L'hispanisme est la première
caractéristique de la langue et de la grammaire des Chants.
Cela implique
une réussite à nulle autre pareille, mais aussi des
faiblesses et
notamment des incorrections. Et ces incorrections sont de deux
ordres, d'abord les
« hispanismes », comme on désigne les
fautes que font
les hispanophones en français, mais ensuite,
également et surtout,
les faiblesses grammaticales et les approximations lexicales du
français
qu'on trouve forcément chez les jeunes parfaits bilingues,
qui ont
appris deux langues au cours de la petite enfance. Cette
réalité
n'a aucune commune mesure avec les adultes qui apprennent une
langue seconde.
Au début de mon travail, alors que
j'accumulais des
dizaines et bientôt des centaines d'hispanismes lexicaux,
j'avais la surprise
d'entendre des francophones, qui ignoraient tout de la langue
espagnole, me
soumettre candidement l'hypothèse qu'Isidore Ducasse
s'amusait de ses
hispanismes et qu'il produisait très consciemment ces
réussites,
voire ces incorrections ! Avec le temps, cela leur a
passé et personne
n'ose prétendre aujourd'hui que l'auteur ne faisait pas face
au défi
considérable des parfaits bilingues, qui doivent mettre des
années,
une bonne partie de leur vie, à se corriger, dans l'une des
deux langues de
leur petite enfance, s'ils choisissent d'écrire dans une
seule des deux et
surtout de faire carrière dans un domaine de la
rédaction. Isidore
Ducasse s'est fait écrivain français à
Paris.
Très tôt toutefois, sont apparus
les professeurs
francophones des langues castillanes et maintenant des
hispanophones qui s'amusent,
eux, à jouer les savants grammairiens, linguistes et
lexicologues de la
langue française. Le jeu consiste à piger ici et
là dans mes
fichiers des hispanismes lexicaux, comme
« exemples » du fait
que j'identifie très souvent des hispanismes qui n'en
sont pas du
tout, ces vocables se disant fort bien dans ces sens en
français.
Heureusement pour eux, ils se contentent de faire ces remarques
critiques
très confidentiellement. On trouve toutefois le cas
pathétique d'un professeur de l'Université de Reims
qui, pour son malheur, s'est fendu d'un compte rendu manifestement
malveillant, comme on peut le voir ici : c'est La réplique. Il en est
pour ses frais, avec trois exemples qui voudaient
prouver que je chercherais et trouverais des hispanismes
partout ! Trois exemples sur les 400 contextes
lexicaux et syntaxiques précisément
présentés ci-dessous. Or, pour son malheur, les
trois exemples qu'il a choisis
sont bel et bien des hispanismes, cela ne fait aucun doute.
Voici donc maintenant (15 septembre 2022),
après
l'édition des soixante strophes des Chants de
Maldoror, l'analyse que je
peux proposer de l'hispanisme dans l'oeuvre du
Montévidéen (car le phénomène ne
changera pas substantiellement avec les Poésies). Je suis
simplement la logique de nos langues romanes, dont la grammaire,
dirais-je, encadre le dictionnaire, de sorte qu'elle propose trois
études successives, la morphologie, la lexicologie et la
syntaxe. Mais une autre section, et non des moindres, s'ajoute sur
les incorrections en français du « parfait
bilingue », où l'hispanisme joue deux rôles,
comme on le verra. Et l'on en verra aussi pour finir les faces
cachées !
H-i-s-p-a-n-i-s-m-e. Voyez la
définition du vocable, incorrecte et incomplète dans
nos dictionnaires, en tête du glossaire des hispanismes
lexicaux. Hispanisme, le mot a deux
significations et de nombreux emplois.
La statistique n'est pas très efficace
sur ce point, tout simplement parce que c'est toute la grammaire de
l'espagnol qu'impliquent les Chants de Maldoror. Le
dépouillement sur La morphologie et les
constructions espagnoles est assez éloquent de par son
étendue et sa diversité, ce qu'on voit nettement avec
les emplois des démonstratifs;
mais il y a deux catégories grammaticales qui illustrent
encore mieux le phénomène, produisant
systématiquement des aberrations grammaticales auxquelles
aucun francophone ne saurait être insensible, d'abord les possessifs appliqués aux parties du
corps, et ensuite les emplois des prépositions. En effet, on ne
saurait lire en français, sans sourciller, « j'ai
mal à ma tête » ou « je m'enfonce
dans mes couvertures » ! Et ces deux seules
aberrations typiques sont identifiée 55 fois tout au long
des Chants, alors que l'oeuvre doit en compter en
réalité quelques centaines. Car ce fichier ne
retient que ce qui est incontestablement fautif,
généralement dus à l'hispanisme mais parfois
aussi à une méconnaissance des usages du
français.
On comprend donc que ce dépouillement
des hispanismes morphologiques n'est qu'une très sommaire
radiographie du phénomène. Il s'agissait de
l'illustrer, simplement. Mais on peut s'amuser à prolonger
cet épouillement, ce qu'on n'aura aucune peine
à réaliser sur n'importe quelle strophe de l'oeuvre,
car on peut dire, sans trop exagérer, que ses structures
morphologiques ne sont pas françaises, mais castillanes.
Mot à mot, point par point, un syntagme après
l'autre, nous sommes dans un univers linguistique espagnol. Cela
n'a jamais gêné les lecteurs, qui n'en savaient rien,
durant un siècle ? Bien sûr, s'agissant d'une
langue romane « (re)présentée »
mot à mot en français. Mais on le sait
maintenant, cette oeuvre a d'abord été pensée
en espagnol, avant d'être rédigée... en
espagnol dans le texte français ! Qu'en est-il de son
lexique ? Comme on va le voir, l'analyse en est beaucoup plus
amusante, parce qu'elle est plus simple : des mots, cela se
compte !
Voici d'abord la liste alphabétique des
294
hispanismes lexicaux actuellement identifiés. Il s'agit
d'une simple
arithmétique du glossaire des
hispanismes. Mais
ce sommaire ajoute des informations inédites qui en
permettent l'analyse
statistique et orientent l'évaluation du
phénomène. Le
phénomène en question est d'ordre
sémantique. Je ne
connais pas d'autre dépouillement de cet ordre. La
statistique lexicale
enregistre et compte le plus souvent des mots, des formes, des
signifiants. Or,
ce qui nous intéresse ce sont les
« sens » de ces
mots, les sens hispaniques des occurrences de ces signifiants.
Toutefois, ce
dépouillement statistique, portant sur un corpus
étendu, les
Chants de Maldoror, analysant les
« signifiés »,
hispaniques ou non, des vocables, s'appuie objectivement sur nos
dictionnaires
du français et de l'espagnol. Il n'est donc pas
nécessaire de
connaître le français et l'espagnol pour en
évaluer la
rigueur, deux dictionnaires suffisent !
Statistiquement, les entrées de l'index
ont
été vérifiées et revues une à
une, notamment
pour en compter les occurrences des vocables qui n'étaient
pas
employés aux sens hispaniques. Par exemple, le vocable
« dire » enregistrait une occurrence de cet
ordre; il
fallait donc connaître le total des occurrences du vocable,
soit 222, pour
pouvoir calculer la fréquence relative de l'hispanisme
(1/222 occurrences;
1/294 vocables, soit une occurrence d'un vocable employé 222
fois, sur les
294 vocables du corpus des hispanismes). Pour réaliser
cette compilation,
j'ai utilisé deux instruments informatiques. D'abord le
dépouillement des Chants de Maldoror du Trésor
de la langue
française, soit l'ARTFL Project. Cette base de
données permet
d'avoir à l'écran toutes les
« formes » d'un
vocable et leurs occurrences (en contexte si on le désire).
Pour
vérifier que le vocable « acte » se
trouve 16 fois
dans les Chants, il suffit de lancer la demande « acte OR
actes » pour avoir à l'écran les 16
occurrences du
vocable. Lors de cette opération, j'ai corrigé mes
dépouillements en ajoutant souvent de nouvelles occurrences
qui m'avaient
échappées. L'opération s'applique aussi bien
aux noms
qu'aux adjectifs, comme à toutes les catégories
grammaticales, sauf
aux verbes. J'ai donc utilisé ensuite l'index
lemmatisé de Cyril et Dominique Labbé
(« Lautréamont : vocables et
formes », BEUG, Bibliothèque électronique
de l'Université de Grenoble) :
< lexicometrie.univ-grenoble-alpes.fr >). Il
s'agit d'un
dépouillement alphabétique de tous les vocables, avec
l'énumération de toutes leurs formes. Au vocable
« acte », dont il vient d'être question,
on trouve
« acte », 19 occurrences, et les formes
« acte », 13 occ., et
« actes », 6 occ.
(mais il faut faire attention que le tableau statistique compte
aussi les
occurrences des Poésies, ici 3 occ., et même de
la
correspondance). Ce dépouillement statistique est essentiel
pour les
formes verbales. Le vocable « dire » se trouve
une fois
à notre index des hispanismes; c'est le
dépouillement de Cyril et
Dominique Labbé qui dépouille les 222 occurrences du
verbe sous
toutes ses formes (dira, dirai, dirait, dire, dirent, etc.).
Outre ce dépouillement statistique, la
liste qui suit
pourra être consultée pour ses précisions
lexicales.
Elle donne entre parenthèses le nombre d'emplois distincts
d'hispanismes
qu'on trouve dans l'index. Par exemple, « avertir - 4/13
(2) » indique que les quatre occurrences de sens
hispanique (sur les
13 occurrences du vocable au total) s'emploient en deux sens, soit
"conseiller"
et "informer". Par ailleurs, la mention « +v »
indique une
série de « variations » qui devraient
être
prises en compte pour prolonger ou développer l'analyse
contextuelle,
c'est-à-dire que le nombre des occurrences du vocable qui
ne sont pas
comptées comme des hispanismes sont ou peuvent
être plus ou
moins de sens hispanique. Cette précision est importante
aussi bien en
pratique qu'en méthodologie. Elle illustre d'abord que
l'étude des
hispanismes de l'oeuvre ne saurait être
considérée comme une
opération mécanique, s'agissant de jugement
linguistique. Mais la
notation vise également des cas précis où le
lecteur des
Chants doit être particulièrement attentif, car si
tous les
hispanismes identifiés, par définition, doivent
être
(ré)évalués dans chacun de leurs contextes, il
y a des cas
où j'ai laissé volontairement l'analyse au jugement
du lecteur,
notamment dans les cas où la nuance de sens est trop fine
pour être
déclarée catégoriquement.
Reste, en statistique, la question la plus
difficile, celle
de la fréquence relative. J'indique entre
parenthèses la
fréquence de l'emploi hispanique dominant dans la
fréquence totale
du vocable, chaque fois que cet emploi me semblait s'imposer
à la simple
lecture du glossaire. Deux exemples. Le vocable
« agonie »
a huit occurrences et la moitié sont des hispanismes (donc
4/8), mais ces
quatre hispanismes sont au pluriel (4/4, "râles").
« Anneau » se trouve six fois dans les Chants
et une fois
dans un syntagme hispanique (1/6), mais ce syntagme,
« étendre
ses anneaux » ("se perpétuer") ne se rencontre
qu'une fois
(1/1). Autrement dit, les hispanismes tendent à se
constituer en
« vocables » et en
« syntagmes »
particuliers. Je reprends mon exemple favori :
« dire » est de très haute
fréquence (222
fois), mais on ne trouve qu'une seule fois le syntagme
négatif au sens
espagnol, « ne pas dire », "ne pas reprocher".
Pourtant,
j'ai décidé de calculer les emplois hispaniques avec
la
fréquence totale de chacun des vocables. En fait, il
était
impossible de faire autrement, du point de vue statistique, car
sinon il faudrait
affirmer que le vocable « couvrir » (14
occurrences) est un
vocable différent lorsqu'on le trouve au sens hispanique
("habiller",
1/14); or, évidemment, cette analyse s'applique par
définition
à tous les vocables partageant leurs occurrences entre des
emplois de sens
hispanique et de sens français. Je n'ai fait qu'une
exception à
cette règle et je dois avouer qu'il s'agit d'un pur
caprice : j'ai
distingué l'hispanisme « sortir »
("partir", 1/41)
et... « sortir de terre » ("apparaître",
1/1); on
comprendra que j'ai cédé ici à ma fascination
pour la langue
espagnole et le plaisir d'en isoler un idiotisme qui ne viendrait
jamais à
l'esprit d'aucun francophone.
Cela dit, si le dépouillement
statistique des emplois
hispaniques se fait sur le total des occurrences des vocables, il
ne fait pas de
doute que la perception du lecteur, averti de l'hispanisme dans les
Chants, sera
plus proche de celle qui découle de la statistique des
emplois que la
liste qui suit indique entre parenthèses; s'il est
évident que
cette statistique varierait avec la sensibilité linguistique
de chaque
lecteur, ce sous-ensemble du dépouillement global
représentera
toujours le fait que le dépouillement statistique
présenté
et analysé ici est un en deçà de la
réalité
linguistique de l'hispanisme dans les Chants, ce qui est donc
suffisant pour le
caractériser. De la même manière, il ne fait
aucun doute que
le nombre des hispanismes lexicaux de l'oeuvre est plus
élevé (et
certainement de beaucoup) que les 294 vocables que j'ai pu en
identifier, tandis
que l'expérience a montré qu'en reprenant l'analyse,
on
n'arriverait à en éliminer bien peu, puisque le
principe
était justement de ne retenir que les cas qui ne pourraient
être
contestés (l'analyse s'étant réalisée
publiquement
sur de nombreuses décennies).
Voici donc la liste du dépouillement
qui sera la
matière première de l'analyse des hispanismes
lexicaux dans les
Chants de Maldoror.
[1] absenter (se) - 1/1;
[2] acculer (se) - 1/1;
[3] acte - 1/16;
[4] actuel - 4/5 (3);
[5] adieu (un adieu) - 5/18;
[6] adolescent, jeune adolescent (toujours au masculin) - 3/23;
[7] affirmer - 1/12;
[8] agonie - 4/8 (au pluriel, hispanisme - 4/4);
[9] aguets (aux) - 1/3;
[10] aileron - 1/1;
[11] amant - 3/7 (amant de - 3/3);
[12] Amazones - 1/1;
[13] an (et année) - 5/43;
[14] angle - 3/7;
[15] anneau - 1/6 (étendre ses anneaux - 1/1);
[16] antique - 2/6;
[17] apercevoir (se) - 1/70;
[18] aplatissement - 1/1;
[19] aplomb - 1/1;
[20] appartement - 3/4;
[21] appliquer (se) - 1/13;
[22] approche - 2/4;
[23] approuver - 1/4;
[24] arranger - 1/2;
[25] arriver - 7/54;
[26] aspect - 6/10;
[27] au-dessus de - 2/29;
[28] autrui - 1/3 (d'autrui - 1/1);
[29] avantage (avec avantage) - 2/2;
[30] avertir - 4/13 (2);
[31] bague - 1/1;
[32] baiser - 1/6;
[33] balance (pencher la) - 1/4;
[34] bassin - 1/3;
[35] beau - 1/55 (beau de corps - 1/1);
[36] bloc - 1/7 (bloc de sépulture - 1/1);
[37] boeuf - 2/2;
[38] boule - 1/7;
[39] bouquet - 1/2;
[40] brassée - 3/3;
[41] broyé - 1/5;
[42] buisson - 1/3;
[43] cadenasser - 1/1;
[44] carcasse - 1/5;
[45] carrière - 2/6;
[46] cervelle - 1/12;
[47] chambre - 1/28;
[48] chance (chance malencontreuse) - 1/1;
[49] charpente (charpente osseuse) - 2/2;
[50] charpentier - 3/3;
[51] chemin - 2/25;
[52] cheminer - 4/4;
[53] chenil - 8/8;
[54] chien 1/25 (du chien - 1/1);
[55] chirurgique - 1/1;
[56] cimenter - 1/1;
[57] collège - 1/1;
[58] communicatif, vertu communicative - 1/1;
[59] compte - 1/10 (à bout de compte - 1/1);
[60] conserver - 13/20 +v;
[61] consommé - 1/2;
[62] construire - 4/10 (2);
[63] convenable - 2/8 +v;
[64] côté - 1/64 (par un côté -
1/1);
[65] cou 2/20 (abaisser le cou - 2/2);
[66] coucher - 1/15 (se coucher avec - 1/1);
[67] coup - 1/59 (coup d'esprit - 1/1);
[68] couronnement - 1/1;
[69] course - 4/10 +v;
[70] couver - 2/4;
[71] couvrir - 1/14 (couvrir = habiller - 1/1);
[72] cré;puscule - 5/5;
[73] crier - 2/8 (crier = s'écrier - 2/2);
[74] défiance et défiant - 2/2 +v
(méfiance);
[75] défoncer - 1/1;
[76] degré - 1/10 +v;
[77] dehors -2/8 (en dehors de - 2/2);
[78] dent -1/15 (se laver les dents - 1/1);
[79] désorienter (se) - 1/1;
[80] détacher - 1/8;
[81] dévisager - 1/1;
[82] dire - 1/222 (pour reprocher - 1/1);
[83] direction - 5/14;
[84] discorde - 1/1;
[85] discuter - 3/10;
[86] disgrâce - 1/1;
[87] disséquer - 1/1;
[88] divers - 1/24;
[89] donner (se) - 1/71 (se donner = se confier - 1/1);
[90] doré - 1/3 (jeunesse - 1/23, jeunesse dorée
- 1/1);
[91] dos - 1/13 (dos tourné vers - 1/1);
[92] draperie - 1/2;
[93] échapper - 3/22;
[94] effet - 1/38 (truc à effet - 1/1);
[95] élever - 5/38 (3);
[96] embarras - 1/1;
[97] embarrasser (et embarrassé) - 3/3;
[98] embrasser - 3/19;
[99] emparer - 1/6;
[100] enfant - 5/55;
[101] enfermer - 1/10;
[102] enlever - 9/11 (2);
[103] entrecoupé - 1/1;
[104] entrelacer - 2/9 (2) +v;
[105] entrer - 1/15 (entrer dans un âge - 1/1);
[106] entretenir - 1/2;
[107] envenimer (envenimé) - 2/2;
[108] épais (dont corde épaisse) - 3/14;
[109] épaule - 1/16;
[110] espace - 1/28 (espace de route - 1/1);
[111] espérance - 3/6;
[112] espérer - 1/14;
[113] espionner - 1/1;
[114] éterniser (se) - 1/2;
[115] éternité - 3/13 (jusqu'à
l'éternité - 3/3);
[116] étoilé - 1/2;
[117] étranger - 2/4 (2);
[118] étroit - 2/12;
[119] évaporer (évaporation) - 5/5;
[120] événement - 3/13 (2);
[121] excentrique - 1/3;
[122] exciter - 7/10 +v;
[123] existence - 13/27 (2);
[124] exister - 5/24;
[125] fabriquer - 2/2;
[126] fantôme - 1/9 (fantôme = image - 1/1);
[127] fatalement - 1/4;
[128] feindre - 1/2;
[129] fer - 1/18 (loi de fer - 1/1);
[130] fête - 1/1;
[131] fils - 12/36;
[132] filtrer - 2/2;
[133] gagner - 1/10 (gagner le large - 1/1);
[134] garçon - 1/1;
[135] gonfler (gonflé) - 6/15;
[136] grammatical - 1/1;
[137] guider - 1/2;
[138] habileté - 1/3;
[139] haleine - 3/6 (2);
[140] hâtif - 1/1;
[141] heure - 1/62 (jusqu'à cette heure - 1/1;
[142] ¡ hombre !, ¡ humain !
(interjection) - 11/11;
[143] honte - 1/11;
[144] humeur - 1/4;
[145] humidité (humidité du temps) - 1/1;
[146] ignoble - 1/4;
[147] immense - 2/28 (2);
[148] importer (n'importe !) - 5/17 (3);
[149] impression - 2/11;
[150] imprononçable - 1/1;
[151] impunité (avec impunité) - 1/1;
[152] indifférent - 1/3;
[153] individualité - 1/1;
[154] inébranlable - 1/5;
[155] inexpérient - 1/1;
[156] instrument - 2/12;
[157] intérieur - 1/10 ("vie psychique" - 1/1);
[158] interprétation - 1/3;
[159] intituler (et s'intituler) - 3/3;
[160] introduction - 1/1;
[161] investigation - 3/4 (2);
[162] jeter 1/45 (jeter de côté - 1/1);
[163] jour - 3/115 (2);
[164] laboureur - 1/1;
[165] lâcher - 1/3;
[166] laisser - 1/93 (laisser tomber = perdre, 1/1);
[167] lamentable - 4/4 (2);
[168] légalement - 1/1;
[169] légèrement - 1/1;
[170] lettres - 1/16 (graver - 1/6 graver des lettres -
1/1);
[171] liège - 1/1;
[172] lire 1/37 (lire = déchiffrer - 1/1);
[173] maintenir - 1/5;
[174] maître - 9/32;
[175] maladie - 1/10;
[176] mamelles (enfant en mamelles) - 1/5;
[177] manoeuvre - 3/6;
[178] manquer - 1/26 (lui manquer = lui reste à faire
- 1/1);
[179] marcassin - 3/3;
[180] mât - 1/3;
[181] méditer 1/4 (méditant beaucoup - 1/1);
[182] minime - 2/2;
[183] minutie - 1/1;
[184] moment - 3/48 (3);
[185] momentanément - 2/2;
[186] montrer (se) - 11/57 +v;
[187] motif - 7/12 +v;
[188] mouiller - 1/4 (mouiller de vinaigre - 1/1);
[189] mouvoir (se) - 2/4;
[190] mugir - 2/3;
[191] muter - 1/1;
[192] narine - 9/10;
[193] natation - 3/3;
[194] naturel - 2/28 (2);
[195] obscurcir - 2/4;
[196] opinion - 8/15 +v;
[197] ouvert - 1/15 (guerre ouverte - 1/1);
[198] paille - 1/9 (un rien - 1/1);
[199] palais - 1/10 (bon au palais - 1/1);
[200] parage - 3/9;
[201] pardonner - 1/13;
[202] parole - 22/30 (2);
[203] parsemer - 3/3;
[204] partial - 2/2;
[205] parties - 1/35, dont "organes génitaux", 4 occ.
(parties basses - 1/1);
[206] passage - 1/15;
[207] passer - 1/98 (passe alors - 1/1);
[208] pèlerinage - 3/3;
[209] pendant (adj.) - 3/3;
[210] percé - 1/2;
[211] perdition - 1/1;
[212] pères - 1/1;
[213] perpétualité - 1/1;
[214] petit - 1/33 (petite main - 1/1);
[215] place 1/40 (qui n'est pas à sa place - 1/1);
[216] poids - 1/8;
[217] point fixe - 1/1;
[218] poitrine - 1/43 (dans sa poitrine - 1/1);
[219] porter - 10/57;
[220] posséder - 15/17;
[221] poudre - 1/2;
[222] poudreux - 2/2;
[223] poussière - 2/14 (mettre en poussière -
2/2);
[224] précipitation (avec) - 2/2;
[225] prééminence - 2/2;
[226] premier-né - 2/2;
[227] présence - 1/28;
[228] presser - 3/11;
[229] pression - 1/6;
[230] primitif- 5/5;
[231] principal, adj. - 2/8;
[232] prompt (promptement, promptitude) - 6/6;
[233] puissance - 2/23 (de puissance à puissance - 2/2
ou 1/1 !);
[234] quelque chose de meilleur - 1/1;
[235] quotidien - 2/3;
[236] ramasser - 1/8;
[237] rame - 2/2;
[238] ramener - 2/6;
[239] ramper, rampant - 2/6;
[240] rapidité - 1/5;
[241] raser - 4/4 +v (frôler);
[242] rationnel - 1/1;
[243] reconstruire - 1/1;
[244] refuser - 1/12;
[245] rein - 1/3;
[346] remuer - 3/26 +v;
[247] rencontrer - 9/14;
[248] répliquer - 3/3;
[249] réponse (donner, faire attendre la) - 2/7;
[250] reporter - 1/1;
[251] résulter - 5/7;
[252] retardé - 1/2;
[253] retenir - 1/16 (+ subs. = inf. - 1/1);
[254] rêverie - 1/3;
[255] revers - 1/3;
[256] ricanement - 2/2;
[257] risible - 1/3;
[258] roc - 4/6;
[259] roche - 7/7;
[260] rocher - 2/10;
[261] rosée - 1/4;
[262] salle - 1/5;
[263] savonné - 1/1;
[264] siège - 1/2;
[265] solitaire - 1/7;
[266] sombre - 1/10;
[267] sortir - 1/41;
[268] sortir de terre - 1/1;
[269] soutenir (se) - 2/14;
[270] spectre - 1/3;
[271] sueur - 1/5;
[272] suggestion - 2/2;
[273] superficie - 2/2;
[274] surveillance - 1/1;
[275] tension - 1/3;
[276] terme (= fin, but) - 2/6;
[277] toile - 2/2;
[278] tomber - 10/48 (3);
[279] tourbe - 1/1;
[280] tranquille - 1/6 +v;
[281] travers (à travers) - 2/56;
[282] trembler - 1/13 (trembler la peau - 1/1);
[283] trouver (se trouver en présence de) - 2/2;
[284] unique - 3/6;
[285] utilité - 1/5;
[286] vague (le) - 2/2;
[287] vallée - 1/9;
[288] vastitude - 2/2;
[289] viande - 3/4;
[290] vitesse (avec assez de vitesse)- 2/13 +v;
[291] vivace - 7/7;
[292] vocaliste - 1/1;
[293] voix - 1/20 (déchirement de voix, 1/1);
[294] vol -1/17 (vol élevé, 1/1).
La statistique, et je n'y suis pour rien,
distingue
très nettement trois comportements différents dans la
distribution
des fréquences des hispanismes. C'est elle qui divise
automatiquement le
corpus en trois parties à peu près égales.
Mon intervention
a consisté à désigner ces trois
catégories d'un nom
commun inventé pour la circonstance. Ce sont les
« hapax », les
« isolés » et les
« variants ».
Les « hapax » sont les
vocables dont
toutes les occurrence sont employées dans des sens
hispaniques :
95 voc./294 = 0,323, soit 32%, le tiers des
vocables/occurrences du corpus (à remarquer en effet que le
nombre
des hapax correspond à leurs occurrences).
1/1 : 52 voc./294 = 0,177
Près de 18% des hispanismes des Chants
sont le fait
de vocables qui ne sont employés qu'une seule fois —
plus de la
moitié des hapax (0,547) sont ceux qui n'ont qu'une seule
occurrence
(1/1). Bien entendu, à lire la liste de ces mots bien
français et
apparemment très ordinaires, on ne peut deviner qu'ils
donnent lieu,
globalement, à une imperceptible distorsion lexicale,
puisque leur
distribution est évidemment aléatoire. Or, comme on
l'a lu plus
haut, du point de vue strictement linguistique, il faudrait ajouter
à
cette liste les quarante-trois vocables dont une et une seule
occurrence parmi
d'autres est un très net hispanisme, au point que l'on
serait tenté
d'en faire un vocable et plus souvent un syntagme différent
de ses autres
occurrences. On compterait alors (52 + 43 =) 95
« hapax »
de fréquence un (soit 0,323), le tiers du corpus des
hispanismes lexicaux.
Il suit que, pour le sentiment linguistique, la distorsion est
certainement loin
d'être imperceptible ! Or, ce raisonnement peut
être repris
tout au long de l'analyse statistique, puisqu'il est convenu
d'établir nos
proportions sur la fréquence totale des vocables. Sur la
proportion 1/1,
comme on le voit, cette décision a un impact
considérable.
Beaucoup moins par la suite.
[1] absenter (se); [2] acculer (se); [3] aileron; [4] Amazones;
[5]
aplatissement; [6] aplomb; [7] bague; [8] cadenasser; [9]
chance (chance
malencontreuse); [10] chirurgique; [11] cimenter; [12]
collège; [13]
communicatif, vertu communicative; [14] couronnement; [15]
défoncer;
[16] désorienter (se); [17] dévisager; [18]
discorde; [19]
disgrâce; [20] disséquer; [21] embarras; [22]
entrecoupé;
[23] espionner; [24] fête; [25] garçon; [26]
grammatical; [27]
hâtif; [28] humidité (humidité du temps); [29]
imprononçable; [30] impunité (avec impunité);
[31]
individualité; [32] inexpérient; [33] introduction;
[34]
laboureur; [35] légalement; [36] légèrement;
[37]
liège; [38] minutie; [39] muter; [40] perdition; [41]
pères;
[42] perpétualité; [43] point fixe; [44] quelque
chose de
meilleur; [45] rationnel; [46] reconstruire; [47] reporter;
[48]
savonné; [49] sortir de terre; [50] surveillance; [51]
tourbe; [52]
vocaliste.
2/2 : 22 voc./294 = 0,075 : [1] avantage (avec avantage); [2]
boeuf; [3]
charpente (charpente osseuse); [4] défiance et
défiant; [5]
envenimer (envenimé); [6] fabriquer; [7] filtrer; [8]
minime; [9]
momentanément; [10] partial; [11] poudreux; [12]
précipitation
(avec); [13] prééminence; [14] premier-né;
[15] rame;
[16] ricanement; [17] suggestion; [18] superficie; [19] toile;
[20] trouver
(se trouver en présence de); [21] vague (le); [22]
vastitude.
3/3 : 10 voc./294 = 0,034 : [1] brassée; [2] charpentier;
[3]
embarrasser (et embarrassé); [4] intituler (et
s'intituler); [5]
marcassin; [6] natation; [7] parsemer; [8] pèlerinage;
[9] pendant
(adj.); [10] répliquer.
4/4 : 3 voc./294 = 0,010 : cheminer; lamentable; raser.
5/5 : 3 voc./295 = 0,010 : crépuscule; évaporer
(évaporation); primitif.
6/6 : 1 voc./294 = 0,003 : prompt (promptement, promptitude).
7/7 : 2 occ/294 = 0,007 : roche; vivace.
8/8 : 1 voc./295 = 0,003 : chenil.
11/11 : 1 voc./295 = 0,003 : homme ! humain ! (interjection
« ¡ hombre ! »).
Les hapax, de 1/1 à 11/11,
caractérisent
à eux seuls l'hispanisme des Chants de Maldoror. Ils
en
présentent une radiographie. En effet, les hispanismes
lexicaux n'ont
rien à voir avec une collection de vocables dont on pourrait
se contenter
de faire un simple glossaire permettant aux lecteurs de
« traduire » (et parfois de
« corriger »)
ces emplois hispaniques. Bien au contraire, ils participent au
phénomène linguistique produit par le
« parfait
bilingue », c'est Isidore Ducasse, à l'aube de sa
carrière d'« écrivain
français ». Il
est clair que les hapax représentent très
concrètement
l'ensemble du mécanisme linguistique en cause. Ils en
caractérisent les extrêmes. Les hapax de basse
fréquence
(1/1, 2/2, par exemple) se comportent exactement comme les
hispanismes
morphologiques. Disséminés, saupoudrés,
dirais-je, de la
première à la dernière page des Chants, les
lecteurs ne
peuvent jamais en isoler assez pour être conscients de la
nature
précise d'un fait exceptionnel qu'ils n'ont jamais lu et ne
lirons jamais
plus dans aucune autre oeuvre de la littérature
française. Tout
au contraire, les tout derniers hapax qu'on vient d'identifier,
sont
lancés abruptement, ici et là, au cours de l'oeuvre.
Ils ne
correspondent plus aux hispanismes morphologiques, mais aux
hispanismes
syntaxiques. La question, en effet, n'est plus de savoir si les
lecteurs
francophones les verront, mais s'ils les comprendront ! Quel
lecteur peut
savoir que l'exclamation « humain ! » est
un pur produit
linguistique d'un idiotisme castillan ? Et, ensuite, que
c'est ainsi qu'est
né le troisième grand personnage des Chants,
après le
Créateur et Maldoror, ... l'Homme.
114 voc./294 = 0,388, soit un peu plus du tiers des vocables
affectés de
l'hispanisme dans le corpus.
Ces cent quatorze (114) vocables
présentent une et
une seule de leurs occurrences dans un sens hispanique.
Évidemment, pour
les vocable de très basse fréquence, nous sommes
proches du cas des
hapax. Les vocables de deux occurrence ont évidemment une
occurrence sur
deux de sens hispanique, mais il ne faut pas que la
fréquence du vocable
augmente beaucoup pour qu'on se trouve devant une situation toute
différente. D'où leur nom
puisque cette occurrence isolée (qui donne donc son nom
à
ces vocables)
pourra passer inaperçue (et pourra parfois se lire
« à
contresens »), ou au contraire paraîtra très
surprenante.
Et dans ce dernier cas, le lecteur aura tendance à n'y voir
qu'une faute
ou une inadvertance qu'il corrigera sans peine mentalement ou
encore, et assez
souvent, il y verra une licence ou une figure de style, surtout
s'il ne
connaît pas l'espagnol ou la présente édition
et analyse
critiques.
a) Une occurrence hispanique isolée de vocable de
très basse
fréquence (soit de dix occurrences ou moins) : 69 voc./ 294
= 0,235. En
moyenne ces 69 vocables sont employés près d'une fois
sur cinq avec
un sens hispanique (soit 69/350 occ. = 0,197).
1/2 : 13 voc., [1] arranger; [2] bouquet; [3] consommé;
[4] draperie;
[5] entretenir; [6] éterniser (se); [7]
étoilé; [8]
feindre; [9] guider; [10] percé; [11] poudre; [12]
retardé;
[13] siège.
1/3 : 17 voc., [1] aguets (aux); [2] autrui; [3] bassin; [4]
buisson; [5]
doré; [6] excentrique; [7] habileté; [8]
indifférent;
[9] interprétation; [10] lâcher; [11] mât;
[12] rein; [13]
rêverie; [14] revers; [15] risible; [16] spectre; [17]
tension.
1/4 : 8 voc., [1] approuver; [2] balance (pencher la); [3]
fatalement; [4]
humeur; [5] ignoble; [6] méditer; [7] mouiller; [8]
rosée.
1/5 : 9 voc., [1] broyé; [2] carcasse; [3]
inébranlable; [4]
maintenir; [5] mamelles (enfant en mamelles); [6]
rapidité; [7] salle;
[8] sueur; [9] utilité.
1/6 : 5 voc., [1] anneau; [2] baiser; [3] emparer; [4]
pression; [5]
tranquille.
1/7 : 3 voc., bloc; boule; solitaire.
1/8 : 3 voc., détacher; poids; ramasser.
1/9 : 3 voc., fantôme; paille; vallée.
1/10 : 8 voc., [1] compte; [2] degré; [3] enfermer; [4]
gagner; [5]
intérieur; [6] maladie; [7] palais; [8] sombre.
b) C'est aussi le cas de 24 vocables de moyenne fréquence
(de 11 à
25 occurrences); et de 21 vocables de haute fréquence (plus
de 25
occurrences), dont un de très haute fréquence, soit
45 vocables.
1/11 : 1 voc., honte;
1/12 : 3 voc., affirmer; cervelle; refuser;
1/13 : 4 voc., appliquer (se); dos; pardonner; trembler;
1/14 : 2 voc., couvrir; espérer;
1/15 : 5 voc., coucher; dent; entrer; ouvert; passage;
1/16 : 4 voc., acte; épaule; lettres; retenir;
1/17 : 1 voc., vol;
1/18 : 1 voc., fer;
1/20 : 1 voc., voix;
1/24 : 1 voc., divers;
1/25 : 1 voc., chien.
1/26 : 1 voc., manquer;
1/28 : 1 voc., présence;
1/35 : 1 voc., parties;
1/28 : 2 voc., chambre; espace;
1/33 : 1 voc., petit;
1/37 : 1 voc., lire;
1/38 : 1 voc., effet;
1/40 : 1 voc., place;
1/41 : 1 voc., sortir;
1/43 : 1 voc., poitrine;
1/45 : 1 voc., jeter;
1/55 : 1 voc., beau;
1/59 : 1 voc., coup;
1/62 : 1 voc., heure;
1/64 : 1 voc., côté
1/70 : 1 voc., apercevoir (se);
1/71 : 1 voc., donner (se);
1/93 : 1 voc., laisser;
1/98 : 1 voc., passer;
1/222 : 1 voc., dire.
Si ces emplois isolés sont assez
nombreux pour
compter pour un tiers du corpus des vocables employés dans
des sens
hispaniques, ils ont, de par leur isolement, un caractère
« exceptionnel ». Bien entendu, pour chacun de
ces emplois,
la notion d'écart ou du degré de l'hispanisme en
regard de tous ses
autres emplois est essentielle. Très souvent et pour de
nombreux
lecteurs, l'impact de l'hispanisme correspondra à celui des
hapax, soit
la dissémination de traits hispaniques du vocabulaire en
cours de lecture.
Et, justement, leur caractère d'exception devrait souvent
les mettre
à l'abri de leur caractéristique première,
l'isolement. Si
on lit 61 fois le vocable « heure »
employé
rigoureusement dans ses sens français, il est peu probable
qu'on
s'arrête au syntagme bien isolé
« jusqu'à cette
heure ».
85 voc./294 = 0,289
On appellera ainsi les vocables qui ont plus
d'une
occurrence avec un sens hispanique (à l'exclusion des
hapax). Du point de
vue de l'analyse lexicale du phénomène, ce sont
à la fois
les plus difficiles à évaluer et en même temps,
pour cette
raison, ceux dont l'analyse est la plus intéressante et la
plus
importante. Après les très basses fréquences,
au niveau des
moyennes fréquences, plus les fréquences
s'équilibrent entre
les emplois français et les emplois hispaniques, d'autant
l'analyse cesse
d'être univoque. Entre ses extrêmes, les occurrences
de chaque
vocable doivent être évaluées une à une.
On se trouve
alors au coeur de ce que j'ai souvent nommé une symphonie
sémantique. Il suffit de connaître son
français pour voir
si tel emploi du vocable correspond à l'un de ses emplois en
français; et lorsqu'il apparaît, paraît ou
semble que
tel n'est pas le cas, alors ce sont les sens du vocable en espagnol
(qu'on
trouvera au glossaire des hispanismes ou... dans son
dictionnaire !) qui
doivent être évalués dans chacun de ces
contextes.
Deux occurrences de sens hispanique
33 vocables
2/3 : 2 voc., mugir; quotidien;
2/4 : 5 voc., approche; couver; étranger;
mouvoir (se);
obscurcir;
2/5 : 5 voc., antique; carrière; ramener;
ramper, rampant;
terme (= fin, but);
2/7 : 1 voc., réponse;
2/8 : 4 voc., convenable; crier; dehors; principal, adj;
2/9 : 1 voc., entrelacer;
2/10 : 1 voc.,[260] rocher;
2/11 : 2 voc., impression; presser;
2/12 : 2 voc., étroit; instrument;
2/13 : 1 voc.,
vitesse (avec assez de vitesse);
2/14 : 2 voc., poussière; soutenir (se);
2/20 : 1 voc., cou;
2/23 : 1 voc., puissance;
2/25 : 1 voc., chemin;
2/28 : 2 voc., immense; naturel;
2/29 : 1 voc., au-dessus de;
2/56 : 1 voc., travers (à travers).
Trois occurrences
20 vocables
3/4 : 3 voc., appartement; investigation; viande;
3/6 : 4 voc., espérance; haleine; manoeuvre; unique;
3/7 : 2 voc., amant; angle;
3/9 : 1 voc., parage;
3/10 : 1 voc., discuter;
3/13 : 2 voc., éternité; événement;
3/14 : 1 voc., épais;
3/19 : 1 voc., embrasser;
3/22 : 1 voc., échapper;
3/26 : 1 voc., remuer;
3/48 : 1 voc., moment;
3/23 : 1 voc., adolescent;
3/115 : 1 voc., jour.
Quatre occurrences
6 vocables
4/5 : 1 voc., actuel;
4/6 : 1 voc., roc;
4/8 : 1 voc., agonie;
4/10 : 2 voc., construire; course;
4/13 : 1 voc., avertir.
Cinq occurrences
8 vocables
5/7 : 1 voc., résulter;
5/14 : 1 voc., direction;
5/17 : 1 voc., importer (n'importe !);
5/18 : 1 voc., adieu (un adieu);
5/24 : 1 voc., exister;
5/38 : 1 voc., élever;
5/43 : 1 voc., an (et année);
5/55 : 1 voc., enfant.
Six occurrences
6/10 : 1 voc., aspect;
6/15 : 1 voc., gonfler (gonflé).
Sept occurrences
7/10 : 1 voc., exciter;
7/12 : 1 voc., motif;
7/54 : 1 voc., arriver.
Huit occurrences
8/15 : 1 voc., opinion.
Neuf occurrences
4 vocables
9/10 : 1 voc., narine;
9/11 : 1 voc., enlever;
9/14 : 1 voc., rencontrer;
9/32 : 1 voc., maître.
Dix occurrences et plus
8 vocables
10/48 : 1 voc., tomber;
10/57 : 1 voc., porter;
11/57 : 1 voc., montrer (se);
12/36 : 1 voc., fils;
13/23 : 1 voc., conserver;
13/27 : 1 voc., existence;
15/17 : 1 voc., posséder;
22/30 : 1 voc. parole.
Reste à calculer les occurrences des
hispanismes.
Soit V, le nombre de vocables, et N, le nombre de fois que ces
vocables sont
employés. Les hapax sont au nombre de 162 et comptent donc,
par
conséquent, pour 162 occurrences (V = N). On compte
114 vocables qui
ne présentent qu'une seule occurrence de sens hispanique,
soit 114
occurrences (V = N, encore). Il ne reste plus qu'à
additionner les
emplois hispaniques des 85 variants, qui viennent d'être
énumérés, ce qui donne 373 occurrences.
Total : 162
+ 114 + 373 = 649. Le dépouillement compte donc 649
contextes où
un vocable est employé dans un sens hispanique tout
au long des
Chants. L'édition originale compte 332 pages. On y trouve
donc en
moyenne deux hispanismes lexicaux par page. Le
dépouillement informatique
de Cyril et Dominique Labbé calcule que l'oeuvre
complète de
Ducasse compte 95 480 mots; les Chants devraient compter pour
0,75 (75%),
soit environ 71 610 mots. Il suit que 649 hispanismes sur
71 610 =
110. En général, on rencontrera donc un hispanisme
à tous
les 110 mots. L'édition originale compte 28 lignes par
page; ces lignes
ont en moyenne 9 mots; les pages comptent donc environ 252 mots;
un hispanisme
lexicaux tous les 110 mots, c'est au moins deux par page.
Si les hapax radiographient le
phénomène de
l'hispanisme dans les Chants de Maldoror en
caractérisant ses deux
extrêmes (représentés par les hispanismes
morphologiques et
les hispanismes syntaxiques), ce sont les variants qui
présentent le coeur
du phénomène, la symphonie sémantique des
hispanismes. Non
seulement entre les extrêmes linguistiques, mais bien en
sémantique.
La liste des vocables du corpus compte 23 fois
la
précision « +v » indiquant que les
occurrences non
comptées comme des hispanismes méritent d'être
évaluées sur ce point et, de façon plus
générale, que toutes ses occurrences pourraient
avantageusement
être réévaluées. Le vocable
« conserver » se trouve 20 fois dans les
Chants; le
glossaire analyse 13 cas où son emploi est de sens
hispanique. Mais le
glossaire consigne également sept cas où le sens
français
du vocable est « probable », alors que cela
reste parfois
à confirmer. Bref, des variations sémantiques sont
ici possibles
dans 10 cas sur 23, qui sont laissées à
l'évaluation des
lecteurs (car je répète qu'à la moindre
hésitation,
je n'ai pas consigné de sens hispanique). Si seulement 23
vocables sont
affectés de l'indice « +v », on fera
attention que
cela correspond à 132 contextes. Et, bien
entendu, tel sera le cas,
sans nul doute de nombreuses occurrences de
tous les
variants. Certes, je me suis aidé de huit traductions des
Chants en
castillan et j'ai souvent demandé conseil tout au long du
travail;
dès lors, il est impossible d'incriminer globalement les
résultats
de l'analyse; or, l'une des plus importantes conclusions de cette
analyse est
précisément que celle-ci ne saurait être
automatique et
qu'elle doit être reprise chaque fois qu'on veut
évaluer de
près l'hispanisme et les hispanismes d'une partie du texte.
On retient
donc que les variants et leurs variations, troisième
catégorie
statistique des vocables du corpus, constituent la première
caractéristique de l'hispanisme des Chants de
Maldoror. Je me
répète encore pour finir : il s'agit d'une
fabuleuse
symphonie sémantique.
L'analyse statistique présente un
avantage
incontestable : elle est incontestable ! Un hapax, tel
qu'on l'a
défini ici, est un hapax, et rien d'autre, un vocable dont
toutes les
occurrences sont d'emploi hispanique. L'analyse sémantique
des
hispanismes lexicaux, elle, est subjective et dépend
forcément du
« sens linguistique » de celui qui la
présente. En
revanche, si le résultat n'est pas
« incontestable »,
il est discutable, au sens scientifique du terme. Il faut un
premier essai
d'analyse sémantique pour que d'autres lecteurs, d'autres
analystes et
d'autres spécialistes puissent le reprendre, le corriger et
le
développer. C'est cet essai qu'on lira maintenant.
La question préliminaire porte
évidemment sur
la nature des hispanismes lexicaux répertoriés au
glossaire. Est-ce
qu'il est légitime d'y faire figurer le nom de
Maldoror ?
Ensuite, on dira, avec raison, que le glossaire enregistre
d'évidentes
prépositions ou du moins des locutions prépositives
(au dessus de,
jusque), mais elles sont peu nombreuses et le vocable pivot est
manifestement un
substantif.
Mais la première question qui se pose
ensuite, du
point de vue sémantique, concerne précisément
les...
« hispanismes ». Au sens strict, il s'agit du
« sens scolaire » de la désignation,
soit la faute
qu'un hispanophone commet en français. Est-il
légitime,
statistiquement, de confondre ces « fautes »
avec l'inverse,
les réalisations poétiques découlant de la
pratique et de
la connaissance du castillan et dont mon exemple fétiche
est
« se désorienter » (desorientarse, qui
n'est devenu
courant en ce sens qu'au XXe siècle en français, sous
l'influence
des vocables « orientation » et
« désorientation »). Or, personne ne
peut
désigner catégoriquement ces fautes d'emploi dû
à la
méconnaissance du français. On sait que le
français
d'Isidore Ducasse n'est pas du niveau d'un hispanophone en
apprentissage du
français; ses « faux amis » ne sont
nullement des
caprices d'un écolier, car il s'agit toujours
d'« équivalents » de même origine
latine, mais
dont la sémantique historique a divergé, de sorte que
le
même mot, dans les deux langues, a un sens
différent :
direction/dirección, embarras/embarazo, embrasser/abrazar,
etc. Cela
produit des dizaines de fautes en français, mais je dirais
des fautes
« de haut niveau ». Lorsqu'un hispanophone en
est à
faire ces incorrections, c'est qu'il maîtrise
déjà
très bien le français. J'ajoute, pour m'amuser, que
la faute est
parfois celle du... castillan ! qui ne sait pas distinguer
l'humeur et
l'humour. Bien entendu, ces « faux amis de haut
niveau »
sont parfois des barbarismes qu'on peut reprocher
à notre auteur, ce qui ne lui ferait pas
trop de peine,. Ce sont la plupart du temps des traductions
littérales d'idiotismes sans équivalents ni
même de
correspondants en français; tout le monde fait ce genre de
faute dans sa
langue seconde; le parfait bilingue les multiplie à
plaisir, de sorte
qu'on peut s'en amuser (trembler la peau, truc à
effet !) ou s'en
désoler (chenil pour « niche », ramener
à la
vie ou en dehors de; an ou année pour désigner
l'âge,
l'angle pour le coin, etc.). Et je dois rappeler que de
très nombreux
hispanismes correspondent à de véritable
lexème ou syntagme
en français, c'est-à-dire qu'ils s'opposent à
de nombreux
autres emplois parfaitement français (on les trouve entre
parenthèses dans la liste des hispanismes lexicaux en
tête de cette
section).
Pour évaluer la situation des parfaits
bilingues, il
existe une situation particulièrement caractéristique
et
problématique. Il s'agit du vocabulaire fondamental. Dans
l'une et
l'autre des deux langues, ce lexique est simple, quotidien et de
très
haute fréquence, forcément (dans ces emplois), il est
« fondamental ». Malheureusement pour le
bilingue, ces
désignations ne se correspondent pas dans les deux langues,
leurs
équivalents sont très approximatifs et, surtout,
leurs emplois sont
précis, vagues et génériques, à tel
point qu'il faut
être un virtuose pour s'y retrouver, d'autant que ce sont des
mots d'une
simplicité désarmante dans sa langue
maternelle :
appartement, chambre, instrument ou... laboureur ! Exister en
est un bon
exemple dans le domaine du vocabulaire abstrait.
Exactement la même difficulté se
trouve en
passant du vocabulaire fondamental aux systèmes lexicaux.
Sur ce point,
ce sont les doublets qui sont difficiles à maîtriser,
surtout
lorsqu'ils n'existent pas dans les deux langues. S'il s'agit d'un
doublet en
espagnol, la faute de « traduction » est
assurée : camino/carrera (voir course),
fantasma/espectro (voir
fantôme), lamentozo/lamentable (cf. lamentable). Mais c'est
la situation
contraire qui est passionnante pour l'analyse linguistique, car
l'hispanophone
qui doit choisir de traduire un lexème dans le
système d'un doublet
français se trouve devant une alternative qu'il lui faudra
beaucoup de
temps à maîtriser : gonfler/enfler,
défiance/méfiance, chair/viande,
espérance/espoir,
espionner/épier, par exemple. Évidemment, la
solution de chacun
de ces problèmes se trouve dans les dictionnaires de
synonymes, mais,
malheureusement, le bilingue ne peut jamais le deviner et n'y ira
voir que si on
le lui signale. Et ce sera long et difficile. D'autant que ces
systèmes
lexicaux impliquent parfois plusieurs vocables (arriver).
L'inverse, c'est
l'analyse lexicale qui va bientôt s'achever. Il se trouve en
effet que des
vocables ont des utilisations hispaniques manifestes en
français, sans
rapport avec la lexicologie, mais bien avec la morphologie et la
syntaxe; c'est
le cas de posséder, mis pour l'auxiliaire haber; l'emploi
curieux de
porter pour le semi-auxiliaire llegar ou l'emploi du vocable prompt
pour le
très courant pronto. Et l'inverse se trouve aussi. Il
s'agit de
l'intériorisation des mécanismes de la
littérature
romanesque populaire : crier et répliquer, d'emplois
mécaniques, sont d'un hispanophone qui mime la narration
française,
dont l'effet souvent comique est manifestement involontaire.
En regard de l'analyse linguistique proprement
dite, je n'ai
trouvé en tout et pour tout que deux cas impliquant ce
travail de la part
d'Isidore Ducasse. D'abord la très nette conscience du sens
hispanique
du vocable « grammatical » appliqué au
mot
« discuter ». Ensuite, un seul exemple,
broyé
(« mort de fatigue »), atteste l'utilisation
d'un
dictionnaire bilingue espagnol-français. Voilà qui
est surprenant,
mais, réflexion faite, on comprend que l'auteur, le
créateur, avait
bien assez de lutter contre son bilinguisme, avant de
maîtriser assez bien
sa « langue seconde », le français, pour
en tirer
profit et analyser (rigoureusement) la situation exceptionnelle
(pourtant
évidente) où il se trouvait.
Le dernier point à présenter est
celui que les
hispanophiles, même les novices dans l'apprentissage de
l'espagnol, seront
les premiers à reconnaître et apprécier. Ils
se
régaleront de la toute simple formule de salutation, adieu.
Et ils ne
manqueront pas, bien entendu, de se passionner des appellations, si
typiques du
castillan, qu'ils auront vite appréciées,
précisément
parce qu'elles sont complètement étrangères
aux autres
cultures occidentales (sauf pour l'italien) : maître,
fils,
adolescent, garçon, enfant, etc. Les thèmes
liés à
la petite enfance de Ducasse en Argentine sont, on le sait, assez
nombreux; mais
lexicalement, je ne vois que le mot « boeuf »
(vaca) pour en
témoigner. Amazone est en revanche un des très rares
cas qui
témoignent, lexicalement, d'une culture hispanique, alors
même que
l'hispanisme, contamine tout le lexique des Chants. La conclusion
s'impose avec
le paradoxe : les Chants de Maldoror sont une oeuvre
littéraire exclusivement française, pensée en
langue
espagnole, avant d'être rédigée en
français. Et quel
français !
En effet, il suffit maintenant de se reporter
au
dépouillement des Structures
syntaxiques
espagnoles — le fichier en identifie 97 —, pour
comprendre qu'après la
morphologie et la lexicologie, on franchit avec la syntaxe un point
de non-retour.
Plus question de tergiverser. On peut bien chipoter sur tel ou tel
emploi morphologique ou même lexical, mais devant les
tournures
syntaxiques hispaniques, un hispanophone qui comprend tout doit
finalement avouer
qu'un francophone, lui, ne pourra jamais rien y comprendre.
L'espagnol, le
castillan, on n'y peut rien, ce n'est pas sa langue !
L'intérêt de ce
dépouillement des
structures syntaxiques, comme on le lit en tête de la
section, est qu'il
ne saurait être « analysé ». Sur
une centaine
de fragments, tout au long de l'oeuvre, ce qui est
considérable, on se
trouve devant des propositions et des phrases qui sont plus ou
moins
compréhensibles ou parfaitement incompréhensibles en
français (environ les trois quarts et le quart des cas,
respectivement).
Les lire au fil de l'édition critique ou dans
l'appréciation d'une
strophe, cela concerne l'évaluation d'un fragment dans son
contexte
— et c'est bien le premier objectif d'un établissement
textuel que
de s'assurer que la lettre du texte soit rigoureusement
assurée et le
lecteur n'en demandera pas plus. En revanche, lire dans ce fichier
l'énumération des 97 tournures syntaxiques espagnoles
et leur
analyse, cela ne peut manquer d'avoir un impact considérable
sur
l'évaluation des Chants de Maldoror et cela, hors de
tout jugement
de valeur, puisque ce dépouillement est de tous celui qui
mesure le plus objectivement et, je dirais, incontestablement
l'impact de l'hispanisme sur l'oeuvre française.
Car ce fichier nous place devant une
évidence
linguistique incontestable qu'on évaluera avec une toute
simple
question : trouve-t-on une autre oeuvre de langue
française aussi
imprégnée d'une langue étrangère,
quelle qu'elle
soit ?
Et, j'ajouterais, pour faire la transition
avec la section
suivante de cette analyse : une oeuvre où se trouvent
autant
d'incorrections ?
Oui. On trouvera des centaines d'oeuvres
littéraires, dans toutes et chacune des langues, où
les fautes et
les incorrections fourmillent. Mais dans le cas qui nous occupe,
les Chants
de Maldoror, il s'agit de la situation exceptionnelle d'un
« parfait bilingue » qui s'est fait
écrivain
français, alors qu'il ne maîtrise pas encore sa langue
seconde, le
français ! Question grammaticale, c'est un
régal pour les
francophones, tout comme pour les linguistes.
En effet, le fichier des Mots
de sens
inattendus ou incorrects en français dans les Chants,
enregistre 128
vocables correspondant à 177 fautes. Ce sont des
substantifs, des
adjectifs et des verbes, avec quelques adverbes
« lexicaux »
(dans l'avenir, davantage, définitivement, ostensiblement et
suite,
ensuite) et deux pronoms (les « substantifs »
aucun et moi,
dans pour moi). La très grande majorité de ces
vocables, 102, ne
sont employés fautivement qu'une seule fois, peu importe la
fréquence du vocable en question. Justement, analyse faite,
on ne trouve
aucune corrélation entre la fréquence du vocable et
son unique
emploi incorrect. Reste 26 vocables qui, toujours peu importe leur
fréquence, sont employés incorrectement plus d'une
fois, soit 11
employés deux fois, 8 trois fois, 6 quatre fois et 1 cinq
fois.
Additionnés, selon ce dépouillement, l'oeuvre compte
(102 + 75 =)
177 emplois fautifs.
Comme on le verra en feuilletant le fichier,
la
majorité de ces incorrections tiennent tout simplement
à la
méconnaissance des emplois en français. Toute
négative
qu'elle soit, cette première conclusion est, somme toute,
positive.
Qu'Isidore Ducasse parsème son oeuvre de moins de deux cents
fautes de
français, lui qui « essaye sa lyre »
(1.14) dans sa
langue seconde, on avouera que c'est beaucoup moins
incriminant que pour
les francophones qui n'en ont rien vu durant un
siècle ! Il s'agit
pourtant de très importantes fautes de français,
caractérisant un chef-d'oeuvre de la littérature
française.
On sait que, pour ma part, je m'en réjouis. Car cela fait
la preuve que
la création (littéraire) n'appartient pas
nécessairement aux
virtuoses de la grammaire. On me permettra d'évoquer le bon
exemple de
Vincent Van Gogh, en création artistique : en
dépit de ses
efforts et de ses études pratiques, l'artiste ne sait pas
dessiner; dans
ses toiles, il n'est même pas capable de respecter les
règles
pourtant élémentaires de la perspective (voyez les
quatre tableaux
accrochés fautivement au mur de la Chambre,
première
version, 1888, musée Van Gogh, Amsterdam). Pourtant, on
doit à Van
Gogh et à Ducasse des réalisations qui surpassent les
règles
de la perspective et de la grammaire qu'ils ne savaient pas
toujours respecter.
Bref, il est pour moi hors de question de dénoncer ni
d'excuser les fautes
de français qui caractérisent les Chants de
Maldoror, tout
aussi bien que les quatre tableaux mal calibrés de Van Gogh.
Je ne vois
pas pourquoi les chef-d'oeuvres seraient parfaits !
Bref, du point de vue linguistique, les
incorrections des
Chants n'ont pas d'autre intérêt que de
caractériser le
difficile apprentissage du parfait bilingue, ce qui est pourtant
une
donnée essentielle qu'on ne saurait négliger :
Ducasse aurait
eu besoin de très nombreuses années encore, pour
maîtriser
le français. Mais, toujours du point de vue linguistique,
au moins la
moitié des fautes enregistrées dans le fichier sont
très
intéressantes, car elles sont dues à l'hispanisme
— sans
être des hispanismes ! Et cette partie du
dépouillement
devrait passionner les amoureux de la langue espagnole. Nous
sommes ici devant
un « écrivain français » auquel
sa langue
maternelle ne fera aucun cadeau. Nous assistons à la
défense du
castillan qui résiste courageusement aux assauts du
français et son
combat est assez efficace pour produire à lui seul la
moitié des
fautes des Chants. Non, je le répète, ce ne sont
plus des
hispanismes, comme ceux qui ont été
présentés plus
haut. Il s'agit plutôt des assauts contre cet hispanophone
qui veut se
faire francophone. Amusons-nous.
D'abord, l'hypocrisie. Le castillan est assez
fort pour
cacher qu'il parle parfaitement bien français. Par exemple,
il sait
très bien dire que « la fin justifie les
moyens » : el fin justifica los medios. Mais
notre auteur
ne compte pas se laisser prendre. Il écrit donc,
très
futé : « le but excuse le
moyen » ! (voir
l'entrée « but »). Ou bien,
« couler
à pic », echar a pique, tandis que notre
futé
traduit, « couler bas » (art.
« découler).
Et de se croire encore plus malin avec ses très nombreux
« pour
moi » (« moi, pour moi »), alors que
le castillan
dit, comme le français, por mi parte,
« pour ma
part ». Autrement dit, il arrive à Ducasse de
« traduire » le castillan en français,
ignorant que
la translation est inutile, puisque l'expression est courante en
français.
— Mais la faute est parfois
« justifiée », si
je puis dire. C'est le cas des vocables qui n'ont pas de
correspondants dans les
deux langues (chômer, faire bonne mesure/figure); pire
encore, ceux qui ont
deux correspondants ou équivalents dans l'une des deux
langues (les
doublets : voir tombe, tombeau et cercueil).
Ensuite, le racolage. Cela consiste à
se
présenter sous un beau jour. Imparable. Au lieu de
traduire, comme il
vient de le faire, notre auteur répète le castillan,
entraîné par ses formes et ses sens, parfois par la
texture
phonétique. C'est le cas du câble, du mur et de la
muraille, de
l'adjectif musculeux et même de nivellement,
entraîné par
nivel, niveau, avec perpétualité et
perpétuité, etc.,
sans compter les « fautes » qui
découlent des
« faiblesses » du castillan !
Oui, et c'est la fausse faiblesse. Le
castillan de se
présenter tout chétif. Et notre auteur de corriger
les
« imprécisions » que ne
connaîtrait pas le
français, toujours très fort. Quelques bons
exemples :
comble (avec plafond), complot, coupé en deux, entrelacer et
humanitaire.
Dans tous ces cas, ce ne serait pas Ducasse, mais le castillan qui
serait pris
en faute, par manque de précision. Bien entendu, c'est
exact. Le
castillan ne distingue pas bien les combles, le toit, le plafond,
etc., mais lui,
tout comme le français, peut très bien situer la
poutre au grenier
(desván) !
Bien sûr, je m'amuse à imaginer
un combat du
castillan et du français dans l'esprit de Ducasse.
Pourtant, il y a un
cas où cette compétition ne fait aucun doute. Il
s'agit de la
transformation lexicale française pour suppléer la
morphologie
syntaxique castillane. On en aura vu des exemples tout au long des
commentaires
linguistiques de l'édition critique, mais il y a deux
vocables qui
illustrent, par leur fréquence, cette situation tout au long
des Chants,
placer et replacer. Placer correspond à collocado, mais
pour
« retraduire » en français le tout
simple auxiliaire
estar, être là; replacer, lui, est
entraîné par le
semi-auxiliaire volver (refaire, retourner, revenir : volver
a + infinitif
= re-infinitif, volver a leer = relire).
Je me permets d'écrire la conclusion
qui s'impose,
même si le lecteur la connaît parfaitement bien. Les
incorrections
constituent une caractéristique très nette des
Chants de
Maldoror, car ce sont elles qui prouvent hors de tout doute
qu'il s'agit de
l'oeuvre d'un « parfait bilingue », les pures
fautes de
français d'un côté, les méconnaissances
de sa langue
seconde; et, de l'autre, les erreurs entraînées par
le castillan,
sa langue maternelle.
Pour finir, il faut dire qu'ici, sur El bozo, on ne
tremble pas de
peur devant une musaraigne. On n'a peur de rien. Encore moins de
l'expression
parlante des surfaces d'un cube.
Considérons
donc un cube à six faces ou plutôt, puisque c'est
pareil, un cube
hispanique à deux fois trois surfaces. La première
est
désignée ici sous le nom de « Gallicismes ». Le mot est
entre
guillemets parce qu'il est détourné de son sens. Il
s'agit de
réflexions critiques du locuteur hispanique sur la langue
française. On a bien le droit de s'amuser. Un bleu, c'est
l'ecchymose.
Durant la petite enfance, on ne les compte pas, notamment lorsqu'il
faut
apprendre à patiner ou à rouler à vélo.
Il faut
évidemment un hispanophone pour nous apprendre, qu'en
français, on
ne connaît pas ses couleurs.
Mais ce sont les deux surfaces suivantes de
l'hispanisme au
cube qui sont les plus révélatrices du
phénomène
invisible. En mathématique linguistique on se trouve devant
deux faces
symétriques, comme le recto et le verso d'une seule surface,
les Mots français sans correspondant en
espagnol et les Mots espagnols sans correspondant en
français. Or,
voilà produit des hispanismes encore plus imperceptibles que
nos
« gallicismes ». Avec un peu d'effort et
d'imagination, on
peut comprendre qu'un « bleu fait à la
terre » devrait
correspondre au cárdeno... de couleur cardinal ! Mais
personne ne
saurait soupçonner que les bras
« pendants »
(expression parfaitement recevable en français), tout comme
ce
« duvet de la pêche » sur la lèvre
du jeune
adolescent (périphrase toute simple) sont en fait des
impacts de
l'hispanisme (parfaitement invisibles, aussi bien aux francophones
qu'aux
hispanophones).
Car, en réalité, ces deux
dernières
faces du cube correspondent à deux mécanismes
linguistiques qui,
en fait, ne sont pas du tout symétriques. Le linguiste
enregistre le
résultat, les vocables d'une langue qui n'ont pas
d'équivalent dans
l'autre langue. Mais le locuteur, lui, se trouve d'un seul
côté de
l'équation (si l'on me permet de poursuivre la
métaphore
mathématique). Isidore Ducasse doit exprimer un mot
espagnol sans
connaître son « équivalent »
français ou,
« au contraire », exprimer une pensée
qu'il se traduit
ou se formule en espagnol sans savoir qu'elle a son
équivalent, voire son
correspondant, en français. La première n'en a pas,
la seconde
oui. Dans le premier cas, il produit un hispanisme,
évidemment !,
dans le second cas une rare curiosité, mais dans les deux
cas, le produit
est tout ce qu'il y a de plus recevable en français. Ces
deux fichiers
ne représentent probablement qu'un échantillon du
double
phéomène, les emplois que j'ai pu identifier; mais
ils sont en fait
bien plus représentatifs de l'hispanisme des Chants que les
quelques
centaines d'hispanismes morphologiques, lexicaux et
syntaxiques
avérés, tout simplement parce qu'ils sont
invisibles.
Contrairement à ce qui saute aux yeux, ce qu'on ne voit pas,
j'en suis
persuadé, doit se trouver partout.
Cela dit, le mot de la fin doit être,
simplement,
qu'on pouvait, qu'on peut et qu'on pourra toujours ignorer tout
cela, ou n'en
tenir aucun compte, et apprécier les Chants de
Maldoror. En
revanche, on ne saurait dénier l'impact de l'hispanisme sur
ce chef-d'oeuvre.
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