Les interventions du redoutable polémiste (nous le sommes tous) restent généralement sans réplique, malheureusement, ses victimes n'éprouvant pas le besoin qu'on mesure davantage la justesse de la critique et c'est bien dommage, cela nous permettrait de rire encore un peu, car si le polémiste est intervenu, c'est évidemment parce que ce n'était pas drôle du tout. La formule : polémique = réplique (pamphlétaire (sans réplique)).
L'éléphant de porcelaine L'arpenteuse du racisme La brouillonnologue de la CGMM Notre critique et sa poésie
Les fulminations de Dominique Deslandres, de René Latourelle et de Robert Toupin contre le « Mythe contemporain Laflèche »

Polémiques II

Guy Laflèche,
Université de Montréal

      Je donne à ce chapitre de mes Polémiques le titre qui convenait au second de mes deux textes d'opinion adressés au quotidien le Devoir en réplique aux « âneries » et aux « élucubrations » de Louis Cornellier (les deux mots sont de lui), au sujet de Michel Onfray. Le journal de Montréal n'a pas retenu ces deux répliques, laissant le premier et le dernier mot d'insultes à son collaborateur. On trouvera ci-dessous ma réplique de 2007, telle que je l'avais éditée et commentée ici à l'époque. Mais on trouvera ensuite le texte (développé pour la deuxième fois) de ma seconde réplique refusée elle aussi par le Devoir. Et pour finir, la référence à ma critique, sur AgoraVox, de son petit texte pieux de Noël 2017 sur le petit Jésus.

Les bobards de Louis Cornellier

Table

 


 

Encore une « Lettre au Devoir » refusée par le journal.
Protestations du 22 janvier 2007.

Le prosélytisme de Louis Cornellier,
chroniqueur catholique au Devoir

      Il me semble que la dernière chronique de Louis Cornellier dépasse les bornes (20-21 janvier 2007). Elle s'intitule « Hitler et le christianisme » et se présente comme un compte rendu de la thèse de doctorat de Kathleen Harvill-Burton sur quatre théologiens contestataires en leur temps du régime nazi. D'après Cornellier, la théologienne qui fait de l'histoire se demande pourquoi donc ces quatre héros sont si négligés. La réponse est assez simple : ce sont de valeureux marginaux dans une Église qui fut objectivement nazie, avec le Saint-Esprit. C'est ce que dénonçait Michel Onfray, en dix pages de son Traité d'athéologie (Paris, Grasset, 2005, p. 217-228). — Bien entendu, Michel Onfray n'a rien à voir avec la thèse de la théologienne et ne s'y trouve pas cité.

      Mais Louis Cornellier profite de l'occasion pour insulter Michel Onfray et dénigrer son Traité d'athéologie. Le philosophe engagé que j'admire est traité de « philosophe tonitruant », de « philosophe qui tire plus vite que son ombre » qui affirmerait « âneries» sur « âneries », philosophe peu « perspicace » (en regard du bon André Frossard !) et qui aurait été « confondu », le pauvre, par Hitler et Rosenberg. Mettons que toutes ces insultes font beaucoup, beaucoup trop.

      Louis Cornellier fait dans le détournement de pensée. Selon lui, Michel Onfray aurait affirmé, « entre autres âneries, qu'Hitler était attaché au christianisme et à l'église catholique, qu'il était chrétien et n'a jamais abjuré sa foi et qu'il aimait le Jésus colérique chassant les marchands du temple ». Ce n'est pas vrai. Michel Onfray montre simplement que telle est la pensée chrétienne qui se dégage de Mein Kampf, mot à mot, sur la base d'une vingtaine de citations et de références. Et c'est cette idéologie on ne peut plus catholique qui oriente ensuite sa pensée et son action. La preuve en est (comme on le lit par un heureux hasard dans le compte rendu par Robert Comeau du Mythe Hitler de Ian Kershaw, dans la même page du Devoir, ces 20-21 janvier 2007), qu'Hitler abandonne vite les thèses paganistes et nordiques d'Alfred Rosenberg dès qu'il comprend qu'elles ne sont pas trop catholiques !

      Il faut donc dénoncer Louis Cornellier pour se prêter à un règlement de compte à l'endroit de Michel Onfray à l'occasion du compte rendu d'un autre ouvrage où il n'a absolument rien à voir. C'est un procédé inacceptable que de s'en prendre à un auteur ou à un livre sous prétexte de parler d'un autre. Ainsi en est-il de la citation suivante produite hors contexte : « Un lieu commun, qui ne résiste pas à une analyse minimale, encore moins à la lecture des textes, fait d'Adolf Hitler un athée païen fasciné par les cultes nordiques, amateur d'un Wagner de casques à cornes, de Walhalla et de Walkyries aux poitrines opulentes, un antéchrist, l'antinomie très exacte du christianisme ». Cette phrase du Traité d'athéologie (p. 224) est une très juste transition entre deux exposés très simples. L'antisémitisme commun d'Hitler et de l'Église de Pie XII, des nazis et des catholiques, d'une part, et l'appui et la caution du Vatican aux politiques d'extermination des Juifs lors des mises en place et des réalisations progressives de la solution finale par le national-socialisme, d'autre part. Oui, en effet, si l'Église catholique de Pie XII n'a pas été capable de dénoncer ce Crime épouvantable, elle l'a forcément cautionné.

      Que Louis Cornellier ose nous parler du Concordat de 1933 comme une façon pour l'Église catholique de ne pas se mêler de politique... pour survivre ! je pense vraiment que cela fait dans l'humour blanc, tellement c'est odieux, devant le décompte de ceux qui n'ont pas survécu.

      Depuis toutes ces années où Louis Cornellier sévit au Devoir, je pense qu'il est juste de s'interroger. Après quelques années de neutralité, le chroniqueur s'est révélé pour ce qu'il est, un très simple et rare missionnaire du catholicisme. C'est son droit le plus strict, d'autant qu'il affiche clairement ses convictions religieuses. Mais on peut se plaindre de son prosélytisme. Surtout que les chances ne sont pas égales : quel est donc le chroniqueur du Devoir qui s'affiche comme moi athée ? Je n'en vois aucun. Peut-être parce que nous ne sommes pas, nous, prosélytes.

      En revanche, et c'est l'objet de mon intervention, Louis Cornellier n'a pas le droit d'utiliser sa chronique pour insulter sans raison et hors propos un homme comme Michel Onfray pour la simple raison qu'il ne partage pas ses idées. Il doit savoir que le temps des curés est révolu et que sa chronique n'est pas une chaire d'où il peut anathématiser.

Guy Laflèche, Laval


Appendice

      Dès le lendemain de la parution de la chronique incriminée, j'ai adressé une première version de ce texte d'opinion au journal le Devoir, qui ne l'a pas publié. La direction n'est pas entrée en contact avec moi à ce sujet, laissant son chroniqueur manier l'insulte en toute impunité. La première version de mon texte se terminait en effet ainsi (dernière phrase devenue obsolète par la non-publication même) : « Louis Cornellier doit savoir qu'il ne peut anathématiser... impunément. En l'occurrence, je ne demande pas d'explications, mais de très simples excuses ». En fait, oui, il peut insulter impunément Michel Onfray. Le catholique prosélyte du Devoir n'a donc ni d'explications à donner, ni d'excuses à présenter et, comme au bon vieux temps, il peut être assuré d'une parfaite impunité : le Devoir est là pour le couvrir. D'où le refus de ma réaction critique qui paraît ici pour la première fois, en octobre 2007.

Date: Mon, 22 Jan 2007 17:38:09 -0500
Subject: Commentaire et analyse d'un lecteur pour la page IDEES
To: redaction@ledevoir.com

      Madame, monsieur,

      Voici ci-dessous, un texte critique que j'aimerais voir paraître dans votre page «Idée».

      Merci, j'espère, d'avance,

Guy Laflèche, Laval


Document

      Voici maintenant, puisque l'espace ici n'est pas compté, le texte complet de Louis Cornellier. On y verra la gratuité de ses insultes, surtout si l'on se reporte au texte ci-dessus qui montre que les idées attribuées à Michel Onfray par le chroniqueur sont incorrectement présentées et citées hors contexte. Tel n'est pas mon cas. Voici le contexte des insultes de Cornellier à l'endroit d'Onfray.

Hitler et le christianisme

par Louis Cornellier

Le Devoir, 20-21 janvier 2007, p. F6.

      Dans son Traité d'athéologie (Grasset, 2005), le philosophe Michel Onfray affirme, entre autres âneries qu'Hitler était attaché au christianisme et à l'Église catholique, qu'il était chrétien et n'a jamais abjuré sa foi et qu'il aimait le Jésus colérique chassant les marchands du temple [Ce n'est pas vrai : jamais Michel Onfray n'a fait de telles affirmations]. Onfray conclut donc aux « compatibilités christianisme-nazisme » et écrit « Un lieu commun, qui ne résiste pas à une analyse minimale, encore moins à la lecture des textes, fait d'Adolf Hitler un athée païen fasciné par les cultes nordiques, amateur d'un Wagner de casques à cornes, de Walhalla et de Walkyries aux poitrines opulentes, un antéchrist, l'antinomie très exacte du christianisme » [La citation est faite hors contexte, de sorte qu'on ne saurait en comprendre la portée, le sens et l'extrême justesse : je l'ai expliqué plus haut].

      « La lecture des textes » dont parle Onfray, la théologienne Kathleen Harvill-Burton l'a faite. Ses conclusions, colligées dans le Nazisme comme religion : quatre théologiens déchiffrent le code religieux nazi (1932-1945), sont pourtant à l'exact opposé de celles du philosophe tonitruant. Issu d'une recherche doctorale réalisée à l'Université Lavai sous la supervision de Jean Richard, cet essai, qui se situe « aux frontières de l'histoire religieuse et de la théologie », démontre brillamment que le nazisme n'était pas qu'un régime politique, mais « une vision du monde fondée sur une mystique » visant à détruire la foi chrétienne pour la remplacer « par l'idéologie nazie et la foi germanique ».

      Hitler et Alfred Rosenberg, l'idéologue du nazisme, étaient particulièrement retors. Leur machine de guerre idéologique et spirituelle a, semble-t-il, confondu Onfray, le philosophe qui tire plus vite que son ombre. Le vingt-quatrième point du programme national-socialiste, présenté par Hitler en 1920, met en avant, en effet, « le christianisme positif ». Aussi, si l'on s'en tient à cet élément, en négligeant « la lecture des textes », on peut en conclure que nazisme et christianisme font bon ménage. C'est une erreur grave, qui fut mortifère.

      Dans Le Mythe du XXe siècle, livre publié en 1930 pour préciser les fondements de l'idéologie nazie et fortement appuyé par Hitler, Rosenberg développe l'idée du « christianisme positif ». Attaquant « viscéralement l'Église catholique », le contenu de cet ouvrage affirme d'abord que « Dieu a choisi le peuple germanique pour incarner sa providence au XXe siècle » et rejette violemment « l'idée d'un peuple Juif élu » et « la doctrine de l'universalité du salut par le Christ » défendue par l'Église de Rome.

      II faut en finir, selon Rosenberg, avec le christianisme négatif d'un Paul de Tarse, qui entraîne « la destruction des valeurs raciales », puisque « le concept de race nordique élue pour son sang noble et organiquement supérieur meurt sous la notion de salut universel avancée par Paul et reprise par l'Église romaine ». Pour l'idéologue nazi, les concepts d'enfer et de vie après la mort détruisent « le libre esprit nordique ». Au sujet du péché originel, il écrit : « En revanche, la certitude d'être un pécheur est une attitude de bâtard [...] ».

      Dans le christianisme positif, Jésus n'est plus Juif, mais a plutôt du sang nordique, et les doctrines de la Trinité et du Saint-Esprit sont condamnées pour abstraction, parce qu'elles « n'ont aucun rapport avec une existence organique ». Hitler, dans ses entretiens avec Rauschning, ne dira pas autre chose : « Avec ces Confessions, que ce soit celle-ci ou celle-là, c'est la même chose. Elles n'ont aucun avenir. Certainement pas pour les Allemands. [...] Qu'importe que ce soit l'Ancien ou le Nouveau Testament [...] c'est la même imposture juive. [...] On est soit chrétien, soit Allemand [...] Nous ne voulons pas d'hommes qui ne cessent de jeter un regard oblique vers l'au-delà ».

      André Frossard, plus perspicace gu'Onfray, soulignait, dans le Crime contre l'humanité (Robert Laffont, 1987), la totale incompatibilité entre le nazisme et le monothéisme : « Il lui fallait abolir chez tout être humain, à commencer naturellement par le Juif, cette "image de Dieu" qui ridiculisait sa propre imagerie de foire au muscle et sa philosophie de tête de mort. [...] À travers le Juif, premier annonciateur de la Révélation, c'est l'idée même de Dieu que le nazisme cherchait à bannir de la terre ».

Des résistants

      Les catholiques et les protestants, pourtant, ont tardé à le comprendre et à réagir, autant dans l'Allemagne hitlérienne que dans la France pétainiste. En Allemagne, il y eut le concordat de 1933 par lequel l'Église catholique s'engageait, pour survivre croyait-elle, à ne pas se mêler de politique. Du côté protestant, certains cherchèrent aussi à temporiser, alors que d'autres, les chrétiens allemands, flirtèrent ouvertement avec le christianisme positif. En France, sous Pétain, la hiérarchie catholique prône le respect du pouvoir établi et les dirigeants protestants se tiennent plutôt tranquilles.

      Mais il y eut, dans ces deux pays, des résistants, des croyants dont la voix prophétique a combattu le néopaganisme nazi, d'abord sur le plan spirituel, mais aussi sur le plan politique puisque, dans ce cas, l'un n'allait pas sans l'autre. Pourquoi les qualifier de « prophètes » ? Kathleen Harvill-Burton répond : « Ces théologiens ont combattu le nazisme sur le plan spirituel et n'ont jamais transigé avec leurs convictions, même devant la menace d'exclusion de la part de leur propre Église. La position néopaïenne et antichrétienne du national-socialisme a provoqué leur action dès le début et jusqu'à la fin de la guerre ».

      Ces héros de la résistance spirituelle au nazisme, ce furent, en Allemagne, Paul Tillich et Karl Barth. Le premier, selon l'historien Bernard Reymond, s'est battu pour rappeler « que le prophétisme de la croix ne saurait s'incliner devant l'idolâtrie politique et raciale dont la croix gammée était le symbole ». Le second, dans une perspective christocentrique selon laquelle il ne peut « y avoir d'autre manifestation de Dieu dans l'histoire que celle qui est en Jésus-Christ », a décrété que « l'antisémitisme est un péché contre le Saint-Esprit ». En France, ce furent les jésuites Pierre Chaillet, fondateur du journal clandestin Témoignage chrétien, et son collègue Gaston Fessard. Leur combat, déplore Harvill-Burton, reste méconnu. Aussi, elle a voulu leur rendre hommage en analysant avec brio et sensibilité leur oeuvre prophétique.

      On ne saurait nier que, en ces temps troubles, l'Église-institution a souvent manqué, par naïveté, lâcheté ou opportunisme, à son devoir. L'honneur du christianisme, alors, fut porté par des résistants qui savaient, en leur conscience, que leur seule boussole était le Dieu fait homme de la croix et qu'il exigeait de combattre le démon nazi.

Petite note appendiciaire

      Toute la seconde partie de cette chronique est un résumé tendancieux de la thèse de Kathleen Harvill-Burton, s'agissant de remplacer les Églises chrétiennes par quatre pauvres chrétiens... Et sa conclusion, sur la boussole du Dieu fait homme de la croix, ce n'est pas un discours d'un autre âge ? Et ce démon nazi béni par Pie XII et le saint Esprit ? Là, je m'amuse à citer Michel Onfray, par opposition à notre croyant. Et d'ajouter : j'ai pour règle de laisser toujours croire les croyants, sauf lorsqu'ils donnent dans le prosélytisme. Alors la consigne est simple : Louis Cornellier doit prêcher dans son journal paroissial, aux croyants, pas pour nous dans le Devoir.

 


 

Texte d'opinion adressé au Devoir

      Ce texte d'opinion refusé a été adressé au journal le 12 novembre 2017. Je l'ai développé en un bref article critique qui a paru sur le journal citoyen AgoraVox le 23 novembre suivant. On le trouvera à l'adresse suivante : < AgoraVox >. Soit : agoravox.fr > tribune libre > bobards.

      Près d'une année plus tard (20 septembre 2018), je développe à nouveau mon texte, en reprenant le premier jet de l'article que j'avais préparé pour AgoraVox, car j'avais dû y faire de nombreuses coupures pour lui donner des dimensions acceptables pour un journal de grande diffusion sur l'internet. Comme on le verrait en comparant les deux versions, celle d'AgoraVox et celle-ci, mes coupures avaient épargné le pauvre Jean-Marie Salamito et c'était heureux, car jamais il ne me serait venu à l'idée de présenter une analyse critique de sa petite bluette si elle n'avait été le prétexte de Louis Cornelier pour insulter gratuitement Michel Onfray.

      Si j'y remets la main aujourd'hui, c'est pour une stricte question éthique. Louis Cornelier a malicieusement et immoralement utilisé le petit pamphlet insipide et stupide d'un professeur de la Sorbonne contre Décadence de Michel Onfray. On doit donc savoir à quel point peut descendre le chroniqueur du Devoir pour assouvir chrétiennement ses rancoeurs. Bref, le pauvre Jean-Marie Salamito démérite, malheureusement, d'avoir été un simple prétexte. J'en suis triste pour les étudiants du professeur de la Sorbonne qui n'avaient vraiment pas besoin de prendre connaissance de mon analyse critique d'un de ses deux pamphlets. Cela dit, Jean-Marie Salamito devrait savoir qu'on ne lance jamais de « polémique » sans en avoir le talent et la compétence.

      La profonde immoralité de Louis Cornelier est donc évidente. Pourra-t-il toujours sévir au Devoir sur les questions religieuses sans réplique possible ? Le plus scandaleux, évidemment, est de le voir se présenter comme un « croyant ». N'est-ce pas une honte pour les Chrétiens que ce soit un athée, moi, qui doive rappeler en vain son journal à l'ordre ?

      Vous me direz que les Chrétiens et croyants n'ont rien à faire dans cette histoire, s'agissant d'éthique journalistique. Je suis tout à fait d'accord. C'est en effet la rédaction du Devoir qui est en cause. C'est elle et elle seule qui a refusé de publier ma réplique et qui n'a demandé aucun compte à son chroniqueur.

 

Les bobards de Louis Cornellier

      Ce titre est certes insultant, et surtout vulgaire, mais il n'est pas de moi. Je veux dénoncer l'article de Louis Cornellier paru dans le Devoir, le 5 septembre 2017, qui s'intitule « Les bobards de Michel Onfray ».

      L'introduction de son article reprend les grandes lignes d'un autre article de lui, tout aussi insultant, dénonçant les « âneries » du philosophe « tonitruant », et peu « perspicace », Michel Onfray. L'article s'intitulait « Hitler et le christianisme » (21 janvier 2007). On vient d'en lire ma critique ci-dessus. En dix ans, de 2007 à 2017, le critique des essais au Devoir persiste et signe.

      Il signe beaucoup d'insultes. Elles sont gratuites. J'ai pris tout mon temps, notamment pour lire Décadence, vie et mort du judéo-christianisme (2017), que le chroniqueur n'a jamais eu entre les mains, car il l'intitule du titre de la bande annonce, vue sur l'internet, Décadence, de Jésus à Ben Laden, vie et mort de l'Occident. On va bientôt comprendre qu'il ne connaît pas ce livre, dont il ne dit rien d'ailleurs, qu'il dénonce par pamphlétaire interposé, ce qui est évidemment scandaleux. J'ai trouvé le livre de Kathleen Harvill-Burton en bibliothèque et j'ai fini par trouver en librairie celui de Jean-Marie Salamito (à la librairie Médiapaul, à Montréal-Nord).

      Dénoncer un livre sous couvert de faire le compte rendu d'un autre ouvrage, c'était déjà le cas de l'article de 2007, où Louis Cornellier « utilisait » la thèse de doctorat de Kathleen Harvill-Burton pour dénigrer le Traité d'athéologie, dont il ne présentait pas le contenu. L'ouvrage de K. Harvill-Burton, porte bien son titre, pour le meilleur et pour le pire, le Nazisme comme religion : quatre théologiens déchiffrent le code religieux nazi (1932-1945). Elle étudie les textes de deux théologiens protestants allemands, Paul Tillich et Karl Barth, et de deux jésuites français, Pierre Chaillet et Gaston Fessard. Elle les présente dans l'ordre chronologique. Ils vont d'abord vaguement protester contre le régime du national-socialisme d'Hitler, pour le premier, et passer à la résistance sous le régime de Vichy, pour le dernier. Dans ce cas, étant donné la « collaboration » de l'Église catholique avec tous les régimes fascistes (Mussolini, Franco, Hitler, et après bien d'autres, Pinochet), la « résistance » exemplaire de G. Fessard est pour le moins pathétique.

      Le Traité d'athéologie. Cet ouvrage a près de 400 pages. Exactement et précisément sept pages portent sur le christianisme d'Hitler, minutieusement cité de Mein Kampf (p. 201-202, 220-223 et surtout 225-226, pour les citations du livre d'Hitler). Or, sur ce point, Harvill-Burton, avec ses quatre théologiens, et Onfray disent exactement la même chose : Hitler s'est servi des Églises, notamment de l'Église catholique, pour asseoir son pouvoir, et il a pour cela bâillonné le Vatican avec un Concordat (dès 1933), pour tenter ensuite de nazifier le christianisme en Allemagne et le catholicisme géré de Rome par le Vatican. Et cela n'a pas été difficile, étant donné que l'Église de Pie XII a rejeté radicalement l'enseignement critique de Pie XI, passant allègrement de l'antijudaïsme séculaire à l'antisémitisme, à la faveur d'un anticommunisme primaire.

      Louis Cornellier fait servir la thèse de doctorat de Kathleen Harvill-Burton à ses fins. Il la désigne comme une « théologienne ». Dans son article de 2007, on lisait un simple résumé dithyrambique de la thèse. L'historienne le méritait bien, car elle présente de manière vivante les situations respectives des Églises d'Allemagne sous le national-socialisme d'Hitler et de celles de France sous la collaboration du général Pétain. En revanche, la partie proprement « théologique » de la thèse est manifestement défectueuse. La faille la plus importante se lit dans son titre : dès Mein Kampf Adolf Hitler veut mettre en place une organisation politique sur le modèle des croyances religieuses; il sera le chef incontestable du mouvement nazi auquel tout le peuple allemand est convié à communier; ce sera la formidable réussite que l'on connaît. Mais l'historienne, pour se faire théologienne, inverse la situation en transformant la métaphore en réalité, de sorte que le nazisme n'est plus simplement l'objet d'une ferveur quasi-religieuse, mais devient une religion et sa pensée religieuse, une théologie.

      C'est évidemment tout à fait inexact et la preuve en est que l'étudiante a créé de toutes pièces une pensée religieuse « nazie » qui n'a jamais existée. Il faut dire qu'elle s'inspire des écrits du quatrième de ses théologiens, Gaston Fessard, qui a été le premier a faire l'amalgame. La pensée religieuse d'Hitler se trouve dans Mein Kampf et nulle part ailleurs; sa conduite des affaires politiques en fonction des questions religieuses est connue et fort bien exposée par Kathleen Harvill-Burton. Malheureusement, elle ajoute à cela l'oeuvre d'un ridicule « penseur » de bien petite envergure, Alfred Rosenberg. Certes, Hitler s'est servi de son « ami » au début de sa carrière politique, mais il n'a jamais partagé et surtout pas exprimé ses délires religieux. Tout au plus lui accorde-t-il, dans son programme en vingt-cinq propositions du national-socialisme de 1920, une expression (je dis bien « une » et « expression ») : « christianisme positif ». Cela se trouve à la vingt-quatrième et avant-dernière proposition, qui déclare à la fois la neutralité religieuse du mouvement et sa volonté de défendre le christianisme contre le judéo-matérialisme (la fantastique alliance des juifs et des communistes, comme on sait). Personne ne saura d'ailleurs avant longtemps d'où vient l'innocente expression, qui sera toujours lu au premier degré (que peut-on imaginer de plus chrétien qu'un « christianisme positif » !). Jamais d'aucune manière le Mythe du XXe siècle de Rosenberg, son ouvrage principal à ce sujet, ne jouera d'autre rôle dans la pensée et l'action politique des Nazis.

      Cela dit, je dois insister sur le fait que tout le contenu proprement historique de la thèse concorde avec l'analyse de la pensée religieuse d'Hitler et du régime nazi telle que présentée dans les deux livres de Michel Onfray dont il est question ici. Bien sûr, la thèse est scolaire, multipliant les longues citations commentées et les résumés d'ouvrages, comme les annonces et les bilans. C'est une thèse de doctorat.

      Se servir du titre d'une thèse de doctorat, lue de travers, pour dénigrer le Traité d'athéologie (dont il n'est évidemment pas question dans l'ouvrage, contrairement à ce que laisse entendre L. Cornellier), à partir d'une question traitée dans moins de dix pages par Onfray, cela manifeste une évidente pathologie foncièrement allergique à l'athéisme.

      Mais il y a malheureusement pire : faire l'éloge d'une minable petite bluette pour dénoncer une somme considérable, sans en dire un seul mot, cela me paraît profondément immoral. Mais c'est d'abord absurde, illogique et inqualifiable du strict point de vue intellectuel : il est impossible de rendre compte d'un pamphlet contre Décadence sans tenir compte du livre en question. Comment évaluer autrement la pertinence ou la justesse du pamphlet ?

      Il s'agit d'un tout petit ouvrage de Jean-Marie Salamito intitulé Monsieur Onfray au pays des mythes : réponses sur Jésus et le christianisme. Le tiers du pamphlet, son premier chapitre (p. 13-40) porte sur la première section du premier chapitre du livre d'Onfray, soit 18 pages sur un ouvrage qui en compte 650. Et Louis Cornellier de citer la conclusion, c'est-à-dire l'affirmation que l'auteur a répété trente fois dans son chapitre (et qu'il reprendra encore cinq fois par la suite, après cette « dernière fois) » : « il faut le dire une dernière fois, c'est la théorie de la non-existence de Jésus qui est un mythe » (p. 40), conclusion que L. Cornellier reprend à son compte : « Depuis des années, Onfray va répétant que Jésus de Nazareth n'a jamais existé ». Or, ce n'est pas vrai. Jamais nulle part Michel Onfray n'a nié l'existence de Jésus, puisque le Traité et Décadence reposent en entier sur ce Jésus, la personne dont on a fait un personnage et un tel personnage que la personne de Jésus nous est totalement inconnue. Pourtant, en ouvrant ainsi son chapitre, Jean-Marie Salamito fait la preuve qu'il n'a rien compris : « Voici sans doute l'affirmation la plus tonitruante de Décadence : Jésus de Nazareth n'aurait jamais existé » ! (p. 13). Une telle affirmation, répétée page après page, est risible, tant elle est stupide.

      Est-ce que ce ne serait pas là une affirmation tonitruante, en effet, qui prouverait sans l'ombre d'un doute que J.-M. Salamito ne sait pas lire ? J'ai bien peur que oui. Qui est ce pamphlétaire ? Cornellier le présente comme il le fait ostensiblement lui-même : « professeur d'histoire du christianisme antique à la Sorbonne, Jean-Marie Salamito [...]. Scandalisé par tant d'hostilité et d'ignorance [sic], Salamito qui n'a rien d'un polémiste [sic], a résolu de ne pas laisser passer les élucubrations [sic] du philosophe ». Son livre « relève de l'exercice de salubrité intellectuelle ». « Il fallait répliquer. L'historien, sans compromis [sic] et sans hargne [sic, pour ceux qui lirons le pamphlet hargneux], a bien fait son travail ». Tout cela relève de l'aveugle apologie, s'agissant du premier argument d'autorité du pamphlétaire qui dit tout bonnement aux foules chrétiennes : c'est un savant qui vous parle et qui réfute un ignorant. La réalité est toute différente. Jean-Marie Salamito est tout bonnement un sage professeur d'université qui a fait, comme des milliers d'universitaires, quelques petits ouvrages spécialisés, avant d'aboutir professeur à la Sorbonne de Paris, pour participer à des ouvrages collectifs ou les codiriger. Non seulement ce n'est pas moi que cela va impressionner, mais je dirais plutôt qu'il s'agit bel et bien de ce que Rabelais, au XVIe siècle, ce n'est pas d'hier, appelait un Sorbonnard. « Salamito, qui n'a rien d'un polémiste », écrit faussement notre suave Cornellier : Jean-Marie Salamito en est à son deuxième petit livre pamphlétaire ! La réalité : le Sorbonnard utilise son titre d'universitaire comme argument d'autorité pour faire, à titre de croyant, dans ses moments libres (et Dieu sait combien les Sorbonnards en ont) de la pastorale. Sa bluette pamphlétaire est de cet ordre, rien de plus. Mais pour Louis Cornellier, qui ne sait manifestement rien de cela, il s'agit de « faire oeuvre d'historien dans ce débat » ! Un débat ? Quel débat ?

      En quoi consiste donc le pamphlet apologétique de J.-M. Salamito que L. Cornellier tient pour l'oeuvre d'un « historien » de la « Sorbonne » ? L'auteur contredit page après page les premiers chapitres du livre de Michel Onfray. Il a bien le droit, c'est un croyant. Mais jamais, nulle part dans son petit livre, il n'apporte le moindre fait historique ou le moindre raisonnement propre à étayer ses affirmations. Bien au contraire, il ne sert à ses lecteurs que de risibles arguments d'autorité, dont on trouvera des exemples à toutes, toutes, absolument toutes les pages : le « consensus scientifique », admis par « toute personne cultivée », les « historiens », « tous les spécialistes », « comme l'écrit l'un de ses meilleurs biographes », « un grand savant américain » (parmi deux dizaines de noms distribués à titre d'arguments tout au long du petit livre)... « la vérité historique, c'est que... ». C'est un peu court : (1) Je suis un savant. (2) Tous les savants disent comme moi. (3) On ne trouvera personne qui dise le contraire. (4) Donc Michel Onfray a tort et son livre est très dangereux, surtout pour mes « étudiantes et étudiants » (p. 12, car curieusement, l'auteur manie le style bigenre tout au long de son ouvrage). Dangereux, surtout pour les pauvres croyants, les pauvres (!), les « misérables » (!), les « petits » (!), les « souffrants » (!) et les « exclus » (!). Textuel (p. 145).

      Voici plutôt les faits exposés méthodiquement par Michel Onfray, avec des arguments et des preuves très bien documentées tout au long de son dernier ouvrage. Je vais m'en tenir aux éléments dénoncés par J.-M. Salamito et repris par L. Cornellier.

      Jésus de Nazareth a bel et bien existé, cela ne fait pas l'ombre d'un doute. La tradition orale de la secte qu'il a fondée s'est développée et a été petit à petit enregistrée sur deux siècles. Ce sont les textes populaires et légendaires du Nouveau Testament, avec les Épîtres et l'Apocalypse. On ne trouve absolument aucun autre document, pas un seul, qui ne serait pas de la secte ou plutôt des sectaires du prophète juif Jésus. Et, il faut insister, la tradition orale a été enregistré sur environ deux siècles et dans les perspectives de plusieurs écoles de la secte (les sectes de la secte).

      Le résultat, ce sont essentiellement les quatre Évangiles, est simple : Jésus de Nazareth n'a absolument aucune existence historique. Mettons Jules César, qui a une existence historique incontestable et, pour bien dire, extrêmement lourde. On a quasiment sa photo d'identité, on connaît ses faits et gestes depuis sa naissance (c'est la césarienne !) jusqu'à sa mort, avec des livres de lui et sur lui. On n'a rien de cela en ce qui concerne Jésus de Nazareth. Pire encore, rien de rien.

      Là-dessus, c'est-à-dire rien, des sectaires de nombreuses écoles nous ont tracé une légende qui concerne uniquement son enseignement et la toute fin de sa vie, soit son arrestation, sa condamnation et son exécution. Dire que Jésus n'a aucune existence historique, c'est la moindre des choses. Or, en bon pédagogue, Michel Onfray utilise l'un des plus célèbres apocryphes (ce sont les textes écrits généralement à partir des textes légendaires évangéliques), l'Évangile du Pseudo-Thomas qui invente l'enfance de Jésus, pour bien illustrer ce que serait a contrario la jeunesse de Jésus de Nazareth, qui devait évidemment avoir des amis d'enfance avec qui jouer, obéir et désobéir à ses parents, aller à l'école, etc. Ignorer tout cela par définition, c'est évidemment imaginer une fiction, un personnage sans aucune existence historique.

      Autre chose très importante, essentielle, de cette non-existence historique : il n'existe aucune représentation physique de Jésus. Bien plus que cela, nous n'en avons absolument aucune description physique. Les crucifix, les Vierges avec leur enfant Jésus, les images pieuses qui se dessinent et se sculptent durant 2000 ans sont évidemment de pures inventions (symboliques). Il en serait de même des « Vies » de Jésus, si quelques historiens ne parvenaient à imaginer la personne qui pourrait raisonnablement correspondre au personnage de Jésus. Mais le résultat est toujours fort mince et à la fois contestable et peu crédible. Les plus critiques sont ceux qui admettent, comme Michel Onfray, que Jésus n'a aucune existence historique (voyez l'article de P. Geoltrain dans Universalis, article « Jésus »).

      Mais voilà pourtant le point de départ d'une fabuleuse odyssée intitulée Décadence, vie et mort du judéo-christianisme, qui fait l'histoire de notre civilisation depuis les juifs, les chrétiens et les musulmans, durant 2000 ans. Tout commence avec la réinterprétation de l'enseignement du révolutionnaire séditieux anti-religieux, Jésus, par le mégalomane saint Paul, dont il me semble que la misogynie et le masochisme sexuel ne font aucun doute, avec aussi les conciles d'une Église qui va inventer une histoire sainte infantile (la naissance du petit Jésus dans la crèche de Bethléem, la résurrection du Christ, la sainte Trinité, l'immaculée Conception et autres balivernes), tandis que la véritable histoire sainte, celle de l'Église, sera pour l'essentiel, jusqu'à l'avènement difficile de l'athéisme, une suite de crimes contre l'humanité : croisades, inquisitions et guerres saintes, où l'Église s'agenouille devant les tyrans, les fascistes et les dictateurs.

      Oui, Décadence est l'histoire d'une civilisation qui a vu prospérer une religion criminelle, probablement comme tout pouvoir religieux, une civilisation entièrement fondée sur une fiction populaire née de l'enseignement d'un très jeune prophète qui s'est sacrifié pour sa doctrine, exigeant qu'on respecte même ses assassins, la théocratie juive de Jérusalem et l'occupant romain.

      Tout cela ne relève d'aucune croyance. Ce sont des faits incontestables. La pensée développée dans le Traité d'athéologie et Décadence de Michel Onfray n'a absolument rien de pamphlétaire. Oh ! certes, l'auteur manie fort habilement l'humour, l'ironie et souvent le tout simple comique. Contrairement à Jean-Marie Salamito et Louis Cornellier, ses écrits sont à mille lieues de tout prosélytisme. Manifestement, il n'écrit pas pour eux, mais pour moi. Et en deux sens. Il écrit pour que je le lise et je le fais avec plaisir. Mais il écrit aussi « à ma place », car il a un talent d'écrivain, un art mais également une intelligence, des lectures et des connaissances que j'envie. Certes, je suis un lecteur critique, mais il se trouve que je suis en accord avec lui au point où il me force souvent à me dépasser, soit avec des idées neuves qu'il exprime, soit encore avec des idées qu'il n'a pas eues, qui ne contredisent pas, mais prolongent sa pensée.

      Il faut dire que nous sommes tous les deux athées. J'ajouterai que les « croyants » ne peuvent jamais se trouver dans cette situation, malheureusement. C'est le bon sens qui le dit. Aucun croyant, des dévots orthodoxes aux agnostiques, ne pense comme un autre, de telle sorte qu'on ne sait jamais ce qu'un croyant croit. Dans la très grande majorité des cas, il ne le sait pas lui-même, l'expérience la plus commune le prouve. Les athées, eux, pensent tous exactement la même chose : ils ne « croient » pas. C'est simple.

      Puis-je dénoncer la mauvaise foi de Louis Cornellier ?

      Il écrit que, dans son Traité, Onfray « présentait Hitler comme un chrétien convaincu et avançait que le nazisme était compatible avec le christianisme, afin de discréditer ce dernier ». Ce n'est pas vrai. La première proposition est stupide : Hitler en « chrétien convaincu » ? Onfray cite au texte la pensée religieuse toute chrétienne exprimée dans Mein Kampf, rien de plus. La seconde est encore plus stupide : imagine-t-on Onfray expliquer que « nazisme » et « christianisme » sont compatibles ? Il suffit de lire la section intitulée « Les compatibilités christianisme-nazisme » (p. 225-227) pour voir de quoi il s'agit. La troisième est du plus haut comique : est-ce qu'on peut discréditer le christianisme simplement en désignant des imbéciles, et Dieu sait combien ils ont été et sont toujours nombreux, qui ont été et sont chrétiens ? Terminons en beauté avec ces trois derniers bobards. Et amusons-nous pour finir.

      En effet, loin de moi l'idée de détourner les lecteurs du livre de Jean-Marie Salamito, bien au contraire : même ceux qui ne liront pas Décadence ne manqueront pas de s'amuser du petit livre et ceux qui sauront que Louis Cornellier l'a lu sans être mort de rire n'en riront que plus.

      Une anecdote significative pour commencer. On lit dans le texte de Louis Cornellier que Michel Onfray n'avait pas lu les Évangiles (« Onfray les a-t-il lus ? » !) pour déclarer que Jésus ne mangeait que des « symboles ». Et d'affirmer « on le traite de glouton et d'ivrogne » ! Je connais très bien les quatre Évangiles, assez pour savoir que Jésus ne s'est jamais saoulé et qu'on ne l'a jamais traité d'« ivrogne ». Je n'en revenais pas. Notre Cornellier avait dû prendre un petit coup, avant d'écrire sa chronique. Des semaines plus tard, après ma lecture de Décadence, lorsque je lis finalement la bluette de Jean-Marie Salamito, je suis mort de rire. Je comprends que Louis Cornellier l'a tout naïvement recopié. Jésus aurait été traité d'« ivrogne » parce qu'il prenait du vin au lieu de s'en abstenir, comme Jean Baptiste (p. 23, 25 et 27) : « le Galiléen s'est même fait traiter de "glouton"; il s'est fait reprocher d'être "un glouton et un ivrogne" ». Référence : Luc, 26: 17-19; et Matthieu, 11: 19. De quoi s'agit-il ? D'un petit coup d'exégèse de catéchèse digne des homélies des vicaires de mon enfance, propre à réveiller les paroissiens endormis, les intéressant avec une histoire vraiment surprenante par son originalité. Mes chers frères, vous relevez d'un petit lendemain de la veille ? Vous serez pardonnés si vous passez à confesse, car même Jésus a été accusé, certainement injustement, de s'être saoulé, d'être un ivrogne. Pauvre vicaire, relis le texte. Jésus n'est accusé de rien du tout. C'est lui qui prêche à ses disciples en leur expliquant qu'il n'est pas nécessaire d'être ascétique comme Jean le Baptiste, qu'il n'est pas nécessaire de jeûner. Jean jeûnait, et on l'accusait d'être un possédé du démon; ceux qui le suivront, mais ne jeûneront pas, on les accusera d'être des Républicains, de manger et de boire du vin. Vous voulez le lire en latin dans la Vulgate de saint Jérôme ? « ecce homo vorax et potator vini » (Matthieu, 11: 19). Traduction : on dira de vous, cet homme est un goinfre et un buveur, ce qui signifie, on vous accusera de ne pas jeûner ! Cela prend un grand petit vicaire paroissial pour en déduire que « Jésus » était accusé d'ivrognerie, pour épater la galerie.

      Et tout cela pour dire qu'Onfray a tort d'écrire que jamais, dans les Évangiles, on ne nous présente Jésus attablé, comme Arafat, pour manger un bourghol, après une soupe aux lentilles, et avec des sardines séchées et marinées. Non, il mange du pain et du vin qu'il bénit, du « poisson » (c'est son nom, « Christ », dans sa langue), voire de l'« agneau pascal ». Il ne pourrait pas boire une bière, qui a toujours existée, excellente en Palestine ? Tout cela est bien normal, puisque nous sommes dans une légende populaire où Jésus de Nazareth n'a absolument aucune existence historique, ni corporelle. Voilà une des illustrations de la thèse de Michel Onfray. Et notre bon vicaire sorbonnard de nous servir, en une page mémorable (p. 23-25), tous les mots des Évangiles qui peuvent se manger, à commencer par le sel ! dans l'expression « vous êtes le sel de la terre » (Matthieu, 5:13). Bref, nous dit ce bon prédicateur, d'accord, Jésus ne sale pas sa part de bourghol aux pois chiches, puisqu'il ne mange jamais dans les Évangiles ce plat des pauvres servi depuis toujours en Palestine, mais il a salé ses disciples...

      Cela dit, on trouve dans le pamphlet une belle illustration de l'« exégèse » qui consiste à faire dire à quelques versets bibliques tout autre chose que ce qui est écrit pour les accorder avec son enseignement clérical. C'est la lecture du fragment des Actes qui raconte humblement combien les philosophes d'Athènes se sont moqués de saint Paul lorsqu'il s'est mis en frais de leur expliquer ce qui est devenu le Credo des chrétiens, l'Apocalypse et la Résurrection des morts (Actes, 17: 15-34). Évidemment, voilà qui amuse le philosophe Michel Onfray. Le théologiens de l'exégèse de pastorale, lui, veut nous faire croire que les philosophes épicuriens et stoïciens (verset 18) ne correspondent pas au sujet de la phrase suivante (verset 19), où on lit qu'ils le conduisirent à l'Aréopage. Jean-Marie Salamito les métamorphose en des « notables » du « Conseil de l'Aréopage », « sans doute chargés, entre autres, de délibérer sur l'introduction de divinités étrangères » (Évangile selon Salamito, p. 51). L'important pour le Sorbonnard est de recaler le philosophe Onfray. Pourtant, le bon sens le plus élémentaire comprend le texte très clair qui explique que, à la suite de nombreuses et incessantes conversations et discussions informelles dans l'agora, des philosophes prennent l'initiative de convier Paul à un petit amphithéâtre ou un hémicycle pour qu'il puisse s'exprimer à son aise, de manière articulée, devant un plus grand nombre. Ce qu'il fait et ce dont on se moque. L'important pour nous, c'est l'illustration de l'« exégèse » qui triture un texte parfaitement clair, soit le dramatique échec de l'enseignement de saint Paul à Athènes, notamment auprès des philosophes. Ce qui est tout à l'honneur des Athéniens, comme le dit avec raison Onfray, puisque cet enseignement est celui de l'intolérance religieuse, car l'Apôtre « sentait au-dedans de lui son esprit s'irriter, à la vue de cette ville pleine d'idoles » (Actes, 17: 16).

      J'accorde que cet exemple est un peu difficile, car il faut savoir lire toute une page du Nouveau Testament pour le savourer. Mais j'ai un meilleur exemple, beaucoup plus simple et vraiment du plus haut comique. Entre l'arbre et l'écorce. C'est entre l'Arbre de la connaissance du bien et du mal et le péché originel. Onfray s'amuse à nous expliquer qu'ainsi est né la « science », grâce à une femme, notre mère à tous, qui a tenu tête au diktat de son Créateur. Mais voilà que Jean-Marie Salamito, plus espiègle que Michel Onfray, tient à nous apprendre que c'est le contraire qui est vrai. Dieu avait créé la science en ordonnant à son homme, Adam, de nommer tous les animaux ! (Genèse, 2: 19, sainte exégèse Salamito, p. 93). Qui donc avait déjà compris qu'on trouvait là l'origine de la zoologie ? Où l'on voit que les Sorbonnards sont vraiment savants.

      Plus comique encore. Le Jésus des Évangiles n'a aucune existence corporelle, au sens où l'on n'a aucune description de lui ? Voyons donc ! Notre champion de la catéchèse de nous énumérer tous les mots des Évangiles qui décrivent des parties du corps (p. 27-28). Il commence par la tête : Jésus dit qu'il « n'a pas où reposer sa tête » (et de nous donner la référence : Matthieu, 8: 20). C'est à mourir de rire. Jésus de Nazareth avait une tête, et le pauvre Michel Onfray ne l'avait pas remarqué ! S'il était Québécois, notre savant historien de la Sorbonne, Jean-Marie Salamito, aurait écrit : Onfray a tout à fait tort d'écrire que Jésus n'a dans les Évangiles aucune existence corporelle. Non, Jésus avait deux yeux, et c'est tant mieux, deux oreilles, c'est pareil, avec deux fesses qui se connaissent.

      Mais le sommet de l'humour blanc du savant Sorbonnard, pour en finir là où nous avons commencé, se trouve dans la réplique à la supposée affirmation de la non-existence de Jésus. On trouve en effet de nombreuses théories fumeuses qui défendent aujourd'hui la thèse que Jésus de Nazareth n'a jamais existé et qu'il s'agit en fait d'une création des chrétiens et des auteurs des Évangiles. Évidemment, personne ne s'occupe de les détromper. Contrairement à Donald Trump, qui ne croit pas au réchauffement climatique, cela ne porte pas à conséquence, en plus d'être amusant. Or, Jean-Marie Salamito est incapable de faire la preuve de l'évidence, des faits, de la toute simple existence de Jésus de Nazareth. Pour cela seulement, on doit lire son livre.

Références

Louis Cornellier, « Hitler et le christianisme », le Devoir, 21 janvier 2007, p. F6.

——, « Les bobards de Michel Onfray », le Devoir, 5 septembre 2017, p. B6.

Kathleen Harvill-Burton, le Nazisme comme religion : quatre théologiens déchiffrent le code religieux nazi (1932-1945), Québec, Les presses de l'Université Laval, 2006.

Michel Onfray, Traité d'athéologie, Paris, Grasset, 2005.

——. Décadence, vie et mort du judéo-christianisme, Paris, Flammarion, 2017.

Jean-Marie Salamito, Monsieur Onfray au pays des mythes : réponses sur Jésus et le christianisme, Paris, Éditions Salvator, 2017.


 

Le petit Jésus de Louis Cornellier

      Ce texte d'opinion, un « Devoir de Sciences religieuses », a été proposé au Devoir le 6 février 2018. Refusé, je l'ai adressé au journal citoyen AgoraVox qui l'a publié aussitôt, le 20 février.

AgoraVox.fr > Tribune libre >> recherche : Guillemin + Jésus

      On trouvera donc sur AgoraVox mon analyse critique et ma dénonciation de la dernière turpitude du chroniqueur Louis cornellier. C'est la veille de Noël qu'il a servi aux lecteurs du Devoir un supposé « Devoir de philo », sous la rubrique des célèbres « Devoir du Devoir ». Je me suis mis en frais d'écrire une réplique, un « Devoir de sciences religieuses ». On lira le texte sur AgoraVox.

      Il en découle une série de très graves accusations que je vais me contenter d'énumérer ici, la démonstration s'en trouvant dans mon article.

1) Intolérance. Louis Cornellier profite de ce texte pour dénoncer à nouveau Michel Onfray, sans aucune raison. Le philosophe n'a évidemment rien à faire dans un compte rendu de l'Affaire Jésus d'Henri Guillemin (1982), qui est donné comme sujet de ce texte. Manifestement, Louis Cornellier ne peut pas supporter les idées d'un athée qu'il se croit religieusement tenu de dénoncer. Or, on l'a lu dans les deux textes ci-dessus, jamais Louis Cornellier n'a rendu compte d'aucun livre de Michel Onfray. Il l'a toutefois dénoncé malhonnêtement par ouvrages interposés, la thèse de doctorat de l'étudiante Kathleen Harvill-Burton et la bluette de Jean-Marie Salamito. Il s'agit là d'une inqualifiable malhonnêteté intellectuelle.

2) Fausse citation. Louis Cornellier pique une phrase du livre du professeur Guillemin et en change le sujet. Le sujet devient « Michel Onfray » ! Cela se fait à l'aide d'un très malhonnête glissement de sens. Onfray serait un « mythiste » et le professeur Guillemin aurait étudié de très près cette thèse « mythiste » pour écrire qu'« aucun historien, à quelque courant de pensée qu'il appartienne, ne saurait désormais s'y rallier ». Jamais Guillemin n'a parlé de quelque thèse « mythiste » que ce soit. Ce sont les négateurs de l'existence de Jésus qu'il dénonce ainsi, nommément Paul-Louis Couchoud et Prosper Alfaric. Un tel amalgame visant sans raison Michel Onfray est malveillant, indigne et immoral, puisqu'il s'agit de détourner une « citation » pour dénigrer un philosophe qu'on abhorre. Et l'intolérant d'ajouter l'injure : « laissons les sceptiques à leur lubie ».

3) Fausse information. L'amalgame du philosophe Michel Onfray et des négateurs se fait à la faveur d'un mot pris à Wikipédia sur l'internet, « mythiste », un mot sorti de l'usage depuis un siècle et que l'article de Wikipédia applique intempestivement aux négateurs, ceux qui nient l'existence de Jésus. Tel n'est évidemment pas le cas de Michel Onfray, ni directement, ni indirectement. Jamais il n'a nié l'existence de Jésus de Nazaret, fils de Joseph et de Marie, et d'aucune manière il a proposé une lecture d'ordre mythologique des Évangiles. Certes, Louis Cornellier peut de bonne foi avoir été trompé par l'article de Wikipédia, article lu sans distance critique aucune, mais depuis plus d'un mois que le chroniqueur connaît mon analyse critique, il sait avoir été ou s'être trompé. Dès lors, il sait qu'il a trompé ses lecteurs, les lecteurs du Devoir (tout comme la rédaction du journal le sait, bien entendu). Mais comme tout lui est permis depuis le début pour dénigrer Michel Onfray, pour la toute simple raison qu'il est athée, il ne se corrigera évidemment jamais.

      Enfin, il est clair que le Devoir abrite un chroniqueur d'une foncière malhonnêteté dès qu'il est question de religion, puisqu'il profite de son statut de chroniqueur pour se livrer à la propagande religieuse, au prosélytisme, et au dénigrement gratuit de ceux qui ne pensent pas comme lui, ce qui est clair pour l'athée Michel Onfray. Le Devoir couvre donc l'intolérance, la malhonnêteté et la désinformation.

      On a la preuve indéniable de tout cela dans mon article refusé par le journal et qu'on trouve sur AgoraVox.

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Guy Laflèche
25 février 2018


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