Les interventions du redoutable polémiste (nous le sommes tous) restent généralement sans réplique, malheureusement, ses victimes n'éprouvant pas le besoin qu'on mesure davantage la justesse de la critique et c'est bien dommage, cela nous permettrait de rire encore un peu, car si le polémiste est intervenu, c'est évidemment parce que ce n'était pas drôle du tout. La formule : polémique = réplique (pamphlétaire (sans réplique)).
L'éléphant de porcelaine L'arpenteuse du racisme La brouillonnologue de la CGMM Notre critique et sa poésie
Les fulminations de Dominique Deslandres, de René Latourelle et de Robert Toupin contre le « Mythe contemporain Laflèche »

Polémiques II

Guy Laflèche,
Université de Montréal

L'aliénicide d'Hubert Aquin

Le 25e anniversaire de l'aliénicide d'Aquin

Guy Laflèche
« Lettre au Devoir » refusée obstinément par le journal
Le 10 mars 2002

L'aliénicide d'Aquin

      J'ai beaucoup d'admiration pour le travail de Caroline Montpetit. Nous faisons tous les deux, je crois, des métiers complémentaires. Je suis professeur de littérature, tandis qu'elle est journaliste littéraire. « Reporter » n'a pas de correspondant en français, il me semble, et n'a pas de féminin. Disons que Caroline Montpetit est une formidable « critique ». Elle prête parfois sa plume, comme le veut son métier de choc, à l'annonce des événements culturels, surtout forcément lorsqu'ils sont bien subventionnés, comme c'est le cas de la rencontre du 15 mars à la Cinémathèque, sûrement.

      Pour l'anniversaire du prétendu « suicide » d'Hubert Aquin.

      C'est faux, absolument faux, car tout porte à croire qu'il s'agit au contraire d'un aliénicide. Hubert Aquin était suicidaire et a vraisemblablement été victime d'une conséquence de sa maladie.

      Caroline Montpetit rapporte, comme on le dit généralement et comme elle a dû le lire dans la documentation qui accompagne l'événement, que ses « proches » avaient été « avisés » de sa mort. Si je ne me trompe pas, une seule et unique personne en a été avertie d'avance, sa veuve, Andrée Yanacopoulo, qu'il ne s'agit pas pour moi évidemment d'accabler. Sauf erreur, toutes les autres personnes liées à Hubert Aquin ont reçu après sa mort, donc après le fait, l'annonce préméditée de son décès (par « lettres d'adieu », quelle tristesse).

      Dès lors, le titre, le ton et plusieurs passages de l'article de Caroline Montpetit, en première page du cahier « Livres » du Devoir me donnent la chair de poule et je voudrais protester. Non pas contre cet article, mais contre l'événement du vingt-cinquième anniversaire à la Cinémathèque.

      La mort d'Hubert Aquin est un aliénicide. Si le suicidaire s'était ouvert de son projet à quelques personnes (au moins trois sans rapport entre elles : c'est à mon sens la règle de trois pour faire la preuve d'un suicide véritable), avant de mettre son projet à exécution, il est hors de doute qu'il serait encore parmi nous aujourd'hui.

      Conclusion ? Je crois sincèrement que l'on doit célébrer l'anniversaire de naissance d'Aquin, jamais celui de sa mort. Il n'y a vraiment pas de quoi fêter.

      Guy Laflèche,
      Professeur titulaire,
      Études françaises,
      Université de Montréal.

      P. S. Hubert Aquin aurait maintenant 73 ans. On pourrait se préparer à fêter son soixante-quinzième anniversaire. On pourrait aussi fêter les quarante ans, puis le cinquantenaire de la publication de Prochain Épisode (1965), l'un des plus grands événements de l'histoire culturelle du Québec moderne, après la parution de Refus global (1948).

Ostracisme au Devoir

      Le Devoir a publié dans son numéro de samedi-dimanche les 9-10 mars 2002 une promotion des ouvrages dont le lancement a lieu à la Cinémathèque ce soir, le 15 mars, sous le titre « Délit de fuite », un reportage de Caroline Montpetit en tête du Cahier des Livres, lui accordant ensuite toute la seconde page du cahier.

      Une telle promotion n'est pas rare. Il s'agit pour l'essentiel, dans le cas présent, d'une entrevue d'Andrée Yanacopoulo, la veuve d'Hubert Aquin, encadrant des exposés sommaires des ouvrages dont le lancement aura lieu tout à l'heure à la cinémathèque à l'occasion du vingt-cinquième anniversaire de la mort d'Aquin, présentée comme un « suicide »

      L'article promotionnel du Devoir a bien entendu été « payé » par les organisateurs de l'événement. Cela s'est fait jusqu'ici sous la forme de deux publicités en PREMIERE PAGE du journal (sans compter, bien entendu, le poids économique d'un éditeur comme Fides au journal). Deux publicités en couleurs. D'abord la publicité de l'édition de Prochain Épisode dans la collection « Nénuphar », par Fides, publicité parue en PREMIÈRE PAGE du journal le jeudi 14 mars. Ensuite la publicité de la réédition de Signé Hubert Aquin de Gordon Sheppard et d'Andrée Yanacopoulo dans la collection « Bibliothèque québécoise », ce matin même, 15 mars, toujours en PREMIERE PAGE. C'est évidemment un bon prix (sans compter ce qui pourrait suivre comme revenus publicitaires) pour la promotion d'un lancement, on en conviendra. Le reportage de Caroline Montpetit était payé et bien payé, il n'y a rien à redire à cela.

      Car il ne s'agit pas ici d'une question de gains, mais de responsabilité. Les revenus publicitaires ne doivent jamais empêcher la critique et même l'apparence de conflit d'intérêts doit être évitée dans de tels cas.

      Dès le dimanche midi, 10 mars, j'ai adressé au Devoir la modeste mais ferme protestation qu'on peut lire ci-dessus. Ma protestation est très sommaire, évidemment, car je ne peux pas prétendre occuper beaucoup d'espace dans un journal où je suis ostracisé depuis plusieurs années (comme on peut le voir à l'édition du second volume de mes Polémiques ici même sur la Toile).

      Cela dit, je pouvais tout de même espérer que le journal serait tenu moralement de publier une modeste critique contre l'événement auquel il consacrait tant d'espace et dont il allait publier la publicité, comme c'était à prévoir.

      J'ai écrit cinq fois au journal pour demander que l'on publie ma lettre, j'ai évidemment demandé à Mme Caroline Montpetit d'appuyer ma demande, j'ai même écrit au président du Syndicat des journalistes pour dénoncer ce conflit d'intérêts évidemment néfaste à la liberté d'expression, à la profession de journaliste et en particulier à la réputation du Devoir et donc de ses journalistes.

      Devant le refus du journal de publier ma « Lettre au Devoir » sur l'événement du 15 mars à la Cinémathèque, j'ai annoncé que j'allais moi-même distribuer ma lettre aux notables qui participeraient à l'événement, à la porte de la Cinémathèque.

      Je vous improvise donc rapidement la présente pour dénoncer non plus l'événement, mais bien le Devoir qui m'a empêché de le dénoncer, tout modestement que c'eût été.

      En espérant qu'il ne pleuvra pas et ne fera pas trop froid tout à l'heure, je vous souhaite une bonne soirée, mesdames et messieurs, un bon lancement, et de jouir pleinement de ce vingt-cinquième anniversaire d'un « suicide », d'un aliénicide.

      Guy Laflèche
      guy.lafleche@umontreal.ca

      Le 15 mars 2002 (version du 19/03/2002)


Appendice

      J'ai bien distribué mon tract aux notables à la porte de la Cinémathèque le 15 mars 2002.

      J'ai consacré ensuite en vain assez de temps à faire connaître et reconnaître l'ostracisme du Devoir auprès des responsables de la Cinémathèque, des dirigeants du Centre de littérature québécoise de l'Université de Montréal et des professeurs de littérature du Québec.

      La vérité, l'aliénicide d'Aquin, continuera donc d'être cachée en regard du mythe si beau du suicide. Les saints Martyrs canadiens, Dollard des Ormeaux, l'abandon de la France, la Confédération, Maria Chapdelaine, Émile Nelligan et Hubert Aquin, autant de beaux mythes qu'on tue pourtant chaque fois d'un mot ou deux, si l'on accepte qu'ils soient tout simplement énoncés. Supplice, convoi de traite, conquête militaire, tentative d'assimilation, colonisation culturelle, névrose et aliénicide.

      Le cahier « Lectures » de la Presse d'aujourd'hui, 19 octobre 2003, m'apprend que Gordon Sheppart maintient évidemment la fabulation du suicide du suicidaire dans sa « thèse » publiée par Les Presses de l'Université McGill et Queen sous le beau titre HA ! A Self-Murder Mystery (2003). Le mythe a un bel avenir devant lui, grâce à l'ostracisme du Devoir à mon endroit.


Le 30e anniversaire de l'aliénicide d'Aquin

Des propagandistes puissants et efficaces

      Le Devoir, Jacques Allard et Andrée Yanacopoulo (grassement subventionnés) avec l'appui de leur éditeur Leméac (lui aussi subventionné), les propagandistes du mythe du suicide d'Hubert Aquin, s'offrent le cahier « Livres » de leur journal, les 10-11 mars 2007. Titre : « 30e anniversaire de la mort d'Hubert Aquin », avec en tête du cahier la présentation de Jacques Allard, pleine page, suivie de quatre articles : un texte assez anodin d'Andrée Ferretti, qui nous entretient de ses rencontres avec Aquin qu'elle n'a pratiquement pas connu; un panorama de son oeuvre par Guylaine Massoutre, excellent texte d'histoire littéraire à la mode journalistique; la chronique de Louis Hamelin, égal à lui-même, qui brode autour de ses souvenirs des événements et de ses lectures entourant Aquin. Seule l'entrevue qu'Yvon Rivard accorde à Christian Desmeules participe de la réflexion critique (et non de l'analyse, j'insiste, celle-ci commençant avec la reconnaissance explicite de l'aliénicide), même s'il utilise ou laisse utiliser la notion de mythe sans aucune rigueur intellectuelle : le titre de l'entrevue est en effet « Que faire du mythe Aquin ? » — Il n'y a pas ni n'a jamais eu de « mythe » Aquin en dehors de celui de son suicide. — Ou, plus précisément, le mythe repose tout entier sur la transformation d'un aliénicide en suicide. Et comme n'importe quel mythe moderne (SMC, 1: 232-234), celui d'Aquin n'est qu'une exploitation idéologique antirationnelle. Il n'est même pas nécessaire de le soutenir pour le propager. Il suffit, puisque c'est un myhthe !, de l'ignorer. Aussi, tous les textes de ce dossier, avec le journal, y participent-ils activement.

      D'ailleurs, ces textes servent simplement de couverture à la couverture. C'est la première page, pleine page du cahier du Devoir, que signe Jacques Allard, répétant encore ce qu'il ne cesse de répéter depuis des décennies, soit ses modulations de la thèse du « suicide » présentée par Andrée Yanacopoulo depuis la mort d'Aquin.

      On ne lit ni ne relit jamais sans frisson ces incroyables mièvreries qui constituent objectivement une apologie du suicide, alors que nous sommes en face d'un bien triste aliénicide. Cet exposé est fort pénible, parce qu'il tient de l'histoire romanesque et de la biographie à deux sous, le tout reposant sur une psychologie à trente sous. Bien entendu, on ne propage pas un mythe avec intelligence et on ne trouve pas une once d'analyse critique dans ce texte publicitaire, ce que Jacques Allard exprime en toute candeur en terminant. Lisez, nous dit-il, Signé Hubert Aquin : enquête sur le suicide d'un écrivain de Sheppard et Yanacopoulo, ouvrage dont la relecture lui inspirerait la rédaction de ce texte (« relecture » au sens mathématique, évidemment, et non critique), et lisez surtout les romans d'Aquin dont je suis, moi, Jacques Allard, le co-responsable de l'édition critique. Édition construite sur le mythe du suicide d'Aquin.

      Le texte de propagande s'intitule « Le jour où Hubert Aquin s'en alla », avec deux sous-titres qui disent tout : « Un dernier salut au monde » et surtout « Autocrucifixion ». L'apologie du beau, splendide et formidable suicide flamboyant consiste platement à expliquer très sérieusement qu'Aquin n'était « plus capable », plus capable d'écrire, plus capable d'attendre que le téléphone sonne pour que les grands de la nation le convoquent aux grandes tâches, bref, il n'était plus capable, plus capable de vivre, parce que, penserait-il, « le monde m'aime pas ». Par amalgame, tant qu'à faire petit, gagne-petit, on devrait ajouter, toujours selon Jacques Allard, que le ministre Camille Laurin est responsable de sa mort pour n'avoir pas donné suite « à sa demande d'un gagne-pain » (sic). Vraiment désolant.

      La seule idée nouvelle de cette page déplorable et déprimante est assez surprenante, s'agissant d'un fait biographique qui ne s'appuie, si je ne me trompe, sur aucun document d'Aquin. Il s'agit d'un prétendu « pacte de non-intervention » qu'Aquin aurait conclu avec son épouse « si l'un ou l'autre décidait d'en finir ». Comme c'est bien dit. On voudrait savoir quand, comment et pourquoi tellement c'est hallucinant. Psychologie à trente sous pour roman à deux sous, le roman du suicide d'Aquin. Un mythe.

      Hubert Aquin n'est pas responsable de sa mort. Il était suicidaire et personne n'a su le protéger des conséquences de sa maladie. Les faits le prouvent sans peine hors de tout doute. C'est l'aliénicide. Cela dit, mais pas avant, l'analyse historique, biographique, intellectuelle et littéraire peut commencer. Autrement, il n'y a aucune analyse critique possible.

      Je dois toutefois admettre que les propagandistes du mythe du suicide d'Aquin sont puissants et efficaces. Lorsqu'on réussit à contrôler l'information et à faire taire toute forme de critique qui ne peut être récupérée (utilisant même à son profit quelques réflexions critiques), alors on a droit à des félicitations. Bravo.

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Guy Laflèche
19 octobre 2007
9 mai 2012


Le 40e anniversaire de l'aliénicide d'Aquin

Le Devoir, 15 mars 2017 ?

      À ma connaissance, on n'a vu dans le Devoir aucune commémoration du 35e anniversaire du « suicide » d'Aquin le 15 mars 2012. C'est un remarquable non-événement. À tel point que le journal devrait s'expliquer à ce sujet.

      Pourquoi, en effet, cesserait-il de propager le mythe du beau « suicide » d'Hubert Aquin qui lui a tant profité jusqu'ici ? Ce serait donc ses propagandistes qui auraient compris, mythe ou pas, qu'il y a quelque chose de morbide et de sordide à célébrer un suicide ? Ce serait bien possible.

      Si tel était le cas, j'offre au Devoir toutes mes condoléances pour cette perte de revenus qu'il savait si bien protéger. Peut-être pourra-t-il se reprendre en 2017, au 40e anniversaire de l'aliénicide d'Aquin. — Je ne nous le souhaite pas.


TdMTGdM