Les interventions du redoutable polémiste (nous le sommes tous) restent généralement sans réplique, malheureusement, ses victimes n'éprouvant pas le besoin qu'on mesure davantage la justesse de la critique et c'est bien dommage, cela nous permettrait de rire encore un peu, car si le polémiste est intervenu, c'est évidemment parce que ce n'était pas drôle du tout. La formule : polémique = réplique (pamphlétaire (sans réplique)).
L'éléphant de porcelaine L'arpenteuse du racisme La brouillonnologue de la CGMM Notre critique et sa poésie
Les fulminations de Dominique Deslandres, de René Latourelle et de Robert Toupin contre le « Mythe contemporain Laflèche »

Polémiques II

Guy Laflèche,
Université de Montréal

La petite championne de son savant directeur de thèse

Sur un cas patent de censure
dans les travaux universitaires collectifs

Censure

Marie-Christine Pioffet (York University),
petite championne de son savant directeur de thèse,
Réal Ouellet (Université Laval),
auprès des PUL

Un article sur la rivière Longue de Lahontan
c-e-n-s-u-r-é
au Dictionnaire analytique des toponymes imaginaires
dans la prose narrative de 1605 à 1711

à paraître (*) aux Presses de l'Université Laval (2011)

Table
      C'est le 10 mars 2008 que Marie-Christine Pioffet, de York University à Toronto, m'a demandé de collaborer à un numéro de la revue Tangence (Rimouski) qu'elle préparait sur la Nouvelle-France. Je lui réponds aussitôt que je travaille à une édition critique de la Lettre XVI des Nouveaux Voyages de Lahontan sur la rivière Longue et que je peux rédiger l'état actuel de mon travail de recherche, dont les conclusions sont importantes. Enthousiasmée, elle me demande le 12 mars si je ne pourrais pas également collaborer d'une notice à son Dictionnaire analytique des toponymes imaginaires dans la prose narrative de 1605 à 1711 à paraître très bientôt aux Presses de l'Université Laval. Elle n'avait pas pensé d'y inclure, dit-elle, la rivière Longue, lieu imaginaire s'il en est. J'accepte avec plaisir. Mon texte doit lui parvenir à la mi-juin. La discussion porte alors, le 9 juin, sur la longueur de ma notice.

Correspondance

Message no 1, 9 juin 2008

Cher Guy,

En réponse à votre message, je vous suggère de continuer la rédaction de votre notice. Certaines de nos notices sont plus longues que la moyenne que nous avions suggérée. Nous comprenons bien que quelquefois un commentaire justificatif est nécessaire.

Au plaisir de vous lire.

Bon lundi,

M.-C.
Marie-Christine Pioffet
Département d'études françaises
Faculté des lettres
Université York
Courriel : mpioffet@yorku.ca

      Suit l'envoi du texte de ma notice et l'accusé de réception suivant, où le mot « polémique » est surprenant, mon texte ne comprenant aucune trace de polémique, tandis que les recherches sur la rivière Longue, si elles sont divergentes, n'ont jamais à ma connaissance été polémiques. Lisons les trois premiers alinéas de ce message.

      Bien entendu, je comprendrai l'année suivante, comme vous dans quelques lignes, que la censure se préparait de longue main. En effet, le bon sens le plus élémentaire dit que si mon texte apportait un nouvel éclairage sur la prétendue polémique, alors il ne peut être censuré pour cause de polémique ! Question de très élémentaire logique. Or, mon article n'est nullement polémique : c'est une invention destinée à le discréditer et on le voit bien dans le renversement rhétorique d'une rare loufoquerie : bravo, pour votre contribution à une polémique; désolée, nous n'acceptons pas de textes polémiques.

      Ah ! ces intellectuels, pères et mères supérieures jouant en amateurs au Saint Office de la censure, dans leur intérêt personnel, dont celui de leurs amis très chers, comme c'est le cas de son directeur de thèse.

Message no 2, 2 juillet 2008

Cher Guy,

Je vous renvoie votre belle notice sur la Rivière Longue dont je vous remercie. Nul doute qu'elle apporte un précieux éclairage sur la polémique qui oppose les historiens à ce sujet.

Je n'ai pas cru bon de remanier votre texte agréablement écrit ; j'ai simplement soulevé une ou deux questions surlignées sur les références bibliographiques.

Vous pouvez me renvoyer la version finale si possible avant le 1er août à moi ainsi qu'à mon assistante Marie Lise Laquerre à qui je fais suivre aussi ce courriel.

Etc.

      Comme je ne vois rien aux desseins cachés de Marie-Christine Pioffet, je prépare mon article sur la rivière Longue pour le numéro de la revue Tangence. Nos rares échanges sont alors assez techniques, mais toujours positifs. Et voilà, j'ai fini mon travail, tel que convenu, et dans les délais. M.-C. Pioffet a maintenant en main, et ma notice pour son Dictionnaire à paraître aux PUL, et mon article à paraître à Tangence.

      Et c'est un an plus tard que je reçois le fabuleux message suivant !

Message no 3, 18 juillet 2009

Cher Guy,

Je vous écris pour vous demander des renseignements sur une de vos illustrations. Voir la légende à la fin de votre notice ci-jointe.

En raison des contraintes éditoriales, nous avons dû raccourcir un peu votre étude et supprimer un ou deux paragraphes et nous avons limité l'iconographie à deux cartes. J'espère que cela vous conviendra.

En vous remerciant à nouveau de cette contribution et en espérant avoir la réponse à notre question dans les prochains jours,

Bien cordialement,

M.-C.
Marie-Christine Pioffet

Message aussitôt suivi de ma réplique, bien entendu. Dans ma fureur, j'ai cru que le texte censuré qui accompagnait le message en était à la correction d'épreuves, alors qu'il ne s'agissait en fait que du manuscrit à soumettre à l'éditeur. D'où la forme de « mise en demeure » que prend ce message. Je ne regrette pas ma méprise, car elle forçait M.-C. Pioffet à faire état de sa censure auprès du directeur des PUL. Elle ne l'a pas fait. J'ai dû le faire moi-même, toujours sous l'effet de ma très heureuse méprise.

Message no 4, 18 juillet 2009

Mme Marie-Christine Pioffet,
Professeure agrégée
Département des études françaises
Faculté des lettres
Université de York

Chère madame,

Je suis vraiment désolé, mais on ne me censure pas.

Lahontan a deux trophées de chasse à son tableau et vous n'en ferez pas disparaître un !

Je vous interdis donc formellement la publication de mon texte. Non seulement vous n'avez pas le bon à tirer, mais sa publication sous sa forme censurée impliquerait de ma part l'engagement d'un bureau d'avocats pour obtenir une injonction contre la distribution de l'ouvrage, puis le pilonnage du tirage.

Je vous prie de transmettre la présente à votre éditeur. — Je ne vous en prie pas : je l'exige. Faute de quoi, c'est vous qui serez personnellement responsable des dommages et intérêts.

Je vous prie d'agréer l'expression de mes meilleurs sentiments,

__gl>-

Guy Laflèche

      Et voici maintenant les belles explications et justifications de la pauvre censurante. Comme vous allez le voir, l'hypocrisie le dispute à la naïveté. Je commente donc mot à mot cette fabuleuse « justification », car il me semble qu'aucun intellectuel n'a le droit de jouer sur les mots pour couvrir ses très mauvaises intentions.

Message no 5, 18 juillet 2009

Cher Guy, (je me permets encore de vous appeler Guy, malgré la tournure officielle de votre message et j'espère que vous ne m'en tiendrai pas rigueur).

Si je vous ai soumis encore une fois votre étude, c'était pour demander votre approbation. Je comprends votre frustration en relisant mon dernier message qui était elliptique, car j'ai voulu faire vite (1). La décision de retrancher quelques lignes de votre article n'était pas la mienne et je ne m'y suis pliée qu'avec regret (2). Je vous avais déjà dit que je considérais votre étude excellente. Certains ont jugé que ce paragraphe était légèrement polémique, ce qui détonnait avec l'ensemble de l'ouvrage. De plus, le passage sur l'édition du Nouveau Monde a été jugé superflu, puisque cette édition vient deux siècles après Lahontan (3).

La décision d'éliminer ces quelques lignes (4 ou 5 tout au plus) répond non à une volonté de censure (4), mais au besoin d'harmonisation avec l'ensemble des articles et au style neutre de l'ouvrage (5). Nous avons dû raccourcir plusieurs autres articles pour diverses raisons. Et la plupart des collaborateurs ne s'y sont pas opposés (6).

Sachez que nous nous efforçons de modifier le moins possible les articles dont on nous confie l'édition et ce faisant, nous demandons toujours la permission de l'auteur. Ce que j'ai fait implicitement en vous la soumettant une dernière fois (7).

En résumé, je trouve votre texte excellent (je le répète sans aucune flatterie) et je serais bien marrie si vous mainteniez votre décision de retirer votre étude, car je crois que l'omission en question n'enlève rien (8) à sa qualité ni à son contenu fort novateur.

Cela dit, si vous renoncez à publier votre notice avec nous, je la respecterai bien évidemment votre décision et détruirai avec regret votre article, car je sais combien vous y avez travaillé (9).

Quelle que soit votre décision, j'espère que cet incident n'affectera pas nos relations à venir et ne compromettra pas d'éventuelles collaborations ultérieures (10).

Enfin, je vous prie de croire à l'expression de mes sentiments les meilleurs.

M.-C.
Marie-Christine Pioffet

      Il n'est pas nécessaire que je vous recopie le message suivant, le mien, qui envoyait au diable notre hypocrite bonne soeur de la censure, en attendant qu'elle apprenne de quel bois je me chauffe. Il est donc attendu qu'elle passe, la pauvre, quelques mauvais quarts d'heure, dont voici aujourd'hui le premier.


Analyse critique

      Il faut savoir que le directeur de thèse de Marie-Christine Pioffet a été Réal Ouellet. Comme je ne suis pas tout à fait insensible aux rapports humains, il y a deux points de vue à considérer dans mes échanges avec M.-C. Pioffet sur mes textes au sujet de la rivière Longue de Lahontan.

      Réal Ouellet est le co-auteur de l'édition critique de l'oeuvre complète de Lahontan aux Presses de l'Université de Montréal. M.-C. Pioffet ne peut ignorer que j'ai plusieurs fois dénoncé ces travaux comme n'ayant rien à voir avec de véritables éditions critiques. Il s'agit souvent de publications de type encyclopédique, étalant, note après note, des fiches d'étudiants qui n'ont été ni formés ni dirigés. Comme j'ai déjà dénoncé ce scandale, je ne vais pas en remettre dans des textes qui seront édités par Marie-Christine Pioffet, dont Réal Ouellet a dirigé la thèse de doctorat.

      Cela dit, je ne peux pas non plus faire abstraction de la publication de Réal Ouellet, puisque c'est là qu'on trouve la dernière étude sur le sujet même de ma notice, la rivière Longue. Sans compter qu'il ne s'agit pas d'une petite publication de hasard, mais bien du résultat d'un travail « colossal » qui aura coûté environ un million de dollars sur quinze ans et qui se trouve maintenant (pour la honte de la « Bibliothèque du Nouveau monde » des Presses de l'Université de Montréal), dans toute bonne bibliothèque, à désinformer les chercheurs durant de nombreuses décennies. Il y a tout de même des limites à la discrétion, dont celle de ma propre crédibilité. Il est impossible d'ignorer cet ouvrage dans une notice sur la rivière Longue.

      Il suit que je ne pouvais pas écrire moins que ce que j'ai exposé avec une discrétion remarquable dans les circonstances, on le reconnaîtra. — Je n'ai pas dit, bien entendu, ce que je pensais du travail d'amateurs dirigé par Réal Ouellet, sur la rivière Longue, dont les résultats sont à mourir de rire, page après page. Son édition de la Lettre XVI est incroyable. Imaginer un instant que nos fabuleux Eokoros, Mozeemleks, Gnacsitares et Tahuglauks puissent être des Sioux de la Minnesota, c'est un manque de jugement pour le moins surprenant de la part d'une équipe aussi bien subventionnée ! Sans compter que l'équipe, qui a sillonné toutes les bibliothèques du monde, ne prend en considération ni les cartes ni les gravures relatives au chapitre XVI des Nouveaux Voyages sur la rivière Longue, ce qui est un tour de force; en oubliant même, puisque l'équipe s'est rendue jusqu'à Séville, la confusion entre la carte de la rivière Longue en question avec celle du Mississippi de Lahontan pourtant bien vivante à Séville depuis 1699 et dont les chercheurs de la fabuleuse équipe si bien subventionnée ont ignoré jusqu'à l'existence.

      Voilà pourtant des éléments directement liés à mon sujet dont je n'ai rien dit dans ma notice par déférence pour Marie-Christine Pioffet. J'ai réduit tout cela à une très simple et élémentaire remarque critique présentée le plus positivement possible, dont le thème est assez probant sur la question, l'« affabulation » de la rivière Longue : il revient à l'honneur de Lahontan d'avoir piégé un savant comme Guillaume Delisle dès 1703 (qui s'est corrigé en 1718) et toute une équipe de savants chercheurs de l'Université Laval en 1990 (qui eux ne se sont pas encore corrigés !, soit dit en passant).

      Je dois dire que je me trouvais assez habile dans l'exposé succinct de la critique, puisqu'elle était nécessaire, et je supposais que Marie-Christine Pioffet devait en être contente, Réal Ouellet lui-même ne pouvant y voir méchanceté, mais un jugement critique auquel d'ailleurs son nom n'était pas associé, comme n'importe quel chercheur doit en attendre, bien entendu, ses publications (comme le mot le dit) étant publiées, publiques. Plus discret que cela, tu te tais. Eh bien oui : toé tais-toué ! Toute critique pouvant impliquer Réal Ouellet est inadmissile. Sa championne larmoyante devait s'agenouiller devant son sévère comité de rédaction des Presses de l'Université Laval — si elle ne se l'était pas elle-même constitué. Qu'on en juge.

(1) Quand on veut censurer un texte, le mieux est de le faire le plus tard et le plus péremptoirement possible, en hypocrite. On peut toujours espérer que le « professeur » qui compte sur la publication auprès de ses collègues et de son université pliera l'échine. Marie-Christine Pioffet me connaît mal.

(2) Ceux qui se livrent à la censure ne sont jamais des censeurs, bien entendu. Ils sont soumis à ces terribles terroristes et doivent malheureusement parler en leur nom. C'est d'ailleurs l'essentiel du message.

      « La décision de retrancher quelques lignes de votre article n'était pas la mienne et je ne m'y suis pliée qu'avec regret », dit-elle ? Je n'en crois rien, bien entendu, car alors elle expliquerait clairement de quelle instance il s'agit. Sans comter que c'est elle-même qui doit avoir désigné ces imbéciles, s'ils ne lui ont pas été imposés par son éditeur. Dès que le livre sera paru aux Presses de l'Université Laval, on trouvera ici les noms des membres du comité de rédaction de l'ouvrage, de même que celui du responsable de la collection ou de la publication chez l'éditeur. En effet, les PUL ont tout de suite été mises au courant de la censure, puisque j'ai dû écrire au directeur à ce sujet, M.-C. Pioffet refusant de m'assurer qu'elle lui avait bien transmis mes imprécations. Et apparemment il ne les avait pas reçues.

      Bref, on trouvera ici dès que possible les noms de ceux que M.-C. Pioffet accusent anonymement de m'avoir censuré. Car s'il y a un principe de droit bien reconnu, c'est celui qui interdit de faire parler les absents. Lorsqu'ils seront identifiés, nommés, nous pourrons juger de leur compétence et, eux, pourront s'expliquer.

(*) L'ouvrage a paru en septembre 2011 : Dictionnaire analitique des toponymes imaginaires dans la littérature narrative de langue française (1605-1711), suivi en annexe de la « Lettre d'Ariste à Cleonte, contenant l'Apologie de Histoire du temps ou la Defense du Royaume de Coqueterie (1660) » de François Hédelin, abbé d'Aubignac (édition critique par Marie-Christine Pioffet), sous la direction de Marie-Christine Pioffet, avec la participation de Marie Lise Laquerre et de Daniel Maher, Québec, Les Presses de l'Université Laval et les Éditions du Cercle interuniversitaire d'étude sur la République des Lettres de l'Université Laval (coll. « Les collections de la République des Lettres », coll. « Études »), 2011, 626 p.

      Les collections du CIERL sont dirigées par Thierry Bellequic, Eric Van der Schueren et Sabrina Vervacke, tous trois professeurs au Département des littératures de l'Université Laval. On peut raisonnablement supposer que le manuscrit de l'ouvrage avait été censuré avant de leur être présenté et qu'ils n'ont été ni consultés ni informés à ce sujet.

      Restent les deux collaborateurs de l'ouvrage, Daniel Maher, coresponsable du choix des collaborateurs, et Marie Lise Laquerre, coresponsable pour sa part de la préparation éditoriale de l'ouvrage. Tous les autres collaborateurs sont des employés et assistants étudiants n'ayant évidemment aucune responsabilité éditoriale.

      Daniel Maher est actuellement enseignant et étudiant de post-doctorat à l'Université de Calgary. Il se présente lui-même comme cochercheur ou collaborateur de recherche au Dictionnaire en ce qui concerne la subvention de 91 181 $ accordée par le CRSH pour le projet. Jusqu'à démenti, il doit être considéré comme le premier responsable de la censure dont j'ai été victime. Marie Lise Laquerre est professeure à l'Université du Québec à Trois-Rivières. Jusqu'à démenti, elle partage la responsabilité de cette censure. Ce n'est pas moi qui porte ces accusations, mais Marie-Christine Pioffet qui les a dénoncés anonymement : « cette décision n'était pas la mienne et je ne m'y est pliée qu'avec regret ».

(3) Si l'on comprend bien le raisonnement, il y a anti-prescription. Si Lahontan a pu berner le savant Guillaume Delisle, cela est un fait historique; en revanche, si de pseudo-savants sont bernés deux siècles plus tard, cela ne compte plus. Un million de dollars et quinze ans de prétendues « recherches », voilà ce que « certains » (qui sont ces imbéciles ?) ont jugé « superflu » d'indiquer (pourquoi donc ?). Qui ne sera pas mort de rire, lisant pareille niaiserie ?

(4) Les censeurs sont des casuistes, et les casuistes, des comptables. Leur comptabilité n'en est pas moins vert pisseux : s'il fallait soustraire 4 ou 5 lignes, alors il suffisait de laisser en place « quatre ou cinq lignes tout au plus », non ?

(5) Même la mère Ubu, mèr...dre!, n'oserait pas telle pétition de principe. Il fallait « harmoniser » et « neutraliser ». Cela devrait signifier qu'on ne trouvera pas la moindre (analyse) critique dans cet ouvrage, tandis que mes quatre ou cinq lignes (de trop) sont réputées n'être pas neutres. Il suivrait que mon article sur la rivière Longue n'est nullement censuré, mais tout simplement aseptisé, ce qui n'a rien à voir avec de la censure. On jugera.

(6) Ah ! bon... J'aimerais en avoir des exemples. Un petit sondage auprès des auteurs, lorsque l'ouvrage sera paru, peut-être ? Car, de quoi parle-t-on ? De corriger des textes mal écrits ou de supprimer des longueurs ? Il s'agit ici de censure.

(7) Il s'agissait, il faut y insister, de parfaite hypocrisie. Le message du 18 juillet 2009 était parfaitement clair (et d'autant plus hypocrite) : En raison des contraintes éditoriales, nous avons dû raccourcir un peu votre étude et supprimer un ou deux paragraphes.

      S'il s'agissait de raccourcir mon article, cela ne présenterait bien entendu aucun problème, d'autant que la question avait déjà été discutée dès le début. Et, dans ce cas, c'est moi, l'auteur de l'article et le spécialiste de la question, à ce que je sache, qui est le mieux placé pour savoir ce qui doit être soustrait, ce qui est secondaire — sauf, bien entendu, s'il s'agit de corriger un texte pour lui soustraire des longueurs, des répétitions, etc. Ici, il s'agit de censure.

      Et lorsqu'on doit demander des corrections, le mieux est toujours de le faire dès le début et non pas en le « soumettant une dernière fois » ! Et un an après l'avoir reçu et de la manière la plus hypocrite, en envoyant le texte sous prétexte d'obtenir quelques informations sur les cartes et leurs légendes, en glissant, comme si de rien n'était, ah! oui, en passant, En raison des contraintes éditoriales, nous avons dû raccourcir un peu votre étude et supprimer un ou deux paragraphes. — On se comporte de cette façon lorsqu'il s'agit en fait de censurer un texte. La censure étant le pire des crimes auquel puissent se livrer des intellectuels, le mieux est en effet de le faire paraître le moins possible.

(8) C'est précisément le discours fondamental du censeur : la censure à laquelle on se livre ne change rien aux qualités et au contenu vraiment novateur de votre excellent texte censuré, oeuvre critique s'il en est.

(9) J'ai dû écrire deux fois au directeur des PUL d'abord pour être certain que mon texte censuré ne soit pas publié et ensuite pour que personne n'utilise les résultats de mon travail. Et il a fallu chaque fois que le directeur s'adresse à M.-C. Pioffet qui refusait obstinément de m'en assurer.

(10) Tu parles !


Le texte censuré

      Les deux passages censurés sont marqués en rouge sang dans ma notice polémique sanguinaire. On verra qu'il aurait fallu déchoir pour accepter cette censure imbécile. Mieux valait la dénoncer.

Notice préparée pour le répertoire des lieux imaginaires
de Marie-Christine Pioffet
août 2008 (répertoire à paraître aux PUL en 2010)

L'invention de la rivière Longue
par le baron de Lahontan

Guy Laflèche
Littératures de langue française
Université de Montréal

 

      La rivière Morte ou la rivière Longue est un affluent du Mississippi inventé par Louis-Armand de Lom d'Arce de Lahontan dans le premier volume de ses Nouveaux Voyages dans l'Amérique septentrionale datés de 1703, mais parus en 1702. Si la rivière était une réalité géophysique, elle suivrait très précisément le 46e parallèle, en ligne droite, sur pas moins de 2 244 kilomètres vers l'ouest. Tout au long de ce parcours, vivent de très paisibles nations amérindiennes, qui sont pourtant en guerre les unes contre les autres, les Eokoros, les Essanapés et les Gnacsitares. Ce sont aussi de très ordinaires Amérindiens, qui ressemblent comme deux gouttes d'eau aux Sioux qui occupaient alors cette région, sauf qu'ils sont de plus en plus policés, leurs chefs étant de vénérables vieillards. En plus, les Essanapés seraient un peu pythagoriciens. Quoi qu'il en soit, on trouve chez les Gnacsitares des prisonniers qu'on prendrait à première vue pour des Espagnols, d'autant qu'ils portent la barbe, ce qui est vraiment une rareté chez les autochtones d'Amérique. Ils sont de la nation des Mozeemleks et connaissent la nation des Tahuglauks qui se trouve encore plus à l'ouest qu'eux, pourtant à 150 lieues au-delà d'une région montagneuse, sur les rives d'un grand lac salé de trente lieues de large et cent de circonférence (!) qui prend sa source d'une rivière venant du sud, de très loin. En tout cas, nous voici rendus au moins à plus de 3 000 kilomètres à l'ouest du Mississippi sur le 46e parallèle, c'est-à-dire dans le Pacifique, alors qu'on n'a pas encore rencontré les Rocheuses, bien au-delà des limites de l'Amérique.

      Lahontan raconte son voyage de « découverte » dans la Lettre XVI de ses Nouveaux Voyages et en produit une carte qui aura deux versions, l'une dans l'édition originale (1702) et l'autre dans sa traduction anglaise (1703), qui connaîtront toutes deux de nombreuses éditions et contrefaçons.

      Lahontan s'amuse ! Le « baron » est arrivé en Nouvelle-France à l'âge de 16 ans; c'était un jeune militaire, qui deviendra officier, pour monter dans la hiérarchie jusqu'à sa destitution pour insubordination, en 1696, à Plaisance où il avait été nommé lieutenant du roi. Il tentera ensuite, faute de mieux, de se faire espion et contre-espion au Danemark, en Angleterre et en Espagne. Comme il n'a manifestement rien à vendre, il se fera romancier populaire. Son ouvrage, développé en trois volumes, compte encore aujourd'hui parmi les grands succès de librairie, grâce à ses fameux Dialogues avec un bon Sauvage. Mais ses « Lettes d'Amérique » ne sont pas en reste, notamment avec le récit de sa découverte et de son exploration de la rivière Longue.

      Le fabulateur compte au moins deux trophées à son tableau de chasse. D'abord la carte de Guillaume Delisle en 1703, ensuite l'édition critique de son oeuvre complète par Réal Ouellet en 1990 > un trophée à son tableau de chasse, la carte de Guillaume Delisle en 1703 [1]. Au moment où il réalise l'une de ses premières grandes cartes, sa seconde carte d'Amérique, le jeune prodige Guillaume Delisle (1675-1726), qui sera bientôt la plus grande figure des cartographes français, est piégé par Lahontan auquel il accorde sans aucune forme d'analyse critique tout l'extrème ouest de sa « Carte du Canada ou de Nouvelle-France ». Certes, cette carte sera corrigée par la suivante, dès 1718 (« La Louisiane et le cours du Mississippi »), mais sa carte de 1703 sera rééditée sans cesse de son vivant, signée à titre de Géographe du roi, et bien après sa mort, jusqu'en 1783 ! Une bien belle carte qui prend une tournure toute narrative pour redessiner l'affabulation de Lahontan dans la réalité géographique, alors même que le talentueux cartographe dit explicitement qu'il n'a aucune autre information sur la rivière Longue que le témoignage de Lahontan : « La Rivière Longue ou Rivière Morte a été découverte depuis peu par le Baron de Lahontan [...] à moins que le dit sieur de Lahontan n'ait inventé toutes ces choses, ce qu'il est difficile de résoudre, étant le seul qui a pénétré dans ces vastes contrées ». On remarquera, bien entendu, la pétition de principe.

      Après Jacques Cartier et Samuel de Champlain, ce sont les jésuites qui furent les plus importants cartographes de la Nouvelle-France. Les missionnaires ont été à l'avant-garde de toutes les explorations du XVIIe siècle, jusqu'à la découverte du haut Mississippi par Jacques Marquette, accompagné du géographe Louis Jolliet, en 1673. Ils sont donc bien placés pour dénoncer de manière pertinentes l'affabulation de Lahontan, bien qu'ils soient évidemment en conflit d'intérêts pour discréditer ce dangereux déiste anti-jésuite. Le compte rendu des Mémoires de Trévoux, paru dès 1703, est sceptique sur la découverte de la rivière Longue, tandis que Charlevoix, en 1744, dénonce et ridiculise Lahontan sans détour sur ces « épisodes entiers, qui sont de pures fictions, tel qu'est le voyage sur la rivière Longue, aussi fabuleuse que l'île Barataria, dont Sancho Pansa fut fait Gouverneur ». En effet, on ne saurait continuer de chercher ce qui aurait déjà été « découvert » et qui reste parfaitement inconnu dans la colonie française, décennie après décennie. Sans compter que Lahontan lui-même a gardé le secret sur sa prétendue découverte durant plus de dix ans, alors même qu'il tentait de vendre ses informations aux puissances maritimes européennes.

      Mais cela n'empêchera pas ensuite les savants de faire leur travail et ils l'ont fait correctement. Les géographes, en particulier, ont tenté de comprendre rétrospectivement à quel tracé pouvait correspondre la rivière Longue. J. H. Perkins en 1839, M. H. Scadding en 1872 et Stephen Leacock en 1932 ont petit à petit réduit les possibilités (ouvertes en 1754 par de Grange de Chézieux au Mercure de France) pour en déduire que Lahontan devait décrire un bassin fluvial conduisant non pas au sud, vers les mers du sud, mais plutôt au nord, vers le lac Winnipeg, puis la baie d'Hudson, à partir des rivières Cannon, Root ou Saint-Pierre, soit la Minnesota, le tout construit à partir de renseignements tirés des Amérindiens.

      Ce sont les sources de l'invention de la rivière Longue. L'affabulation était en effet fort crédible, du point de vue narratif en tout cas, parce qu'elle reposait sur la rencontre de trois sources. D'abord la source autobiographique, puisque Lahontan a séjourné au fort Michillimakinac et qu'il a connu la région; en plus, il a manifestement suivi une partie du voyage qu'il décrit, un trajet bien connu à l'époque : la rivière Fox qui conduit au Mississippi que Lahontan a probablement descendu jusqu'à l'Ohio pour revenir ensuite par l'Illinois. Sa seconde source est livresque et c'est tout simplement le journal de voyage de Jean Cavelier de La Salle (le frère de Robert), journal qu'il a lui-même transcrit de sa main pour le transmettre au roi d'Espagne auquel il a tenté de vendre ses services. Lahontan connaît aussi la relation de Louis Hennepin parue en 1683, mais il n'a pas besoin d'autres récits de voyage que celui de l'abbé de La Salle pour produire un faux d'une parfaite vraisemblance. Enfin, le plus important, c'est la source amérindienne : le plaisantin utilise non pas des informations précises (ce qui se verrait et se comprendrait tout de suite), mais bien un jeu d'informations diverses qui viennent des Amérindiens pour les mettre en scène sous la forme d'une découverte, d'une exploration et d'une description de la fabuleuse région de la rivière Longue. Il suit que le récit aussi bien que la carte qui l'accompagne sont construits en trois dimensions : d'abord les données géographiques déjà connues sur le haut Mississippi (et plus généralement sur l'Amérique du nord-est); ensuite le récit « autobiographique » de l'exploration d'une partie de la découverte, la première moitié de la rivière Longue, jusques chez les supposés Gnacsitares; enfin des bribes descriptives sur les Mozeemleks et les Tahuglauks, c'est-à-dire les témoignages des Gnacsitares et de leurs captifs Mozeemleks, qui témoignent eux-mêmes sur la nation des Tahuglauks. D'est en ouest, la carte de la rivière Longue se divise en trois parties distinctes où sont projetées ces trois dimensions de l'affabulation : les Grands Lacs et le haut Mississippi; la « Carte de la rivière longue » qui correspond à la prétendue exploration de Lahontan; et la « Carte que les Gnacsitares ont dessinée », le témoignage amérindien, propre à exciter la curiosité, voire l'imagination du lecteur.

      La preuve de la redoutable efficacité de ce système d'emboîtements, amusante plaisanterie, n'est pas à faire, bien entendu, puisque la savante édition critique de l'oeuvre complète des Presses de l'Université de Montréal, en 1990, suit pas à pas les tours et détours de l'exploration de la « Minnesota », à grand renfort du lexique des Sioux ! La mystification est donc une parfaite réussite. En revanche, la preuve de l'affabulation est elle aussi irréfutable, précisément parce qu'elle est de la main de Lahontan [2]. C'est sa carte du Mississippi transmise à la Couronne d'Espagne par l'intermédiaire du duc de Jovenazo au début de septembre 1699 : non seulement la rivière Longue, que Lahontan est censé avoir découverte et explorée dix ans plus tôt, en 1689, n'y figure évidemment pas, mais en plus un encadré du coin nord-ouest, qui porte sur tout l'ouest du haut Mississippi, dit explicitement que les Français n'ont encore jamais exploré cette région, bien qu'elle soit connue de leurs alliés amérindiens, les Sioux. Au Conseil Général des Indes, on se demande encore le 31 janvier 1700 quelles suites il faudrait donner à la proposition de Lahontan. On sait qu'il n'y en eut aucune et on sait pourquoi : Lahontan n'avait aucun renseignement stratégique à vendre. Par contre, son oeuvre fabuleuse prouve qu'il avait assez de connaissances sur l'Amérique de Nouvelle-France, assez d'esprit critique vis-à-vis les ouvrages sur le sujet, ceux des missionnaires jésuites en particulier, et bien assez d'imagination pour compter parmi les grands auteurs mettant en scène l'Amérique française, le plus grand écrivain avant Chateaubriand.

      Aussi n'était-il pas nécessaire d'avoir la preuve documentaire pour montrer que la rivière Longue était une invention pure et simple. Judith Chamberlin Neave a mené en 1979 une étude systématique sur la crédibilité historique et documentaire de l'oeuvre complète de Lahontan où la découverte et l'exploration de la rivière Longue occupent évidemment une place de choix. Sans preuve matérielle, elle conclut modestement à l'invention du récit de découverte, de sorte que sa thèse compte aujourd'hui parmi les chefs-d'oeuvre de rigueur dans l'analyse historiographique, utilisant avec brio les méthodes stylistiques et littéraires, l'étude des sources et des genres, comme le recoupement des documents et des témoignages.

      Mais pourquoi donc Judith Neave n'est-elle pas plus affirmative et catégorique dans ses conclusions sur l'affabulation de la rivière Longue ? Certes, d'abord parce qu'elle présente et évalue toutes les thèses en présence, mais c'est également parce qu'elle est victime de la puissance littéraire de l'invention et surtout de sa parfaite gratuité. Ce lieu imaginaire n'a manifestement aucune portée idéologique ou philosophique, la création ne transporte aucun contenu intellectuel, ne fait aucune propagande. Plus encore, du point de vue intertextuel, Lahontan ne se présente nulle part en compétition avec aucun des explorateurs contemporains du Mississippi et ses sources, parfaitement bien maîtrisées, ne sont surtout pas discréditées (et par conséquent dévoilées), comme c'est l'habitude à l'époque. Mais le plus extraordinaire, c'est tout de même que Lahontan ne tente jamais de tirer le moindre profit personnel de sa découverte dont il a, par ailleurs, le génie de ne pas se mettre en peine de faire la preuve. C'est le pur plaisir de la création artistique.

      Voilà pourquoi la rivière Longue avec ses Amérindiens, des Eokoros aux Tahuglauks, est un lieu imaginaire dont le réalisme, voire la réalité, sont sans commune mesure avec les nombreux et très contradictoires récits des explorations de Robert Cavelier La Salle sur le Mississippi. Rien n'est plus dommageable au réalisme que d'avoir à s'embarrasser de la réalité.

Notes

[1] Ce que Marie-Christine Pioffet soustrait ici, c'est en fait le nom de Réal Ouellet, qui ne sera plus nommé par la suite, par discrétion. J'ai eu la délicatesse de dissocier le nom du responsable de ses méfaits.

[2] La coupure est aveugle, soustrayant une phrase de trop, de sorte que le texte change de sens lorsqu'il est relancé (« C'est sa carte du Mississippi, etc. ») : en fait, comme les amateurs que dirigeait Réal Ouellet, Marie-Christine Pioffet confond encore les deux cartes, celle de la rivière Longue et celle du Mississippi. Ah ! misère.

      Que l'édition critique dirigée par Réal Ouellet (qui n'est pas nommé ici, je le rappelle), en 1990, suive pas à pas les tours et détours de la Minnesota, c'est ce que tout le monde peut vérifier. Il me paraît tout simplement impossible de ne pas le dire dans une notice à paraître dans un ouvrage de niveau universitaire, puisqu'il s'agit de l'étude et de l'exposé de la dernière édition parue. Ma formulation est exempte de polémique, alors même qu'elle est critique par la force des choses, puisque c'est là l'énoncé d'un fait. Je ne vois pas comment un article de niveau universitaire sur la rivière Longue pourrait cacher un fait objectif d'une telle importance.


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