Aurélia, le septième
rêve
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Gérard de Nerval,
Aurélia,
récit,
1855
Le sommeil m'apporta des rêves
terribles. Je n'en ai conservé qu'un souvenir confus.
— Je me trouvais dans une salle inconnue et je causais avec
quelqu'un du monde extérieur, — l'ami dont je viens de
parler, peut-être (1). Une glace
très haute se trouvait derrière nous. En y jetant par
hasard un coup d'oeil, il me sembla reconnaître A*** (2). Elle semblait triste et pensive, et tout
à coup, soit qu'elle sortît de la glace, soit que
passant dans la salle elle se fût reflétée un
instant avant, cette figure douce et chérie se trouva
près de moi. Elle me tendit la main, laissa tomber sur moi
un regard douloureux et me dit : « Nous nous
reverrons plus tard... à la maison de ton
ami ».
En un instant, je me
représentai (a) son mariage, la
malédiction qui nous séparait... et je me dis :
« Est-ce possible ? reviendrait-elle à
moi ? » « M'avez-vous
pardonné ? » demandai-je avec larmes. Mais
tout avait disparu. Je me trouvais dans un lieu désert, une
âpre montée semée de roches, au milieu des
forêts. Une maison, qu'il me semblait reconnaître,
dominait ce pays désolé. J'allais et je revenais par
des détours inextricables. Fatigué de marcher entre
les pierres et les ronces, je cherchais parfois une route plus
douce par les sentes du bois. « On m'attend
là-bas ! » pensais-je. — Une certaine
heure sonna... Je me dis : Il est trop tard ! Des
voix me répondirent : Elle est perdue ! Une
nuit profonde m'entourait, la maison lointaine brillait comme
éclairée pour une fête et pleine d'hôtes
arrivés à temps. « Elle est perdue !
m'écriai-je, et pourquoi ?... Je comprends, —
elle a fait un dernier effort pour me sauver; — j' ai
manqué le moment suprême où le pardon
était possible encore. Du haut du ciel, elle pouvait prier
pour moi l'Époux divin... Et qu'importe mon salut
même ? L'abîme a reçu sa proie ! Elle
est perdue pour moi et pour tous !... » Il me
semblait la voir comme à la lueur d'un éclair,
pâle et mourante, entraînée par de sombres
cavaliers... Le cri de douleur et de rage que je poussai en ce
moment me réveilla tout haletant.
— Mon Dieu, mon Dieu ! pour elle et
pour elle seule, mon Dieu, pardonnez ! m'écriai-je en
me jetant à genoux.
Il faisait jour. Par un mouvement dont il
m'est difficile de rendre compte, je résolus aussitôt
de détruire les deux papiers que j'avais
retirés (b) la veille du
coffret : la lettre, hélas ! que je relus en la
mouillant de larmes, et le papier funèbre qui portait le
cachet du cimetière. « Retrouver sa tombe
maintenant ? me disais-je, mais c'est hier qu'il fallait y
retourner, — et mon rêve fatal n'est que le reflet de
ma fatale journée ! ».
Notes
(1) « L'hôtelier me parla d'un de
mes anciens amis, habitant de la ville, qui, à la suite de
spéculations malheureuses, s'était tué d'un
coup de pistolet... » (cette phrase précède
immédiatement le texte reproduit ici).
(2) Aurélia
Variantes
L'édition de Jacques Bony donne probablement par erreur les
leçons suivantes :
(a) représentai (passé
simple) devient représentais.
(b) retirés devient
tirés.
Références
Gérard de Nerval, OEuvres, texte établi,
annoté et présenté par Albert Béguin et
Jean Richer, Paris, Gallimard (coll.
« Bibliothèque de la pléiade »),
1952, p. 390- 391.
Édition originale
Gérard de Nerval, « Aurélia »,
Revue de Paris, (1er janvier 1855, pour la première
partie, 15 février pour la seconde).
Éditions critiques
Gérard de Nerval, OEuvres, texte établi,
annoté et présenté par Albert Béguin et
Jean Richer, Paris, Gallimard (coll.
« Bibliothèque de la pléiade »),
1952, p. 390-391, rééd. 1955,
p. 394-395.
—, Sylvie, les Chimères, Aurélia, Paris,
Bordas (coll. « Sélection littéraire
Bordas »), 1967, p. 136-137.
—, Aurélia, éd. de Pierre-Georges
Castex, Paris, SEDES, 1971, p. 59-60.
—, Aurélia [et autres oeuvres], éd. de
Jacques Bony, Paris, Flammarion (coll.
« GF-Flammarion »), 1990, p. 289-290.
—, Aurélia ou le Rêve et la vie; les Nuits
d'octobre; Petits Châteaux de Bohême; Promenades et
souvenirs, préface et commentaire par Gabrielle
Chamarat-Malandain, Paris, Pocket (coll. « Lire et voir
les classiques »), 1994.
Situation matérielle
Chapitre 2 de la deuxième partie
d'Aurélia.
Situation narrative
Après avoir vainement tenté de
retrouver de mémoire la tombe d'Aurélia au
cimetière, le narrateur court chez lui y chercher un papier
sur lequel les indications exactes sont inscrites. Puis, il est
saisi de honte à l'idée de profaner la tombe d'une
chrétienne par sa présence et renonce à
retourner au cimetière. Il décide plutôt de se
rendre dans une petite ville où il fut heureux dans sa
jeunesse. À l'auberge où il s'arrête,
l'hôtelier lui apprend qu'un de ses anciens amis s'est
suicidé.
Bibliographie
Voir le Premier
rêve dans Aurélia.
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