La rivière Longue

 

L'invention de la rivière Longue

par le baron Lom d'Arce de
Lahontan

1702

      Au cas où vous ne l'auriez pas remarqué, on entre dans ces fichiers en cliquant sur la gravure.

Université de Montréal
Littératures de langue française


 

 

Éditorial

      Voici ce que j'écrivais lors de la dernière mise à jour de ces fichiers, au moment où j'achevais ma lecture systématique de la carte du Mississippi : « L'étude en cours actuellement se situe dans le prolongement des ouvrages de Nelson-Martin Dawson (l'Atelier Delisle, Sillery, Septentrion, 2000), et de Louise Dechêne (le Peuple, l'État et la guerre au Canada sous le régime français, Montréal, Boréal, 2008) : on veut tout savoir de la carrière du militaire Lahontan au Canada et on veut aussi savoir comment l'écrivain a pu piéger un géographe aussi savant que Guillaume Delisle ».

      En ce qui concerne la carrière militaire de Lahontan, le travail n'a pas beaucoup avancé. En fait, l'ouvrage fabuleux de Louise Dechêne ne m'a pas été utile, car je n'y ai pas trouvé ce qui m'intéresse, à savoir comment on fabrique un militaire en Nouvelle-France. Bien entendu, j'ai commencé à dépouiller les ouvrages biographiques sur ce point précis pour confirmer ce que je soupçonnais : ses biographes prennent la « carrière » militaire du jeune Lahontan pour acquise, comme s'il était depuis toujours ce qu'il allait devenir. Si le travail n'a pas progressé, je sais maintenant comment l'aborder. Il faut tout simplement étudier la question ! c'est-à-dire confronter les carrières de ceux qui deviennent militaires dans la colonie, qu'ils y soient nés ou qu'ils viennent de France. Or, on trouve de nombreuses autobiographies de militaires dans la célèbre « affaire du Canada » en 1763. Pour l'instant, l'hypothèse est aussi simple que mince : le baron a réussi une très belle carrière militaire, qui a mal tourné, exactement de la même manière qu'il a tenté en vain de faire de l'espionnage et du contre-espionnage. Bref, ce n'est pas seulement dans ses écrits qu'il jouait avec succès la fabulation et la comédie. Il y a donc deux questions à l'étude. D'abord l'évaluation des traits militaires dans le récit de l'exploration de la rivière Longue et ensuite l'inverse, soit le rôle de la Lettre XVI dans la carrière militaire de Lahontan (c'est la première version de la lettre), puis dans sa carrière aristocratique, qui va finir par être celle d'un littérateur (un littérateur, j'insiste, et non d'un écrivain).

      Il faudrait inventer le mot « cartographieur » pour rendre compte des résultats du second travail projeté, l'étude des cartes de Lahontan. Car sur ce point non seulement la recherche a beaucoup avancé, mais elle déborde maintenant l'édition critique de la Lettre XVI. Mon point de départ s'est révélé extrêmement efficace, soit le livre de Nelson-Martin Dawson, même s'il n'étudie pas du tout la question que je me posais et à laquelle j'ai maintenant « les » réponses. Sans lui je n'en serais pas là aujourd'hui. Il s'agissait, je le rappelle, de savoir comment et pourquoi Guillaume Delisle avait porté la rivière Longue inventée par Lahontan sur sa célèbre et remarquable carte de l'Amérique septentrionale de 1703. Les réponses commencent avec le brouillon de la carte que j'ai trouvé à la Rotonde des Archives nationales de Paris au printemps de l'année dernière, 2014. L'étude est maintenant pratiquement terminée et je n'ai plus qu'à la rédiger. La preuve en est que j'en connais déjà le titre ! « La rivière Longue de Lahontan (1702), redessinée (1703), puis effacée (1718) par Guillaume Delisle ». Et, bien entendu, le père de l'enfant prodige, Claude Delisle, sera impliqué dans le méfait...

      Mais avant de rédiger cette analyse, je veux pouvoir la situer dans son ensemble. Elle devient donc le dernier chapitre d'une étude des cartes de Lahontan qu'il s'agit de présenter dans l'ordre de leurs fabulations, soit l'analyse de la Carte générale de Canada et de son sommaire, la Carte générale de Canada à petit point, ensuite la Carte du Mississippi, puis la fabulation de la Carte de la Rivière Longue, et pour finir, là ou je veux en venir, soit la rivière portée sur la carte de Delisle en 1703.

      Je suis donc revenu à mon établissement de la carte de Séville et c'est le résultat de ce travail qui s'ajoute maintenant à ces fichiers. Après avoir réalisé la même lecture pour la Carte générale de Canada (qu'on trouvera ici dès que je l'aurai corrigée), j'ai mené ce que j'appelle l'« analyse ethno-toponymique » de la carte, soit l'interprétation et la situation des noms amérindiens de la carte. Il s'agit là d'un second instrument de travail nécessaire avant de procéder à l'analyse cartographique de la carte. En effet, les toponymes de la Carte générale de Canada sont à peu près tous connus, tandis que ceux de la carte du Mississippi ne le sont pas, ne le sont plus ou n'ont jamais été connus autrement que par la relation de Jean Cavelier. — Depuis toujours, les chercheurs produisaient des instruments de recherche qu'ils ne publiaient jamais et qui étaient détruits dès la parution des résultats ou perdus par la suite. Puisque l'espace n'est pas compté, on trouve ici, au contraire, ces instruments préliminaires à l'étude cartographique. Car la transcription des cartes de Lahontan et l'analyse ethno-toponomique de sa carte du Mississippi (une telle analyse n'étant pas nécessaire pour ses autres cartes) demandent beaucoup de travail pour parvenir à des résultats qui pourront ainsi être vérifiés et, vraisemblablement, complétés, prolongés.

      Et ce n'est pas tout, je l'ai dit. La recherche en cours déborde largement son objectif. En effet, pour établir ce dernier instrument de travail, l'« analyse ethno-toponymique » de la carte du Mississippi, j'ai dû relire les documents narratifs concernant les explorations du fleuve par Robert Cavelier de La Salle et les survivants de sa dernière expédition, après son assassinat. Tout au long de ces lectures, j'ai profité de la thèse de Serge Trudel, son Étude de genèse : le cas de « Premier Établissement de la foi dans la Nouvelle-France » (1691) (Université de Montréal, 1997, 408 p.). Et je me suis rendu compte que l'article essentiel de Jean Delanglez intitulé « the First Establishment of the faith in New France, chapters XXI to XXV » (Mid-America, vol. 30 (1948), no 3, p. 187-214) devait être entièrement réécrit, ses conclusions et intuitions complètement réévaluées. Au fur et à mesure que je relisais l'ouvrage de Valentin Leroux (car on connaît maintenant l'auteur du FEF), avec les autres documents sur les explorations de Cavelier de La Salle, j'ai pu comprendre de mieux en mieux comment les documents attribués aux récollets Zénobe Membré et Anastase Douay avaient été l'oeuvre de leur rédacteur anonyme, Valentin Leroux, le récollet janséniste.

      Mais, dira-t-on, cela n'a plus aucun rapport avec le travail d'édition critique de la Lettre XVI et l'invention de la rivière Longue. Pas tout à fait. Des toponymes qu'on trouve dans les écritures ou réécritures de Leroux en 1691 se retrouvent dans la carte du Mississippi de Lahontan en 1699 en passant — ou non ! — par ce qui a de bonne chance d'être, plus ou moins largement, une autre fabulation, le « journal » de Jean Cavelier recopié par Lahontan.

      Mais bon, d'accord, si l'on veut, c'est un tout autre sujet de recherche. Si vous voulez, on arrête tout pour réécrire l'article de Jean Delanglez : « Les récollets de Nouvelle-France : Valentin Leroux et ses marionnettes Zénobe Membré et Anastase Douay, dans les chapitres XXI à XXV du Premier Établissement de la foi dans la Nouvelle-France qu'il a attribué à Chrestien Leclercq ». J'hésite. Ce serait sûrement plus vite fait et plus amusant encore que notre édition critique de la Lettre XVI. Mais il y a une différence de taille. En effet, après la thèse de Serge Trudel, n'importe qui peut aujourd'hui réécrire l'article (souvent mordant) de Jean Delanglez. Personne ne fera sérieusement l'étude de l'oeuvre de Lahontan si l'on ne s'y met pas dans les règles et les conditions de recherche que l'on s'est données. Et ce ne sera pas moins amusant. Alors, au travail !

      Guy Laflèche,
      11 avril 2015.

      Édition critique de la « Lettre XVI » des Nouveaux Voyages de Lahontan entreprise dans le cadre du cours FRA 2111, Écrits de la Nouvelle-France, par Guy Laflèche. Les collaborateurs qui ont lancé ce travail à l'automne 2008 étaient Élyse Arbic, Jean-Baptiste Breton, Raphaël Desroches, Djikoloum Koumtog et Annika Missal. Tous ceux qui voudraient participer à l'expérience peuvent entrer en contact avec le responsable du projet, Guy Laflèche, guy.lafleche@umontreal.ca , pour en connaître les tout derniers développements et s'entendre avec lui sur la nature de sa participation, comme de son intégration dans le travail en cours. Ce ne sont pas, évidemment, les « sujets » qui manquent, sans compter que de nouveaux travaux s'imposeront d'eux-mêmes, comme dans n'importe quel travail de recherche dynamique.

      Vous pouvez suivre ici pas à pas le développement d'une édition critique, avec ses réalisations, ses travaux en cours et ses études à venir. Il n'y a pas de raison aujourd'hui que les résultats des travaux de recherche ne soient connus qu'avec le retard de leur achèvement. En effet, comme on peut le voir à l'état actuel du travail, ses conclusions s'imposent d'ores et déjà — et c'est d'abord et avant tout la fabuleuse invention de la rivière Longue qui donne son titre à ces fichiers —, avant même qu'on en tire toutes les conséquences. Sans compter qu'on ne vit plus à l'époque où les chercheurs cachaient leurs travaux en cours pour ne pas se les faire « voler » !