TdM RRR / Le Recueil des Récits de Rêve - Édition de Guy Laflèche TGdM

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Introduction Auteurs OEuvres Chronologie


Le rêve de Renée Gauthier
dans la Révolution surréaliste
Situation Localisation Notes Variantes Références Bibliographie

Renée Gauthier, la Révolution surréaliste, no 1, section « Rêves », 1er décembre 1924

      Je suis dans un champ avec Jim. Il veut me cueillir un fruit dans la haie bordant le champ, un fruit qui me semble être une noix. Elle n'est pas assez mûre, je n'en veux pas. Pour qu'elle mûrisse il cherche à la recoller à la branche d'où il l'a détachée. Je n'ai pas le temps de lui dire que c'est insensé : il pose le fruit qui tombe de l'autre côté de la haie. Un jeune homme qui passe, et que je crois reconnaître, le voyant désolé lui ramasse une noix, mais Jim lui dit : « Pas celle-ci, non, cette pêche ». Le jeune homme trouve la pêche et la donne à Jim qui me l'offre, puis il part en gesticulant et en affirmant qu'une noix tombée d'un noyer devient une pêche quand elle a touché terre.

      Jim et moi avançons dans le champ de blé. Nous suivons l'allée centrale. J'aperçois au bout des pots de reines-marguerites multicolores. Cela m'intrigue, mais je n'ai pas le temps de m'en occuper : mon compagnon est tellement amoureux que ses caresses me font tout oublier. Je ne songe qu'à chercher un endroit propice pour faire l'amour. Nous nous étendons au creux d'un sillon; mais tout mon plaisir est gâté, car je m'aperçois que la terre humide salit la belle pelisse de lapin blanc qui le recouvre (1). Je me lève donc et m'éloigne à la recherche d'un endroit plus sec. Je découvre au bout du sillon un châssis de pépiniériste peint en noir. Autour, écrits en noir sur la terre jaune et encadrés de chaux, je lis ces mots : « Une bête venimeuse et assoiffée a sucé tout le sang de ma petite nièce âgée de six mois, qui en est morte. À sept heures ce soir des camélias fauves entoureront le corps de ma nièce morte ». Très intriguée, j'appelle Jim. En lisant cela, il hoche tristement la tête. Alors je comprends pourquoi j'ai vu des reines-marguerites (2). Mais tout à coup, je m'aperçois que Jim qui est devant moi a sa braguette ouverte à la façon d'un tabernacle. J'essaie de repousser les deux petites portes, car j'aperçois le jeune homme qui nous avait parlé tout à l'heure de l'autre côté de la haie (il glane tout près de là), mais les gonds sont rouillés et je suis sûre à cette minute qu'il faut, qu'il nous faut absolument trouver un endroit sec entre deux sillons. Tout à coup j'entends des cris, des appels. Je regarde dans cette direction, et tout au bout du champ, par un passage que j'ai connu dans ma jeunesse, je vois se faufiler le jeune homme que j'ai déjà vu tout à l'heure. Il a volé quelque chose. Des femmes dans un champ voisin crient : « Au voleur ! » et, courant de toute la vitesse de ses jambes un garçon de café le poursuit. Jim et moi nous dirigeons de ce côté pour voir ce qui va arriver. Rendus au passage, nous sommes repoussés, jetés à terre, balayés littéralement par une chasse-galerie (*). En même temps je vois le jeune homme franchir à nouveau le passage. Il est poursuivi par un chien énorme. Je le suis des yeux une minute puis je vois l'homme s'envoler et le chien faire un bond formidable et retomber à terre où il reste sans mouvement. Je cherche l'homme dans le ciel. Je vois, et Jim voit en même temps que moi, un grand oiseau, mais je me rends compte aussitôt que c'est le premier d'une bande, laquelle m'apparaît déployée en éventail. Ils sont au moins une centaine. Ils volent lentement comme ces bandes d'oiseaux qu'on aperçoit en mer. Je les dénombre en une seconde. Ils sont 85. Ils passent non loin de nous et abaissent leur vol. Nous voyons alors que ce sont de beaux oiseaux absolument blancs, à l'exception du cou et d'une partie des pattes; ils ont, au bout des pattes, des pieds extrêmement longs et presque cylindriques, des pieds en pain de sucre. Et la symétrie des plumes noires et des plumes blanches me fait croire que ces oiseaux portaient des souliers de daim noirs avec des brides sur le cou-de-pied et des lanières autour de la cheville, comme ceux que portent les femmes. Ces oiseaux me semblaient chaussés et cravatés de noir. Leurs pieds se balancent au-dessous d'eux.

      — On jurerait des sportsmen faisant du ski dans les airs, me dit Jim.

      Je les vois descendre lentement derrière la haie et les grands chênes du pré voisin. Ils s'abattent d'un seul coup. Jim me dit :

      — Viens donc, s'ils se couchent tu pourras peut-être leur voler une paire de souliers.

      Nous courons dans leur direction. Ils sont là picorant l'herbe. Nous nous approchons doucement. Je prends la canne de Jim pour en tuer un qui ne bouge pas, mais à mesure que je m'approche de lui il s'éloigne. Il en est de même pour les autres. Enfin je n'en vois plus qu'un très grand et je m'élance sur lui... Je me vois debout, appuyée sur sa poitrine. Il a maintenant la tête d'un homme, mais ses bras sont des ailes qui se ferment, s'ouvrent et se referment sur moi. Je chante à tue-tête :

      — C'est un oiseau qui bat de l'aile.. (air de : C'est un oiseau qui vient de France)...

      Tout à coup je me sens allongée près de lui, la tête sur sa poitrine. Mon coeur et mes tempes battent très fort. Je viens d'être sa maîtresse. Avec le bout d'un de ses grands pieds il me relève le menton, me forçant à détourner la tête. Je vois alors Jim lutter désespérément avec un des oiseaux. Celui-ci avec ses pieds démesurés, cherche à étrangler le garçon de café, qui avait poursuivi un voleur en criant :

      —Tu as notre uniforme, mais tu n'es pas de notre congrégation.

      Le garçon de café quitte son gilet noir et ses souliers pour ne plus être en noir et blanc. Je me tourne vers mon oiseau-homme qui répète :

      —Je resterai une semaine ici... je resterai une semaine ici... oui, oui, oui...


Notes

(*) Note de l'auteure : Ceci est un mystère de mon enfance. Ma mère qui m'a souvent effrayée en me racontant qu'elle avait entendu le bruit de la chasse-galerie n'a jamais pu m'expliquer en quoi elle consistait. Ce sont d'après elle, ses bruits énormes, assourdissants d'hommes et de bêtes monstrueuses qui passent dans les airs à une certaine date de l'année. Quand on les entend on doit s'étendre à plat-ventre sur le sol et se boucher les oreilles.

(1) Le texte se comprend mal : s'agit-il d'une pelisse de lapin qui recouvre le sol comme un tapis ou d'un vêtement de la rêveuse qu'elle aurait jeté sur le sol ?

(2) Les reines-marguerites en pots sont associées aux offrandes laissées devant les stèles funéraires.


Variantes

Corrections et leçons non retenues

Nous corrigeons les nombreuses coquilles du texte et refaisons souvent sa ponctuation. Une fois aussi la division en alinéas.

5b : 1  Le texte témoin propose murisse et non mûrisse.
5b : 24  Le texte témoin donne chassis et non châssis.
6b : 26  Le texte témoin ne va pas à la ligne après la réplique (« ...congrétation. / Le garçon de café... »).


Références

La Révolution surréaliste, no 1, Paris, Éditions Jean-Michel Place, réimpression, 1975, p. 5-6.

Édition originale

La Révolution surréaliste, no 1, Paris, Gallimard, 1er décembre 1924, p. 5-6.


Bibliographie

Sarane Alexandrian, le Surréalisme et le rêve, Paris, Gallimard, 1974, p. 151-152.



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