Les interventions du redoutable polémiste (nous le sommes tous) restent généralement sans réplique, malheureusement, ses victimes n'éprouvant pas le besoin qu'on mesure davantage la justesse de la critique et c'est bien dommage, cela nous permettrait de rire encore un peu, car si le polémiste est intervenu, c'est évidemment parce que ce n'était pas drôle du tout. La formule : polémique = réplique (pamphlétaire (sans réplique)).
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Polémiques II

Guy Laflèche,
Université de Montréal

« Le vampire et la nymphomane »
de [Gauvreau]-Provost-Pintal

Pour une « critique de la cruauté »

      Les admirateurs d'Antonin Artaud, j'en suis, excuseront le blasphème profanateur de mon titre. Mais l'auteur du Degré zéro de l'écriture serait lui aussi assez surpris de voir le titre de son ouvrage novateur utilisé de façon pour le moins terre à terre par le compositeur Serge Provost en conclusion de sa réplique au compte rendu critique de François Tousignant sur son opéra : « C'est, dit-il, le degré zéro de la critique, à quoi j'oppose une fin de non-recevoir catégorique et définitive » (le Devoir, 9 octobre 1996, p. A7).

      Je suis professeur. À titre d'enseignant, je suis confronté aux critiques de mes étudiants. Et bien entendu, malheureusement, je les mérite, avec aussi, heureusement, quelques éloges. Les excellents professeurs sont très très rares. On a tous connu Fernand Seguin. Je vous en donne deux autres exemples bien vivants, Henri-Paul Chevrier qui enseigne le cinéma au collège de Saint-Laurent et François-Marc Gagnon en histoire de l'art à l'Université de Montréal. Il y en a bien d'autres, pour sûr. Mais ordinairement, nous sommes plutôt dans la moyenne, quatre-vingt pour cent de professeurs et d'enseignants à tout faire pour essayer d'égaler les meilleurs. Une année, un cours, quelques séances de cours, il nous arrive d'être aussi bons (et même meilleurs !). Tout le reste du temps, il nous faut bien accepter les critiques de nos étudiants, qui sont impitoyables. Ils ont parfaitement raison d'exiger que nous soyons toujours et parfaitement exellents, comme ceux que j'ai nommés plus haut : c'est grâce à leurs critiques que nous sommes forcés de ne pas oublier nos idéaux, même s'ils sont bien au-delà de nos talents. Et en tout cas, on peut toujours s'améliorer.

      Ce fragment d'autobiographie comporte un second volet. Terrible. Un professeur comme moi fait son métier, tout comme François Tousignant, qui est critique musical au Devoir. Nous sommes tous les deux (permettez-moi de le ramener à mon humble niveau) dans la moyenne de ceux qui veulent s'améliorer. En revanche, devant nous, ceux dont nous parlons, les savants quand nous sommes professeurs de physique, les artistes si nous sommes du domaine artistique, ce sont nécessairement des génies. Toute la question est donc de savoir si le compositeur Serge Provost est oui ou non un génie. Il a l'air d'être persuadé que c'est le cas, ce qui me paraît prometteur, mais avec un discours moralisateur qui ne tient pas ses promesses (la critique, je m'y connais et je l'aime; ma composition était irréprochable; le critique est donc un dangereux vitrioleur qui se livre à une attaque gratuite).

      La production de la Compagnie lyrique de création Chants libres, comme elle s'intitule, était-elle géniale ? Posons une question préalable : était-il justifié que le Devoir, avant les représentations, la canonise sur trois pages dans son cahier des arts du 22 septembre, avec une « équipe » de cinq journalistes ? C'est ce qu'on appelle une couverture aveugle. Certes, la Compagnie achetait par ailleurs de la publicité dans le journal, mais il est tout de même incroyable qu'un quotidien se livre ainsi à la promotion d'un spectacle sans accorder au moins autant d'espace ensuite à la critique et à l'analyse de l'événement « annoncé »... Il est presque heureux que François Tousignant y soit allé d'une critique vitriolique.

      Vitriolique ? C'est ce que dit toujours le diable lorsqu'il se débat dans l'eau bénite. En réalité, l'Usine C de Carbone 14 s'est tout simplement transformé en salon pour recevoir cette prestation académique scandaleusement ordinaire d'un texte de Claude Gauvreau.

      Excusez-moi, mais pourquoi le projet de Gauvreau, qui est assez difficile à « comprendre » par ailleurs, n'a-t-il pas été respecté au moins dans ses consignes explicites ? Gauvreau a clairement dit que tous les rôles devaient être chantés, alors que viennent faire les acteurs là-dedans ? L'Adorable verrotière et la Nymphomane sont non seulement deux personnages (différents !), mais la seconde est la fille de la première : alors la superbe Pauline Vaillancourt ne risque pas de nous déranger dans un rôle qui autrement pourrait être, pensez-y, incestueux... Et puis, côté musical, les pauses (dit Gauvreau) sont censées être l'occasion de moment de liaison. Et, de toutes manières, c'est son dernier mot : « La marge de l'inspiration du compositeur est illimitée ». Excusez-moi encore, mais cela s'adresse, en musique « classique », si je ne me trompe pas, à celui qui veut être le Stavinsky du « Sacre du printemps », le Schonberg du « Pierrot Lunaire » ou le Varèse des « Amériques »; autrement, ce serait le Brubeck de « Time furthur out », le groupe Pink Floyd de « The Dark side of the moon », le Charlebois de « La fin du monde » ou le Jean Leloup de « Laura ». Bref, peut-on sérieusement prétendre composer le Vampire sans être un génie ? Attention : il n'y a pas beaucoup de différence entre être un génie et vouloir tout à fait franchement en être un. À mon avis la différence tient à ceci que les génies le veulent et que les autres s'en tiennent à leur « réputation de créateur », comme dit Serge Provost. Vous imaginez la réplique dans la bouche de Claude Gauvreau s'en prenant à un critique ? Bien au contraire, c'est plutôt lui qui ferait la critique cruelle qui est celle du très simple constat.

      C'est dire que je suis en total désaccord avec François Tousignant. Non seulement je ne trouve aucune charge anticléricale dans Le vampire et la nymphomane de Claude Gauvreau, mais je pense qu'il est réducteur d'y voir un quelconque objectif de libération sexuelle. Allez donc demander à Jacques Godin et, avant lui, à Rodrig Mathieu, ce que peut vouloir dire jouer du Gauvreau... La mise en scène de Lorraine Pintal du jeu d'Albert Millaire est une désolante « explication de texte » : faire prononcer les répliques proprement exploréennes, en aparté, dans le creux de la main de l'acteur professionnel, relève du cabotinage scolaire. D'ailleurs, toute cette production, à mon avis, tenait du flonflon, y compris nous tous, le public. Au moment des applaudissements, j'ai entendu du « chou » loin derrière moi. En me retournant, tout en continuant tranquillement d'applaudir, j'ai eu l'idée, vraiment saugrenue, que je cherchais à voir Claude Gauvreau.

      Je suis donc sorti tristement de l'Usine C, persuadé que nous n'avions pas été à la hauteur du poète. Nous aurions dû commencer à protester AVANT le spectacle, dès que la distribution a été connue, puis à la lecture des pages « publicitaires » du Devoir et finalement dès après la relecture du texte de Gauvreau, la fin de semaine qui a précédé les représentations... Dans son compte rendu intitulé « Un Vampire vidé de sens », François Tousignant écrit que « L'opéra est un lieu d'exploration privilgié; ici, le compositeur n'explore rien... ». Pourtant, monsieur le critique musical, dirais-je, ne croyez-vous pas que l'opéra, c'est généralement Verdi et que, pour l'exploration, on n'a pas tous les jours l'occasion d'aller à la rencontre de Claude Gauvreau ? Alors quand c'est raté, c'est bien plus triste que vous ne le dites : c'est scandaleux.

      Un Gauvreau de salon à l'Usine C. Ciel ! « L'essence des exaltères épiques, ils ne la touchent pas... ».


Note

      J'ai adressé ce texte d'opinion au journal le Devoir de Montréal, le 9 octobre 1996, en espérant le voir paraître dans ses pages. Il n'a pas été retenu. Il paraît ici pour la première fois.


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