TdM RRR / Le Recueil des Récits de Rêve - Édition de Guy Laflèche TGdM

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Introduction Auteurs OEuvres Chronologie


Dernier des six rêves de Morise
dans la Révolution surréaliste
Situation Localisation Notes Variantes Références Bibliographie

Max Morise, la Révolution surréaliste, no 11, section « Rêves », 15 mars 1928

        2 janvier 1928, midi et demie. — M'étant éveillé dans la matinée, je vaquai à quelques occupations, puis, tranquillement, je me recouchai; je pris un cachet d'éphédrine (a), et, vers midi moins le quart je pense, je me rendormis.

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      Sur le point de quitter la maison de la rue du Château, ou plus exactement un endroit qui représentait cette maison mais n'avait aucune ressemblance physique avec elle, ayant plutôt l'apparence d'une boutique de bistrot, je me fis l'effet d'être saoul. J'avais pourtant mangé modérément et peu bu. Jacques et Simone Prévert se disposaient à me raccompagner ainsi que quelques autres visiteurs, et j'essayais de faire bonne contenance. Simone attendait déjà dans la rue; elle devait avoir mal à un pied car elle portait au pied droit un snowboot et au pied gauche soit une pantoufle, soit un soulier à talon Louis XV, mais ce qui rendait surtout son allure étrange, c'est que ces deux chaussures étaient au moins dix fois plus grandes que nature et lui mangeaient la jambe jusqu'au genou.

      Ayant soif, je m'emparai de deux canettes de bière; l'une était à peu près vide; dans l'autre presque pleine, était tombée une impureté quelconque. J'essayai d'un transvasement. Mais le peu d'assurance de mes gestes rendait l'opération impossible. Je voulus m'aider d'un demi vide qui traînait sur le zinc. Je ne saurais dire combien de temps durèrent les efforts vraiment désespérés que je fis pour verser le liquide d'un des récipients dans un autre au moyen de multiples et prodigieusement ingénieuses combinaisons. Par deux fois j'arrivai à remplir le demi, mais au dernier moment, soit que mon pied glissât dans la bière qui inondait tout le sol de la pièce, soit que je fusse saoul au point de ne pouvoir me maintenir en équilibre, tout chavirait et c'était à recommencer. Ma situation devenant positivement intolérable non seulement à cause de l'impossibilité désespérante et malgré tout incompréhensible où je me trouvais d'arriver à mes fins mais encore à cause de la crainte que j'avais que mes amis remarquassent mon état et m'en fissent l'observation, j'eus l'idée que peut-être je rêvais. Je fis un violent effort, je contractai mes muscles, j'essayai d'arrêter la fuite des images et de fixer mon attention, enfin les objets qui meublent ma chambre commencèrent à m'apparaître dans un brouillard et je parvins à m'éveiller.

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      J'étais tout en sueur et dans un grand état d'agitation. Rejetant mes couvertures, je remarquai tout haut : « Aussi, il fait une chaleur épouvantable dans cette chambre, c'est complètement imbécile ». Je fus surpris de sentir entre mes dents une pipe, car je ne me rappelais pas avoir fumé en m'endormant tout à l'heure.

      D'ailleurs, je ne croyais pas avoir fumé depuis trois ou quatre jours et en examinant cette pipe je ne la reconnus pas pour m'appartenir. Perplexe, j'abandonnai pour l'instant l'éclaircissement de ce mystère. Je regardai l'heure à la montre qui est suspendue à mon chevet : trois heures moins le quart. « J'ai bien dormi », pensai-je. J'étais content d'être débarrassé de mon cauchemar. Mais, incommodé par la chaleur, j'étirai lentement mes membres engourdis et je me décidai avec peine à me lever en pyjama pour entrebâiller la fenêtre. J'eus la surprise de la trouver grande ouverte. Du coup, je n'y compris plus rien. Toutefois, comme il faisait froid dehors, je fermai cette fenêtre. Et je commençai à être pris d'une peur abominable en constatant que ma chambre n'avait plus, comme avant, une seule fenêtre, mais bien deux, que, d'ailleurs, ce n'était pas ma chambre et que les meubles portaient des objets que j'avais le sentiment d'avoir déjà vu ailleurs, notamment dans la chambre de mes parents quand j'étais enfant. Puis je fus saisi d'une incapacité totale de me mouvoir d'une façon coordonnée, je titubai, ma tête tourna, comme tout à l'heure chez le bistrot. Je m'écriai que ce n'était vraiment pas la peine de m'être arraché de là pour être de nouveau en proie maintenant à de pareilles vacheries. J'avisai sur une table quelque chose comme un nécessaire de toilette, ayant appartenu à ma mère et dont ce n'était certes pas la place. Je me précipitai pour le briser de rage. Mais je m'arrêtai avec désespoir en sentant bien qu'aucun geste ne m'était plus permis, que je ne savais pas dans quel univers je vivais, que, peut-être si je jetais cet objet par terre, il n'allait pas se casser et que tout ce que je pourrais faire tournerait à ma confusion et à mon tourment. Incapable de me tenir debout, je me laissai tomber à terre, les membres tordus, grimaçant et pleurant. Il me resta le courage du désespoir pour tenter le même effort par lequel j'étais sorti un peu plus tôt d'une situation également mauvaise. Cela me réussit encore.

      La tache noire sur fond rouge et or du papier de ma chambre commencèrent bientôt à m'apparaître dans un brouillard et je restai un long moment à les contempler avec soulagement. Puis je me secouai un peu pour ne pas les laisser échapper.

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      Je reposais paisiblement sur le côté droit comme je m'étais endormi, avec une agréable langueur dans les jambes, telle qu'en provoque souvent chez moi l'ephedrine. La température de la chambre était douce. Ma montre à mon chevet ne marquait pas tout à fait midi et demie.


Variantes

(a) « Alcaloïde extrait des rameaux d'arbustes du genre Ephedra, employé pour décongestionner les narines, dilater les pupilles ou les bronches (asthme) », PR.

Corrections et leçons non retenues

16a : 42  ephedrin et non éphédrine.
16a : 50  saoûl pour saoul.
16b : 57  fûsse pour fusse, et saoûl pour saoul.
17a : 21  coquille : par et non pas.
17a : 34  ... à me lever. en pyjama (un point en trop).
17b : 20  coquille : avant pour ayant.
17b : 45  ephedrin pour éphédrine.


Références

La Révolution surréaliste, no 11, Paris, Éditions Jean-Michel Place, réimpression, 1975, p. 16-17.

Édition originale

La Révolution surréaliste, no 11, Paris, Gallimard, 15 mars 1928, p. 16-17.



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