Éditorial
Voici ce que j'écrivais lors de la
dernière mise
à jour de ces fichiers, au moment où j'achevais ma
lecture
systématique de la carte du Mississippi :
« L'étude
en cours actuellement se situe dans le prolongement des ouvrages de
Nelson-Martin
Dawson (l'Atelier Delisle, Sillery, Septentrion, 2000), et
de Louise
Dechêne (le Peuple, l'État et la guerre au Canada
sous le
régime français, Montréal, Boréal,
2008) :
on veut tout savoir de la carrière du militaire Lahontan au
Canada et on
veut aussi savoir comment l'écrivain a pu piéger un
géographe
aussi savant que Guillaume Delisle ».
En ce qui concerne la carrière
militaire de Lahontan,
le travail n'a pas beaucoup avancé. En fait, l'ouvrage
fabuleux de Louise
Dechêne ne m'a pas été utile, car je n'y ai pas
trouvé
ce qui m'intéresse, à savoir comment on fabrique un
militaire en
Nouvelle-France. Bien entendu, j'ai commencé à
dépouiller les
ouvrages biographiques sur ce point précis pour confirmer ce
que je
soupçonnais : ses biographes prennent la
« carrière » militaire du jeune Lahontan
pour acquise,
comme s'il était depuis toujours ce qu'il allait devenir.
Si le travail n'a
pas progressé, je sais maintenant comment l'aborder. Il
faut tout
simplement étudier la question ! c'est-à-dire
confronter les
carrières de ceux qui deviennent militaires dans la colonie,
qu'ils y soient
nés ou qu'ils viennent de France. Or, on trouve de
nombreuses
autobiographies de militaires dans la célèbre « affaire du
Canada » en 1763.
Pour l'instant, l'hypothèse est aussi simple que
mince : le baron a
réussi une très belle carrière militaire, qui
a mal
tourné, exactement de la même manière qu'il a
tenté en
vain de faire de l'espionnage et du contre-espionnage. Bref, ce
n'est pas
seulement dans ses écrits qu'il jouait avec succès la
fabulation et
la comédie. Il y a donc deux questions à
l'étude. D'abord
l'évaluation des traits militaires dans le récit de
l'exploration
de la rivière Longue et ensuite l'inverse, soit le
rôle de la Lettre
XVI dans la carrière militaire de Lahontan (c'est la
première version
de la lettre), puis dans sa carrière aristocratique, qui va
finir par
être celle d'un littérateur (un littérateur,
j'insiste, et non
d'un écrivain).
Il faudrait inventer le mot
« cartographieur » pour rendre compte des
résultats du
second travail projeté, l'étude des cartes de
Lahontan. Car sur ce
point non seulement la recherche a beaucoup avancé, mais
elle déborde
maintenant l'édition critique de la Lettre XVI. Mon point
de départ
s'est révélé extrêmement efficace, soit
le livre de
Nelson-Martin Dawson, même s'il n'étudie pas du tout
la question que
je me posais et à laquelle j'ai maintenant
« les »
réponses. Sans lui je n'en serais pas là
aujourd'hui. Il
s'agissait, je le rappelle, de savoir comment et pourquoi Guillaume
Delisle avait
porté la rivière Longue inventée par Lahontan
sur sa
célèbre et remarquable carte de l'Amérique
septentrionale de
1703. Les réponses commencent avec le brouillon de la carte
que j'ai
trouvé à la Rotonde des Archives nationales de Paris
au printemps de
l'année dernière, 2014. L'étude est
maintenant pratiquement
terminée et je n'ai plus qu'à la rédiger. La
preuve en est
que j'en connais déjà le titre ! « La
rivière
Longue de Lahontan (1702), redessinée (1703), puis
effacée (1718) par Guillaume
Delisle ». Et, bien entendu, le père de l'enfant
prodige, Claude Delisle, sera impliqué dans le
méfait...
Mais avant de rédiger cette analyse, je
veux pouvoir
la situer dans son ensemble. Elle devient donc le dernier chapitre
d'une
étude des cartes de Lahontan qu'il s'agit de
présenter dans l'ordre
de leurs fabulations, soit l'analyse de la Carte
générale de Canada
et de son sommaire, la Carte générale de Canada
à petit point,
ensuite la Carte du Mississippi, puis la fabulation de la Carte de
la Rivière
Longue, et pour finir, là ou je veux en venir, soit la
rivière
portée sur la carte de Delisle en 1703.
Je suis donc revenu à mon
établissement de la
carte de Séville et c'est le résultat de ce travail
qui s'ajoute
maintenant à ces fichiers. Après avoir
réalisé la
même lecture pour la Carte générale de Canada
(qu'on trouvera
ici dès que je l'aurai corrigée), j'ai mené ce
que j'appelle
l'« analyse ethno-toponymique » de la carte,
soit
l'interprétation et la situation des noms amérindiens
de la carte.
Il s'agit là d'un second instrument de travail
nécessaire avant de
procéder à l'analyse cartographique de la carte. En
effet, les
toponymes de la Carte générale de Canada sont
à peu
près tous connus, tandis que ceux de la carte du Mississippi
ne le sont pas,
ne le sont plus ou n'ont jamais été connus autrement
que par la
relation de Jean Cavelier. — Depuis toujours, les chercheurs
produisaient
des instruments de recherche qu'ils ne publiaient jamais et qui
étaient
détruits dès la parution des résultats ou
perdus par la suite.
Puisque l'espace n'est pas compté, on trouve ici, au
contraire, ces
instruments préliminaires à l'étude
cartographique. Car la
transcription des cartes de Lahontan et l'analyse ethno-toponomique
de sa carte du
Mississippi (une telle analyse n'étant pas nécessaire
pour ses autres
cartes) demandent beaucoup de travail pour parvenir à des
résultats
qui pourront ainsi être vérifiés et,
vraisemblablement,
complétés, prolongés.
Et ce n'est pas tout, je l'ai dit. La
recherche en cours
déborde largement son objectif. En effet, pour
établir ce dernier
instrument de travail, l'« analyse
ethno-toponymique » de la
carte du Mississippi, j'ai dû relire les documents narratifs
concernant les
explorations du fleuve par Robert Cavelier de La Salle et les
survivants de sa
dernière expédition, après son assassinat.
Tout au long de
ces lectures, j'ai profité de la thèse de Serge
Trudel, son
Étude de genèse : le cas de
« Premier
Établissement de la foi dans la Nouvelle-France »
(1691)
(Université de Montréal, 1997, 408 p.). Et je
me suis rendu
compte que l'article essentiel de Jean Delanglez intitulé
« the
First Establishment of the faith in New France, chapters XXI to
XXV »
(Mid-America, vol. 30 (1948), no 3,
p. 187-214) devait
être entièrement réécrit, ses
conclusions et intuitions
complètement réévaluées. Au fur et
à mesure que
je relisais l'ouvrage de Valentin Leroux (car on connaît
maintenant l'auteur
du FEF), avec les autres documents sur les explorations de Cavelier
de La Salle,
j'ai pu comprendre de mieux en mieux comment les documents
attribués aux
récollets Zénobe Membré et Anastase Douay
avaient
été l'oeuvre de leur rédacteur anonyme,
Valentin Leroux, le
récollet janséniste.
Mais, dira-t-on, cela n'a plus aucun rapport
avec le travail
d'édition critique de la Lettre XVI et l'invention de
la rivière
Longue. Pas tout à fait. Des toponymes qu'on trouve dans
les écritures ou
réécritures de Leroux en 1691 se retrouvent dans la
carte du
Mississippi de Lahontan en 1699 en passant — ou non !
— par ce qui
a de bonne chance d'être, plus ou moins largement, une autre
fabulation, le
« journal » de Jean Cavelier recopié par
Lahontan.
Mais bon, d'accord, si l'on veut, c'est un
tout autre sujet
de recherche. Si vous voulez, on arrête tout pour
réécrire
l'article de Jean Delanglez : « Les
récollets de Nouvelle-France :
Valentin Leroux et ses marionnettes Zénobe Membré et
Anastase Douay, dans les chapitres XXI à XXV du Premier
Établissement de la foi dans la Nouvelle-France qu'il a
attribué
à Chrestien Leclercq ». J'hésite. Ce
serait
sûrement plus vite fait et plus amusant encore que notre
édition
critique de la Lettre XVI. Mais il y a une différence de
taille. En effet,
après la thèse de Serge Trudel, n'importe qui peut
aujourd'hui
réécrire l'article (souvent mordant) de Jean
Delanglez. Personne
ne fera sérieusement l'étude de l'oeuvre de Lahontan
si l'on ne s'y
met pas dans les règles et les conditions de recherche que
l'on s'est
données. Et ce ne sera pas moins amusant. Alors, au
travail !
Guy Laflèche,
11 avril 2015.
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