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Deux entrées pour les lecteurs pressés
Maldoror
Lautréamont
<
Éditorial
>
« L'étude des hispanismes. — Il [Guy
Laflèche] a été
l'un des premiers à en souligner l'importance dans le texte
de Lautréamont. L'accord s'est fait aujourd'hui pour
reconnaître leur présence. Est-elle aussi constante
que le dit M. Laflèche ? Les Chants de Maldoror
sont-ils un « texte entièrement pensé en
espagnol AVANT d'avoir été ensuite
rédigé en français » comme il
l'écrit ? Seul son travail achevé permettra de
répondre à ces questions. Il nous demande d'accepter
l'idée que nous n'avons à peu près rien
compris au texte jusqu'à présent, ce qui
naturellement est difficile à concevoir a priori. L'enjeu
est donc de taille, et radical, puisque c'est plus d'un
siècle de recherche critique qui se verrait anéanti,
si M. Laflèche a raison ! Je ne saisis pas s'il mesure
exactement la violence de sa proposition ».
—— Ducassologue anonyme,
automne 2003.
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Chant 2, strophe 1, première phrase (c'est
l'incipit)
Bienvenue dans les Chants
monsieur le vicomte Pierre-Alexis Ponson du Terrail
Belladone. A-t-on jamais vraiment cru que
Maldoror, ce monstre,
était homme à prendre des calmants et des
somnifères ?
Encore un nouvel épisode du feuilleton
universitaire. Cette fois-ci, ce n'est pas la découverte
d'une nouvelle citation littérale. Il ne s'agit même
pas tout à fait d'un mot, mais de son sens, d'une de ses
significations, très particulière. Plus petit que
cela, et c'est l'évaporation du minime atome infime. Il
faut
dire que nous avons maintenant de puissants microscopes, nous
autres littéraires.
C'est le TLF que j'ai tout bonnement
braqué sur le beau mot belladone. Il s'agit du
Trésor de la langue française ou plus
précisément de l'enregistrement électronique
des quelque 2000 ouvrages de langue française
réalisé à Nancy au début des
années 1970 par l'équipe du grammairien Paul Imbs.
Si ces données informatiques ont d'abord servi à
rédiger le dictionnaire du français moderne, le TLF,
elles sont maintenant organisées (et
développées) sous la forme de bibliothèques
électroniques. Le TLF a permis la mise en place de deux
bibliothèques comparables, d'abord FRANTEXT à Nancy
(laboratoire ATILF), ensuite ARTFL à Chicago (voir
l'entrée de la bibliographie à ce
propos : TLF).
Si vous êtes abonné à
l'une de ces deux bibliothèques électroniques, il
vous suffit de lancer une recherche très simple qui vous
donne toutes les occurrences du mot belladone dans les deux mille
livres de la bibliothèque (au singulier et au pluriel,
évidemment). Dans la bibliothèque
gérée par ARTFL, vous en trouvez 52
occurrences et 11 seulement avant la parution des Chants de
Maldoror. Par comparaison, le mot réséda qui
vient aussi dans la strophe 2.1 se trouve 129 fois dans la
bibliothèque (dont 43 fois avant les Chants); pivoine, 152
occurrences; anémone, 178; fougère, 673; opium,
809.
Si ensuite, vous prenez connaissance des 51
occurrences qui se trouvent ailleurs que dans les Chants, vous
obtenez très vite deux conclusions fort simples. La
première est que presque toutes ces occurrences recouvrent
les emplois que vous trouverez dans n'importe quel dictionnaire,
encyclopédie ou manuel de botanique, bien entendu; mais la
seconde, la conclusion qui nous importe, c'est qu'il n'y a qu'une
et une
seule exception : trois occurrences du mot belladone et trois
seulement concordent avec l'emploi qu'on en trouve à
l'incipit du deuxième chant. Les trois occurrences se
trouvent dans deux romans de Ponson du Terrain et le sens de cet
emploi est celui de la folie passagère, momentanée,
subite mais de courte durée. Et bien entendu, vous ne
trouverez probablement jamais ce sens dans aucun dictionnaire avant
longtemps. C'est simple, n'est-ce pas ? Une
découverte, ce n'est jamais très compliquée et
une fois qu'on l'a faite elle a la force d'une évidence dont
on ne saurait plus se passer.
Il fallait pourtant s'y attendre. C'est
presque secrètement que Rocambole fait son entrée
dans le monde trouble des Chants de Maldoror : par une
porte dérobée d'un passage secret, nous surprenons le
dialogue de Sir Williams et de Rocambole qui parlent
belladone ! Et voilà
comment pour la première fois la lecture des romans de
Ponson du Terrail s'inscrit on ne peut plus discrètement
dans
les Chants, bien avant d'être explicite au Chant 6.
Bien entendu, cette découverte n'est
pas une source littéraire. Jusqu'ici, nous n'avons encore
trouvé aucune influence des romans de Ponson du Terrail sur
le contenu des Chants, surtout pas dans la strophe 1.11 qu'on
ne saurait lire, à contresens, à la lumière du
roman populaire, comme on l'a vu. Non, c'est du
point de vue de la lecture littérale que la
découverte est importante pour l'instant : elle donne
son sens exact à l'ouverture du Chant 2, au
texte des Chants de Maldoror.
Nous, de la confrérie du Bozo, on n'en
demande pas plus.
Belladone. Qui a dit que
Lautréamont n'était pas fou ?
Ce qui est du moins acquis à la science, c'est que Maldoror
l'a été.
Guy Laflèche,
17 janvier 2008.
P.S. du 28 février : c'est aussi aux Rocambole que
paraît emprunté le personnage du chiffonnier à
la stophe 2.4 — cf. n. (4).
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