Les interventions du redoutable polémiste (nous le sommes tous) restent généralement sans réplique, malheureusement, ses victimes n'éprouvant pas le besoin qu'on mesure davantage la justesse de la critique et c'est bien dommage, cela nous permettrait de rire encore un peu, car si le polémiste est intervenu, c'est évidemment parce que ce n'était pas drôle du tout. La formule : polémique = réplique (pamphlétaire (sans réplique)).
L'éléphant de porcelaine L'arpenteuse du racisme La brouillonnologue de la CGMM Notre critique et sa poésie
Les fulminations de Dominique Deslandres, de René Latourelle et de Robert Toupin contre le « Mythe contemporain Laflèche »

Polémiques II

Guy Laflèche,
professeur retraité,
Université de Montréal

Les aléas jetés sur le parcours du FFMM de 2013 à 2018,
puis au lancement du GFFM en 2022

Table

Introduction

Le festival des films du monde de Montréal (FFMM)
« Grandeur et misères d'un événement ambitieux »

      Non seulement je reprends le titre de Marc-André Lussier, mais je vais aussi reprendre, de mon point de vue, les grandes lignes de l'analyse qu'il a fait paraître sous ce titre dans la Presse, trois ans après le début de l'histoire qui commence ici, le 19 août 2016, à la veille de l'ouverture de la 40e édition du FFMM. On en retrouvera facilement le texte dans les archives du journal lapresse.ca, mais je voudrais que les lecteurs pressés (comme on l'est souvent) connaissent les conclusions de son analyse avant de feuilleter les sections qui suivent et qui se sont accumulées au fil des ans, parce que si sa remarquable synthèse avait été connue dès le départ (ou mieux connue, car l'auteur a dû exprimer déjà ces idées), jamais la triste histoire qui va se dérouler durant plus de cinq ans n'aurait eu lieu.

      En effet, il est bon de savoir précisément tout de suite ce que tout le monde va s'acharner à ignorer, l'évidence. On appelle cela la « réalité ». Comme on va le voir au fil des pages qui suivent, j'ai été souvent très proche de la vérité, mais Marc-André Lussier va l'exprimer, lui, avec une compétence que je n'ai évidemment pas. Dans ce texte d'une remarquable lucidité, il pratique la logique implacable de la plus grande simplicité, directement, sans concession, mais avec la force de l'honnêteté que peut donner une grande expérience critique de la chose cinématographique, de ses festivals dans le cas qui nous occupe. Au cours des trois premières années durant lesquelles j'ai suivi pas à pas les aléas du FFMM, jamais il ne m'aura été donné de lire une analyse aussi pertinente. J'ai plutôt lu mille sottises, comme on va le voir tout de suite après cette introduction.

      Tout va se résumer pour finir en une simple question : veut-on garder le festival que l'on a ici, à Montréal, et qui s'appelle le FFMM, sachant qu'il n'y en a pas d'autre possible ? Or, pour répondre à la question, pour simplement la comprendre, il faut savoir non seulement ce qu'à été le FFMM, mais comment et pourquoi il est devenu ce qu'il est, précisément parce qu'il ne pouvait en être autrement.

      Ce que le FFMM a été, tout le monde le sait très bien, puisque de nombreux nostalgiques qui le décrient voudraient qu'il le redevienne ! Cela s'est passé au cinéma Le Parisien. Serge Losique, en 1977, met en place un événement cinématographique d'une envergure mondiale qui va se développer sans cesse, de 1980 à 2000, avec des audiences considérables où l'enthousiasme du public est démultiplié par des événements médiatiques souvent percutants, les polémiques des journalistes de la critique cinématographique (sur la programmation ou le choix des films, la constitution des jurys et l'attribution des prix, etc.), comme sur la venue à Montréal de grands acteurs, réalisateurs et producteurs qui vont marquer le cinéma du XXe siècle. Marc-André Lussier explique fort bien comment ce miracle a été possible : le FFMM est le premier festival généraliste, de type européen, en Amérique. Il profite d'une comparaison avantageuse avec les festivals de Cannes et de Berlin, il ne fait pas ombrage au seul festival spécialisé alors à Montréal, celui qui deviendra le Festival du Nouveau cinéma, qui mise sur les films expérimentaux pour les cinéphile d'avant-garde (il se déroule d'ailleurs au cinéma qui lui convient, L'Élysée). Mais le succès du FFMM vient également avec la dynamique du festival lui-même, qui parfait son organisation chaque année, d'abord pour qu'on cesse de se battre pour entrer dans les salles (!), ensuite avec sa télévision et son journal quotidien qui popularisent ses entrevues et conférences de presse.

      Mais la plus importante partie de l'analyse de Marc-André Lussier, et qu'on ne lira évidemment nulle part sous ma plume, tient à sa connaissance de l'industrie cinématographique. La « grandeur », puis les « misères » du FFMM qui vont suivre, tiennent tout simplement aux règles de la distribution des films. Elles ont d'abord été extrêmement favorables au festival qui voyait aussi bien les distributeurs que les producteurs, voire les réalisateurs, à son service. On se battait peut-être pour voir les films, mais on se battait aussi pour les présenter au FFMM. Je cite le spécialiste : « de premiers signes inquiétants sont apparus à la fin des années 90; des films français attendus des cinéphiles se sont alors mis à passer par-dessus nos têtes — avec les stars qui les accompagnaient — pour aboutir directement dans la Ville Reine ». Et Marc-André Lussier d'expliquer le succès du TIFF de Toronto, en plus de rendre justice à ce festival qui va précisément devenir en partie ce que le FFMM a été, grâce aux grandes capitales du cinéma européen et, surtout, à Hollywood. Mes analyses ne rendent pas justice aux qualités du TIFF, pour s'en tenir simplement à son « importance »... dont on peut se passer ! (lorsqu'on a le FFMM).

      En effet, il faut bien dire que le TIFF devient « en partie » ce qu'était le FFMM dans ses belles années. Pourquoi ? Parce que le festival de Montréal a gardé ce qu'il avait de plus précieux et que l'industrie cinématographique, et j'ajouterais méchamment ce que « les gens du milieu », n'ont jamais pu lui enlever et qu'il doit à Serge Losique : la ferveur populaire des Montréalais pour le cinéma et notamment pour son FFMM, le FFM de Montréal. Si Marc-André Lussier concède à ses collègues en critique cinématographique que le FFMM a pu avoir du mal à se « renouveler », son analyse montre précisément que ce n'est pas vrai. Bien au contraire, le festival de Montréal a réussi à prendre une double orientation qui fait aujourd'hui toute sa force : d'abord il a mis l'accent sur le cinéma émergent, notamment avec son concours des premières oeuvres, ensuite sur le cinéma des pays émergents en les regroupant parmi les films du monde entier, ce qui attire en salle un large public populaire. « Nos concitoyens issus des communautés culturelles, heureux de pouvoir voir des oeuvres venues de leur pays d'origine, célèbrent aussi ce festival qui, dans les faits, a toujours fièrement porté son nom ».

      Question : est-ce que les journalistes, les fonctionnaires et les politiciens, voire les « gens du milieu », ne pourraient pas comprendre la question ? Sur cette question, je crois que grâce à Marc-André Lussier on pourra mieux juger du déroulement d'une histoire vraiment de plus en plus triste menée par des personnages qui n'auront rien compris. L'intrigue commence par la question d'O. Tremblay, « Financer ou pas un FFM en déclin ? », et la réponse négative qu'elle souhaitait est venue finalement de la SODEC de Monique Simard !


Référence
Marc-André Lussier, « FFM : grandeur et misères d'un événement ambitieux », la Presse, 19 août 2016.


Table

Deux ou trois portraits


FFMM 2013

I

Portrait d'une journaliste du Devoir
en tête de linotte

      Nous sommes le 20 août 2013, à la toute veille de l'ouverture du Festival des films du monde de Montréal (FFMM), qui se déroulera du 22 août au 2 septembre. Ce sera la grande fête populaire annuelle du cinéma. On peut supposer que les invités du festival, comme les membres des jurys, des producteurs, des réalisateurs, des acteurs, etc., de même que des visiteurs ou des touristes qui viennent profiter du festival, sont déjà nombreux à être en ville. Nous sommes à Montréal et nous recevons la visite.

      Et c'est le moment choisi par la journaliste O. Tremblay pour publier dans son journal, le Devoir, un article hors propos dénigrant, sans raison aucune le FFMM, comme si nous vivions encore à la belle époque du putsch avorté de 2005, il y a près de dix ans maintenant. Quelle mouche l'a piquée ? Absolument aucune. La journaliste O. Tremblay ne donne et ne saurait donner aucune raison pour justifier ce dénigrement gratuit à l'ouverture d'une fête du cinéma. C'est tout simplement le papier d'une tête de linotte.

      On devrait normalement en obtenir des excuses de la part de son journal. Certes, la directrice générale du FFMM va répliquer de manière cinglante, mais à mon avis insuffisante : il fallait dénoncer, rien de plus, mais rien de moins, le comportement inacceptable d'une tête de linotte. La preuve en est que le FFMM sera finalement victime de l'ostracisme du Devoir, la journaliste lui retirant après trois jours sa couverture, ce qui est certes inexplicable, mais qui restera surtout inexpliqué.

      Analysons brièvement ce scandale, ce comportement journalistique parfaitement immoral, qui ne peut avoir qu'une explication : la journaliste O. Tremblay n'est finalement qu'une tête de linotte. Je me répète ? Mais oui, pour être bien certain d'être compris. Car la question qui s'ensuit est simple : le Devoir peut-il permettre à ses journalistes de tels incartades sans se faire un devoir de s'en excuser ? Il devrait du moins forcer sa journaliste, O. Tremblay, à s'expliquer clairement à ce sujet, ce qui sera évidemment assez difficile, car on ne peut pas obtenir facilement des justifications qui n'existent pas, s'agissant du comportement inhérent d'une tête de linotte qui pourrait simplement écrire : « Toutes mes excuses : je ne l'ai pas fait exprès; je ne sais pas ce qu'il m'a pris, je n'ai pas réfléchi, je suis vraiment une étourdie; encore une fois toutes mes excuses : je ne le ferai plus ». Autrement, le mieux pour le journal serait donc de confier à un autre la couverture du prochain FFMM, en 2014, puisqu'il y va, comme je vais l'expliquer maintenant, de la crédibilité du journal.

      Mais voici d'abord le petit texte impromptu de la tête de linotte.

Financer ou pas un FFM en déclin ?

Classé comme événement majeur, le Festival des films du monde s'étiole. Une situation inextricable.

Odile Tremblay, le Devoir (20 août 2013, B8).

      Le Festival des films du monde démarre le 22 août (1) et des critiques fusent de toutes parts (2). Elles visent avant tout le président de l'événement, Serge Losique, à la barre du rendez-vous pour la 37e fois, qui persiste à dire que le FFM est l'égal des grands festivals compétitifs, à l'instar de Cannes, Berlin, Venise, etc. Il vit dans son passé, au départ assez illustre. Les temps ont changé (3).

      Depuis plus de 15 ans, ce rendez-vous est en déclin. Fait avéré, relayé par les journalistes québécois. Ceux qui s'y intéressent encore. La couverture médiatique montréalaise s'est réduite (4), la compétition, au fil des ans trop inégale, ne fait plus l'objet d'une attention exhaustive.

      Son président, Serge Losique, appuyé de plus en plus à la programmation par sa directrice Danièle Cauchard, s'occupe, entre autres choses, de recueillir du financement et il est insistant (5). On aura beau évoquer un manque de vision, le fourre-tout de la programmation, l'absence d'une relève, reste que (6) les institutions financent le FFM. Bien sûr, la tentative avortée, en 2005, de le remplacer par un rendez-vous de coalition a créé un vide. Sans argent d'État durant deux ans, ce festival fut porté à bout de bras par Serge Losique, forçant l'admiration. L'ennui, c'est que le FFM, dit de catégorie A, est plus financé que les autres festivals de films à Montréal. Il gruge la majeure partie de l'assiette au beurre, sans résultats à l'avenant. La SODEC lui verse 200 000 $, Téléfilm 327 000 $. Ajoutez la municipalité et autres sources. Il en faudrait davantage, mais les autres festivals pâtissent encore plus (7).

      Tout n'est pas simple. Versant fédéral, si Téléfilm ne soutenait pas au Québec un rendez-vous — le FFM — à la même hauteur que ceux de Toronto et de Vancouver, des voix hurleraient au scandale politique (8). Au Québec, la SODEC est placée également devant un vide d'alternatives. Le milieu est divisé — chacun défend son bout de gras (9). Nul ne fait de propositions d'union pour créer un grand festival, échaudé par l'échec de 2005. À l'époque, le mécène Daniel Langlois avait structuré un plan d'alliance avec le Festival du nouveau cinéma : le meilleur projet du lot, au dire des évaluateurs; mais écarté par des mains occultes (10). Les huiles gouvernementales n'avaient pas misé sur les bons chevaux et refinancent le FFM aussi par défaut. Langlois a disparu du paysage, de toute façon. Tant que Serge Losique sera à la barre, on peut s'attendre au statu quo, à moins qu'un joueur imprévu ne sorte du chapeau (11). Constat d'évidence.

Clientèle de niche

      Car le fidèle public du FFM prend de l'âge. Remarquez, dans les salles au long de l'année, la clientèle des films indépendants vieillit aussi. Les jeunes assistent surtout aux films-événements (blockbusters), à un festival de niche comme Fantasia et à certains volets du Festival du nouveau cinéma à l'automne. Côté clientèle, le problème du FFM n'est pas de plaire avant tout aux aînés — public fidèle et honorable. Mais classé grand festival et financé comme tel, peut-il se permettre une clientèle de niche ? Il lui faudrait également nourrir les générations montantes et le milieu du cinéma, nerf de la guerre (12). En tant que festival dit majeur, le FFM doit rendre des comptes, tout est là (13). Ses dates, qui lui permettaient au départ de s'inscrire dans la queue de la comète estivale, sont devenues désastreuses. Venise et Toronto, qui le talonnent, raflent les films majeurs (14). L'écart entre ces grandes manifestations s'est fait gouffre. Toronto n'a pas de volet compétitif, mais celui du FFM a perdu du lustre (15), alors on n'est pas ici plus avancé. Les Américains sont à Toronto, aussi toutes les autres cinématographies, collées derrière. Encore heureux si le FFM présente quelques longs métrages québécois attendus cette année. Et encore... Plusieurs avaient été refusés à Toronto (16). Ils doivent composer avec la situation. Mais le FFM ne se renouvelle guère.

      En tout cas, le ministre de la Culture, Maka Kotto, sera, dit-on, au Spécial Québec du Festival d'Angoulême et n'assistera pas à l'ouverture du FFM. Ce qui n'envoie guère un signal d'enthousiasme (17)...

      Voici maintenant la réplique avisée que se méritent la journaliste et son journal de la part de la direction du FFMM. Il y a parfois de grands bonheurs de lecture de tout simples textes. Si nous avons été nombreux à être stupéfaits de lire le « papier » d'O. Tremblay hier, nous serons encore plus nombreux (car plusieurs lecteurs du Devoir n'auront pas manqué d'aller le lire s'il leur avait échappé) à trouver tout simplement admirable la réplique de Danièle Cauchard, qui se révèle ainsi une grande dame, appuyée par une équipe fort compétente. Peu d'organismes peuvent se vanter d'avoir ainsi su répliquer du tac au tac avec autant de pertinence et de dignité.

Libre opinion

Le FFM et le déjà-vu

Danièle Cauchard,
Directrice générale du Festival des films du monde
Le Devoir (21 août 2013, p. A8).

Madame Odile Tremblay,

      Savez-vous que, lorsque vous écrivez un article comme celui paru dans le Devoir du 20 août, vous n'insultez pas seulement des défenseurs de la culture, mais aussi les créateurs de nombreux pays du monde. Il me semble que trop souvent le principal obstacle à la diffusion de la culture cinématographique n'est pas la paresse intellectuelle ambiante, mais ceux qui se retranchent vers le déjà-vu ou le déjà encensé ailleurs.

      Le Festival présente de nombreux films pour lesquels vous n'avez aucun point de référence puisqu'il s'agit de premières mondiales et internationales (18). Le Festival présente également de nombreuses premières oeuvres et 200 courts métrages. Aller au FFM demande donc un certain niveau de curiosité intellectuelle (19). Vous parlez de l'âge du public; la majorité a de 35 à 64 ans et 77 % ont fait des études universitaires. C'est une clientèle qui a le même profil que le lecteur du Devoir. Est-ce un défaut ? Que peut-on dire des spectateurs de l'Orchestre symphonique, des théâtres, de l'opéra ? (20).

      Vous parlez du financement du Festival. C'est très simple : il a été victime de magouilles innommables qui ressemblent beaucoup à ce qui s'est passé dans le domaine de la construction. Certains se sont arrangés ensemble sauf que, contrairement à certaines compagnies de construction privées de contrats et qui ont abandonné, le FFM a tenu bon en étant privé de subventions pendant deux ans, même si par la suite ses subventions ont été divisées par deux comparativement aux montants accordés il y a 10 ans... Il fallait absolument se venger d'un événement qui osait défier les magouilleurs.

      Pendant ce temps, les festivals sans contenu (défilés de toutes sortes, fanfares, etc.) sont de plus en plus subventionnés, y compris par les sociétés d'État. Mais comme il n'y a aucune dimension « critique » à ces événements, ils peuvent prospérer tranquillement à l'abri des regards inquisiteurs. Savez-vous, par exemple, que la moitié des « ententes de partenariat » de la Ville de Montréal en 2012 (8 millions sur 13 millions) vont au « Partenariat du Quartier des spectacles », qui est devenu une grande bureaucratie ?

      Pas de problème, vous pouvez parler des contributions gouvernementales, mais encore faut-il faire un portrait global et non pas une attaque en règle ciblée contre le FFM qui ressemble plus à un règlement de comptes qu'à une analyse objective (21).

Analyse critique

(1) Ce texte paraît en effet à deux jours de l'ouverture du festival. Ce n'était pas le moment approprié pour relancer une polémique vieille de près de dix ans. Il y a là un évident manque de jugement.

(2) Quelles sont ces critiques qui « fusent de toutes parts » ? D'où viennent-elles ? Qui sont donc ceux qui les expriment avec assez de pertinence pour que le Devoir en fasse état à deux jours de l'ouverture du festival ? Toutes les « critiques » qui seront exprimées dans la suite de ce texte d'opinion déguisé en article journalistique ont déjà été exprimées très souvent (et inutilement) lors et depuis le putsch avorté de 2005. Plus encore : à ce moment, il y avait plus d'une décennie déjà qu'on formulait ces critiques, critiques qui « justifiaient » le putsch en question. Est-ce que, tout à coup, en 2013, à deux jours de l'ouverture du FFMM, il y aurait quelque raison de remuer les cendres pour rallumer la vendetta ? Non, bien entendu. Il n'y a là que le manque de jugement d'une tête de linotte.

(3) Serge Losique, président du FFMM, affirmerait que son festival, le festival de Montréal, est comparable à ceux de Cannes, Berlin, Venise, etc. La journaliste affirme que ce n'est pas vrai. Ou plutôt que c'était vrai, mais que tel n'est plus le cas, ce qu'elle exprime d'une manière très méprisante (Serge Losique, dit-elle, « vit dans le passé », « les temps ont changé »). Bien entendu, elle ne se rend pas compte qu'elle insulte un homme qui devrait avoir droit au plus élémentaire respect, à deux jours de l'ouverture de l'événement qu'il a mis en place avec son équipe. Il faut le répéter : elle ne s'en rend pas compte. C'est une tête de linotte.

(4) L'argument va prendre au cours des jours qui viennent un poids catégorique : en effet, depuis deux ans, la journaliste est la seule de son journal à « couvrir » le FFMM, alors que par le passé ils étaient plusieurs à le faire. On se rappellera du fameux « Journal du festivalier » que nous étions des dizaines à lire chaque matin durant le festival ou de l'époque, bien antérieure aux articles de notre tête de linotte, où les comptes rendus du Devoir pouvaient guider les spectateurs et même influencer jusqu'aux votes des membres des jurys. Alors voilà un solide argument : la preuve que le FFMM n'est plus ce qu'il était et ne vaut plus rien, c'est que nous, au Devoir, nous n'en rendons plus compte ! Et moi qui étais la dernière à le faire, je ne le couvrirai pas cette année !

(5) De quoi je me mêle ? Est-ce qu'on a déjà vu le responsable d'un événement public qui ne soit pas « insistant » pour obtenir du financement ? Quels ragots se cachent sous cette petite proposition ? Une telle accusation ne révèle-t-elle pas un incommensurable manque de jugement ? Il me semble que oui.

(6) On vient de lire trois accusations gratuites qui servent de fondement à une critique sans rapport avec ces accusations. Ce n'est pas vrai que la programmation soit un « fourre-tout », précisément parce que le FFMM est d'abord et avant tout un grand rendez-vous populaire du cinéma à Montréal : le festival mise manifestement sur la quantité, la diversité et plus encore sur la nouveauté, dans tous les sens du mot. Dire qu'il s'agit d'un « fourre-tout », c'est une manière insultante, dans les circonstances, d'exprimer son désaccord avec cette conception du festival populaire. En ce qui concerne le « manque de vision » et l'« absence d'une relève », on ne saurait faire de telles affirmations sans au moins dire ce qu'il faut entendre par là, c'est le bon sens le plus élémentaire qui le dit.

(7) Est-ce qu'on pourrait avoir plus de précisions ? À ce que je sache, Montréal compte actuellement trois grands rendez-vous annuels du cinéma, Fantasia, le FFMM et le Festival du nouveau cinéma. Affirmer tranquillement que le FFMM obtient trop de financement public par rapport aux deux autres festivals, cela demande au moins une petite enquête, non ?

(8) C'est dire que la journaliste souhaiterait, idéalement, que Téléfilm diminue sa subvention au FFMM en faveur de Toronto et de Vancouver, mais que malheureusement ce n'est pas possible du point de vue de la réalité politique.

      D'ailleurs, le titre de l'article (« Financer ou pas un FFM en déclin ? ») et sa première phrase (qui prête implicitement cette opinion, sous la forme d'une évidente réponse négative, à des contestataires anonymes : ces « critiques [qui] fusent de toutes part ») constituent un appel assez clair au boycottage du FFMM par les organismes publics et ses partenaires privés. Comme on ne peut rapporter anonymement une telle proposition, il suit qu'il s'agit d'une opinion de la journaliste. Cet article est donc proprement un texte d'opinion déguisé.

(9) Le « vide d'alternatives », c'est le fait que le FFMM est le seul grand festival international à Montréal; le « milieu divisé », ce devrait être les trois festivals du cinéma de Montréal (puisque « chacun défend son bout de gras »); ce qu'on va lire maintenant, c'est une troisième situation, le rêve de voir se reproduire le putsch de 2005 désigné comme des « propositions d'union ».

(10) Sibyllin. Il faut avoir à l'esprit des faits qui datent de dix ans pour simplement comprendre ce que « veut » dire notre journaliste. Elle souhaite, on va le lire en clair presque tout de suite, que se reproduire efficacement le putsch raté de 2004-2005. À la suite du rapport d'une firme d'enquête, SECOR, les organismes gouvernementaux ont pris l'initiative de réorganiser les deux festivals de Montréal, le FFMM et le FNC, l'objectif étant de faire disparaître celui de Serge Losique pour le remplacer par un nouveau festival. Le FFMM a bien sûr refusé de participer à sa disparition sous prétexte de refonte et on lui a coupé pour cela sa subvention pour sa réalisation de 2005. Deux projets d'« envergure » ont été mis en place pour remplacer le FFMM, l'un piloté par Daniel Langlois, le propriétaire du cinéma Excentris, avec le FNC de Claude Chamberland, l'autre par Alain Simard, dont la compagnie Spectra organise le Festival du Jazz de Montréal, avec un regroupement de très nombreux participants, ce qui donnera le FIFM, le Festival international de films de Montréal. C'est le projet du FNC, un Nouveau Festival du nouveau cinéma, qui est choisi par le Comité d'examen de la SODEC et de Téléfilm Canada (composé de trois fonctionnaires de chacun des deux organismes) le 28 octobre et on allait en faire l'annonce le lendemain, lorsque ce jour-là est venu d'Ottawa, de la direction de Téléfim Canada, l'ordre de relancer le concours, à cause de ce que l'on a nommé un « mystérieux avis juridique », parce que personne ne l'a jamais ni lu ni vu. Ce sont les mains occultes dont parle ici O. Tremblay. Il n'est pas très difficile de comprendre que la décision politique de reprendre le concours avait pour but de voir réaliser ce qui allait se passer et mal se terminer : c'est le projet adverse, le FIFM, qui remporte la deuxième manche, le 13 décembre 2004, Daniel Langlois changeant inopinément de camp, tandis que le FNC refuse absolument de fusionner son festival avec le concurrent. Le FIFM fera patate, tandis que l'intervention politique en défaveur du FNC sera reconnue et en conséquence sa subvention augmentée à 200 000 dollars (comparativement à sa subvention habituelle de 130 000). Le FFMM se tiendra, lui, sans subvention et elle lui sera encore refusée l'année suivante. — On trouvera un récit détaillé de ces magouilles dans le Seizième rapport sur l'imputabilité des sous-ministres et des dirigeants d'organismes publics, Commission de l'administration publique, édition de l'Assemblée nationale du Québec (assnat.qc.ca, section « Travaux parlementaires »), chapitre 4, « L'examen du rapport annuel de gestion 2004-2005 de la SODEC », p. 31-40.

      Comme on le voit, la présentation de ces événements en deux phrases est évidemment biaisée et le biais est involontaire : la journaliste imagine un suave scénario (où le FFMM ne joue aucun rôle, alors qu'il s'agissait de le remplacer d'office par un autre festival !) où les projets du FNC et du FIFM étaient deux belles « propositions d'union » nées spontanément de la manière la plus généreuse dans l'esprit de riches mécènes et hommes d'affaire décidés à doter Montréal d'un festival qui ne serait plus en déclin... Après dix ans, elle n'a manifestement pas encore compris qu'il s'agissait d'un putsch orchestré par Téléfilm Canada avec la très active participation de la SODEC. Et c'est justement ce putsch que la journaliste rêve de voir se renouveler sous les traits charmants d'un « joueur imprévu » sortant du chapeau d'un magicien ! Voilà qui serait propre à illustrer la naïveté d'une tête de linotte, si ce n'était par définition l'une de ses plus belles qualités.

      Il n'y avait et il n'y a toujours que deux seules et uniques façons d'améliorer ou de transformer le FFMM. La première appartient aux médias qui se doivent d'en faire la critique et l'analyse critique, chaque année, de manière compétente. La seconde, qui devrait pouvoir s'appuyer justement sur l'analyse critique en profondeur d'un journal comme le Devoir, appartient au milieu du cinéma du Québec, ses producteurs, ses réalisateurs et les dirigeants des salles de cinéma de répertoire et de réalisations indépendantes — et pas n'importe comment, mais bien avec la direction du FFMM. Lorsqu'un tel événement annuel a été mis en place, et l'expérience a eu malheureusement l'occasion d'en faire la preuve, on ne saurait le remplacer magiquement par un autre. Par la critique, les suggestions et les propositions originales et efficaces, on peut certes militer pour qu'il s'améliore, se transforme ou change même d'orientation. La journaliste O. Tremblay, elle, exprime ici le souhait qu'on organise un nouveau putsch et qu'il réussisse. On appelle cela manquer de clairvoyance. Ou peut-être plus simplement de jugement ?

(11) Elle souhaite donc explicitement un nouveau putsch, comme si l'on n'avait pas déjà compris.

(12) Les participants du FFMM sont de plus en plus âgés. La journaliste répète cela chaque année depuis dix ans, la répétition servant ici de preuve, puisqu'elle peut le répéter encore avant même l'ouverture du festival, sans avoir interrogé la direction à ce sujet. Il faut au contraire se demander si la pyramide d'âges a changé depuis la belle époque où le festival de Montréal se déroulait à l'Élysée, en 1965-1975, avant même l'entrée en scène de Serge Losique. Lorsqu'un critique de cinéma n'a pas la possibilité, le temps ou les moyens d'étudier une question qui relève de la sociologie, il n'a pas le droit de transformer ses impressions subjectives ou même ses convictions en faits avérés. C'est même son devoir de se taire à ce sujet. Se répéter sur ce point, chaque année, durant plus de dix ans, c'est même de la malveillance.

      En tout cas, si l'on réussissait à augmenter considérablement la proportion des jeunes de vingt à vingt-cinq ans, je souhaiterais qu'on leur apprenne qu'il n'est vraiment pas approprié de manger du pop-corn en salle de cinéma : il m'est arrivé pas moins de cinq fois, un soir et au cours des deux fins de semaine du festival cette année, d'être forcé de changer de place pour fuir l'odeur et la musique de ce produit de consommation des trop jeunes cinéphiles. À mon avis, ils sont déjà trop nombreux à être trop jeunes pour participer au FFMM et leurs énormes sacs de pop-corn en fait l'éclatante démonstration.

(13) Bien entendu que le FFMM doit rendre des comptes, non seulement auprès des organismes publics qui le subventionnent, mais également auprès du public, ce qui est essentiellement entre les mains des journalistes. Ceux-ci n'ont jamais été capables de forcer la direction du festival à répondre correctement à leurs questions et à recevoir adéquatement leurs critiques et leurs commentaires. Il y a maintenant plusieurs décennies que la presse aurait dû faire en sorte que le FFMM ne se contente pas d'attachés de presse, mais engage un véritable directeur des communications, membre d'une entreprise spécialisée. Si Serge Losique et Danièle Cauchard étaient conseillés et dirigés professionnellement dans leurs relations avec les journalistes, notamment en se présentant en conférence de presse chaque jour du festival (par exemple à tour de rôle), le FFMM aurait non seulement meilleure presse, comme on dit, mais il en profiterait de plusieurs façons. Couper à peu près tout contact avec la presse pour éviter les polémiques et tenter d'écarter la critique n'est évidemment pas une bonne stratégie. Cela dit, c'est tout de même la presse, paradoxalement, qui est responsable de cette situation, puisqu'elle n'est pas en mesure de formuler les bonnes critiques, de poser les bonnes questions et d'en obtenir des réponses.

      Les sottises et critiques à la noix qu'on lit ici sous la plume d'une journaliste du Devoir à deux jours de l'ouverture du festival en font la preuve.

(14) Le FFMM, comme son nom l'indique, se déroule à Montréal. Il doit donc se situer en fonction des autres festivals et des autres grands événements de la métropole. Cela s'analyse d'ailleurs en fonction de son public. Une fois cette donnée impérative entrée dans l'équation, je suppose que l'on doit ensuite tenir compte de sa situation en regard des autres grands festivals cinématographiques, mais dans ce cas il ne s'agit plus seulement d'une question de calendrier, mais d'abord et avant tout de la nature des festivals. Il me paraît évident que les festivals de Venise et de Toronto, que nomme la journaliste, n'ont aucune commune mesure avec le FFMM : je ne pense pas me tromper en disant que la Monstra est fort sélective dans le choix de ses films et que le TIFF se présente comme une couverture des réalisations états-uniennes et une ouverture européenne sur ce marché, tandis que le FFMM, comme son nom l'indique encore, offre aux Montréalais et à ses visiteurs une fête populaire des réalisations de l'année de par le monde, alors que de nombreux producteurs, réalisateurs et acteurs, grands et petits, sont manifestement heureux d'y participer. O. Tremblay voudrait à toutes forces que Montréal devienne Cannes, Berlin ou Venise. Pourquoi donc ?

      Cela dit, si le FFMM est un festival populaire, il ne devrait pas s'ensuivre, comme c'est trop souvent le cas depuis quelques années, que les jurys couronnent des films populaires, sans autres qualités (cinématographiques) que d'être bien fait pour plaire au grand public. C'est le cas de la conjonction cette année du Grand Prix des Amériques, du Prix du public et du Prix du jury oecuménique accordés non pas au film de Maciej Pieprzyca, mais à son personnage principal (joué magistralement par Dawid Ogrodnik) qui triomphe de sa paralysie cérébrale, exactement comme cela avait été le cas des trois handicapés du film de Geoffroy Enthoven, Grand Prix des Amériques et Prix du public en 2011. Même chose pour le personnage d'Henri Bernard (bien joué lui aussi par Marcel Sabourin dans le film de Mathieu Roy), atteint de démence sénile, ce qui est propre à émouvoir le grand public.

      Parmi les films en compétition que j'ai vus cette année, je n'ai trouvé aucun chef-d'oeuvre. J'aurais toutefois donné la palme à the Red Robin de Michael Z. Wechsler : mise en place d'une situation théâtrale dramatique dont profitent tous les acteurs; production d'indices insolites qui trouvent petit à petit, c'est le cas de le dire, leur clé; et surtout des images et un montage qui tirent profit des éclairages pour justifier un traitement expérimental discret, mais efficace. Comme les membres du jury auraient certainement été en minorité à voter pour ce film, je me serais bien rallié pour décerner la palme soit à Westen, de Christian Schwochow, ou encore à Landes, de François-Xavier Vives. Cela aurait été un honneur pour le FFMM de remettre son Grand Prix des Amériques à l'un de ces deux films. Dans mon esprit, le FFMM doit accepter d'être ce qu'il est, un festival populaire, puisque son public a choisi de couronner la Vie est bonne et belle de Maciej Piepryca, mais il ne doit pas devenir un festival de films populaires, comme il en donne l'impression en remettant à ce même film son Grand Prix des Amériques, un film qui raconte platement, maladroitement, sans art, « une bien belle histoire », une histoire vraiment plate...

      Si le FFMM ne doit pas devenir un festival du film populaire, rien n'empêche qu'on y trouve des films populaires, bien entendu, de bons films destinés au grand public. D'ailleurs, le FFMM en a toujours eu à son programme. La palme revient certainement cette année au film de Claudia Pinto Emperador, la Distancia más larga : le Cinéma impérial était plein à craquer de Montréalais originaires d'Amérique latine qui ont applaudi le charmant petit film (bien scénarisé, bien joué, avec des images superbes des montagnes du Venezuela et de sa capitale, Caracas), qui venait de jouer avec leurs sentiments, debout près de quinze minutes, avec des applaudissements, des bravos et des cris, voire des hurlements de joie de toutes sortes — une salle complète en délire. Un événement cinématographique rare. D'où, bien entendu, le Prix du public pour le meilleurs film d'Amérique latine.

(15) Les lecteurs d'O Tremblay savent ce que cela signifie : il n'y a pas assez de « vedettes » sur le tapis rouge du FFMM. Un festival, pour elle, ce sont des conférences de presse et des entrevues. Il faut bien y présenter des films, c'est entendu, mais ils ne sont là que pour attirer leurs « grands » réalisateurs et leurs « grands » acteurs.

      Et la preuve en est qu'O. Tremblay est un des rares critiques de cinéma à mêler allègrement les genres : il lui arrive très souvent de publier une entrevue avec un réalisateur ou un acteur, puis de faire ensuite la critique de leur film, comme s'il n'y avait pas là conflit d'intérêts, manque d'objectivité à peu près garanti ou, pire, indélicatesse, puisque l'entrevue implique la sympathie et l'intimité, la critique, le détachement et l'objectivité. Le bon sens le plus élémentaire dit qu'on ne peut pratiquer qu'un seul des deux genres au sujet d'un même film ou que les deux articles doivent être rédigés par deux journalistes différents du même journal, réalisés et publiés si possible en même temps, toujours pour des raisons d'objectivité et de délicatesse, cette fois-ci en regard du confrère qui aura réalisé l'entrevue ou rédigé la critique.

(16) Le FFMM présente en compétition, cette année 2013, quatre films québécois. Si « plusieurs » d'entre eux ont été refusés au TIFF, c'est forcément au moins deux. Alors, si ce n'est pas le film d'ouverture de Mathieu Roy, lesquels des films d'Alain Chartrand, de Pascale Ferland ou de Samuel Thivierge ont été refusés à Toronto ?

(17) O. Tremblay écrira, avec la plus grande perfidie, dans son bilan final du 3 septembre : « Jean Beaudin a reçu le prix des mains du ministre de la Culture, Maka Kotto, absent remarqué à l'ouverture du Festival... » (3/09/2013, p. B8). Elle sera bien la seule à l'avoir remarqué. Est-ce qu'un ministre de la culture est tenu d'assister à l'ouverture ET à la clôture du FFMM ? Est-ce que la présence du ministre au volet spécial sur le cinéma québécois au Festival d'Angoulême ne mérite pas qu'il s'y rende ? Du début à la fin de son article, du début à la fin du festival 2013, O. Tremblay fait la preuve incontestable qu'elle est une belle tête de linotte.

(18) Avec la plus belle innocence, O. Tremblay publie le lendemain, 22 août, le preuve de cette affirmation : « Un FFM à magasiner » (22/08/2013, p. B8), où l'on peut lire « plusieurs premières oeuvres étant au programme, et nombre de cinéastes se révélant peu connus, difficile à pareille enseigne d'éclairer la lanterne du public ». C'est dire qu'elle est incapable de s'informer sur les réalisateurs en compétition, sur les réalisateurs d'un premier long métrage (dont plusieurs ont déjà fait leur classe), ni même sur les oeuvres de réalisateurs connus dont on présente les films déjà dévoilés au cours de l'année. Elle ne pouvait pas attirer l'attention sur le fabuleux film de Georges Sluizer ? Dark Blood est interdit de diffusion en salle et a été présenté pour la première fois au FFMM. — Images : Antonioni; scénario : mise en place d'un couple hollywoodien style Hitchcock; mise en scène : Sergio Leone (oui, c'est encore possible en 2013 !); musique (et là, je ne fais pas de comparaison), Florencia di Concilio (et James Michael Taylor). Ce film n'a pas été projeté à la Monstra et ne le sera pas au TIFF, à ce que je sache. Le réalisateur était vraiment heureux de nous le présenter et, nous, d'avoir la chance de le voir en primeur à Montréal.

(19) En effet, dans les festivals, dont elle rend compte des défilés sur le tapis rouge, O. Tremblay ne s'occupe jamais que de la compétition (je ne dis pas des oeuvres en compétition) et des Québécois (je ne dis pas des films québécois) qui peuvent faire la manchette. À se demander si elle s'intéresse au cinéma.

(20) Voilà des statistiques. La journaliste devrait méditer sur le fait de n'avoir jamais su en produire et de voir celles-ci appliquées avec humour à son propre journal. Danièle Cauchard a l'air de savoir de quoi elle parle. Et, effectivement, plusieurs fois ces dernières années j'ai répondu aux entrevues des sondeurs qui m'ont interrogé dans les queues de diverses salles du FFMM (d'où venez-vous ? quel est votre groupe d'âges ? depuis combien de temps fréquentez-vous le FFMM ? combien de films verrez-vous cette année ?). D. Cauchard a ces données, O. Tremblay, non, comme on le voit. Elle ne pourrait pas les obtenir ? Car on n'en a ici qu'un trop petit et court sommaire.

(21) Toutes ces affirmations polémiques de D. Cauchard, qui est bien placée pour savoir de quoi elle parle, mériteraient une enquête journalistique rigoureuse. Huit ans après le putsch avorté, ce serait une bonne idée pour un journal de Montréal d'enquêter à ce sujet. Le FFMM ne mérite aucun traitement de faveur, mais il ne doit pas non plus être diabolisé.

      Danièle Cauchard demande justice. Elle a raison. Elle demande une analyse objective. Elle a raison. Elle dénonce un « règlement de compte ». Elle se trompe. Le Devoir a tout simplement publié le papier d'une tête de linotte.

Le Devoir boycotte le FFMM

      Nous lisons donc ce papier le 20 août. La directrice du FFMM réplique le lendemain, 21 août. Elle va le payer cher. Le festival s'ouvre en effet le jour suivant, du moins pour les journalistes (car le festival proprement dit ne comprend ce jour-là que la projection du seul film d'ouverture). O. Tremblay assiste donc aux projections de presses. La veille, probablement, elle a vaguement feuilleté le programme du festival, de sorte qu'on a droit ce vendredi à son petit innocent sommaire de la programmation, « Un FFM à magasiner ». De nombreux journalistes du Devoir ont été déjà plus avisés, je l'ai dit plus haut, nous présentant leurs compétentes sélections. Le jour suivant, dans le numéro du samedi-dimanche, elle publie son premier et dernier article couvrant le FFMM (24-25/08/2013, G10). Il s'agit d'une critique de la piètre projection et de la piètre qualité du film de Marco Risi (qui a pourtant réussi un très bon film policier hollywoodien, comme seuls les Italiens savent le faire), Cha, cha, cha, et d'une réaction au film de Jan Verheyen, le Verdict (qui aborde pour elle un « sujet délicat », oh la pauvre fille ! car il s'agit d'un film qui exploite la soif et l'instinct de vengeance du grand public en créant une situation cinématographique parfaitement invraisemblable, notamment par la position de justicier tout-puissant et objectif qu'occupe la caméra). — Finalement, c'est peut-être un bien pour un mal que la jounaliste se retire du festival, car c'était plutôt mal parti.

      En effet, c'est tout. Sans aucune explication, O. Tremblay boude le FFMM. Elle accorde une entrevue à Dai Sijie (16/08/2013, B8) et rend compte, comme tous les journalistes de Montréal, d'une conférence de presse de Juliette Binoche (28 août, première page); François Lévesque fait un compte rendu du film de Carole Laganière, produit par l'ONF (27/08/2013, B8), et de Ressac de Pascale Ferland (28/08/2013, B7). Le critique présente également une entrevue avec Kathleen Turner qui reçoit l'hommage d'un Grand prix des Amériques du FFMM (30/08/2013, B3).

      Comme tous les médias de Montréal, le Devoir, sous la plume d'O. Tremblay, énumère, mais très sèchement, le palmarès du FFMM (3/09/2013, B8). — Et il faut ajouter, bien entendu, que la journaliste a couvert jour après jour le festival de Cannes et qu'elle couvrira ensuite de même le TIFF, ce à quoi, personnellement, je ne vois aucun intérêt. À moins de s'intéresser aux tapis rouges, on n'a pas besoin de se rendre à Cannes pour présenter aux lecteurs de Montréal des films qui ne seront au Québec que dans un an. Et, encore moins, de se pointer à Toronto, pour des films qui sont à nos portes. Le Devoir gaspille beaucoup de frais et d'énergie me semble-t-il. Même le Style d'Odile ne vaut pas ces reportages que je ne dois pas être seul à ne jamais lire. Quel intérêt ? Les tapis rouges de Cannes et de Toronto ne m'intéressent nullement et les films qu'on y présente, ne me concerneront, par définition, que lorsqu'ils seront à Montréal. Justement, c'est le cas des réalisations présentées au FFMM. Le Devoir ne l'avait pas remarqué ? Le Festival des films du monde de Montréal se déroule chez nous, en ville...

      Il est vrai que le FFMM n'a pas présenté cette année beaucoup de ces films qui sont pour moi des chefs-d'oeuvre, souvent de cinq à sept. Pas autant d'excellents films que d'habitude, non plus, généralement de dix à vingt. Mais cela tient peut-être aux réalisations de cette année 2012-2013. Le FFMM ne peut tout de même pas inventer et projeter des films qui n'existent pas. J'ai vu toutefois deux chefs-d'oeuvre, 3X3D et Dark Blood, avec une mention très honorable pour le film expérimental Twice de Simon Winterson. De nombreux, très nombreux beaux films de fiction (petits, moyens et longs métrages) et surtout d'excellents documentaires. Je me permets de donner la palme au film qui est à la frontière entre les deux genres, car tous les « personnages » jouent leurs propres « rôles » dans En retard pour l'enterrement de ma mère de Penny Allen. Non, non, quand un film est aussi bon, à la frontière de deux genres, on peut parler de chef-d'oeuvre. Avec la Fête d'Anton comme premier film, je pense qu'on devra dorénavant suivre la carrière John Kolya Reichart. Je miserais aussi sur celle de Germinal Roaux, même si je ne vois pas bien l'intérêt d'intituler un film de langue française en anglais (Left foot, ritht foot). Voilà ce qu'aura été pour moi le FFMM 2013. Une réussite ? Un grand plaisir en tout cas.

      Conclusion : la réplique avisée du FFMM au papier d'une tête de linotte paru dans le Devoir lui aura valu le boycottage de la part du journal qui rend compte exhaustivement, mais inutilement, des festivals de Cannes et de Toronto. Et cela sans aucune explication. Il y a là un scandaleux abus de pouvoir, un comportement profondément immoral.


Le FNC 2013, c'est le Festival du nouveau cinéma, octobre 2013

      La journaliste O. Tremblay revenait de Cannes pour nous dire deux mots méchants du FFMM 2013. Maintenant, elle revient de Toronto, et rassemble toute son équipe de collaborateurs pour encenser le FNC 2013. Je n'avais pas encore remarqué que son journal, le Devoir, était un partenaire du FNC. Alors je vous raconte.


« Nous [au Devoir], on l'aime bien, le FNC... »

—— O. Tremblay, chronique culturelle de la journaliste entièrement consacrée à la promotion du FNC, le Devoir, 13 octobre, p. E2.

Lorsqu'un festival comme le FNC achète entre 5 et 10.000 $ de publicité à son journal, on l'aime bien. Comment faire autrement ?

     Mon aventure est assez commune, je le sais maintenant. Je me suis fait une entorse à la cheville droite. Sauf qu'il s'agit de cinéma.

      Oui. Je reviens d'une belle journée cinématographique. J'ai vu Whitewash d'Emmanuel Hoss-Desmarais, un film d'une très grande beauté cinématographique, comme on dit, c'est-à-dire avec des images éblouissantes de l'hiver à Montréal, au Québec. On ne verrait le film que pour ses images, ses prises de vue, que ce serait suffisant. Un bonheur total. Mais il y a aussi un scénario fort bien construit, un acteur principal qui domine la scène dramatique, un acteur secondaire génial et des figurants qui sont toujours là où ils doivent être et comme ils doivent être, tout simplement. Le film finit en queue de poisson ? Pas du tout : il finit après sa fin (fabuleuse, inattendue, géniale, toute simple, car ce méchant homme devait évidemment mourir, forcément, et l'autre l'assassiner, mais bon, j'en dis déjà trop, car en effet le film finit après sa fin, je crois l'avoir dit, plus belle, toujours en images, que la fin).

      Ensuite, j'ai été à l'écoute de l'entrevue que la réalisatrice Claire Simon accordait à la présidente des Réalisateurs du Québec. Il est rare de voir une personne aussi bien informée laisser toute la place à sa vedette, sans jamais rien rajouter. C'est même exceptionnel. Claire Simon en a relevé ses lunettes teintées Jean-Luc-Cinéma-Godard pour nous présenter une oeuvre fabuleuse (des courts métrages, des documentaires et des films de fiction) que je ne connaissais pas du tout. Et j'ai vu ensuite son film Gare du Nord. Un petit chef-d'oeuvre, à la frontière du documentaire et de la fiction, s'agissant d'une fiction documentée. Zola faisait cela à la fin du XIXe siècle, sauf qu'il faisait des romans (Germinal, par exemple). Claire Simon, elle, ne fait pas dans le roman, tout simplement parce que sa « fiction » est la mise en scène d'un documentaire, un vrai, sans concession.

      Belle et fabuleuse journée de cinéma. Je reviens tout tranquillement à la maison. Sorti de la station de métro Montmorency, je vais traverser le boulevard de la Concorde pour rentrer chez moi en dix minutes de marche, pas plus. Lorsque que « crac ! ». Ma cheville droite flanche, je ne sais pas pourquoi. C'est l'entorse. Le lendemain, mardi, 15 octobre 2013 (c'est pour moi une date rare que j'enregistre, si vous le permettez), je me rends compte que je suis tout simplement paralysé et que je pourrai plus me déplacer durant au moins une semaine : repos, glaçons, patte en l'air et Voltaren.

      Mais cela permet de réfléchir. Par compensation, je rassemble autour de moi, dans ma position de pacha, tout ce qui concerne le FNC, le Festival du nouveau cinéma. J'ai onze billets de films que je ne pourrai probablement pas voir; je ne verrai donc pas dans les jours qui viennent, par exemple, le Dernier des injustes, Chez Lise ou Histoire de ma mort. Et je rate aujourd'hui deux belles séances de courts métrages au cinéma du Parc.

      Cela dit, la vie de pacha, les compresses de glaçons et la patte en l'air, cela donne un peu le temps de réfléchir. Et j'ai compris. Alors, je vous explique, car vous n'avez peut-être pas la chance comme moi de réfléchir.

      Il s'agit du journal le Devoir, du coup de cochon que sa journaliste responsable du cinéma a servi au FFMM 2013 et du boycottage dont le festival a été victime cet automne. Peut-être que je tombe des nues comme un imbécile qu'une entorse doit enfin immobiliser pour qu'il réfléchisse un peu, mais je n'avais jamais remarqué que le Devoir était un partenaire du FNC, comme on le voit en tête de son programme (p. 14), avec une publicité du Devoir pleine page dans le même programme (p. 218). Du coup, tout éclopé de l'entorse que je sois, je me précipite sur mes vieux numéros du Devoir pour constater qu'en effet, le FNC achète à tour de bras de la publicité dans le journal, depuis la quatrième de couverture de « l'Agenda » du 5-11 octobre, comme les publicités en quart ou en huitième de page chaque jour tout au long du festival. Bref, le FNC achète la couverture de l'événement en frais de publicité au journal. Voilà qui explique très économiquement que le Devoir peut permettre à sa journaliste de traiter Serge Losique de vieux croûton et le FFMM de saint Ciboire de vieille affaire, car nous sommes dans la gammic capitaliste de la publicité, qui n'a évidemment pas grand chose à voir avec la programmation cinématographique.

      Tous les jours, sans exception à ce jour (éclopé, j'écris ce texte d'opinion le jeudi, 17 octobre 2013), le Devoir se fait le promoteur du FNC. Après son coup de cochon avant l'ouverture du FFMM 2013 et le boycottage du festival, on ne peut pas dire que ce soit anodin.

      Un petit exemple, puisque j'y suis ? Le collaborateur Martin Bilodeau (le 4 octobre) et la journaliste O. Tremblay (le lendemain, 5 octobre) ont fait la promotion du FNC en vantant Au nom du fils, le film stupide, grossier et profondément immoral d'un certain Vincent Lannoon. Comme je suis athée et bien placé pour en parler, je pense qu'il est tout à fait inacceptable de se moquer pour s'amuser des croyants. Je n'en vois pas l'intérêt. Je ne trouve pas cela drôle, même si je comprends que le réalisateur et ses scénaristes s'amusent beaucoup : c'est tout simplement idiot. Je vois encore moins l'intérêt de jouer, en s'amusant toujours beaucoup, avec le problème des prêtres pédophiles. Il n'y a là aucun « message » de second degré, mais tout simplement le bébé, pré-ado en tout cas, qui joue dans le caca. Sans compter que mettre en scène une histoire de l'ordre du sous-Tarentino très franchouillard (ah ! ces belgeo-québécois !) n'a évidemment aucune valeur cinématographique : qui pourrait expliquer l'avant-dernière scène du film, où la farouche et innocente journaliste de ligne téléphonique digne d'un sous-produit de télésérie se retrouve en Italie pour assassiner... le père d'un prêtre pédophile qu'elle a déjà assassiné en France !... Et c'est sans compter la niaise scène finale où c'est la nature et non Dieu ou la Providence qui étend son nuage insipide devant la caméra. — « Une charge anticléricale, drôle, provocante et bouleversante » ? Disons que Martin Bilodeau nous avait habitués à un peu plus d'esprit critique...

      La consigne est claire et nette : le FFMM 2014 doit absolument prévoir un budget de publicité au journal le Devoir. C'est aussi simple que cela. Engager un programmeur vedette comme Claude Chamberlan ne donnerait rien du tout. Il faut savoir mettre son argent où cela paye. Durant les quelques jours où j'ai pu venir au FNC, il m'est arrivé souvent de me trouver devant une salle où un film ne pouvait pas être présenté parce qu'on n'avait pas le « code » pour l'ouvrir. Il m'est arrivé aussi de me voir dire à l'entrée d'une salle où un film devait être présenté avec sous-titres français, que, malheureusement, il ne serait présenté qu'en version anglaise — sans compter le tour de force de présenter le dernier Greenaway, tout ce qu'il y a de plus pudiquement britannique, sous-titré... en anglais, comme si, à Montréal, nous étions des sous-doués états-uniens ! Vous ne trouvez pas cela bizarroïde ? Depuis dix ans, Mme O. Tremblay nous rappelle chaque année combien le FFMM a je ne sais combien de problèmes de projection, de sous-titres (ah ! le manque cruel de sous-titres français) et que la casquette de Serge Losique est un peu de travers. Pourquoi cette différence de traitement ? Eh ! oh ! j'ai la solution : il suffit que le FFMM 2014 achète non pas 10.000, mais 20.000 $ de publicité dans le Devoir, dont il fera l'un de ses partenaires, tout comme le FNC, pour acheter le silence critique (sur ses « pannes » de sous-titres français) et s'offrir un porte-voix efficace (car les collaborateurs du Devoir en ce domaine sont de réputés chroniqueurs et critiques cinématographiques). Allez ! allez ! si le FNC peut graisser la patte du journal avec de 5 à 10.000 $, le FFMM doit facilement pouvoir doubler la mise.

Le FNC démultiplie son exploit publicitaire en 2014

      Décidément, l'investissement en publicité du FNC au Devoir est vraiment rentable. Pour 10 000 $, probablement, le Festival du nouveau cinéma aura droit en 2014 à pas moins de cinq textes publicitaires sous la plume, toujours, d'O. Tremblay. Avec de belles photos de Claude Chamberlan et de Nicolas Girard Deltruc. Présentation commerciale des films qui sont présentés et éloges toujours dithyrambiques. Des salles désertiques peuplées d'une soixantaine de spectateurs de soixante ans ? La journaliste ne connaît pas. Le couronnement d'un film présenté, lui, à guichets fermés pour ses deux séances avant même le début du festival pour cause de couronnement au TIFF de Toronto ? Pas de problème ! De la pastorale cinématographique en lieu et place des films ? « Le FNC n'est pas statique pour deux sous » : « d'autres festivals gagneraient à s'en inspirer » (24 sept.). Cela donne donc : « Programmation : Un 43e FNC en route vers l'avenir » (sic, 24 sept. 2014), « Les Défricheurs de territoire : le FNC érige des ponts et fait exploser les frontières pour dessiner un nouvel espace cinématographique » (4-5 oct. première page), « FNC : Une cuvée particulièrement alléchante » (8. oct.), « À surveiller au Festival du nouveau cinéma » (14 oct.) et « Dernier sprint en salles pour le 43e FNC » (17 oct.). Voilà cinq articles strictement promotionnels. Deux milles dollars l'article, ce n'est pas cher. Mais ce n'est pas tout, bien entendu. Le FNC doit en avoir pour son argent. Entrevue avec Rushan Abbas et Patricio Henriquez en première page du journal : « 43e FNC : En compagnie des Ouïghours de Guantánamo » (9 oct.); long article de promotion pour le documentaire de Jonathan Nossiter en compétition au festival : « De vins et de combats » (15 oct.). Avec un petit papier anonyme, le seul qui ne soit pas signé O. Tremblay : « Le FNC souligne le 10e anniversaire de Wapikoni mobile » (16 oct.). Et pour finir, bien entendu, le palmarès : « Deux louves d'or au FNC, dont une à Félix et Meira » (20 oct.). Et dans tout ce battage publicitaire, pas une seule critique, pas une. Que des éloges : « ... les éloges pleuvaient. Tant Monique Simard, directrice de la SODEC, que Manon Gauthier, responsable culturelle à la ville de Montréal, vantaient le caractère novateur de cet éternellement jeune rendez-vous en mouvement plus que jamais. "Belle édition, programmation exceptionnelle, initiative", résumait Monique Simard, douce musique aux oreilles de son directeur général, Nicolas Girard Deltruc, et de son directeur de la programmation, Claude Chamberlan, qui ne l'ont pas volé » (20 oct.). Bien sûr qu'ils ne l'ont pas volé : ils l'ont payé. Ils ont payé le Devoir pour que cela se sache, en tout cas.


FFMM 2014

II

Portrait d'une fonctionnaire de la SODEC
en assassine

É-p-i-g-r-a-p-h-e

Festival des films du monde

Un actif à conserver

Bernard Descôteaux,
éditorial du Devoir,
3 juillet 2014

      Le 21 août s'ouvrira la 38e édition du Festival des films du monde que depuis autant d'années Serge Losique porte à bout de bras. Il Jure ses grands dieux que l'événement aura lieu même si les organismes subventionnaires ne reviennent pas sur leur décision de lui retirer tout financement. Il est prêt à tous les sacrifices, sachant que l'annulation de cette édition à quelques semaines de son ouverture serait une catastrophe qui signerait la mort de son festival dans des conditions honteuses pour lui-même et pour la réputation de Montréal dans les cercles cinématographiques internationaux.

      Se passer du financement public, Serge Losique le fit une première fois en 2004, lorsque fut lancé un festival concurrent que Téléfilm et la SODEC souhaitaient mettre sur pied. Il hypothéqua ses propriétés personnelles pour prêter 1 million à son festival qui fit la barbe à ce concurrent qui ne survécut pas à sa première édition.

      Faire le coup une deuxième fois apparaît improbable malgré la pugnacité de l'homme. Son conseil d'administration, sagement, l'amène vers d'autres pistes, dont la principale consiste à donner des garanties aux organismes subventionnaires quant aux dettes du FFM qui seront couvertes par une hypothèque sur le cinéma Impérial et un engagement par ailleurs à « préparer l'après-Losique » où le fondateur se verrait confier un rôle honorifique.

      Le FFM a besoin de se repenser. On lui reproche d'avoir perdu l'aura de ses premières décennies où il n'avait pas à subir la concurrence des festivals de cinéma qui se sont multipliés, à Montréal comme ailleurs. Le Toronto International Film Festival lui fait ombrage surtout, mais on oublie que leurs mandats sont différents. À Montréal, ce sont les films du monde, de tous pays, moins glamour que les films américains de Toronto qui attirent les grandes vedettes. Peu à peu s'est installé un désamour du FFM qui a contribué à créer un cercle vicieux (une baisse de fréquentation entraînant une baisse de subventions et de commandites, donnant encore moins de moyens pour attirer le public) que les récentes décisions des organismes subventionnaires rendront encore plus difficile à briser.

      La SODEC et la Ville de Montréal confirmaient mercredi leur volonté de ne pas remettre en question leur décision. Elles attendront un plan de redressement pour 2015 avant de donner à un nouveau FFM les fonds dont il a besoin. Malheureusement, il sera probablement trop tard. On aura perdu un événement qui distingue Montréal sur la planète culturelle qui, toutes choses étant égales par ailleurs, vaut bien un Grand Prix de Formule 1 pour lequel on ne compte pas les millions.

Conclusion

      Monique Simard doit démissionner de son poste de présidente de la Société de développement des entreprises culturelles du Québec (SODEC). Sans sa démission, la ministre de la Culture du gouvernement du Québec, Hélène David, doit la congédier, faute de quoi le premier ministre du Québec, Philippe Couillard, doit démettre sa ministre de ses fonctions, congédier la présidente de la SODEC et demander des comptes au conseil d'administration de l'organisme. Aucun fonctionnaire de l'État ne peut impunément tenter d'assassiner le Festival des films du monde de Montréal (FFMM) lorsqu'il en est à deux mois de sa trente-huitième édition.

Chronologie

12 décembre 2013 - La SODEC avance 100 000 $ sur la subvention à venir du FFMM 2014. Le reste de la subvention, évaluée alors à 225 000 $, sera versé entre le 15 et le 30 juillet, comme chaque année, soit 125 000 $.

      Si la SODEC avait envisagé de retirer son appui au festival, c'est évidemment alors qu'elle en aurait avisé les dirigeants du FFMM et, dans ce cas, elle n'aurait jamais versé cette avance. Car c'est bien entendu à ce moment que le festival devait commencer à préparer son édition 2014 et entreprendre sa programmation.

      Et il y a plus. On apprendra dans deux ans (cf. le DDR) les détails de cette avance, car le FFMM renégocie par la même occasion les règles de remboursement du prétendu prêt d'un million consenti par la SODEC le 16 juillet 2010 : pour aider le FFMM qui a été victime du comportement de la SODEC, ce que son ancien président a reconnu, la société accepte, en attendant des jours meilleurs pour le festival, de réduire de moitié le remboursement annuel de 100 000 $, qui est pris sur la subvention annuelle, comme cela a été convenu en 2010 — ce qui augmente d'autant la subvention à partir de cette année 2012-2013. Sur la subvention de 100 000 $, 31 146 $ est retenu par la SODEC le 12 décembre 2013 (soit les remboursements de 25 545 $ en capital et de 5 601 $ en intérêts). Certes, le FFMM n'a pu obtenir ces dernières années que le prêt soit converti en subvention pour compenser l'absence des subventions de 2004 et 2005, mais il obtient tout de même en décembre 2013 un très important allégement de la cadence de ses remboursements, et cela rétroactivement au 30 novembre 2012. Surtout dans la perspective d'une augmentation maintenant méritée de la subvention annuelle de la SODEC, dont le montant est diminué de moitié en regard de ce qu'il était avant la tentative de putsch de 2004. Bref, en ce mois de décembre 2012, ce n'est pas seulement la réalisation de l'automne prochain qui augure bien, mais l'avenir du festival de Serge Losique qui l'a bien mérité, puisque le FFMM est dorénavant là pour rester, que cela plaise ou non. — Mais, comme on va le voir, cela ne plaira pas...

      Et, par la même occasion, on comprend la véritable nature de ce prétendu prêt d'un million de juillet 2010 : il s'agissait en fait d'une avance globale sur les subventions à venir de la SODEC, jusqu'à son remboursement. C'est-à-dire que chaque année une somme de cent milles, puis cinquante milles à partir de cette année 2013-2014, sera retenue sur la subvention. Bref, la SODEC se remboursera elle-même, capital et intérêts ! Cette fiction comptable était une manière de compenser minimalement, et sans le reconnaître publiquement, le FFMM pour les subventions qu'on lui a enlevées en 2004 et 2005 pour les donner à fonds perdu au FIFM.

6 janvier 2014. Monique Simard prend la tête de la SODEC (la Société de développement des entreprises culturelles du Québec) : elle est nommée, sur recommandation du conseil d'administration, par le gouvernement du Parti québécois, dirigé par Pauline Marois, dont le ministre de la culture est Maka Kotto.

5 mars -. Des élections sont déclenchées; le scrutin a lieu le 7 avril. Le Parti Libéral de Philippe Couillard remporte les élections. C'est seulement le 23 avril qu'Hélène David sera nommée ministre de la Culture.

Mars-avril. Durant ce temps, plusieurs rencontres de concertation ont lieu entre la SODEC, Téléfilm Canada et la ville de Montréal au sujet des subventions que les trois paliers de gouvernements accordent au FFMM. Ces rencontres sont vraisemblablement dominées, ce printemps, par Monique Simard, toute nouvelle présidente de la SODEC. C'est le seul scénario probable, car on voit mal Téléfilm Canada ou la ville de Montréal donner à ces rencontres l'allure d'un complot destiné à saboter le FFMM. C'est pourtant ce qui s'avérera, lorsque la SODEC de Monique Simard forcera manifestement la main aux deux autres « bailleurs de fonds », en manipulant les journalistes (les 5 et 10 juin et les 2 et 10 juillet, à deux, puis un mois de l'ouverture du FFMM 2014).

      On ne connaît ni les dates, ni surtout le nombre de ces rencontres, de sorte qu'il est impossible de les comparer avec celle(s) des années précédentes, vraisemblablement une seule par année.

22 avril. La réunion organisée par la SODEC est annulée à la demande de Serge Losique parce que c'est le lendemain que le nouveau ministre de la culture sera nommé. Il a compris deux choses simples qui n'en font qu'une, d'abord que la SODEC de Monique Simard a attendu pas moins de quatre mois avant d'organiser abruptement cette réunion et, ensuite, justement (!), que l'objectif des fonctionnaires de la SODEC est de prendre de court un ministre, quel qu'il soit, qui ne pourra pas facilement avoir une connaissance personnelle du dossier à quelques mois du festival maintenant en péril. C'est en effet le 23 avril qu'Hélène David est nommée à ce poste, comme on l'a vu plus haut. Elle ne sera jamais capable de faire autre chose que de déclarer à la presse qu'elle fait « entièrement confiance au travail de (ses) fonctionnaires »... (la Presse, 16 juillet). On comprendra vite que tel n'aurait jamais dû être le cas.

5 mai. C'est dans les bureaux de la SODEC que Monique Simard, avec le directeur de Culture et Patrimoine de la ville de Montréal (Jean-Robert Choquet), rencontre les représentants du FFMM (Serge Losique, Danièle Cauchard et Michel Nadeau). La présence des représentants de Téléfim Canada a été écartée à la demande des dirigeants du FFMM, puisque la réunion devait porter sur la subvention de la SODEC, et subsidiairement celle de Montréal, le gouvernement fédéral n'ayant rien à voir, logiquement, sur cette question, le FFMM étant vraisemblablement en discussion avec Téléfilm Canada. En principe, le but de la rencontre était de faire savoir aux administrateurs du FFMM les conclusions critiques que la SODEC, Téléfilm Canada et la ville de Montréal avaient tirées de leurs « concertations » des derniers mois. L'objectif n'était pas, à trois mois de l'ouverture du festival de réorganiser la planification de l'événement. Le témoignage de Danièle Cauchard (dans sa diatribe du 15 juillet) est crédible : c'est Monique Simard qui domine la réunion de ses critiques virulentes systématiquement négatives.

      Deux ans plus tard, on lira sur papier la preuve formelle que le témoignage de D. Cauchard reposait sur des faits incontestables que l'on trouve aujourd'hui consignés dans la lettre du 9 mai 2014 adressée par Serge Losique et Danièle Cauchard à Monique Simard, avec copie conforme à la ministre Hélène David (DDR, pièce D-9). La lettre synthétise les critiques négatives de Monique Simard à l'endroit du FFMM, rétablit les faits et répond à ces critiques. On lira plus loin ces critiques, puisqu'elles vont se retrouver dans la presse. Sur trois des quatre points en cause, on lira aussi les réponses du FFMM, soit la situation financière de l'organisme, la statistique des entrées en salle au cours du festival et la « question » vraiment bizarre qui conteste à Serge Losique le droit d'être à la fois, au cours de ces toutes dernières années, président du Conseil d'administration et Directeur général du FFMM.

      En revanche, l'une des objections à laquelle répond la direction du FFMM est extrêmement intéressante et tout à fait inédite. En effet, jamais les dirigeants du FFMM n'ont fait la moindre critique à l'égard du TIFF, le Toronto International Film Festival, ils n'ont même jamais comparé leur festival à celui de Toronto. D'abord parce que cela serait indélicat, bien entendu, mais également parce que la controverse publique n'est pas dans le tempérament de Serge Losique. Or, cette comparaison que des journalistes malveillants n'ont cessé de faire à l'avantage du TIFF, Serge Losique et Danièle Cauchard ont été forcés de la faire, puisque Monique Simard l'a reprise mécaniquement à son compte lors de la fameuse réunion du 5 mai. Dans leur lettre, ils l'ont fait sans animosité aucune pour expliquer à la présidente de la SODEC elle-même comment son organisme devait analyser la situation en question de manière pertinente et compétente, au lieu de reprendre les balivernes de journalistes en mal de tapis rouge. Certes, on le verra plus loin, l'analyse du non-lieu de la comparaison que j'ai proposée est assez proche de celle qu'on lira ici. Mais le fait de la voir exposée si clairement et simplement par Serge Losique et Danièle Cauchard à nulle autre que Monique Simard est vraiment aussi piquant qu'instructif.

      Vous [Monique Simard] nous avez cité le Festival de Toronto comme l'exemple à suivre. Croyez-vous vraiment qu'à Montréal, dans notre contexte culturel, nous pourrions présenter une section principale majoritairement composée de films américains ou contrôlés par des maisons américaines ? Ce serait vivement contesté car la raison principale de la nécessité de subventionner les cinémas nationaux est liée à l'omniprésence du cinéma américain dans la plupart des pays du globe. Est-il nécessaire de subventionner un festival pour leur faire davantage de publicité ?

      [...]

      Le FFM, en tant que festival international, a choisi la voie des cinémas nationaux du monde qui est la seule acceptable dans notre contexte socio-culturel.

—— Serge Losique et Danièle Cauchard, Lettre à Monique Simard, 9 mai 2014, DDR.

 

      Les auteurs de la lettre répondent aussi à la critique qui veut que les films québécois sortent souvent au TIFF et non au FFMM : tout simplement parce que le public québécois est conquis d'avance pour ces réalisateurs — et les auteurs de ne pas ajouter ce qu'on comprendra facilement : et que leurs films sortent à Toronto, c'est faute de mieux, parce qu'ils n'ont pas été capables de se faire présenter à Cannes, Venise ou Berlin ! c'est évident. En tout cas, le FFMM n'a rien à voir dans ces choix, tandis que la caractérisation de sa programmation, telle qu'on vient de la lire, les concerne directement et ne concerne qu'eux.

      Les dirigeants et administrateurs du FFMM pouvaient penser à ce moment que la SODEC de Monique Simard voulait profiter de l'occasion pour réaliser ce qui n'avait pas encore été fait depuis des années, à savoir les forcer à mettre en place un plan de restructuration financière (étant donné les créances de 450 000 $ et les deux prêts d'un million chacun, l'un de S. Losique et l'autre, un prétendu prêt de la SODEC). De même pour la relance d'un festival que les organismes publics et le « milieu » voudraient plus pétillant. Mais ce n'est pas le 5 mai 2014 qu'on peut lancer un ultimatum à la gérance d'une institution comme le FFMM qui doit réaliser son événement annuel dans quatre mois. Par contre, c'était le bon moment d'expliquer à quelles conditions la subvention serait reconduite pour le prochain festival, le FFMM 2015. Le mandat de la SODEC est clair à ce sujet : la société a pour objectif de favoriser les festivals généralistes et doit concentrer ses ressources à la consolidation des festivals déjà soutenus (sodec.gouv.qc.ca/). La société a non seulement le devoir de soutenir le FFMM, mais l'obligation d'en protéger les acquis. Ensuite seulement elle doit veiller à la bonne tenue de l'organisation et de sa réalisation, mais ce n'est manifestement pas son rôle de s'ingérer dans les lignes directrices de l'événement, dans ses choix éditoriaux et encore moins dans sa programmation.

      Or, ces demandes et ces pressions vont porter fruits.

27 et 28 mai ! La SODEC de Monique Simard sert au FFMM une sorte de mise en demeure surréaliste le 27 mai : le FFMM doit lui présenter avant deux jours, le vendredi matin (sic) 30 mai, un état de ses engagements financiers pour 2013 et, par la même occasion, un état du déficit accumulé (DDR). Or, aussi extraordinaire que cela puisse paraître, la SODEC a reçu le lendemain par courrier un état des créances du FFMM, tandis qu'elle recevra le mois suivant, fin juin, le plan de relance du Comité du conseil d'administration dirigé par Michel Nadeau, comme on le verra ci-dessous. C'était beaucoup dans les circonstances pressantes où le FFMM 2014 s'ouvrira le 21 août. Mais la SODEC de Monique Simard a déjà décidé que les réponses aux questions, les documents demandés et les projets élaborés dans l'urgence ne seraient pas satisfaisants; à l'inverse, on peut se demander si la SODEC pouvait elle-même trouver le temps de les étudier, étant donné les délais qu'elle imposait. Dès lors, il est difficile de croire que l'objectif n'était pas en fait de justifier le refus de la subvention, puisque tel sera le cas, alors même que le refus en question ne pouvait se justifier par de tels ultimatums de dernière heure, bien entendu. Au contraire, la SODEC aurait dû se féliciter de voir le FFMM faire tout son possible pour répondre à ses demandes.

29 mai, 16h47. Monique Simard a convoqué à son bureau Catherine Loumède, directrice générale du volet Cinéma et Production télévisuelle de sa SODEC, une parfaite inconnue jusqu'ici dans notre histoire. Car, la directrice est à bout de nerf et doit prendre les décisions qui devront s'imposer. La pauvre Catherine lui remet en tremblant un peu la programmation définitive, soit les épreuves du programme du FFMM 2014, qui n'est même pas encore sous presse, faute de fonds. Elle les feuillette nerveusement et constate vite : mais où donc est programmé le dernier film de François Yo Gourd cette année ? — Excusez-moi, patronne, mais je pense que, cette année, il se trouvera au FNC. — Connasse ! (je n'ose pas écrire la très longue apostrophe manifestement sortie d'un scénario de Xavier Dolan que je résume d'un mot). Va me chercher ce ')![+%%*&?@ (style XXX. D.) de programme. — Merci, c'est pas trop tôt, connasse (bis, même remarque que plus haut).

      Monique Simard trouve écrit deux fois plutôt qu'une, à l'index du FNC 2014, p. 349 tout en haut à gauche, le titre du film du fabuleux bouffon qui consacre, au FNC, l'érection de Luigi Serafini au titre de Grand Rectum de l'Université de foulosophie. Les « gens du milieu » ont donc parfaitement raison. Le FNC fait preuve de jeunesse et de renouvellement, tandis que le FFMM est plus qu'en déclin. Il agonise. La preuve en est là, noir sur blanc. Monique Simard vient de prendre sa décision.

30 mai. Monique Simard signe la lettre de refus de la SODEC qui retire sa subvention au FFMM 2014.

      Copie conforme de la lettre de refus est adressée à Carolle Brabant, directrice générale de Téléfilm Canada, et à Jean-Robert Choquet, directeur de la Culture et du Patrimoine de la ville de Montréal (DDR). — Je me permets ici une toute simple question : supposons, par malheur, que le Fonds des recherches du Gouvernement du Québec me refuse une subvention pour mon projet sur le Récit de rêve. Bon, cela peut bien arriver. Est-ce qu'il en informerait par copie conforme le Conseil des recherches du Canada ? Je pose simplement la question. Et si je pose la question, ce n'est pas seulement parce que je connais bien la réponse, mais parce que je sais aussi qu'il n'en informerait certainement pas les journalistes !

5 juin. Comme le 30 mai était un vendredi, la lettre de la SODEC peut difficilement avoir été reçue avant le mardi, 3 juin. C'est pourtant deux jours plus tard, le 5 juin, qu'O. Tremblay, journaliste du Devoir, dévoile que la SODEC vient de refuser sa subvention annuelle au FFMM et annonce que Téléfilm Canada et Culture et patrimoine de Montréal feraient de même : les trois organismes gouvernementaux allaient « retirer leurs billes » du festival cette année, comme elle l'écrit dans son style toujours savoureux (étant donné qu'il s'agit d'une tentative de sabotage, ce qui est pourtant évident). La journaliste ne dit pas comment elle a appris que la SODEC venait d'adresser une lettre de refus au FFMM, mais la directrice Danièle Cauchard le lui a confirmé, avec ses protestations indignées — l'information ne peut donc venir du FFMM. En effet, ce qui est journalistiquement stupéfiant dans cette primeur, c'est que le Devoir tienne ces renseignements de « sources sûres », alors que Téléfilm Canada et la ville de Montréal se sont refusés à tout commentaire — parce que les discussions sont toujours en cours à la ville de Montréal, tandis que Téléfilm Canada n'a pas encore reçu d'accusé de réception de la décision communiquée aux dirigeants du festival, qui n'ont d'ailleurs encore rien reçu de l'organisme fédéral — alors même que, toutefois, « quant à la SODEC, elle se refuse à tout commentaire ».

      On trouve pourtant dans cet article, « le Festival des films du monde menacé : les trois principaux bailleurs de fonds retireraient leurs billes pour cette année » (p. B10), toutes les données et tous les arguments qui seront plus tard exposés sur la place publique par la SODEC de Monique Simard. Il est d'ailleurs très facile d'identifier qui se cache derrière ces « sources sûres », car la source en question (singulier) signe de deux mots son intervention personnelle auprès de la journaliste du Devoir : faillite technique. « Le FFM serait, selon nos sources, en faillite technique ». C'est donc la mort, l'assassinat du FFMM. O. Tremblay a été convaincue par sa source que le festival n'aura pas lieu cet automne 2014, conviction qu'elle mettra beaucoup de temps à reporter sur la tenue de l'événement en 2015, voire finalement en 2016. Ces « informations » du Devoir vont être reprises aussitôt dans tous médias, comme ce sera le cas de l'inqualifiable torchon de Marc Cassivi intitulé « Il était temps » dans la Presse (7 juin). Rarement aura-t-on vu un journaliste se donner toute licence pour insulter un de nos concitoyens sans rien d'autre à se mettre sous la dent que les « révélations » du Devoir (encore heureux qu'il ait compris qu'il s'agissait en fait des révélations de la SODEC de Monique Simard (on y reviendra).

      Stratégie. La journaliste du Devoir ne se doute pas qu'elle est manipulée par « sa source ». La SODEC de Monique Simard ne détient en fait qu'une somme de 125 000 $ qui lui reste à verser au FFMM. Ce n'est pas assez pour provoquer la faillite de l'organisme et empêcher la tenue du festival à l'automne. Manifestement, la SODEC veut jouer le jeu du petit domino qui fera tomber tous les autres; il faut forcer la main à Téléfilm Canada et à la ville de Montréal, pour faire tomber ensuite les autres subventions des organismes publics et les commandites privées. Pour quelles autres raisons la « source » tiendrait-elle à faire savoir urbi et orbi qu'elle vient de refuser sa subvention et que Téléfilm et la ville de Montréal feraient probablement de même ? Les conclusions du syllogisme sont implacables : refuser la subvention n'était pas suffisant; il fallait, dès lors, sortir la « nouvelle », d'abord pour qu'elle s'étale dans tous les journaux (notamment pour couper court aux discussions que les responsables du FFMM pourraient avoir ou vouloir avoir encore avec Téléfilm et la ville), de sorte que la présidente Monique Simard elle-même puisse ensuite répondre aux questions pressantes des journalistes à ce sujet; enfin, il fallait une journaliste qui ne verrait que du feu dans tout cela — et même une journaliste qui serait toute heureuse d'apprendre la « bonne nouvelle » !

      Par ailleurs, la guérilla médiatique commence avec la conclusion de l'article d'O. Tremblay : « En gros, les dirigeants du FFM se feraient reprocher de fournir des chiffres plus ou moins aléatoires, de ne pas renouveler le contenu de leur manifestation et de gérer de façon irresponsable des fonds publics avec un événement en déclin » (le Devoir, 5 juin, p. B10d). Ces justifications, qui sont d'elles-mêmes des accusations, seront inlassablement répétées tout l'été par journalistes interposés, comme c'est le cas pour la première fois ici. On les étudiera donc une à une pour finir.

10 juin. Le journaliste André Duchesne de la Presse adresse à la SODEC une demande de documents en vertu de la Loi d'accès à l'information. Sa première et principale demande se formule comme suit : il veut obtenir « copie de l'analyse finale de la demande de subvention faite par le Festival canadien des films du Monde (mieux connu sous le nom de FFM) en regard de sa 38e édition qui doit avoir lieu du 21 août au 1er septembre 2104 ». Il demande aussi copie de la correspondance avec le FFMM depuis janvier 2013. Dans un second courriel, le 17 juin, il demande d'avoir accès aussi aux rapports du comité d'évaluation du FFMM pour les cinq dernières années.

      Le journaliste n'a pas voulu répondre à mes questions à ce sujet, mais tout porte à croire que l'idée même de cette demande d'accès à des documents confidentiels ne vienne pas de lui, de même que la désignation des documents en question comme des « analyses finales de demandes de subvention », car cela ne s'invente pas; et pour finir on remarque la formule quasi juridique pour désigner le FFMM, soit « le Festival canadien des films du Monde (mieux connu sous le nom de FFM » — et c'est bel et bien ainsi que l'organisme est désigné en tête des documents. Tout cela vient donc d'un texte écrit, un courrier électronique en provenance de la SODEC de Monique Simard, s'agissant d'une idée et d'une formulation de fonctionnaires et non de journalistes. À la suite de sa lecture de la primeur du Devoir du 5 juin, le vendredi 6 juin, André Duchesne a vraisemblablement sollicité une entrevue avec Monique Simard; le lundi ou le mardi suivant, la SODEC de Monique Simard lui a plutôt suggéré de procéder à la demande de documents dont on sait très bien ce qu'il en tirera, c'est-à-dire ce que l'on veut lui faire dire. Cela s'appelle manipuler son journaliste.

      Je signale que j'ai obtenu en moins de 24 heures, en vertu de la Loi d'accès à l'information, les deux courriers électroniques dans lesquels André Duchesne demandait l'accès à ces documents. Tant de célérité à transmettre un document personnel concernant un tiers sans obtenir d'abord son autorisation pourrait illustrer combien la SODEC de Monique Simard était bien aise de faire la preuve que les Recommandations de son comité d'évaluation avaient bel et bien été obtenues en vertu de la loi (et qu'elles n'avaient pas été tout bonnement transmises au journaliste, comme je l'avais d'abord pensé, ce qui m'avait conduit à demander copie de la demande d'accès du journaliste, croyant ainsi piéger la SODEC — je n'avais donc qu'à moitié raison).

20 juin. Manon Gauthier, responsable de la culture à la ville de Montréal, non seulement confirme que la subvention de la ville a été retirée au FFMM, mais elle entreprend en plus d'expliquer et de justifier publiquement ce refus. On reviendra sur son entrevue à O. Tremblay au Devoir qui étale manifestement des faits et des arguments, c'est-à-dire des accusations, qui lui viennent de la SODEC de Monique Simard.

26 juin. Air Canada, commanditaire de longue date du FFMM, annonce qu'il n'en sera plus à partir de l'édition 2014, comme il s'est retiré du festival de Toronto depuis l'année dernière (la Presse). Le retrait de la commandite est très élégant, lorsqu'on sait que la compagnie reste un important partenaire du FNC.

2 juillet. En entrevue exclusive au journaliste André Duchesne de la Presse, Michel Nadeau présente le plan de relance du FFMM qu'il a transmis dans les jours précédents à la SODEC, à Téléfilm Canada et à la ville de Montréal. La nouvelle spectaculaire fait la une en première page du journal : « Opération relance au FFM », et occupe toute la première page du cahier Arts et spectacles : « FFM : fin de l'ère Losique-Cauchard ». Les grandes lignes du plan de relance du conseil d'administration sont en effet des plus spectaculaires. On savait déjà que Danièle Cauchard quittait son poste de directrice générale, on apprend maintenant que Serge Losique accepterait un poste de président honoraire pour assurer la transition. Les hypothèses déjà connues pour réorganiser les créances et les prêts du festival se concrétisent avec l'hypothèque d'une partie du cinéma Impérial pour rembourses l'emprunt à la SODEC, tandis qu'on apprend les détails de l'imposant prêt de Serge Losique dont le festival ne paie que les intérêts (le remboursement ne commencera qu'au départ de Serge Losique et sur une période de dix ans). L'objectif du plan de relance et, bien entendu, de sa présentation à la presse, est d'obtenir que les organismes gouvernementaux et para-gouvernementaux, de même que les commanditaires, renouvellent leurs subventions pour l'événement qui vient, notamment celles de Téléfilm Canada, de la SODEC et de la ville de Montréal qui représentent le quart de son budget.

      Voilà pour les bonnes nouvelles. Mais, surprise ! Le journaliste André Duchesne présente ensuite, en page 5 du cahier Arts et spectacles, le cahier qui expose en première page ce plan de relance, plusieurs « documents d'analyse des demandes de subvention du FFM », sous le titre « Subvention du FFM : les analystes irrités ». J'ai demandé et obtenu deux de ces documents, ceux cités dans l'article. Il s'agit des formulaires de Recommandation pour le FFMM 2013 et 2014 (ce sont les titres des documents) par le Comité d'évaluation de la SODEC; les formulaires en question sont désignés par le sous-titre : « Volet 4 - Aide aux festivals de film » et datés respectivement du 8 février 2013 et du 7 février 2014. La divulgation de ces documents, que la SODEC pouvait difficilement me refuser après les avoir transmis au journaliste de la Presse, soulève deux questions en une, la demande des documents d'un côté et leur transmission de l'autre.

(1) La première découle des tout premiers mots de l'article : « Quelques jours avant notre rencontre avec Michel Nadeau, la Presse avait obtenu plusieurs documents d'analyse des demandes de subventions du FFM en vertu de la Loi d'accès à l'information ». La phrase descriptive anodine surprend, s'agissant d'un formidable coup de filet médiatique, car il n'est pas à la portée du premier journaliste venu d'avoir une idée aussi importante et originale dans les circonstances; on s'attendrait donc à ce qu'il mette en scène sa trouvaille et en tire tout le profit qui leur revient, à lui et à son journal, d'une perspicacité peu commune. Si la Presse a « obtenu » les documents, c'est donc qu'elle les a « demandés », un coup de génie qui correspond nécessairement à au moins une fabuleuse petite histoire. Évidemment, la vérité, plus prosaïque (et dont il est bien difficile de tirer profit) serait plutôt, si l'analyse de la demande d'accès menée plus haut est juste, que la SODEC de Monique Simard avait suggéré au journaliste de demander ces documents en vertu de la Loi sur l'accès à l'information, comme il l'a fait le 10 juin.

(2) Il s'agit de notes d'évaluations par un fonctionnaire anonyme de la SODEC soumises au Comité d'évaluation ou produites par lui. On étudiera leur contenu plus bas. Pour l'instant, en date du 2 juillet, la question se pose de savoir comment et pourquoi ces notes peuvent se retrouver dans la presse. Ne tombe-t-il pas sous le sens que ces notes et rapports sont strictement confidentiels ? N'est-il pas évident que personne ne peut en obtenir copie, hormis le demandeur de la subvention, soit dans notre cas le FFMM ? Celui qui demande communication des documents peut très bien ne pas en connaître la nature exacte, mais évidemment pas celui qui les transmet, d'autant que les services juridiques de la SODEC auraient dû, normalement, être extrêmement surpris d'une telle demande et par son expression et par son objet. Et bien entendu, étant donné l'objet en question, des « Recommandations » sur des demandes de subventions spécifiques, le refus de les transmettre devait être instinctif. Dès lors, n'est-il pas extrêmement troublant qu'ils aient été tout de même communiqués ?

      Bref, ces documents ne pouvaient être ni demandés, ni communiqués en vertu de l'article 9 de la Loi sur l'accès aux documents des organismes publics, tandis que la SODEC devait au contraire en refuser l'accès en vertu de l'article 37 de la loi qui permet justement d'interdire l'accès aux recommandations soit d'un membre du personnel, soit d'un consultant, avant dix ans. Tout cela est d'ailleurs confirmé dès le 4 juillet par la journaliste Marie-Michèle Sioui, toujours dans la Presse, qui a reçu dès le lendemain de leur publication les protestations indignées de Danièle Cauchard devant ce dénie de confidentialité. Et la journaliste confirme, après consultation de l'avocat Mark Bantey, que la transmission de ces documents serait illégale en vertu de la Loi sur l'accès à l'information, dont le nom exact est « Loi d'accès aux documents des organismes public et de la protection des renseignements personnels ».

      Il ne peut faire aucun doute que la divulgation de jugements de valeur systématiquement négatifs qui jalonnent ces deux documents était destinée à discréditer d'avance le plan de relance du FFMM et que le journaliste André Duchesne, avec son journal, certainement de bonne foi, a servi d'instrument puissant à ce dénigrement, surtout en les publiant dans le numéro du journal qui exposait le plan de relance de Michel Nadeau. La SODEC de Monique Simard ne pouvait pas espérer mieux ! D'autant qu'André Duchesne conclut le compte rendu de sa rencontre avec Michel Nadeau par la phrase suivante : « la Presse a tenté lundi de joindre Monique Simard pour obtenir sa réaction. Celle-ci a promis de nous parler ultérieurement ». Ce sera l'éreintement qui suit.

10 juillet. À cinq semaines de l'ouverture du festival, Monique Simard va donc redoubler le matraquage de Manon Gauthier (le 20 juin), notamment dans une entrevue qu'elle accorde à Luc Boulanger du quotidien la Presse. Le titre de l'article est « Refus de financer le FFM : la SODEC s'explique ». En réalité, ces explications ne sont que ce qu'elles peuvent être dans les circonstances, des accusations. L'entrevue, ou sa publication, correspond — c'est ce qu'on a étudié dans la première partie de cet essai — au petit papier d'O. Tremblay dans le Devoir de l'année précédente (le 20 août 2013), qui s'était valu la cinglante réplique de Danièle Cauchard. Celle que se méritera Monique Simard sera incomparablement plus virulente. Elle suit.

15 juillet. Danièle Cauchard, « J'accuse ! Lettre ouverte aux institutions à l'écoute de Monique Simard ». Le texte d'opinion paraît dans la Presse. La directrice générale du FFMM ne s'en prend pas à proprement parler aux institutions gouvernementales et autres qui retirent leur appui à l'édition 2014 du festival, ni même à la SODEC, mais précisément et nommément à Monique Simard qu'elle accuse, outre d'incompétence, d'avoir tout fait et de continuer à tout faire pour saboter le festival. Les accusations qu'elle porte sont nombreuses et de nature très diverses, souvent très précises (de sorte que l'on pourra les examiner et les valider ici), mais parfois de l'ordre de la rumeur et une fois sous la forme de l'allusion qui pourrait être malveillante — sans être diffamatoire toutefois, puisque justement il s'agirait d'une allusion qui ne tient qu'à un pluriel : alors que Monique Simard a prétendu que le FFMM est déjà en « faillite technique » (les deux mots qui signent ses interventions secrètes), ce qui va se révéler totalement faux, Danièle Cauchard ne rate pas l'occasion de lui rappeler qu'elle a été directement liée à la mise sur pied du FIFM, le Festival international de films de Montréal, qui concrétisait le putsch raté visant à tuer le FFMM en le remplaçant artificiellement par un autre. Non seulement Monique Simard a participé au groupe de réflexion qui a donné naissance à ce festival « concurrent », mais elle a même fait parti de l'un de ses trois conseils, le Conseil des gouverneurs. Elle est donc, avec plusieurs autres, l'une des responsables de la faillite de ce festival qui n'a eu qu'une réalisation, du 18 au 25 septembre 2005, et qui n'a pas été, lui, en supposée « faillite technique », mais qui a réellement fait faillite, laissant des dettes impayées de 1,1 million de dollars (selon la Presse du 27 avril 2006), après avoir profité du total des deux subventions qu'on allait retirer au FFMM durant deux ans (525 000 $).

      Mais là-dessus, dans sa mercuriale, Danièle Cauchard écrit : « Monique Simard, qui a été impliquée directement ou indirectement dans des faillites, est bien mal placée pour donner des leçons de gestion et de gouvernance à qui que ce soit ». Comme moi, plusieurs lecteurs je suppose n'auront pas compris ou auront pris pour une expression vague et imprécise ce pluriel des faillites et le fait d'y avoir été impliqué doublement, soit directement, soit indirectement. J'ai pensé qu'il s'agissait d'une manière un peu abrupte de désigner les deux « faillites » du FIFM, son déroulement d'abord (un fiasco qu'on peut bien désigner comme une faillite) et sa faillite ensuite, où, dans les deux cas, on peut considérer que Monique Simard y a été impliquée « directement ou indirectement ». Or, le lendemain (dans la Presse), réagissant à la mercuriale, Monique Simard ne voit dans cette phrase qu'une désignation directe et explicite (ce qui n'est évidemment pas le cas) de la faillite des Productions Virage en 2010, une faillite de son mari Marcel Simard, où elle dit ne pas avoir été impliquée, ni directement, ni indirectement. Cette faillite a laissé 1,8 million de dettes. Monique Simard a codirigé durant dix ans (1998-2008), avec son époux la compagnie qu'il avait fondée en 1985, avant d'être engagée à l'ONF, deux ans avant la faillite qui a mis fin à la carrière du cinéaste, réalisateur et producteur engagé qu'a été Marcel Simard. Si l'allusion à cette faillite par Danièle Cauchard était avérée, on serait en droit de penser qu'elle était malveillante, si du moins Monique Simard n'y était nullement impliquée; mais lorsqu'on déclare de manière également malveillante que le FFMM est en « faillite technique » précisément pour justifier la SODEC de ne pas honorer une subvention dont on a déjà versé une avance de 50%, sous le prétexte fallacieux de « mauvaise gestion », il faut bien admettre que cela s'appelle courir après les coups.

      Aussitôt, le même jour, Henry Welsh, directeur des communications du FFMM depuis 1998, remet sa démission pour protester contre la publication de la lettre de Danièle Cauchard... dont il n'a pas été avisé ! Lorsque tu es assassiné par une fonctionnaire sur la place publique, il te faut un avis du « directeur des communications » du festival qu'on tue avant de crier ? Sauf erreur, Henry Welsh n'a jamais rien fait d'autre que de répondre à quelques questions de journalistes; je ne sache pas qu'il ait jamais géré les communications de la direction du festival avec la presse. Toujours le jour même, une bonne quarantaine de gens du milieu qui ne veulent pas s'« immicer dans les relations professionnelles entre le FFM et les différents organismes culturels subventionnaires » (sic), c'est-à-dire la SODEC de Monique Simard qui assassine le festival sur la place publique, tiennent à « souligner par la présente l'excellent travail de gestion de Monique Simard à la tête de la SODEC » (TVAnouvelles, 15 juillet 2014). Est-ce qu'Henry Welsh (avec sa compagnie Ixion communications et ses nombreux événements culturels), comme tous ces thuriféraires, ne seraient pas dépendants des subventions de la SODEC ? — Il est tout de même curieux de voir tout ce beau monde glorifier les compétences administratives d'une fonctionnaire (oui, une fonctionnaire) à la direction de la SODEC depuis moins de six mois.

24 juillet. Le quotidien la Presse annonce qu'il vient d'apprendre que Tourisme Montréal et Loto-Québec (qui finançait les projections extérieures du festival) ont retiré leur soutien financier au FFMM 2014. Le même jour, le journal annoncera aussi le retrait de Tourisme Québec : le ministère du Tourisme rompt ainsi une entente triennale. Dans les trois cas, le retrait des subventions est justifié par la « polémique » (souvent désignée comme « les récents événements »).

21 août. Soirée d'ouverture du FFMM 2014.

Étude critique de l'histoire

      La chronologie qu'on vient de lire constitue l'histoire hallucinante d'un complot et d'une tentative de sabotage qui n'ont pas porté tous leurs fruits, qui du moins n'ont pas réussi à mettre l'organisme en faillite, comme c'était l'objectif au départ, ni à empêcher la tenue de son édition 2014. Spécialiste des études narratives, je peux tenter de faire l'étude critique de cette histoire. Sa narration, comme on le voit à chacune de ses dates, énumère des faits qui devraient être des événements et tel est bien le cas à première vue, d'autant qu'on y trouve quelques très importants événements historiques (ceux que l'histoire ne manquera pas de retenir). Complot et mise en place de la tentative de sabotage, rumeurs et menaces de retrait des subventions et commandites, négociation toujours en cours à Montréal et à Ottawa jusqu'à la toute fin, mais invraisemblable ultimatum de Québec à quelques mois de la tenue de l'événement, demandes de subvention renouvelées et renégociées, plan de relance exigé, élaboré et proposé, proposition de conciliation, conciliation refusée, ultime demande d'un sursis, d'une « paix des braves » pour cet automne 2014, et, finalement, retrait définitif et catégoriques des subventions gouvernementales, une à une, celles de la SODEC, de Téléfim canada et de la ville de Montréal d'un côté, puis des commandites; finalement ? non, car finalement, l'organisme n'a pas fait faillite et l'« événement », comme annoncé imperturbablement par son président depuis le printemps, le FFMM 2014, s'ouvre joyeusement le 21 août, envers et contre tous. Il s'agit d'un événement historique majeur dans les circonstance. Que la fête populaire du cinéma commence et ce sera un incontestable succès. Une belle histoire d'aventure — qui ne manquera pas de se poursuivre tout au long de l'année 2014-2015 qui vient.

    Mais en réalité, en réalité narrative, il s'agit plutôt d'une sordide tentative de sabotage dont les événements ne sont pas du tout historiques, mais bien journalistiques. En structure actantielle, le personnage principal de l'histoire est la Société de développement des entreprises culturelles du Québec, la SODEC de Monique Simard. Il s'agit de l'actant principal qui organise toute la trame de fond : l'objectif est clair et net, tuer le festival. En effet, à y regarder de près, on voit bien que l'histoire représentée par cette chronologie est toute entière médiatique : il s'agit d'informations données à des journalistes dans le but de justifier le sabotage. Les « révélations » de la journaliste O. Tremblay dans le Devoir (5 juin), l'entrevue assassine de Manon Gauthier, toujours dans le Devoir (20 juin), le coulage sous prétexte de Loi d'accès à l'information des documents confidentiels d'évaluation de la SODEC de Monique Simard dans la Presse du 2 juillet (documents reçus quelques jours avant la présentation du plan de relance du FFMM au journal) et, finalement, l'exposé criminel de Monique Simard, à titre de présidente de la SODEC, dans la Presse le 10 juillet, ultime tentative de justification et de dénigrement. Le sabotage a été fort bien orchestré, il est mené ensuite de main de maître et conduit à terme. Subventions et commandites seront retirées. La SODEC de Monique Simard a parfaitement bien joué le jeu, ayant toutes les cartes dans sa manche et les journalistes dans sa poche.

      Mais ce n'est pas là toute l'histoire, étant donné qu'un de ses sommets, son plus important, aura été la mise en place, l'acheminement aux organismes subventionnaires et la présentation à la presse, la Presse justement, le 2 juillet, du plan de relance du Conseil d'administration du FFMM. L'événement historique est d'une importance considérable, en trois dimensions : (1) la mise en place d'un projet ambitieux de réorganisation financière et de renouvellement structurel du FFMM, qui s'appuie sur le retrait de sa directrice et un nouveau rôle de transition pour son président; (2) sa présentation administrative aux organismes gouvernementaux, pour qu'on laisse le temps au FFMM de le mettre en oeuvre au cours de l'année qui vient; et (3) sa présentation spectaculaire au public. Ces trois dimensions étaient un gage d'avenir, un gage sur l'avenir du festival.

      On a vu que l'actant principal du sabotage a réussi à torpiller complètement l'événement historique et, surtout, l'événement journalistique, en l'encadrant de deux événements médiatiques d'une rare habileté. Cela dit, cette seconde trame de l'histoire ne se limite pas au plan de relance. On trouve deux acteurs à l'oeuvre ici. Le plus important est Serge Losique : il est parfaitement clair qu'il a décidé tout simplement de faire fi des manipulations qui viennent de la SODEC de Monique Simard; qu'il n'interviendra pas, comme toujours, dans les médias; qu'il continuera au contraire à garder les meilleures relations possibles avec les organismes gouvernementaux, para-gouvernementaux et publicitaires impliqués dans le FFMM. Son objectif est celui de l'homme de l'ombre et du compromis : négocier. Le second acteur n'est pas moins important. Il s'agit de Michel Nadeau, un membre actif de premier plan du Conseil d'administration, que Serge Losique a chargé de diriger le Comité de relance destiné à répondre adéquatement aux demandes et exigences des trois organismes gouvernementaux. Mission accomplie fin juin. Le cinéma Impérial est hypothéqué pour résorber une part importante de la dette due à la SODEC, tandis que l'organisation du FFMM sera entièrement repensée pour son édition 2015. La Presse peut titrer : « FFM : fin de l'ère Losique-Cauchard ». Qu'est-ce que la SODEC de Monique Simard voulait de mieux ? Rien. Il s'agissait de saboter le FFMM.

      D'où l'entrée en scène spectaculaire de la troisième configuration actantielle de notre histoire. Danièle Cauchard est déjà intervenue plusieurs fois pour opérer quelques mises au point. Pour favoriser la mise en place du plan de relance du Conseil d'administration, elle a déjà annoncé en février 2014 qu'elle accompagnerait celui qui serait choisi pour la remplacer au poste de Directrice générale du FFMM qu'elle occupera pour la dernière fois cette année. Elle réplique ponctuellement aux dérapages de la SODEC de Monique Simard, notamment lors de la communication, du compte rendu et de la publication d'extraits d'évaluations anonymes confidentielles de l'organisme dans la Presse, le jour même où est publiée l'entrevue de Michel Nadeau présentant au public le plan de relance du FFMM. Enfin, non, les plombs n'ont pas sauté. L'actrice, qui devient ainsi une grande héroïne de histoire, a décidé que, étant donné les circonstances, il était temps de plomber la SODEC de Monique Simard, c'est-à-dire d'en exposer publiquement la plomberie. Il n'y a pas eu là d'attaque personnelle, à moins de présupposer que les fonctionnaires sont par définition au-dessus de tout soupçon et n'ont de compte à rendre à personne, quoi qu'ils fassent.

      Et comme on l'a vu plus haut, cet exposé est fort bien fait dans la diatribe du 15 juillet. On appelle cela une réplique radicale. Si l'on relit la chronologie depuis le début, on verra bien que la suite événementielle est en fait une cascade de « polémiques », au sens courant du terme, d'autant que les journalistes et chroniqueurs reprennent les « justifications » des organismes publics, qui sont autant d'« accusations » contre le FFMM, à qui mieux mieux, chacun y ajoutant son grain de sel. Un bon exemple en serait les trois textes d'opinion que Martin Bilodeau consacre au FFMM sur son bloque « Images parlantes » (on y reviendra). Mais il ne s'agit que d'un exemple navrant parmi des dizaines. Puisque tout est joué, autant finir cette histoire en beauté avant l'ouverture du festival : Danièle Cauchard donne donc un grand coup de poing sur la table médiatique qui sera sans réplique. Les bafouillages de la présidente de la SODEC le lendemain, avec d'amusantes menaces de poursuite en diffamation, valaient bien le Bang Big, d'autant que personne ne pourra croire aux juteuses justifications de Tourisme Montréal, Loto-Québec et Tourisme Québec qui prétendront retirer leur appui au FFMM 2014 pour cause de « polémique », comme si leur décision du 24 juillet avait été prise en dix jours ! Les dirigeants du festival se seront tout simplement donné le plaisir de dire la vérité et, à la SODEC de Monique Simard, ses quatre vérités.

Les motivations des personnages

      Quand les motifs correspondent indiscutablement aux actes, ils peuvent difficilement être mis en doute. Lorsqu'on complote pour saboter un festival en lui retirant abruptement ses subventions, il n'y a pas de discussion possible à ce sujet : il s'agit de complot et de sabotage. D'où l'éditorial de Bernard Descôteaux dans le Devoir, journal qui a pourtant contribué à la catastrophe appréhendée : « Un actif à conserver » (3 juillet) : « La SODEC et la ville de Montréal confirmaient mercredi leur volonté de ne pas remettre en question leur décision. Elles attendront un plan de redressement pour 2015 avant de donner à un nouveau FFM les fonds dont il a besoin. Malheureusement, il sera probablement trop tard. On aura perdu un événement qui distingue Montréal sur la planète culturelle qui, toutes choses égales par ailleurs, vaut bien un Grand Prix de Formule 1 pour lequel on ne compte pas les millions ». D'où la réaction indignée de Pierre-Henri Deleau dans sa lettre ouverte à Philippe Couillard, Hélène David et Denis Coderre : « L'incompréhensible assassinat du FFM » (le Devoir, 3 août) : retirer purement et simplement un million de subvention à un événement qui se déroulera dans deux mois, c'est « purement et simplement de l'assassinat », puisque le budget d'un festival comme celui de Montréal s'établit forcément de novembre à décembre en fonction de sa réalisation à la fin de l'été qui suit. Et en effet, la preuve par l'absurde, c'est bien le cas de le dire !, du complot et du sabotage dont est victime le FFMM se trouve dans l'avance de la subvention de la SODEC consentie en décembre 2013. — Mais ce n'est évidemment pas tout : complot et sabotage impliquent des motifs cachées sur lesquels on va revenir.

      Les motifs des dirigeants du festival correspondent aussi rigoureusement à leurs actes : il s'agit successivement de négocier les demandes de subvention et de commandite, puis de les renégocier et enfin d'accepter les conditions impératives des trois paliers de gouvernement : c'est d'un côté la restructuration des emprunts et des créances et, de l'autre, la réorganisation et la relance de l'événement à partir de sa prochaine édition. Le FFMM 2015, bien entendu. — Il est clair que les dirigeants du festival n'ont pas de motifs cachés et qu'on ne saurait leur en prêter sans mauvaise foi, comme ce fut le cas de Martin Bilodeau le 26 juin dans son texte « La stratégie de Serge Losique » où il imaginait que le fondateur du festival préparait en fait l'annulation de l'événement pour pouvoir, au dernier moment, en accuser les organismes subventionnaires et... les journalistes ! Le critique ne s'est pas excusé de ces accusations que l'on peut toujours lire sur son blogue. Car bien au contraire, les responsable du FFMM veulent d'abord et avant tout sauver l'organisation cinématographique et par conséquent réaliser son édition de 2014 et ils acceptent ensuite la relance qui s'impose et qu'on leur impose. Répéter comme l'a entendu partout qu'ils auraient dû le faire depuis longtemps, c'est oublier la tentative de putsch à laquelle le festival a survécu, les deux années où le festival s'est tenu sans subvention (en 2004 et 2005) et, par conséquent, les dettes qu'on lui a mis sur le dos sous forme de prêts à intérêts, sans compter la baisse des subventions. Travailler dix ans dans ces conditions ne laisse pas beaucoup de temps et d'énergie pour transformer, améliorer ou relancer un événement irremplaçable de cette envergure.

      Il faut donc revenir aux motifs des comploteurs et saboteurs, motifs cachés, ceux-là. Cela se présente de la manière la plus stupide. Monique Simard donne toute une entrevue à Luc Boulanger, dans la Presse du 10 juillet, pour déblatérer contre le FFMM qu'elle déclare en « faillite technique » (ce sont ses mots, strictement personnels), déballant des dizaines de critiques qui sont autant de propos diffamatoires sur la place publique. Mais lorsque le journaliste lui demande pourquoi donc elle a attendu cinq semaines pour faire tout ce déballage, ingénue, elle répond : « La SODEC n'est pas là pour dévoiler publiquement les problèmes d'un organisme culturel », c'est-à-dire ce qu'elle est en train de faire avec cette entrevue...

      Alors étudions le contenu de ces problèmes « dévoilés publiquement ». Mais revenons d'abord en arrière, au tout début de cet essai, à l'article d'O. Tremblay du 20 août 2013, à deux jours de l'ouverture du festival. Elle y répète contre le FFMM des critiques qu'elle formule depuis des années à ce moment. D'où lui viennent-elles ? D'où venaient ces « critiques [qui] fusent de toutes part » (2) ? Eh bien, aussi extraordinaire que cela puisse paraître, je crois bien avoir trouvé la réponse. De Martin Bilodeau. Le collaborateur du Devoir a quitté le journal en avril 2014. Il a créé à ce moment un blogue intitulé « Images parlantes » où trois textes d'opinion (les 5 et 26 juin, puis du 3 juillet 2014) expriment ce qu'écrivait depuis toujours O. Tremblay. Or, depuis son départ du journal, jamais la journaliste n'a répété aucune de ces sottises. Il est vrai qu'elle a dû se faire rabrouer par la direction de son journal pour son comportement inqualifiable de l'automne dernier, son boycottage du FFMM 2013. Pourquoi donc Martin Bilodeau n'a-t-il jamais, à ma connaissance, exprimé ces idées dans le journal auquel il collaborait depuis des années ? Probablement parce que c'est la journaliste spécialiste du cinéma qui s'était réservé le « sujet », mais peut-être aussi pour éviter une apparence de conflit d'intérêts, le collaborateur Martin Bilodeau ayant été programmeur au Toronto International Film Festival en 2010 et 2011.

      Les évaluations du FFMM par Martin Bilodeau sont toutes négatives et ce sont, comme par magie, celles d'O. Tremblay. Mais le plus extraordinaire, est que toutes ces critiques négatives seront exactement celles que la SODEC de Monique Simard pigera dans les évaluations de ses fonctionnaires des subventions du FFMM sur plusieurs années. On ne trouvera absolument aucune idée originale (jamais le moindre constat positif, bien entendu) dans les textes d'O. Tremblay, de Martin Bilodeau et de Marc Cassivi, les entrevues de Manon Gauthier et de Monique Simard, de même que dans les rapports des examinateurs de la SODEC obtenus par André Duchesne de la Presse en vertu de la Loi sur l'accès à l'information. Il y a là une homogénéité vraiment exceptionnelle et même suspecte : comment tous ces intervenants si divers peuvent-ils dire toujours la même chose à peu près dans les mêmes mots ? Sans compter la malveillance commune. Lorsque tout sera terminé, Martin Bilodeau pourra écrire froidement, de manière aussi stupide qu'odieuse, dans sa liste des événements qui auront marqué l'été 2014 : « Le Festival des films et ses dirigeants, Serge Losique et Danièle Cauchard, ont une fois de plus traversé la tempête, avec l'annonce faite en début d'été du retrait des institutions qui jusque-là le subventionnaient. L'événement a eu lieu sans l'argent des contribuables, ce qui en soi prouve qu'ils n'en avaient pas besoin. Bel exemple ! » (19 septembre, « Avant l'équinoxe : les 10 événements qui ont fait l'été »).

      Il faut dire que nous sommes ici en face du syndrome de la « critique journalistique ». Je connais bien celui de la critique littéraire, dans mon domaine, mais il en est exactement de même pour la critique cinématographique. Les critiques de cinéma qu'on lit dans les périodiques n'ont évidemment rien à voir avec des études ou des analyses scientifiques. Martin Bilodeau, O. Tremblay, Marc Casswivi et autres journalistes (et peut-être les examinateurs de la SODEC qui pourraient bien en être) regardent un film et en écrivent ensuite leurs impressions. Celles-ci peuvent être plus ou moins pertinentes et intéressantes, certes, mais elles ne sont jamais que ce qu'elles sont, des impressions. Ils n'ont pas le temps (et souvent n'ont jamais eu la pratique et n'en ont donc pas la compétence) d'étudier aucun film pour en faire une description justifiée. L'étude cinématographique est une science qu'on ne demande pas au journaliste de pratiquer, puisque tel n'est pas sa fonction. Et je ne suis nullement méprisant pour cette activité journalistique difficile, délicate et surtout essentielle à la presse ou au public d'un côté et aux très nombreux acteurs de la création et de la réalisation cinématographiques de l'autre. L'important ici est de constater que ce travail d'information consiste justement à transformer ses impressions et convictions en « faits », plus ou moins bien illustrés dans un texte de quelques dizaines de mots. Et, bien sûr, cet avis sur les qualités et les défauts d'un film doit être intéressant et si possible passionnant, et il est souvent passionné, s'agissant en réalité de faire partager des données émotives. Et voilà exactement et précisément ce que ces journalistes et autres « acteurs » du milieu cinématographique produisent, non pas sur les films du FFMM, mais bien sur le festival lui-même. Pour eux, il s'agit d'un film annuel, avec Serge Losique et Danièle Cauchard dans les rôles principaux. Si l'on relit la déclaration à l'emporte-pièce de Martin Bilodeau que je viens de recopier (et les trois articles de son bloque sur le FFMM), on verra qu'il s'agit tout bonnement de la conclusion de sa « critique journalistique » : la production du FFMM a pu se réaliser cette année sans aucune aide gouvernementale, ce qui prouve que ce mauvais film (que je n'ai pas vu, mais que je déteste quand même, parce que je sais d'avance qu'il s'agit d'un mauvais film, je l'ai assez dit tout au long de l'été) n'en avait pas besoin. Qu'on en fasse donc pour toujours un film à petit budget !

— Analyse critique des critiques des critiques

      Comme on va le voir maintenant point par point, les « critiques » adressées au FFMM sont de cet ordre. Il s'agit de la présentation comme des faits réels d'impressions et convictions de critiques cinématographiques.

1- Les subventions et commandites accordées au FFMM servent chaque année à éponger les dettes et créances des années précédentes. Les organismes publics accordent des subventions pour « soutenir les créateurs, pas les créanciers » (Manon Gauthier). Il s'agit là de « mauvaise gestion » (Martin Bilodeau). En fait, soyons clair : le FFMM 2014 est en « faillite technique » (Monique Simard répétée par O. Tremblay dans le Devoir le 6 juin, l'un des sous-titres de son papier, puis les 7-8 juin, Monique Simard dans la Presse, le 10 juillet, dans le titre de l'entrevue, « Le FFMM "en faillite technique", selon la SODEC ». Manon Gauthier parlait plus sobrement mais non moins incorrectement de « déboires financiers ». Il vaut la peine, exceptionnellement, de citer littéralement entre guillemets les accusations et d'identifier les accusateurs. — Un exemple simple : d'où Martin Bilodeau tient-il que le FFMM est mal administré ? Il s'agit d'une question tellement simple qu'elle est d'elle-même une réplique à l'accusation gratuite du « critique cinématographique ».

      Tout cela est totalement faux et un gestionnaire de haut niveau, Michel Nadeau, en fait non seulement la preuve, mais il explique tout bonnement que le FFMM n'aurait aucun problème financier, absolument aucun, si la SODEC n'avait pas accumulé les opérations sordides à son endroit (coupe de subvention pendant deux ans, diminution de sa subvention et prêt à un haut taux d'intérêt).

      On peut lire noir sur blanc dans le rapport du comité d'évaluation de la SODEC pour la demande de subvention de 2014, l'accusation suivante, en style télégraphique : « Rapports 2013 et plan d'action annuel 2014 reportent toujours les raisons du déficit accumulé [il n'y a aucun "déficit accumulé", ce n'est pas vrai] sur le dos de la SODEC et de Téléfilm. Pour le FFM le manque à gagner vient des 2 années de coupure et des années de baisses subséquentes de Téléfilm et de la SODEC. C'est donc à ces 2 institutions de redresser la situation, et non au FFM de trouver d'autres pistes de financement, ni de se questionner sur les raisons qui ont pu les pousser à prendre de telles décisions ». L'imbécile qui écrit cela n'est pas très fort en logique, ni en comptabilité, le FFMM gérant un budget annuel de 3 millions, la SODEC de 1,3 milliards. Et l'imbécile est aussi malveillant, puisque, employé ou consultant de la SODEC, il doit oublier sciemment que le président de son organisme, Jean-Guy Chaput, a admis devant la Commission de l'administration publique de l'Assemblée nationale, le 24 février 2006, que le comportement de son organisme envers le FFMM avait été inadéquat, inique et immoral. Le haut fonctionnaire a dû avouer que la SODEC avait donné naissance à d'inqualifiables magouilles et que c'était regrettable (« Saga des festivals de cinéma : le président de la SODEC reconnaît son erreur », titre qui dit tout, O. Tremblay, le Devoir, 26 février 2006; sur les magouilles, cf. n. (10) plus haut). Or, nous ne sommes plus en 2006, mais en 2014, et le FFMM en subit toujours les conséquences. Bref, qu'un examinateur de la SODEC puisse écrire de telles hargneuses sottises dans un rapport du 7 février 2014 soulève une question vraiment élémentaire : comment la SODEC peut-elle engager pour évaluer les demandes de subvention (du FFMM) de tels individus ?

      En ce qui concerne l'accusation gratuite de « mauvaise gestion », quelques petites précisions s'imposent. D'abord Michel Nadeau, membre du Conseil d'administration du FFMM, n'est pas le dernier venu dans le domaine de l'administration. Il serait très surprenant que cet administrateur, ancien vice-président de la Caisse de placement et dépôt du Québec, accepte que le FFMM transmette des états financiers non vérifiés aux organismes qui subventionnent le festival. Lorsque O. Tremblay écrit : « Nos sources indiquaient que chez les institutions, les livres du FFM n'étaient pas jugés bien clairs » (le Devoir, 8 juin 2014, p. B3g ou 7e colonne), elle porte une accusation extrêmement grave qui ne s'appuie manifestement que sur des ragots, des accusations anonymes qui viennent exclusivement, jusqu'à preuve du contraire, de la SODEC de Monique Simard. Enfin, puisqu'il est question de la SODEC, on se souviendra qu'un de ses anciens présidents a dû démissionner après avoir soufflé un compte de dépense fabuleux en frais de séjour (comme des chambres d'hôtel à mille dollars la nuit). Il ne s'agit pas ici de ramener de mauvais souvenirs, mais de dire une chose toute simple : jamais d'aucune manière les dirigeants du FFMM n'ont pu être soupçonnés de détourner de l'argent ou des privilèges à leurs fins personnelles. Lorsqu'il s'agit d'une entreprise dont le budget annuel est d'environ trois millions de dollars, je pense qu'on peut parler de bonne et honnête gestion. — Oui, j'ajouterai que le FFMM, que Montréal, le Québec et le Canada doivent à Serge Losique d'avoir hypothéqué ses biens pour sauver le festival du putsch avorté de la SODEC et de Téléfim Canada pour les convertir en un prêt à long terme (qui devrait lui être remboursé sur dix ans lorsqu'il prendra sa retraite du festival, celui-ci ne remboursant d'ici-là que de minimes intérêts). Cela ne mériterait-il pas un peu de reconnaissance ?

2- Le FFMM n'est plus ce qu'il a été il y a vingt ou trente ans. Il lui a manqué un « plan de relance » qui lui aurait permis un nouveau lustre. La preuve en est qu'aucune relève n'est prête à prendre la suite du président Serge Losique et de sa directrice générale Danièle Cauchard.

      On verra pour finir que ces critiques cachent en fait le plus important motif des comploteurs et saboteurs. Mais il faut d'abord les prendre en considération comme si elles étaient faites de bonne foi.

      D'un point de vue mythique, qui ne relève pas trop de l'inconscient, cette critique fantasmatique découle d'une « comparaison » entre le FFMM et le FNC, le tout aussi fabuleux Festival du nouveau cinéma (qui se déroule début octobre à Montréal depuis bien avant le FFMM). L'adjectif « nouveau » s'applique, dans l'esprit des critiques en mal de critique, à la jeunesse (sic) nombreuse (sic) des publics (sic) du FNC, son animateur et programmeur Claude Chamberland étant d'une ou deux générations plus jeune que Serge Losique et Danièle Cauchard. On voit là un renouveau quasi annuel des très médiatiques innovations de la gammic cinématographique. Si c'est moi qui menais la comparaison, elle ne serait pas en faveur du FNC. La vérité, c'est que ce festival fait dans l'animation et la pastorale cinématographiques, là où le FFMM présente les réalisations annuelles du monde entier. Les deux festivals de Montréal sont certes complémentaires et il n'y a donc aucune raison de vouloir transformer l'un en l'autre ou, pire, de les fondre (comme ce fut l'objectif du putsch de 2004). Cela dit, on veut voir le FFMM se « renouveler » et c'est en ce sens que vont plusieurs critiques.

      Le « plan de relance » présenté à la presse le 2 juillet par le FFMM paraît en tout cas les accepter comme telles. Mais je crois qu'il y a beaucoup de nostalgie derrière ces critiques passéistes. On voudrait que le festival soit ce qu'il a été, avec le cinéma qu'on a connu. Je pense qu'il faut au contraire regarder en face la réalité et voir le FFMM pour ce qu'il est. Une formidable organisation (et on doit comprendre qu'elle ne s'improvise pas, qu'elle a aussi son histoire et qu'elle s'ajuste chaque année) qui présente à Montréal une grande fête du cinéma. Je ne vais pas répéter ce que j'ai écris plus haut, n. (14). Je propose plutôt de renverser la critique : pourquoi voudrait-on que le FFMM redevienne ce qu'il a été au lieu d'être ce qu'il est et de développer ce qu'il est devenu ? Avant de le « relancer », est-ce qu'on ne pourrait pas d'abord en apprécier les qualités, bien en évaluer les forces qu'il s'agit de conserver et de démultiplier ? En ce qui concerne la « relève », enfin, est-ce qu'on n'aurait pas pu jouir en paix durant quelques années encore du festival tel qu'il est et faire confiance à ses dirigeants ? Que des journalistes pressés qui se dandinent chaque année à Cannes et à Toronto rêvent d'un festival lustré comme dans leurs jeunes années et, surtout, de participer eux-mêmes à la « relance » (sur papier comme dans la vraie vie), cela se conçoit; mais que des organismes gouvernementaux destinés à soutenir des productions culturelles entrent dans la danse, il me semble que ce n'est pas raisonnable.

3- Le FFMM présente aujourd'hui une « programmation médiocre », « inconsistante », « sans lignes directrices claires », un « fourre-tout » qui privilégie la quantité à la qualité.

      On dirait l'argument venu d'un spécialiste qui aurait été invité à participer à la programmation du Toronto International Film Festival ! On a tout à fait le droit de critiquer la structure de programmation du FFMM, comme on a le droit d'en critiquer ses réalisations chaque année. Or, les deux choses doivent être concomitantes. Et on ne peut pas, évidemment, critiquer la programmation du festival si l'on n'y assiste pas.

      En ce qui concerne l'organigramme, il me paraît judicieux : la compétition internationale, une compétition internationale de premiers films de fiction (probablement la plus novatrice) et une compétition internationale de films d'étudiants; ensuite, la projection de films hors concours (souvent présentés déjà dans d'autres festivals), avec quelques hommages dont certains ont constitué des temps forts du festival (je me souviens de la rétrospective des films de Pasolini, par exemple); enfin, le volet le plus caractéristique et souvent le plus populaire du FFMM — que les journalistes ne couvrent à peu près plus — les films de fiction et les documentaires du monde entier, sélection qui donne son nom au festival de Montréal. Personne à ma connaissance n'a proposé de changer cette structure. Elle n'est pas immuable, mais elle n'a pas été improvisée.

      Or, la programmation consiste à choisir les films qu'on distribue dans cette structure. Les comptes rendus quotidiens d'O. Tremblay dans le Devoir (elle a été forcée cette année de renoncer à son boudage de l'année dernière), ceux aussi quotidiens de Nathalie Petrowski dans la Presse, avec ceux d'André Duchesne et de Marc-André Lussier, prouvent qu'on avait cette année encore une réalisation de haut niveau, avec d'incontestables grandes oeuvres cinématographiques. Pour ma part, j'y ai vu deux chefs-d'oeuvre : Ella de Libia Stella Comez (Colombie) et le documentaire d'Olivier Horn, Je vous écris par-delà les mers (France) sur et avec l'acteur et dramaturge Jean-René Lemoine d'origine haïtienne. J'y ai vu deux films au-dessous de tout qui n'avaient pas leur place dans un festival, ni même dans aucune salle de cinéma, For the love of Poe (Montréal, Québec, Canada !) et Ciudad sin sombra (Colombie). Trois navets, mais, comme tout est relatif, O. Tremblay aurait vu l'un d'eux, Perro guardián remporter le prix des Amériques ! (si je vous racontais seulement l'histoire niaise mise en scène par deux réalisateurs du Pérou vous seriez morts de rire...). Mais j'ai vu aussi de grandes performances (le film de Rudi Gaul et celui de Diao Yinan, respectivement d'Allemagne et de Chine), des films grandioses (la réinvention des biographies des peintres Chagal et Malevich par le réalisateur russe Alexandre Mitta était évidemment du nombre), de très beaux et bons films (je donnerais la palme au Fil d'Ariane si je ne devais pas ainsi faire de l'ombre à une bonne dizaine d'autres) et plusieurs films charmants que j'étais très heureux de voir en version originale. Et, bien sûr, puisqu'il s'agit du FFMM, j'y ai vu encore (généralement par erreur) quelques « grands » films populaires, dont celui qui a remporté le Grand Prix, une épouvantable niaiserie japonaise, Cap Nostalgie d'Izuru Narushima, dont l'événement capital consiste à savoir comment prendre de l'eau de source le plus délicatement possible et à la transporter doucement, doucement pas vite, au café, pour en faire du café, avec d'attendrissantes formules magiques japonaises. Pour finir, la cafetière va faire court-circuit et le café va brûler, un café où l'on n'a jamais vu plus de trois romantiques et attendrissants clients, mais qu'une foule nombreuse viendra reconstruire devant nos yeux mouillés de larmes. C'était le cas de mes deux voisines de gauche que je n'ai pas voulu déranger, de sorte que j'ai vu le film jusqu'à la fin. Je me venge en vous disant tout le mal qu'il faut en penser.

      Je voudrais me répéter sur ce point : puisque le FFMM est un festival populaire, il est tout à fait attendu qu'un film comme Cap nostalgie figure dans la compétition, mais il ne me paraît pas normal que ce soit, année après année, des films comme celui-là qui remportent le Grand Prix du jury, avec en même temps celui du Prix oecuménique (voire aussi le Prix du public, ce qui n'a pas été le cas cette année). J'ai vu trop peu de films en compétition cet automne pour savoir lequel le FFMM aurait pu être honoré de lui décerner son Grand Prix.

      Cela dit, comme on le voit, les évaluations d'O. Tremblay et de N. Petrowski, comme mon expérience que je viens de résumer, ne permettent pas de conclure que la programmation du festival est médiocre et qu'elle soit un fourre-tout. Ces affirmations relèvent de la calomnie, surtout lorsqu'elles sont le fait de critiques qui n'assistent pas au festival.

4- Sur deux points, il est impossible de faire confiance aux déclarations des accusateurs. Le premier : les statistiques de fréquentation ou les rapport de billetterie ne seraient pas fiables, clairs et détaillés.

      On ne peut juger de ces statistiques ou de ces rapports, puisqu'on ne les a pas. Et encore moins sur la foi de rapports anonymes du comité d'évaluation de la SODEC, qui, comme l'a expliqué Danièle Cauchard pour le plaisir des lecteurs de la Presse, est composé de gens qui ne savent pas compter ! On ne saurait aveuglément faire confiance à des comploteurs et saboteurs qui nous proposent cette justification, parmi d'autres qu'on peut facilement montrer fausses. En revanche, il y a des années que les critiques du Devoir, O. Tremblay en particulier, nous répètent comme des faits démontrés les vagues impressions qu'ils ont sur la fréquentation du FFMM et le « vieillissement » de son public. Est-ce qu'on ne pourrait pas cesser de répéter ces impressions comme s'il s'agissait de faits avérés avant d'avoir mené les études appropriées ou obtenu des informations confirmées à ce sujet (12) ? Je peux donner l'exemple d'au moins cinq séances du FNC cet automne où une salle de 250 places ne comptait pas plus de 60 spectateurs (22 dans un cas !) dont l'âge moyen était de 60 ans, du rarement vu au FFMM. Bizarrement, O. Tremblay n'a jamais eu connaissance de ce qui a dû se produire plus d'une trentaine de fois, certainement, ou n'en a jamais accablé le FNC. Pourquoi ? Oui, je sais, le FNC achète de la publicité dans le Devoir, qui est aussi un partenaire de ce festival. Cela aide à porter des lunettes 3D qui empêche de voir que la salle est vide.

      Les rapports d'évaluation anonymes de la SODEC nous apprennent que c'est la compagnie XXXX qui a été responsable de l'analyse statistique de la quantité et de la qualité de l'« achalandage » du festival en 2012. Je connais le nom de la compagnie qui n'a pas été caviardé dans les rapports anonymes de la SODEC et j'ai pris contact avec ses dirigeants. Il s'agit d'une très importante compagnie québécoise dont les sondages ne sauraient être mis en doute à la sauvette. Or, cette évaluation est dénigrée par l'examinateur de la SODEC, aussi bien en 2013 qu'en 2014. Évidemment, il faudrait évaluer la compétence des examinateurs de la SODEC jugeant de la méthodologie de la compagnie XXXX selon laquelle le public du FFMM est d'âgé de 35 à 64 ans, que le tiers vient de l'extérieur de la région de Montréal et qu'on y compte 19% de touristes, en majorité canadiens. Les examinateurs de la SODEC voudraient connaître comment les 63 séances de film de l'échantillonnage ont été sélectionnées. Statisticien de formation, je peux présumer qu'elles ont été choisies aléatoirement, s'agissant d'un sondage ! Mais ce ne sont pas des fonctionnaires, vraisemblablement critiques de cinéma, dont l'objectif est de dénigrer l'événement, qui sauraient mettre en cause de manière crédible le travail de la firme québécoise qui opère dans le domaine depuis 26 ans, avec 150 employés rompus aux entrevues et entretiens. Lorsque l'examinateur de la subvention de 2014 « constate le manque de sérieux de l'étude », ce qui le rend « sceptique » sur les autres données statistiques fournies par la demande, disons que c'est plutôt son jugement péremptoire qui me rend sceptique... Il n'avait pas accès par ailleurs au rapport officiel de billetterie ou à la déclaration juridique sous serment qui doit nécessairement accompagner une demande de subvention à ce sujet ? Peut-être les chiffres que je reprendrai ci-dessous viennent-ils de là.

      Cela dit, je voudrais répéter pour finir, qu'impression pour impression, j'ai le sentiment inverse des calomniateurs du FFMM : son public n'a pas vieilli (c'est un préjugé de vieux nostalgiques qui ont oublié que nous étions peu nombreux à être jeunes à l'Élysée en 1968) et que ses fanatiques sont au contraire chaque année plus nombreux. Je répète qu'il s'agit de mon impression, mais elle est partagée : « le résultat est là : des séances bondées en plein air Place des Arts, des queues devant l'Impérial et les salles du Quartier Latin; qui peut nier le succès du Festival, sauf à être aveugle ou de mauvaise foi ? ». P.-H. Deleau (le Devoir, 3 août, p. B5) constate ainsi ce que nous sommes nombreux à observer chaque année. Or, ces observations portent à croire que les chiffres provenant du rapport anonyme de la SODEC (Recommandation pour 2014) et publiés dans la Presse, puis corrigés par Danièle Cauchard (respectivement les 2 et 4 juillet) sont parfaitement crédibles : en 2013, tous les types d'entrées confondus, payantes ou non, la fréquentation a été de 178 076 places sur une possibilité d'occupation de 204 281, soit un taux d'occupation de 87% (le rapport SECOR, sans faire la proportion, donnait en 2004 un taux d'occupation de 82%, soit 230 000 entrées sur une possibilité de 278 780). Le nombre de séances à guichets fermés est si élevé au FFMM et les salle désertes si rares, que ce pourcentage n'a rien de surprenant.

5- Le second point est encore plus difficile à évaluer : le FFMM ne présenterait pas un bilan clair, précis et détaillé de l'impact de son Marché du film. Je cite le rapport anonyme confidentiel dans la Presse du 2 juillet : « Aucune étude d'impacts, aucun résultat clairement établi en terme de nombre de professionnels présents, nombre de professionnels québécois touchés, nombre de contrats de distribution signés, nombre de ventes effectuées, etc. » (évaluation de 2013).

      Je ne connais rien en matière de distribution cinématographique, mais un petit peu sur la distribution du livre imprimé. Je peux donc poser la question suivante : est-il possible pour le FFMM d'obtenir ces données et de les colliger de manière fiable ? Les producteurs et les distributeurs informent-ils la direction du festival de ces transactions ? Je vois depuis toujours que le programme du festival indique les coordonnées du producteur et, s'il s'en trouve, du distributeur premier de chaque film; comment le festival pourrait-il contrôler l'achat du film par un distributeur canadien ou un autre qui participerait au FFMM ? Comment pourrait-il simplement en être informé ? Si j'organise un salon du livre, je connais le nombre des éditeurs participants, j'en produis même une liste et j'imagine qu'il s'agit d'un des « bilans » qu'un examinateur anonyme ne trouve pas assez éclairant. Mais je ne connaîtrai probablement les ventes de livres au salon et les impacts sur les ventes subséquentes en librairie que par sondage. En tout cas, la phrase suivante de l'examinateur anonyme en 2013 me laisse songeur : « On ne sait pas ce que les professionnels viennent chercher au marché, ni ce que le marché peut leur apporter, en dehors d'un espace de rencontres et de discussions » ! Je ne suis ni producteur ni distributeur de film, mais je sais de science certaine ce que ces professionnels viennent chercher au FFMM et je n'ai pas besoin qu'on m'en fasse un dessin dans une demande de subvention : rien d'autre qu'un « espace de rencontres et de discussions »...

— La nature du principal « document critique »,
les Recommandations de la SODEC en 2013 et 2014

      Le principal « document » qui expose et développe ces critiques est constitué des deux rapports anonymes préparés pour le comité d'évaluation de la SODEC (ou par ce comité) sur la demande de subvention du FFMM en 2013 et en 2014. Ces deux documents ont été obtenus par André Duchesne qui en a fait la demande le 10 juin et qui en a fait état dans la Presse le 2 juillet. Je les ai obtenus à mon tour de la SODEC en vertu de la Loi sur l'accès à l'information. Je le répète, car on va maintenant voir de quoi il s'agit. — J'avais pensé les reproduire ici, mais je ne pense pas que ce soit nécessaire, d'autant que je peux en transmettre copie à qui les voudrait.

      D'abord, il ne s'agit pas à proprement parler de rapports, mais d'une série de notes rédigées en style télégraphique tout au long d'un formulaire, très certainement par le même fonctionnaire pour les demandes de 2013 et 2014. Les deux séries d'annotations entremêlent des données brutes et des commentaires ou des jugements critiques, soit sur l'une ou quelques-unes de ces données, soit encore sur des données qui ne sont pas produites, de sorte qu'on se retrouve avec trois types d'« informations » : des données prises de la demande de subvention du FFMM, des jugements critiques les accompagnant parfois et des jugements critiques appuyés sur aucun fait et même parfois l'évocation de faits qui ne peuvent venir de la demande de subvention, comme c'est le cas de la désignation de représentations annulées, celles par exemple de « la délégation allemande qui s'est retrouvée face à des salles vides » (Rapport de 2014), information ou supposition injustifiée qui ne peut venir que d'une déclaration personnelle de l'examinateur, sans qu'il dise d'où lui vient l'information. On est donc en face d'une tresse de faits, d'impressions et de ragots, le tout destiné à un comité d'évaluation de la SODEC ou émanant de lui J'ai rédigé et lu assez d'évaluations critiques dans ma carrière de professeur pour comprendre que ce qu'on nous présente ici pour tel n'est pas digne de ce nom. Manifestement, la SODEC doit revoir ses processus d'évaluation des demandes de subvention.

      Ensuite, les deux « Recommandations », rapports sous forme de formulaire, sont obtenus en vertu de la Loi sur l'accès à l'information; ils ont été, comme il se doit « caviardés », c'est-à-dire que des renseignements nominaux ou des données sensibles ont été supprimés (bien que plusieurs informations qui figuraient dans la version obtenue par André Duchesne et publiées dans la Presse aient été censurées dans la mienne, notamment les données sur l'assistance dont Danièle Cauchard s'était moquée, qu'elle a corrigées et que j'ai produites plus haut). Mais l'important n'est pas là. En effet, ces deux documents n'ont pas été seulement caviardés ou censurés, ils ont été tronqués. J'ai obtenu, toujours en vertu de la Loi sur l'accès à l'information, un formulaire « vierge » de ces recommandations qui montre que le dernier tiers environ des documents a été coupé. L'essentiel de la section qui s'intitule « Qualité de l'organisation, gouvernance et gestion », la section « Commentaire des membres du comité (pertinence et originalité du festival, cohérence globale de la demande) » et « Recommandations » (l'essentiel du document, bien entendu), avec, pour finir, les dates de recommandation (« Recommandé le... »).

      Il faut comprendre qu'il s'agit de Recommandations dont on supprime les conclusions, c'est-à-dire les recommandations ! Or, tout porte à croire, on va le voir, que ces recommandations étaient favorables, sous réserve de « concertation des bailleurs de fonds ». Cela signifie que les fonctionnaires de la SODEC étaient favorables à l'octroi de la subvention demandée pour le FFMM 2014, à la condition évidemment que les autres bailleurs de fonds fassent de même, car on ne peut donner une subvention à fonds perdu. Il suit que la SODEC de Monique Simard aura inversé la recommandation favorable de ses fonctionnaires pour que la « concertation » avec les autres bailleurs de fonds conduise à une décision négative, au refus de la subvention. C'est ce qui ressort clairement de l'analyse des documents.

      Les évaluations et les recommandations qui en découlent peuvent être présentées en deux volets. Le volet négatif ne nous importe pas ici, puisqu'il était depuis des années du ressort de la SODEC qui veut des « garanties financières », une révision de la « gouvernance » et, surtout, une « relève » (entendez l'euthanasie de Serge Losique, on y reviendra !, car c'est évidemment le fin mot de l'histoire cinématographique). Mais c'est le volet positif qui est en cause au moment de la réalisation du FFMM 2014, puisqu'on en est à la dernière heure. Or, le volet positif est encore et toujours positif, comme on l'écrivait en « Recommandation » du FFMM 2007 : « En 2007, demande du FFM évaluée par le comité d'évaluation qui retient que le FFM est un événement cinématographique précurseur au Qc, qu'il offre une programmation qui peut satisfaire le cinéphile montréalais, qu'il est une vitrine pour le cinéma québécois, que Montréal a besoin d'un festival destiné au grand public. Pour ces raisons, un soutien financier lui est accordé (220 000 $)... » (suivent les conditions habituelles qu'on a lues plus haut, en volet négatif). Or, telle est la recommandation (positive) et telles sont les conditions (demandes de renouvellement sur critiques négatives) année après année.

      On lit, en tête des Recommandations, à la toute première section du formulaire (« Historique avec la SODEC ») dans les deux rapports, les conclusions des années précédentes, soit la recommandation finale suivante : « 2011, 2012 [sic, car en 2014, le fonctionnaire qui se recopie oublie d'ajouter "2013"] : comme les années précédentes, le comité d'évaluation se prononce [favorablement !] sur le dossier du Festival des films du monde tout en sachant que la décision relève de la concertation des bailleurs de fonds ». J'ajoute entre crochet l'adverbe, favorablement, car c'est le sens de la phrase rédigée comme tout le document en style télégraphique. Imaginer un instant que le comité se prononce défavorablement, mais qu'il laisse la décision aux autres « bailleurs de fonds » (entendez Téléfilm Canada), cela n'aurait évidemment aucun sens. Il suit, puisque la Recommandation de 2013 était favorable, que tel a encore été le cas de la Recommandation pour 2014. — Et, du coup, on comprend que la SODEC de Monique Simard ne veuille surtout pas que cela se sache et transmette des documents tronqués... Je répète et recopie l'ineffable sentiment de la ministre de la Culture, Hélène David, qui fait « entièrement confiance au travail de (ses) fonctionnaires », deux mois et demi après sa nomination... (la Presse, 16 juillet). C'est vraiment bizarre. Ses fonctionnaires, comme on le voit, recommandaient l'octroi de la subvention au FFMM 2014 et elle leur fait entièrement confiance, alors que la SODEC de Monique Simard coupe la subvention et se démène comme une diablesse dans l'eau bénite (je parle de la SODEC de Monique Simard) pour que tout le monde en fasse autant.

      Et, car il faut toujours et encore se répéter, ce ne sont pas ces informations « cachées » par un document tronqué qui viendront jamais à l'esprit d'un journaliste de la Presse qui rendra compte au contraire des documents, comme s'il s'agissait d'interventions personnelles, justifiées et publiques de « critiques irrités », pour dénigrer le FFMM, comme on voulait qu'il le fasse. Il l'a fait, tout innocemment.

— Le FFMM n'aurait pas quelques qualités ?

      Au terme de cette analyse critique des critiques, il faut rappeler ce qu'on a signalé dès le début, l'homogénéité du dénigrement. Les journalistes, critiques de cinéma et fonctionnaires formulent tous les mêmes griefs et toujours dans les mêmes termes. Or, si ces interventions ont été homogénéisées, le moins qu'on puisse dire est qu'elles n'ont pas été pasteurisées ! Comment est-il possible que Martin Bilodeau, O. Tremblay et Marc Cassivi, Manon Gauthier et Monique Simard, comme les fonctionnaires de la SODEC, ne trouvent pas la moindre qualité au FFMM ? Alors qu'il s'agit manifestement d'un grand festival qui fait le bonheur des Montréalais, des touristes qui viennent dans la ville à cette occasion et de très nombreux réalisateurs et producteurs fort heureux de venir y présenter leur films, alors qu'on y voit chaque année des chefs-d'oeuvre, de très grands films projetés dans leur langue originale, des films de tous les continents, d'innombrables tout simples bons films de fiction et des documentaires qui ne seront jamais présentés à Montréal par la suite, bref, alors que le FFMM est une réussite et un incontestable succès public, comment peut-il être victime d'un tel dénigrement systématique ?

      La réponse va suivre au paragraphe suivant : Le véritable objectif des comploteurs et saboteurs. Mais avant de répondre à la question, il importe de la formuler précisément, car l'histoire de la critique du FFMM est tellement fascinante qu'on en ferait un très intéressant mémoire. On s'en tiendra ici à un temps fort mémorable par son renouvellement critique annuel, puis à une longue période suffocante, qu'on peut représenter par deux journalistes du Devoir, Robert Lévesque et O. Tremblay. Autant les textes de Robert Lévesque qui paraissaient tout au long du déroulement du FFMM pouvaient galvaniser les festivaliers qui devaient prendre parti entre le journaliste et Serge Losique, autant ceux d'O. Tremblay seront, durant deux décennies, de navrants commérages, commérages qui tournent systématiquement au dénigrement. On se souviendra que Robert Lévesque était très virulent dans ses griefs contre le festival, mais je me rappelle surtout qu'il était un fabuleux critique des films dont il rendait compte jour après jour, critique mordant sur la programmation et l'organisation matérielle du festival aussi, au point de devenir l'ennemi personnel du « fondateur-didacteur », de sa « Lady » et de ses « chambellans », au point de devenir finalement (ce qui n'est pas à son honneur) un propagandiste du TIFF de Toronto où il n'avait que des amis, où il était si bien reçu. On peut lire l'un de ces derniers débordements dans Voir en 2003 (21 août). Mais si l'on se reporte à ses couvertures du FFMM au Devoir (où il a été journaliste de 1981 à 1996), on verra combien son travail critique était éclairant et pertinent, alors qu'il ne faisait pas l'unanimité, mais le malheur des dirigeants du FFMM. Je n'ai pas besoin de relire ses textes journalistiques pour être certain qu'il ne faisait pas dans le dénigrement systématique et redondant, tandis que ses analyses devaient être prises en considération, et l'ont souvent été par les dirigeants du festival (qui ne l'auraient jamais admis !).

      C'est au tournant des années 2000 que les critiques, dont celles qui avaient été exposées au fil des ans par Robert Lévesque, deviennent des ritournelles. Au point que Téléfim Canada finit par prendre ces refrains insipides pour la réalité et décide que le FFMM doit être impérativement réorganisé, renouvelé et modernisé. Cela vient de l'éventail des « critiques » qu'on a regroupées en cinq points. Pour faire la preuve que ce dénigrement correspond bien à la réalité, Téléfilm Canada, avec toute la collaboration de la SODEC, charge la firme d'analyse SECOR d'étudier « la » question. Comment ? En menant une étude comparative de quatre grands festivals canadiens, ceux de Vancouver, de Toronto, de Montréal et d'Halifax, pour bien représenter « la » question d'une mer à l'autre. Bien sûr, le « corpus », comme on dit en méthodologie des sondages et des analyses, n'a absolument aucun sens, les trois festivals « canadiens » ne pouvant être comparé à la réalisation exceptionnelle de Montréal. Certainement pas le tout petit AFF des maritimes, l'Atlantic Film Festival, tandis que tout le monde sait que les festivals de Vancouver et de Toronto (d'envergure comparable à celui de Montréal) sont de Vancouver et de Toronto, c'est-à-dire du Canada et donc fortement états-uniens (et un peu asiatique pour celui de Vancouver), ce qui n'a rien de scandaleux, mais n'a absolument aucune commune mesure avec le FFMM. La comparaison boiteuse devait permettre, en principe, la mise en place une « grille d'analyse » pour évaluer tous les festivals du Canada afin de justifier les subventions qu'on leur accordait. Il ne fallait pas avoir la tête à Papineau ou être très perspicace pour comprendre, à son prétexte même, que l'opération n'avait qu'un seul et unique but, celui qui s'avérera, prouver que le FFMM devait impérativement être remplacé par un autre. En fait, il s'agissait de justifier ce que sera la tentative de putsch de 2004-2005. Et voilà pourquoi, n'étant pas suicidaire, le FFMM a refusé de participer à cette mascarade d'évaluation.

      Or, la firme SECOR a fait un excellent travail. Son rapport du 24 juillet 2004 (Analyse des grands festivals de films au Canada, Montréal, SECOR Conseil, 71 p.) est non seulement extrêmement favorable au FFMM, mais si l'on se donne la peine de le lire et d'en évaluer le contenu, on voit que les principaux points négatifs, les plus importants, viennent d'une rencontre avec les « principales organisations » cinématographiques du Québec. En effet, sous prétexte de pallier au fait que le FFMM refuse sa collaboration à l'enquête, la SECOR a décidé d'ajouter deux groupes de discussion pour évaluer le FFMM, l'un qui représente le public et l'autre, les acteurs du milieu, comme je viens de l'indiquer. Comme de tels groupes n'ont pas été interrogés pour les trois autres festivals, cela fausse une bonne partie de la comparaison et introduit, comme par magie, les critiques qui ont justement amené Téléfilm à lancer l'analyse de la SECOR. On appelle cela un cercle vicieux. Et très vicieux :

Concernant les attentes des partenaires publics, le FFM affiche plusieurs lacunes, notamment sur le plan de son organisation et de sa gouvernance. D'abord, un manque de transparence, qui s'est entre autres manifesté par un refus de collaborer à cette étude. Nous n'avons pu rencontrer ni les dirigeants ni le Président du C.A. du Festival et n'avons eu accès à aucun document autres que ceux détenus par les institutions publiques qui financent le Festival. De plus, nous n'avons obtenu qu'une validation partielle de l'information factuelle requise (p. 10).

C'est surtout la première phrase de cette citation qui est révélatrice de la perspective d'ensemble de tout le rapport vis-à-vis du FFMM : ces « partenaires publics » qui déplorent ces lacunes en ce qui concerne l'organisation, le gouvernance et la transparence ne peuvent être, évidemment, que Téléfilm Canada et la SODEC, de sorte que ce sont leurs fonctionnaires qui « inspirent » en partie le rapport qu'ils ont eux-mêmes commandé. Il suit, bien entendu, que si le rapport est finalement si élogieux dans son ensemble pour le FFMM, c'est qu'il s'agit d'une réalisation exceptionnelle, hors du commun.

      Heureusement, donc, que la SECOR a consulté le public qui n'a que des éloges pour le FFMM. Les représentants du public cinéphile ont été très rigoureusement choisis en fonction du nombre de projections auxquelles ils assistent lors du festival. Voici les conclusions de l'évaluation de ces groupes de discussion, doublée d'une analyse de la programmation :

Comme son nom l'indique, le Festival des Films du Monde de Montréal est voué à la présentation des cinématographies du monde entier. Il s'agit d'un festival fondamentalement international dans sa conception, ouvert aux tendances, jouissant d'une grande réputation à l'étranger, unique par ses traditions culturelles et son cosmopolitisme. Sa programmation par continent confirme d'ailleurs cette volonté d'assurer la plus grande couverture possible des cinématographies des diverses régions du globe. Bon an mal an, environ 70 pays y sont représentés avec une offre de films dont la majorité provient de l'Europe (41%) en 2003 et du Canada (29%). La diversité de la programmation est fort appréciée du grand public, et lors de la tenue de groupes de discussion à Montréal, elle a été fortement reconnue et vantée. L'accès à des cinématographies d'ailleurs, qui ne sortiront pour la plupart jamais dans une salle commerciale, constitue pour plusieurs la principale raison d'être du FFM. Par ailleurs, les multiples communautés ethniques qui font partie de la population du grand Montréal apprécient particulièrement cet accès privilégié à des films provenant de leur pays. Pour certains spectateurs cependant, la grande quantité de films qui permet cette diversité affecte la qualité de la programmation (selon les résultats des groupes de discussion menés auprès de spectateurs assidus). Quant aux thèmes et aux genres des films diffusés, le FFM ayant toujours opté pour une programmation de type généraliste pour un large public, ceux-ci couvrent un large éventail. Des espaces particuliers sont cependant offerts à certaines catégories, dont les documentaires et les premières oeuvres. Le FFM présente, dans sa programmation, une grande quantité de premières oeuvres et de productions peu connues, ce qui explique en partie sa capacité à diffuser de nombreuses premières puisque le FFM est le festival qui présente le plus de premières internationales (41% des longs métrages contre 31% pour le TIFF et 13% pour le VIFF). Ce positionnement de festival de « découvertes » est d'ailleurs exprimé par les dirigeants du Festival. Le FFM témoignait dans un article que les réalisateurs qu'il présente sont des cinéastes accomplis, sur le point d'émerger internationalement : le Festival fait un travail de défrichage en présentant une majorité de films de pays très divers qui ne sont pas précédés de la rumeur d'autres festivals (p. 45).

Comme on le voit, le FFMM possède bel et bien quelques qualités. Or, ce n'est là qu'une petite partie des très nombreux éloges que se mérite le festival de Montréal au fil des comparaisons, sans compter l'énumération de nombreux faits qui parlent d'eux-mêmes en sa faveur. En plus, de nombreuses critiques tournent à son avantage. La fréquentation : si les entrées payantes paraissent limitées (mais la SECOR ne dit pas comment elle les a évaluées), elles ont été en hausse croissante de 1999 à 2002, avec une légère baisse en 2003, due à la réfection de l'Impérial. Le budget : le festival a connu de « légers déficits » depuis quatre ans, 2000-2003. En revanche, contrairement aux autres festivals, dont les budgets croissent sans cesse, celui de Montréal reste stable, ce qui est évidemment une bonne nouvelle, le FFMM devant augmenter ses revenus, certes, mais certainement pas ses dépenses et donc ses activités déjà assez nombreuses. À remarquer que le FFMM a 10 employés permanents, le TIFF, 74 ! Justement, la SECOR constate que, proportionnellement, c'est ce festival qui a la plus petite part de commandites privées en proportion de ses subventions. Et c'est là une caractéristique tout à fait attendue du plus grand festival canadien qui se déroule au Québec, dans la métropole de la nation québécoise. On appelle cela un choix de société (je signale en passant que les festivals de Berlin et de Cannes sont des organismes d'État). — Il serait donc temps, après toutes ces années de bonne gestion, que le FFMM ait un droit exceptionnel à des subventions triennales.

      Mais pour en venir aux critiques, on constate qu'elles viennent toutes des « acteurs du milieu ». Or, ce ne sont pas exactement celles qu'on a regroupées en cinq points plus haut, mais simplement un développement ou une amplification du cinquième point (qui en serait donc une simplification par les journalistes) :

Des déficiences se manifestent également au niveau de la direction qui est ouvertement critiquée par le milieu local. Les professionnels de l'industrie cinématographique locale consultés, quoique désireux de conserver un événement cinématographique d'envergure internationale à Montréal, déplorent l'attitude des dirigeants, leur manque d'ouverture et de générosité envers le milieu. On parle ainsi d'un moment charnière dans l'avenir du Festival, puisque ces professionnels admettent que le dialogue souhaité semble désormais impossible. Ces lacunes sont aussi observées par certains professionnels de l'étranger consultés, qui critiquent la qualité de l'accueil et de l'organisation en général. [...] Par ailleurs, le peu de représentation du milieu du cinéma au sein du conseil reflète à nos yeux le manque de collaboration avec les professionnels d'ici, souvent déploré lors des entrevues (p. 10).

Les entrevues avec des professionnels témoignent du fait que le FFM affiche des lacunes au niveau de l'organisation de l'événement. On reproche au Festival et à ses organisateurs l'accueil déficient réservé aux membres de l'industrie, des événements professionnels (conférences, des remises de prix, etc.) mal organisés, des lacunes au niveau de la qualité et la livraison de l'information. Cette insatisfaction est partagée à la fois par plusieurs professionnels canadiens ainsi que par des professionnels étrangers consultés. Selon ceux-ci, le FFM devrait revoir la planification et l'organisation de ses activités pour redonner au FFM un nouveau dynamisme. Outre ces insatisfactions, le principal reproche à l'endroit de la direction du Festival reste d'ordre relationnel puisqu'on critique largement les relations difficiles entretenues avec les professionnels et autres collaborateurs et le manque d'ouverture et d'esprit de collaboration. La question de la relève au FFM est par ailleurs une préoccupation majeure que l'on retrouve dans le milieu. La concentration du savoir et des pouvoirs entre les mains des mêmes dirigeants qui ont créé le Festival il y a plus d'un quart de siècle soulève des craintes quant à la pérennité de l'organisation et sa capacité à se renouveler (p. 32).

Quant aux cinéastes et comédiens, le FFM attire une « faune » résolument moins connue et prestigieuse que Cannes ou Toronto. Plusieurs professionnels consultés (ainsi que certains cinéphiles) soulignent la moins grande participation de « stars » à l'événement et son côté moins prestigieux qu'auparavant. (p. 53)

      En appendice du rapport, on trouve la liste des « acteurs du milieu » québécois qui ont été consultés. On les désigne sous le vocable de « professionnels » : quatre réalisateurs, six producteurs, un distributeur, le propriétaire d'un cinéma, deux représentants de l'ONF, un de l'INIS, un de l'Union des artistes, soit seize (16) professionnels (je n'ai pas compté ceux qui oeuvrent en dehors du Québec, pas plus de cinq). Comme je n'ai aucune compétence dans ces domaines, je fais entièrement confiance à la SECOR en ce qui concerne la représentativité et des secteurs retenus et des personnes choisies — je ne les désigne donc pas nommément ici. Je ne peux pas juger non plus du contenu de leurs critiques, je l'ai dit au point 5 du paragraphe précédent, mais je ferai remarquer que ces critiques ne portent, en principe, que sur Le Marché international du film de Montréal, l'entité qui accompagne le FFMM et qui encadre les activités de ces professionnels du cinéma. Or, ce qui est pour le moins curieux dans leur discours, c'est que des déficiences qui portent sur l'organisation pratique (accueil des professionnels, déroulements des activités et planification de l'encadrement) finissent par s'exprimer en termes psychologiques : les dirigeants du FFMM manqueraient d'« ouverture » et de « générosité », il n'y aurait ni « collaboration » ni « dialogue » avec les professionnels d'ici. Bref, voilà seize personnes qui, comme l'ensemble du milieu, certainement, voudraient jouer un rôle dans ce qui deviendrait leur festival, y participer, faire partie de son conseil d'administration, le diriger en fait. On remarquera qu'ils veulent « conserver un événement cinématographique d'envergure internationale à Montréal », qu'ils s'inquiètent de la « relève » et déplorent que la « concentration du savoir et des pouvoirs » restent depuis un quart de siècle entre les mains de Serge Losique.

      Lorsqu'on met ce nom propre sur leurs frustrations, on peut se demander à bon droit si leurs critiques sur l'organisation du Marché du cinéma qui leur est destiné ne visent pas en fait à dénigrer tout autre chose, le Festival qui s'adresse au public. En tout cas, ces professionnels ne parlent ni de film ni de cinéma, mais il est clair qu'ils veulent la tête de Serge Losique. Avant d'en venir pour finir à cette question capitale (on comprendra vite mon ironie), il faut remarquer la traduction et l'édulcoration des griefs concrets (pourtant déjà assez peu précis) de ces professionnels par les critiques de cinéma. Cela donne de vagues allusions au fait que les professionnels sont peu nombreux à fréquenter le FFMM (en comparaison du TIFF) et que son Marché leur serait très peu utile. Est-ce que des journalistes ne pourraient pas enquêter à ce sujet au lieu de répéter des propos de salon et des rumeurs de cocktail ? Et si cela était totalement faux ? Bon, d'accord, il ne faut rien retenir des nombreux éloges du rapport de la SECOR sur le FFMM, mais mettre en relief toutes ses critiques, dont la plupart sont biaisées. Il faut accepter que les dénigreurs, les comploteurs et saboteurs jouent leur rôle dans le grand film annuel du FFMM.

Le véritable objectif des comploteurs et saboteurs

      En réalité, le film que jugent et dans lequel jouent nos critiques cinématographiques pourrait bien avoir été tourné par Orson Welles, c'est vrai, mais l'important est que le scénario est de Shakespeare. C'est son théâtre de la cruauté. Une petite cinquantaine de petits mesquins y font de la figuration, la plupart dépendant des subsides de la SODEC. Ils vont se porter à la défense de Monique Simard de la SODEC, car il faut inverser ici le nom et le déterminatif. Il vaut la peine, je crois, d'enregistrer quelques noms propres, parmi une quarantaine d'« acteurs du monde du cinéma » : Claire Dion, Jean-Pierre Fréchette, Philippe Lamarre, Jean Lemire, Yves Lapierre, Roger Frappier, François Girard, Denise Robert, Carole Laure, Alain Chartrand, Pierre Even, Richard Goudreau, Lyse Lafontaine, Christian Larouche, Kim McCraw, Luc Déry, Sébastien Pilote, Lorraine Richard, Nicole Robert, Philippe Falardeau, Manon Briand, Kim Nguyen, David La Haye (Mélanie Loisel, « "Saga" FFM-Sodec : des personnalités s'insurgent », le Devoir, 16 juillet 2014, p. B8; Luc Bélanger, la Presse, le 16 et le 17 juillet). Je n'ai pu trouver nulle part les textes de ces deux communiqués, ni la liste de la quarantaine d'acteurs subventionnés s'insurgeant contre le Bang Big de Danièle Cauchard. Ces personnalités auraient bien précisé qu'elles ne voulaient surtout pas s'immiscer dans « les relations entre la SODEC et le FFM », entendez qu'ils ne se prononcent pas sur le complot et la tentative de sabotage du festival. Ils auraient voulu que la directrice générale du FFMM reste stoïque et souffre en silence, qu'elle reste muette et qu'elle se taise. Mais cela n'a pas empêché ces subventionnés de tonitruer leur insurrection contre ces cris du coeur, alors qu'ils auraient dû, en principe, s'agissant de « divers acteurs du monde du cinéma », se porter à la défense du FFMM. Or, il fallait pour cela se porter à la défense de Serge Losique, le véritable héros du film.

      En effet, l'histoire qu'on achève d'analyser se révèle finalement beaucoup plus simple que peuvent le laisser croire les faits et les événements ou les motifs, les justifications et les accusations des comploteurs et saboteurs. Et c'est cela, le grand art. Le film s'intitule « le Citoyen Losique », mais personne ne le voit avant la fin, car le titre apparaît seulement, comme ici, en tête du générique, qui commence par afficher le nom de ses deux principales vedettes, Monique Simard et Danièle Cauchard, avec Michel Nadeau dans un important rôle de soutien. La plupart des figurants sont des journalistes qui ont prêté leur plume ou publié les textes d'opinion ou les entrevues de ces trois vedettes. Mais il faut dire que deux d'entre eux, O. Tremblay et A. Duchesne jouent avec un tel naturel la manipulation dont ils sont victimes qu'on se croirait dans un documentaire.

      Monique Simard s'exprime toujours clairement, elle, en dépit de la musique d'ambiance qui accompagne ses répliques (le réalisateur ignore une des règles fondamentales du Dogme 95) : « Parfois, lorsqu'il y a une grande symbiose entre un fondateur et un événement (pas seulement pour le FFM), le premier agit comme si l'institution lui appartenait. Sans penser à la relève ni à l'avenir » (l'entrevue du 10 juillet, avec roulement de tambour). Elle enchaîne, sur un fond de violon légèrement grinçant : « à un moment, il faut passer la main à une autre génération ». Si l'on revoit tout le film, avec toutes ses répliques assassines inspirées par la SODEC de Monique Simard, on comprend que l'on n'a pas distingué jusqu'ici les moyens de la fin. Les justifications-accusations qu'on a étudiées ne comptent pour rien dans ce scénario. Il s'agissait d'abord d'empêcher la tenu du FFMM 2014 en le mettant en « faillite technique ». Mais il s'agissait surtout de tuer le FFMM dès maintenant et pour toujours. Or, ce n'étaient là que des moyens, les armes qui permettraient de tuer Serge Losique. L'objectif avoué, finalement, c'est de le forcer à prendre sa retraite.

      Monique Simard le voudrait dans un poste « honorifique », rien de moins, mais surtout pas plus. Malheureusement, elle n'est pas une grande réalisatrice et n'a pas trouvé le bon scénariste, qui aurait tout de suite pensé, bien entendu, à l'engagement d'un tueur à gage. C'était si simple. O. Tremblay avait très bien compris la leçon de « ses sources », puisqu'elle l'écrit clairement dans son journal, les 7-8 juin : « le FFM aurait dû depuis longtemps passer la main à des jeunes avec vision d'avenir » — ...« tout en admirant la ténacité du capitaine, on le presse de lâcher sa baleine blanche qui l'entraîne au fond du gouffre culturel et financier » ! C'était tout de même déjà assez clair, mais la journaliste va répéter à nouveau le véritable objectif de la SODEC de Monique Simard, les 30-31 août : « Au long des ans, les institutions ont offert si souvent d'accroître leurs appuis [au FFMM] si Serge Losique acceptait le titre de président honorifique pour laisser la place à de nouvelles équipes. [...] Il a tant refusé de passer la main, ce capitaine-là ». Bien entendu, à l'écran, c'est la journaliste qui parle, mais le mixage du film est ainsi fait qu'on entend distinctement la voix de la souffleuse, hors champ. C'est un film, je l'ai dit, vraiment novateur qui donne dans la trame sonore expérimentale. L'avant-dernier plan est toutefois un plan américain du héros, au cinéma Impérial, qu'on entend dire distinctement : « comme toujours, c'est à moi que revient le dernier mot ». Et pour finir le gros plan attendu; mais je ne suis pas certain d'avoir entendu le héros murmurer « Rosebud ». Ce dont je suis sûr, en revanche, c'est qu'il faudrait un autre film pour le faire mourir. Et je ne le vois pas jouer dans ce film-là.

É-p-i-l-o-g-u-e

Une belle grimace

      Un clown tire la langue sur l'affiche de la 38e édition du FFM, on voit bien qu'il n'est pas à bout de souffle, au contraire. Il fait tout simplement une joyeuse grimace aux zélés fonctionnaires qui ont décrété que ce festival populaire devait disparaître parce que son directeur et sa gérance leur déplaisent. Le clown du FFM de 2014 se moque des rabat-joie, il a raison.

      La grimace s'adresse à tous ceux qui, depuis des années, ont entrepris une campagne de dénigrement du FFM, au premier rang des critiques patentés qui préfèrent les manifestations à paillettes et à vedettes de Cannes ou de Toronto, et ensuite des producteurs qui ne voient dans un festival qu'une foire commerciale. Le clown tire aussi la langue aux commères et commentateurs qui méprisent les « têtes blanches », fidèles spectateurs qui ont vieilli avec le FFM. De vieux cinéphiles ? Quelle horreur !

      Les « culturels » des trois gouvernements, sous la pression du « milieu », ont oublié leurs responsabilités civiques : le FFM s'adresse à un public de cinéphiles ordinaires, aux citoyens des communautés culturelles, aux curieux de cultures étrangères, à ceux qui ne peuvent voyager dans le monde de festival en festival, comme le font les gens du « milieu » justement.

      Je suis du côté du clown, de Serge Losique et de Danièle Cauchard, qui, d'année en année, nous offrent une grande fête du cinéma. Quand les ennemis du FFM l'auront tué, il ne restera sur les écrans de Montréal que des films américains, quelques films français, une douzaine de productions locales, et plus jamais d'histoires venues d'Iran, de Chine, du Japon, d'Italie, de Hongrie, du Kirghizistan ou d'Islande. Les snobs auront gagné.

      Jacques Godbout
      Le 30 août 2014

      Cette lettre ouverte du romancier et cinéaste, signée à titre de simple citoyen et cinéphile, a paru dans de nombreux médias, dont le Devoir du 3 septembre 2014, où sa publication était tout à fait appropriée.


FFMM 2015

III

Quelle tête de linotte sera cette année
notre nouvelle tête de Turc ?

— 10 mars 2015 — Mise en demeure de la SODEC au FFMM

      Le journaliste Vincent Larouche de la Presse nous apprendra en novembre prochain (6/11/2015) que c'est en mars de cette année que la SODEC de Monique Simard sert une mise en demeure au FFMM de Serge Losique pour qu'il rembourse le prétendu prêt d'un million de dollars contracté en 2010, et qui a été renégocié en 2012. A cette époque, la SODEC n'était pas encore, évidemment, la SODEC de Monique Simard. Mais maintenant, le 10 mars 2015 (DDR), nous sommes à six mois de l'ouverture du festival que la SODEC de Monique Simard...

1 — Dany Laferrière ?

      Un communiqué de presse du FFMM annonçait le 13 mars dernier que l'« Académicien » serait le président du jury du Grand Prix des Amériques. Tous les journaux — sauf le Devoir — ont aussitôt relancé la nouvelle, la Presse rejoignant même le romancier à Paris qui a fait un éloge bien senti du festival de Montréal. Est-ce qu'il ne sera pas cette année notre tête de Turc ? Ce ne serait pas pour me déplaire, car j'ai une dent contre lui, puisque je lui dois d'avoir (lui, évidemment, pas moi) à mon insu joué les cabotins pour lancer toute une affaire qui m'a fait beaucoup de mal, comme à tout le Québec, d'ailleurs. Et lorsqu'on est l'innocente victime de la plogue du cabotin, laissez-moi vous dire que l'on garde une dent contre lui et que ce n'est pas une dent de sagesse.

      Plutôt une incisive. Et ce n'est pas trop difficile d'improviser sur ce sujet : après la grand'Jaune (2007), voici le grand Nègre. Je ne peux tout de même pas écrire le grand'Noir et passer à la fois pour raciste et ignorant. J'ai tout de même des lettres et connais au moins le titre de son premier roman. Mais j'écrirai peut-être, finalement, le grand'Neg pour harmoniser la désignation avec la grand'Jaune, pour formuler la question que c'est toujours y répondre que de la poser : mais qu'est-ce qu'ils connaissent aux arts cinématographiques, ces deux-là ?

      Cela dit, il faut avouer que j'aurais beaucoup de mauvaise volonté à mettre sur la planche pour faire de la nomination de Dany Laferrière un mauvais choix. Bon, d'accord, je pourrais certainement écrire que ce n'est pas le romancier que l'on connaît qui aurait couronné l'Année dernière à Marienbad que donne en exemple Serge Losique, dans sa récente apologie de Denys Arcand, qui marque cette année sa sortie annuelle de l'ombre, un peu avant le nouveau combat de la tenue de son festival (« Denys Arcand méritait mieux », le Devoir, 21-22 mars 2015, p. B5). Je pourrais en effet l'écrire, mais ce serait un peu de l'esbroufe, car je ne suis pas du tout certain que le créateur du fameux Bouba, conseillé par Miz Littérature, ne nous fera pas, avec son jury, une telle surprise. Oui, finalement, Dany Laferrière serait bien capable de présider un jury couronnant un Alain Renais scénarisé par un Alain Robbe-Grillet. Et le pire, c'est-à-dire le mieux, est pour le moins évident : avec Dany Laferrière, le FFMM 2015 de Serge Losique a fort bien misé et gagné le gros lot. Non, si j'ai beaucoup aimé son seul film (Comment conquérir l'Amérique en une nuit, 2004), surtout pour ses dialogues (et sa TV, digne de celle, affreuse, sale et méchante d'Ettore Scola), je n'en ferai pas un cinéaste; non, je n'en ferai pas non plus un cinéphile, même si tel doit être le cas; oui, le président du FFMM 2015 est la plus grande vedette du monde culturel du Québec, un Québécois qui dépasse largement et sans aucun complexe nos frontières. Voilà donc un président par définition populaire, propre a représenter le caractère le plus important de cette fête populaire du cinéma. Et en plus, atout majeur du FFMM, c'est un pur « ethnique ». Car le FFMM ne fait pas seulement le bonheur des cinéphiles (comme ce fut mon cas l'an passé en voyant Ella de Libia Stella Gomez, toujours pas revenue sur nos écrans depuis), mais les grands plaisirs des curieux de la manivelle aux images venues de partout au monde, dont je suis un inconditionnel. Tiens, c'était le cas l'an passé du film d'Olivier Horn sur les traces du dramaturge d'origine haïtienne Jean-René Lemoine revenant lui-même sur les traces des assassins de sa mère. Je me répète ? Mais oui, car c'est un bon moyen d'être entendu et compris.

      Bref, le choix de Dany Laferrière comme président du jury du Grand Prix des Amériques est un coup de maître.

      Je ne peux donc pas le dénigrer. Mais cela ne fait rien : on a trois ou quatre mois devant nous pour se trouver la nouvelle tête de Turc. Certes, après la journaliste, puis la fonctionnaire, ce sera difficile de trouver mieux, je veux dire pire....

2 — Le Devoir ?

      Tiens ! pourquoi pas ? Mon journal est bien le seul à ne pas avoir encore annoncé la grande nouvelle. En tout cas, le journal est informé depuis hier. Informé de ma saute d'humeur en découvrant son méchant silence à ce sujet. Voici en effet la « Lettre » que je lui ai adressée, datée à la seconde près.

 

Redaction@leDevoir.com
Re: Lettre (au Devoir) — pour publication.
24 mars 2015, 16h13

Dany Laferrière, président du jury du FFMM 2015

    Je lis le Devoir tous les jours, mais je n'en savais rien. Pourtant, tous les médias du Québec (la Presse et Ici Radio-Canada, par exemple) ont publié la nouvelle venue du communiqué de presse du FFMM le 13 mars dernier. Dany Laferrière sera le président du jury du Grand Prix des Amériques cet automne 2015.

    Ai-je raison de penser que les journalistes du Devoir, qui s'en vont bientôt à Cannes en costume de bain, n'ont vraiment pas le temps de nous informer d'une telle nouvelle ? Ah ! Ils se préparent plutôt à fourbir leurs armes contre ce vieux croûton de festival ?

    Guy Laflèche, Laval


La réponse du Devoir et ma réplique

De : La rédaction du Devoir [redaction@ledevoir.com]
Envoyé : 24 mars 2015 16:16
A : Laflèche Guy
Objet : Re: Lettre (au Devoir) - pour publication

Bonjour monsieur Laflèche,

Votre commentaire a été transmis au directeur des pages culturelles, monsieur Paul Cauchon, ainsi qu'à notre directrice de l'information, madame Marie-Andrée Chouinard. Bien cordialement,

Amélie Gaudreau
Secrétaire de rédaction
Le Devoir


Chère madame,

Ma lettre ne s'adresse nullement à vos journalistes. Elle s'adresse à vos lecteurs, ceux qui vous lisent comme moi tous les jours. Je l'adresse à votre courrier des lecteurs. En cas de non publication, bien entendu, elle paraîtra aussitôt dans mes fichiers internets, avec mes plus vives protestations.

Prière de corriger : «Pourtant, touS les médias...».

Cordialement,

__gl>-


      À la suite de cet envoi, j'ai reçu, dans les minutes qui ont suivi, le message convenu qui annonce que vous serez publié, comme vous le verrez, si... Bref, c'est un refus anticipé de publication, comme tel a été le cas.

      Mais j'ai encore adressé un message au directeur du journal, avec copie au spécialiste des médias, le journaliste S. Baillargeon, le samedi 27 juin, à la suite de la publication de la section suivante, qui dénonce le fait que le boycottage du Devoir soit reparti comme l'année d'avant quatorze. Bref, les intervenants du Devoir ont été saisis de la question du boycottage :

      Paul Cauchon, directeur des pages culturelles (24 mars),
      Marie-Andrée Chouinard, directrice de l'information (24 mars),
      Bernard Descôteau, directeur (27 juin),
      Stéphane Baillargeon, spécialiste des médias (27 juin).

 

      Il faut dire qu'en matière de désinformation, on oublie toujours le plus simple. On pense spontanément à ceux qui sont au ciel ou à droite, à proclamer de fausses informations. Mais en réalité, la plus simple de toutes les formes de désinformation consiste tout bonnement à ne pas informer, à cacher de l'information. En voilà, si je ne me trompe, un tout excellent exemple.


C'est reparti comme en quatorze, non en treize, en 2013

Le Devoir entreprend un nouveau boycottage du FFMM

      Ce n'est pas croyable, mais tel est bien le cas.

Dany Laferrière, président du jury du prix des Amériques

      13 mars 2015.

      Ce serait peu de dire que le Devoir n'a pas rendu compte du premier événement de cet été concernant le FFMM, car, on l'a vu plus haut, il a refusé de le faire. En font preuve mes protestations auprès du journal. Xavier Dolan a été membre du jury du festival français des films de Cannes. Le Devoir en a parlé en long et en large. Il a même délégué, comme d'habitude, la responsable des critiques de cinéma, madame O. Tremblay, à Cannes ce printemps 2015. Dany Laferrière est choisi comme président du jury du festival québécois des films de Montréal. Silence total, délibéré. Là commence le boycottage 2015. Bref, c'est reparti comme en treize.

Mahomet de Majid Majidi, film d'ouverture du FFMM

      5 mai 2015.

      Voilà un événement des plus spectaculaires. D'ailleurs tous les médias du Québec en ont rendu compte, généralement en contrebalançant le communiqué de presse du FFMM avec l'article du Guardian de Londres, paru le 26 mars 2015, sur la non-réception du film, le fait en particulier qu'il n'a pu (pour des raisons techniques !) être présenté en grande première à Téhéran. C'est d'ailleurs pour cette raison (technique !) qu'il sera présenté en première mondiale à Montréal cet automne. Marc-André Lussier (la Presse, 7 mai 2015) mérite certainement la palme de l'information journalistique : son article (qui paraît deux jours après le communiqué du FFMM) rend compte de manière extrêmement précise et pertinente de l'impact international, c'est le cas de le dire, du coup d'éclat du FFMM 2015. T'Cha Dunlevy au Montreal Gazette et l'Ottawa Citizen présentent le 7 mai, comme d'autres, les vedettes de la technique cinématographique impliquées dans le film, dont le directeur photo Vittorio Storaro aux commandes des réalisations Apocalypse Now, Reds et the Last Emperor. Ici Radio-Canada, le 8 mai, décrit la controverse ayant entouré le projet et le tournage du film. Car on ne verra pas la face de Mahomet, mais cela ne serait pas suffisant pour les intégristes qui voudraient également qu'on ne le voit pas non plus de dos (et une petite fois en profil perdu, la caméra visant le ciel, paraît-il), qu'on ne le voit pas du tout et dans aucun film, jamais de film sur lui ! Mahomet, ce n'est ni Moïse, ni Jésus, aux figures pourtant si inspirantes.

      Etc. Je dis et cetera, car on a rendu compte de l'événement, non seulement dans tous les médias du Québec, mais d'un bout à l'autre du Canada, et on en rendra certainement compte également à l'étranger avant longtemps, car l'automne vient toujours très vite, trop vite à Montréal.

      Mais le débat est déjà commencé. Au Journal de Montréal, dans sa chronique, Sophie Durocher grimpe dans les rideaux pour cause d'anti-censure : « FFM : tapis rouge et dictature » (25 mai). Le film a été subventionné et est cautionné par le gouvernement iranien, celui qui garde en résidence surveillée le réalisateur Jafar Panahi, dont Taxi Teheran a remporté cette année l'Ours d'or à Berlin (où la nièce du réalisateur est venue recevoir son ourson, le réalisateur étant interdit de voyage à l'étranger). En fait, la chroniqueuse transforme en crise de nerfs morale les strictes informations objectives du Guardian, comme s'il n'était pas attendu qu'un musulman croyant comme notre réalisateur ait refusé de participer à un festival pour protester contre la publication des caricatures de Mahomet ! Non, rien ne permet à Sophie Durocher d'écrire gratuitement que Majidi n'est pas Charlie, car c'est une très grave accusation dont elle ne voit probablement pas la portée. Mais peut-être qu'elle ne l'est pas beaucoup, elle, car si l'on comprend bien Sophie Durocher, le FFMM devrait rendre la monnaie de sa pièce à l'Iran et frapper d'interdit sur son tapis rouge le film de Majidi. Elle a le droit à son opinion dans un texte d'opinion. Laissons-la-lui.

      Mais voici la mienne au sujet de Panahi et Majidi respectivement pour illustrer simplement pourquoi il faut laisser la chroniqueuse mariner dans ses opinions. J'ai vu le film précédent de Jafar Panahi, présenté au FFMM en 2011 (eh oui !). Il s'intitulait Ceci n'est pas un film et jamais un film n'aura porté un titre aussi juste. Une épouvantable niaiserie, sympathique, avec jeu de blocs et caméras cachées volées. Bien entendu, on a été de nombreux spectateurs de ce film à compatir avec le réalisateur iranien et à saluer ses efforts pour protester contre le régime de Téhéran. Par contre, je n'ai pas vu le court métrage de son fils, Panah Panahi, the First Film (qui serait ironique que sarcastique vis-à-vis du régime), présenté également au FFMM, en 2009, et qui aurait été aussi l'occasion, pour le père, de faire scandale en arborant ostensiblement, à Montréal, le foulard vert, symbole de l'opposition en Iran. Est-ce que Panahi, contrairement à Majidi, aurait voulu à toutes forces devenir le martyr d'un régime « islamiste » (pourtant modéré) ? Je souhaite donc que Taxi Teheran soit présenté au FFMM 2015 en première nord-américaine dans sa section « Hors concours ». On verra alors si le festival de Berlin a couronné un film ou le courage d'un réalisateur ostracisé dans son pays.

      Je n'ai jamais vu de film de Majid Majidi, pas même les trois qui ont remporté le Grand Prix des Amériques : les Enfants du ciel (1997), la Couleur de Dieu (1999) et le Secret de Baran (2001). Je ne suis pas trop attiré par le cinéma populaire, social et sentimental, à saveur religieuse. Cela dit, il m'est très souvent arrivé, en littérature comme au cinéma et en art, de découvrir après tout le monde des peintres, des romanciers et des réalisateurs de génie. Je ne peux évidemment pas en donner d'exemples sans m'incriminer. Je ne pense pas que ce sera le cas avec Majidi, mais tant mieux pour moi si cela se produisait.

      En revanche, le Mahomet de Majidi en ouverture du FFMM 2015 est une opération vraiment spectaculaire, un coup de génie. La seule annonce de la projection, avant même que l'événement ne se produise à Montréal, est en soi un événement. Et il ne fait pas de doute que la projection du film au FFMM ne manquera pas d'être un événement international, dont l'impact sera considérable. On ne joue pas (avec) Mahomet ! Or, qu'il le veuille ou non, c'est précisément ce que fait ou fait faire le cinéaste iranien avec son film à grand déploiement qui aura coûté cinquante millions de dollars. Vous vous rendez compte ? Après je ne sais combien de vies de Jésus, probablement autant que de commandements, dans les Dix Commandements, voici une version musulmane de l'enfance d'un prophète. Il sera très intéressant de comparer ce film populaire à nos films de même nature sur nos prophètes. Ensuite, un film « populaire » de cette nature en ouverture du FFMM est tout à fait à sa place et on n'aurait pu espérer rien de mieux en 2015.

      Les lecteurs du Devoir ne savent encore rien de cela, car leur journal vient de reprendre sa croisade contre le FFMM, son boycottage du festival québécois des films de Montréal.

Louis L. Roquet entre au Conseil d'administration du FFMM

7 mai 2015

      André Duchesne rend compte brièvement de la nomination dans la Presse le jour même, le 7 mai. Le président du CA d'Investissement Québec remplace Michel Nadeau. D'autres médias font écho à la nouvelle, mais je n'en trouve d'analyse nulle part... surtout pas au Devoir qui n'a pas parlé de l'événement. L'analyse aurait pourtant été à sa place dans ses pages consacrées à l'économie. Mais le 7 mai, son boycottage du FFMM était entrepris depuis longtemps à ce moment.

La nature et l'impact d'un boycottage en journalisme

      Toute la question est là. Le boycott n'est-il pas contradictoire avec le journalisme d'information ? Est-ce que le Devoir peut refuser, par militantisme cinématographique, de couvrir le festival québécois des films de Montréal, comme il l'a fait en 2013 ? Le quotidien a souvent été sur d'importantes questions un journal engagé, un journal de combat, et il a toujours été un journal d'opinion. Mais cela ne saurait inclure l'ostracisme et le boycottage d'opinions, d'événements ou de personnes. Il y a là, manifestement, un dérapage. Le boycottage est d'évidence une inconduite journalistique grave, un manque d'éthique qui dépasse même les règles élémentaires de l'information journalistique. Il s'agit d'un comportement profondément immoral, inacceptable dans une société de droit où tous les citoyens et tous les organismes doivent être traités avec respect et justice. Un journal, des journalistes n'ont pas le droit d'utiliser leur fonction fondamentale, qui est d'informer, à des fins personnelles ou partisanes, c'est le bon sens qui le dit. On peut certes critiquer toute personne ou toute institution qui entend jouer un rôle dans l'espace public (les éditoriaux, les chroniques, les critiques et les textes d'opinion sont justement là pour remplir ce rôle), mais jamais les boycotter.

      Serge Losique est l'un de ces citoyens et le FFMM est l'un de ces organismes. Aucun journaliste, aucun journal ne peut se donner le droit de faire disparaître le FFMM 2015. Cela ne va pas durer longtemps ? On aimerais pouvoir l'espérer.


Festival des films du Monde, le Devoir, 12 août 2015, p. B8.

Elle a bien pissé sa copie
elle est maintenant de la confrérie

      Manon Dumais vient de faire ses preuves. On appelle cela l'initiation. Les deux critiques cinématographiques du Devoir, André Lavoie et François Lévesque, surtout lui puisqu'il est maintenant journaliste, ont envoyé la novice au front. Il s'agissait de rendre compte de la conférence de presse du Festival des films du monde de Montréal, présentant les films en compétition pour le Grand Prix des Amériques et ceux des premières oeuvres, de même que les membres des deux jurys respectifs.

      Comme conférence de presse, il s'agissait d'une intervention par vidéo de Serge Losique et de quelques-uns des responsables de la programmation, avec réponses à des questions choisies parmi celles formulées par écrit par les journalistes dans un forum de discussion. Et voilà une façon typique de Serge Losique de contrôler de manière toute moderne les journalistes, d'autant plus que la conférence sur l'internet portait spécifiquement et bien entendu exclusivement sur la programmation du festival.

      Au lieu de rendre compte de manière professionnelle et critique de l'événement, Manon Dumais joue évidemment le jeu qu'on veut lui voir jouer au Devoir. Le titre du compte rendu de Christine Schlager dans la Presse est très correctement celui attendu par les organisateurs de l'événement : « Le FFM se dévoile en 2.0 », tandis que son compte rendu factuel est critique, mais dépourvu de toute agressivité. Manon Dumais, elle, doit évidemment savoir faire tout autre chose. Voici le titre et le chapeau de son papier :

      « Vingt-six films en compétition, dont un seul québécois. — Lors d'une laconique séance de clavardage, Serge Losique et son équipe de programmateurs ont dévoilé les titres de 26 films en compétition officielle. Un seul film québécois y figure : Mes ennemis de Stéphane Géhami ».

Voici, par comparaison, le chapeau du compte rendu de l'événement par la Presse Canadienne (publié dans la Presse, 12/08/2015) :

      « Le Festival des films du monde de Montréal (FFM) a dévoilé mardi la programmation de sa 39e édition, avec une compétition officielle qui ne comporte pas de très grands noms, mais qui prévoit un tour du monde en 26 longs métrages de 31 pays ».

On voit toute la différence entre la méchante mesquinerie du Devoir et les reportages de la Presse et de la Presse Canadienne, dès qu'on lit les trois articles en question. Pas moins de la moitié du papier de Manon Dumais, la première partie de son article, est en fait un texte de navrantes opinions, qui finit tout bonnement par l'insulte. Alors que les autres reporters ont parlé explicitement d'une conférence de presse par « le président et son équipe » (Christine Schlager), Manon Dumais déclare, et je cite et je souligne l'insulte injurieuse et vulgaire que rien ne justifie : « ... puisque Losique et ses sbires ne parlent que de programmation. Parlons-en ». Suit la seconde partie de l'article, la présentation très sommaire de la programmation, où les lecteurs du Devoir devraient être stupéfaits de lire sèchement « le jury est présidé par Dany Laferrière », tandis que les cinéphiles d'entre eux seront très surpris de l'introduction de la programmation en question : « Muhammad du cinéaste iranien Majid Majidi ouvrira le bal » !

      Mais revenons à celle qui est en passe de devenir à son tour la tête de linotte de son journal, question critique cinématographique. Elle nous apprend en effet, grandes nouvelles, que les organisateurs de la présentation du FFMM 2015 ont refusé de répondre aux questions des journalistes sur le financement du festival, sur le départ de Michel Nadeau remplacé par Louis Roquet au Conseil d'administration et, surtout, deux choses, d'abord pourquoi les réalisateurs québécois se tournent-ils systématiquement vers le TIFF de Toronto ? et ensuite, questions vraiment dignes de Mme O. Tremblay : mais où sont donc les grands réalisateurs dans cette compétition ? et quelles seront donc les vedettes à venir défiler sur le tapis rouge du festival ? Bien sûr, ce n'est pas elle qui a posé ces questions stupides. Or, là est justement la question, c'est le cas de le dire.

      En effet, Manon Dumais rend compte d'une conférence de presse à laquelle seuls les journalistes étaient conviés. Si elle n'est pas née de la dernière pluie, elle savait d'avance que ces questions seraient posées et que les responsables du festival n'y répondraient pas. Dès lors, un bon compte rendu critique de la conférence aurait été de nous apprendre quels sont les journalistes qui ont posé ces questions et, bien entendu, de les départager entre les naïfs de bonne foi et les (vieux) guérilleros qui rêvent encore de tuer Serge Losique et son festival avec de telles questions « assassines »... En fait, les journalistes, les journalistes du Devoir en particulier, ont été incapables de faire tout simplement leur travail au cours de l'été. Qui donc a tenté d'interviewer Michel Nadeau et Louis Roquet ? Qui donc a défoncé la porte de la SODEC de Monique Simard pour la forcer (je parle de la SODEC, bien entendu) à expliquer son comportement de l'année dernière et un éventuel financement du FFMM 2015 (ou non) cette année ? Et ce ne sont pas les sujets d'enquête qui manquent sur ce festival, ce que prouvent d'ailleurs les questions impertinentes auxquelles on sait pertinemment qu'on n'aura pas de réponse.

      Mais il s'agit tout de même un peu de cinéma. Manon Dumais a depuis mardi la liste des 26 films en compétition pour le Grand Prix des Amériques. Elle est incapable de nous informer sur ces cinéastes qui n'en sont certainement pas tous à leur premier film (ce qui serait d'ailleurs une information pertinente). Au lieu de demander aux responsables du FFMM quels sont les « grands noms » parmi eux (ils ne sont tout de même pas assez crétins pour répondre à pareille question), au lieu de l'affirmer péremptoirement (et peut-être avec raison s'il s'avère, comme je peux le présupposer, qu'on ne trouve parmi eux aucun réalisateur vedette), il me semble que c'est aux critiques journalistiques de faire ce travail de recherche et d'analyse pour nous en informer.

      En tout cas, retenons que Manon Dumais commence à faire très bien ses classes. Elle vient de prouver d'une seule copie qu'elle est digne de marquer le territoire du Devoir question détestation militante. On peut être certain qu'elle aura encore moins de peine à faire l'éloge et la promotion du Festival du nouveau cinéma cet automne, festival, elle ne l'oublira pas, dont le Devoir est un partenaire.


Fin du boycottage ? — 25 août 2015

Comment le Devoir couvrira-t-il le FFMM 2015 ?

      On lit aujourd'hui en première page du journal : « Dany Laferrière dans son habit de festivalier » par O. Tremblay. Sous la photo de l'écrivain : « Dany Laferrière a été accueilli à l'Académie française en mai dernier. Il troque son habit d'académicien pour celui de président de la présente édition du FFM ».

      Si le Devoir avait publié cette entrevue en mars, est-ce que cela aurait pu avoir un impact sur le financement du FFMM cette année ? Le moins que l'on puisse dire, c'est qu'il est maintenant trop tard, bien entendu. En revanche, Dany Laferrière fait une excellente promotion du festival.

      Voilà en tout cas un texte fort bien rédigé et fort bien pensé. Il est entièrement de l'écrivain interviewé. Et le plus grand plaisir des lecteurs du journal qui aiment et qui tiennent au FFMM, comme celui de la direction du festival, bien entendu, est certainement de lire sous la plume même d'O. Tremblay tout le contraire de ce qu'elle a écrit depuis de nombreuses années, un éloge du festival de Serge Losique et de ses collaborateurs, à mille lieues des critiques anonymes diffamatoires que la SODEC de Monique Simard publiait dans le Devoir l'année dernière, sous le masque machiavélique de « sources bien informées » de la journaliste ainsi manipulée.

      Cette fois-ci, c'est à titre de président du jury que l'écrivain présente, dans le Devoir, le festival de Montréal pour ce qu'il est, une grande fête populaire du cinéma, pour le bonheur des cinéphiles, bien éloignée des attentes « journalistiques » des « spécialistes », photographies de vedettes sur tapis rouge d'un côté, conférences de presse des grands réalisateurs et acteurs vedettes de l'autre. Comme l'explique bien Dany Laferrière, et de manière autobiographique, un film, cela se voit sur écran de cinéma et on en parle ensuite des heures et des heures. On en fait même des analyses critiques dans la presse. Si cela n'intéresse pas les journalistes du Devoir, eh bien ! voilà une manière polie de leur dire d'aller voir ailleurs, de leur rappeler qu'ils vont trouver ce qu'ils cherchent à Toronto dans quelques semaines...

—— La couverture du FFMM 2015 au Devoir

      C'est O. Tremblay et elle seule, comme depuis de nombreuses années (lorsqu'elle ne le boude pas, comme en 2013), qui a « couvert » le FFMM cette année. Est-ce qu'on ne pourrait pas penser à la relève ? Du sang neuf ! Des coups d'éclat journalistiques ! Des entrevues et des enquêtes originales, pertinentes, novatrices, qu'on ne trouve à la remorque d'aucun journal de Montréal. Un peu de transparence, de collégialité et, surtout, une préparation adéquate de nouveaux joueurs qu'il faut associer à ce travail journalistique. Il est temps qu'O. Tremblay cesse d'avoir la main haute sur la couverture du FFMM au journal. Sa permanence syndicale ne lui donne pas tous les droits. Sans compter que les âges vieillissent tous en même temps : « Et puis, le président du FFM ne rajeunit pas... » (30/08/2015, p. A8); alors la journaliste non plus. Quoi encore ? Ah ! oui, le public et le milieu cinématographique. Le public, en particulier, se fait de plus en plus vieux. O. Tremblay est manifestement incapable de rajeunir son audience. Les sondages l'ont démontré : le FFMM et le Devoir ont un public de Montréalais tout à fait comparable, des vieux cinéphiles, en ce qui concerne la culture cinématographique. Sans compter que la journaliste ne parvient à obtenir aucune entrevue des gens du milieu pour avoir leurs réactions sur le festival. Même la SODEC de Monique Simard refuse maintenant de jouer les « sources bien informées ». Totale pénurie journalistique. « Des mots sont lancés [sic], une relève trépigne dans l'ombre ». Est-ce qu'O. Tremblay se maintiendra encore à la barre de la couverture du FFMM l'an prochain ? Sur ce point, il ne fait pas de doute que « l'avenir devrait se jouer au cours des 12 prochains mois ». Ce sera non, si la direction du journal ne réussit pas à renégocier les tâches de la journaliste; ou oui, si tel pouvait être le cas. Mais chose certaine, il apparaît qu'elle sera encore à Cannes et à Toronto, avant de venir faire la promotion du FNC. Mais qu'en sera-t-il si le FFMM disparaît ? Il est assuré ou du moins probable qu'elle cessera de le couvrir. Tout va se jouer au quarantième. « Faudra surveiller la suite ». Mon titre, pour cette analyse en profondeur : « La couverture du FFMM au Devoir : une décision après le 40e anniversaire ».

      Bref, on a eu droit encore cette année à une couverture du Devoir des plus convenues, même si elle était soutenue, presque quotidienne. Quatre papiers présentant soit, dans un seul cas, un film (« Il danse avec les loups », 29/08, critique réécrite comme si on ne l'avait pas déjà lue lors de la sortie en salle dix jour plus tard, « Des Mongols et des loups », 12/09/2015), soit des sommaires rapides de quelques films (1/09, 2/09 et 6/09), avec l'habituelle présentation du programme (27/08) et les comptes rendus de la soirée et du film d'ouverture et de fermeture (28/08 et 8/09). Deux fois, le journal reprend les nouvelles déjà sorties dans les autres médias de Montréal, d'abord les déclarations du maire Denis Coderre (passim, avec le seul article qui n'est pas d'O. Tremblay, mais de Jeanne Corriveau, entrefilet du 27/08), ensuite les difficultés du festival à payer ses employés (en première page ! 2/09/2015, puis passim), mais sans rendre compte plus tard du règlement des salaires (avec dédommagement de 20%) grâce à un prêt hypothécaire de 150.000$ de Yann Béliveau de No Limit Loans (Ici Radio-Canada, 11/09/2015). Cela est sans commune mesure avec les couvertures que le Devoir, journal de Montréal, offre sous la plume de la journaliste pour les festivals de Cannes et de Toronto, qui sont pourtant de Cannes et de Toronto, comme leur nom l'indique. Oublions sa couverture publicitaire annuelle du Festival du nouveau cinéma de Montréal, strictement promotionnelle.

      Il faut ajouter les bourdes. C'est inévitable avec O. Tremblay.

      Elle a rendu compte du Mahomet de Majid Majidi à venir, puis venu (27 et 28 août). Sans crier gare, dans son « analyse » du 30 août (un chef-d'oeuvre de sottises, il est vrai, je n'y reviendrai jamais assez), elle déclare : « le bide du film d'ouverture [...] aura servi seulement à faire parler d'un festival en manque criant de publicité » (30/08/2015). Un « bide », en titi parisien, c'est non seulement un échec, mais un fiasco tout à fait inattendu (il est probable que la journaliste, adepte du « style d'Odile », ne connaît pas le sens du vocable). Or, tel n'a pas été le cas du film en question, présenté en séances supplémentaires deux fois à salle comble, quatre fois au total durant le festival, en comptant la séance d'ouverture. Par ailleurs, ce n'est pas le Devoir qui aura contribué à la publicité à l'occasion du choix du film d'ouverture, le journal ayant boycotté la nouvelle cet été. Lorsque son journal boycotte un événement, on est mal placé pour le déclarer « en manque criant de publicité ». D'autant que ce n'est pas vrai.

      Seconde bourde. Dans la liste des déboires du FFMM en cours, cette nouvelle haute en couleur : « Une adjointe de Serge Losique, chargée de logistique, a quitté la barque de son côté. Il y aurait eu cafouillage à la suite de projections qu'elle a annulées ce lundi sur communiqués de presse, puis qui ont été réintégrées par le président du festival, qui aurait injurié la dame en public, entraînant sa démission » (2/09/2015, p. A8). De tels ragots ont-ils leur place dans le Devoir ? De tels incidents se produisent dans n'importe quel ministère et je vois mal Jeanne Corriveau nous en rapporter d'aussi savoureusement insipides du bureau du maire de Montréal, par exemple.

      Mais ce n'est pas tout. La journaliste nous a pondu son « Analyse — FFM : une décision après le 40e anniversaire » (30/08/2015, encore en première page !). Il s'agit d'un sommaire de ce que tout le monde sait depuis le lancement du festival, complété des jugements et prédictions de la journaliste, ce que j'ai parodié plus haut. L'analyse en question consiste à expliquer que le festival a beaucoup de difficultés, étant boycotté par les organismes publics. Et l'opinion de la journaliste est (1) qu'il sera probablement tout de même financé l'année prochaine par la ville de Montréal, puisque le maire appelle à un « dialogue » !, et cela pour son « 40e anniversaire », la belle affaire. (2) Mais pas au-delà, car il y a deux possibilités : ou bien Serge Losique « accepte des propositions de Gilbert Rozon ou d'un autre », obtenant ainsi la subvention de la ville de Montréal (jamais question de la SODEC cette année, et pour cause !), ou « il se rend, sans subsides d'État, jusqu'à son fameux [sic] 40e anniversaire », mais après, « au-delà de cette limite, son ticket ne saurait être encore valable ».

      C'est tout. Comme analyse (en première page du journal), c'est fort. Le jeu, on l'aura compris, consiste à confondre le FFMM avec un film ou, plutôt, avec une série télévisée, pour en faire une « critique ». Et la journaliste de nous proposer ses prédictions sur les prochains épisodes. Est-ce que Serge Losique réussira à maintenir son festival encore une fois sans subvention ? Est-ce qu'il acceptera l'« offre » de Gilbert Rozon ? Dans ce cas, elle peut prédire que son festival a un avenir. Dans le cas contraire, elle pense que ce sera la dernière édition du FFMM. Et comme on le voit, elle « pense ». Très fort.


3 — Denis Coderre !

      Les faits sont assez simples. Dany Laferrière, président du jury du festival, a persuadé le maire de Montréal, Denis Coderre, d'assister à l'ouverture du FFMM. Comme le dira Dany Laferrière en entrevue (la Presse, 28/08/2015, p. A15), « quand on reçoit des invités de quelque 80 pays, on doit être là pour leur ouvrir la porte ».

      Or, le maire de Montréal a tout de suite été interrogé à ce sujet, pour savoir s'il ne cautionnerait pas ainsi le FFMM que la ville refuse de subventionner pour la deuxième année (on sait que la SODEC de Monique Simard a mis le Service montréalais de la culture de Manon Gauthier dans sa poche, tout comme Télé-film Canada, de sorte que la « ville » refuse toute subvention au festival). Et Denis Coderre de s'empresser de dire que non seulement tel n'était pas le cas, mais qu'il exigeait la démission du président du festival pour que le FFMM puisse être à nouveau subventionné l'année prochaine, pour son quarantième anniversaire. Le mercredi matin, 26 août, les manchettes des journaux étaient on ne peut plus claires et la nouvelle a fait le tour de la ville et du Québec en quelques heures. Même la Presse titrait « Coderre appelle Losique à se retirer du FFMM », avec un article qui s'ouvrait ainsi : « Le maire de Montréal a publiquement invité Serge Losique à se retirer du Festival des films de Montréal (FFM) pour assurer la survie de l'événement ».

      Mais très vite, la grossièreté de la déclaration a rejoint son auteur et le maire a rectifié le tir, plaidant qu'il avait été mal compris ou s'était mal exprimé. Voyons donc. Une petite enquête auprès des services des communications de la ville et du bureau du maire serait passionnante à mener. Il suit que la Presse, par exemple, a dû réécrire son article et en changer le titre qui devient, « Avenir du FFM : Coderre souhaite un changement de cap », avec une précision : « Dans une version précédente de ce texte, nous avons erronément écrit que le maire Denis Coderre avait publiquement invité Serge Losique à se retirer du Festival des films du monde (FFM). Nos excuses ». Le journaliste Pierre-André Normandin avait pourtant écrit ce que le maire avait dit assez explicitement pour que tout le monde le comprenne, soit « Denis Coderre veut le retrait de Serge Losique » : « plus tôt dans la journée, le maire avait laissé entendre que l'avenir du FFM dépendait du retrait de M. Losique au sein de l'événement » (Canoe.ca, 26/08/2015). Et en effet, la journaliste Améli Pineda a dû changer elle aussi, au cours de l'après-midi, le contenu de son article publié d'abord à 10h30.

      Cela dit, le maire de Montréal a continué de répéter implicitement, mais tout aussi clairement, ce qu'il avait dit assez explicitement : sa présence à l'ouverture du FFMM ne saurait être une caution sur « ce qui se passe présentement au FFM » et il comptait même profiter de l'invitation pour « passer directement le message ». Le message ? Je cite, « Losique a des décisions à prendre » (la Presse, 26/08/2015, déclaration reprise par de nombreux médias). « Ce qui se passe » au festival, ce n'est pas le fait que la ville lui refuse sa subvention, mais les raisons qu'elle aurait de le faire; or, le maire a refusé obstinément de répondre aux journalistes à ce sujet; il s'est donc contenté de dire qu'« on ne va pas se cacher la tête dans le sable ». C'est lui qui le premier a parlé de sa tête, pas moi, mais je vais évidemment y revenir.

      Devant les caméras de la télévision et de la presse, à l'ouverture du festival, on voit le maire de Montréal serrer froidement la main de Serge Losique, figure boudeuse et regard au ciel de manière méprisante, pour déclarer ensuite, en s'adressant à monsieur Losique, « après le festival, on va se parler » ! Évidemment, il était difficile d'être plus grossier et vulgaire dans les circonstances, surtout après avoir fait passer le message dans la presse. Manifestement, le maire de Montréal ne comprend pas que la ville compte pour peu dans cette histoire, puisque c'est la SODEC de Monique Simard qui impose (à la ville) qu'on serre les cordons de la bourse avec l'espoir d'étouffer le festival et d'obtenir la démission de Serge Losique. Il ne voit donc pas qu'il est manipulé par la SODEC de Monique Simard à travers ses propres services municipaux, les services de la culture de la conseillère Manon Gauthier. Il ne comprend surtout pas qu'il n'a aucun autre pouvoir que celui de refuser de subventionner le FFMM et qu'il est incapable de le justifier : les services de la ville n'ont manifestement aucune expertise ni aucune compétence pour juger de ce festival du cinéma, puisque, à ce qu'on sache, ils n'ont procédé à aucune évaluation, mais à des rencontres informelles avec la SODEC de Monique Simard. Il suit que le maire n'a aucune autorité morale pour justifier le sabotage du festival, sabotage auquel il participe avec la plus parfaite inconscience. Il y a des tautologie qui méritent d'être exprimées.

      Même les pires adversaires du FFMM, ceux même qui veulent aussi la retraite de Serge Losique, ont manifestement été très gênés de ces déclarations et de ce comportement inqualifiables. En tout cas, si on pouvait croire qu'il y avait des limites à la sottise, et qu'on ne pourrait ajouter encore cette année une nouvelle tête de Turc à nos têtes de linotte..., une tête assez forte pour remporter le Grand Prix des Amériques, on se trompait. Lorsque j'ai lancé la question, pour m'amuser, jamais je n'aurais pensé obtenir une réponse aussi spectaculaire. On dira qu'il n'y a pas eu beaucoup de compétition cette année dans cette catégorie, mais il faut tout de même signaler la belle performance de Gilbert Rozon, président du festival d'humoristes Juste pour rire, avec Maxime Rémillard de Remstar et du Groupe V Média, qui s'est modestement proposé (cf. la Presse, 27/08/2105, par exemple, confirmé en entrevue à Ici Radio-Canada) au maire de Montréal pour remplacer Serge Losique, en suggérant même que celui-ci devienne son président « honorifique ». Mais des hommes d'affaire, qui ne sont élus par personne, n'avaient aucune chance de gagner et ont en effet mordu la poussière. Et lorsque c'est le maire d'une ville comme Montréal qui remporte la palme, il y a de quoi se réjouir. Se réjouir ? Bien sûr, puisque c'est l'occasion de juger à son mérite le dénigrement systématique et la tentative d'assassinat du FFMM. Ce n'est plus une journaliste, ce n'est plus une fonctionnaire, c'est un élu, le maire de la métropole francophone de l'Amérique du nord, là où se déroule depuis quarante ans le FFMM, qui aurait mieux fait de se mettre la tête dans le sable.

Le boycottage du FFMM de Serge Losique
par les organismes gouvernementaux
a bien assez duré

      La SODEC de Monique Simard n'a pas réussi à mettre le FFMM en faillite l'année dernière, en 2014, alors qu'elle le croyait à tort en « faillite technique ». Le maire de Montréal, Denis Coderre, à l'écoute de ses fonctionnaires, sous la botte de la SODEC de Monique Simard (nous sommes dans un film 3-X sado-maso), ne réussira pas non plus à obtenir la démission de Serge Losique (qui n'a aucun talent pour jouer dans ces films japonais à la hara-kiri).

      Cela dit, la ville de Montréal, avec le budget de 150 000 $ qu'elle refuse au FFMM pour la deuxième année pourrait tout bonnement se payer un tueur à gage : Wanted : Serge Losique — 300 mille piastres, mort ou vif, mais démissionnaire (c'est devenu un western, avec les Gilbert Dalton Rozon dans d'importants rôles comiques de soutien pour prendre la tête du festival, et pas juste pour rire, un western spaghetti, avec harmonica).

      Mais heureusement, on était toujours en file devant les salles du FFMM en 2015 (un film à petit budget, mais un film grand public, un film d'amour joué avec un très grand naturel, sans aucun professionnel : les acteurs sont tous des amateurs). Et cela aura été une heureuse expérience, puisque faute de subvention, les grands films n'étaient pas au rendez-vous, tandis que les films choisis n'ont généralement pas été présentés par leur réalisateur et leurs comédiens. Cet exercice de simplicité involontaire a réussi à illustrer que le cinéma sera toujours la rencontre des films et du public. Qu'un festival de cinéma se déroule sur les écrans. Que là est l'essentiel.

      Mais puisque l'exercice a été réalisé avec succès, il apparaît que le boycottage du festival de Serge Losique par les organismes gouvernementaux a bien assez duré, car ce sont les Montréalais, le public de Montréal, qui est la première victime de la situation mise en place par des fonctionnaires irresponsables et avalisée par des politiciens qui font ainsi la preuve de leur inculture (un film d'horreur, morbide, avec beaucoup de longueurs).

      On vient de lire ma conclusion. J'essaie, avec un peu d'humour, de rester dans les limites d'un débat qui doit être civilisé, sinon serein. Mais je dois dire qu'il faut en revenir à la conclusion de Jacques Godbout de l'année dernière, incomparablement plus virulente que la mienne. C'était la protestation d'un artiste, romancier et réalisateur, protestation qui reste toujours pertinente après une année, ce qui est fort triste. Mon humour grinçant ne peut pas valoir l'expression claire et nette de la stricte vérité par un écrivain. On relira donc l'intervention de Jacques Godbout sur ces snobs, commères, producteurs d'intérêts commerciaux, gens du petit milieu et critiques patentés dont l'objectif est de tuer le FFMM.


FFMM 2016

IV

Triomphe annoncé
du 40e anniversaire du FFMM
de Serge Losique

      Depuis l'automne dernier, les cinéphiles montréalais sont nombreux à se demander ce qu'il adviendra de leur festival en 2016. Deux grands journaux de Montréal, la Presse et le Devoir, devraient être une bonne source d'information à ce sujet. Et sur ce point, la Presse remporte la mise, au 10 juin 2016, quatre à zéro. Ce n'est pas rien. Du strict point de vue professionnel, question « cinéma », les journalistes du Devoir ne sont pas vite sur leurs patins.

      Printemps 2016. La SODEC de Monique Simard est en train de subir un nouveau revers, car il apparaît évident que le FFMM de Serge Losique connaîtra sa quarantième édition. Ce n'est pas rien. Non, je ne parle pas des quarante années du FFMM. Je parle du tout dernier coup de la SODEC de Monique Simard pour tenter d'euthanasier le festival du cinéma des Montréalais, en le croyant sous respirateur artificiel.


L'affaire des salaires

      Pour comprendre la situation, il faut revenir sur les séquelles du FFMM 2015 qui, pour la deuxième fois, se produisait, grâce à la SODEC de Monique Simard, sans aucune subvention, non seulement de la SODEC, mais également de Téléfim Canada et de la ville de Montréal.

      Au bout du compte, le festival n'avait plus l'argent pour payer ses employés, après cette édition de l'automne 2015. Ceux-ci, qui avaient droit à leur salaire, bien entendu, ont lancé des poursuites contre le festival qui s'y est pris à deux fois pour rencontrer ses obligations. L'affaire s'est donc passée en deux étapes. Le FFMM a d'abord obtenu, comme on l'a lu plus haut, un prêt de 150 000 $ de la compagnie No Limit Loan de Yann Béliveau, grâce à une hypothèque sur le cinéma Impérial (O. Tremblay, dans le Devoir, s'est délectée de ces déboires : 2/9/2015, 31/10/2015, etc.). Mais ce montant n'a pas été suffisant pour rencontrer tous les salaires impayés. On est alors vers le 15 septembre 2015. Il a fallu une nouvelle poursuite de 78 employés (en fait une plainte à la Commission des normes du travail), et un nouvel emprunt du FFMM d'environ 200 000 $, pour que tous les salaires soient payés. Ce dernier épisode s'est terminé en décembre 2015 (Vincent Larouche, la Presse, 5/12/2015; O. Tremblay, le Devoir, 10/2/2016 !).


La SODEC vs le FFMM, 3 novembre 2015 — 886 311,64 $

      À ce moment, il ne fait pas de doute pour la SODEC de Monique Simard que le festival des FFMM de Serge Losique est maintenant au plancher. Sonné, elle le croit au moins dans les câbles. Dans ce combat extrême, la SODEC de Monique Simard est à la fois combattante et arbitre. Elle peut tout contre le FFMM. Si elle l'avait supposé à tort en « faillite technique » en 2013, voilà l'occasion rêvée de mettre le FFMM en faillite technicobureaucratique, c'est-à-dire en faillite pas pour rire (salut Gilbert Rozon !). C'est le journaliste Vincent Larouche qui révèle la poursuite de 900 000 $ de la SODEC de Monique Simard contre le FFMM (la Presse, 6/11/2015).

      L'objectif est de récupérer le prétendu prêt d'un million de dollars avancé au FFMM en juillet 2010 (l'entente a été renégociée en décembre 2012, comme on l'a vu plus haut et comme l'a dévoilé Vincent Larouche). La poursuite de la SODEC de Monique Simard est intentée le 3 novembre 2015; le solde réclamé est de 886 312 $. Si le FFMM a toutes les difficultés du monde à payer ses employés à ce moment, on ne saurait douter qu'il ne peut trouver un million de dollars avant son édition du 40e anniversaire. Or, la poursuite est le prolongement d'une mise en demeure adressée au FFMM le 15 mars 2015 ! Si vous replacez ce petit événement anodin dans la chronologie dressée plus haut, vous comprendrez que la SODEC de Monique Simard ne compte plus les coups...

      Mais ce n'est pas tout. Maintenant que la SODEC de Monique Simard économise beaucoup en refusant ses subventions au FFMM, elle peut se payer rien de moins qu'une porte-parole (car auparavant, faute de fonds certainement, c'est Monique Simard qui devait jouer personnellement ce rôle). Celle-ci, Isabelle Mercille, a expliqué au journaliste de la Presse que c'est en dernier recours, lorsque toutes les autres voies ont été explorées, que la SODEC de Monique Simard décide de recourir aux tribunaux. Tu parles ! On a tous hâte d'apprendre ce que la SODEC de Monique Simard a proposé au FFMM de Serge Losique pour qu'il puisse faire face au remboursement d'un million de dollars dans les circonstances que l'on connaît.


Réplique : le FFMM vs la SODEC, 23 décembre 2015 — 2 246 000 $

      C'est encore le journaliste Vincent Larouche, dans la Presse, le 29 mars 2016, qui révèle la contre-attaque du FFMM de Serge Losique. Les arguments présentés par le bureau d'avocats Duplessis-Robillard sont résumés ainsi par le journaliste.

      D'abord, c'est « de bon droit » que le FFMM ne rembourse pas son prêt et ses intérêts auprès de l'organisme, puisque la SODEC de Monique Simard, en refusant ses subventions au festival et surtout par « effet de dominos » a elle-même créé une situation où le remboursement est (pour l'instant) impossible.

      Ensuite et surtout, le FFMM de Serge Losique renverse les charges pour trois raisons fort simples. (1) La présidente de la SODEC est en conflit d'intérêts, puisqu'elle a été membre du Conseil des gouverneurs du FIFM en 2005 (en plus de participer au groupe de réflexion qui a produit le FIFM destiné à déloger le FFMM de Serge Losique). (2) La SODEC de Monique Simard a nui à la réputation du festival en divulguant des informations confidentielles (pire : on a lu plus haut que ces informations confidentielles ont été tronquées de leurs conclusions favorables au FFMM en ce qui concerne l'avis des évaluateurs). (3) Enfin, la SODEC de Monique Simard a failli a sa mission qui est de soutenir les entreprises culturelles (tandis qu'elle n'a nullement pour rôle de les régir, bien entendu).

      Voici plus exactement le sommaire de Mtre François Robillard du Bureau Duplessis Robillard, avocat du FFMM, dans sa plaidoirie pour défendre la Demande reconventionnelle, la contre-poursuite du festival contre la SODEC. Ce sommaire est ensuite développé sur une douzaine de pages et appuyé d'une quinzaine de documents. Plusieurs de ces documents, qui n'étaient pas encore du domaine public avant d'être versés au dossier de la poursuite judiciaire, sont maintenant utilisés pour compléter la présente analyse critique (le 10 juin 2016), avec la référence DDR (dossier de la Demande reconventionnelle pour la cause 500-17-091217-151 qui se consulte au Palais de Justice de Montréal).

      C'est de bon droit que le FFM refuse de payer les sommes réclamées en l'instance par la SODEC et ce, essentiellement pour les motifs suivants, lesquels seront traités plus abondamment ci-après :

      A. La SODEC a fait défaut de respecter ses propres obligations envers le FFM et ce, en cessant, entre autres, de verser dès l'année 2014 les subventions et l'aide financière que la SODEC s'était engagée à verser au FFM;

      B. Par le biais de sa présidente et chef de direction, madame Monique Simard, entrée en fonction en janvier 2014, la SODEC s'est placée en situation de conflit d'intérêts et/ou d'apparence de conflit d'intérêts et ce, considérant, entre autres, son implication à titre de membre du conseil des gouverneurs du défunt « Festival international de films de Montréal » créé en 2005, contrevenant par le fait même à ses obligations légales et conventionnelles et à ses propres règles d'éthique;

      C. En communiquant à diverses personnes dont des médias d'information et ce, sans avis préalable et sans le consentement du FFM, de faux renseignements et analyses fausses et trompeuses, documents financiers relatifs aux affaires du FFM, que la SODEC savait ou devait savoir confidentiels et privés, dans le but à peine subtil de nuire au FFM et lui causer des pertes financières, contrevenant par le fait même à ses obligations légales et conventionnelles.

—— Mtre François Robillard, DDC.


FFMM 2016, La Presse vs le Devoir : trois à zéro

      Dans les jours qui ont suivi la publication du second article de Vincent Larouche — c'était alors deux à zéro —, le Devoir, qui n'a pas rendu compte de l'information, nous présentait l'agenda de sa journaliste vedette pour son festival annuel de Cannes, ce printemps (30/3/2016). Une belle liste de films qu'on ne verra pas à Montréal avant 18 mois, avec la grande nouvelle que Woody Allen ouvrira le festival et que Xavier Dolan, certainement, en sera. J'ai protesté auprès de la rédaction du journal pour son silence volontaire sur la nouvelle importante sortie dans la Presse et qui n'est tout de même pas un fait divers, d'autant qu'une contre-poursuite de deux millions et demi de dollars est une bonne occasion de faire connaître sa version des faits. Pourtant, la nouvelle de la Presse a tout de suite été reprise dans Ici Radio-Canada (29/3/2016), à la suite d'une entrevue de la ministre Mélanie Joly par Alain Gravel : on n'avait reçu aucune demande d'aide du FFMM à Ottawa à ce moment.

      Mario Girard a pris le relais de Vincent Larouche, toujours dans la Presse, trois jours plus tard seulement, le 1er avril, avec une entrevue de Serge Losique, dans sa chronique intitulée « Une 40e année symbolique pour le FFM ». Fidèle à son habitude, Serge Losique veut tout ignorer des difficultés de son festival (comme naguère des critiques qu'on lui adressait). Il parle plutôt avec enthousiasme de sa programmation en cours. Trente films sont à ce moment sélectionnés, un hommage au cinéma turc s'élabore et, contrairement aux prédictions de mauvais augures, une section du cinéma chinois est déjà en place. Mario Girard, qui a reçu la primeur d'un documentaire inédit qui tartine Poutine, n'en fait pas moins le tour des difficultés du FFMM, journalisme oblige. Il n'a pu obtenir de nouvelles informations de la SODEC, bien entendu, mais pas non plus de la ville de Montréal; il a tout de même interrogé la municipalité pour informer les Montréalais, ce qui constitue un bel effort journalistique : « le moment n'est pas encore venu de discuter (sic) publiquement de ce dossier », lui a fait dire l'ineffable Manon Gauthier, responsable de la culture, dont on avait pu apprécier la célèbre logorrhée du 20 juin 2014 dans le Devoir. Finalement, c'est une excellente nouvelle que nous apprend Mario Girard : en avril, la SODEC de Monique Simard n'a pas encore imposé à Manon Gauthier ce qu'elle doit faire et ce qu'elle doit dire au sujet du FFMM 2016... C'est déjà ça.


Une chronique de Nathalie Petrowski, la Presse, 12 avril 2016

La journaliste, le fonctionnaire, la victime :
Nathalie Petrowski
Jean E. Fortier
Ezio Carosielli

La journaliste manipulée
le gestionnaire manipulateur
et une victime des manipulations

      Voici le chapitre le plus inattendu, le plus spectaculaire et le moins réjouissant de tout cet essai sur les aléas du FFMM. On va, dans cette affaire, de surprise en surprise, mais jamais je n'aurais pensé trouver un os pareil.

      O. Tremblay, avec sa naïveté impayable, a pris contact avec Ezio Carosielli et lui fait dire, ce qu'il n'a jamais pu dire (alors qu'elle le cite pourtant en italique et entre guillemets !), que son éventuelle implication dans l'exploitation du cinéma Impérial est « tombée » (!), « à la suite des articles [sic] publiés dans la Presse à ce sujet » (le Devoir, 18-19 juin 2016, p. E2). Il ne s'agit que d'un seul « article », la chronique de Nathalie Petrowski du 12 avril 2016. Est-ce qu'O. Tremblay est payée pour mal informer ou désinformer les lecteurs de son journal ? En tout cas, elle n'a pas pensé à faire autre chose que ce que N. Petrowski avait déjà fait, comme elle l'avait écrit dans sa chronique, téléphoner à Ezio Carosielli. Le promoteur immobilier, qui se trouve maintenant à gérer deux salles de spectacles et de réceptions, le Rialto et le « théâtre St-James » (l'ancien édifice de la banque CIBC, rue Saint-Jacques), a confirmé à N. Petrowski qu'il était intéressé à gérer l'Impérial sur le même modèle, rachetant les hypothèques qui seraient de 3,7 millions, pour les refinancer à un meilleur taux, et partageant ses profits avec l'Impérial ou le FFMM; il a confirmé ensuite à O. Tremblay, ce qui n'était pas une grande nouvelle, que le projet était tombé à l'eau à la suite de la chronique de N. Petrowski.

—— Nathalie Petrowski

      Nathalie Petrowski, une chroniqueuse vedette de la Presse, ne s'était jamais exprimée jusqu'ici sur les « déboires » du FFMM. Jamais à ma connaissance elle n'avait pris position sur sa gérance, sa programmation ou son financement, notamment sur les subventions qui lui étaient refusées, alors même qu'elle a rendu compte quotidiennement du festival en 2015, l'automne dernier. C'est la raison pour laquelle j'ai pris contact avec elle, le 3 septembre, pour lui présenter le présent essai sur les aléas du FFMM. J'aurais aimé la voir prendre la relève de mon travail d'enquête, de recherche et d'analyse. Je ne suis, par définition, qu'un journaliste « amateur », c'est-à-dire que, contrairement aux professionnels, les intervenants, les témoins ou les acteurs des faits et méfaits, surtout ceux-ci, refusent souvent de répondre à mes questions. C'est le cas, même de journalistes ! L'année dernière, André Duchesne, de la Presse, par exemple, comme aujourd'hui Nathalie Petrowski elle-même. Il n'est donc pas difficile de comprendre qu'un journaliste patenté pourrait relancer le travail de recherche (et j'ai même proposé des pistes d'enquête). Réponse : d'un côté Nathalie Petrowski me félicite, car je « semble avoir fait un travail colossal de recherche », mais d'un autre côté, si elle est d'accord avec moi sur « certains points », elle précise bien « mais pas tous ». Elle m'en reparlera, m'a-t-elle écrit, lorsqu'elle aura eu le temps de me lire en entier, après le festival.

      Comme cet échange n'a pas eu de suites, j'ai compris que nous n'étions pas sur la même longueur d'onde. Mais je sais aujourd'hui, huit mois plus tard, que Nathalie Petrowski est en fait du côté des protestants et réformistes, pour le dire dans le vocabulaire religieux de ces croyants et militants, c'est-à-dire de mèche avec les dénigreurs et des saboteurs dont l'objectif est d'euthanasier le président du FFMM de Serge Losique. Elle est en bonne compagnie, nombreuse, avec la meute. Mais, à ma connaissance, c'est la première fois qu'elle participe à l'hallali. Il n'est jamais trop tard pour sortir du placard.

      Bien entendu, il s'agit encore d'un événement médiatique. Tous les faits rapportés et dévoilés n'auront jamais aucune importance historique réelle. Bien au contraire, ils sont insignifiants, puisqu'ils n'ont pas eu lieu. En revanche, la chronique, elle, est un haut fait de presse. L'important, l'essentiel se trouve dans le thème de l'article, qui est posé avec son titre et développé dans son introduction et sa conclusion. Le titre de la chronique du 12 avril 2016 : « FFM : le plan de la dernière chance ». Ouverture : « Une dernière chance, une dernière danse [comme c'est bien écrit], une ultime tentative pour sauver les meubles du FFM et de l'Impérial... ». Conclusion : « ... une chose est claire : l'heure de la dernière chance a sonné. Il ne faudrait pas la laisser sonner dans le vide trop longtemps ». Ça aussi, c'est bien écrit, la cloche qui sonne et qu'il ne faut pas laisser sonner dans le vide trop longtemps. Du bien beau style. Sauf que, non, ce n'est pas le thème du « sauvetage » (qui va vite se révéler une farce sordide), mais bien celui du « désastre ». C'est le sens strict, stylistiquement moins beau, évidemment. La mi-avril, c'est le moment où les responsables de la programmation, dirigés par Serge Losique et Danièle Cauchard, se préparent à relancer l'avant-dernière phase de leur travail, la plus importante, celle qui va correspondre au Festival de Cannes (dans un mois, du 11 au 22 mai). Pour la cinquième colonne, c'est le bon moment de crier au feu et d'annoncer aux réalisateurs et producteurs que le FFMM est à l'agonie et qu'on ne le sauvera pas cette année 2016. La dernière chance, c'est l'extrême onction.

      Tant pis pour Serge Losique, s'il ne se laisse pas imprimer au front le signe de la croix, car, après tout, il s'agit de sauver son « bateau ivre ». Plus précisément, c'est toujours l'introduction de la chronique, il s'agit d'« empêcher [le] bateau ivre, abandonné par les gouvernements, de couler ». C'est bien ce que crie depuis toujours la meute hillaliant. C'est bizarre, car nous sommes quelques-uns à murmurer qu'il s'agit plutôt d'un « vaisseau d'or » qui « est coulé » par la SODEC de Monique Simard. Non, ce n'est pas seulement du style, le « vaisseau ivre » : la meute ment. On le lit en conclusion : Serge Losique doit « s'extirper de la gangue dans laquelle il s'est enlisé ». Un peu moins poétique, n'est-ce pas ? C'est le passif, comme on le dit en grammaire et en économie, « se couler », « s'enliser », voilà qui est propre à cacher le sabotage, dont participe cette chronique incongrue au moment de la programmation du festival de Serge Losique, voire la tenue du festival cet automne, ou même son avenir, car le « plan de la dernière chance », écrit Nathalie Petrowski, pourrait « peut-être — je dis bien peut-être — sauver son festival » !

      Le contenu de la chronique s'articule en deux parties mettant en scène deux personnages, Jean Fortier, le promoteur du plan de sauvetage, et Ezio Carosielli, qui devrait le réaliser, comme je l'ai dit, en rentabilisant (!) la location de l'Impérial qui serait sous-utilisé. Ce n'est pas simple ? Oui, simpliste !

—— Jean Fortier

      La première partie de la chronique s'ouvre, en bonne rhétorique, par la question « Qui est donc Jean Fortier ? ». Et on a droit à un bel auto-portrait réécrit et signé par la chroniqueuse. En effet, dès ma première lecture de la chronique, j'ai trouvé la bonne question. Nathalie Petrowski nous présente ses deux personnages, l'auteur du plan et celui qui le réalisera, un gestionnaire et un promoteur immobilier. C'est le premier qui nous intéresse : « Puis l'an passé, écrit la chroniqueuse, alors qu'il avait pratiquement perdu tous ses appuis politiques, Losique s'est tourné vers Jean Fortier et l'a nommé président de la Fondation du FFM ». Un instant. De qui Nathalie Petrowski tire-t-elle ses informations ? Certainement pas d'Ezio Carosielli, puisqu'elle dit lui avoir téléphoné pour obtenir confirmation de ces révélations. Certainement pas non plus de Jean Fortier, président de la Fondation du FFMM et, par conséquent, tenu au devoir de réserve qu'impose cette fonction. J'ai donc écrit à la journaliste (19 juin 2016) pour savoir qui était son informateur, d'où elle avait tiré le contenu de sa chronique. Comme elle a refusé de me répondre, j'ai refait mon analyse de son « papier » pour y trouver la réponse. Tout, dans sa chronique, est raconté et décrit du strict point de vue de Jean Fortier. Et il ne s'agit pas de la perspective de la narration faite dans l'ensemble du point de vue du personnage dont il est question, comme cela est tout naturel dans les narrations. Non, la narratrice cède sa place (la narration) à son personnage. C'est sa fonction de narratrice. Dans mon domaine des études narratives, on appelle cela la « focalisation interne radicale » : on peut réécrire toute la chronique de « Nathalie Petrowski » à la première personne, celle de « Jean Fortier ». « Qui suis-je et qu'est-ce que je viens faire dans cette histoire ? Dans une autre vie — plus précisément de 1998 et 2001 —, j'ai été président du Comité exécutif de la ville de Montréal sous Pierre Bourque. C'est à cette époque, dans l'exercice de mes fonctions, que j'ai rencontré Serge Losique... ». Sauf l'introduction et la conclusion étudiées plus haut, on peut rédiger toute la chronique du début à la fin de cette façon.

      Comme on va le voir, je l'ai même entendue, cette chronique, dite de vive voix, par Jean Fortier lui-même. Mais cela n'a pas été facile. J'ai donc réécrit à N. Petrowski pour lui annoncer que je connaissais maintenant son informateur, Jean Fortier, et lui demander cette fois-ci ses coordonnées (20 juin). Elle a encore refusé de me répondre. Comme je ne suis pas parvenu à trouver les coordonnées de J. E. Fortier, je lui ai servi une sorte de mise en demeure (23 juin), de sorte qu'elle m'a répondu qu'elle transmettait mon message à Jean Fortier et qu'il me contacterait « s'il le souhaite » ! Elle, en tout cas, c'est évident, ne le souhaitait pas... Et pour cause.

      La première raison est qu'il y a une différence d'élocution entre l'auto-portrait de Jean Fortier et sa réécriture par la journaliste. C'est l'édulcoration. Jean Fortier a une qualité que j'apprécie beaucoup : il dit sans détour, avec une précision chirurgicale et surtout une rigueur implacable, ses opinions et sentiments personnels. On ne peut pas compter sur lui pour établir la moindre distance critique. Il suit que si l'on tente de s'en tenir à ses idées, on déformera aussi bien sa pensée que la réalité.

      Sa pensée et la réalité ainsi déformées nous présentent donc, c'est toute la première partie de la chronique, l'image d'un gestionnaire qui a fait ses preuves comme élu à la ville de Montréal où il a été président du Comité exécutif, le poste le plus élevé après celui du maire, de 1998 à 2001. Quatre ans. Ensuite, l'homme politique et gestionnaire s'est lié à des fonctionnaires et politiciens propres à servir les intérêts du FFMM lorsque Serge Losique, l'année dernière (vers le printemps 2015), l'a nommé à la direction de la Fondation du festival. La journaliste nomme Mélanie Joly (ministre du Patrimoine du Canada) et Rachel Bendayan, maintenant fonctionnaire à la tête du cabinet de Bardish Chagger (ministre de la Petite Entreprise et du Tourisme du Canada). La journaliste ne dit pas à quoi cela a pu ou pourrait servir au FFMM (ça « ne peut pas nuire », dit-elle laconiquement), mais l'important, pour l'auto-portrait, est de comprendre que voilà un homme qui a le bras long, « long comme celui d'un serpent » (la plaisante image est d'Eugène Sue, si je me souviens bien : rien de plus long que le bras d'un serpent !). Et N. Petrowski d'enchaîner d'un « toujours est-il que... ».

      Pas si vite. En journalisme, il n'est pas de mise de recopier les auto-portraits. En réalité, Jean E. Fortier est beaucoup plus intéressant qu'il ne le dit. Il est même passionnant. D'abord, commencer son portrait en se présentant comme l'ancien président du Comité exécutif de la ville de Montréal, ce n'est pas une bonne idée. Il faut plutôt dire qu'à peine sorti des HEC, c'est tout à fait par hasard qu'à la demande de Pierre Bourque il remplace à la toute dernière minute un candidat qui se désiste; par chance, il est élu; et, à la surprise générale, la sienne en premier, il est nommé par le maire Pierre Bourque (second mandat, 1998-2001), qui sait ce qu'il fait, au poste prestigieux qu'il occupera durant quatre ans. Ce sera pour lui une expérience fabuleuse dont il tirera beaucoup de profit, beaucoup de prestige, et sur laquelle il établira toute sa carrière de gestionnaire et aussi de communicateur. Ses qualités et ses réussites sont aussi nombreuses qu'impressionnantes, mais elles ne nous intéressent pas du tout. Il fait très bien lui-même son panégyrique. C'est tout le contraire qui nous intéresse ici. Qu'il perde l'élection partielle, comme candidat du Parti québécois dans Labelle en 2001, ou pour le Parti conservateur à Ahuntsic en 2004, c'est dans l'ordre des choses, car un politicien ne peut pas toujours gagner rapidement une deuxième fois, surtout s'il change de niveau de gouvernement. En revanche, il est significatif qu'il quitte abruptement ses fonctions au Parti conservateur dans la vague de démissions de septembre 2005. Une nouvelle démission va bientôt suivre : en août 2013, il donne son appui à l'équipe de Mélanie Joly à la mairie de Montréal (et là, c'est dans ses cordes), mais se retire ensuite de manière « fracassante » de son équipe en pleine campagne électorale, ce qui donne dans la parfaite confusion (il quitte l'équipe de la perdante, disant le plus comiquement du monde qu'il ne veut pas « diviser le vote » !). Nous sommes aujourd'hui en avril 2016, et le voilà qu'il abandonne maintenant l'équipe du FFMM, avec une chronique machiavélique dans la Presse, sous la plume de Nathalie Petrowski.

      Le fait de se joindre aux perdants pour ensuite les quitter trouve peut-être son explication dans les conclusions de son mémoire de maîtrise soutenu à l'École de technologie supérieure : Étude sur l'utilisation des principes de gestion par activités et de l'estimation paramétrique des budgets d'investissement à la ville de Montréal (ETS, MA, Génie de la construction, 2011, 120 p.). La recherche consistait à synthétiser les rapports des Vérificateurs généraux de la ville de 1998 à 2009, à la lumière de son expérience personnelle comme président du Comité exécutif au cours de cette période (1998-2001). Il s'agit d'un travail critique d'une évidente rigueur scientifique qui illustre les deux plus grandes qualités de Jean Fortier, ses deux forces, celles du gestionnaire et du communicateur (un discours sur la gestion des plus convainquant). Mais c'est la partie auto-biographique de l'ouvrage qui nous intéressera ici. Voici ce qu'il écrit au sujet des « Élus » en conclusion de sa recherche. « Une très faible proportion des élus de la Ville de Montréal que j'ai côtoyés, lors de mon mandat, se sont montré intéressés à une quelconque rationalisation des services municipaux. Les raisons peuvent être multiples. Dans un monde de spécialisation où les communications et la perception du public jouent un rôle essentiel, peu de personnes arrivent au niveau politique de l'administration avec, à la fois, la compétence professionnelle et l'expérience nécessaire pour absorber la quantité phénoménale d'information que demande la gestion d'une grande ville » (p. 108). On ne doutera pas qu'il ait raison. Mais le problème, autobiographique, c'est qu'il fait partie de la « faible proportion » de ceux qui les ont, la compétence et l'expérience nécessaires !

      Dès qu'il s'est trouvé à la tête de la Fondation du FFMM, il a entrepris d'imaginer une gestion efficace non seulement de la Fondation, mais également de tout le FFMM et, par conséquent, de la gérance de l'Impérial. On ne lui en demandait pas tant, mais il se voit déjà au poste de Directeur général (c'est le poste laissé vacant depuis que Danièle Cauchard ne se consacre plus qu'à la programmation, depuis 2014-2015). Il s'est fait accréditer au Festival de Cannes, l'été dernier (2015), et de retour à Montréal, il a multiplié les contacts à tous les niveaux (hommes d'affaire, fonctionnaires et politiciens) pour mettre sur papier un formidable plan de gestion. Le plus extraordinaire est qu'il n'a vu aucun problème à présenter ses projets à la SODEC de Monique Simard, voire même à la ministre Hélène David, pour le Québec, tout comme il l'a fait à Ottawa, et, plus extraordinaire encore, à Gilbert Rozon et Maxime Rémillard ! À ce point de la mise en place du plan de gestion, il n'est pas nécessaire de préciser que l'apha et l'oméga de ces plans et projets pour la gestion du FFMM concernent Serge Losique. Directeur du festival, il doit accepter le plan, et, ensuite, le même plan veut qu'il quitte la direction au plus vite. C'est écrit d'ailleurs dans la chronique de Nathalie Petrowski : « Une fois la santé financière du cinéma et du FFM rétablie, Serge Losique pourra enfin tirer sa révérence sereinement et laisser une nouvelle génération prendre le relais, ce qu'il devra bien se résoudre un jour à faire, qu'il le veuille ou non ». Vous pensez vraiment que Serge Losique se laissera organiser sa vie avant la mort ? Après, d'accord, si c'est vraiment nécessaire.

      Donc, commencer par le commencement, c'est l'alpha. Pour que Serge Losique mette le doigt dans l'engrenage, il suffit de repenser la gestion de l'Impérial et de le mettre entre les mains du promoteur immobilier et gestionnaire de salle de spectacles, Ezio, comme l'appelle la journaliste dans sa chronique ! (autre trait évident de la focalisation interne radicale). « En gros, c'est cela, le plan de Jean Fortier. C'est simple... ».

      Tout cela est en effet très simple. Ce qui est plus difficile à comprendre, c'est pourquoi, dans quel but ce projet préliminaire se retrouve étalé dans la Presse, alors qu'il est évident que cela relève de la gestion privée du FFMM et de personne d'autre. Il y aurait « des questions juridiques, contractuelles, financières, émotives et familiales à régler » ? — en effet, de quoi je me mêle ! Cela est tellement hallucinant qu'il valait la peine d'en rassembler d'abord toutes les ficelles, comme on l'a fait longuement jusqu'ici. Parlant ficelles, dès que l'on sait qui les tire, la question se pose d'elle-même (je ne fais que la formuler, tant elle s'impose) : pourquoi ?

      Avant même d'entrer en contact avec Jean Fortier, j'avais déjà étudié et reformulé la question qui repose sur le fait qu'il soit la source unique de Nathalie Petrowski (car Ezio Carosielli, je l'ai dit, n'a servi qu'à corroborer l'exposé, rien de plus). Cinq hypothèses. Si l'on se place du point de vue du gestionnaire, on élimine tout de suite la première hypothèse : il est impossible que l'objectif soit de forcer la main aux dirigeants du FFMM, puisqu'avec la publication de la chronique il arrivera et ne pouvait se produire que ce qui s'est passé, le rejet brutal de la « proposition » par la direction de l'Impérial (et c'est ce qu'a confirmé E. Carosielli à O. Tremblay, comme on l'a vu). La seconde hypothèse consiste à imaginer qu'il s'agissait en fait d'agir non sur Serge Losique et ses collaborateurs, mais d'obtenir que la presse, le public, le milieu du cinéma, les organismes gouvernementaux, etc., montent à la défense du « plan » et l'imposent à Serge Losique. L'histoire des aléas du FFMM prouve qu'un tel objectif n'avait aucune chance de se réaliser et par conséquent d'avoir même été envisagé. Sans compter qu'un gestionnaire sait d'instinct qu'il ne sauvera même pas son projet de cette manière s'il est menacé, alors qu'il s'agit ici d'en faire la promotion. Suit, troisième objectif possible, une sorte de Critique de la raison pure, sur le modèle de Kant : ce serait la dénonciation sur un exemple et des faits précis de la mauvaise gestion crasse du FFMM qui n'est même pas capable de comprendre qu'on lui offre, avec ce fabuleux plan, de sauver ainsi la mise. On serait au poker. Et voilà qui s'accorderait bien avec le thème et le contenu de la chronique. Nathalie Petrowski (en face de poker) prétendrait que tel était également son objectif que tout le monde ne serait pas mort de rire, en admettant la générosité, la sincérité et le désintéressement désarmant du « gestionnaire ». Mais il y a une objection importante à cette hypothèse : comment un président de la Fondation du FFMM pourrait-il se permettre, sans se discréditer gravement, d'utiliser de cette manière des informations confidentielles ? Le bon sens le plus élémentaire dit que le gestionnaire est tenu à un devoir de réserve. D'autant plus que si tel avait été le cas, il y avait une manière toute simple de réaliser cet « objectif » : il suffisait de démissionner avec le fracas d'une conférence de presse. Ne restait donc plus qu'une toute dernière hypothèse, la plus dommageable pour un journaliste qui aurait été manipulé pour la réaliser avec sa chronique : la colère, le dépit et la vengeance. Là, on vient de passer du poker au bridge, et c'est beaucoup plus difficile, car il y a un mort sur la table et on ne « joue » plus. Tout le monde peut jouer. C'est ça, le bridge.

      Dans mon esprit, bien entendu, tout ce jeu des cinq hypothèses allait se terminer dès que je pourrais interroger Jean Fortier qui me dira quelles avaient été ses intentions, pourquoi il avait contacté Nathalie Petrowski et comment il en était venu là. Or, aussi extraordinaire que cela puisse paraître, après une conversation de trois-quarts d'heure avec Jean E. Fortier, je n'en sais toujours rien. Ou plutôt, comme il le dit, il y a « un peu de vrai » dans toutes mes hypothèses (que je lui ai soumises par écrit). Nous sommes ici, je le rappelle, en cours d'étude narrative, dont c'est mon métier; il s'agit d'une étude actantielle, c'est-à-dire de l'analyse des motivations du héros. Si je viens d'énumérer toutes les hypothèses que l'histoire permettait d'envisager, c'est précisément parce que le personnage lui-même (comme on le désigne dans les études narratives) ne connaît pas les bonnes réponses qui le concernent, ne peut ou ne veut pas les dire, consciemment ou inconsciemment, bref, il est dépassé par son histoire, ce qui est fascinant. J'ai toujours pensé que les histoires romanesques, celles des romanciers de génie, pouvaient être beaucoup plus réalistes que les histoires réelles. L'Éducation sentimentale, par exemple, est un roman historique incomparable, comme si aucun historien ne pouvait faire mieux que Flaubert, car l'historien doit malheureusement tenir compte de la réalité. Je me trompais, je crois, même si je ne suis pas ici un grand historien : Dieu, comme narrateur, peut être très fort, question roman réaliste. Plus fort que Flaubert, on va vite le voir.

      Cela ne paraît pas dans la chronique de la Presse (sauf par sa publication, bien entendu), mais lorsqu'il s'exprime lui-même, à la première personne comme on dit, Jean Fortier est un formidable communicateur. Un professeur enseigne. À ses étudiants d'en prendre et d'en laisser. Jean Fortier, lui, fait en sorte qu'on soit forcé d'intérioriser son discours. D'abord, et c'est l'essentiel, il ne répond jamais aux questions. Non pas parce qu'il s'y refuse, bien au contraire, puisqu'il va « répondre » longuement, précisément et avec une force de conviction peu commune, démultipliant à la fois l'information et l'analyse, mais aux seules questions qu'il va lui-même vous faire formuler. Si vos questions sont préparée et personnelles, comme les cinq posées ci-dessus, il y fait face avec une série de formulations rhétoriques qu'on peut résumer avec la déclaration « attendez ! j'y viens ». Il y reviendra, en effet, lorsque vous aurez reformulé votre question dans sa propre logique et qu'elle se trouvera dans un tout autre contexte. C'est ça, l'art du communicateur, et je donnerais une fortune pour en être un as, comme Jean Fortier.

      En toute fin de conversation, il finit par me dire que ma cinquième et dernière hypothèse est bonne. Je n'emploie pas, évidemment, les mots de colère, de dépit et de vengeance. Mais il admet d'emblée qu'il est très content de la parution de la chronique de Nathalie Petrowski. J'insiste : c'était une bonne façons de claquer la porte ? Oui. Et à ma grande surprise, il insiste pour que je sache bien que c'était le bon moyen d'« établir sa crédibilité » auprès de ceux qui lui ont fait confiance, à la SODEC par exemple. J'en reste sans voix, mais ce n'est pas moi qui s'exprime. Il y a donc une partie de la vérité qui correspond à la colère, au dépit et à la vengeance. Je n'aimerais pas en avoir fait la promotion dans une chronique de la Presse. Mais Jean Fortier est très fier d'« avoir ainsi lavé sa réputation », grâce à Nathalie Petrowski.

      Toutefois, du début à la fin de la conversation, il ne cesse de me contredire sur un point essentiel : jamais il n'a pensé que la chronique de Nathalie Petrowski pouvait d'aucune manière nuire à son « plan de la dernière chance ». Il va le répéter sans relâche au cours de notre entretien. En principe, Serge Losique, la SODEC, le Fédéral, la Ville, etc., auraient dû être ravis du fameux plan « très bien exposé par Nathalie ». Invraisemblable ? Non, et c'est justement cela qui est vraisemblable. Car je finis par établir la chronologie. Il répétera souvent que son projet a été présenté à Serge Losique, en présence d'Ezio Carosielli, le vendredi qui a précédé la publication de la chronique dans la Presse. Il s'agit, très vraisemblablement du vendredi 8 avril 2016. Et il répétera plusieurs fois que c'est le « lendemain », le samedi, 9 avril, qu'est parue la chronique. L'imprécision n'a pas d'importance, car il n'a pas son agenda sous les yeux. On le sait, la chronique a paru le mardi, 12 avril. Mais la fameuse réunion, elle, a bien eu lieu le vendredi précédent, le 8 avril. Commençons par cette réunion. André Fortier l'a préparée durant toute la semaine, avec plusieurs appels téléphoniques à Serge Losique. Mais la rencontre n'était pas commencée qu'elle s'est présentée comme une fin de non-recevoir. Après la chronique de Nathalie Petrowski paru le mardi suivant, André Fortier me dit avoir reçu une « lettre d'insultes » de Serge Losique. Il ne m'a pas eu, tout bon communicateur qu'il est. Après deux ou trois interruptions, il a dû me dire qu'il s'agissait d'une lettre des avocats du FFMM qui lui interdisait formellement, sous peine de poursuites judiciaires, d'étaler à nouveau dans la presse des « propositions non sollicitées ».

      Anecdote : quelques jours plus tard, Jean Fortier tente de rejoindre à nouveau Serge Losique. Rien, apparemment, à son épreuve. Il append alors que tout de suite après la fameuse rencontre du fameux (bis) « vendredi » Serge Losique avait pris l'avion pour la Chine. C'est le péril jaune cinématographique dont il fera une bonne partie de notre entretien : « dans l'intérêt de qui Losique fait-il tout cela ? » (25 juin 2016). Les Chinois, c'est évident.

      Coup de tonnerre : mais non, me dit-il, ce n'est pas après la réunion du fameux « vendredi », et donc pour la parution du « samedi », le lendemain, que j'ai contacté Nathalie. C'est bien avant que je lui ai exposé la situation, m'affirme-t-il. J'en tombe des nues. La motivation du dépit, de la colère et de la vengeance tombe d'un seul coup ! Il s'était donc abouché avec la journaliste en même temps qu'il conférait secrètement avec les hommes d'affaire, les fonctionnaires et les politiciens pour assurer la viabilité de son grandiose plan de relance, puis le sous-plan de la réorganisation de la gestion de l'Impérial ? Bien entendu, cela change tout, et tout redevient encore plus incompréhensible... Quand donc a-t-il pris contact avec Nathalie Petrowski ? Quand et comment a-t-il commencé à manipuler sa journaliste ? Cela s'est passé avant, je souligne, avant la rencontre du vendredi (8 avril) où son projet a été rejeté par la direction de l'Impérial. En plus, m'assure-t-il, il n'est pour rien dans la date de la publication de la chronique, le « lendemain », croit-il, soit en fait le mardi, 12 avril 2016. — Ce dont il se félicite, je le répète, car la chronique de Nathalie rétablit sa « crédibilité ». Jamais il n'aurait pu espérer mieux que cette publication.

      Tout cela est bien embrouillé ? Mais non, c'est très éclairant. Nathalie Petrowski a peut-être été manipulée par un gestionnaire qui prétendait sauver l'Impérial, la Fondation du FFMM et le FFMM tout entier, mais elle est assez intelligente, je n'en doute pas, pour s'être laissée manipuler. Ce qui a donné une belle chronique, « FFM : le plan de la dernière chance ». Tu parles !

—— Ezio Carosielli

      La seconde partie de la chronique de Nathalie Petrowski consiste à faire le portrait de fabuleux promoteurs de l'immobilier. Avec son épouse, Luisa Sassano, E. Carosielli a fait de nombreux investissements, notamment dans les immeubles destinés aux garderies. Tous les deux avocats, ils ont abandonné la pratique du droit lorsqu'ils ont acquis le Rialto. Je ne sais pas si on y présente encore le Rocky Horror Picture Show (eh oui ! rockyhorror.com), mais on a lu plus haut qu'ils ont ensuite transformé une banque en salle de spectacle (la CIBC, rue Saint-Jacques).

      Deux temps, trois mouvements. E. Carosielli a confirmé à Nathalie Petrowski qu'il était intéressé à exploiter l'Impérial, se proposant d'en racheter les hypothèques. Il a, par la suite, appris à O. Tremblay que les négociations avaient avorté à la suite de la publication de la chronique de N. Petrowski. Voilà le sommaire qu'il faut maintenant développer.

      L'Impérial, « cinéma et salle de spectacle » (cinemaimperial.com), est aujourd'hui géré par le Centre cinéma Impérial, un organisme à but non lucratif. Il est passé de Famous Players au FFMM de Serge Losique qui l'a lui-même cédé à cet organisme qu'il dirige avec son fils, François Beaudry-Losique, qui en devient le gérant (comme on peut désigner celui qui est le Directeur général de l'organisme sans but lucratif), après sa dernière rénovation au coût de 5,5 millions de dollars. Le cinéma a été réouvert pour son centième anniversaire, le 15 avril 2013. La mission de l'organisme est de « préserver le monument historique et de le garder en opération ». Pour cela, le cinéma redevient aussi le théâtre et la salle de spectacle qu'il était à l'origine (voir les entrevues de F. Beaudry-Losique à Ici Radio-Canada, à O. Tremblay, dans le Devoir, et à Maxime Bergeron, pour la Presse, le 25 avril 2013). À ce moment, le gérant accorde que l'Impérial est sous-utilisé quoiqu'il s'autofinance, ce qui n'est pas rien, étant donné les coûts d'entretien. Mais François Beaudry-Losique se donnait trois ans pour en développer l'utilisation tout au long de l'année, car il devait faire face à d'importants problèmes logistiques, d'abord parce que la salle est trop vaste, avec ses 800 places sur deux étages, pour en faire un cinéclub; ensuite parce qu'on a dû se départir de trois salles dans les environs immédiats, louées ou achetées dans le but d'opérer un cinéplex dont l'Impérial serait le centre, à cause de la concurrence dans le même secteur (sans compter que le propriétaire initial, Famous Player, a cédé l'Impérial à la condition qu'il ne puisse faire concurrence à ses propres salles de cinéma). Les choses ne se sont pas arrangées, évidemment, avec la décision de la SODEC de Monique Simard de refuser sa subvention au FFMM de Serge Losique, ce qui a eu les conséquences que l'on sait, soit d'accumuler hypothèques sur hypothèques de l'Impérial pour rencontrer les coûts d'opération du festival. — Mais il s'agit là d'une question dont je ne connais pas les implications.

      Et c'est alors que Jean Fortier aurait eu l'idée, que lui et Nathalie Petrowski trouvent géniale, de profiter de l'expérience de Luisa Sassano et d'Ezio Carosielli. C'est totalement faux. Ezio Carosielli en était à sa troisième proposition à ce moment. Ces deux dernières années, probablement en 2014 et 2015, il avait déjà proposé son expertise à François Beaudry-Losique. Les discussions avec l'organisme du Centre cinéma Impérial n'avaient pas porté fruits.

      Je ne résiste pas à présenter les approximations comptables qu'improvise Jean Fortier, et que la journaliste de la Presse donne pour argent comptant. L'Impérial serait loué « une fois tous les six mois pour une première de film ». Il y a du ridicule dans une telle affirmation, car Nathalie Petrowski dit ensuite « qu'il faudrait le louer 10 soirs par mois, 12 mois sur 12 ». Pour des « premières » ? Donc 120 fois par année. Le taux d'occupation donné par Nathalie Petrowski est probablement une coquille; celui que m'a donné oralement Jean Fortier serait actuellement, à son avis, de 60 jours par années. Selon Nathalie Petrowski les promoteurs le porteraient à 120, le double ! Mais comme le profit serait alors probablement divisé par deux, rien ne serait changé pour l'Impérial (sauf en ce qui a trait aux hypothèques aux « taux astronomiques »).

      Mais il y a maintenant une question préalable. Est-ce que Nathalie Petrowski a tenté d'entrer en contact avec le gérant de l'Impérial ? Bien sûr que non, car autrement elle n'aurait jamais publié sa chronique aux événements inadvenus. Or, par définition, le directeur d'un organisme à but non lucratif est tenu de répondre aux questions du public, du moins en ce qui concerne les questions d'ordre public. Il a donc répondu à deux de mes trois questions (par courriel, le 4 juillet 2016). J'ai déjà donné quelques-unes des informations que je tiens de lui. Voici l'essentiel de sa réponse en ce qui concerne les taux d'occupation de l'Impérial. De 2004 à 2012, le théâtre a été loué de 80 à 100 jours par année; en 2015, un sommet, il a été loué 137 jours. Comme en 2013 déjà, François Beaudry-Losique admet qu'il serait possible de faire mieux, sans doute, mais pas à n'importe quel prix. Sa politique est fort simple : il doit gérer un édifice patrimonial et il a été convenu de le faire sans aucun risque. Inutile d'entrer dans les détails, sauf à dire que l'Impérial ne fait jamais de publicité ni n'organise jamais lui-même d'événement. Or, c'est tout le contraire qui nous intéresse, dans la perspective des jeux de poker et de bridge de N. Petrowski, avec les cartes de Jean Fortier mises à découvert sur la table : il est absolument hors de question de faire de l'Impérial la vache à lait du FFMM. F. Beaudry-Losique est clair : jamais il ne jouera ce jeux-là. — Le Centre cinéma Impérial et le FFMM sont deux projets différents et indépendants. D'ailleurs, d'après son gérant, imaginer que l'Impérial pourrait simplement aider à financer le FFMM n'est tout simplement pas réaliste. Bref, l'Impérial a déjà bien assez d'être et de rester l'Impérial !

      Jean Fortier et Nathalie Petrowski nous présentent le résultat escompté de leur « plan de sauvetage » comme un miracle : ils nous annoncent des « profits d'exploitation générés par l'augmentation considérable du volume d'affaire », de sorte que « redevenu rentable [sic], l'Impérial pourrait aider au financement du FFM et régler une partie de ses problèmes ». Bref, on en ferait magiquement, je l'ai dit, la vache à lait du festival.

      Et Nathalie Petrowski de ne rien nous dire des « améliorations » que les promoteurs se proposaient d'apporter à l'édifice patrimonial classé comme monument historique par le Ministère de la Culture et des communications du Québec en 2001 (cf. cinemaimperial.com). Je ne pense pas que ce soit le cas du Rialto et du théâtre St-James. L'Impérial n'aurait-il pas une vocation historique qu'il serait hors de question de changer ? — Bien entendu, François Beaudry-Losique, on s'en doute, a refusé de répondre à cette question (« je ne discuterai pas des arguments proposés car je crois que ce sont des choses confidentielles »). En revanche, rien n'interdisait N. Petrowski d'interroger Ezio Carosielli à ce sujet.

      Cela dit, il y a tout de même un point important qui militait en faveur du projet, c'est que les promoteurs Luisa Sassano et d'Ezio Carosielli étaient intéressés et avaient accepté de négocier leurs service, pour la troisième fois, par l'intermédiaire de Jean Fortier. C'est à propos de la rénovation de la CIBC de la rue Saint-Jacques qu'Ezio Carosielli a répondu plaisamment aux journalistes, qui l'interrogeaient sur la rentabilité de son projet, qu'il n'était pas un organisme à but non lucratif ! Dès lors, les points qui viennent d'être évoqués sont tous essentiels et de deux points de vue, les profits respectifs de l'organisme Centre cinéma Impérial et des deux promoteurs vedettes. Au sujet de cette négociation, Ezio Carosielli répond tout bonnement à Nathalie Petrowski qu'elle est en cours et plus tard à O. Tremblay qu'elle a avorté, journalistes qui ne lui ont posé aucune des bonnes questions que l'on connaît maintenant et qui, en plus, ne se sont pas demandé s'il était raisonnable que son nom se retrouve dans la presse, sur une question qui n'est pas d'ordre public. Et c'est ce que m'a confirmé le directeur et gérant de l'Impérial : « Nous ne croyons pas que des négociations peuvent avoir lieu de façon sereine si nous lisons les détails de la proposition de l'autre parti dans le journal — voilà pourquoi [la direction de l'Impérial] a mis fin à toute nouvelle discussion dans ce dossier ».

      Dans tout cela, seul compte l'acte performatif, strictement journalistique, qui déclare, encore une fois, que le FFMM de Serge Losique est sur le point de mourir par sa faute, sa propre faute, sa très grande faute. Les victimes de ces manipulations auront été ceux-là mêmes qui n'avaient pas besoin d'être présentés comme les sauveurs du festival, Luisa Sassano et Ezio Carosielli, qu'on a sacrifiés à ce nouveau dénigrement du FFMM.


La SODEC vs le FFMM : un à zéro pour le festival

      Voici le printemps commencé, qui augure bien pour l'automne de la 40e édition du Festival des films du monde de Montréal. En effet, c'est le 27 avril 2016 que le FFMM de Serge Losique se retrouve en position de force face aux mauvais coups de la SODEC de Monique Simard. Devant la contre-attaque du Festival, la SODEC a initié au tribunal une requête pour faire annuler la poursuite contre elle parce qu'il s'agirait de deux causes sans rapport nécessaire et qu'on ne saurait donc en juger dans le même procès. Juridiquement, les trois avocats de la SODEC (oui, trois : Mtre Martin Côté et Mtre Vincent Olivier Perreault du bureau Robinson et Sheppard Shapiro, et Mtre Sophie Lisé, représentante de la SODEC) ont plaidé pour la radiation de la « demande reconventionnelle » (c'est la poursuite du FFMM) pour « absence de connexité » (les deux causes seraient sans rapport). En outre, car il n'y a rien à l'épreuve de la SODEC de Monique Simard, les trois avocats ont plaidé le plus sérieusement du monde que l'action intentée par le festival, qu'il demande de dissocier de leur cause, est « abusive » ! Comparons : la SODEC gère annuellement des milliards; la réclamation du FFMM pour la perte de ses subventions serait de deux millions et demi; or la SODEC, elle, réclame un million à un festival qui tire le diable par la queue, dans le but évident de le mettre en faillite. Et la contre-attaque juridique serait abusive... À mon avis, Gilbert Rozon, juste pour rire, devrait vite engager les trois avocats de la SODEC dans son propre festival de l'humour et du comique. Il ferait vraiment une bonne affaire.

      La cause a été entendue le 11 avril et le juge Serge Gaudet a rendu son jugement le 27 avril. Ce jugement est la dernière pièce au dossier, qui porte le numéro 500-17-091217-151, et qui se consulte, comme je l'ai écrit plus haut, au guichet 1.400 du Palais de Justice de Montréal. Le tribunal rejette la requête de séparer les deux causes et repousse du revers de la main (en termes juridiques forts savants, bien entendu) l'idée saugrenue (le juge ne l'a pas écrit, mais c'est le résultat qui compte) que la contre-attaque juridique du FFMM serait abusive. Bref, la SODEC de Monique Simard en est pour ses frais ! — J'espère qu'en vertu de la demande d'accès à l'information on saura avant longtemps combien la SODEC de Monique Simard dépense en deniers publics pour des causes perdues, dans le but utopique d'assassiner le FFMM de Serge Losique.

      Dans cette affaire, il est évident que le FFMM vient de gagner la première manche et que cela augure très bien pour la réalisation de sa 40e édition de l'automne 2016. La procédure, suivant son cours, devrait maintenant durer des mois et des années, avec de bonnes chances pour le FFMM de remporter sa cause, ce qui sera évidemment une catastrophe (une gifle à mon avis bien méritée) pour la SODEC de Monique Simard. Bref, c'est un à zéro pour le FFMM et Serge Losique a maintenant le gros bout du bâton contre ceux qui voulaient lui mettre des bâtons dans les roues. Et je ne doute pas qu'il va fesser fort.

      En règlement hors cour, le FFMM fera effacer sa dette d'un million, empochera les deux millions et demi pour ses dettes accumulées, et, cela, à la condition bien entendu que toutes les subventions du festival soient dorénavant reconduites sans plus de manigances. On devra enfin comprendre que si Monique Simard gère la SODEC, pour son malheur, c'est Serge Losique qui gère le FFMM — et certainement pas à son détriment (il laissera un jour en héritage un organisme totalement indépendant des manigances des hauts fonctionnaires et petits hommes d'affaires). Cela devrait se produire au cours du printemps ou de l'automne 2018. Entre-temps, on aura connu un fabuleux FFMM 2016. Et Serge Losique pourrait bien s'offrir avant longtemps une spectaculaire sortie de scène. Et il ne faut pas se tromper de personnage, car Serge Losique est bien loin de tirer sa révérence. Ce ne sera pas avant 2021.

      Pour l'instant, un point important doit être retenu, car d'ici là, ce sont les Montréalais qui auront été lésés par la SODEC de Monique Simard, tout autant et même bien plus, puisqu'ils ont été brimés depuis deux ans, depuis 2014, par le manque de subventions adéquates de leur festival. Cela doit cesser immédiatement. Dans son jugement, le juge Serge Gaudet écrit, pour rejeter l'accusation que la cause du FFMM soit frivole : « Les allégations du FFM, résumées ci-dessus, et qui fondent à la fois sa défense et sa demande reconventionnelle, semblent sérieuses et, advenant qu'elles soient prouvées, pourraient mener un juge à conclure que la SODEC a manqué à ses obligations contractuelles ou légales envers le FFM et lui a causé des dommages. En outre, les documents invoqués par le FFM donnent lieu à croire que les versements sur le prêts se faisaient notamment à partir des subventions que la SODEC attribuait au FFM jusqu'en 2014. La question des raisons ayant mené, en mai 2014, au retrait des subventions que la SODEC versait annuellement au FFM depuis plusieurs années se soulève donc, notamment dans le contexte de l'arrivée en poste de Mme Simard en janvier 2014. Selon le Tribunal, rien ne permet de penser, à ce stade des procédures, que les allégations du FFM sont frivoles ou manifestement mal fondées. Certes, le fardeau de la démonstration ou de la persuasion du FFM peut être lourd, notamment à l'égard de l'évaluation de ses dommages en lien avec les subventions ou commandites retirées par de tierces parties, mais cela ne rend pas pour autant la réclamation du FFM frivole ou manifestement mal fondée ». — Dès lors, il apparaît que la subvention de la SODEC doit immédiatement être versée pour l'automne 2016 et les réalisations subséquentes du FFMM, jusqu'à ce que jugement soit rendu. Sinon, si les allégations du FFMM viennent à être prouvées, alors la SODEC aura causé un tort irréparable au festival auquel les Montréalais ont droit.


FFMM 2016, La Presse vs le Devoir : quatre à zéro

      La Presse rend compte le 29 avril 2016 sous la plume de Vinvent Brousseau-Pouliot de la décision du tribunal de la Cour supérieure de maintenir la contre-attaque du FFMM : « Le recours du FFM peut se poursuivre ». Ce n'est qu'un entrefilet de 10 lignes, à peine cent mots, mais cela donne encore un point d'avance pour la Presse contre le Devoir. Les lecteur du plus grand journal « indépendant » de la métropole ignorent encore tout des aléas juridiques initiés par la SODEC. Ses journalistes attitrés aux questions cinématographiques, comme journalistes, ne sont pas très vite. Quatre à zéro, cela commence à faire beaucoup.

      Mais gagner par défaut ne fait pas de soi un as du journalisme. Surtout pas dans le domaine des questions judiciaires. Manifestement, Vinvent Brousseau-Pouliot ne comprend pas la portée de la « nouvelle ». En effet, il nous présente l'affaire comme le fait anodin d'une poursuite en cours, sans comprendre, on excusera le jeu de mot qui ne porte que sur une lettre, qu'il s'agit d'un événement en cour ! L'appel des avocats de la SODEC consistait à demander à la cour si la contre-poursuite du FFMM était, oui ou non, déraisonnable. La question, de la part de juristes, était tout bonnement idiote, parce que la réponse a été non.

      Et le journaliste Vinvent Brousseau-Pouliot, pas très fort en style juridique, d'ajouter que cette réponse est restrictive, car le juge la déclare ainsi « à ce stade des procédures » ! Voici le texte, paragraphe 22 du jugement : « Selon le tribunal, rien ne permet de penser, à ce stade des procédures, que les allégations du FFM sont frivoles ou manifestement mal fondées ». L'analyse textuelle du document juridique conclut simplement (et impérativement) que les « allégations » en question sont justement l'objet de la contre-poursuite du FFMM. Ce que dit le texte, c'est que la prétention que le FFMM a été floué de 2.2 millions de dollars est loin d'être frivole et mal fondée. Tu parles ! C'est justement ce que le Bureau d'avocats du FFMM était on ne peut plus heureux d'entendre. L'expression « à ce stade des procédure » n'est pas une restriction, mais tout le contraire, puisque le tribunal affirme qu'elle n'est ni frivole ni mal fondée. Si je porte une cause quelconque devant un tribunal, je donnerais une fortune pour que le tribunal fasse d'emblée une telle affirmation. Que trois avocats de la partie adverse me servent une telle confirmation « à ce stade des procédures », au début du procès, laissez-moi vous dire que je serais en excellente position.

      Cela dit, il faut tout de même le répéter, la Presse gagne ce point par défaut. Le Devoir, comme organisme de presse, est sur ce point (bis) tellement nul, que le journal dématérialisé de la rue Saint-Laurent n'avait pas grand chose à faire pour gagner la manche. D'accord, comme arbitre, je n'ai pas à juger de la manière. Quatre à zéro.


Les « Grands Chelems d'or » lancés pour le 40e du FFMM

      Qui n'appréciera pas l'humour de Serge Losique qui peut jouer avec des millions de dollars ? La SODEC de Monique Simard a tout fait pour mettre le FFMM en « faillite technique », puis, vraiment, en « faillite ». Avec deux millions et demi en perspective, dans sa poursuite contre la SODEC de Monique Simard, le FFMM de Serge Losique peut s'offrir une extraordinaire plaisanterie. On va le voir, avec la distribution d'un million de dollars, évidemment gagé sur la déconfiture de la SODEC de Monique Simard ! Un million contre deux et demi, trois, voire quatre millions, ce n'est évidemment rien du tout ! Bien entendu, les journalistes qui ont tenté de tuer son festival en ont pour leur rhume, notamment ceux qui étaient invités comme programmeurs au Festival des films de Toronto et qui étaient frustrés de ne pas être invités pour jouer ce rôle au FFMM... Ce n'est qu'un exemple de tous les frustrés qui ont inspiré les journalistes du Devoir, encore un excellent exemple. Alors ?

      Le FFMM annonce le 13 mai 2016, à Cannes, que son festival donnera à partir de cette année une série de bourses accompagnant ses prix. Il s'agit de 13 prix qui recevront un total d'un million de dollars états-uniens. Le Grand prix des Amérique recevra une bourse de 250 000 dollars qui sera partagée également entre son réalisateur et son producteur. La plus « petite » bourse sera de 10 000 dollars, pour le meilleur réalisateur de fiction de la compétition du film étudiant.

      Le communiqué de presse, sur le site internet du festival, le 13 mai, annonce la nouvelle, donne la liste des bourses et précise que le million de dollars, qui est donné par un sympathisant anonyme du festival, pour marquer sa quarantième édition, sera protégé. Étant donné les manigances de la SODEC de Monique Simard, notamment avec la complicité de journalistes du Devoir, le FFMM doit évidemment prévenir les réalisateurs et les producteurs que ce don ne sera pas détourné pour financer le festival qui se tiendra cet automne, probablement sans subventions gouvernementales. Le communiqué officiel précise donc : « L'argent sera déposé dans un compte en fidéicommis chez un notaire montréalais de sorte qu'il ne puisse être utilisé pour autre chose que pour la remise des prix lors de la cérémonie de clôture le 5 septembre 2016 ».

      Serge Losique est à Cannes, on s'en doute ! car la programmation du FFMM doit être dans sa période la plus intense. Tout doit être déjà sur la table à dessin, dans ses grandes lignes, mais avec la programmation d'un tel événement, c'est toujours la « dernière minute » qui risque de tout relancer. Le communiqué de presse du festival est repris par une publicité d'une page dans le quotidien Variety qui fait l'événement à Cannes : « First GOLDEN SCHELEM of world cinema : 1 Million $ cash prizes in competitives sections » ! C'est Jean-Pierre Tadros qui rend compte le premier de l'événement spectaculaire sur CTVM.info le samedi, 14 mai, à partir d'une entrevue informelle avec Serge Losique à Cannes : voilà, explique-t-il, la seconde bonne nouvelle pour le FFMM depuis quelques semaines. D'abord la décision de la Cour supérieure du Québec qui accepte que la poursuite de la SODEC soit contrecarrée par celle du FFMM, comme on l'a lu plus haut, ensuite maintenant, ce don d'un million qui permet au festival de récompenser et d'aider concrètement ses lauréats. Le lendemain, dimanche, c'est Marc-André Lussier qui annonce l'événement dans la Presse. Il rend compte succinctement et très objectivement de la nouvelle dans ses charmantes « Cannoiseries » qu'il publie quotidiennement.

      En revanche, au Devoir, les lecteurs ont droit, après tout le monde (lundi, 16 mai) à un mesquin encadré d'O. Tremblay, qui le dicte de Cannes, où elle rédige quotidiennement, en première page de son journal, ses propres « cannoiseries » . Titre de l'encadré : « Les Chelems d'or au FFM » (p. B7). Le texte s'ouvre ainsi : « Étrange publicité pour le 40e FFM sur une page entière du magazine Variety, lu par tout le monde à Cannes et tombé sous nos yeux écarquillés » (cela se lit p. B7, sous nos yeux écarquillés !). « Étrange » ? En quoi cette publicité est-elle étrange ? À moins qu'il s'agisse d'une nouille finie, je n'imagine aucun journaliste qualifier d'« étrange » une publicité qui lance une nouvelle aussi « extraordinaire ». C'est ça, une nouvelle... Je viens de l'écrire, une journaliste qui trouve étrange une nouvelle, c'est rare ! Mais non, mais non, pour la journaliste du Devoir, ce n'est pas une nouvelle, c'est tout bonnement une mauvaise nouvelle ! Cet encadré n'est nullement journalistique : c'est un texte d'opinion destiné à dénigrer de manière totalement injustifié le FFMM. « Étrange, parce qu'aux dernières nouvelles, son président Serge Losique n'avait pas payé tous ses employés et fournisseurs pour l'édition 2015 » (textuel). Et figurez-vous que la journaliste s'imagine que le don anonyme est en fidéicommis pour ne pas que des employés qui n'auraient pas encore été payés puissent toucher à ce don destiné aux réalisateurs et producteurs  : « Les requêtes de remboursements devront, si on a bien compris, cogner à une autre porte. À bon entendeur, salut ! ». — Mais qui sont donc ces employés encore impayés ? car s'ils ne sont pas identifiés, il s'agit de diffamation, bien entendu. En ce qui concerne le « bon entendeur, salut ! », il s'agit évidemment d'un appel au boycottage d'éventuels employés du festival cet automne prochain.

      J'ai dit que la journaliste était à Cannes, pour produire son article quotidien en première page du Devoir, « à l'invitation du festival »...

      La journaliste se reprendra sur cette question des Grands Chelems d'or (le Devoir, 18-19 juin 2016, E2). Elle se « reprendra » parce qu'il ne sera plus question que des employés « rémunérés en retard » (ceux qui n'auraient pas été payés disparaissent). Mais elle ajoutera à ce moment, sans donner de source, que le financement de ces bourses serait le fait du Groupe Gold-Finance de Hanzhou, déjà partenaire d'affaire du FFMM en 2015, la rumeur reposant sur l'indice non négligeable qu'une nouvelle section s'ajoutera cette année au festival, une « Compétition spéciale des films chinois ». Pour nous présenter ce groupe financier chinois, elle reprend sans le citer le communiqué de Montréal International du 26 mai précédent, à l'occasion de l'ouverture du premier bureau de Gold-Finance en Amérique du Nord, à Montréal. Or, une fois n'est pas coutume, la rumeur sera confirmée par Serge Losique lors d'un entretien avec Marc-André Lussier dans la Presse le 19 août prochain.


30 mai : report de la cause au mois de novembre 2016

      Le 30 mai, le juge André Provost a accepté l'entente entre les deux parties de reporter à nouveau le délai, après l'appel perdu de la SODEC. L'audition de la cause est reportée au 10 novembre 2016. — Or, le 10 novembre, d'un commun accord des parties, l'audition de la cause a de nouveau été reportée.

      Il est possible, voire probable qu'un arrangement hors cour se prépare. Supposons que le FFMM perde la cause, il perd de l'argent, le renouvellement de ses subventions. Mais supposons, au contraire, que la SODEC de Monique Simard soit condamnée par le tribunal : ce ne sera pas seulement le Gouvernement du Québec, mais de nombreuses instances gouvernementales qui devront rendre compte d'actions illégales doublées, bien entendu, d'un comportement profondément immoral. Sans compter tous ceux qui auront enfin honte d'avoir privé les Montréalais des subventions dont leur festival avait droit.

      En tout cas, ce sera dans deux mois le triomphe du 40e anniversaire du Festival de Serge Losique.

      —— La cause est toujours pendante le 5 mai 2017 (mais j'ai seulement vu le registre sans consulter le dossier 500-17-091217-151).


25 juillet : la direction du FFMM dévoile le film d'ouverture
de sa quarantième édition

      C'est Embrasse-moi comme tu m'aimes d'André Forcier qui ouvrira le FFMM 2016. Le film sera également de la compétition. Le réalisme magique du réalisateur opérera cette fois-ci à la belle époque de la conscription de 1940, mettant en scène les amours de deux jumeaux, du moins celui de la soeur pour son frère et l'amour de celui-ci pour la copine d'un de ses amis. Le nombre de vedettes québécoises rassemblées par Forcier pour « jouer » dans son film est tellement impressionnant que voilà un double événement, la sortie du film (en salle le 16 septembre) et sa présentation en ouverture du FFMM.

      Le communiqué de presse du FFMM est du lundi après-midi 25 juillet et la nouvelle se trouve dans tous les journaux (sauf le Devoir) le mercredi suivant, avec, notamment, une entrevue téléphonique d'André Forcier par Mario Cloutier dans la Presse (27 juillet).

      Le lendemain, jeudi, un entrefilet du Devoir annonce l'événement, mais en datant le communiqué de presse du mercredi. En plus, le prote laisse passer la brève sans sourciller : d'abord, ce n'est pas sa faute, parce que ce sont les journaux de la veille qui ont appris l'événement au journaliste anonyme du Devoir, ensuite, et là oui, c'est sa faute, à cause de l'extraordinaire et amusant lapsus qu'on ne lit nulle part ailleurs dans les médias : Berthes Sauvageau nourrit pour son frère Pierre « plus qu'un simple amour filial » ! (28/07/1016, p. B7).

      Le Devoir a l'habitude de ces petites notes anonymes signées « Le Devoir », dans ses pages culturelles et seulement là. Est-ce que la politique ne devrait pas changer ? Les brèves ont souvent un petit contenu idéologique, polémique ou « engagé », je l'ai souvent noté, dans le cahier des Arts et celui des Livres. Il me semble que ces entrefilets ne devraient jamais être anonymes, car la distance est trop mince entre la « pure » information et l'opinion insidieuse, c'est-à-dire anonyme. Tout entrefilet devrait donc être signé des initiales du journaliste. Dans ce cas-ci (qui ne porte pas à conséquence), ce pourrait être, « A.L., Le Devoir », « F.L., Le Devoir » ou « M.D., Le Devoir » (O.T. étant en vacances !).


Serge Losique, le Triomphe du festival (2016), un grand film

      Début juillet 2016 Louis L. Roquet quitte le Conseil d'administration. Je rappelle que Michel Nadeau, un autre important fonctionnaire de l'État, avait également quitté le CA, à cause du refus de la SODEC de Monique Simard de renouveler la subvention du FFMM en 2014, entraînant l'effet domino que l'on sait. Les efforts de Michel Nadeau avaient pourtant porté fruits (voir la chronologie et son analyse plus haut, où se trouve présenté le plan de relance mis en place par M. Nadeau et accepté par S. Losique). Le FFMM était sur le point de se renouveler, de se réorganiser. Mais à partir du moment où la SODEC de Monique Simard décide de n'en faire qu'à sa tête pour assassiner le FFMM, Serge Losique n'en fera pas moins, et Michel Nadeau, tout champion qu'il a été, n'a plus rien à faire au CA. Il démissionne. Si la SODEC de Monique Simard veut jouer aux folles, elle va jouer toute seule. Voilà l'analyse que je n'ai jamais pu faire confirmer, mais qui me paraît on ne peut plus probable. Or, contrairement à Michel Nadeau, qu'il a « remplacé » le 7 mai 2015 et qui n'a jamais tenté de justifier son départ, Louis L. Roquet s'en explique à O. Tremblay qui l'écrit dans le Devoir (5/08/2016, A1 et A20) : Serge Losique ne sait pas écouter les amis qui vous veulent du bien. D'ailleurs, Dominik Moll devrait refaire, en plus réaliste, son film, qui ne comptait qu'un seul ami, Harry, un ami qui vous veut du bien (2000). Il mettra donc son titre au pluriel pour nous présenter les innombrables amis de Serge Losique, surtout ceux du FFMM de Serge Losique. On vient de voir le cas du « couple » Nathalie Petrowski et Jean E. Fortier, deux grands amis du FFMM de S. Losique qui font la paire.

      Cela dit, de ces amis qui vous veulent du bien dans cette affaire, il faut compter tous les journalistes qui ne diront jamais un seul mot de la SODEC de Monique Simard tout au long de l'été. L'euphémisme veut que le FFMM de Serge Losique est « privé de subventions gouvernementales » depuis trois ans et, qu'en conséquence, il a perdu ses commanditaires, pour perdre ensuite ses employés et, surtout, ses amis les uns après les autres. Tu parles ! Comme information journalistique, c'est vraiment on ne peut plus objectif ! Sauf que cela correspond à la description d'un véhicule motorisé en oubliant le moteur...

      Depuis quarante ans, le FFMM de Serge Losique est devenu une formidable entreprise culturelle montréalaise qui profite à Montréal, au Québec et au Canada. Le FFMM va devoir fonctionner pour la troisième année sans le sou. Or, ce sera un triomphe. Je l'avais prédit et cela s'est produit.

      D'abord, évidemment, ce sera une épopée journalistique, dont voici les événements majeurs. Sans argent, le FFMM n'imprimera ni son horaire et encore moins son mythique programme annuel. On lira cela sur l'internet, au fur et à mesure des réécritures de la programmation. Le festival ne pourra donner ses « Projections sous les étoiles », c'est-à-dire son cinéma de fin soirée sur la Place des festivals, importante tribune populaire cinématographique, réalisée l'année dernière par la famille Bashnick, qui n'a pu être payée encore. Aucune conférence de presse pour annoncer la programmation à deux semaines du début du festival. Et cela ne s'arrangera pas en cours de festival, l'organisme n'ayant aucun attaché de presse. Les films en compétition générale et les premières oeuvres en liste ne sont dévoilés que le 16 août. Une quinzaine, voire dix employés contractuels (anonymes), dont une partie du salaire a déjà été versée, démissionnent « en bloc », le 23 août, en pleine crise de nerfs, de peur de ne pas être payés totalement, mais également parce qu'ils n'ont pas les moyens de gérer l'« ingérable », ces employés se disant trop peu nombreux et mal dirigés. En plus de démissionner à deux jours de l'ouverture du festival (au lieu de n'avoir tout simplement pas accepté ou demandé ces emplois), ils adressent leur « lettre de démission » aux médias, dont des extraits paraissent, notamment au Devoir (24/08/2016, A8). La lettre anonyme est signée frauduleusement « l'Équipe du Festival des films du monde ». S'ajoutent les témoignages de deux de ces employés, toujours anonymes, sous la plume d'O. Tremblay (24 et 26/08/2016, A8 et B2) au sujet de placotage relatif à une réunion qui n'aurait pas eu lieu et d'une semaine de salaire encore impayée... A la toute dernière minute, les écrans du cinéma Forum sont refusés au FFMM de Serge Losique par Cineplex : « Cineplex se dissocie du FFM » (la Presse, PC, 24 août). Il n'est pas surprenant que les versions du FFMM et de Cineplex soient assez différentes, mais une chose est certaine, c'est Cineplex qui a laissé traîner les discussions en longueur, alors que le festival lui devait des arrérages et qu'il manquait de liquidités (que Serge Losique prétend toutefois avoir trouvées et proposées à Cineplex en vain, à la dernière heure). Bref, les sept salles refusées, la programmation doit être réorganisée au seul cinéma Impérial, des films doivent être écartés. C'est la « confusion totale » aux bureaux du FFMM de Serge Losique, des employés (anonymes), « en pleine panique », sont interrogés et cités à plaisir par les journalistes (le Devoir, la Presse et le Journal de Montréal, notamment). Démission, mercredi, 24 août d'Élie Castiel, directeur de la programmation (le Devoir, 25/08/2016, B8). Dès l'ouverture du festival, des acteurs, des réalisateurs et des producteurs (toujours anonymes, à la seule exception de Serena Dykman qui a retiré son film Nana du festival) « dénoncent » le manque de respect du FFMM de Serge Losique, où les employés débordés n'ont pu répondre à leurs courriers électroniques, ne les ont pas informés au sujet de la programmation ou de l'annulation de la projection de leur film et, pire encore, ils n'apprennent rien de plus aux bureaux du festival, lorsqu'ils s'y présentent en personne, alors qu'ils sont souvent venus à leur frais à Montréal, tout heureux que leur film ait été retenu. Même les invités et les membres des jury n'ont souvent pas été accueillis à l'aéroport, ni conduit à leur hôtel, lorsque réservation il y a eu. Du jamais vu dans aucun festival.

      Il y a là deux fautes graves et fort dommageables pour l'image de la Ville de Montréal et de ses festivals. La première, on la connaît fort bien, puisqu'elle se répète depuis quarante ans : le déficit total d'information. Non seulement Serge Losique n'est pas un bon communicateur, mais, pire, il n'a pas le sens de la communication, il n'en perçoit même pas l'importance. Il n'a jamais compris qu'on ne peut pas gérer un événement culturel comme le FFMM sans avoir son attaché de presse et un responsable des communications, avec une équipe de professionnels gérant les relations avec la presse. C'est pourtant essentiel, autant pour l'image du festival que pour communiquer avec le public. Rien de cela n'a jamais correctement fonctionné au FFMM. Mais cette année 2016, il ne s'agissait plus de dysfonctionnement, mais de l'absence totale de communication.

      La seconde erreur impardonnable est l'échec des négociations avec le Directeur général de Cineplex Québec, car le FFMM ne pouvait pas se permettre d'être en déficit de salles de cinéma. Alors de deux choses l'une : ou bien il fallait comprendre très vite qu'il était possible que Cineplex ne laisse pas les écrans du Cinéma Forum et chercher ailleurs; ou bien il fallait réorganiser entièrement la programmation. Les deux choses se sont faites d'elles-même, dira-t-on, mais dans la précipitation et l'improvisation, alors qu'elles auraient dû être organisées dans le calme, plusieurs semaines à l'avance. Et présentées comme la chose la plus naturelle du monde, dans le cas d'un festival de l'ampleur du FFMM qui doit fonctionner pour la troisième année sans subvention aucune. « Présentées... ». On revient à la question des communications. Mais en réalité, la situation s'explique sûrement du fait que Serge Losique a pris pour acquis que l'on continuerait de lui faire confiance, c'est-à-dire crédit !, en misant sur l'avenir nécessairement meilleur du FFMM. Le pari a été perdu. Mais tout n'a pas été perdu, au contraire, puisque ce sont les festivaliers, les cinéphiles, qui auront gagné au change, on va le voir.

      Suivent en effet deux coups de théâtre. Raymond Cloutier ouvre le Théâtre Outremont dont il est le directeur artistique, au FFMM. De nombreux films qui avaient dû être retirés de la programmation sont réinscrits dans l'horaire présenté dès le lundi matin, 30 août. Même chose au Cinéma du Parc, dirigé par Mario Fortin, qui projettera les films du Festival du cinéma étudiant à partir du lendemain, mercredi 31 août, gratuitement, en quatre matinées.

      Et voilà le moment que choisit le Devoir pour faire état en première page d'une Lettre ouverte de vingt et un réalisateurs étudiants. Oui, c'est en première page du journal (le seul qui rendra compte de l'« événement » durant le festival, tant l'affaire est anodine et, pour bien dire, anachronique). « FFM : Vingt jeunes cinéastes en colère » (31/08/2016, A1 !). L'article s'ouvre ainsi : « Une lettre ouverte en provenance de 20 cinéastes étudiants a été expédiée mardi [donc la veille, mardi 30 août] au président du FFMM, Serge Losique, avec copies conformes [sic] au maire Denis Coderre, à la ministre fédérale du Patrimoine, Mélanie Joly, et au ministre de la Culture [du Québec] Luc Fortin ». La lettre, rédigée en anglais, peut se lire aujourd'hui sur Cinetalk.net. L'objet premier de la Lettre ouverte était de protester contre le fait que la projection des films étudiants aurait été annulée. Or, la journaliste O. Tremblay, qui signe l'article, indique elle-même que le FFMM a communiqué à la presse que les films étudiants, comme on vient de le lire, seraient projetés au Cinéma du Parc, en matinée, gratuitement, les 31 août, ainsi que les 1er, 2 et 5 septembre. Et la journaliste a fait confirmer la nouvelle par Mario Fortin, le directeur du Cinéma du Parc. Voilà un problème de réglé ? Mais que non ! La journaliste, et je rappelle qu'on est dans un article en première page du Devoir, va traduire et publier de longs extraits de la lettre (pourtant obsolète) injurieuse à l'endroit de Serge Losique. La rédactrice de la lettre est vraisemblablement Zoé Arthur, réalisatrice de Vancouver, dont le film a été produit dans le cadre de ses études à Film Production de l'University of British Columbia. Sa signature vient en tête de la lettre. En tout cas, la ou les rédacteurs de la lettre sont fort bien « informés » des paliers de gouvernement refusant de subventionner le FFMM, comme des déboires du festival depuis trois ans, à partir du refus en 2014 de sa subvention par la SODEC (la SODEC de Monique Simard, mais les étudiants ne connaissent évidemment pas le complément déterminatif). Or, d'un bout à l'autre de la lettre ouverte, on trouve une accumulation d'injures que la journaliste du Devoir se fait un plaisir de traduire et de publier en première page de son journal. Pourquoi ? Mais tout simplement parce qu'elle peut jouer les ventriloques et répéter les accusations, injures et sottises qu'elle a écrites sur le FFMM de Serge Losique depuis plus de dix ans et que ces étudiants répètent — et dans un style qu'elle ne pouvait malheureusement pas se permettre. Répéter ceux qui nous répètent aveuglément : une aubaine.

      Bien entendu, il s'agit d'un scandale journalistique. Le fait d'O. Tremblay et de son journal, le Devoir. Si quelques journalistes ont évoqué la lettre en question (notamment Mario Girard qui s'en est amusé dans la Presse 3/09/2016), ils se sont bien gardés d'en publier le moindre extrait. Il s'agit en effet d'une crise de nerfs tout à fait compréhensible de la part de jeunes étudiants qui contresignent à l'aveugle une lettre informée des seules critiques à l'endroit du FFMM de Serge Losique depuis des lustres. Ils ont été, on le comprend, catastrophés et frustrés à leur descente d'avion à Montréal (aucun Québécois ne signe la lettre et je n'ai pu savoir si des cinéastes étudiants avaient refusé de la signer). Alors, ils en rajoutent un peu pour la presse, se disant « humiliated and outraged » par the « neglect, mismanagement and arrogance » de Serge Losique qui les empêcherait de voir leur film « on the big screen » ! Je signale que quatre d'entre eux, Tyler Richie, Aline Hochscheid, Juan Sebastián Martínez Mora et Chorong Kim verront leur film non seulement sur le « big screen » du Cinéma du Parc, mais en plus couronné d'un prix ! Heureusement, les deux vainqueurs de la compétition, l'une nationale, l'autre internationale, respectivement Matthew Read et Donkey Xote (qui remportent chacun une bourse de 10 000 $US), ne comptent pas parmi les signataires.

      « Elle laisse sa crotte et puis s'en va, la-la la-la-laire-e ! ». Après cet article vraiment intempestif et pour bien dire saugrenu en première page du Devoir, O. Tremblay disparaît de la circulation. On peut dire qu'elle boude le FFMM si l'on se rappelle qu'au printemps elle avait publié tous les jours sans exception sur le Festival de Cannes, en première page, même lorsqu'elle n'avait rien à nous apprendre. Elle nous reviendra avec une entrevue d'Isabelle Adjani le 6 septembre, au lendemain de la clôture du festival, qui a reçu également Willem Dafoe (prix d'interprétation masculine dans My hindu friend d'Hector Babenco). S'offrir Adjani et Dafoe pour son 40e anniversaire, ce n'est pas trop mal.

      Ce que je viens de résumer, c'est ce qu'on a lu dans les journaux tout au long du FFMM 2016. Et pour la plupart d'entre nous, tout cela a été fort amusant. Ah ! si j'avais été le directeur des communications du FFMM, je m'en serais donné à coeur joie : le seul festival du cinéma au monde qui n'est pas un Club Med cinématographique ! Car dans les faits, ce fut tout autre chose. Je ne doute pas que le « Marché du film » n'a pas dû être très efficace, même si en principe il fonctionne tout simplement tout seul. Les films n'ont pratiquement jamais été présentés et aucun acteur, réalisateur et producteur n'étaient là pour répondre aux questions des spectateurs (ce qui, pour moi, ne présente d'intérêt que dans le cas des documentaires, mais il faut dire que je suis de la génération des structuralistes qui ont dit non à la formule « l'homme et l'oeuvre » : on veut l'« oeuvre de l'homme », rien de plus). En réalité, donc, on a vu des films. Et c'était une merveilleuse expérience, car chaque film n'était projeté qu'une seule et unique fois, et sans la multiplication de dix salles. Le choix se faisait entre le Cinéma Impérial et le Théâtre Outremont; les films étaient présentés en rafale, avec un respect absolu de l'horaire. Pas de double file, celle des détenteurs de billets et celle, angoissante, des titulaire de passeports (avec la question de savoir s'il restera pour finir des places, des places de choix). Et une remarquable bonne humeur de tous se retrouver à l'Impérial ou peu nombreux à l'Outremont. Du cinéma, quoi.

      Et non seulement j'ai eu la chance de voir le film qui a remporté le Grand Prix des Amériques, mais pour une fois depuis longtemps je considère que c'était un bon choix. Oui, il est exact que c'est (ou plutôt que ce sera) un film populaire, comme le veux la recette du FFMM, mais c'est aussi un film de très haute qualité narrative qui amènera au cinéma un public qui en exigera d'autres de cette trempe. Quand je parle de qualité narrative, je n'évoque pas tout à fait l'histoire qu'il raconte, mais plutôt l'entrecroisement de quatre portraits. Non, cinq, car le personnage principal en vaut deux, un grand professeur de jour, et une belle travestie de nuit. La mise en situation est fabuleuse, car le professeur, en deuil d'un grand amour, doit s'occuper de son vieux père, cul-de-jatte près de la phase terminale; or, c'est finalement la voisine du dessous, infirmière de son état, qui va s'en occuper, contre rémunération, non pas en argent, mais en enseignement : le professeur doit apprendre la constitution au mari de l'infirmière, qui est lui policier dyslexique de son état. Vous voyez le portrait ! Enfin les quatre ou cinq portraits. Le film de Rajko Grlic s'appelle the Constitution, du moins en anglais, car le titre a trois mots en croate, en croate de la Tchéquie nous a dit le plus sérieusement du monde le sympathique présentateur improvisé. Film de la Croatie et de la République tchèque.

      Des quelque vingt-cinq films que j'ai vus, je n'aurais pas hésité a donner le Grand Prix de la première oeuvre à Kali blues du Chinois Bi Gan, pour la dextérité de sa caméra et la qualité des images de sa petite ville natale, Kali. J'accorde qu'Écho de Drez Zkerla qui a remporté ce prix le méritait (en dépit de sa facilité), mais pas cette histoire platement ordinaire de Due euro l'ora de l'italien Andrea D'Ambrosio (second prix, ex aequo). Mais j'ai vu aussi un autre film qui s'est mérité, lui, un prix mérité (!), un film tout à fait inattendu, parce que c'est un film canadien parlé en espagnol, Más allá de lo que queda de Peter Tharos et Basset Martin. Il gagne le second prix du cinéma canadien, après celui d'André Forcier, Embrasse-moi comme tu m'aimes (mais celui-là, on savait tous qu'il serait merveilleux avant même de le voir). Il s'agit d'une réalisation remarquable du point de vue strictement cinématographique, qui va du noir et de l'ocre à la couleur, de la pluie au soleil, avec une ouverture mortuaire très originale (notamment la chute sous la pluie du personnage principal qui brise l'urne contenant les cendres d'une défunte qui vont se répandre et se perdre dans le caniveau). D'accord, le film finit trop bien, mais cela était exigé par le déroulement expérimental des images de l'histoire. Le documentaire d'Alberto Romeo, Carne propria (je ne sais plus comment on a traduit en français ou en anglais le titre du film argentin, qui désigne l'abattage du boeuf, ce serait peut-être la Vraie Viande) : aussi drôle qu'instructif, croisant l'histoire politique de l'Argentine avec celle des abattoirs des grandes coopératives péronistes. Je ne vais pas continuer mon énumération pour ne pas attrister davantage ceux qui n'ont pu participer à ce festival mémorable.

      Je peux témoigner en tout cas que le 40e anniversaire du FFMM aura été en 2016 un triomphe. Et je peux le dire cinématographiquement : il aura été une spectaculaire variante du film de Bill Stone, Triumph of the wall (2012). Serge Losique et Chris Overing se ressemblent comme deux gouttes d'eau. Je ne me souviens plus exactement combien d'années il aura fallu au réalisateur pour enfin réussir un traveling sur l'état final du mur de pierres sèches, mais je crois bien que c'est trois ans. État « final », non, car si le mur triomphe, c'est précisément parce qu'il va se poursuivre, qu'on n'en arrêtera jamais la construction. Trois ans que les Montréalais sont privés injustement et scandaleusement des subventions de leur festival. Mais cela donne tout de même un fabuleux film : Serge Losique, le Triomphe du festival (2016).


FFMM 2017

V

Une chaîne de démontage bien huilée

      On ne change pas le cours de l'histoire, surtout si elle est contrôlée par la SODEC de Monique Simard. En revanche, cela ne l'empêche pas de suivre son cours. Et de m'interroger : comment nommer le prochain épisode ? Alors, cette année 2017, ce sera tout simplement « Une chaîne de démontage bien huilée ». Après cinq ans, c'est évident, tout baigne pour les inqualifiables comploteurs. Alors, cinquième chapitre. Il y a cinq ans qu'O. Tremblay, sous le titre « Financer ou pas un FFM en déclin ? », suggérait interrogativement qu'on cesse de subventionner le Festival des films du monde de Montréal. À partir de janvier 2014, la SODEC de Monique Simard livrera la marchandise. Avec l'« effet de dominos » que l'on connaît, le FFMM a perdu toutes ses subventions et, par conséquent, ses commandites.

      Ce sera cet automne la quatrième année que les Montréalais voient leur Festival des films du monde privé des subventions gouvernementales auxquelles ils ont droit. Il est certain que Serge Losique n'abandonnera jamais le festival qu'il a fondé avant qu'il ne retrouve ses subventions et sa santé financière. Or, la nouvelle saison commence avec une menace de saisie du Cinéma Impérial.

La menace de saisie de l'Impérial : mise en demeure, avril 2017
La requête est déposée au Palais de Justice de Montréal, juillet 2017

      « FFM : le Cinéma impérial bientôt saisi ? ». C'est le titre que le journaliste Vincent Larouche donne à son article dans la Presse, le 25 avril 2017. Les faits : deux « prêteurs privés », Michel Constantin (qui est aussi propriétaire d'un « parc immobilier ») et Denis Hébert ont prêté 3,65 millions de dollars, en décembre 2015, à l'« entreprise » de Serge Losique, prenant en garanti le Cinéma Impérial et une propriété en Estrie. Les créanciers réclament aujourd'hui, en avril 2017, 4,3 millions, faute de quoi, dans soixante jours, ils menacent de saisir le Cinéma et la propriété. Rejoint par Vincent Larouche la veille, le 24 avril, Michel Constantin n'a pas voulu dire ce qu'il adviendrait de l'Impérial, si lui et son partenaire mettaient « la main dessus ». Serge Losique, qui revenait à peine d'un voyage en Chine ne pouvait pas commenter l'affaire, toujours ce 24 avril, tandis que son « entourage » croyait que les choses allaient s'arranger.

      On pourrait croire que je fais un résumé descriptif très objectif de l'article de Vincent Larouche, mais tel n'est pas le cas. C'est le journaliste qui rapporte ainsi les faits, avec l'implacable style du nouveau roman, exactement comme Alain Robbe-Grillet peut nous décrire l'assassinat de Dupont dans les Gommes. C'est de la mécanique journalistique ou romanesque bien huilée. Sauf qu'« un accident à peine visible s'est produit » (écrit Robbe-Grillet à la fin de sa description du quartier de tomate dans l'assiette de l'agent spécial Wallas) : les créanciers Constantin et Hébert, je cite, « n'en peuvent plus d'attendre d'être remboursés ». Et on les imagine dire à Vincent Larouche qu'ils ont des familles à nourrir, eux aussi, tout de même, des enfants peut-être, qui ne sont pas des minous. Dans la francophonie, hors Québec, on dit des minets, mais on ne précise pas qu'ils sont plus faciles à nourrir que des enfants. Voilà donc un sentiment inattendu qui « soulève imperceptiblement » l'émotion. C'est le genre du nouveau roman, je l'ai dit. Vincent Larouche, ceux qui ont mis son téléphone sous écoute le savent, est un as du genre.

      Justement, l'information est tellement objective qu'on manque manifestement d'informations. Comment donc Vincent Larouche a-t-il appris qu'une mise en demeure avait été adressée à Serge Losique ? Ah ! Est-ce que Michel Constantin a bien été « joint » par « La Presse » le 24 avril ? Est-ce que ce ne serait pas plutôt lui qui aurait pris contact avec Vincent Larouche, les deux créanciers en étant « au stade de manifester (leur) position » ? Est-il normal ou usuel d'informer la presse de l'envoi d'une mise en demeure ? Est-il normal et usuel qu'un journaliste fasse état d'une mise en demeure ? Car voilà un journaliste qui se fait le porte-voix de créanciers. Pourquoi ? Sans compter qu'une éventuelle saisie est une procédures qui ne sera mise en oeuvre que dans des mois, voire des années. Alors pourquoi l'annoncer ou en faire état maintenant ?

      Voilà pour la « nouvelle ». On doit maintenant l'évaluer. Le prêt sur hypothèque de 3,65 millions a été fait en décembre 2015; la dette est, aujourd'hui, de « plus » de 4,3 millions, dix-huit mois plus tard. Si je calcule bien, le taux d'intérêt devrait donc être de plus de 12%, composé annuellement (en fait, j'étais loin du compte : la requête à la cour précisera, en juillet 2017, que le taux d'intérêt est de 18% pour la première tranche de 2,85 millions et de 15% sur le reste, soit sur 800 milles dollars : total, 633 000$ par année, si je calcule bien). Sans aucune subvention, le FFMM ne pouvait sûrement même pas rembourser les intérêts d'une année, soit plus d'un demi-million de dollars. Est-ce que ce n'est pas là une situation vraiment bizarre ? Que Serge Losique ait obtenu une somme aussi colossale pour réaliser son édition du quarantième anniversaire, le FFMM 2016, c'est fou, mais tout à fait compréhensible, s'agissant du coût de l'événement, qui doit approcher les deux millions de dollars, je suppose. Que deux riches hommes d'affaire lui prêtent 3,65 millions, je n'en vois pas d'explication dans les circonstances.

      Reportons-nous donc au moment du prêt, en décembre 2015, pour nous amuser à jouer avec les gros chiffres. En novembre, Yann Béliveau de No Limit Loans a prêté 150 000 dollars au FFMM pour éponger une première dette de salaires impayés; en décembre 2015, il prête encore 200 000 (Vincent Larouche, la Presse, 5 décembre 2015). Le 3 novembre, la SODEC a lancé une poursuite de 885 000 contre le Festival et, le 23 décembre, c'est le Festival qui contre-attaque, avec une poursuite de 2,25 millions. Et c'est au cours de ce mois de décembre que Michel Constantin et Denis Hébert prêtent 3,65 millions. Or, ce prêt correspond exactement aux déclarations d'Ezio Carosielli et Jean E. Fortier à Nathalie Petrowski, au printemps suivant : à ce moment, selon eux, l'hypothèque sur le Cinéma Impérial est de 3,7 millions. Yann Béliveau est un ami qui a prêté 350 000 à Serge Losique; et on peut supposer que celui-ci l'a remboursé sur le nouveau et formidable prêt de 3,65 millions. Restaient donc 3,3 millions, en janvier 2016. Sans subvention ni commandite depuis trois ans, cet argent a dû servir à rembourser les dettes accumulées, tandis que la réalisation du FFMM 2016 a dû, pour sa part, coûter beaucoup plus que ce qui restait, sans rien rapporter, évidemment.

      Dès lors, la question se pose d'elle-même, doublement : pour quelle raison avoir fait ce prêt et pourquoi en réclamer la restitution maintenant, en menaçant de saisir le cinéma et la propriété donnés en garanti ? Est-ce que le promoteur Ezio Carosielli est toujours preneur de l'Impérial, avec son hypothèque ? Est-ce qu'on veut forcer Serge Losique à multiplier la mise, en comptant sur ses appuis et le succès inéluctable de son festival ? le tout doublé de la réussite de son action en justice contre la SODEC de Monique Simard ? Ou s'agit-il au contraire de le mettre en faillite pour que les organismes subventionnaires remboursent les dettes gagées sur le Cinéma Impérial ?

      Mais ce n'est pas tout. Comment se fait-il donc qu'O. Tremblay n'ait pas relancé la nouvelle dans le Devoir ? Depuis cinq, dix, vingt ans, elle n'a jamais laissé tomber une aiguille qui pouvait lui permettre de picoter Serge Losique et son festival « en déclin ». Il y a là aiguille sous roche. Je crois savoir ce qu'il en est, mais je vous laisse deviner, avec un indice : la journaliste picoteuse et placoteuse a toujours eu ses entrées à la SODEC de Monique Simard et cela doit être toujours le cas. Alors ? Devinez !

      Serge Losique revient de Chine, nous aprend Vincent Larouche. Il sera bientôt à Cannes, pour compléter la programmation du FFMM 2017, de cet automne. O. Tremblay aussi, qui va nous faire tout son fla-fla stylistique annuel, en première page du Devoir. Ah ! le cinéma. Ce sera l'objet de la section suivante.

      C'est le 25 juillet que le journaliste de la Presse nous apprendra que la mise en demeure s'est transformée en une requête, déposée à la Cour supérieure du Québec. Et Vincent Larouche de rester aussi imperturbable que Serge Losique ! Car une autre tuile se détache au même moment du toit du Cinéma Impérial, comme nous l'apprend le titre de son article : « Hydro coupe l'alimentation électrique au Cinéma Impérial ». La cause en est, on s'en doute, des factures depuis longtemps en souffrance. Et le journaliste de nous rapporter la sereine réaction de Serge Losique, qui ne voit rien là qui ne soit pas en train de s'arranger, tout comme la demande de saisie du cinéma : « au besoin, on peut se servir d'une génératrice » ! Sans compter que ce pourrait bien être avant longtemps le problème des prêteurs ? Il faut voir le bon côté de toute chose, surtout à trois semaines de l'ouverture du festival 2017, avec « une programmation extraordinaire », alors même qu'« une solution financière est en vue ».

—— Le pot aux roses

      C'est un article apparemment anodin de la journaliste Marie-Lise Rousseau, dans le Devoir (3 août 2017, p. A3), qui nous permet de comprendre enfin la situation. Non seulement l'article est anodin, mais je ne pense pas que la journaliste en mesure la portée, comme on le voit à son titre : « Le Festival des films du monde reste à l'Impérial » ! Évidemment que le FFMM 2017 va se dérouler au Cinéma Impérial. La requête de saisie est inscrite à la Cour Supérieure, mais aucune procédure ne sera entammée avant longtemps et on peut compter des années, je suppose, avant d'en voir l'éventuel dénouement. Un avocat devrait pouvoir estimer le délai habituel pour obtenir un jugement sur une requête en saisie, mais il est probable que dans le cas de la saisie d'un édifice patrimonial la réponse sera : ça va être très long ! En tout cas, on peut supposer que le Cinéma Impérial sera encore longtemps administré par l'organisme à but non lucratif qui le gère actuellement.

      Cela dit, Marie-Lise Rousseau fait un reportage journalistique d'une rigueur exceptionnelle, étant donné les questions sans réponses qui se posaient depuis l'article inaugural de Vincent Larouche en avril dernier, rédigé dans le pur style des nouveaux romanciers des années 60. Elle a tout simplement interrogé tous les intervenants dans l'affaire et les réponses obtenues donnent enfin la clé de l'énigme (que même le super enquêteur Wallas aurait peut-être comprise, car c'est plus simple que de savoir qui marche sur quatre, deux et finalement trois pattes). M.-L. Rousseau a donc interrogé, à défaut du Sphinx, Serge Losique (on s'en doute), François Beaudry-Losique, le gérant du Cinéma Impérial, Michel Constantin, le co-prêteur de 3,5 millions avec Denis Hébert, qui réclament aujourd'hui 4,3 millions de dollars, avec les intérêts, et menacent de saisir l'Impérial, et surtout Denis Coderre, le maire de Montréal, et Luc Fortin, ministre de la culture du Québec (qui ont eu une rencontre à ce sujet !). L'important, la seule chose importante dans l'affaire, c'est que le maire et le ministre s'engagent à « protéger » l'Impérial. Le cinéma patrimonial ne saurait tomber aux mains d'intérêts privés ! Et celui qui est aux petits oiseaux, c'est le porte-parole, si je puis dire, des deux prêteurs : il faut, dit-il « une solution pour éviter une saisie » et d'ajouter, « notre but ultime est d'être payé » ! Tu parles !

      La réponse aux questions que je posais plus haut, à la lecture de l'article de V. Larouche, se trouve dans l'article de M.-L. Rousseau, qui n'en dit pourtant rien et n'en voit pas le caractère spectaculaire, propre à faire la une de son journal. C'est pourtant clair, dès que l'on comprend que les réponses de ses informateurs ne s'additionnent pas, mais se multiplient. La ville de Montréal, le gouvernement du Québec et celui d'Ottawa ont coupé toute subvention au FFMM. Deux chics financiers les ont donc remplacés en prêtant une bonne partie de ce qu'auraient dû être les subventions au festival. Le hic était d'exiger en garanti... l'Impérial ! Bien sûr, en 2015 et 2016, le FFMM aura obtenu en prêts privés beaucoup moins que les subventions refusées, mais le festival aura été sauvé, comme il le sera encore cette année 2017; en contrepartie ce sont ces prêteurs privés qui vont empocher beaucoup plus d'argent qu'ils auront généreusement et judicieusement investi, assurant la survie du festival qu'on voulait tuer.

      Serge Losique a fait le travail que les Montréalais attendaient de lui : réaliser ses dernières éditions du festival sans subvention aucune. La ville de Montréal et le gouvernement du Québec vont maintenant en payer le prix du ridicule, puisqu'ils devront donner à de généreux prêteurs ce qu'ils ont refusé au FFMM, aux Montréalais.

      Et il n'est pas dit que le festival ne gagnera pas son procès contre la SODEC de Monique Simard...

—— Coup de théâtre !

      Les titres des articles de la Presse, pour l'article de La Presse Canadienne, et celui du Devoir, respectivement des 22 et 23 août disent tout, ou presque : « Québecor vient à la rescousse de l'Impérial » et « Québecor règle les dettes de l'Impérial », par Jérôme Delgado(p. A3).

      C'est très simple : l'entreprise dirigée par Pierre-Karl Péladeau rachète la dette de 5 millions de dollars due aux prêteurs Michel Constantin et Denis Hébert, tandis que la Presse nous apprend que le règlement du prêt de No Limit Loans d'Yan Béliveau (que j'aurais cru réglé) est aussi en cours de négociation. Le Conseil d'administration de l'organisme sans but lucratif qui gère l'Impérial sera réorganisé : Serge Losique en reste le président et François Beaudry-Losique, le gérant, tandis que deux dirigeants de Québecor en feront dorénavant partie; ces quatre membre nommeront deux autres membres au Conseil d'administration. Le nouveau Conseil commencera par honorer tous les engagements déjà pris par son gérant et notamment la tenue successive de trois festival (le FFMM, Cinémania et le Festival du nouveau cinéma). Il n'a été nullement question de la gestion du FFMM de Serge Losique, apparemment, dans cette entente sur la gérance de l'Impérial, qui sont deux organismes complètement différents.

      La question d'une éventuelle saisie, suivie de la mise en vente du cinéma, doublée évidemment de l'intervention des gouvernements, se trouve donc réglée de facto, puisque Québecor devient le nouveau créancier du cinéma et un créancier qui compte l'exploiter de la manière la plus efficace possible.

      En revanche, du point de vue de l'analyse des événements et des situations qui en ont découlé, voilà un mystère qui ne sera pas facilement résolu par les journalistes d'analyse. Les bonnes questions se reposent-elles donc, et depuis le début. Comment deux prêteurs peuvent-il avancer des millions au FFMM, en sachant pertinemment qu'il lui sera impossible de rencontrer même les intérêts du prêt. On pouvait finalement comprendre, et tout s'expliquait (comme on l'a lu entre les lignes de la section précédente), que Serge Losique était de mèche avec ses prêteurs, puisque les gouvernements seraient forcés d'intervenir et de « couvrir » l'acheteur potentiel lorsque le cinéma serait mis en vente pour une somme qui, forcément, couvrirait ses dettes. C'était un bon coup en perspective, puisque les subventions refusées rentreraient ainsi par la porte d'en arrière !

      Or, la conférence de presse de Serge Losique, François Beaudry-Losique et Pierre-Karl Péladeau nous informe que « c'est Québecor qui s'est manifestée dans les jours précédant l'entente » du 22 août, tandis que P.-K. Péladeau « n'a pas voulu expliquer pourquoi son soutien arrive maintenant et pas avant ». Sa réponse laconique : c'est « un concours de circonstances » ! (J. Delgado, le Devoir). Et c'est l'explication qu'il faut retenir jusqu'à mieux informé. Serge Losique et ses prêteurs s'apprêtaient effectivement à procéder et à faire procéder à la saisie de l'Impérial dans quelques mois, au cours de l'hiver 2017-2018, ce qui serait évidemment facilité par la bonne entente des intervenants ! Et voilà le « concours de circonstances » qui permet à l'entreprise Québecor de... prendre tout bonnement la place de la Ville de Montréal, du Gouvernement du Québec et de celui du Canada. C'est un bon coup. Un coup de théâtre. Serge Losique et ses prêteurs sortent grands gagnants de leur pari, bien différemment, mais mieux qu'ils auraient pu l'espérer, tandis que Pierre-Karl Péladeau donne à son programme de restauration des films, intitulé « Éléphant (mémoire du cinéma québécois) », un écran de choix, alors même qu'il prend en main un levier d'intervention puissant pour son implication dans la culture québécoise.

Un événement : O. Tremblay à Cannes, 17 mai 2017

      UN ÉVÉNEMENT ? L'ouverture du festival de Cannes ? Un événement qui marquerait son ouverture ? Non, l'événement, annuel, c'est l'arrivée de la journaliste du Devoir à Cannes. C'est annuellement fabuleux.

      Cela fait la première page du Devoir. En première page du journal de Montréal, nous avons droit au premier article de la journaliste, dont voici la première phrase. C'est la première phrase de son premier article en première page du journal. Je cite : « Le joyeux bordel des veilles d'ouverture de festival vacille au vent de la baie dans le rouge des tapis déroulés ». Évidemment, cette phrase inaugurale n'a absolument aucun sens. Voici un « joyeux bordel, un « joyeux bordel d'ouverture de festival ». Oui, c'est, apparemment, si l'on comprend bien, une ouverture de festival de Cannes un peu désorganisée, mais finalement bon enfant. Sauf que l'« ouverture » bordélique en question, « vacille au vent de la baie ». Qu'est-ce donc qu'une ouverture qui vacille ? Il faut comprendre qu'il y a du vent qui souffle sur Cannes. Bon. Mais il faut savoir que tout cela vacille « dans le rouge des tapis déroulés » ! Cette phrase, niaise et stupide, signifie simplement, me voilà, O. Tremblay, grande styliste en première page de votre journal pour vous époustoufler de niaiseries durant dix jours.

      On n'y peut rien. Année après année, on doit vivre avec ces sempiternelles chroniques à la noix de coco en première page de notre journal de Montréal. On va lire le lendemain (21/05/2017), au lancement d'un film qui n'intéresse personne, qu'« au début, c'était mal barré ». C'est du comique titi parisien, en première page de notre journal de Montéal. Chez nous, on dit, en langue familière, « c'était mal parti », en titi parisien, c'est mal barré. Il y a mille façons d'exprimer en français qu'un événement commence mal. Quel peut bien être l'intérêt de nous servir du titi parisien ?

      Alors, pour faire bonne figure, disons que c'était mal barré avec ce compte rendu tout ce qu'il y a de plus positif d'un évident film pour enfant avec un gros nonours, non, un gros cochon. La journaliste du Devoir a beaucoup aimé cette belle fable anticapitaliste et écologique sud-coréenne financée par Netfix. Pendant ce temps-là, heureusement, un certain Marc Cassivi, pourtant bien peu recommandable, reprend la chronique sans prétention de Marc-André Lussier, « Les Cannoiseries ». Cela se lit dans la Presse, à Montréal.

Le boycottage du Devoir s'accentue...

      Dans le numéro du Devoir des 19 et 20 août 2017, O. Tremblay signe, sans surprise, ce qui paraissait son premier article sur le FFMM cette année. En fait, la première moitié du texte correspond à son titre : « Québec se penche sur le sort de l'Impérial » (le Devoir, 20/08/2017, p. C7). C'était avant le coup de théâtre dont il vient d'être question. Il s'agit de vagues supputations sur l'avenir du cinéma Impérial. On lit ensuite ses impressions habituelles sur le FFMM de cet automne. Le 12 août, la Presse a dévoilé les 19 films en compétition. La journaliste dit, de la manière la plus comique, que l'information a été « coulée » par le quotidien ! Alors, devinez quelle fabuleuse conclusion elle tire de cette programmation ? Oui, il n'y a aucun film québécois dans la compétition, de sorte que le « volet national s'annonce bien mince ». Cela fait trente ans qu'elle pose et répond à la question. Cette fois-ci, c'est simple : aucun film québécois ne sera de la compétition. Si l'on comprend bien, cela lui fait beaucoup de peine.

      En tout cas, elle fait montre d'une rare perspicacité en déclarant que « des nuages [sic] entourent encore la tenue de ce rendez-vous cinéphilique, non financé par l'État depuis 2014, qui roule au petit bonheur la chance ». Il fallait se fendre d'une longue réflexion pour en arriver à cette conclusion pour les lecteurs du Devoir ébahis d'une telle noire nouvelle !

      On sera mieux informé par le toujours pertinent Marc-André Lussier dans la Presse : « FFM, mode d'emploi » (24 août), dont un paragraphe survole ce que le journaliste a pu savoir sur quelques-uns des films en compétition. Et on lira le lendemain son très pertinent compte rendu de la soirée d'ouverture du festival, doublé d'une analyse critique du film d'ouverture, Ana Karina : l'histoire de Vronski, par Karen Shakhnazarov : « Ouverture du 41e FFM : en formule... écologique ! » (la Presse, 25 août). — M.-A. Lussier reprend la « formule » de Serge Losique qui a changé le tapis rouge du festival pour un tapis vert afin de dénoncer le refus de subvention au FFMM, alors que la ville de Montréal graisse les bolides dans une course de voitures électriques, la Formule E. Le FFMM fait donc, contre mauvaise fortune, bonnes économies, c'est le moins que l'on puisse dire.

      Bref, on le voit, l'article d'O. Tremblay n'a aucune commune mesure avec ceux de la Presse. Mais ce sera son premier et dernier texte sur le FFMM cette année. Enfin !

      Mais j'étais trop optimiste : enfin (bis), me disais-je, enfin (ter) du « sang neuf » au Devoir. Mais non, rien n'a changé, au contraire, le boycottage du FFMM par le Devoir s'est non seulement poursuivi, mais il s'est accentué. Le journaliste Jérôme Delgado s'est contenté de poursuivre son travail de reporter (25, 26 et 29 août, puis le 1-2 septembre), laissant sa place à Marie-Lise Rousseau pour le compte rendu de la soirée de clôture (le 5 septembre). Il s'agit très ostensiblement, pour le journal, de rendre compte du FFMM 2017 en le ravalant au niveau du fait divers. Comble de l'ironie, c'est O. Tremblay, qui participe activement chaque année au Festival de Cannes et à celui de Toronto, qui écrit dans sa chronique hebdomadaire au journal : « hasard ou miracle, la dizaine d'oeuvres que j'ai vues en compétition n'étaient pas mal du tout » ! (chronique du 3/09/2017, p. E2). Cette phrase représente à elle seule la politique du Devoir vis-à-vis du FFMM 2017. Accentuer le boycottage. Faire un pas de plus, c'est logique, consisterait l'année prochaine à ne pas en dire un seul mot. Pourquoi pas ?

      En fait, c'est déjà le cas, à partir du moment où aucun des trois critiques cinématographiques du journal (François Lévesque, André Lavoie et Manon Dumais) ne participe au festival pour rendre compte de ses films, d'aucun de ces films. Cela fait d'ailleurs partie, depuis cinq ans, de la chaîne de démontage. Or, par hasard, elle est apparue clairement lorsque les autorités politiques se sont mises à l'étude du cinéma et de la télévision, en plein FFMM 2017. C'est la ville de Montréal qui a créé un Comité consultatif sur le Cinéma et la production télévisuelle. La direction en est confiée à Pierre Roy. Mais il faut savoir que les deux premiers des seize membres du Comité consultatif en question sont la SODEC de Monique Simard et Téléfilm Canada. Denis Coderre, maire de Montréal : « M. Losique a beaucoup fait pour le cinéma, mais à un moment donné, toute chose a une fin » ! Bref, le maire sait déjà ce que pourra être le rapport d'étape et le plan d'action de son Comité en ce qui concerne le FFMM, qui pourrait peut-être jouer un rôle en regard des diverses entreprises de production cinématograhique à Montréal, au Québec. Non, non. On a décidé que tel ne serait ou ne pouvait pas être le cas. A-t-on décidé également de ne tenir compte d'aucun des festivals de films de Montréal ? Voilà qui serait surprenant. Cela dit, même le directeur de la Cinémathèque québécoise, que cela ne regarde évidemment pas, se dit très heureux de la mort annoncée du FFMM (le Devoir, 3/09/2017, p. B1). Il faut dire que la Cinémathèque est grassement subventionnée par Montréal, Québec et Ottawa. Alors, juste et stratégique retour d'ascenseur, car il faut toujours savoir monter sur le plateau cinématographique de la balance des plus gros.

      ... Tandis que le ministre de la culture attend toujours un plan de relance qui a déjà été présenté au public en 2014

      Le ministre de la Culture du Québec est encore plus suave, emberlificoté par sa SODEC de Monique Simard : « "le FFM a une riche histoire et nous souhaitons toujours que davantage de films, québécois et étrangers, soient accessibles au public montréalais. Toutefois, le gouvernement [sic] demande depuis plusieurs années au festival de lui fournir un plan de redressement que nous attendons toujours [sic]. Tant qu'il n'y aura pas de plan de redressement [sic], il ne pourra y avoir de soutien gouvernemental", résume Karl Filion, attaché de presse du ministre de la Culture et des Communications, Luc Fortin » (le Devoir, 3/09/2017, p. B1).

      Je me permets de m'adresser à l'ancien ministre Fortin, car peut-être pourra-t-il conseiller la nouvelle ministre, qui a étudié le chant et le piano dans son enfance, Marie Montpetit, de sorte qu'elle ne finisse pas elle aussi sous la botte sado-masochiste de la SODEC de Monique Simard, sait-on jamais. Alors, je dis : mais non, monsieur Fortin ! La SODEC de Monique Simard vous a caché que le FFMM lui a déjà soumis un plan de redressement. C'est Michel Nadeau qui lui a transmis son plan de relance, sous ultimatum d'un mois, fin juin 2014. Le 2 juillet, le plan a été présenté à la presse. Le 10 juillet, ce qui est très vite en affaire pour des fonctionnaires, Monique Simard, dans une entrevue à la Presse, nous a annoncé que le plan était rejeté (sans d'aucune manière avoir été pris en considération, c'est évident). Voilà monsieur le ministre. Le plan, que vous attendez toujours, a été remis. La ministre de la Culture que vous avez remplacé, Hélène David, ne vous en a rien dit et la SODEC de Monique Simard ne s'en est pas vanté, bien entendu. Vous ne savez manifestement rien de cela, mon pauvre ami.

      Cela dit, peu importe, Car j'ai été très heureux de participer au FFMM 2017, qui s'est tranquillement déroulé au seul cinéma Impérial, avec quelques séances au cinéma du Parc, comme aussi, plus improvisées je crois, au cinéma Le Dollar à Côte-Saint-Luc. Cela a encore été, tout simplement, une belle fête du cinéma pour les Montréalais.

De bons films du monde, de partout

      J'ai vu le film qui a remporté le Grand Prix des Amériques, ...Y de pronto el amanecer (« Et tout à coup l'aube ») du Chilien Silvio Caiozzi. C'est un bon choix, dans la logique du FFMM. Je trouve toutefois que l'histoire est bien longue, se déroulant sur trois générations, en... trois heures. La charmante histoire d'un écrivain qui voudrait écrire sur ses deux amis d'enfance, avec les cinquante-six souvenirs qui vont avec. J'étais content que le festival ait l'honneur de lui remettre son Grand Prix.

      J'ai vu les vingt premières minutes d'un navet qui a remporté un prix. C'est la preuve que tous les goûts cinématographiques sont dans la nature des festivals. J'ai vu un film français sous-titré en français (les Éléphants perdus). J'ai vu quelques films pour le seul et unique plaisir d'entendre l'espagnol ou l'italien. Un excellent film de genre du genre (bis) dont j'ai horreur, par les Mexicains Carlos Algara et Alejandro Martinez Beltran, Veronica, parce que c'est mettre beaucoup de talent et d'art à raconter une histoire sans queue ni tête, franchement au-dessous de tout.

      Mais j'ai vu deux chefs-d'oeuvre vraiment inattendus. Le premier est un film chinois d'un très grand réalisateur de HongKong dont je ne savais rien, Wong Kar-wai, Empreintes. C'est un film expérimental au sens où il est constitué de trois ou même quatre « courts métrages », quatre films qui se déroulent dans un même petit village des environs de Shangai. Je vous raconte, même la fin, parce que même en l'ayant vu, j'aimerais le revoir, sans surprise. Trois films complètement différents d'environ trente minutes chacun. Le premier est désespéremment long, puisqu'il ne s'y passe à peu près rien. Une jeune femme fantomatique qui se déplace dans son village la nuit, se remémorant, apparemment, son amour interdit pour son beau-frère, alors qu'elle est jeune veuve, en butte avec sa belle-mère, la femme forte qui gère son village d'une main de fer dans un gant d'acier inoxydable. Images d'une société traditionnelle. Images de nuits et de rizières. A la fin, dès les premières séquences du film suivant, on a compris qu'il s'agira de décrire les rapports amoureux et sexuels de couples chinois sur de nombreuses générations. Alors nous voici à l'époque de la révolution culturelle, avec un jeune couple qui doit se tenir bien tranquille et même cacher ses amours, multipliant pourtant les frasques (j'ai été surpris de voir qu'on pouvait se moquer de la révolution culturelle dans un film coréalisé entre la Chine et HongKong). Enfin, c'est l'histoire de celle qu'on devine prostituée qui revient au village et fréquente, dans une musique toute moderne, le Bar du Bonheur. Après cela, le quatrième film ne dure pas plus de six minutes, avec deux séquences en traveling avant, en plongée et contre-plongée, dans une salle d'audience où l'on assiste à un divorse menée tambour battant par la jeune femme qui demande le divorse, signe l'acte, et laisse la juge et son mari en plan. C'est vraiment fabuleux en regard des trois histoires précédentes. Wong Kar-wai, réussit un film expérimental, certes, mais simplement en maîtrisant des réalisations classiques de genres radicalement différents. Une petite histoire de la Chine mise en scène avec poésie, humour et réalisme.

      Le second chef-d'oeuvre n'est pas à recommander aux âmes sensibles, car il est d'une extrême violence. Et la violence est terrible parce qu'elle se situe au coeur d'une histoire toute villageoise, très douce, lente. Cela se passe dans un petit village du Danuble. C'est un film de Roumanie par Dinu Tanase qui s'intitule Frozen Ignat, ce qui veut dire, je pense, « Embrasements glacés » (mais je n'en suis pas certain). Une jeune femme vient assister aux funérailles de son grand-père. C'est simple, très lent, je l'ai dit. On va découvrir tout le village en dueuil, comme si le film avait été conçu et tourné pour être présenté au FFMM. Mais il apparaît bientôt, à la jeune femme, que son grand-père a été assassiné, certainement par son vieil ami, Peté, qui justement, par hasard, est introuvable, qui doit se cacher quelque part dans le village. — Je ne peux pas raconter la suite. C'est elle qui est d'une violence inouïe, filmée en couleur. J'ai oublié de dire que le grand-père en question était boucher et qu'il venait faire chez Peté la boucherie annuelle de son cochon. Mais je ne dois pas oublier de dire qu'une part importante de l'histoire consiste en une transformation psychologique importante, constante et soutenue de l'héroïne (jouée par une actrice toute nouvelle dans l'importante filmographie du réalisateur, Alexandra Fasola) : elle vient assister à de banales et tristes funérailles, alors que pour finir elle doit écouter les conclusions d'une enquête qu'elle n'a pas su, elle, mener à bien, par une sorte de sympathique Simenon.

      Je finis par où j'ai commencé : j'ai vu le Retour du sud-coréen Chul Heo, un petit film « charmant » (et larmoyant) nous regroupant dans un petit café des disparus et retrouvés. J'ai tout de suite été convaincu qu'il remporterait le premier prix dans la catégorie des premiers longs métrages. Je ne me suis pas trompé. Je connais mon FFMM. Et je l'aime en plus pour ce qu'il est.

      On trouvait même un film destiné spécialement à O. Tremblay, une histoire attendrissante pour enfants attardés (car le film ne s'adresse manifestement ni aux enfants, ni aux adolescents). Cela s'intitule Elvis, le retour à la maison (Elvis walks home), un film de Fatmir Koci, d'Albanie. Je cite notre savante critique de cinéma qui a un bon mot pour le film dans sa chronique (où, comme on l'a lu plus haut, elle dit en huit lignes avoir vu dix bons films dont elle ne parle pas) : « S'offrir un film albanais sur un clone d'Elvis en otage de guerre émeut au passage » (le Devoir, 3/09/2017, p. E2). Hou ! là! là! Heureux boycottage...


FFMM 2018

VI

Un festival de pur cinéma

      Le festival s'est découlé du 23 août au 3 septembre 2018. Les Montréalais avaient compris qu'ils devraient vivre avec le mépris de leurs gouvernements, à commencer par celui de la ville de Montréal, pour leur festival, Mais, tant pis, car ils ont aussi compris qu'ils pouvaient compter sur la vitalité et l'énergie de Serge Losique.

      Et ce sera une petite année tranquille qui nous conduira à la version la plus épurée jamais produite du FFMM, un festival du plus pur cinéma. Il y a des malheurs qui produisent du bonheur. Sans toutes les catastrophes produites par ses opposants et ses détracteurs, de parfaits imbéciles, jamais Serge Losique, un génie pourtant, n'aurait produit un festival minimaliste. Il lui fallait des bâtons dans les roues pour planer, en planifiant deux volets du festival, l'un à l'Impérial, l'autre dans trois salles du Cinéma Quartier Latin.

      Quelques dates mémorables ?

5 novembre 2017. Élection de Valéry Plante à la mairie de Montréal. Manon Gauthier, qui a relayé les diktats de la SODEC de Monique Simard à la ville, a quitté son poste au mois d'août. Après les élections de novembre, elle sera remplacée par Anne-Marie Sigouin à la Commission sur la culture, le patrimoine et les sports.

7 décembre. Madame Monique Simard est remplacée par Suzie Bouchard, par intérim, à la direction de la SODEC, en attendant la nomination du prochain président. La SODEC n'est donc plus dorénavant la « SODEC de Monique Simard ». Mme Bouchard, à la société depuis 2007, n'a jamais protesté contre les agissements de la SODEC de Monique Simard vis-à-vis du FFMM. On n'attendra donc pas de changement de politique avant la nomination du prochain président.

4 juin 2018. Le FFMM obtient un premier sursis, jusqu'au 22 juin, pour régler le différent qui l'oppose à Revenu Québec. Le gouvernement lui réclame un demi-million de dollars en taxes et impôts impayés (499 469 $), soit en taxe de vente des entrées au Festival et en impôt retenu à la source sur le salaire de ses employés. Le gouvernement du Québec demande à la cour une injonction pour empêcher la tenue de la prochaine réalisation du FFMM cet automne 2018. D'ailleurs, depuis 2015, le certificat d'inscription du festival à la taxe de vente est révoqué, ce que le FFMM ignorait ou a ignoré.

Juillet. Serge Losique se présente à nouveau en cour, sans avocat, comme l'avait pourtant exigé le tribunal. Mais comme il n'y a pas d'urgence, le juge Yves Poirier accepte de reporter encore l'injonction, Revenu Québec et le FFMM s'entendant pour qu'un acompte ou une garantie de 32 000 $ soit versé avant le 31 août. En terme légal, cela s'appelle une « sûreté » (Guillaume Bourgault-Côté, le Devoir, 13 juillet, p. A1 et A4). La caution est versée deux jours avant l'échéance.

      Le FFMM est mal géré et ne paye même pas ses impôts et les taxes ? Mais non. D'abord, Serge Losique est assez ratoureux pour retrouver une petite partie des subventions auxquelles il n'a pas droit de la part des gouvernements. Ensuite, le Gouvernement du Québec fait la preuve que, même sans subvention aucune depuis cinq ans, avec évidemment la diminution en conséquence de ses revenus, soit du public, soit de ses participants, le FFMM est rentable pour nos gouvernements, le seul Gouvernement du Québec en tirant un demi-million de dollars sur les trois dernières années, sans compter évidemment tous les revenus indirects. On peut estimer que les trois paliers de gouvernement, Montréal, Québec et Ottawa, doivent tirer de cinq, et jusqu'à dix millions de dollars, de l'événement qu'ils ne subventionnent pas pour des raisons de petite politique idéologique.

15 août. Publication de la programmation du FFMM sur son site internet.

23 août. Mention très honorable pour le journaliste Marc-André Lussier de la Presse qui présente un panorama des films en compétition pour le Grand Prix des Amériques. Nous aurons été de nombreux cinéphiles à relancer son précieux dépouillement sur l'internet pour programmer nos choix. M.-A. Lussier est décidément un grand journaliste cinématographique, en plus d'être un critique très avisé, comme en témoignera sa critique du film d'ouverture le lendemain, « La persistance du samouraï » (24 août) : tout le monde sera d'accord pour dire que la réalisation artistique de Daisaku Kimura est époustouflante, avec ses images sous la pluie et sous la neige de scènes d'actions filmées de manière remarquable, ses prises de vues des paysages et des intérieurs aussi; pour cela seulement le film méritait d'être honoré; en revanche, question « samouraï », la quantité de ketchup et de jus de tomate investie dans des combats et des meurtres sanglants tout à fait invraisemblables méritait, elle, les rires des spectateurs. Cela dit, la Presse avait déja célébré l'ouverture de la 42e édition du FFMM avec un reportage du même Marc-André Lussier et de Mario Girard, « Le mystère Losique : Napoléon sans Waterloo » (18 août) : « À quelques jours du 42e FFM, M.-A. Lussier et M. Girard ont tenté de percer le mystère entourant son fondateur, Serge Losique. Portrait d'un homme qui refuse d'abdiquer et qui maintient en vie un festival dont on a prédit la mort mille fois ». Bon, voilà pour la Presse. Le Devoir, pour sa part, poursuit son boycottage du FFMM, la couverture du festival étant réduite aux « papiers » de son reporter culturel, Jérôme Delgado, excellent journaliste par ailleurs : 24 août. compte rendu de l'ouverture et de l'état de la programmation du festival (p. B2); 28 août, « Des voix à la défense du FFM » (p. B8).

      Ce dernier article donne la parole au président du jury, Sylvio Caiozzi, de même qu'à deux réalisateurs participant au festival, Nils Olivete et Sylvain Brosset. Ils sont tous les trois en conflit d'intérêts, ce qui ne les empêche pas de dire la stricte vérité : le FFMM est le seul et unique grand festival à sélectionner ses films pour leur seule qualité. Avec le moins de fla-fla possible, ce qui, de toutes façons, est imposé par sa situation financière difficile, mais devient un atout important du festival de Montréal. « Voir ce qu'on ne voit pas ailleurs ». Contrairement au FFMM, « beaucoup de festivals ne prennent pas de risque. Ça leur prend des films vus ailleurs. Ou alors, on doit se présenter avec un distributeur. Plus facile pour la gestion et moins risqué ». Conflit d'intérêts ou pas, c'est bizarre que ces réalisateurs disent exactement ce que pensent — et de plus en plus au fil des dernières années — les cinéphiles. Bizarre de voir les soi-disant spécialistes et critiques se balader à Cannes et à Toronto entre leur boycottage de ce festival qui se déroule chez eux, à Montréal. Oh ! Neil Amstrong alunit par malheur à Venise, cet automne, en ouverture du festival, là où lady Gaga fait son entrée cinématographique à la Mostra. Mettez cela à Montréal et vous verrez Mme O. Tremblay frétiller et le Devoir en faire ses unes. Il ne s'agit pas là de cinéma, mais d'événements du monde cinématographique.

23 août - 3 septembre. Déroulement du festival. Une grande réussite en format minimaliste. Un festival de pur cinéma.

      Personnel. J'ai choisi cette année de n'assister qu'aux films en compétition, soit pour le Grand Prix, soit pour la Première OEuvre, au cinéma Impérial. Je n'ai vu aucun des cent cinquante films présentés dans trois salles du cinéma Quartier Latin. J'ai assisté à vingt-deux séances. Mon passeport m'a coûté 200 $. Chaque séance valait donc 9 $. Chaque fois que ma séance de cinéma se terminait à sept heures ou plus tard, j'étais de restaurant à Montréal, habitant la banlieue. Et chaque fois, nos gouvernements qui refusent de subventionner le FFMM en tiraient la taxe de vente.

      Évaluation globale. Les cinéphiles étaient peu nombreux à l'Impérial, occupant généralement le tiers des fauteuils. C'était pour eux, évidemment, un régal. Pas de file d'attente, une atmosphère bon enfant et l'accueil chaleureux des réalisateurs, acteurs ou producteurs qui venaient présenter leur film ou répondre aux questions des spectateurs. Du point de vue technique, le festival s'est déroulé à la perfection. Parfois, les sous-titres annoncés en français ou en anglais étaient en fait dans les deux langues ! Un seul film n'a pas tenu l'affiche : le film mexicain du réalisateur Sergio Umansky intitulé en anglais Eight out of ten a été remplacé à la dernière minute par la projection du film allemand de Kevin et Toby Schmutzler, Robin (Allemagne et Afrique du Sud).

      Analyse critique. Généralement, je ne suis pas un abonné des films en compétition pour le Grand Prix ou la Première OEuvre. Mais j'ai été content cette année d'en faire l'expérience. Voici donc l'évaluation d'un tout simple cinéphile. D'abord, je n'ai pas vu aucun (remarquer la double négation !) navet cette année. Il me faut vingt minutes pour savoir si je verrai la suite d'un film et, normalement, étant donné les genres de films que je choisis, cela se produit une ou deux fois. Il ne m'est jamais arrivé de quitter la salle cette année. Ensuite, j'ai été surpris de l'homogénéité d'un grand nombre de films, au moins dix, nous venant de partout au monde, présentant des situations familiales ancrées, en mode psycho-social, dans des pays, des régions, des villages manifestant la vie nationale. Et non, ce n'est pas toujours exotique, comme le cas des deux frères face au mariage arrangé (Da Fei, Chine) ou le merveilleux petit film qui nous présente un crime d'honneur au Cap-Vert (Francisco Manso); c'est parfois tout ce qu'il y a de plus « ordinaire », comme l'histoire amusante d'une fin de vie, l'une en Suisse (the Last Touch, soit « la Dernière Main » ou « la Finition » ! de Rolf Lyssy), l'autre d'un Écossais à San Francisco (the Etruscan Smile de Michel Brezis). La retraite trop occupée d'un Japonais désoeuvré qui perturbe toute sa famille n'est pas mal non plus (Hideo Nakata, la Retraite). Dans un tout autre genre, le film d'aventures hors norme, que les adolescents devraient adorer pour sa maîtrise de l'action, s'intitule Mourir pour survive (Muya Wen, Chine, tourné à Shangai).

Le FFMM a présenté cette année un chef-d'oeuvre. Toyon Kyyl, « The lord eagle » ou « Le Seigneur Aigle », d'Eduard Novikov (Russie). Pour les images et l'atmosphère, c'est une réalisation digne du Cheval de Turin de Béla Taar (2011), car si ce dernier a renoncé au cinéma, le cinéma, lui, n'a pas renoncé à son art de la narration élémentaire. Mais cette fois-ci, la narration élémentaire n'en est pas moins d'une dynamique implacable. Voilà donc un vieux couple dans son isba dont le train-train quotidien (le ménage, les repas. la pêche, la chasse, la relevé des pièges) est bouleversé par un aigle qui hiverne dans un grand arbre, près de leur maison. Non, qui s'installe le jour de Noël dans l'isba. D'abord craintif, le couple s'en fait un ami, à moins que ce ne soit lui qui adopte le couple. Mais, pour bien dire, et c'est l'art de Novikov digne de Taar, ce qu'on voit ici, c'est le train-train du couple, qui ne sera pas même interrompu par le passage d'arquebusiers et la venue d'un chaman. L'histoire finira-t-elle ? Comment donc ? Tristement ? Non, naturellement : on ne pouvait imaginer d'autres fins à ce chef-d'oeuvre.

Mais le FFMM 2018 a également présenté au moins trois très grands films. La Reine morte d'Antonio Ferreira (Portugal) qui entremêle trois réalisations du drame historique du Moyen Âge, avec un brio peu commun (j'en ai relu la pièce de Montherlant qui n'en a pas pâli); Pardon de Jan Jakub Kolski (Pologne) où des parents enlèvent le corps et le cercueil de leur fils pour le transbahuter en train, en charrette, puis à force de bras, jusqu'au couvent où réside leur second fils, pour lui donner une sépulture chrétienne; et, pour moi le plus grand de ces trois grands films est le Moqueur du Christ de Jani Bojadzi (Macédoine), Macédoine ! Il est rare qu'une histoire réussisse à mettre en scène une fresque aussi représentative d'une situation nationale, ici celle de la Macédoine, notamment dans ses rapports avec la Grèce. L'histoire racontée est aussi belle que compliquée, avec son Alexandre fils de Lazarre, évidemment deux Lazarre, puisque ressuscité; elle est pourtant simplifiée avec le personnage inoubliable de la grand-mère, d'une lucidité d'alzheimer.

Et le FFMM 2018 comptait encore trois autres grands films. Jim Shoe de Peter Sutton (USA), quatre portraits pour nous présenter la face cachée de Chicago, dont celui d'un riche élégant avocat forcé de prendre sous son aile un jeune noir au bord de la délinquance; Chaos de Semir Aslany Ürek (Turquie) qui juxtapose trois portraits, trois histoires, trois « courts métrages », qui sont autant de réussites narratives, avec un grand art du suspense; Lada Kammeski de Sara Hribar et Marko Santic (Croatie) : cinéma au second degré, avec des acteurs capables de jouer l'improvisation avec brio — en effet, un réalisateur convoque trois vedettes à une soirée dédiée à étoffer son prochain film; il n'a pas encore choisi celle de ces trois actrices qui aura le rôle principal; l'« improvisation » sera de moins en moins de l'ordre de la fiction. Comme on le voit, ces trois grands films présentent des portraits et il était heureux de les voir rassemblés au même festival.

Question cinéma-cinéma, c'est le film qui remporte sans surprise, pour moi, le Grand Prix des Amériques, Curtiz, de Tamas Yvan Topolánszky (Hongrie). Un film populaire promis à un bel avenir. Il raconte la « mise en scène » de Casablanca (1942) par l'émigré hongrois Michael Curtiz, avec Humphrey Bogart et Ingrid Bergman. Une belle réussite dans le genre du film hollywoodien rétro, cela ne fait pas l'ombre d'un doute. La preuve en est son Grand Prix.

Avec l'humour qu'on lui connaît, Serge Losique a déjà dit que son FFMM n'était pas un « festival de la crevette ». Il devrait acheter les droits du court métrage d'Amdrew Gillingham (Vancouver, Canada), Prawn. Le petit film est une remarquable histoire de crevettes qui viennent de la mer et y retournent. Histoire très bien menée, fort bien jouée et bien filmée. L'avenir appartient à un tel réalisateur dont la maîtrise est indéniable. Le FFMM devrait projeter son film chaque année, avant son film d'ouverture, sur le thème « le FFMM n'est pas un festival de la crevette » !

5 septembre. Une brève anonyme d'on sait bien qui du Devoir. La voici :

Le Grand Prix des Amériques à un cinéaste hongrois

      Conclu lundi, le 42e Festival des films du monde (FFM) a annoncé le lendemain (1) les lauréats de ses différents prix. C'est le cinéaste hongrois Tamas Yvan Topolánszki qui a obtenu le Grand Prix des Amériques, pour son premier long métrage Curtiz. Le film se penche sur le cinéaste d'origine hongroise Michael Curtiz alors qu'il s'apprête à tourner son chef-d'oeuvre, Casablanca. Parmi les autres titres cités (3), notons Vagabonds du Ghanéen Amartei Armar, premier prix dans la section des courts métrages, et Icelander de Nils Oliveto, seul (2) Canadien lauréat. Le Montréalais a remporté le 2e prix du côté des documentaristes (3). Rappelons que le FFM, festival compétitif, mettait en jeu près d'une vingtaine de récompenses. La composition du jury principal n'a cependant jamais été dévoilée dans sa totalité (l'identité d'un juré a été tenu secrète depuis le début) et aucun détail n'a été donné concernant les catégories secondaires, comme les documentaires, les films chinois ou les premières oeuvres (4).

                          —— Le Devoir, mercredi 5 septembre 2018, p. B3.

(1)  Ce n'est pas vrai. Le palmarès du FFMM a été présenté à la soirée de clôture, le lundi, 3 septembre, à 19 heures. Deux heures plus tard, le palmarès était publié sur le site internet du festival, daté par erreur du lendemain, 4 septembre (comme on le voit au palmarès du film étudiant, correctement daté). André Duchesne a rendu compte sommairement de l'attribution du Grand Prix des Amériques sur La Presse+ le lundi 3 septembre à 20h18 (information manifestement en provenance du site internet du FFMM).

      Cela dit, je ne sais pas si les médias de Montréal ont été de connivence pour ne pas rendre compte de la soirée de clôture du Festival, mais il est certain que le Devoir s'est plu à ignorer l'événement, comme le démontre l'« En bref » ci-dessus.

(2)  « Seul » ? Pourquoi cette précision ? Il en faudrait combien ? Les films canadiens ou québécois ont été très rares à participer au FFMM cette année. Il s'ensuit, évidemment, qu'ils ne peuvent pas être nombreux à figurer au palmarès. En ce sens, la précision relève de la turpitude. Dans un « En bref » anonyme, on s'attendrait à lire « le Montréalais Nils Oliveto a remporté le 2e prix des Documentaires du monde ». D'ailleurs, si l'on désigne ainsi le second prix, le bon sens dit qu'on doit d'abord dire qu'Hermán Zin a remporté le premier prix. Le FFMM, comme son nom l'indique, est une compétition mondiale. Il faut vraiment être chauvin pour donner la première place au deuxième prix parce que le réalisateur est Montréalais.

(3)  Remporter un prix « du côté des documentaristes »  et, plus haut, des « titres cités» (?) : quel charabia.

(4)  Exact. J'avais complètement oublié que le nom du quatrième membre du jury, pour le Grand Prix des Amériques et, probablement, celui de la Première OEuvre, devait être dévoilé après la soirée d'ouverture. Et je n'ai, en effet, jamais entendu parler de jurys pour les autres sections. Comme on l'a compris en lisant mon analyse critique du contenu du festival, le palmarès d'un festival de films est le dernier de mes soucis, comme c'est le cas pour la majorité des cinéphiles. La question, certes, devrait intéresser les producteurs, les réalisateurs et les acteurs qui comptent sur ces prix pour faciliter la promotion de leurs films. En revanche, il est vrai que la devinette a toujours passionné madame O. Tremblay.

      En quoi on voit clairement dans ce ridicule « En bref » que le Devoir s'intéresse au palmarès du FFMM, au fait qu'un Canadien québécois et montréalais soit honoré d'un 2e prix pour son documentaire et à la constitution des jurys. Le documentaire de Nils Oliveto ni aucun film du festival n'intéresse le journal. D'ailleurs le FFMM 2018 aura été un festival de pur cinéma, ce qui ne présente, semble-t-il, aucun intérêt pour le Devoir.

      Vivement les événements cinématographiques du Festival des films de Toronto que ce journal de Montréal va maintenant nous présenter jour après jour... Le film d'ouverture sans aucun intérêt, de Netflix, fait la première page du second cahier (7 septembre, p. B1) : il n'y a là aucune nouvelle, mais il faut bien écrire quelque chose. Le lendemain (8 septembre), première page ! le dernier film de Michael Moore : fallait-il vraiment se rendre à Toronto pour nous parler en primeur de ce film qui sera bientôt dans nos salles à Montréal ? (sans compter qu'O. Tremblay nous servira sa chronique réchauffée à ce moment, comme elle en a l'habitude pour les films qu'elle a vus à Cannes ou à Toronto, lorsqu'ils sortent à Montréal — ce qui est encore plus aberrant pour les films québécois lancés à Toronto !). Cette couverture annuelle du festival de Toronto après le boycottage de celui de Montréal, c'est scandaleux ? Non, ridicule.

      Finalement, non, « ridicule » ne suffit pas. Et c'est plus que « scandaleux », car il s'agit d'un comportement tout à fait inacceptable de la part d'une journaliste. Odile Tremblay a donc publié son article sur le film de Michael Moore, présenté au Festival des films de Toronto, en première page du Devoir les 8/9 septembre 2018 (p. A1 et A8). Elle nous ressert son article deux semaines plus tard, les 22/23 septembre, au moment de la sortie du film à Montréal. Il s'agit d'un résumé réécrivant les deux tiers de son article original. Elle n'a évidemment pas revu le film, elle n'a absolument rien à ajouter et n'apporte rien de nouveau à son commentaire initial. Tout le premier article, absolument tout, est réécrit, légèrement abrégé du tiers, mais sans que cela ne concerne le contenu, repris en entier. Servir un tel réchauffé, à deux semaines d'intervalle, est évidemment insultant pour ses lecteurs. C'est aussi inadmissible en regard du travail de ses collègues (car je n'en connais aucun qui ressasse ainsi ses articles à bon compte pour s'éviter du travail). C'est épouvantable pour son journal, qui fait les frais d'un sous-travail journalistique que je n'ose pas qualifier.

      Le dernier documentaire de Michael Moore n'était pas un événement qui méritait le texte d'un journaliste de Montréal au moment de sa sortie au Festival des films de Toronto, puisque le film allait forcément venir bientôt à Montréal; et, en effet, relire un réchauffé du texte deux semaines plus tard au moment de la sortie du film à Montréal en fait la preuve indéniable. Je rappelle que le Devoir venait de boycotter le FFMM... Alors que le compte rendu du film de Moore, en première page, faisait la promotion du TIF...

      Il y a là, me semble-t-il, un grave problème d'éthique. Les journalistes relancent continuellement leurs articles sous la pression des événements. C'est un mécanisme narratif essentiel à la profession. Mais jamais, absolument jamais, ils ne se permettent de les réécrire sans raison pour faire de la page, remplir de l'espace ou publier à bon compte. L'espace est compté aussi bien pour les journaux que leurs lecteurs.

      N'y aurait-il pas là une simple question de jugement, de manque de jugement ? C'est fort possible, car je ne pense pas qu'il s'agisse, pour la journaliste, de frauder son journal et de berner ses lecteurs. Question de jugement, je me permets d'ajouter méchamment une « critique du jugement critique » selon Kant. On vient tous d'apprendre la bonne et fabuleuse nouvelle : Chien de garde de Sophie Dupuis représentera le « Canada » à Los Angeles dans la catégorie du meilleur film étranger. C'est pour moi le meilleur film que j'ai vu cette année, en mars 2018. Je ne dis pas le meilleur film québécois, je le dis absolument. Le Devoir a bien couvert la sortie du film, d'abord avec une entrevue de François Lévesque (3 mars) où la réalisatrice caractérisait son travail et présentait ses intentions, présentation qui décrivait son film de manière très pertinente. Ensuite est venue la « critique » d'Odile Tremblay (10 mars), critique très intéressante, mais, bizarrement, totalement impertinente en ce qui concerne le... jugement critique ! Chien de garde est un mauvais film au sujet très ordinaire traité de manière gratuitement violente. Spectateurs sensibles s'abstenir ! On a dû être de nombreux spectateurs du film à tomber des nues en voyant la cote donnée au film par la journaliste : trois étoiles sur cinq ! ce qui signifie qu'il est jugé pour moins que moyen. Ce film ne méritait pas quatre étoiles ? Pour moi, c'est quatre et demie, ce qu'on peut donner une fois par année, lorsqu'il s'agit d'un chef-d'oeuvre. Mais voici le « jugement » avec lequel Odile Tremblay résume son analyse.

   *** (trois petites étoiles)

   Ce premier long métrage de la jeune Sophie Dupuis, sans révolutionner le genre du noyau familial incestueux (1) et étouffant (présent aussi dans ses courts métrages), possède une pulsion urbaine [sic] doublée de mystère [sic] (2). La réalisatrice pose ici un regard fort et une caméra de proximité sur des personnages en perditions et un quartier (Verdun) transformé en zone rouge [sic] dont la musique scande la violence. Malgré une distribution inégale (3), Chien de garde repose sur les jeux remarquables d'un trio d'acteurs : Théodore Pellerin, Maude Guérin et Paul Ahmarani. Très dur, par-delà un certain humour féroce et une lumière finale [sic], le film s'adresse aux spectateurs aux nefs solides (4).

(1)  Inceste, quel inceste ? Un genre, quel genre ? Nous sommes plutôt dans une narration qui décrit un milieu psycho-social tout à fait inédit, auquel aucun précédent ne me vient à l'esprit, tant il est original.

(2)  Je marque de l'italique et souligne d'un [sic] les trois figures incompréhensibles propres au Style d'Odile « Doublé de mystère » ? La « pulsion urbaine », la ville ? est présentée de manière « mystérieuse » ? Devinez ! Pour la « zone rouge », puisque ce n'est pas français, on comprend qu'il s'agit d'un anglicisme pour « red light ». En ce qui concerne la « lumière finale », qui veut forcément dire que le film finit bien, voyez le film !

(3)  Nulle part, dans le compte rendu critique du 10 mars, de mauvais acteurs ou des acteurs mal dirigés ne sont désignés. Il s'agit d'une affirmation gratuite, évidemment malhonnête, visant tous les acteurs du film, sauf les trois nommés à la fin de la phrase.

(4)  Affirmation d'une critique adepte des films pour enfants. Voyons donc ! Bien sûr que le film est ponctué de scènes violentes, mais il s'agit justement de son sujet. Figurez-vous que Chien de garde raconte rien de moins que la dérive d'une délinquance de plus en plus violente. Et avec un sujet pareil, parfaitement bien maîtrisé, la bonne âme voudrait que la réalisatrice fasse dans la dentelle ? Ou qu'elle choisisse un sujet à l'eau de rose, peut-être ? Après un tel chef-d'oeuvre, Sophie Dupuis en est bien capable.

      À remarquer par ailleurs que ni la jeunesse de la réalisatrice ni le lieu des prises de vue, Verdun, n'ont la moindre pertinence dans une présentation sommaire du film, ni dans son évaluation.


      Avec ce fion sur la mauvaise évaluation de Chien de garde, on pensera que je m'acharne sur la journaliste. Mais non. C'est vrai que j'ai été sidéré de voir le film de Sophie Dupuis marqué de trois petites étoiles. Mais on remarquera que c'est la première fois (et certainement la dernière) qu'il est question du contenu des critiques d'Odile Tremblay sur ce site internet. D'ailleurs il n'est question que du « sommaire critique » du film et de ses trois petites étoiles. C'est là l'occasion de dire pour une fois le fond de ma pensée. Entre le couraillage d'Odile Tremblay chaque année à Cannes (pourquoi Cannes seulement en Europe ?) et son petit saut en Ontario, elle orchestre le boycottage du FFMM au Devoir, après avoir tout fait en vain pour tuer le festival. Or, je suis absolument convaincu que cela a été fait, tout bonnement, par manque de jugement. Mais qu'y peut donc la journaliste ? Rien en ce qui concerne ses jugements critiques, malheureusement. Mais peut-être pourrait-elle se racheter en rendrant compte dorénavant, dès l'année prochaine, l'automne 2019, de manière correcte et exhaustive, du FFMM, à son juste mérite, avec les qualités et les défauts de sa programmation et de sa réalisation ?


Appendice

Le FNC 2018, un festival de films épuré

« Je n'ai jamais compris pourquoi on dépensait tant d'énergie à vouloir "sauver" le Festival des films du monde. / Il y a un grand festival de films à Montréal ! L'un des plus importants et des plus respectés en Amérique — le Festival du nouveau cinéma. / Cette année, la programmation du festival (qui se termine demain) était particulièrement brillante et costaude ».

      — Richard Martineau, en introduction à son échange au FNC intitulé « Ma rencontre avec Paul Schrader », le Journal de Montréal, 13 octobre 2018.

      Les sottises sont presque toujours proférées par des sots. En tout cas, l'inverse est indéniable, même si je ne saurais me prononcer sur le cas de Richard Martineau. En tout cas, je n'aimerais pas l'avoir comme médecin : « je ne comprends vraiment pas, me dirait-il, pourquoi vous dépensez autant d'énergie à vouloir "sauver" votre main droite, votre bras droit, étant donné que vous avez un bras, une main gauche vraiment agile et costaude » (surtout depuis que l'AMQ vous a retiré toute aide pour votre main droite et l'a investie dans la physiothérapie de la gauche...). Cela dit, que l'imbécillité soit d'occasion, ce qu'on peut toujours espérer, on ne saurait en accabler l'imbécile en question. Et c'est justement ce qui caractérise l'imbécillité, puisque l'imbécile, même d'occasion, n'en est évidemment pas responsable. Il n'y peut rien. En effet, que vient donc faire ici le dénigrement du FFMM en introduction à un éloge du FNC pour nous présenter une « entrevue » à la bonne franquette avec Paul Schrader qui s'achève par la question absolument géniale : « Que pensez- vous de Trump ? » (je vous jure !). Montréal a donc deux grands festivals, le FFMM et le FNC... Non, non, Montréal a un (un seul) grand festival, le FNC. Pourquoi s'inquiéter de l'autre ?

      Le pauvre ne prend pas en considération que des deux festivals, l'un, dont il fait l'éloge, est subventionné, l'autre pas. Pas un mot sur la réalisation du FFMM cette année, dont on vient de lire mon évaluation : justement, Richard Martineau connaît-il suffisamment cette dernière programmation pour se permettre la comparaison ?

      Or, par hasard, cette année j'ai vu vingt-deux films de chacun des deux festivals. Je maintiens que le FFMM aura été un festival de pur cinéma, une réalisation peu commune. Mais je peux ajouter maintenant que les deux festivals sont vraiment complémentaires. Je ne vois vraiment pas de raison d'en sacrifier un des deux. Certes, bien subventionné et avec de nombreux commanditaires, le FNC est à première vue bien plus spectaculaire. Présenter les derniers films de Godard, de Van Tiers et de Panahi, ce n'est pas rien. En revanche, le western du Français Jacques Audiard était présenté en version originale anglaise (comme c'était le cas au lendemain du festival, à Montréal, avec une version doublée en français !). Si la version originale est en anglais, on veut la voir sous-titrée en français au FNC, sinon, on ne doit pas recevoir ce film. Sauf que, on le voit, comme la très grande majorité, pour ne pas dire tous les films que j'ai vus au FNC se retrouveront cette année sur nos écrans à Montréal (certains, comme celui d'Audiard, y sont déjà dès le lendemain du festival), contrairement à ceux qui ont été présentés au FFMM — et c'est déjà toute la différence entre les deux festivals. Claude Chamberlan et ses disciples qui dirigent maintenant le FNC n'ont rien du génie de Serge Losique. Ah ! bien subventionné, le FNC ne pourrait-il pas offrir quelques cours de diction et d'élocution à son co-fondateur ? Avec un petit cours de rédaction de ses petites interventions ? Année après année, nous sommes nombreux à trouver gênants ces cafouillages inaudibles et incompréhensibles de bouts de phrases liés par des petits rires nerveux.

      Mais revenons à la programmation. J'ai découvert au FNC un réalisateur de génie dont j'ai eu la chance de voir le dernier film tout de suite après le Livre d'images de Godard : Khalik Allah, Black Mother. La dislocation de la bande sonore et des images, oui des « images », produit un extraordinaire portrait polyphonique et kaléidoscopique de la Jamaïque, de nombreuses Jamaïquaines, sous la forme d'une narration documentaire. Le festival a présenté également deux films d'auteur « familiaux », le Poirier sauvage de Nuri Bilge Ceylan (de la Turquie) et Roma d'Alfonso Cuarón (qui revenait à Mexico après ses réalisations hollywoodiennes); et encore deux autres, impliquant toujours la famille, mais intimistes, d'aussi grande beauté que les deux premiers, à « grands budgets », los Silencios de Beatriz Seigner (du Brésil) et las Rutas en febrero de Katherine Jeskovic (film québécois tourné en Uruguay). Bien sûr, deux reportages biographiques auront été des événements, la reprise du film lumineux sur Louise Lecavalier par Raymond St-Jean et la projection du sombre documentaire, « cinéma-vérité », de Claude fournier et de la productrice Marie-José Raymond sur André Brassard.

      L'implication de Paul Schrader au FNC cette année aura concrétisé magistralement son caractère didactique. Malheureusement, le coup de maître du Maître aura été confidentiel, soit la présentation en primeur de son remixage, interdit de projection en salle, de Dying of the light (2014), doublé en français sous le titre la Sentinelle, que le réalisateur et toute son équipe ont renié et dénoncé. Le remixage qui s'intitule Dark, dont la projection a été annoncée à la dernière minute, n'a été vu que par une cinquantaine de personnes.

      Je n'ai rien à dire, évidemment, de la pastorale cinématographique du FNC qui fait (certainement avec raison) les délices de la SODEC, de Téléfim et autres pourvoyeurs de subventions. Mais, question cinéma, une double conclusion me semble-t-il est incontestable. D'abord le FNC ne surpasse pas et ne saurait remplacer le FFMM qui s'impose, même sans subvention aucune. Ensuite, si les deux festivals sont complémentaires, ils portent bien leurs noms. Le FNC s'adresse à l'évidence à des spécialistes du cinéma et, je dirais, d'abord et avant tout à des étudiants (notamment en cinéma); le FFMM vise avec succès les cinéphiles et notamment ceux du grand public montréalais.

      Un festival de pur cinéma, je l'ai dit, d'un côté; je peux ajouter maintenant, un festival de cinéma épuré, de l'autre.



FFMM 2019

VII

P - A - U - S - E     !

      Montréal, les cinéphiles montréalais sont en deuil. Le FFMM n'aura pas lieu cette année. Un communiqué du 22 juillet 2019 annonce que le festival fera relâche. Serge Losique a des ennuis de santé et compte sur une pause pour mieux relancer le festival en 2020 (Guillaume Bourgault-Côté, le Devoir, 23/07/2019). Partie remise.

      André Duchesne et Vincent Larouche : « Endetté, poursuivi, malade, Serge Losique suspend le FFM » (la Presse, 23/07/2019). Les journalistes font le point sur les problèmes et, notamment, les problèmes jurifiques de Serge Losique et du FFMM. La requête de la Banque royale du Canada pour saisir le propriété de S. Losique de Potton pour une dette de 67 000 $ n'est évidemment pas une grande surprise. Plus désolant : le FFMM a été incapable de payer les honoraires du bureau d'avocats Duplessis-Robillard (55 600 $) qui avait permis de remporter l'importante première manche contre la SODEC de Monique Simard. Justement, le procès est toujours en cours. Il devait avoir lieu du 21 au 28 novembre 2018; il a été reporté d'un an, pour cause d'ennuis de santé de S. Losique. Mtre Richard Malette, nouvel avocat du FFMM, n'a pas de boule de cristal assez performante pour savoir si le procès ne sera pas encore remis cet automne 2019. On peut soupçonner que la SODEC de Monique Simard, même devenue celle de Louise Lantagne, n'est pas trop pressée de se retrouver en cour, où à mon avis elle a tout à perdre.

      En attendant, Marcel Jean, directeur de la cinémathèque et directeur du Conseil d'administration de FANTASIA, continue de se faire aller la margoulette pour le plaisir d'écoeurer les cinéphiles montréalais. Interrogé par le Devoir (l'article du 23 juillet), à la suite du directeur de K-Films Amérique, il est plaisant de lire le court-circuit. Ce dernier, Louis Dussault, est d'avis qu'un nouveau FFMM est bien improbable, tout simplement parce que les enveloppes (ce sont les subventions retirées au FFMM) sont maintenant passées aux « festivals de niche », et d'énumérer, FANTASIA, le Festival du nouveau cinéma et les Rencontres internationales du documentaire. Et c'est le bon sens qui le dit. Les subventions retirées depuis cinq ans au FFMM ont servi ailleurs. Et le suave Marcel Jean d'inverser pour sa part la déduction logique : « il croit justement que ces festivals comblent le vide laissé par le FFM » ! Tu fais partie des « gens du milieu » qui ont tué le FFMM, tu récupères les subventions, tu en profites forcément et, je cite à la bonne personne, « tu combles le vide ». Chose certaine, Fantasia d'où Marcel Jean tire du prestige, la Cinémathèque québécoise d'où il tire son salaire n'ont certainement pas été pénalisés par le retrait des subventions au FFMM... Il me semble que lorsqu'on profite et vit des deniers publics, à Montréal, il devrait être au moins gênant de mépriser de sa Science les Montréalais qui perdent cette année leur festival, et d'étaler ses opinions à ce sujet dans la presse.

      Ce n'est pas Serge Losique qui s'empresserait de donner son avis sur la Cinémathèque, sur Fantasia, ni sur aucun autre « festival de niche ». En tout cas, Marcel Jean devrait savoir imiter Serge Losique et avoir la décence de se taire.

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