Les interventions du redoutable polémiste (nous le sommes tous) restent généralement sans réplique, malheureusement, ses victimes n'éprouvant pas le besoin qu'on mesure davantage la justesse de la critique et c'est bien dommage, cela nous permettrait de rire encore un peu, car si le polémiste est intervenu, c'est évidemment parce que ce n'était pas drôle du tout. La formule : polémique = réplique (pamphlétaire (sans réplique)).
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Polémiques II

Guy Laflèche,
Université de Montréal

Vulgarités

Table

1. Reporters sans frontières - Réplique
2. L'extranéité
3. L'éméritat


1. Reporters sans frontières

Un « reportage » ridicule de Reporters sans frontières a paru dans le Devoir, le 30 février 2000 (p. A6). Le voici.

Libre opinion

Des nouvelles d'Elián

RODOLFO DÁMIAN

Le texte qui suit nous est parvenu par l'entremise de l'organisation Reporters sans frontières, qui tente de faciliter la publication de reportages qu'une presse cubaine entièrement sous contrôle étatique rejette systématiquement.

      Un an tout juste après son naufrage, l'enfant a repris une vie que son entourage voudrait normale, dans sa ville natale, près de Varadero.

      « Nos enseignants dévoués devront mener à bien leur tâche d'en faire un enfant modèle » : telles furent les paroles du président Fidel Castro au retour à Cuba, le 28 juin dernier, d'Elián González, l'enfant rescapé du détroit de Floride, qui fut dix mois durant le centre d'un litige entre sa famille de Miami et le gouvernement cubain. La justice américaine [= étatsunienne] avait finalement décidé que l'enfant de sept ans retournerait dans l'île avec son père.

      Elián eut droit a un « processus de réadaptation scolaire, familiale et sociale ». Il a d'abord vécu avec son père, Juan Miguel González, d'autres membres de sa famille et quatre de ses camarades de classe dans une résidence du quartier Miramar de La Havane. Cette maison disposait d'une salle de classe où Elián a suivi des cours de rattrapage pour passer son examen de passage en cours élémentaire, qu'il a réussi le 15 juillet.

      Il est ensuite allé en vacances « dans les environs de Cárdenas », sa ville natale située dans la province de Matanzas, à 132 kilomètres à l'ouest de la capitale et à cinq kilomètres de Varadero, deuxième centre touristique du pays. Selon plusieurs sources, l'enfant et sa proche famille ont aussi séjourné à Cayo Coco, au nord de la province de Camagüey, dans des installations hôtelières normalement réservées aux étrangers.

      En septembre, Elián a fait sa rentrée comme tous les petits Cubains. L'école primaire Marcelo Salado de Cárdenas, qu'il fréquente, fut l'une des rares qui aient été réaménagées dans la province. Elle a été dotée de téléviseurs et d'équipement vidéo.

      Le responsable provincial du ministère de l'Éducation a indiqué au quotidien régional Girón que l'objectif était de doter toutes les écoles primaires de ce matériel.

      Au début, Elián a été escorté par un policier en civil dans tous ses déplacements, conformément à un ordre venu de « très haut » ont indiqué les voisins. Selon Maria Elena González, proche de la famille, cette escorte ne plaisait pas beaucoup au père d'Elián, qui y voyait « surprotection superflue ».

      Régulièrement, Elián se rend à La Havane avec son père et d'autres proches parents pour y voir des psychologues et psychiatres afin de poursuivre le travai visant à atténuer les séquelles des « traumatismes » subis. Ses visions de la disparition de sa mère et des autres personnes qui avaient entrepris la traversée avec lui, sa solitude pendant 48 heures, dans une zone du détroit séparant Cuba des Etats-Unis, connue pour être infestée de requins, constituent sans aucun doute des souvenirs difficiles à dépasser.

      Une institutrice de l'école Marcelo Salado, qui a préféré garder l'anonymat, a affirmé que des consignes avaient été données pour que « ces événements ne soient pas évoqués et qu'Elián soit traité comme les autres enfants ». Elle a estimé qu'il se comportait comme les enfants de son âge dans ses relations avec les tiers, tout en remarquant cependant de brefs moments « où son regard semble se perdre ».

      Son père, Juan Miguel González, a repris son travail d'employé au centre touristique Josones de Varadero, à l'issue d'une grande cérémonie à caractère politique. Il gagne chaque mois 350 pesos (l'équivalent de 17 $ au taux de change pratiqué) et perçoit en outre 40 $ payés en billets verts. Ce salaire lui permet de vivre mieux que le Cubain moyen.

      Début novembre, quiconque assistait à la sortie de la classe d'Elián ne distinguait pas de différence entre son attitude et celle de ses camarades. Son grand-père paternel, chez qui il séjourne fréquemment, venait souvent le chercher.

      On devine de bonnes affinités entre eux. Depuis le 20 novembre, cependant, l'enfant est de nouveau escorté par la police.

      À Cárdenas, Elián est au centre des conversations. Un enfant « modèle » ? Il semble pour le moment se contenter de vivre son petit bonhomme de chemin comme il le peut.


Réplique

Des nouvelles du petit González ?
Pas de nouvelles, bonnes nouvelles !

      Le Devoir publie aujourd'hui, sous le titre « Des nouvelles d'Elián », avec le surtitre délirant « Libre opinion », un reportage sensationaliste du journaliste Rodolfo Dámian. Le texte serait parvenu au Devoir par l'entremise de Reporters sans frontières. Selon le Devoir, l'organisme militerait pour la publication de tels « reportages qu'une presse cubaine entièrement sous contrôle étatique rejette systématiquement ».

      À mon avis, le Devoir aurait dû rejeter ce reportage, précisément parce qu'il fait la preuve de ce dont nous sommes plusieurs à être convaincus : les très réelles restrictions des libertés civiles à Cuba (libertés d'association politique, liberté de presse et liberté de circulation hors du pays) n'ont absolument aucune commune mesure avec les pressions économiques et politiques dont le pays continue d'être victime. Aucun exilé cubain de Montréal ne devrait avoir le front de prendre la parole dans notre presse contre son pays tant et aussi longtemps qu'il sera victime du blocus insensé que maintiennent les États-Unis contre les habitants de Cuba. À mon avis, cela ne se discute même pas, à moins de ne pas avoir le sens élémentaire des proportions.

      Mais la publication du reportage de Rodolfo Dámian dans le Devoir soulève d'autres questions importantes, notamment en regard de notre prétendue liberté de presse. Car précisément ce reportage paraît dans le Devoir et non dans Gramma, le journal vraiment fabuleux des Cubains.

      Il faut d'abord signaler que Rodolfo Dámian a pu faire son enquête à Cuba. Il a tout simplement appris qu'il n'y avait aucun reportage à faire sur le petit González. Si l'on en croit le journaliste, l'école du petit garçon aurait eu droit à des téléviseurs un peu plus vite que les autres écoles de sa région, son papa aurait une prime salariale de 40 $ par moi, ce qui évidemment lui permet de « vivre mieux que le Cubain moyen » et la famille aurait eu droit à des vacances en milieu touristique réservé aux étrangers. En rappelant, ce que nous savons tous, que l'enfant est suivi par des psychologues, pour s'assurer de minimiser les conséquences des événements tragiques auxquels il a survécu, notre as du reportage nous apprend qu'une de ses institutrices a déclaré, sous le couvert de l'anonymat pour ne pas se retrouver dans les prisons de Fidel, qu'il arrive à l'enfant d'avoir le regard perdu « de brefs moments ».

      On doit se féliciter que le journaliste ait mené cette enquête. En revanche, Rodolfo Dámian, Reporters sans frontières et surtout le Devoir devaient se rendre compte que, précisément, il n'y avait pas là matière à reportage, qu'il n'y avait rien à publier à ce sujet, rien à apprendre à personne. Pour ma part, et je pense bien qu'il doit en être de même de la majorité des lecteurs du Devoir, je ne pensais pas qu'il se passait autre chose, c'est-à-dire rien du tout, chez les González, depuis le retour de l'enfant à Cuba, après le cirque étatsunien.

      Ce qu'il y a de profondément immoral dans la publication de ce « reportage », c'est précisément la confusion de la liberté de presse avec la rentabilité du journal à sensation, voire le dévergondage de la presse à potins. Je ne doute pas qu'il y ait des poètes, des artistes et des journalistes qui soient interdits de parole à Cuba. Faire croire un instant que cela peut être illustré par ce reportage insipide, niais et bassement commercial digne de nos pays de soi-disant liberté de presse, c'est à nous rappeler qu'en effet on ne trouve pas de telles sottises dans Gramma, et que c'est tout à l'honneur de la presse cubaine.

      Du point de vue de la stricte information, nous en tirons la conclusion qui est elle (aussi) tout à l'honneur de Cuba dans cette affaire : pas de nouvelles, bonnes nouvelles. Car c'est exactement à Cuba comme au Québec : « Elián va à l'école, avec son chien Fido ».

      Guy Laflèche,
      Laval


Le Devoir,
Rédaction,

      Je vous serais reconnaissant de publier ma réaction au reportage paru aujourd'hui dans votre page éditoriale sous le titre « Libre opinion ». Et en tout cas je tiens à protester de votre manque de jugement pour cette publication et sous ce surtitre, comme l'exprime le contenu de ma réplique.

      Avec mes meilleurs sentiments et mes coordonnées (qui suivent),

      Guy Laflèche

      __gl>-


      Le journal n'a pas publié ma réplique, qui paraît ici pour la première fois.

      Ce doit être que, question frontières, il est plus facile de faire paraître à Montréal un triste feuilleton sur Cuba, en provenance des Sans frontières de Paris que d'y répliquer dans sa propre ville, dans son propre journal. La vérité, c'est plutôt qu'il n'y a pas de frontières au potinage à sensation et que le Devoir, comme tous les autres journaux, est bien heureux d'y céder, si de surcroît cela se fait sous le couvert de la défense des libertés que brime forcément Cuba... en ne publiant pas de nouvelles d'Elián !

      À quand le « texte d'opinion » de Reporters sans frontières sur la couleur des petites culottes de Fidel ?


2. L'extranéité

      Dur, dur, la correction des traducteurs.

      Un lecteur bien intentionné (27/02/01) a tenu à corriger l'hispanisme évident et bien compréhensible dans le texte d'opinion d'un Espagnol paru le 16 février dernier où l'expression ley de extranjeria était traduite par loi de l'étrangeté. En espagnol, on a un même mot pour désigner ce qui est étrange et étranger, extraño (ce qui est d'ailleurs assez logique, car rien n'est plus étrange qu'un étranger — surtout s'il est chez nous).

      En revanche notre correcteur nous traduit à son tour l'expression d'un coup de dictionnaire espagnol-français, certainement, par loi de l'extranéité ! C'est évidemment un hispanisme de son dictionnaire, car le mot ne se trouve dans aucun dictionnaire courant de la langue française et ce mot savant ne saurait correspondre au très courant entranjeria de l'espagnol, dont voici la définition du dictionnaire de l'Académie de la langue espagnole :

      « (1) Qualité et condition qui de par les lois correspondent à la résidence des étrangers dans un pays, alors qu'ils n'y sont pas naturalisés. (2) Système ou ensemble des règles régissant la condition, les actes et les intérêts des étrangers dans un pays ».

      Dès lors, la bonne traduction ne serait-elle pas plutôt une simple périphrase comme « loi sur les étrangers » ou plus précisément « loi sur les affaires relatives aux étrangers » ?

      C'est bien triste d'admettre ainsi qu'un pays comme l'Espagne puisse adopter une loi sous un tel titre ou à un tel sujet, lorsqu'on le comprend bien, n'est-ce pas ? On ne peut pas se contenter d'une loi sur la citoyenneté ? C'est en quelque sorte ce que dénonçait justement l'auteur de la libre opinion.

      Guy Laflèche,
      Professeur de français


      Madame, monsieur,
      redaction@ledevoir.com

      Je ne sais pas si vous auriez l'espace pour ma petite mise au point. J'ai été surpris que le Devoir publie comme allant de soi qu'il existait vraiment en français un tel mot qu'« extranéité » ! Avec mes coordonnées (qui suivent), recevez l'expression de mes meilleurs sentiments,

      __gl>-

      Guy Laflèche, Laval


      Le journal n'a pas publié cette mise au point qui paraît ici pour la première fois.


2. L'éméritat

      Le grade de « professeur émérite » est la dernière distinction accordée par les universités. Un professeur est d'abord adjoint, puis agrégé, et ensuite titulaire. Lorsqu'il prend sa retraite, l'Université peut lui accorder le grade honorifique de l'éméritat.

      Dans ma spécialité, soit l'étude littéraire des écrits de la Nouvelle-France, où j'ai commencé par un coup d'éclat, l'édition de la Relation de 1634 de Paul Lejeune en 1973, ma carrière aura été ponctuée d'un enseignement et de publications manifestement marquantes. Mais s'il fallait s'en tenir à mes travaux sur la Nouvelle-France, j'aurai été le seul de ce domaine à ne pas avoir obtenu l'éméritat parmi mes contemporains. Bien sûr, nos deux grands prédécesseurs au Québec, les historiens Marcel Trudel et Lucien Campeau, auront été, comme il se doit, professeurs émérites, le premier de l'Université d'Ottawa, le second de l'Université de Montréal.

      Après eux, je crois que nous aurons été quatre chercheurs de mérite, dont j'aurai été le premier avec ma publication inaugurale de 1973 : Pierre Berthiaume, professeur émérite de l'Université d'Ottawa, Réal Ouellet, professeur émérite de l'Université Laval et Gilles Thérien, professeur émérite de l'Université du Québec à Montréal. L'Université de Montréal n'aura pas eu l'honneur de m'accorder ce grade.

      Voici la liste des professeurs émérites de mon Département des littératures de langue française actuellement : Bernard Beugnot, Jacques Brault, Lise Gauvin, Jean Cléo Godin, Laurent Mailhot, Gilles Marcotte, Robert Melançon et Pierre Nepveu.

      Je ne sais pas comment cela se passe dans les autres universités du Québec, mais à l'Université de Montréal chacun de ces professeurs a été désigné péremptoirement comme tel par le Directeur du département, sans autre consultation, ni intervention d'aucun comité ni d'aucune instance. Ce ne sont pas, par exemple, les professeurs émérites qui étudient les dossiers des retraités pour en décider. Il est arrivé une fois (et une seule fois en un demi-siècle) qu'une nomination décrétée par le Directeur ait été refusée par les instances supérieures. Manifestement, le grand mérite du candidat était d'avoir été un adulateur du Directeur qui le proposait à l'éméritat. Autrement, le pouvoir du Directeur est absolu : en pratique, c'est lui qui attribue l'éméritat. C'est Benoît Melançon qui était directeur du département au cours de l'année qui a suivi la date de ma retraite. Benoît Melançon m'a donc refusé l'éméritat.

      On est ici dans la petite vie, la petite vie universitaire (pour ceux qui me lisent à l'extérieur du Québec, la Petite Vie, de Claude Meunier, aura été un fabuleux succès à la télévision, téléroman parodiant les téléromans). Normalement, les directeurs défendent les dossiers de leurs collègues, notamment pour l'éméritat, lorsqu'ils prennent leur retraite, chaque fois que cela est possible, puisqu'il y va de l'honneur de leur département. Dans le cas contraire, on se trouve évidemment ou à n'en pas douter devant des comportements pathologiques. Il n'est évidemment pas nécessaire d'entrer ici dans l'intimité de la petite vie universitaire, même si cela serait très amusant.

      Bref, j'ai l'honneur, le grand honneur — et je le dis tout bonnement, car c'est un honneur incontestable —, de me retrouver en compagnie de quatre des plus grands professeurs que notre Département des littératures de langue française aura connus durant ma carrière. Bien entendu, jamais je n'oserais me comparer à eux, comme c'est le cas probablement de la majorité des huit professeurs émérites énumérés plus haut. Mais dans mon cas, j'ai le droit d'être fier de n'être pas professeur émérite, tout comme ces quatre professeurs du plus haut mérite.

      Réginald Hamel, fondateur du Centre de documentation et de recherche en littérature québécoise de l'Université de Montréal, avec ses novateurs « Cahiers bibliographiques ». Le directeur Robert Melançon, aujourd'hui professeur émérite, lui a refusé l'éméritat.

      Georges-André Vachon, animateur de la revue Études françaises et créateur d'une pensée critique novatrice, celle de la « tradition à inventer » pour le Québec. Le directeur Robert Melançon, aujourd'hui professeur émérite, lui a refusé l'éméritat.

      Bernard Dupriez, le stylisticien qui a mis en place l'analyse systématique du fragment d'une oeuvre par commutation, avant de produire le fabuleux Gradus de portée internationale dans les études rhétoriques de la francophonie; le réalisateur d'une machine sans équivalent pour apprendre son orthographe et sa grammaire, le « Café » (Cours autodidactique du français écrit). Le directeur Michel Pierssens (qui sera certainement professeur émérite dès qu'il prendra sa retraite) lui a refusé l'éméritat.

      Jean Larose a été l'essayiste vedette du département depuis le tout début de sa carrière. Il prenait de manière spectaculaire la relève des André Brochu, Gilles Marcotte et compagnie. Il aura été aussi un grand professeur. Le directeur Benoît Melançon (qui sera certainement professeur émérite dès qu'il prendra sa retraite) lui a refusé l'éméritat.


TdMTGdM