Corrections justifiées
1) P 1869, p 321: 16.
T : Le
corsaire aux cheveux d'or, a
reçu la
réponse de Mervyn. — Il faudrait soustraire la virgule
qui
séparait le sujet et son verbe. Je choisis plutôt
d'encadrer de
virgules le complément déterminatif, ce qui
correspond à la
logique de la ponctuation des Chants, en plus de mettre ce fameux
complément
en relief.
2) P 1869, p 323:
25-28.
« ... Arrêtez !...
arrêtez !... » cria le quatrième, avant que
tous les bras se
fussent levés en cadence pour frapper résolument,
cette fois, sur le
sac. « Arrêtez, vous
dis-je...
L'incise est si longue qu'elle ne peut rester
à
l'intérieur d'une phrase en style direct entre guillemets.
Je scinde donc
la phrase. L'intervention typographique s'impose.
Dans toute la strophe, comme depuis le
début de cette
édition, j'utilise mon privilège d'éditeur
pour régler
la typographie. On a compris depuis longtemps que le
« point
final » se trouve toujours à l'extérieur et
non à
l'intérieur des phrases entre guillemets. Le point final
est final, il suit
le guillemet de fermeture (»). Dans les citations entre
guillemets,
après l'incise de présentation, la phrase ou la
première
phrase s'ouvre par la minuscule (il dit :
« tatata » et
mon « Tatata ». Cela implique quatre
minusculisations dans la
présente strophe !
3) P 1869, p 324: 21.
Le
dénouement va se précipiter; et, dans ces sortes de
récits,
où une passion, de quelque genre qu'elle soit, étant
donnée,
celle-ci ne craint aucun obstacle pour se frayer un passage, > : il n'y
a pas lieu de
délayer dans un godet la gomme laque de quatre cents pages
banales.
La dernière proposition découle de la
précédente, qui
la justifie (soit, il n'y a donc pas lieu...). Cela doit
être
typographiquement marqué par les deux-points.
(a) Il faudrait lire, pour
arriver à
l'heure indiquée, car le rendez-vous est fixé
à 5 heures au
pont du Carrousel (6.5, p. 299:
16). À
remarquer que, dans ces conditions, la Reconnaissance
(événement
typique des romans d'aventures) n'a rien d'extraordinaire
(« Quoiqu'ils
ne se fussent jamais vus, ils se reconnurent ! »,
p. 322: 10).
(b) La strophe accumule ses
« faux
indéfinis », depuis son ouverture, avec le
corsaire qui
désigne évidemment Maldoror.
L'indéfini, individu,
peut se justifier, si l'on veut, par la focalisation, le narrateur
adoptant le
point de vue de Mervyn, comme plus loin (p. 323: 2),
celui du boucher qui ne connaît pas Maldoror. Pour les deux
passants
(p. 322: 8), il n'y a aucune
justification, comme c'est
le cas du patient (p. 322: 27) et de
l'interpellé
et son interrupteur ! (p. 323: 5),
tous d'effet
comique, jusqu'à « le » sauveur
(p. 324: 8). Car en fait, le faux indéfini
n'est pas dans
cette strophe un trait grammatical ou narratif, mais une figure de
style du roman
feuilleton, que Ducasse s'amuse à employer de manière
manifestement
inappropriée, à tort et à travers (alors que
les romanciers
populaires, eux, la justifient toujours et très lourdement,
sauf s'il s'agit
d'une simple reprise pronominale, comme c'est plusieurs fois le cas
ici).
(c) « Un individu, porteur
d'un sac sous le
bras » : très évident et volontaire
explétisme, pour, un individu, (avec) un sac sous le
bras.
(d) Esprit mathématique. Il
s'agit d'opposer
l'esprit rationnel à l'attitude sentimentale. L'expression
est peu
fréquente : le TLF en compte neuf occurrences au XIXe
siècle,
avec celle de Ducasse. Elle se trouve surtout en domaine
philosophique
(Auguste Compte, Durkhein). En littérature, on peut y voir
une
création d'Isidore Ducasse, dans la perspective de sa
célèbre
strophe en hommage aux mathématiques (2.10).
(e) Dégagea l'ouverture, pour,
l'ouvrit.
(f) Un boucher assis « sur la
viande de sa
charrette » ? Serait-ce une inversion pour, le
boucher assis... sur
sa charrette de viande ? Il faut deviner et
réécrire la phrase,
en réorganisant trois vocables, boucher + charrette +
viande, tout en
oubliant le fait évident que le conducteur de la charrette
est assis !
derrière le cheval, forcément.
Cela dit, n'est pas Zola qui veut. Le boucher
vient de
l'abattoir où, en effet, il retournera avec son
« sac ».
Dès lors, il est curieux que ce soit à un boucher
d'abattoir de
livrer les pièces de viande aux boucheries (halles,
marchés ou plus
petits commerces), ne s'agissant évidemment pas de sa
spécialité, si je puis dire. Bref, si l'auteur
emprunte l'abattoir
au roman hyper-réaliste d'Echeverría, il est bien
loin de pouvoir en
faire un tel usage.
(g) Comme c'est le cas ici, lourdeur,
pour, comme dans
ce cas-ci. — À remarquer que le castillan ne
connaît pas cette
formulation démonstrative renforcée (indiquant la
proximité,
ou l'éloignement dans, ce cas-là); il dit,
simplement, dans ce cas,
en este caso. Mais l'hispanophone a intériorisé le
mécanisme
de ce démonstratif français (el caso aqui, ici,
traduit Ana Alonso
pour suivre le texte de près).
(h) Remarquer. Le verbe paraît
ironique, pour,
voir, vous rendre compte.
(i) Insister, l'emploi du verbe est
correct, mais
implique des sous-entendus. On comprend, « ai-je besoin
de
m'appesantir sur cette strophe ? ». Bref,
personne ni lui
ne la trouve(ra) de bonne qualité.
(1) Le corsaire aux cheveux d'or.
À la suite de
la thèse de Naruhiko Teramoto (Nancy II, 2000),
Jean-Luc Steinmetz a
désigné de plus en plus précisément
(GF,
Pléiade II) la « source » de cette
désignation, soit le titre du roman de Louis Noir
(pseudonyme de Louis
Salmon), paru en feuilleton dans le Conteur (revue dont le
titre
était auparavant Journal de la guerre). Le
Corsaire aux cheveux
d'or, roman historique inédit, nos 996-1042, 9
déc. 1868 au
19 mai 1869. Le roman sera ensuite réédité,
à partir
de 1874, en plusieurs volumes (au moins trois),
généralement sans
date, aux éditions Fayard (Paris).
L'intérêt, pour nous, est la
source de
l'information désignée par J.-L. Steinmetz. N.
Teramoto a
tiré de sa thèse l'article
« Lautréamont et
paralittérature : la mise en oeuvre du système
répétitif du roman feuilleton »,
Gallia
(CNRS),
no 40, 2001, p. 195-202. Bien sûr, le Chant 6
se moque du
roman, parodie le roman populaire, mais N. Teramoto fait la
preuve que cette
formule est reprise très précisément des
titres du
roman feuilleton, qui ont la caractéristique de se rappeler,
voire de se
recopier (cf. son analyse judicieuse sur la variation des titres,
p. 199).
Le preuve ? Louis Noir est bien l'auteur du Corsaire aux
cheveux d'or,
mais il publiera également... l'Homme aux yeux
d'acier ! (1880).
Avec Jean-Pierre Lassalle, qui avait déjà
trouvé le titre du
roman, le Corsaire aux cheveux d'or (Cahier
d'Occitanie, 1989) et
l'analyse de Naruhiko Teramoto, on peut voir que la formule glisse,
dans les
Chants, du roman ou du roman populaire, où elle était
empruntée à Victor Hugo (« l'homme au
manteau » : 2.11, n. (6)), aux
titres des romans feuilleton.
(2) Depuis la rue du Faubourg
Saint-Denis où
habite Mervyn, le boulevard Sébastopol n'est pas à sa
porte,
s'agissant de la grande artère parallèle,
immédiatement
à sa gauche, à partir de la gare de l'Est (sous le
nom de boulevard
de Strasbourg). Pour se rendre au pont du Carrousel, Mervyn suit
un
itinéraire d'une grande simplicité... sur un plan de
Paris. Mais
l'itinéraire en question n'est pas logique, dans la
topographie parisienne
(le chemin le plus court pour se rendre au pont du Carrousel serait
de passer par
la place des Victoires). Il suit donc le grand boulevard jusqu'au
quai Saint-Michel
(d'où il voit, effectivement, la célèbre
fontaine);
mais pour cela, il doit traverser l'île de la Cité,
avec ses deux
ponts, et se retrouver sur la rive gauche. Pour se rendre au pont
du Carrousel,
soit directement,, soit en empruntant le boulevard
Sébastopol,
arrivé au fleuve, on longe évidemment la rive droite,
trajet que
suivra justement Maldoror.
Si l'on ne sait pas d'où vient
Maldoror, en revanche
on sait exactement où habite Mervyn. Il suit qu'Isidore
Ducasse invente une
belle symétrie dans le déplacement de ses deux
personnages sur les
rives de la Seine, mais il est difficile de comprendre pourquoi il
n'a pas
inversé leur situation sur les deux rives du fleuve, puisque
celle de Mervyn
est doublement illogique.
(3) L'auteur
inverse manifestement l'opération. À moins
d'être en face de
deux acrobates, on ne peut pas imaginer Maldoror, attrapant Mervyn
« par
la tête » et le faire basculer dans le sac; c'est
évidemment le sac qui peut être lancé à
la tête
du jeune homme pour être glissé ensuite à ses
pieds, avant
d'être fermé, si un mouchoir pouvait servir à
cet effet !
Cela dit, le rédacteur a imaginé un moyen de faire
transporter la
victime à l'abattoir, mais il n'a pas beaucoup
réfléchi
à la vraisemblance des opérations qui suivent :
Maldoror ne
peut manoeuvrer un adolescent comme un paquet de linge et faire
passer le paquet
pour un... chien, ce qui sera maintenu jusqu'à la fin de la
strophe !
Du coup, on doit relire la strophe et on ne
manque pas de la
trouver d'une qualité narrative comparable à la
strophe 6.5 dont elle
est la « suite », au contraire de la strophe
précédente, 6.8. Si cela ne se voit pas à
première
vue, c'est à cause de l'originalité qui tient
entièrement à sa source d'inspiration qui sera
présentée à la note suivante.
(4) Étant donné la suite
de la strophe,
il apparaît que le déroulement de l'histoire est
prévu depuis
le tout début, ce qu'on voit clairement avec l'apparition du
sac que
Maldoror tient sous le bras. L'auteur sait qu'il conduira Mervyn
à
l'abattoir.
La cause en est que l'épisode est
inspiré du
tout petit roman d'Esteban Echeverría, el Matadero
(l'Abattoir). Le
texte en sera publié l'année suivante par Juan
María
Guntiérrez dans la Revista del Rio de la Plata
(vol. 1,
no 4 (1871), p. 556-585). Dans son prologue
(p. 556-562),
l'éditeur de l'oeuvre complète d'Echeverría
(Buenos Aires,
Imprenta de Mayo, 1870 et suiv., 4 vol.) dit qu'il a
« trouvé » le manuscrit du petit
brûlot dans les
papiers de l'auteur. L'utilisation évidente qu'en fait
Isidore Ducasse ici,
un an plus tôt, nous invite à revoir la chronologie du
Matadero.
Esteban Echeverría a
rédigé sa petite
parodie romanesque naturaliste et surréaliste en Argentine,
alors qu'il
s'était retiré à son estancia, en 1839 (la
mort
d'Encarnación Ezcurra de Rosas, l'épouse du
dictateur,
désignée dans le roman est survenue en octobre 1838,
tandis que le
« déluge », qui ouvre le roman
correspond à la
météorologie journalistique des mois de mars et avril
1839). En
1840, il doit se réfugier à Colonia, puis à
Montévidéo, où il retrouvera plusieurs de ses
amis de
l'association (clandestine) de Mai. Il lit el Matadero
à plusieurs
d'entre eux, notamment à Juan Bautista Alberdi, à
Florencio Varela
et, justement, à Juan María Gutierrez, le futur
éditeur de ses
oeuvres complètes (cf. José Pablo Fleinmann,
Radar, 9 mars
2008). Mais le roman reste inédit, probablement parce
qu'Echeverría
sera pris par son grand essai, le Dogme socialiste qui
paraîtra en
1846, peu avant sa mort en 1851, mais probablement aussi parce que
le pamphlet
porte sur une situation toujours actuelle — et constitue un
très
brutal engagement politique.
Cela dit, il ne fait pas de doute qu'el
Matadero a
circulé sous forme manuscrite, bien avant sa publication en
1871 et la
présente strophe 6.9 en est la preuve. Aux
spécialistes de l'auteur,
au Cône sud, de faire la démonstration
matérielle de ce qui ne
fait aucun doute. Le petit roman a certainement circulé
dès avant
le décès d'Echeverría, c'est-à-dire
durant plus de
vingt ans. D'abord et avant tout parce qu'il est impossible qu'une
oeuvre aussi
spectaculaire ne
soit pas recopiée par les amis et les admirateurs du
poète, de
l'homme politique et de l'essayiste (il suffit de lire sa
nécrologie par
Alberdi pour s'en convaincre, car on ne trouve pas souvent de texte
aussi
émouvant : « Esteban
Echeverría », Chili,
Valparaíso, mai 1851).
Il faut en conclure que François
Ducasse s'était
procuré une copie d'el Matadero et que le tout jeune
Isidore l'a lue
avant son départ pour Paris, à 13 ans, en 1859. En
effet,
l'influence du Matadero sur la strophe 6.9 n'est pas d'ordre
« textuel » (Isidore Ducasse n'en a
évidemment pas le
texte à Paris). En revanche, le souvenir de sa lecture,
faite à
l'adolescence, a laissé à notre auteur une telle
impression que son
influence déborde de beaucoup cette strophe (où la
« source
d'inspiration » est involontairement enregistrée)
pour marquer
l'ensemble du roman au Chant 6 (voir l'analyse que j'en
propose dans
« Les sources d'inspiration
des Chants de
Maldoror »).
On en veut la preuve ? Le simple mot
« abattoir », qui date de 1806 en
français (DELF),
n'apparaît qu'en 1813 dans la littérature
française (TLF), et
chez Balzac en 1822 (dans une comparaison). En 1869, lorsqu'on le
trouve dans les
Chants de Maldoror, le vocable n'a que 82 occurrences dans
les oeuvres de
la littérature française. En psycho-sociologie, le
titre et surtout
le cadre de l'histoire imaginée par Esteban Echeverría
lui vient,
naturellement, de sa culture argentine, qui se nourrit, c'est le
cas de le dire,
de la parillada (c'est la grille et tout ce qu'on y met
à frire) et
de son asado. Il ne faut pas connaître beaucoup la culture du
Rio de la
Plata, l'Argentine et l'Uruguay, pour le savoir. Par contre, en
France depuis le
début de son adolescence, Isidore Ducasse n'a aucune chance
de participer
à cette culture culinaire, bien au contraire ! Il suit
que son
idée d'envoyer Mervyn à l'abattoir lui vient tout
naturellement
d'el Matadero d'Echeverría. Autrement, le
court-circuit tiendrait
du miracle.
Mais il faut dire que
l'« influence » de
la source s'arrête au fait de conduire Mervyn à
l'abattoir dans le but
de le mettre à mort. Voici le déroulement narratif
du texte
d'Echeverría qui est aussi simple
qu'échevelé.
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