(a) Vous, faites attention
à... :
apostrophe propre à la langue parlée
familière. Le niveau de langue contraste fortement avec
l'ouverture de la seconde partie de l'alinéa, notamment avec
le vocatif « Ô poulpe... ». Il est
probable que Ducasse ait à l'esprit « Moi, je me
propose... Vous, faites attention... », soit une
très simple mise en relief en castillan : yo me
propongo..., vosotros, ustedes...
« Vous » apparaît
comme un pluriel
(désignant les lecteurs, et non pas simplement le lecteur ou
chacun des lecteurs), avec le pluriel « vos
imaginations », à la fin de la phrase.
(b) La veille mis pour hier.
La faute de
concordance est évidente et inexplicable (sauf Gómez
et Pariente, les traducteurs corrigent ici le texte). Cf. (s)
(c) Dans mis pour durant. La
faute de perspective
n'est pas évidente, mais bien réelle : c'est le
narrateur qui va lire (déclamer), non son lecteur, comme le
suppose la préposition « dans ».
(d) Le regard de soie :
la figure est d'autant
plus saisissante que rien ne trahit encore le mécanisme de
rédaction, à première lecture. En effet,
l'addition de la troisième édition (cf. v. 13) obéit brusquement à
une production rhétorique qu'on verra mise en oeuvre peu
à peu, et qui sera radicalisée dans les chants
suivants. À tel point qu'on pourra peut-être dater, du
point de vue génétique, la mise au point de la
dernière version ou correction du Chant premier en fonction
de cette réalisation.
En effet, l'image restera toujours fabuleuse,
pour le lecteur des
Chants de Maldoror, même lorsqu'il découvrira
l'expression toute simple qui est à l'origine de la
transformation artistique (un tête-à-queue), le
regard soyeux, qui ne saurait lui servir de
« traduction » (le doux regard). La production
poétique est telle qu'elle défie l'imagination, avant
même de s'appliquer au regard d'un poulpe ! Du fil de
soie à toutes les soieries que l'on voudra, jamais la
matérialité d'un regard n'aura été
telle (légère, simple et pourtant étrange,
d'une remarquable richesse) chez aucun autre écrivain. Et
pourtant, il n'y a pas de plus grand lieu commun que le regard dans
un portrait, propre à suggérer mille traits de
personnalité. En tout cas, tous ceux qui ont
rencontré le regard de ce poulpe jettent ensuite un oeil de
plomb sur les qualificatifs et déterminatifs dont on affuble
les regards les plus divers (les regards inquiets, doux, durs,
furtifs, langoureux, vitreux, de chat, de hibou, de statue, tout ce
que l'on voudra, paraît ensuite d'une ordinaire fadeur).
(e) Le don de la communication
et les vertus de
Dieu. Comme on le voit à l'hispanisme, l'adjectif
communicatif n'est pas qualificatif, mais déterminatif,
c'est la vertu de la communication, c'est-à-dire l'art de la
conversation qui s'appliquait explicitement dans les deux
premières éditions à l'ami d'enfance avec
lequel on a souvent échangé, notamment sur les
poésies de Byron. Il suit que les « grâces
divines » se comprennent exactement de même
(l'adjectif n'est pas qualificatif, mais
déterminatif) : ce ne sont pas d'exquises ou divines
grâces, mais bien les grâces (dons et qualités)
de Dieu.
(f) Le mercure et l'aluminium
sont deux corps
simples de la chimie et c'est au sens de produits chimiques qu'ils
sont employés ici. Jusqu'au milieu du siècle, ce
sont des produits pharmaceutiques que désignent
spontanément ces deux mots, dont le premier a une longue
histoire (qui l'a fait passer au creuset de l'alchimie), alors que
le second est de formation récente (1819, DHLF). Au moment
précis où Ducasse l'emploie, le mot aluminium fait
justement son entrée pour désigner le matériau
industriel (l'assiette, chez Jules Verne, l'Ile
mystérieuse, 1874), produit de basse qualité (la
médaille, chez Flaubert, 1859, dix ans avant Ducasse),
« vile production moderne » (pour le Des
Esseintes de Huysmans, 1884). On trouvera ces rares occurrences au
TLF. Or, justement, ce n'est pas en ce sens, pour nous courant,
qu'alluminium est employé ici. Au contraire, il s'agit du
vocabulaire spécialisé de la chimie. Mercure et
aluminium, mots rares et recherchés dans cet emploi,
désignent deux couleurs, le rouge et le blanc.
(g) Ressembler
proportionnellement serait un
pléonasme assez curieux si on ne le comprenait comme le
traducteur Aldo Pellegrini : toutes proportions
gardées.
(h) Faut-il attribuer ces
marques à des
coups de fouet ? ou encore au glissement des câbles et
cordages sur le dos et les épaules des mousses ?
Autrement, pourquoi donc ont-ils des ecchymoses au dos ?
Attendons l'expertise de la ducassologie maritime.
(i) La dissociation entre les
amants et le
« on » qui suit (sans qu'on, et
non : sans qu'ils s'en rendent toujours compte),
très naturelle en castillan (sin que se advierta, se den
cuenta), s'interprète ainsi : nous n'y pensons pas
toujours, mais tu rappelles aux souvenirs de tous ceux qui
t'aiment... Bien entendu, lorsqu'on sait que Ducasse a sous les
yeux une stance de Byron (cf. n. 7), l'ironie apparaît
aussitôt.
(j) On comprend que vu d'un
bateau, en pleine mer,
l'océan est sphérique; mais ce n'est pas la
perspective présentée ici; l'océan, au
singulier, rond ou
« sphérique », c'est celui du
Pèlerinage de Childe-Harold, c'est-à-dire la
Méditerranée, même si Byron ne la qualifie
jamais ainsi (il parle toutefois de
l'« ovale » du lac de Némi). Le trait
est donc particulier à Ducasse. Ensuite, la face de
la géométrie, c'est la « figure
géométrique », mais sans que le jeu de mot
ou la transformation artistique ne soit sentie comme une
construction stylistique significative, contrairement au chiasme
qui oppose implicitement « face
réjouie » et « grave
géométrie », lui très net. En
revanche, c'est bien la « figure
géométrique » qui appelle la
« figure de l'homme », sujet de la strophe.
Aucune trace d'hispanisme ou de gallicisme ici, sauf
peut-être,
certainement, la rêverie sur
semblable/ressemblance, à partir du mot courant pour
désigner le visage ou la figure,
« semblante », construit
étymologiquement sur semejar, semejante (qui signifient
« ressembler » et
« semblable » et qu'on retrouve en
français dans ressemblance).
(k) Perfection : le
vocable positif et
mélioratif paraît à première vue en
contradiction avec le contexte dépréciatif.
Dès lors, on comprend qu'il s'agit d'une figure de style, la
transformation d'un tête-à-queue : la perfection
circulaire, c'est le cercle parfait, parfaitement rond. Il n'y a
pas là de perfection.
(l) « Dans tous les
siècles » n'est une expression ni en
français, ni en espagnol. Elle est probablement
inspirée
« des siècles
innombrables » du poème de Baudelaire que va
bientôt citer Ducasse; toutefois, on ne doit probablement
comprendre ni « depuis toujours », ni
même « depuis des siècles », mais
bien « dans, à chaque
siècle ».
(m) Beau réellement,
en français,
est une inversion : l'homme n'est pas réellement beau;
mais c'est surtout la transformation d'un syntagme
prépositionnel en un adverbe, soit : en
réalité, l'homme n'est pas beau.
(n) Ce n'est pas
l'identité, mais
l'uniformité qui se trouve définie dans la suite de
la phrase et développée dans l'alinéa. Comme
la même distinction existe en espagnol (identidad et
uniformidad), le lapsus est probablement entraîné par
le contenu mathématique de la strophe
précédente, identité et égalité
étant deux synonymes courants de l'arithmétique.
(o) En descendant du grand au
petit, chaque
homme... : tous, du plus grand au plus petit. À la phrase
précédente, les morceaux de terre étaient des
pays et les voisins, des résidants de pays voisins; ici, la
tanière est la maison, de sorte que le semblable est son
voisin. Dès lors, les deux mots, semblables et voisins,
paraissent inversés.
(p) En outre : l'adverbe
ouvre abruptement une
seconde partie de l'alinéa qui renvoie à son
ouverture, de sorte qu'on va passer des poissons que nourrit
l'océan au fait que l'océan nourrit les poissons.
(q) Lancés par une
redondance (à la
faveur d'un hispanisme, grandeur
matérielle), la phrase est merveilleusement
alambiquée, de sorte qu'elle pourrait représenter
à elle seule le trait de style particulier à la
strophe 1.9 : grandeur matérielle, puissance
active, mesure de la puissance et surtout la tournure vraiment
géniale sur l'idée « qu'on se fait de ce
qu'il a fallu » ! Dans l'ensemble, on y retrouve la
parodie du discours du collège, notamment le discours
scientifique (ici, c'est la physique, ce seront ensuite les
mathématiques, puis l'astronomie avec l'addition du
télescope à la dernière édition), mais
également le discours littéraire, celui des fables.
Il y a évidemment du collégien dans cet
alinéa, comme dans toute la strophe.
(r) Digne(s) d'un autre ou
d'un meilleur sort.
L'expression s'applique à un nom propre, à un pronom
ou à une qualité de la personne en question :
qui mérite autre chose ou mieux. Ducasse l'emploie dans un
sens dérivé : qui serait mieux employé
ailleurs.
(s) Gras (grueso) est manifestement mis pour gros
(gordo), comme on avait plus haut hier mis pour la veille, cf.
n. (b). Aucune influence de l'espagnol ici
non plus.
(t) Hubert Juin corrige en
note : reconnus. Au
contraire, non seulement il n'est pas d'usage d'accorder le
participe passé construit avec le pronom en s'il est
partitif (soit en = un échantillon, une partie des
abîmes), mais en plus le verbe reconnaître introduit un
attribut du complément d'objet (ont reconnu quoi ?
—
« qu'un certain nombre d'abîmes étaient
inaccessibles »). C'est l'occasion de reconnaître
qu'Isidore Ducasse est très habile dans l'application des
règles d'accord du français et qu'il a bien
mérité ses prix de grammaire française au
lycée. Cela dit, Hubert Juin n'est pas moins bon
grammairien, la phrase de Ducasse pouvant illustrer
l'absurdité de la règle d'accord du participe
passé avec en, puisque l'attribut qui suit, lui,
s'accorde ! inaccessibles.
(u) Très exceptionnelle
construction
elliptique (ça = avoir accès aux abîmes de
l'océan), dénotée en plus par les points de
suspension, le tout (avec ça pour cela) comme tournure de
langue parlée. On en trouvera encore une autre, plus
spectaculaire encore, plus bas dans la même strophe :
cf. (aa).
(v) Au sens abstrait que prend
maintenant le
vocable dans le contexte, reconnaître pour explorer, on
attend la forme simple, connaître.
(w) Participiales courantes en
espagnol : je me
suis surpris m'efforçant (à m'efforcer) de
résoudre ce problème en faisant abstraction de
tout autre chose.
(x) Se mettre en ligne (afin
de se comparer ou
encore mis pour se comparer) est une locution qui s'explique
difficilement. Se mettre en ligne est une expression militaire
(d'où peut-être mettre sur la même ligne, au
même plan, au même niveau); mettre en ligne est aussi
une expression de comptabilité dans mettre en ligne de
compte, pour tenir compte, comptabiliser. S'ajoute à cette
curiosité, le caractère alambiqué de
« l'océan qui, malgré sa profondeur, ne
peut se mettre en ligne, quant à la comparaison sur cette
propriété avec la profondeur du coeur
humain »... La propriété étant la
profondeur, on attendrait donc « à ce
sujet » et non « sur cette
propriété ».
(y) Aucune des deux
occurrences de chacun*s ne
convient dans cette phrase, dont le sens est, manifestement,
personne ne manquait (ou plus naturellement, on ne
manquait pas) de s'écrier que n'importe qui, tout
le monde pouvait en faire autant.
(z) T : Qui comprendra
pourquoi [...] drapé
dans sa fierté solitaire. Le point d'interrogation
s'impose, tout comme dans l'interrogative qui suit : Qui
comprendra pourquoi l'on savoure [...] en même
temps ?
(aa) T : ... Ils ont beau
employer toutes les
ressources de leur génie... incapables de te dominer. Ils
ont trouvé leur maître.
La lecture que je propose modifie la
ponctuation, mais a l'avantage
de ne rien changer au texte. Comme la plupart des traducteurs, je
pense que le verbe a été omis par inadvertance.
En effet, on a rencontré plus haut une
construction
elliptique (cf. (u)), mais on trouve ici une si
exceptionnelle désarticulation syntaxique qu'on n'arrive pas
à se l'expliquer, justement à cause de sa
simplicité. Pourquoi ne lit-on pas, ils sont
incapables de te dominer ? On peut certes y voir un jeu
propre à la déclamation orale,
théâtrale, forme qu'on retrouve dans les trois courtes
phrases qui suivent en forme de
questions-réponses, mais les points de suspension suffisent
à cet effet.
(ab) Sans chemin de fer :
l'expression paraît une création de Ducasse.
(ac) Se porter, encontrarse.
La nuance n'est pas
assez marquée pour être portée au nombre des
hispanismes, mais il est clair que le pronominal « se
porter », d'usage familier, paraît vraiment curieux
dans ces deux contextes où l'on comprend qu'il s'agit
d'aller voir comment vont les poissons et surtout comment
les hommes se sentent eux-mêmes [rendus
là !] (cómo se encontran los peces y sobre todos
cómo se encontran ellos mismos).
(ad) Du bruit fait
exprès pour
anéantir quelques secondes. Si l'expression est encore une
création de Ducasse, elle est vraiment aussi originale
qu'énigmatique. Beaucoup de bruit pour rien, mucho ruidos
para nueces (« beaucoup de bruit pour des
noix »). L'expression est toutefois
renversée : du bruit fait pour... Qu'est-ce donc
qu'anéantir quelques secondes ? Tout cela pour une
opération qui ne prend pas plus de quelques
secondes ?
(ae) T : molles effluves.
Faute d'accord, effluve
étant masculin. L'édition José Corti corrige
: mols effluves, et c'est la correction que suggère
également en note Hubert Juin (p. 36, n. 2). Il
s'agit d'une hypercorrection qui tente de conserver une
sonorité « poétique », en
ajoutant une nouvelle faute. Les adjectifs bel, nouvel, fol, mol
et vieil ne s'utilisent en français moderne que devant les
noms masculins singuliers qui commencent par une voyelle
(exemples : un mol abandon, le mol effluve). Devant le
même mot au pluriel, en emploie la forme moderne : de
mous abandons, les mous effluves. Voir l'analyse de Maurice
Grevisse, par. 345, NB no 3.
(af) Inversion de l'adjectif
et du nom d'autant
plus marquée que celui-ci est suivi d'un complément
déterminatif.
(ag) Accord remarquable,
qui marque à lui
seul l'ellipse de l'apposition : vagues, ces deux vagues.
Aussi bien par son sens que par sa sonorité, voilà
une phrase digne de Lamartine, sauf pour le pronom explétif
que le poète de l'écume n'aurait pas manquer
d'ajouter : à peine l'une diminue-t-elle que...;
même chose pour la phrase suivante : ainsi les
être humains meurent-ils...
(ah) Laisser un bruit : on
attend
évidemment faire, produire, mais on attend surtout une
restriction et un superlatif (sans même faire le moindre
bruit écumeux). Ce trait de style — cette absence de
« style » — est une figure propre
à
Isidore Ducasse et qui apparaît nettement dès que l'on
confronte le texte à ses traductions, car ses traducteurs
doivent faire un effort considérable pour laisser au texte
sa « platitude » inattendue dans ces cas
(tellement la formulation rhétorique attendue est
évidente) et, pour bien dire, ils ne résistent pas
toujours à manifester le style poétique convenu en
littérature, ce qui est bien normal.
(ai) S'abandonner, c'est
ici se laisser porter,
soit se laisser s'abandonner, formulation lourdement
redondante.
(aj) Qu'est-ce donc que
cette vengeance de
Dieu ? C'est manifestement un
tête-à-queue pour le Dieu vengeur, soit : si tu
veux que je te compare à Dieu, toi, Satan. En effet, au
coeur de la strophe, la transformation de style artiste explique
son sujet et son mouvement, depuis la Grand Célibataire,
Dieu, jusqu'à son renversement dans le frère, le
Monstre, Satan. Tout cela est impliqué dans la comparaison
souhaitée, souhaitable avec la « vengeance de
Dieu »; impliqué,
c'est-à-dire implicite, d'autant que les deux personnages en
cause sont, eux, explicitement présents dans
l'alinéa : le souverain pouvoir et Satan, le prince
des ténèbres.
(ak) Par mis pour de.
(al) Le verbe est transitif
indirect : il ne
m'en imposera point.
(am) Magnétiseur :
en ce sens, le mot est
sorti de l'usage, avec le concept du « magnétisme
animal », curieuse conception physique de
phénomènes psychologiques. Le sens approché
du mot est aujourd'hui hypnotiseur.
(an) Ne... pas. L'adverbe
de négation
ne s'emploie seul (sans pas ou point) avec pouvoir suivi
d'un infinitif complément (je ne puis découvrir, je
ne puis t'aimer), sauf pour appuyer la négation, ce qui
n'est pas le cas ici, dans aucun des deux contextes de cet
alinéa. Cf. Grevisse, par. 876, 6e.
(ao) Il n'est pas usuel
d'inverser le pronom
atone à la première personne du singulier de
l'indicatif présent (pourquoi est-ce que je reviens à
toi !), d'où le caractère très emphatique
de l'exclamation. Cf. Grevisse, par. 709.
(ap) Comme on le voit, le
texte ne s'ajuste pas
ici sur la réécriture de l'incipit de la
troisième édition : c'est la variante (3), où le chant est devenu une strophe,
notre
« strophe » 1.9, le mot désignant ici
ses alinéas, ce qui trahit sa source, les stances du
Pèlerinage de
Childe-Harold de Lord Byron. On comprend sans peine que la
neuvième strophe du Chant premier,
l'« invocation » à l'océan, est
composée de dix strophes, sans compter l'introduction.
L'« écrivain » n'ajoutera pas d'autres
alinéas (d'où l'utilisation des points de transition
qui vont suivre pour ouvrir la conclusion, comme on les trouvait au
tout premier alinéa). Toutefois, ce n'est pas le nombre de
strophes qui est en cause ici, mais le sujet ou le thème de
la dernière, qui représente donc l'aboutissement de
l'hymne à l'océan (voir la n. (aj) sur ce point).
(1) Genèse,
rédaction. Le sujet de
la strophe est donné. Rien toutefois ne permet de croire
que le texte est déjà rédigé au moment
où l'auteur compose ce premier
alinéa d'introduction. En revanche, il ne fait pas de doute
que Ducasse a sous les yeux les deux textes qui l'inspireront. Il
s'agit d'abord de l'hymne à la mer qui achève (au
quatrième et dernier chant) le Pèlerinage de
Childe-Harold de Lord Byron et « L'homme et la
mer » de Baudelaire, dans les Fleurs du mal.
Toutefois, il est certain que Ducasse va
adapter ou translater en prose la forme du poème
d'Émile
Deschamps de Saint Amand (1791-1871), « Sombre
Océan ». Le rapprochement est d'Alain
Chevrier : « Un poème d'Émile
Deschamps aux sources du Vieil Océan »
(Cahiers Lautréamont, vol. 41-42, 1997,
p. 20-27). C'est le poème de quatre dizains (ou
plutôt quatre « strophes de dix vers »,
soit 4 + 6, en deux
séries de deux rimes croisées, où Vénus
rime avec inconnus !) qu'on lira en premier ci-dessous.
Chaque strophe s'ouvre sur l'apostrophe « Sombre
Océan » reprise en tête des deux derniers
vers, sous forme de refrain, dont le dernier vers est lancé
par la formule « J'aime à... ». Les dix
« strophes » du « chant »
de la « strophe » 1.9 (voir plus haut la
troisième variante) s'ouvrent
de même sur l'apostrophe « Vieil
océan » et se terminent sur le refrain
« Je te salue, vieil océan ! ». Le
poème de Deschamps a paru dans son recueil de
poésies, les siennes et celles de son frère Antoni,
lorsqu'il est réédité en 1841 (il sera repris
dans ses OEuvres complètes sous le titre
« Marine » en 1872, donc après la mort
de Ducasse). Comme on va le voir, le poème est
dédié à Lamartine et il est bien lamartinien,
aussi larmoyant que chrétien, sans aucune commune mesure
avec le
contenu original manifestement improvisé du Chant 1.9. En
effet, le poème de
Deschamps n'était pas même digne d'une parodie et on
n'en retrouve aucun élément dans le contenu du texte
de Ducasse. Les deux textes ne partagent pas le même
vocabulaire et certainement pas la même pensée. Mais
il est intéressant de voir notre poète emprunter une
forme
poétique, une systématique de l'anaphore, la vider de
son sens et la translater en prose, pour l'utiliser à ses
propres fins.
Aucun autre des textes qu'on a pu rapprocher
de cette strophe ne
peut être retenu comme source textuelle (les Nuits
d'Young, les Nachez de Chateaubriand, etc.; cf. Walzer,
Pléiade, n. 3). Au contraire, Byron
et Baudelaire sont cités textuellement : dès
lors, les rencontres de mots, même en dehors de
co-occurrences ou de contextes étendus, peuvent être
retenus. Ainsi, par exemple, l'adjectif
« amer » vient bien à lui seul de
Baudelaire, puisque son poème est textuellement cité
par ailleurs. De façon générale, c'est le
grand poème de Byron qui constitue la source d'inspiration
première, la source « poétique »,
tandis que le petit poème de Baudelaire en est curieusement
la « source de réflexion ». S'il chante
avec ou comme Byron, Ducasse dialogue avec Baudelaire.
Voici d'abord le petit poème de
circonstance qui inspire la forme de la strophe.
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