TdM RRR / Le Recueil des Récits de Rêve - édition de Guy Laflèche TGdM

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Le rêve de Félicie
Situation Localisation Notes Variantes Références Bibliographie

Julien Green, le Malfaiteur, roman, 1948

      Oui ou non, les morts revenaient-ils ? De son vivant, Mme la baronne l'affirmait. Pourvu qu'elle ne revînt pas elle-même lui fournir un supplément d'information !

      Une nuit, Félicie (1) rêva que Blanchonnet (2) se montrait à elle. Ce n'était pas la première fois qu'il troublait le sommeil de la pauvre femme, mais d'ordinaire il se contentait de traverser la chambre en glissant au ras du plancher. Il ne parlait pas. Comment Blanchonnet aurait-il pu ouvrir la bouche ? Cette nuit (a), pourtant, il lui poussa tout à coup une tête et deux bras : en vérité, la tête et les bras de Mme la baronne (3). [...]

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[...]       Alors (8) son rêve de la nuit précédente lui revint à la mémoire. Les yeux fermés, elle vit distinctement le visage de la baronne, non point le visage aimable et indulgent que la couturière avait connu jadis, mais un visage d'outre-tombe avec un sourire maléfique. Et malgré elle, Félicie regardait, parce qu'il y avait au fond de cette épouvante quelque chose qui la fascinait et parce qu'elle voulait savoir comment la baronne allait s'y prendre désormais pour venir vers elle sans le secours de Blanchonnet qui lui avait servi de véhicule (p. 109).


Notes

(1) Félicie est la couturière des Vasseur.

(2) « Blanchonnet, c'était le mannequin dont se servait la couturière. Sans tête, ni bras, ni jambes, il offrait l'aspect d'une élégante d'autrefois après un barbare supplice » (Pléiade, vol. 3, p. 204-205). Pour la compréhension du rêve, il est important de savoir que Blanchonnet a « assisté » à l'agonie de la vieille baronne, car la couturière travaillait alors dans sa chambre et y laissait son mannequin après son service. Depuis, le mannequin est relégué à une chambre du troisième où la couturière vient travailler seule. Tout cela est raconté au début du chapitre.

(3) Mme la baronne. C'est la mère de Mme Vasseur, l'ancienne maîtresse de Félicie.

(4) Lorsque Félicie est arrivée, le matin qui a suivi le décès de la baronne, Mme Vasseur a immédiatement ordonné que la couturière aille désormais s'installer au troisième avec Blanchonnet. Le difficulté de transporter le mannequin et l'émotion ont fait en sorte que Félicie s'est évanouie en entrant dans la mansarde. À son réveil, Mme Pauque, la soeur de Mme Vasseur, avait placé ce coussin sous sa tête. Puis lorsque la couturière a été remise, après un doigt de cordial, Mme Pauque a repris le coussin, en déclarant simplement et inexplicablement qu'elle allait le mettre sous la tête de sa mère, dans la chambre mortuaire.

(5) Herbert est un domestique de la maison des Vasseur.

(6) Berthe est la cuisinière.

(7) La couturière n'aura visé personne en particulier, car son pressentiment est encore bien plus juste : elle annonce « la révolution » ! Les deux suicides auxquels conduit l'histoire.

(8) Dans les heures qui ont suivi l'annonce de cette « révolution », le petit Marcel, fils de la concierge, est venu jouer les justiciers dans la chambre de Félicie et le massacre s'est achevé par la destruction de Blanchonnet, ce dont la couturière fait les frais aux yeux des Vasseurs.


Variantes

(a) « ... cette nuit » : l'édition originale précisait : « Comment Blanchonnet eût-il ouvert la bouche, n'ayant pas de tête. Cette nuit » (Pléiade, vol. 2, p. 212, n. d).

(b) « ... chaque mouvement » : « l'apparition se dirigeait vers elle en titubant de droite et de gauche, car le mannequin oscillait sur sa base, et à chaque mouvement » (version de l'édition originale dans Lumières, cf. Pléiade, vol. 2, p. 212, n. e).


Références

Julien Green, le Malfaiteur, Paris, Plon, 1955, p. 28-29.

Éditions originales

Julien Green, « Le mannequin », Lunaires (Cahier de poésie), Paris, Plon, 1948.

Il s'agit de la première version des chapitres 1 et 6 de la première partie de roman (qui en comptera deux dans l'édition de 1955 et trois dans l'édition « définitive » de 1972).

Julien Green, OEuvres complètes, romans : le Malfaiteur, Paris, Plon, 1955, vol. 6.

Édition critique

Julien Green, OEuvres complètes : le Malfaiteur, éd. Jacques Petit, Paris, Gallimard (coll. « Bibliothèque de la pléiade »), 1972, vol. 3, p. 212-213.


Situation matérielle

      Premier chapitre du roman (fin du chapitre 1), après l'ouverture de la première partie. Puis le rêve est rappelé au chapitre 6.


Situation narrative

      L'histoire se déroule dans la maison des Vasseur, une riche famille de province. Ils sont hautains, prétentieux et ne pensent qu'à leur réputation. Ils hébergent un cousin âgé, Jean, un homosexuel amoureux d'un jeune homme qui le rejette et une autre cousine, la jeune Hedwige, chez eux depuis l'âge de dix ans. Orpheline, la jeune fille demeure chez les Vasseur et vit enjouée et insouciante jusqu'au jour où elle rencontre Gaston Dolange dont elle tombe follement amoureuse. Malheureusement, il s'avère que le jeune homme ne s'intéresse nullement à elle car il est également homosexuel; il s'agit en effet de l'homme que Jean aime. S'enfuyant à Naples car il est poursuivi par la police, Jean se suicide. Hedwige fera de même mais en ne sachant toujours pas clairement pourquoi Gaston Dolange lui est interdit, alors que tous autour d'elle connaissent son homosexualité.

      Nous ne savons encore rien de tout cela au début du roman, lorsque Félicie, la couturière, aperçoit en rêve son mannequin surmonté de la tête de Mme la baronne décédée depuis quelques mois. Le rêve, qui reviendra souvent, sera rappelé (au chapitre 6), pour annoncer « la révolution » : ce sera non seulement la démolition du mannequin par le petit Marcel, le fils de la concierge, mais évidemment les suicides auxquels conduit l'histoire d'Hedwige.


Bibliographie

Canovas : 23, 47.

FIELD, Trevor, « The litterary significance of dreams in the novels of Julien Green », Modern Language Review, Cambridge, 1980, no 75, p. 291-300 (curieusement, Field ne dit pas un mot des rêves de ce roman).



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