Le rêve du chasseur français en
Algérie
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Prosper Mérimée,
« Djoûmane »,
nouvelle,
1873
La nuit était faite quand nous
montâmes à cheval. Je commandais le peloton
d'avant-garde. Je me sentais fatigué, j'avais froid; je mis
mon manteau, j'en relevai le collet, je chaussais mes
étriers, et j'allai tranquillement au grand pas de ma
jument, écoutant avec distraction le maréchal des
logis Wagner, qui me racontait l'histoire de ses amours
malheureusement terminées par la fuite d'une infidèle
qui lui avait emporté avec son coeur une montre d'argent et
une paire de bottes neuves. Je savais déjà cette
histoire et elle me semblait encore plus longue que de coutume.
La lune se levait comme nous nous mettions en
route. Le ciel était pur, mais du sol s'élevait un
petit brouillard blanc, rasant la terre qui semblait couverte de
cardes de coton. Sur ce fond blanc, la lune lançait de
longues ombres, et tous les objets prenaient un aspect
fantastique : tantôt je croyais voir des cavaliers
arabes en vedette, en m'approchant je trouvais des tamaris en
fleur; tantôt je m'arrêtais, croyant entendre les coups
de canon de signal, Wagner me disait que c'était un cheval
qui courait.
Nous arrivâmes au gué, et le
commandant prit ses dispositions.
Le lieu était merveilleux pour la
défense, et notre escadron aurait suffi pour arrêter
là un corps considérable. Solitude complète
de l'autre côté de la rivière.
Après une assez longue attente, nous
entendîmes le galop d'un cheval, et bientôt parut un
Arabe monté sur un magnifique cheval qui se dirigeait vers
nous. À son chapeau de paille surmonté de plumes
d'autruche, à sa selle brodée d'or d'où
pendait une djebira (1) ornée de
corail et de fleurs d'or, on reconnaissait un chef; notre guide
nous dit que c'était Sidi-Lala en personne (2). C'était un beau jeune homme, bien
découpé, qui menait son cheval à merveille.
Il le faisait galoper, jetait en l'air son long fusil et le
rattrapait en nous criant je ne sais quels mots de défi.
Les temps de la chevalerie sont passés,
et Wagner demandait un fusil pour décrocher le
marabout (3), à ce qu'il disait; mais
je m'y opposai, et, pour qu'il ne fût pas dit que les
Français eussent refusé de combattre en champ clos
avec un Arabe, je demandai au commandant la permission de passer le
gué et de croiser le fer avec Sidi-Lala. La permission me
fut accordée, et aussitôt je passai la rivière,
tandis que le chef ennemi s'éloignait au petit galop pour
prendre du champ.
Dès qu'il me vit sur l'autre bord, il
courut sur moi le fusil à l'épaule.
« Méfiez-vous », me cria Wagner.
Je ne crains guère les coups de fusil
d'un cavalier et, après la fantasia (a) qu'il venait d'exécuter, le fusil de
Sidi-Lala ne devait pas être en état de faire feu. En
effet, il pressa la détente à trois pas de moi, mais
le fusil rata, comme je m'y attendais. Aussitôt mon homme
fit tourner son cheval de la tête à la queue si
rapidement qu'au lieu de lui planter mon sabre dans la poitrine, je
n'attrapai que son burnous flottant.
Mais je le talonnais de près, le tenant
toujours à ma droite et rabattant bon gré mal
gré vers les escarpements qui bordent la rivière. En
vain essaya-t-il de faire des crochets, je le serrais de plus en
plus. Après quelques minutes d'une
course enragée, je vis son cheval se cabrer tout à
coup, et lui, tirant les rênes à deux mains. Sans me
demander pourquoi il faisait ce mouvement singulier, j'arrivai sur
lui comme un boulet, je lui plantai ma latte (4) au beau milieu du dos en même temps que le
sabot de ma jument frappait sa cuisse gauche. Homme et cheval
disparurent; ma jument et moi nous tombâmes après
eux.
Sans nous en être aperçus, nous
étions arrivés au bord d'un précipice et nous
étions lancés... Pendant que j'étais encore
en l'air — la pensée va vite — je me dis que le
corps de l'Arabe amortirait ma chute. Je vis distinctement sous
moi un burnous blanc avec une grande tache rouge, c'est là
que je tombai à pile ou face.
Le saut ne fut pas si terrible que je l'avais
cru; grâce à la hauteur de l'eau; j'en eus par-dessus
les oreilles, je barbotai un instant tout étourdi, et je ne
sais trop comment je me trouvai debout au milieu de grands roseaux
au bord de la rivière.
Ce qu'étaient devenus Sidi-Lala et les
chevaux, je n'en sais rien. J'étais trempé,
grelottant, dans la boue, entre deux murs de rochers. Je fis
quelques pas, espérant trouver un endroit où les
escarpements seraient moins roides; plus j'avançais et plus
ils me semblaient abrupts et inaccessibles.
Tout d'un coup, j'entendis au-dessus de ma
tête des pas de chevaux et le cliquetis des fourreaux de
sable heurtant contre les étriers et les éperons.
Évidemment c'était notre escadron. Je voulus crier,
mais pas un son ne sortit de ma gorge; sans doute, dans ma chute,
je m'étais brisé la poitrine.
Figurez-vous ma situation. J'entendais les
voix de nos gens, je les reconnaissais, et je ne pouvais les
appeler à mon aide. Le vieux Wagner disait :
« S'il m'avait laissé faire, il aurait vécu
pour être colonel ». Bientôt le bruit
diminua, s'affaiblit, je n'entendis plus rien.
Au-dessus de ma tête pendait une grosse
racine, et j'espérais, en la saisissant, me guinder (5) sur la berge. D'un effort
désespéré, je m'élançai, et...
sss !... la racine se tord et m'échappe avec un
sifflement affreux... C'était un énorme
serpent...
Je retombai dans l'eau; le serpent, glissant
entre mes jambes, se jeta dans la rivière, où il me
sembla qu'il laissait comme une traînée de feu...
Une minute après j'avais
retrouvé mon sang-froid, et cette lumière tremblotant
sur l'eau n'avait pas disparu. C'était, comme je m'en
aperçus, le reflet d'une torche. À une vingtaine de
pas de moi, une femme emplissait d'une main une cruche et, de
l'autre, elle tenait un morceau de bois résineux qui
flambait. Elle ne se doutait pas de ma présence. Elle posa
tranquillement sa cruche sur sa tête et, sa torche à
la main, disparut dans les roseaux. Je la suivis et me trouvai
à l'entrée d'une caverne.
La femme s'avançait fort tranquillement
et montait une pente assez rapide, une espèce d'escalier
taillé contre la paroi d'une salle immense. À la
lueur de la torche, je voyais le sol de cette salle qui ne
dépassait guère le niveau de la rivière, mais
je ne pouvais découvrir quelle en était
l'étendue. Sans trop savoir ce que je faisais, je
m'engageai sur la rampe après la femme qui portait la
torche et je la suivis à distance. De temps en temps sa
lumière disparaissait derrière quelque
anfractuosité de rocher, et je la retrouvais
bientôt.
Je crus apercevoir encore l'ouverture sombre
des grandes galeries en communication avec la salle principale. On
eût dit une ville souterraine avec ses rues et ses
carrefours. Je m'arrêtai, jugeant qu'il était
dangereux de m'aventurer seul dans cet immense labyrinthe.
Tout d'un coup, une des galeries au-dessous de
moi s'illumina d'une vive clarté. Je vis un grand nombre de
flambeaux qui semblaient sortir des flancs du rocher pour former
comme une grande procession. En même temps s'élevait
un chant monotone qui rappelait la psalmodie des Arabes
récitant leurs prières.
Bientôt je distinguai une grande
multitude qui s'avançait avec lenteur. En tête
marchait un homme noir, presque nu, la tête couverte d'une
énorme masse de cheveux hérissés. Sa barbe
blanche tombant sur sa poitrine tranchait sur la couleur brune de
sa poitrine tailladée de tatouages bleuâtres. Je
reconnus aussitôt mon sorcier de la veille, et bientôt
après je retrouvai auprès de lui la petite fille qui
avait joué le rôle d'Eurydice, avec ses beaux yeux,
ses pantalons de soie et son mouchoir brodé sur la
tête (6).
Des femmes, des enfants, des hommes de tout
âge les suivaient, tous avec des torches, tous avec des
costumes bizarres à couleurs vives, des robes
traînantes, de hauts bonnets, quelques-uns en métal,
qui reflétaient de tous côtés la lumière
des flambeaux.
Le vieux sorcier s'arrêta juste
au-dessous de moi, et toute la procession avec lui. Il se fit un
grand silence. Je me trouvais à une vingtaine de pieds
au-dessus de lui protégé par de grosses pierres
derrière lesquelles j'espérais tout voir sans
être aperçu. Aux pieds du vieillard, j'aperçus
une large dalle à peu près ronde, ayant au centre un
anneau de fer.
Il prononça quelques mots dans une
langue à moi inconnue, qui, je crois en être
sûr, n'était ni de l'arabe, ni du kabile. Une corde
avec des poulies, suspendue je ne sais où, tomba à
ses pieds; quelques-uns des assistants l'engagèrent dans
l'anneau, et à un signal vingt bras vigoureux faisant effort
à la fois, la pierre, qui semblait très lourde, se
souleva, et on la rangea de côté.
J'aperçus alors comme l'ouverture d'un
puits, dont l'eau était à moins d'un mètre du
bord. L'eau, ai-je dit, je ne sais quel affreux liquide
c'était, recouvert d'une pellicule irisée,
interrompue et brisée par places et laissant voir une boue
noire et hideuse.
Debout, près de la margelle du puits,
le sorcier tenait la main gauche sur la tête de la petite
fille, de la droite il faisait des gestes étranges pendant
qu'il prononçait une espèce d'incantation au milieu
du recueillement général.
De temps en temps il élevait la voix
comme s'il appelait quelqu'un : Djoûmane !
Djoûmane ! (7) criait-il; mais
personne ne venait. Cependant il roulait les yeux, grinçait
des dents et faisait entendre des cris rauques qui ne semblaient
pas sortir d'une poitrine humaine. Les momeries de ce vieux coquin
m'agaçaient et me transportaient d'indignation;
j'étais tenté de lui jeter sur la tête une des
pierres que j'avais sous la main. Pour la trentième fois
peut-être il venait de hurler ce nom de Djoûmane quand
je vis trembler la pellicule irisée du puits, et à ce
signe toute la foule se rejeta en arrière; le vieillard et
la petite fille demeurèrent seuls au bord du trou.
Soudain un gros bouillon de boue
bleuâtre s'éleva du puits, et de cette boue sortit la
tête énorme d'un serpent, d'un gris livide, avec des
yeux phosphorescents... Involontairement,
je fis un haut-le-corps en arrière; j'entendis un petit cri
et le bruit d'un corps pesant qui tombait dans l'eau...
Quand je reportai la vue en bas, un
dixième de seconde après peut-être,
j'aperçus le sorcier seul au bord du puits, dont l'eau
bouillonnait encore. Au milieu des fragments de la pellicule
irisée flottait le mouchoir qui couvrait les cheveux de la
petite fille (6)...
Déjà la pierre était en
mouvement et retombait sur l'ouverture de l'horrible gouffre.
Alors tous les flambeaux s'éteignirent à la fois, et
je restai dans les ténèbres au milieu d'un silence si
profond que j'entendais distinctement les battements de mon
coeur...
Dès que je fus un peu remis de cette
horrible scène, je voulus sortir de la caverne, jurant que
si je parvenais à rejoindre mes camarades, je reviendrais
exterminer les abominables hôtes de ces lieux, hommes et
serpents.
Il s'agissait de trouver son chemin; j'avais
fait, à ce que je croyais, une centaine de pas dans
l'intérieur de la caverne, ayant le mur de rocher à
ma droite.
Je fis demi-tour, mais je n'aperçus
aucune lumière qui indiquât l'ouverture du souterrain;
mais il ne s'étendait pas en ligne droite, et d'ailleurs
j'avais toujours monté depuis le bord de la rivière;
de ma main gauche je tâtais le rocher, de la droite je tenais
mon sabre et sondais le terrain, avançant lentement et avec
précaution. Pendant un quart d'heure, vingt minutes... une
demi-heure peut-être, je marchai sans trouver
l'entrée.
L'inquiétude me prit. Me serais-je
engagé sans m'en apercevoir dans quelque galerie
latérale au lieu de revenir par le chemin que j'avais suivi
d'abord ?...
J'avançais toujours, tâtant le
rocher, lorsqu'au lieu du froid de la pierre je sentis une
tapisserie qui, cédant sous ma main, laissa échapper
un rayon de lumière. Redoublant de précaution,
j'écartai sans bruit la tapisserie et me trouvai dans un
petit couloir qui donnait dans une chambre fort
éclairée dont la porte était ouverte. Je vis
que cette chambre était tendue d'une étoffe à
fleurs de soie et d'or. Je distinguai un tapis de Turquie, un bout
de divan en velours. Sur le tapis il y avait un narguileh (8) d'argent et des cassolettes. Bref, un
appartement somptueusement meublé dans le goût
arabe.
Je m'approchai à pas de loup
jusqu'à la porte. Une jeune femme était accroupie
sur ce divan, près duquel était posée une
petite table basse en marqueterie, supportant un grand plateau de
vermeil chargé de tasses, de flacons et de bouquets de
fleurs.
En entrant dans ce boudoir souterrain, on se
sentait enivré de je ne sais quel parfum
délicieux.
Tout respirait la volupté dans ce
réduit; partout je voyais briller de l'or, de riches
étoffes, des fleurs rares et des couleurs variées.
D'abord la jeune femme ne m'aperçut pas; elle penchait la
tête et d'un air pensif roulait entre ses doigts les grains
d'ambre jaune d'un long chapelet. C'était une vraie
beauté. Ses traits ressemblaient à ceux de la
malheureuse enfant que je venais de voir, mais plus formés,
plus réguliers, plus voluptueux. Noire comme l'aile d'un
corbeau, sa chevelure,
Longue comme un manteau de roi (9),
s'étalait sur ses épaules, sur
le divan et jusque sur le tapis à ses pieds. Une chemise de
soie transparente, à larges raies, laissait deviner des bras
et une gorge admirables. Une veste de velours soutachée
d'or serrait sa taille, et de ses pantalons courts en satin bleu
sortait un pied merveilleusement petit, auquel était
suspendue une babouche dorée qu'elle faisait danser d'un
mouvement capricieux et plein de grâce.
Mes bottes craquèrent, elle releva la
tête et m'aperçut.
Sans se déranger, sans montrer la
moindre surprise de voir entrer chez elle un étranger le
sabre à la main, elle frappa dans ses mains avec joie et me
fit signe d'approcher. Je la saluai en portant la main à
mon coeur et à ma tête pour lui montrer que
j'étais au fait de l'étiquette musulmane. Elle me
sourit, et de ses deux mains écarta ses cheveux qui
couvraient le divan; c'était me dire de prendre place
à côté d'elle. Je crus que tous les parfums de
l'Arabie sortaient de ces beaux cheveux.
D'un air modeste, je m'assis à
l'extrémité du divan en me promettant bien de me
rapprocher tout à l'heure. Elle prit
une tasse sur le plateau et, la tenant par sa soucoupe en
filigrane, elle y versa une mousse de café et, après
l'avoir effleurée de ses lèvres, elle me la
présenta :
— Ah ! Roumi (10), Roumi !... dit-elle... — Est-ce que
nous ne tuons pas le ver (11), mon
lieutenant ?... (b).
À ces mots, j'ouvris les yeux comme des
portes cochères. Cette jeune femme avait des moustaches
énormes, c'était le vrai portrait du maréchal
des logis Wagner... En effet, Wagner était debout devant
moi et me présentait une tasse de café, tandis que,
couché sur le cou de mon cheval, je le regardais tout
ébaubi.
— Il paraît que nous avons
pioncé tout de même, mon lieutenant. Nous
voilà au gué (12) et le
café est bouillant.
Notes
(1) « La djebira est une
gibecière que les cavaliers portent suspendue au pommeau de
la selle » (Michel Crouzet dans son édition,
vol. 2, p. 399, n, 31).
(2) Sidi-Lala est un nom construit sur celui de
Sidel-Ala, au complet Sidel-Ala-ould-Abou-Bekr, dit aussi Si-Lalla,
héros de l'insurrection de 1864-1869, en Algérie. Si
le personnage a plus de 60 ans au moment où
Mérimée rédige vraisemblablement son texte,
l'histoire pourrait se situer vers 1843 (après la reprise de
Tlemcen par les Français en 1642, ville où reviennent
les soldats présentés ici dès l'ouverture de
la nouvelle). Par ailleurs, Sidi et Lalla signifient
en arabe monsieur et madame, maître et dame, saint et sainte
(ibid., n. 25 et 32; Léon Lemonnier dans son
édition des Dernières Nouvelles, p. 161;
Henri Martineau dans la Pléiade, p. 819).
(3) Probablement pour
« décocher » un coup au marabout pour le
« décrocher », c'est-à-dire le
faire tomber.
(4) Sabre qui se présente comme une latte,
long et droit.
(5) En terme de marine, guinder consiste à
hisser la toile à l'aide d'une poulie et de cordage.
D'où le sens tout simple de se hisser.
(6) Il s'agit des deux principaux personnages qui
ont figuré dans le spectacle de la tribu nomade au cours du
souper précédent l'expédition. Le sorcier et
une jeune fille. Le petite « juive » en
était le personnage principal. Mordue par mégarde,
aurait-on dit, par un serpent sorti du cabas renversée, elle
était guérie par le sorcier qui présidait
à la « cérémonie ». Le
petite fille était décrite, non sans érotisme,
avec un court pantalon et un mouchoir de soie sur la tête,
sans voile. Elle jouait le rôle d'Eurydice, dit le
narrateur : c'est un clin-d'oeil à la mythologie
où la femme d'Orphée meurt en effet d'une morsure de
serpent.
(7) C'est le serpent. Lors du spectacle de la
veille, la jeune fille se faisait mordre par Djoûmane, le
serpent, puis le sorcier la guérissait (note
précédente). Djoûmane :
« Mot arabe d'origine persane qui signifie perle ou
bijou; utilisé comme prénom
féminin » (Michel Crouzet dans son édition,
vol. 2, p. 397, n. 1).
(8) Narguileh : la pipe à eau.
(9) On ne connaît pas d'origine à ce
vers. Or, il est dans le contexte d'autant plus inattendu que
l'aile du corbeau est tout à la fois convenu et saugrenu.
(10) Roumi, féminin roumia, pluriel
nsara : l'« infidèle »,
l'étranger et tout bonnement l'Européen, dans l'arabe
de l'Afrique du Nord.
(11) « Tuer le ver », prendre
le matin un verre de vin blanc ou un petit verre d'alcool
(DGLF). Désigne ici le café chaud,
évidemment, avec le très classique effet
« réveil matin ».
(12) Cette réplique découpe
rétrospectivement le récit de rêve tel qu'il
est édité ici. C'est la fin qui en marque le
début : le narrateur rêvait depuis le point
où il se réveille, c'est-à-dire son
arrivée au gué — dans le récit de
rêve ! — ou peu avant.
Variantes
(a) La fantasia désigne
précisément la démonstration équestre
du cavalier arabe (PL).
(b) Notre texte témoin est ici fautif, ne
comprenant pas cette réplique de Wagner. L'édition
d'Henri Martineau, dans la Pléiade, va à la ligne;
nous choisissons la mise en page de l'édition de Michel
Crouzet (du moins tant que nous ne connaîtrons pas la mise en
page de l'original), pour que le
« réveil » du lecteur soit aussi brutal
que celui du héros !
Références
Prosper Mérimée, OEuvres complètes,
vol. 5 (« Dernières Nouvelles »),
Djoûmane, éd. Léon Lemonnier, Paris,
Librairie ancienne Honoré Champion, 1929, p. 72-83.
Édition originale
Prosper Mérimée,
« Djoûmane », le Moniteur
universel, du 9 au 12 janvier 1873.
Éditions critiques
Prosper Mérimée,
« Djoûmane », OEuvres
complètes, vol. 5 (« Dernières
Nouvelles »), éd. Léon Lemonnier, Paris,
Librairie ancienne Honoré Champion, 1929, p. 72-83.
—, « Djoûmane », Romans et
Nouvelles, éd. Henri Martineau, Paris, Gallimard (coll.
« Bibiothèque de la pléiade »),
1951, p. 762-768.
—, « Djoûmane », Romans et
Nouvelles, tome 2, éd. Maurice Parturier, Paris, Garnier
frères, 1962, p. 558-565. —,
« Djoûmane », Nouvelles, tome 2,
éd. Michel Crouzet, Paris, Imprimerie nationale (coll.
« Lettres françaises »), 1987,
p. 295-302.
Situation matérielle
Le premier tiers de la nouvelle met en
scène le rêve
qui
occupe le reste du texte.
Situation narrative
Nous sommes en Algérie. Le 21 mai
18.., un groupe de chasseurs (ce sont des soldats) rentre
épuisé à Tlemcen après trente-sept
jours de campagne. Les soldats doivent malheureusement repartir
dès la nuit qui vient. Le soir, ils sont conviés
à un repas somptueux où ont été
invités des danseurs et des magiciens indigènes
dresseurs de serpents. Le spectacle met en scène une jeune
fille (ou une petite fille, elle a « treize ou quatorze
ans ») mordue par un serpent sont le sorcier,
évidemment, la guérit. Il s'agit d'un tour de
saltimbanque, mais qui paraît au narrateur doublé de
sorcellerie ou de religion primitive.
La mission de l'escadron est de couper la
retraite à Sidi-Lala, chef ennemi, lorsqu'il chercha
à gagner les montagnes du Maroc en franchissant la
Moulaïa (nom d'un fleuve fictif) au seul endroit où
l'on peut passer le fleuve à gué. Le narrateur, le
héros de cette histoire, commande le peloton d'avant-garde,
mort de fatigue...
Bibliographie
Canovas : 53-55, 60.
CHABOT, Jacques, l'Autre Moi : fantasmes et fantastique dans
les nouvelles de Mérimée, Aix-en-Provence,
ÉDISUD, p. 265-285.
DARCOS, Xavier, Mérimée, Paris, Flammarion,
1998, p. 429-430.
HILLER, A., « L'énigme de
djoûmane », Essays in french literature,
1974.
REQUENA, Clarisse, Unité et dualité dans l'oeuvre
de Prosper Mérimée : mythe et récit,
Paris, Honoré Champion, 2000, p. 101-105, 130, 167,
180-181, 206, 376-382, 398.
ROCHE, Raoul,Un rêve de Mérimée :
« Djoumane », la Grande Revue,
octobre 1928, article repris dans Prosper Mérimée,
OEuvres complètes, 12 vol., vol. 5,
Dernières Nouvelles, éd. Léon
Lemonnier, Paris, Librairie ancienne Honoré Champion, 1929,
p. 200-211.
La nouvelle inédite de Prosper Mérimée aurait
à son origine un rêve de l'auteur. Le critique en
présente une interprétation freudienne :
l'attirance réprouvée et sublimée pour une
petite Juive pré-pubère ! Le moins qu'on puisse
dire, c'est que le sens « latent » est, ici,
assez « manifeste », s'agissant du sujet de la
nouvelle érotique.
Cette interprétation, comme celle de Hiller, a choqué
Michel Crouzet, qui la trouve ridicule :
« Puisqu'il s'agit d'un rêve (mais d'un rêve
littéraire savamment organisé et composé), la
critique dite « psychanalytique » s'est cru
autorisée à déposer sur le texte ses
fantasmes, dès 1928, avec un article de R.
Roche... » (dans son édition citée plus
haut, p. 396). L'auteur prend grand soin, toutefois, de
rappeler point par point ces « symboles » dans
son annotation.
SCHMITTLEIN, Raymond, Lokis, la dernière nouvelle de
Mérimée, Bade, Éditions Arts et science,
1949, p. 40-42.
SMITH, Maxwell A., Prosper Mérimée, New York,
Twaine Publishers, 1972, p. 177-178.
TOLO, Khama-Bassili, l'Intertextualité chez
Mérimée : l'étude des Sauvages,
Birmingham, Alabama, Summa Publications, 1998, p. 219-221.
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