Texte imprimé et texte
électronique
J'ai déjà publié
ce premier chapitre : « Les livres uniques,
l'imprimé du futur », Texte
(« Revue de critique et de théorie
littéraire », Université de Toronto), nos
31-32, 2002, p. 261-278.
En voici quelques idées pour
reformuler brièvement mon exposé dans le cadre de cet
essai. Quel est l'avenir du livre en face du développement
de l'informatique et de l'électronique ? Plus
prometteur que jamais. Je commence par faire l'éloge du
texte électronique que l'on appelle parfois pompeusement
l'« hypertexte », ce qui est un mythe. Le
texte électronique est tout bonnement un document html
(Hyper Text Markup Language). Il s'agit de tous les
fichiers, de tous les documents accessibles sur la toile et dans
l'univers du multimédia, rien de plus. L'avenir du livre
n'est pas là. La belle succession « manuscrit,
imprimé, électronique » n'est pas plus
juste que la série « vélo, moto,
auto ». En revanche, c'est la fabrication du livre
à venir qui est sur le point de changer du tout au tout.
Toujours sur papier et sous la forme qu'on lui connaît, on ne
le trouvera plus en librairie, tout simplement. Chaque foyer
disposera bientôt d'une imprimante de livres de poche et on
aura dans son quartier un atelier où se trouveront de
superbes imprimantes de livres. Dorénavant, vos livres
seront uniques, absolument uniques. Vous choisirez le papier,
l'encre et les dimensions du livre; vous déterminerez la
mise en page qui vous convient, vous choisirez le caractère
d'imprimerie et, mieux encore, c'est vous qui
« composerez » le livre en choisissant parmi
les options offertes par les éditeurs électroniques,
soit les types d'annotations, les illustrations, les index, etc.
Bref, l'imprimé du futur, ce seront les livres uniques.
Dans cette perspective, on voit bien
que l'imprimé, le texte destiné à la lecture,
n'est nullement menacé par le texte électronique,
bien au contraire. Les deux médiums ont des fonctions
largement complémentaires et jamais le second ne pourra
remplacer le premier, puisque l'informatique et
l'électronique sont déjà dédiées
à la production de l'imprimé et qu'en outre elles
permettent justement de ne plus imprimer ce qui n'est pas
spécifiquement destiné à la lecture. Et de ce
point de vue, les fonctions des deux systèmes d'informations
sont incomparables : le texte électronique sert
à la consultation, le texte imprimé, à la
lecture. Au Moyen Âge des communications écrites, il
arrive souvent qu'on « consulte » un texte
imprimé pour y chercher longuement une information; comme
il nous arrive encore parfois de « lire » un
texte électronique qu'on ne parvient pas à imprimer.
Mais ce sont là d'évidentes aberrations.
Or, c'est dans ce contexte qu'il faut
situer les sites personnels consacrés aux auteurs
littéraires sur la toile. Disons-le, les éditeurs
qui, aujourd'hui, se sentent menacés par la reproduction des
oeuvres ou d'extraits des oeuvres sous copyright sont doublement
dépassés. D'abord, ils n'ont pas compris que leur
avenir se trouve dans l'édition électronique
destinée à l'imprimante de livres; ensuite, ils ne
voient pas que le texte électronique est le meilleur moyen
de promouvoir la vente de leurs livres.
Prenons un romancier au hasard,
Louis-Ferdinand Céline, et mettons-nous à la place de
son éditeur. Comme il n'existe actuellement sur le
marché aucune imprimante pouvant produire ses romans sous
forme de livres (l'imprimante de livres), il n'y a encore aucun
risque de compétition de ce point de vue. Au cours des cinq
prochaines années (car ensuite les oeuvres de Céline
seront du domaine public), je suis le seul et unique à
pouvoir les vendre sous forme de livres. Aussi, en bon
commerçant, mais également à titre
d'éditeur responsable devant le privilège de pouvoir
seul publier ce romancier que j'ai choisi de promouvoir, je suis
très heureux de tous les sites personnels qu'on voudrait
bien consacrer à son oeuvre sur la toile. Comme il s'agit
d'un grand auteur controversé, il est probable que les sites
proliféreront si je les favorise et je mettrais même
en place si possible un des sites les plus riches et des plus
complets, des mieux informés, sur mon romancier.
Allons plus loin. Comme je suis un
éditeur de livres et que je n'ai nullement l'intention
— on le voit bien — de me lancer dans le commerce du
texte électronique, alors j'ai tout intérêt
à ce que de très larges extraits des oeuvres de
Céline se trouvent facilement sur la toile, voire son oeuvre
complète.
Voilà en effet qui servirait mes intérêts.
Faire connaître mon auteur et ses oeuvres, c'est tout ce
qu'il faut pour trouver de nouveaux lecteurs, des lecteurs qui
achèteront forcément mes livres. En plus, le texte
électronique est le meilleur instrument pour favoriser
l'étude d'une oeuvre et de mille manières; si les
spécialistes comme les amateurs peuvent facilement consulter
tous les romans de Louis-Ferdinand Céline sous forme de
texte électronique sur la toile pour l'étudier, alors
il est certain que cela favoriserait encore plus la lecture et la
relecture de son oeuvre — et bien entendu la vente de mes
livres ! Je ne suis pas éditeur pour rien.
Malheureusement, l'éditeur de
Louis-Ferdinand Céline, ce n'est pas moi, mais Antoine
Gallimard, et la preuve en est, si je puis dire, qu'il a
tenté de faire fermer le meilleur site consacré
à l'oeuvre de Louis-Ferdinand Céline. Gallimard
n'est pas le seul des éditeurs qui ne savent pas où
se trouve leur intérêt et qui, de ce point de vue, ne
connaissent pas l'avenir de leur métier, l'avenir du
livre.
À la vérité,
plusieurs éditeurs voient une menace dans le texte
électronique, s'ils ne sont pas de mauvaise foi (car on
verra que les attaques du site Céline d'Infonie
étaient vraisemblablement concertées), puisqu'ils
utilisent ce prétexte pour sévir sur la toile comme
de vulgaires cowboys.
Supplément
de Guy Jules Verne Laflèche
(20 mai 2009)
L'imprimante de livres Expresso de
Jason Epstein et Dane Neller
Croyez-le ou non, je suis un génie.
Moi-même, j'en ai souvent douté. Mais je dois me
rendre à l'évidence. Bien entendu, l'Expresso n'est
pas encore tout à fait l'imprimante de livres que j'avais
décrite, ni celle qui sera bientôt dans nos foyers, et
encore moins celle qu'on trouvera sous peu dans les ateliers des
éditeurs de nos quartiers. Mais c'est tout de même
une avancée technologique fort proche de ce que j'avais
prévu et qui ne manquera pas de se réaliser avant
longtemps dans le détail.
J'ai rédigé mon article sur
l'avenir du livre — qui est dans l'imprimante de
livres — en septembre 2002, après l'avoir
préparé au cours de l'été. Il est paru
dans les nos 31-32 du volume double de l'année 2002 de
Texte, imprimé en 2003.
L'Epresso n'existait évidemment pas
encore, mais l'imprimante de livres que je décrivais prenait
forme au même moment, un peu après, seulement quatre
ans plus tard. En effet, c'est en 2003 que Jason Epstein et Dave
Neller ont fondé l'ODB, On Demand Books (voir
ondemandbooks.com d'où sont tirées les informations
qui suivent). Les conférences d'Epstein à la NYPL,
qui impliquait le projet, sont de 1999.
Mais la suite est simplement le tout
début de la réalisation de ce que j'avais
exposé comme l'avenir inéluctable du livre, soit la
réalisation des imprimantes de livres. La première
version de ma machine s'est trouvée au Word Bank InfoShop de
Washington en avril 2006, puis à Alexandrie, en
Égypte bien entendu, en septembre 2006. L'Expresso Book
Machine en est alors à sa version 2.0 et ce prototype
coûtait 200.000 $. À partir de 2007, le
début de la réalisation de ma prédiction fait
fureur, on en lit des dizaines de reportages dans les journaux et
le Times Magazine déclare qu'il s'agit de la
meilleure invention de l'année (29 mars 2007). Aujourd'hui,
quelques centaines d'Expressos se trouvent dans les grandes
bibliothèques, dont celle de l'Université McGill
à Montréal (voir l'article d'Isabelle Paré
dans le Devoir du 29 mars 2009, p. F2). L'imprimante
de livres peut produire l'un des deux millions et demi d'ouvrages
du domaine public accessibles sur l'internet, dont l'essentiel
vient de Recherche de livres de Google, en trois minutes. Seule
restriction : le livre imprimé, encollé et
relié ne peut pas dépasser 550 pages. En revanche,
on s'attend à ce que le coût actuel de 50.000 pour
l'achat de l'imprimante passe très bientôt à
20.000 $, ce qui signifie qu'on la trouvera avant une
décennie dans tous nos foyers.
Cela dit, Jason Epstein aurait
intérêt à lire de près mon article pour
ne pas être doublé par la concurrence. S'il a presque
en main mon imprimante personnelle de livres de poche, il est
encore bien loin de pouvoir produire les imprimantes de quartiers,
avec leurs formidables jeux de compositions électroniques,
parce que cela impliquera des milliers d'éditeurs
informaticiens à travers le monde.
D'ailleurs je compte investir toute ma
fortune dans le premier consortium qui développera la
chaîne d'ateliers de reliures d'art qu'on trouvera
jumelés aux imprimeurs de livres de nos quartiers.
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