MM 1.3 (janvier 2002)
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Le débat sur le Manuscrit moderne

La belle potiche,
Un produit biblographique,
Le vase d'élection,
Un bibelot d'inanité v-i-s-u-e-l-l-e :
La cruche des études littéraires :
300 pages de tableaux, 120 modèles !

          Ô
         Oh!
     @@@@@@@@@@@
       c-i-e-l
       m a i s
       q  u  i
       d o n c
       a d i t
       « après
       *toutes
       fleurs*
       il y a!
       le pot »
       ? --  Ici
      il n'y aura
     pas de fleurs
    mais que le pot
   une belle potiche
   un bibebot d'inanité
  visuelle proposé comme
 « norme commune » pour des
 u-n-i-v-e-r-s-i-t-a-i-r-e-s
&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&

  Depuis l'automne 2001, le Département des études françaises de l'Université de Montréal recommande à ses étudiants un bibelot de secrétariat comme supposé « norme commune » pour la présentation matérielle de leurs travaux.

Attention. Ce fichier s'adresse à des intellectuels conscients d'affronter la critique et, plus encore, la critique d'universitaires, c'est-à-dire d'enseignants dont la principale fonction est d'exposer leurs connaissances et de défendre leurs idées publiquement, car il n'y a pas d'enseignement confidentiel dans les universités, par définition.

Dans le cas qui nous occupe, on aimerait savoir ce qui peut justifier cette recommandation (injustifiable, comme on va le voir). En tout cas, on ne devrait pas pouvoir douter que les professeurs ne puissent justifier et défendre une telle mesure. Il faut dire toutefois que seulement SIX personnes (trois professeurs et trois étudiants) ont imposé cette résolution dans une assemblée où QUATRE professeurs ont voté contre la proposition. Ne parlons pas de ceux qui se sont abstenus (SIX !). Le bon sens le plus élémentaire dit qu'on ne saurait recommander un ouvrage dans ces conditions, évidemment.

Pour ma part, de retour de congé sabbatique, je suis là pour défendre mes idées et mon livre. Mais également pour éventer le pot aux roses. Oublions les étudiants qui passent ! Quelles étaient les motivations ou les intentions des trois professeurs qui ont imposé cette urne de 300 pages de tableaux et de 120 modèles aux foules étudiantes ? Il suffit d'avoir en main quelques minutes le bibelot de secrétariat pour que la question s'impose.

Bref, attention, le compte rendu que vous allez lire est un massacre.

Historique de la « recommandation » du Département des études françaises

2 mars 2001. L'Assemblée du département des études françaises refuse de se prononcer sur la proposition de Pierre Popovic qui demande que le Guide de la communication écrite de Marie Malo soit désigné comme ouvrage de référence. Plusieurs ne connaissent pas l'ouvrage et désirent d'abord le consulter.

20 avril 2001. La proposition de Robert Melançon appuyée par Éric Méchoulan est la suivante : « Afin d'assurer une norme commune pour ce qui concerne notamment la présentation matérielle des travaux, il est proposé que l'Assemblée recommande le Guide de la communication écrite de Marie Malo (Éditions Québec/Amérique) aux étudiants du premier cycle ». La proposition est adoptée par 6 voix pour, 4 contre et 6 abstentions.

27 mai 2001. Benoît Melançon, l'adjoint administratif qui a toujours fait la promotion de l'ouvrage dans ses propres fichiers télématiques sur Internet depuis sa parution, répercute la résolution de l'Assemblée sur le site du département des études françaises de l'Université de Montréal, dans sa Foire aux questions. Plus que cela, il en fait la publicité commerciale, avec le lien qui renvoie au catalogue de l'éditeur proposant sa « pub » de l'ouvrage, comme cela est attendu de toute « quatrième » de couverture... Vraiment désolant sur un site de l'UdeM !

Tout cela est de l'ordre des faits et des données objectives. Je peux évidemment les expliquer et les interpréter, ce que je ferai à la première occasion. Mais ici, je m'en tiens pour l'instant aux faits, sans aucune visée polémique, sans rien dire d'ailleurs de mes nombreuses interventions sur la question. Ce serait l'occasion d'un débat auquel je compte bien participer.

Or, le premier de ces faits est tout de même le bibelot de secrétariat dont je fais simplement le compte rendu critique. Et question de fait, toujours, j'ai proposé dès sa parution ici (le 15 août 2001) d'y corriger dès qu'on me les signalerait les moindres erreurs ou toute interprétation inexacte. Mais comme je suis justement spécialiste de la présentation matérielle des textes, il n'est pas trop surprenant qu'on ne m'en ait encore signalé aucune. Spécialiste de l'édition critique, professant depuis trente ans un guide de la présentation matérielle des travaux universitaires paru sous le titre du Manuscrit moderne, spécialiste des diverses sciences de la textualité et même redoutable éditeur (ce sont les Éditions du Singulier), je sais tout de même un peu de quoi je parle.

Aussi, avant de recommander un autre guide que le mien, s'il fallait en recommander un, on aurait mieux fait de profiter alors de mes compétences, avis et mises en garde. Ainsi le bibelot de secrétariat ne se trouverait pas stigmatisé comme il le mérite pourtant, alors que je n'en avais jamais dit un seul mot dans mon enseignement, depuis sa parution, grâce au tact qu'on doit me connaître à ce sujet, n'ayant même jamais fait la promotion de mon Manuscrit moderne auprès de mes collègues.

Après le bibelot,
la brochure estampillée « Descartes » !
Ce n'est évidemment pas n'importe quoi.
Une brochure de la montagne
pour les étudiants de la montagne.
C'est, comme chacun sait,
       le Mont-Royal.
Disons-le, dans aucune autre université
de la ville de Montréal,
il n'est possible de péter plus haut.

En tout cas, pour bien réfléchir
nous mettons de belles espaces
entre nos mots et citons Descartes :

  Le bon sens est la chose du monde la mieux partagée : car chacun pense en être si bien pourvu, que ceux même qui sont les plus difficiles à contenter en toute chose, n'ont point coutume d'en désirer plus qu'il en ont. Em quoi ils n'est pas vraisemblable que tous se trompent; mais plutôt cela témoigne que la puissance de bien juger, et distinguer le vrai d'avec le faux, qui est proprement ce qu'on nomme le bon sens ou la raison, est naturellement égale en tous les hommes; et ainsi que la diversité de nos opinions ne vient pas de ce que les uins sont plus raisonnables que les autres, mais seulement de ce que nous conduisons nos pensées par diverses voies, et ne considérons pas les mêmes choses. Car ce n'est pas assez d'avoir l'esprit bon, mais le principal est de l'appliquer bien.

René Descartes, ouverture du Discours de la méthode

 

Le débat

Avec cette nouvelle mise à jour des fichiers du Manuscrit moderne, avec l'addition d'un second compte rendu critique, je pense qu'il est temps d'ouvrir franchement, ouvertement et clairement le débat.

Le Manuscrit moderne est la rédaction et la publication d'une séance du cours de « méthodologie » ou, plus simplement dit, d'introduction aux études littéraires de première année que j'ai donné pour la dernière fois durant trois ans, jusqu'en 1998. À partir de ce moment, ce sont d'autres professeurs qui ont pris la relève, comme c'est normal, s'agissant d'un cours obligatoire (qu'on ne donne pas normalement plus de trois ou quatre ans de suite).

Au lieu de retenir mon Manuscrit moderne comme « guide raisonné » de présentation des travaux écrits, le dernier de ces professeurs a choisi celui de Québec/Amérique. C'est son choix. Je ne l'aurais jamais critiqué s'il n'avait également réussi à l'imposer comme « norme commune » à tout notre département (alors que j'étais en congé sabbatique, on le sait). Il y a tout de même des limites qu'on ne saurait dépasser ! Moi qui jamais n'avais rien dit ni écrit nulle part du bibelot de secrétariat de Québec/Amérique, j'ai évidemment pensé qu'il était temps de réagir. D'où le compte rendu publié ici.

Entre-temps, toujours durant mon congé sabbatique, mon département avait lancé la mise en place d'un guide de l'étudiant, dont un bon tiers allait être consacré à un protocole de présentation des travaux qui s'opposait tout autant au mien et de manière toujours aussi incompétente. D'où le second compte rendu critique qu'on trouve ici.

Alors ?

La question qui se pose est de savoir comment les professeurs du Département des études françaises de l'Université de Montréal, qui font au total une bonne trentaine d'universitaires, peuvent imposer ou laisser imposer au nom de notre département et pour nos étudiants des ouvrages qui, manifestement, ne sont pas du niveau de notre enseignement universitaire, sur une question aussi simple et aussi stricte que la présentation matérielle des travaux écrits. Car il s'agit de recommander des manuels ou d'imposer ou d'offrir des guides, ce qui est une situation toute différence de la mienne, puisque je suis le seul professeur du Département des études françaises à avoir publié un tel guide et je n'ai jamais pensé le faire recommander par personne ni l'imposer à d'autres qu'à mes propres étudiants. En revanche, si mon département devait en recommander un (et pourquoi donc ?), alors le bon sens le plus élémentaire dit que ce devrait être le mien ! Il est donc proprement hallucinant qu'on recommande un bibelot de secrétariat et qu'on fasse rédiger un guide qui, tous deux, sont du niveau des collèges, totalement inadéquats à l'université. Alors, pourquoi ?

Évidemment, il y a plusieurs réponses à cette question et j'en connais quelques-unes qui n'ont rien à voir avec la recherche scientifique (conflits d'intérêts, amitiés et inimitiés, etc.) et qui ne valent pas la peine d'être prises en considération. Cela dit, on peut avoir comme moi un malin plaisir à laisser en plan les conflits d'intérêts et amitiés particulières. Ne suffit-il pas de poser simplement la question de la compétence ? Car la compétence implique malheureusement son corrolaire, l'incompétence. Ce n'est pas moi qui le dis, c'est la logique. Bien sûr, on ne peut pas avoir toutes les compétences et celles-ci ne sont pas souvent collectives. C'est ainsi que je crois pouvoir expliquer au moins l'existence sinon même la cause du problème : disons qu'il s'agit d'une incompétence non assumée.

La compétence, dans le choix d'un manuel ou la direction de la rédaction d'un guide pratique, commence évidemment avec la performance. Je vois cent fois par année les professeurs de mon université, ceux même de mon département, produire et déposer des documents administratifs et pédagogiques qui ignorent les règles du Manuscrit moderne. On peut vous distribuer pour étude trois feuillets (évidemment non paginées), dans le beau caractère « Macintosh » (ainsi que je l'appelle par dérision) en 14 points, avec des marges qui font le quart de la page, évidemment sans date ni signature. Ces universitaires ne connaissent pas le principe élémentaire de l'en-tête et ignorent tout des règles les plus élémentaires de la mise en page du manuscrit.

Il n'y a pas longtemps, ces documents étaient encore calligraphiés, tandis que les mêmes professeurs, qui d'ailleurs ne savaient tout simplement pas taper à la machine à écrire, acceptaient naturellement que des étudiants rendent leur dissertations écrites à la plume, de leur plus belle écriture... Ces professeurs, qui souvent ne possédaient pas de machine à écrire et avaient besoin d'une secrétaire pour dactylographier la moindre lettre, étaient très majoritairement d'origine européenne, très généralement des pays de langue romanes. Des Français, en particulier.

Or, cela ne se change pas du jour au lendemain et, pour bien dire, n'a pas changé. Lorsque Françoise Siguret, Jeanne Goldin et Antoine Soare (que je peux identifier, s'agissant de mes amis), elles d'origine française, lui d'origine roumaine, m'expliquaient que j'exagérais vraiment avec mes exigences de « présentation matérielle » (tout le monde n'ayant pas une machine à écrire ou un ordinateur), je leur donnais évidemment raison. Alors qu'ils acceptaient tous les trois qu'un étudiant leur rende un travail calligraphié, m'expliquant que l'essentiel c'est la qualité de la dissertation, que voulez-vous répondre ? Ils ont évidemment raison. Ils ont raison sur le fond, ils ont raison sur l'essentiel et ils ont donc parfaitement raison.

Pour être franc, c'est pour Françoise Siguret, Jeanne Goldin et Antoine Soare que j'ai développé, année après année, mon exposé sur la présentation matérielle des manuscrits, que je l'ai rédigé dans le cours d'introduction de première année et qu'il est d'usage obligatoire dans tous mes cours. Hégélien, je sais bien que les idées ne naissent pas au hasard et qu'au contraire on pense avec ou contre les idées adverses. Voilà comment est né l'essai que l'on trouve en tête du Manuscrit moderne dans sa version imprimée chez Guérin Universitaire à Montréal (soit l'introduction, p. 7-22, et le développement de la présentation, p. 22-31 -- le tiers de l'ouvrage), comment est né son titre, de même que le projet d'une histoire des guides, protocoles et exposés oraux sur la présentation matérielle des manuscrits en regard de la généralisation de la machine à écrire et de ses méthodes de dactylographie depuis le début du siècle. Tout cela me vient de la mentalité contestataire de mes amis Siguret, Goldin et Soare subordonnant la matérialité (la présentation des travaux) au profit des idées (le contenu des travaux), puisqu'à leur avis (tout à fait légitime, je dois le dire) on ne peut pas tout faire et enseigner en même temps -- comme si (devais-je répliquer) l'on n'avait pas montré depuis un siècle maintenant que le contenu correspond rigoureusement à son expression, puisqu'il s'agit du signifié du signifiant produisant ensemble la signification (Saussure), le signe, le texte, le travail (écrit).

Cette mentalité n'en est pas une d'académie ou de pédagogie. C'est celle qui oppose la France au Royaume-Uni, les pays de langues romanes aux pays nordiques (la Grande Bretagne, donc, mais également l'Allemagne et la Hollande), ce qui s'est répercuté dans tout le monde anglo-saxon, et, en Amérique, au Québec notamment, sous l'influence des historiens de Boston et de New York. C'est, par exemple, l'importance de l'étude bibliographique -- et la New Bibliography des Universités d'Oxford, de Cambridge et de Londres en sera pour toujours le symbole le plus percutant. Si Shakespeare a donné lieu aux études bibliographiques les plus méticuleuses, jamais les textes classiques français de Molière, Corneille et Racine n'ont bénéficié d'une telle avancée scientifique. La raison en est fort simple : les Français (en particulier) ont tendance à dissocier complètement le « texte » et son « édition », celle-ci relevant à leurs yeux d'une sorte de secrétariat où des manoeuvres (libraires, éditeurs, imprimeurs et compositeurs, pressiers, papetiers, etc.) s'occupent des basses oeuvres matérielles. Et je n'exagère pas du tout : bibliographies, établissements des textes, éditions critiques et études bibliographiques (que les Français nomment comiquement « la bibliographie matérielle »), histoire du livre, étude de sa fabrication, etc., toutes ces sciences accusent un retard considérable dans tous les pays de langues romanes en comparaison des pays anglo-saxons et d'influence allemande. C'est pour moi l'opposition de l'angélisme et du matérialisme. Bien entendu, on trouve des avantages et des inconvénients dans les deux attitudes, mais il me semble qu'un équilibre s'impose lorsque l'on constate que les meilleures éditions critiques commencent généralement par une étude bibliographique et que les meilleures dissertations sont généralement d'une présentation matérielle rigoureuse -- et que l'inverse est tout à fait exceptionnel, pour ne pas dire miraculeux.

Certes, on ne peut déduire de mon hypothèse aucune corrélation mathématique. Ce n'est pas parce qu'un professeur est de formation européenne et vient d'un pays de langue romane, que par définition il est totalement insensible aux questions relatives à la présentation matérielle des textes. Mais on peut en tout cas constater que c'est bien l'un d'entre eux qui a imposé à ses étudiants et à tout un département un triste bibelot de secrétariat, dont on trouve ici le compte rendu critique. On peut aussi constater que c'est un département des lettres françaises, celui de l'Université de Montréal, qui laisse un petit groupe de personnes se « déchirer » sur une question en apparence aussi anodine que la présentation matérielle des manuscrits.

Une question « anodine » ? Évidemment. Tout le sens du Manuscrit moderne est là : l'édition ou la présentation matérielle d'un travail n'est qu'une des trois étapes de la rédaction, constituant elle-même la troisième et dernière partie d'un travail recherche, après les dépouillements et l'analyse, puis la mise en forme des résultats. Si l'encyclopédie de Québec/Amérique ou le guide pratique de l'étudiant avaient quelque chance de remplir correctement leur fonction, alors tout serait pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles. Mais c'est précisément parce que ces ouvrages fabriqués ou recommandés officiellement sous l'égide du Département des études françaises de l'Université de Montréal sont inadéquats en regard de mon guide raisonnée qu'on a réussi à créer un problème.

Un problème qui s'explique très simplement par une incompétence non assumée.

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