrit moderne (c'est-à-dire toutes les règles
imposées ici), et en particulier les fantaisies de son logiciel de
traitement de texte. On fait simplement la preuve qu'on n'a pas compris la
différence entre les règles de dactylographie d'un manuscrit et les
choix typographiques de l'imprimé. On n'a pas compris mon cours, on a mal
lu le Manuscrit moderne.
À remarquer, enfin, que nos auteurs font un usage abusif du
souligné tout au long de leur brochure. Cela tient à ce qu'ils en
font un équivalent du caractère gras, de sorte qu'on le retrouve ici
et là dans les sous-titres : « le caractère gras (ou
souligné) est réservé aux titres et sous-titres du
travail... » (p. 53). C'est tout à fait inexact, comme on
le verra dans n'importe quel traité de dactylographie et dans le traitement
de n'importe quel manuscrit moderne : le souligné est au contraire le
strict équivalent de l'italique et on n'utilise jamais les deux dans un
manuscrit. Mais cela se produit parfois en typographie, malheureusement, puisque
c'est presque toujours une faute de goût.
Corrigeons pour finir l'arithmétique du tiret qui vaut deux (et non
trois, p. 64) traits d'union en dactylographie.
« Entre les paragraphes [= alinéas], il y a un
interligne double, et un interligne triple entre les différentes parties du
travail » (p. 53). Évidemment, ce n'est pas clair, parce que
si l'on écrit ou dactylographie à simple ou à double
interligne, on ne peut compter que des lignes (et non des
« interlignes ». On croit comprendre toutefois qu'il est
proposé d'ajouter une ligne blanche entre les alinéas et deux entre
les paragraphes.
Pourquoi cette consigne de Jacques Audet et Roxanne Roy ? -- Pour faire
« aéré » et avoir l'air
« sérieux » ! On fera en effet plus long.
On laisse un retrait de six frappes en tête de chaque alinéa
précisément pour économiser la ligne blanche inutile (celle
qui ajoute de l'espace dans les travaux des collégiens pour faire plus
long). Si on ajoute une ligne blanche entre l'introduction et le
développement et chacune des deux ou trois parties de celui-ci, ce qui
n'est pas à conseiller, c'est pour permettre au lecteur de les mesurer
avant sa lecture. Dans les rapports de recherche destinés à la
lecture (comme c'est le cas des dissertations), et non à la consultation,
on n'a nullement besoin de cette indication typographique.
« 2.2.5 »
L'en-tête ou la page de titre
Voici un guide qui s'adresse à des étudiants de première
année de baccalauréat dont la majorité des travaux auront
moins de dix pages et ne devraient donc pas avoir de page de titre, mais un simple
en-tête. Aucun mot à ce sujet dans notre guide irraisonné.
Il est donc probable que nos étudiants se comportent toujours comme des
collégiens, ajoutant une solennelle page de titre à un texte d'une
demi-page !
Bref, pas un mot sur l'en-tête.
En revanche, la page de titre du travail deviendra pour ces pauvres
étudiants une « page de couverture ». Cela est assez
attendu d'auteurs incapables de produire correctement la page de titre de leur
brochure et qui la remplacent par sa première de couverture !
Or, la « page de couverture » qu'ils proposent est d'une
assez évidente laideur, non seulement affligeante du point de vue
esthétique, mais désolante du point de vue humain.
Dorénavant, nos étudiants de première année seraient
astreints à déclarer leurs travaux de recherche par le titre du
travail (comme le fera évidemment un fonctionnaire), avec la
préposition « par », suivi de l'identification
administrative et matriculaire appropriée, sans compter que leur travaux
doivent être déclarés de « madame » ou de
« monsieur » leur professeur en plein milieu de la page (plus
béni-oui-oui que ça, c'est benêt !) -- je me demande
pourquoi Jacques Audet et Roxanne Roy n'exigent pas aussi que l'on ajoute le rang
du professeur (chargé de cours, adjoint, agrégé ou titulaire)
et que le tout, trônant au milieu de la « page de
couverture », ne soit en gras, en majuscules et en souligné. Je
trouverais cela encore plus beau, chic, et un brin snob qui ne serait pas pour
déplaire pas à nos auteurs... Et tout en bas de la page, il faut
mettre sur deux lignes le lieu et la date de remise. J'ai vraiment hâte de
voir comment des étudiants de première année de
baccalauréat traduiront le « lieu de remise ».
Montréal ? Université de Montréal ?
Département des études françaises de l'Université de
Montréal ? Pavillon Lionel-Groulx, 3200 rue Jean-Brillant, salle C-
432 ! Dans la logique du snobisme de l'espace (devenant masculin), je
proposerais d'y aller franchement avec les coordonnées de la montagne :
45,33 degrés nord par 73,33 ouest, 243 mètres au-dessus du niveau de
la mer. Abrégé : le flanc nord du Mont-Royal.
Reportez-vous à la page 52 du guide irraisonné pour
apprécier la glauque laideur de cette « page de
couverture », surtout en comparaison de la page de titre d'une
remarquable beauté et d'une implacable logique du Manuscrit moderne.
Pourquoi donc Jacques Audet et Roxanne Roy ont-ils tenu à me corriger sur
ce point ?
Peut-être parce qu'ils raisonnent
« collège » et « administration ».
Pourquoi faut-il que le programme d'étude et le numéro matricule de
l'étudiant figurent sur la page de titre de son travail ? Si l'on se
trouve dans une usine d'enseignement collégial ou dans le bureau d'un
administrateur d'université, il est probable qu'on ne soit pas trop surpris
de l'incongruité. En revanche, un universitaire, un professeur
d'études littéraires devrait pouvoir expliquer que les auteurs
n'inscrivent jamais leur numéro d'assurance sociale sur la page couverture
de leurs livres. Qu'on puisse demander à des étudiants
universitaires de le faire (autrement qu'en situation exceptionnelle
d'« examen ») est plus qu'incongru : c'est insultant.
Le nom qui doit figurer en tête et en haut de la page de titre d'un travail
de recherche à l'Université, c'est le nom d'un auteur. C'est
même le nom d'une personne humaine. L'« identification »
administrative en tête d'un travail intellectuel a quelque chose
d'immoral.
Si les administrations l'exigent, alors l'indication du numéro
matricule de l'étudiant, comme l'ISBN des livres, viendra isolée au
verso de la page de titre, tout en bas, sur une « page » qui
ne sera donc même pas comptée, tant la chose ne saurait faire partie
d'un travail intellectuel.
J'ai expliqué et justifié précisément pourquoi
il fallait paginer le travail en haut de la page, au centre. Nos auteurs, laxistes
ou libertaires, affirment sans explication ni justification : « La
pagination peut se faire en haut à droite, en bas au centre ou à
droite... » (p. 55).
Plus extraordinaire encore : « La page de couverture
[sic], la table des matières, les annexes, l'index et la
bibliographie sont numérotés en chiffres romains ». Comme
consigne pour des étudiants de première année de
baccalauréat, on aura déjà vu plus pertinent et
réaliste (ou moins snobinard). Si l'on comprend bien, nos étudiants
doivent mettre quelque part sur leur « page de couverture » le
chiffre romain I. Avec le code permanent, le numéro d'assurance social et
bientôt le chiffre de son programme d'étude, voilà une page
entièrement soumise à l'arithmétique. Un petit code à
barres avec cela ? On attend donc non seulement une « table des
matières » pour les travaux de première année, mais
également un index !
Cette consigne loufoque qui contredit absolument la règle
élémentaire du Manuscrit moderne est irrecevable : tout
le manuscrit doit très simplement être numéroté en
chiffres arabes, du début à la fin, à partir de la
troisième page dans le cas des travaux comportant une page de titre, qui est
la première page (ou à partir de la seconde dans le cas du petit
travail ne comprenant qu'un en-tête en première page). Il faut
expliquer pourquoi on ne fait pas l'inverse. C'est fort simple. La pagination en
chiffre romain qui complète la pagination du corps du travail en chiffre
arabe vient tout simplement de la composition des vieilles presses au plomb,
où la mise en page se faisait sur le marbre. Très souvent, c'est
pendant que l'ouvrage s'imprimait que l'auteur écrivait sa préface
ou son introduction qui étaient donc paginées ensuite à part,
avec la page de titre. Il en va de même des index et appendices qu'on
imprimait au fur et à mesure de la progression du travail (dans des cahiers
signés en lettres grecques et qui souvent n'étaient même pas
paginés). Depuis l'invention des photocomposeuses et surtout de nos
traitements de texte, ces aléas sont évidemment disparus.
Heureusement, le manuscrit moderne est soumis à une pagination uniforme et
systématique, une seule, de la page de titre à la table des
matières.
Évidemment, des bouts de travaux paginés en chiffres romains,
voilà qui fait vraiment « sérieux », ma
chère. Dès notre première année à
l'Université de Montréal, en études littéraires, de
belles espaces, de beaux index... Le sermon, on le voit, continue.
En tout cas, je me demande si les étudiants de l'Université du
Québec à Montréal mettent une table des matières
à leurs travaux de première année de quelques six ou sept
pages... Quand un rapport de recherche fait 25, 50 ou 100 pages, on peut se
demander sérieusement s'il faut mettre la table au début ou à
la fin, parler aussi des annexes et des index. Nos auteurs, qui ne reculent devant
rien, en font une note à l'édification de nos étudiants de
première année ! « La place de la table des
matières peut varier selon le modèle choisi. Le modèle
américain [sic = étatsunien]... », etc. (p. 55,
n. 23). Je suis mort de rire, évidemment, mais je suis certain que
voilà un bon moyen de stresser à mauvais escient (si ce n'est
pas fait pour !) notre étudiant de baccalauréat qui
achève la mise au point de sa dissertation de six ou sept pages. --
« Page de couverture », au début, en chiffre romain, I.
« Table des matières », pour huit pages !, mettons
à la fin. Elle fera pas quatre pages. Mettons une. En chiffre romain.
Page I ou II ? Ah ! c'est vrai, l'index doit venir avant... L'index,
l'index...
Finalement, le Manuscrit moderne, c'est peut-être du pinaillage,
mais c'est pas mal moins stressant !
Notre guide de première année donne le choix de placer les
notes en bas de page (ce qui serait
« préférable ») ou à la fin du travail et
joue du corps de caractère. Je ne comprends pas, car rien de cela n'est
évidemment justifié.
Le Manuscrit moderne explique précisément pourquoi les
notes doivent venir impérativement en bas de page et non en fin de texte
(sauf dans le cas du manuscrit envoyé à l'imprimerie pour y
être recomposé). La note infrapaginale est particulièrement
essentielle dans le cas des références en études
littéraires où le lecteur doit l'avoir immédiatement sous les
yeux.
Pas de lignes blanche entre les notes qui doivent venir dans le même
caractère et dans le même corps que le texte. Si l'on
économise la ligne blanche entre les alinéas grâce au retrait,
on fait de même entre les notes grâce à l'appel de note en
retrait. C'est la loi de la plus grande simplicité possible, ainsi que
l'explique clairement le Manuscrit moderne.
« 2.3.3 » La
référence bibliographique
et « 2.3.5 » les
systèmes de renvois
Jacques Audet et Roxanne Roy ne sont pas trop forts en pédagogie. Ils
exposent en effet pas moins de quatre modèles de références
bibliographiques, mais n'ont pas la présence d'esprit de conserver les
mêmes exemples d'un modèle à l'autre. Cela dit, ils inventent
purement et simplement les catégories de « modèle
traditionnel » et de « modèle
européen », celui évidemment « qui est
recommandé par le Département d'études
françaises » (p. 59, n. 26). L'Europe, c'est grand,
très grand, mes chers amis... Sans compter que voilà l'invention
d'un « modèle anglo-saxon », et même le
« modèle américain [sic] du MLA »...
(p. 58-64).
J'ai expliqué au contraire que les diverses formes de
références bibliographiques ne dépendent pas à
proprement parler des langues, des pays ou des cultures, mais bien plutôt des
domaines scientifiques. Certes, la Modern Language Association a réussi
à imposer à ses membres son MLA Handbook largement
adopté dans les universités étatsuniennes, mais il faut savoir
que ce protocole n'est pas accepté généralement au Canada
anglais par exemple et à peu près jamais au Royaume-Uni.
Pourquoi ? Parce qu'il n'est pas approprié à la finalité
des études littéraires, privilégiant le système de
renvoi à la bibliographie ! Bien au contraire, dans les études
de lettres, il est impérieux de connaître précisément
dès leur première apparition les références exactes aux
textes et à leurs éditions. Voilà pourquoi on doit
privilégier un système qui n'a absolument rien d'européen,
sinon qu'il s'est élaboré, en Occident, dans les travaux de lettres
au cours du XIXe siècle, pour s'imposer tout au long du siècle
dernier (avec sa petite série d'abréviations latines qu'on peut
aisément traduire en français). Et il en va de même des
adresses bibliographiques.
Alors que mon guide raisonné est clair et succinct sur ces questions,
je ne pense pas qu'un étudiant s'y retrouve facilement dans le
méli-mélo des prétendus « modèles »
de Jacques Audet et Roxanne Roy.
En revanche, on reconnaîtra immédiatement leurs utilisateurs
à leur snobisme : « Livres anciens : leur
notice bibliographique doit préciser le format du livre (sa pliure) :
in-plano [les placards ne forment pourtant pas souvent des livres !...], in-
folio, in-4o, in-8o, in-12o, in-16o, in-32o, ainsi que le nombre de
pages » (p. 64, l'in-12o et la suite n'ayant pas leur
dernière voyelle d'abréviation). C'est le sexe des anges, le genre
de l'espace et les formes d'impositions qu'il est fort impressionnant de voir
évoquer dans un protocole de règles bibliographiques. Surtout si
l'exemple est l'in-12o d'Antoine de Courtin, son fameux Dom Juan
d'Autriche... La consigne est encore un mot d'ordre digne des
Précieuses ridicules de Molière et il y a bien des raisons de s'en
amuser. Qu'est-ce donc qu'un « livre ancien » ? Les
bibliographies (des dissertations de première année !) feront
donc deux catégories de livres ? Et pourquoi faudrait-il donner le
nombre de pages de l'« in-duocimo » de ce cher Antoine de
Courtin, mais pas des ouvrages modernes ? Pas des ouvrages modernes ?!
Réponse : pour un ouvrage moderne, c'est trop facile, voyons !
Ce sont les choses compliquées qui font la preuve du
« sérieux de l'étudiant ».
Ah! ces snobs, toujours le mot pour la complexité, sans complexe.
« 2.3.4 »
La transcription des titres
Si nos auteurs ne disent jamais un mot de la transcription des titres
d'ouvrage, ils n'appliquent pas les règles de distribution des majuscules
très généralement utilisées en français, de
sorte que ce guide est de lui-même un mauvais exemple pour nos
étudiants sur ce point.
Par contre, il faut dire que l'usage du guide est fort simple : le
premier mot du titre d'ouvrage prend la majuscule, quel qu'il soit, mais aucun
autre, sauf les noms propres (comme on le fait pour les titres des articles et
parties de livre entre guillemets et par conséquent toujours isolés
des textes qui les portent). Ce qui donne Les nouveaux désordres de
l'amour ou le Grand dictionnaire encyclopédique Larousse
(p. 63), et non les Nouveaux Désordres de l'amour et le Grand
Dictionnaire encyclopédique Larousse. Cette belle simplicité
serait appropriée pour des collégiens du secondaire, mais nos
étudiants d'université ne la verront jamais appliquée nulle
part (pour les raisons qu'explique précisément le Manuscrit
moderne), de sorte que le guide de Jacques Audet et Roxanne Roy sera de
lui-même une très remarquable curiosité qui risque bien
d'être devenue pour ses utilisateurs une fort mauvaise habitude.
Comme on le voit sur ce point, ce guide n'est pas moins dommageable par son
enseignement que par son exemple.
En effet, les Travaux en études littéraires : guide
pratique de l'étudiant est un ouvrage qui ne devrait tout simplement pas
exister.
Comment peut-on proposer un « guide » dont les conseils
sont systématiquement mauvais ? Qui peut conduire des étudiants
de première année de baccalauréat sans pouvoir justifier les
moyens d'atteindre des objectifs eux-mêmes justifiés ? Mais,
dira-t-on, « cette brochure n'entend nullement se substituer aux divers
ouvrages et guides méthodologiques qu'on trouve en bibliographie »
(p. 3); on n'y trouve que des « informations de base »;
sans compter que ces informations « seront complétées en
classe par les professeurs ». Non, c'est faux et ce sont de fausses
prétentions, car il s'agit objectivement d'une très inconsciente
entreprise de désinformation.
On l'a vu pour l'exposé sur la prise de notes en classe, on le voit
encore pour les règles de présentation matérielle des travaux
écrits. Lorsqu'on tient un discours non approprié, alors qu'on est
en situation d'autorité, on se place en conflit idéologique
évident, surtout s'il s'agit d'une chaîne d'irresponsabilités
et d'incompétences, car aucune « majorité »,
celle d'un groupe de professeurs par exemple, ne saurait contrevenir aux principes
élémentaires de la responsabilité intellectuelle qui est par
définition nominale : le Département des études
françaises de l'Université de Montréal ne saurait être
responsable des idées de Jacques Audet et Roxanne Roy, ni de celles d'aucun
de ses professeurs d'ailleurs. On ne saurait tenir un discours moralisateur en
distribuant des conseils tout à fait inappropriés pour les
présenter comme des « notions de base » que d'autres
seront chargés de « compléter », puisque la
conclusion qui s'impose ici est tout bonnement que ces notions sont fausses,
inexactes ou inutiles et qu'elles ne doivent pas être
complétées, mais bien dénoncées, contredites ou
corrigées comme je viens précisément de le faire. Mais pour
tous les utilisateurs de ce guide, le mal sera déjà fait.
Cela dit, nos étudiants sont majeurs. Mais peut-être pas encore
vaccinés. Toutefois, ils devraient pouvoir survivre à ce mauvais
coup pédagogique et méthodologique, car ils en recevront bien
d'autres. Mais le plus amusant est que la désinformation leur vienne
précisément du département où ils sont inscrits. Car
au-delà du snobisme et du strabisme, cet ouvrage sur les Travaux en
études littéraires se présentant comme un Guide
pratique de l'étudiant correspond précisément à une
demande de nombreux étudiants, de sorte que plusieurs d'entre eux ont bien
ce qu'ils demandent et méritent, une injection d'antibiotique
méthodologique.
Car voilà bien l'ultime conclusion du « plan
syllogistique » que j'achève de développer ici. Nos
étudiants mettent plus d'un trimestre, plus d'une année et parfois
les trois ans de baccalauréat pour comprendre que le savoir ne
s'achète pas. Il faut leur expliquer souvent et longuement que le
« guide pratique » qu'ils souhaitent de tous leurs voeux
n'existe pas. Bien entendu, il est naturel qu'un collégien qui arrive
à l'université se croit quelque temps dans un « gros
collège » où on en aura enfin pour son argent. Ce n'est
pas qu'il veut la vie facile, c'est tout simplement qu'il veut savoir sans
apprendre. Savoir sans comprendre, réussir sans travailler, c'est vouloir
obtenir tout cuit dans le bec. Où donc prendra-t-il le « guide
pratique » (le plus petit et commode possible, évidemment)
où se trouve bien expliqué tout ce que l'on doit SAVOIR ? La
présentation matérielle d'un travail, les règles simples,
précises et succinctes permettant de faire très facilement et
rapidement des travaux complexes, substantiels et très longs comme en font
les universitaires, le tour de main afin de prendre en notes en un tournemain les
cours les plus difficiles et même les plus obscurs ! -- et surtout la
présentation complète des champs et méthodes qu'ont l'air de
connaître tous ceux qui se sont « payés des cours
universitaires » dans le domaine des lettres, la stylistique et la
grammaire, la thématique et la psychosomatique, l'esthétique,
l'herméneutique, la sociocritique, la psychanalyse de l'inconscient des
textes, la psychocritique, le dialogisme, la pragmatique, le structuralisme,
l'esthétique de la réception, la narratologie (la science qui
dépasse d'un suffixe les études narratives), le formalisme et le
structuralisme, le féminisme et l'homosexualisme du texte, la CGMM et la
brouillonnologie, la critique des sources, la sémiologie, le
déconstructionnisme, l'impact de la culture de la betterave sur la
poésie moderne par le recyclage (ne pas oublier d'ajouter la théorie
du recyclage) de ses déchets dans la fabrication du papier où
s'étale souvent le langage poétique, le recyclage, la critique de
l'imaginaire, les formalistes russes, la bonne vieille Nouvelle Bibliographie
anglo-saxonne, la critique psychanalytique (déjà nommée ?
mais non, c'est l'autre, la critique psychanalytique après l'enterrement de
Freud, la psychanalyse non freudienne des textes).
Au moment de réaliser votre travail de première année,
comment faire ? Eh bien ! c'est simple. « Concept clés
et notions de base » (p. 9-14), car cela se trouve très
naturellement dans les dictionnaires ! puis, « Théories et
méthodes critiques », en trois pages (p. 14-17) et vingt
livres parmi lesquels ne se trouve pas mon Petit Manuel des études
littéraires, comme je suis bien aise de le répéter. Un
peu plus et on produisait un guide pratique de l'étudiant d'une vingtaine
de pages (« plan inventaire », évidemment), comme si le
savoir littéraire, la culture et la pratique des oeuvres, l'étude des
sciences et des méthodes de l'étude littéraire pouvaient
correspondre à un simple savoir, comme si deux étudiants de doctorat
pouvaient en dresser les listes et les bibliographies qu'il suffirait de mettre
dans un cahier, à la portée de tous : entreprise
désastreuse que dénonce justement mon Petit Manuel
« pour une science générale de la
littérature ».
Bien au contraire, le plaisir consiste ici à savoir apprendre (pour
comprendre). Le Manuscrit moderne est un exposé de niveau
universitaire sur la présentation matérielle des travaux
écrits. Y substituer, pour quelque raison que ce soit, un protocole
prétendant répondre aux « attentes » des
étudiants qui voudraient se faire inoculer le savoir à haute dose de
guide pratique, c'est criminel. Il n'y a pas de méthodes
universitaires comme il y a des méthodes de dactylographie ou de
solfège. Même dans le cas le plus propice, celui de la
présentation matérielle des travaux écrits, il faut se refuser
à proposer aux étudiants un succédané vitaminé
et avoir le courage de les inciter à lire le Manuscrit moderne.
Lire. Ce sera un effort, peut-être, mais il ne sera pas inutile, comme ce
cahier de vitamines méthodologiques produit en pure perte et comiquement
estampillé « Descartes » en page couverture.
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