El bozo
TdM Un autre chapitre du feuilleton universitaire TGdM

Le Dante de Ducasse
 

Ducasse, lecteur de Dante

Le dernier vers du deuxième chant
de l'Enfer (I, 2: 142)
à l'incipit des Chants de Maldoror

Table

I — Le chemin abrupt et sauvage

  1. Découverte d'une citation littérale d'un vers de l'Enfer
  2. Exposé de la découverte
  3. Sur le chemin de l'enfer
  4. « Intrai per lo cammino alto e silvestro »
  5. Chronologie des traductions françaises du vers I, 2: 142
  6. Le Dante de Mesnard de Ducasse

II — Les excréments humains

Notes et références

13 mars 2001, rééd., 10 juillet 2009, corrigée en sept. 2016
Bibliographie rééd. en mars 2010, revue et complétée par Paul Bitner en septembre 2016.


 

I
Le chemin abrupt et sauvage

1. Découverte d'une citation littérale d'un vers de l'Enfer

    Les Chants de Maldoror (chant 1, P 1868, p. 3, rééd., B 1869, p. 30) s'ouvrent sur une citation littérale de l'Enfer, le premier cantique de la Divine Comédie de Dante. La citation tient en quatre mots, le « chemin abrupt et sauvage », mais elle est incontestable.

Voici cette ouverture :

    « Plût au ciel que le lecteur, enhardi et devenu momentanément féroce comme ce qu'il lit, trouve, sans se désorienter, son chemin abrupt et sauvage à travers les marécages désolés de ces pages sombres et pleines de poison... ».

Le texte de cette ouverture, réédité en volume l'année suivante, n'a qu'une seule variante, l'addition d'une virgule après « sauvage » (P 1869, p. 5: 5), cf. note (2) de cette strophe 1.1.

    Cette citation littérale correspond à une traduction également littérale (je reviendrai longuement sur cette question) du dernier vers du deuxième chant de l'Enfer. En voici le texte italien :

    intrai per lo cammino alto e silvestro (I, 2: 142).

    Or, il se trouve qu'il n'existe qu'une seule traduction française qui donne la version de Ducasse. Il s'agit de la traduction en prose de Jacques-André Mesnard, dans son édition bilingue de la Divine comédie, en trois volumes, dont le premier, l'Enfer, a paru en 1854. C'est donc la source et la source textuelle d'Isidore Ducasse. Avant d'entreprendre l'étude systématique du Dante de Ducasse, tout au long de ce travail d'édition, voici d'abord la présentation de cette découverte et l'étude de ce premier vers cité par Ducasse à l'incipit de son oeuvre.

2. Exposé de la découverte

    J'ai trouvé cette citation au cours de l'été 1999 en me proposant simplement de prendre une vue d'ensemble de l'influence de Dante sur les Chants de Maldoror que j'étudiais depuis quelques années. Comme je lisais la Divine Comédie mot à mot en italien (quel bel été !), il m'est tout simplement apparu que le vers qui termine le second chant se trouve cité littéralement à l'ouverture de l'oeuvre. Cette découverte posait un problème très simple : d'où Isidore Ducasse a-t-il tiré cette traduction, « [j'entrai en un] chemin abrupt et sauvage » ? Dans quelle traduction française antérieure à 1868 trouve-t-on cette version du dernier vers du deuxième chant de l'Enfer ?

    Jusqu'à preuve du contraire, il fallait évidemment en effet écarter trois hypothèses.

    D'abord Isidore Ducasse ne lit pas l'italien et ce n'est pas lui qui traduit ainsi le texte original; ensuite, si Ducasse lit l'espagnol, il est bien peu probable qu'il soit parvenu à une si juste et remarquable traduction en passant par l'intermédiaire d'une seconde langue romane; enfin, ce serait un hasard vraiment extraordinaire qu'il se soit rapproché d'une traduction « littérale » aussi réussie en refaisant l'une ou l'autre des multiples traductions françaises de ce vers.

    Il suit qu'on devait pouvoir identifier la traduction de l'Enfer ou de l'ensemble de la Divine Comédie que possédait ou qu'a utilisée Isidore Ducasse dès l'ouverture de ses Chants de Maldoror. Les spécialistes de l'oeuvre connaissent depuis longtemps les fragments et les passages des Chants qui sont inspirés du poème de Dante. Or, avec la découverte de cette citation littérale, je pouvais maintenant espérer identifier la traduction que connaissait Isidore Ducasse. Un renseignement d'une extrême importance. On imagine aisément les questions qui surgissaient alors : s'agirait-il d'une traduction en vers ou en prose, forme que prennent les Chants ? Si on en trouvait le texte, alors on peut espérer en trouver d'autres citations littérales, s'il y en a. Est-ce que cette traduction comprendrait des illustrations ? Sans compter qu'il serait vraiment passionnant de connaître l'interprétation que Ducasse aura connue de l'Enfer de Dante — car on ne trouve pas la moindre allusion aux deux autres cantiques, le Purgatoire et le Paradis, dans les Chants de Maldoror, ce qui est évidemment la première caractéristique du Dante de Ducasse, celui des romantiques.

    Une fois la citation trouvée, il aurait pu se produire que plusieurs traducteurs donnent la version « ducassienne » du vers qui nous intéresse. Or, tel n'est pas le cas bien au contraire, ce qui explique évidemment qu'aucun spécialiste des Chants de Maldoror n'ait encore trouvé la citation, faute de connaître le texte italien.

    La surprise et l'intérêt du vers en question pour le problème posé ici, en effet, c'est que les traducteurs le rendent de manières extrêmement variées. Sur les quelque quatre-vingt traductions françaises publiées jusqu'à nos jours, il n'y en a presque pas de pareilles ! C'est assez extraordinaire et même très inquiétant pour ceux qui ne peuvent pas lire le texte italien...

    Cela tient au fait que le vers pose une évidente difficulté d'interprétation, de sorte que nos traductions françaises, comme toutes les autres d'ailleurs, reposent non pas simplement sur le texte de vieil italien de Dante, mais bien sur les analyses et les commentaires de ses exégètes. Voyons cela.

3. Sur le chemin de l'enfer

   Intrai per lo cammino alto e silvestro, « je m'enfonçai avec lui dans l'abrupt et sauvage sentier », traduit donc Jacques-André Mesnard.

   Au tout début de l'oeuvre, au premier vers, Dante se situe « sur le milieu du chemin de la vie », perdu, égaré. L'oeuvre entière, pour le remettre sur le droit chemin (grâce à Béatrice qui intercède pour lui au ciel où elle se trouve et qu'il ira rejoindre), l'amène à suivre un étroit sentier qui le conduira successivement en enfer, au purgatoire et finalement au Paradis, d'où il reviendra pour rédiger son poème et témoigner de sa conversion. Au premier chant, Dante est perdu en forêt et tente d'atteindre une haute montagne lumineuse qui se trouve à l'horizon, dont il entreprend bientôt l'ascension. Mais il est successivement repoussé par le guépard, le lion et la louve. Désespéré, il va renoncer, lorsque paraît Virgile, c'est-à-dire (!) l'auteur de l'Énéide, envoyé comme guide par Béatrice.

   Virgile explique à Dante qu'on ne saurait quitter la forêt par le chemin qu'il avait pris (du moins pas avant que le Vautre ne soit venu défaire la louve !) : « Il te faudra tenir une autre voie » (1: 91) — ce qui inspire le vade retro de la première strophe des Chants de Maldoror et le mot à mot de sa dernière proposition, celle du chemin détourné. « Un autre chemin philosophique et plus sûr » : cf. 1.1, n. (7). Ce que fait Dante, suivant Virgile, comme il le dit au dernier vers du premier chant : « Lors il partit et je suivis ses pas » (1: 136).

   Le deuxième chant va nous ramener à ce même vers, à sa reformulation, au vers qui nous occupe ici, après les hésitations de Dante et les explications de Virgile qui le convainc finalement de le suivre. Alors, Virgile reprend sa marche par le sentier détourné et Dante le suit : intrai per lo cammino alto e silvestro, mot à mot, sans égard pour le sens, « j'entrai par le chemin haut et sylvestre ». Au chant suivant, Dante et Virgile sont arrivés devant la porte de l'enfer. Le chemin qu'ils ont suivi est celui qui conduit là, évidemment, mais c'est déjà le sentier qui permet de descendre la spirale des cercles de l'enfer.

4. « Intrai per lo cammino alto e silvestro »

   Dans le mot à mot français du vers italien, « j'entrai par le chemin haut et sylvestre », on comprend tout de suite les ajustements qu'il faut en faire pour rendre correctement l'original en français moderne, à un mot près, alto, « haut ». Cammino : c'est un chemin, un chemin détourné, un sentier. Sylvestre : nous sommes en forêt, d'où le sens premier de l'adjectif, forestier, mais le chemin détourné n'est pas tracé, d'où son sens second bien plus important, « sauvage », et son troisième sens qu'on devine sans peine, « âpre », « difficile », de sorte que Dante a peur de le suivre précisément parce qu'il conduit à l'enfer, « infernal ». Intrai per : lorsqu'on entre dans un tel sentier, il ne fait pas de doute qu'on s'y enfonce, mais le choix de ce verbe par J.-A. Mesnard permet aussi de récupérer une part importante du sens d'alto, qui va nous occuper maintenant (« profond »).

   En effet, c'est là que se trouve la seule mais très importante difficulté de ce vers. Quel sens donner à alto ? La synthèse des interprétations proposées, du Moyen Âge à nos jours, présente trois raisonnements complémentaires : les recoupements internes du mot alto dans la Divine Comédie, le sens étymologique depuis le latin altus et surtout ses emplois littéraires, notamment dans l'Énéide où le mot se trouve justement associé à la caverne où s'ouvrent les enfers. Dans les trois cas, on croyait qu'alto avait dans ce vers le sens premier de « profond », d'où généralement on en tirait le sens second d'« âpre » et « difficile », ce qui redoublait le sens abstrait qu'on accordait à silvestro. Je vais expliquer maintenant comment en reprenant les trois analyses (interne, étymologique et littéraire), j'en viens à une conclusion toute différente, à savoir qu'alto signifie « haut », « élevé » et « escarpé » et que la meilleure traduction qu'on puisse en donner est précisément celle de J.-A. Mesnard reprise par Ducasse, « abrupt ». Isidore Ducasse n'y est pour rien, bien entendu, et je ne sais pas encore si cette réussite est significative de la qualité linguistique et littéraire de la traduction de J.-A. Mesnard, mais je présente les résultats de mon analyse pour qu'on puisse apprécier dans toute sa richesse le vers de Dante que Ducasse cite à l'incipit des Chants qu'il publie donc sous son augure.

Le chemin des commentateurs de Dante

   Dès le début et durant longtemps, les commentateurs (1) s'accordent à traduire alto par « profond », « secondo la grammatica » (d'après la grammaire !), comme le précisait Buti (1385), mais on se rend vite compte qu'il s'agit plutôt d'une analyse littéraire. Voici, par exemple, le commentaire de Benvenuto (1380) : « Unde dicit : « e intrai per lo cammino alto e silvestro », idest viam, quae ducit ad Infernum, quae est profunda et aspera, sicut describit Seneca tragoedia prima et Claudianus in minori, et Statius et Ovidius, uterque in majori » (traduction : c'est-à-dire le chemin qui conduit à l'enfer, qui est profond et âpre, comme le décrit Sénèque dans ses premières tragédies, et un peu Stace et souvent aussi bien Claudien qu'Ovide); l'analyse de Vellutello (1544) est plus explicite encore : « Entrai per lo camin alto, cioè profondo. Onde diciamo alto al profondo mare. Silvestro, oscuro, per quel che dicemmo al principio dell'oscura selva (je traduis : alto... c'est-à-dire profond; ainsi disons-nous « haut » dans « haute mer » [en italien, comme en français]; silvestro, obscure, comme nous le disions au début de la « forêt obscure »). Imitando Virgilio nel sesto : « Spelunca alta fuit, vastoque immanin hiatu Scrupea tuta lacu nigro memorumque tenebris, Unde locum Graij dixerunt nomine Avernus, etc. » (Virg. Aen. 6.237-242) » (on verra en détail ce rapprochement avec l'Énéide plus loin).

   C'est à la fin du XVIIIe siècle seulement, que les commentateurs ajoutent au sens de « profond », qui s'estompe, celui de « dangereux » et de « difficile ». Cela se fait par recoupement interne. Voici le commentaire de Lombardi (1791) : « Alto. Prende quí questo aggettivo al senso medesimo, che nell'ottavo della presente cantica, ove dice alto periglio (v. 99), e nel ventesimo sesto, dove alto passo (v. 132) al senso cioè di « difficile », e « pericoloso »... » (Traduction — Alto : cet adjectif prend ici le sens même qu'il a dans le huitième chant du présent cantique, où il est question du alto periglio [grand danger] (v. 99), comme dans le vingt-sixième chant où alto passo [le pas difficile] (v. 132) a le sens de « difficile » et « dangereux »).

   Aujourd'hui, les commentateurs font la synthèse des deux interprétations, en donnant parfois « profond » comme sens premier (en suggérant l'idée qu'on s'enfonce en forêt pour descendre en enfer), mais « difficile » comme sens second, comme sens abstrait et comme interprétation. Voici sur ce point le commentaire du texte critique de la Société dantesque italienne : « incominciai cammino difficile (arduo) e selvaggio (sylvestro), cioè rintrai nella selva (che è simbolo del peccato, in questa vita, e dell'Inferno, nell'altra)... ». Je traduis : « j'entrepris le chemin difficile (ardu) et sauvage (silvestre), c'est-à-dire que j'entrai dans la forêt (qui est le symbole du péché, dans cette vie, et de l'Enfer, dans l'autre)... ». Comme on le voit, le sens de « profond » passe en réalité au second plan, au profit de « difficile », à la faveur du recoupement avec alto passo [le pas difficile].

   En fait, alto passo se rencontre non seulement au huitième chant (8: 99), mais ici-même, en tête du second chant (2: 12); et on voit bien que les deux occurrences s'accordent avec l'alto periglio (8: 99). Toutefois, il ne s'agit pas à proprement parler du sens de l'adjectif alto, mais de son interprétation en contexte et notamment dans sa rencontre avec silvestro, comme on peut le voir dans cammin silvestro (21: 84) et selvaggia strada (12: 92), ces chemins sauvages horribles, dont il est question depuis le tout début de l'oeuvre, on l'a vu dès la selva oscura (1: 2), esta selva selvaggia e aspra e forte (1: 5). Bref, en région de forêt sauvage, voilà un chemin difficile et dangereux où Dante a peur de s'engager. C'est ce qu'exprime l'adjectif « sauvage » et, si on veut l'y ajouter, son renforcement avec alto.

Le chemin « profond » de Virgile

   Revenons donc à notre point de départ, alto, son étymologie et ses emplois dans l'oeuvre de Virgile. À l'aide d'une concordance (2), j'ai simplement lu et classé une à une les quelque 275 occurrences du nom et de l'adjectif altus par Virgile (3). On constate évidemment que le poète emploie fréquemment le mot et le plus souvent dans le sens premier que lui donnent nos dictionnaires latins, celui qu'il a encore aujourd'hui dans toutes les langues romanes (alto signifie « grand » en espagnol, et le mot en italien correspond à haut en français, tous de altus). En français, on parle encore de la haute mer; en latin, le mot s'employait absolument comme métonymie pour désigner la mer (on dit en français, le large). Ensuite, altus accompagne tout naturellement les ablatifs compléments circonstanciels de lieu : monte alto, alto caelo, puppi alta et moenibus altis (la montagne, le ciel, la poupe des navires et la muraille sont hauts), ce qui correspond déjà à une trentaine d'occurrences environ. Il n'était pas difficile de prédire que la grandeur et la majesté découleraient de cet emploi (l'ouverture du poème : altae moenia Romae). De cet emploi absolu, convenu et redondant, l'adjectif s'emploie ensuite pour marquer soit la hauteur, soit la profondeur, soit les deux à la fois. On comprend que la haute mer est profonde (adjectif qualificatif), mais dans le cas des lacs ou des fleuves, il faut le préciser (adjectif déterminatif). Dans les contextes suivants, on voit bien que l'adjectif déterminatif peut signifier tout aussi bien la hauteur que la profondeur :

       Hic portus alii effodiunt : hic alta theatri
       Fundamenta locant alii, immanisque columnas
       Rupibus excidunt, scaenis decora alta futuris
       (Énéide, 1: 427-429).

« Ici certains creusent un port, là d'autres établissent les fondations profondes d'un théâtre et taillent dans le roc le haut (grand, grandiose) décor d'immenses colonnes de la future scène ». À tel point que, dans certains emplois, il est impossible de décider entre les deux « directions », vers le haut ou le bas :

       Turrim [...]  convellimus altis
       Sedibus, impulimusque (2: 460, 464-465).

« Nous arrachons la tour de ses hauts/profonds fondements pour la projeter en avant » : le passage décrit comment l'immense tour est défaite de sa base, à la fois haute et profonde, pour qu'elle s'effrondre sur les colonnes de soldats danaens. Commentaire de John Conington (je traduis de l'anglais) : « Altis est généralement mis pour "haut"; mais il peut tout aussi bien signifier "profond", la tour étant défaite par en-dessous » (vol. 2, p. 138b).

   Et c'est ainsi, avec ce double sens, qu'on parvient à l'entrée de l'enfer, dans la haute/profonde caverne. Le mot altus occupe en effet une position clé dans le réseau thématique conduisant à la descente aux enfers. Comme c'était déjà le cas dans l'Odyssée, mais plus approximativement (l'itinéraire de la maison d'Hadès est décrit par Circée au chant 10 et Ulysse s'y trouve au chant 11), la caverne se trouve dans les environs du golfe de Naple, près du lac Averne :

                                     Ditis tamen ante
       Infernas accede domos, et Averna per alta
       Congressus pete, nate, meos (5: 731-733).

Anchise a son fils Énée : « Cependant aborde auparavant les demeures infernales de Dis, et, par les profondeurs de l'Averne, viens, mon fils, t'entretenir avec moi ». Mais il n'y a pas que ce chemin alto, « profond », conduisant à l'enfer, puisque c'est la qualité propre de l'enfer lui-même, sa porte (alta ostia Ditis), le seuil qu'on doit passer (limine alto, 8: 461; 11: 482) pour y parvenir, dans les profondeurs de la terre (alta terra, 6: 267). C'est apparemment tout le contexte de notre cammino alto, notre « chemin profond ». Voici l'enfer, tel qu'il est représenté sur le bouclier d'Énée :

                                      Hinc procul addit
       Tartareas etiam sedes, alta ostia Ditis (8: 666-670).

« Plus loin il met encore le séjour du Tartare, la profonde porte de Dis... », présentation qu'on trouve identique dans les Géorgiques :

       Taenarias etiam fauces, alta ostia Ditis (4: 467).

« Et encore [par] la gorge de Ténare, [il entre par] la profonde porte de Dis... ». Il est complètement indifférent qu'alta ostia soit pris ici au sens de haute et grandiose ou de fort enfoncée et donc effrayante, les deux sens s'additionnant, puisque la porte profonde ouvre sur les abîmes de l'enfer.

         His actic propere exsequitur praecepta Sibyllae.
       Spelunca alta fuit vastoque inmanis hiatu,
       Scrupea, tuta lacu nigro nemorumque tenebris,
       Quam super haut ullae poterant inpune volantes
       Tendere iter pinnis : talis sese halitus atris
       Faucibus effundens supera ad convexa ferebat :
       Unde locum Grai dixerunt nomine Avernum (6: 236-242).

« Cela fait, il s'empresse d'exécuter les prescriptions de la Sibylle. Il y avait une profonde caverne monumentale taillée dans le roc en une vaste ouverture, à l'abri d'un lac noir et des ténèbres d'un bois. Nul oiseau ne pouvait impunément voler dans les airs au-dessus d'elle, tant étaient impures les exhalaisons qui, sortant de ces gorges noirâtre, s'élevaient vers la voûte du ciel. Aussi les Grecs ont-ils nommé ce lieu Averne  ». C'est évidemment cette lecture que les premiers commentateurs de la Divine comédie reportent tout naturellement sur le cammino alto qu'emprunte Dante à la suite de Virgile pour se retrouver au vers suivant, au premier du troisième chant, ici, devant la porte de l'enfer. Il s'agit d'un très légitime court-circuit littéraire qui va se perdre peu à peu, chez les commentateurs, avec la culture classique. Or, la lecture littéraire n'était pas correcte.

Le chemin « abrupt » de Dante

   En effet, les « derniers vers », celui de chacun des deux premiers chants, indiquent bien le chemin qui mène à l'enfer du troisième chant, mais ce chemin n'est pas celui qui conduit à l'enfer gréco-latin. Au contraire, Dante prend grand soin de ne pas situer géographiquement l'enfer chrétien. Plus encore, il dessine une situation topographique qu'il est impossible d'associer à l'Averna per alta et le cammino alto, sera au contraire une voie détournée, puisque Virgile explique à Dante qu'on ne saurait parvenir à la montagne lumineuse par le chemin qui y mène naturellement, directement. Par ailleurs, les vers qui nous intéressent, comme on le voit, ne sont pas associés à l'enfer, mais au chemin qui y conduira, finalement, ce qui est tout autre chose. Or, le contexte qui inspire Dante se trouve également dans l'Énéide, et parfaitement bien illustré, au détour d'une comparaison.

   La voici :

       Ac velut ille, prius quam tela inimica sequantur,
       Continuo in montis sese avius abdidit altos
       Occiso pastore lupus magnove iuvenco... (11: 809-811).

Il s'agit d'une comparaison psychologique, s'appliquant au comportement d'Arruns, en exposant la conduite du loup qui prend la fuite. « Ainsi avant que les traits de l'ennemi le poursuivent, un loup qui a tué un berger ou un jeune taureau puissant, court tout de suite se cacher, par des sentiers détournés, sur de hautes montagnes ». Avius : inaccessible, là où il n'y a pas de chemin frayé; s'appliquant aux personnes : errant. Comme le loup s'enfonce errant dans les montagnes, se perdant pour se sauver. Dans cet exemple, in montis altos, l'adjectif se trouve dans un contexte fréquent et significatif de l'Énéide où il a son sens redondant proprement épique (on l'a vu plus haut, dès le début de l'analyse), altos montis/montibus, l'adjectif qualificatif accompagnant fréquemment des noms de montagne. L'adjectif prend même une fois à lui seul le sens de montagneux : Creta in alta (5: 588), désignant les montagnes et les falaises de la Crète. Enfin, s'il voisine le sens de « profond » en s'appliquant aux bois, aux boisés et aux forêts (ex alto luco, 7: 95; lucos in alto, 11: 740), le fond du bois, la profondeur de la forêt s'imaginent tout aussi bien en pays montagneux, tout comme les gîtes et repaires des lions et autres bêtes sauvages (stabula alta, 6: 179; 9: 388; et 10: 723).

   Dans cette topographie, qui est précisément celle des deux premiers chants de la Divine Comédie, nous sommes encore bien éloignés des portes de l'enfer, qu'on imagine d'ailleurs là-haut, dans l'une des grottes des montagnes, supera ab alta (6: 787), des hauteurs supérieures. Si nous reprenons de ce point de vue le vers de Dante,

       intrai per lo cammino alto e silvestro,

on n'en trouvera pas en français de meilleure traduction que celle de J.-A. Mesnard qu'a cité Ducasse à l'incipit des Chants de Maldoror et qui en est donc une remarquable interprétation,

       je m'enfonçai dans l'abrupt et sauvage sentier.

Or, M. Olivier Sers (avocat de Poitiers, que je me plais à imaginer aujourd'hui dans le bureau qu'occupait, J.-A. Mesnard, puisque c'est là qu'il a commencé sa carrière), me fait remarquer que l'adjectif convient d'autant mieux qu'« abrupt » est déjà en latin, dans le même contexte, un synonyme d'« alto » : « Ergo abrupta palus multos discessit in amnes », « donc le marais aux pentes raides se divise en de nombreux fleuves », Lucain, Pharsale, trad. C.U.F.), et avec les mêmes sens seconds.

   Bien entendu, cette conclusion peut paraître suspecte, précisément parce qu'elle conduit exactement au point de départ, la traduction du vers par J.-A. Mesnard citée par Ducasse. Cela dit, je ne vois pas de raison d'en faire une gloire ni pour l'un ni pour l'autre, du moins pas avant d'avoir pu montrer d'une part que la qualité de cette traduction se confirme pour l'ensemble de l'Enfer et, encore plus improbable, que Ducasse l'ait choisie précisément pour cette raison. — On reviendra d'ailleurs sur ce point après avoir énuméré toutes les traductions françaises de notre fameux vers, des origines à nos jours.

   En revanche, on peut à bon droit se demander comme moi comment un éditeur d'Isidore Ducasse peut réaliser une étude des traductions du Dante pour trouver finalement la source du poète italien dans un contexte particulier de l'Énéide de Virgile, alors que ce professeur de littérature française n'a rien d'un spécialiste de Dante et encore moins de Virgile ! La réponse à cette question est toute modeste, même si je suis forcément assez content des résultats de mon travail. En effet, il est rare qu'on trouve du nouveau, qu'on fasse la moindre découverte ou qu'on établisse une conclusion nouvelle, par hasard, sans la mise en place d'une dynamique de recherche. Aussi, je ne suis nullement spécialiste de Dante ou de Virgile, mais bien d'un vers et d'un seul de la Divine Comédie et, pour mieux dire encore, d'un mot de ce vers, alto ! Éditeur de Ducasse et lecteur de Dante, j'ai consacrée de belles heures au plaisir de relire mon Énéide dans l'ordre alphabétique des contextes de l'adjectif altus, situant le moindre complément circonstanciel dans le développement en cours. À la lettre « c », j'ai trouvé Creta in alta et à « m », in montis altos, ce loup, qui dans une métaphore suivait manifestement (l'exemple de) Dante et Virgile, sur ces sentiers abrupts.

   Bien entendu, ces sentiers conduisent à l'analyse de la traduction de Mesnard en regard de son utilisation par Ducasse dans les Chants de Maldoror. J'y reviendrai donc à la huitième strophe du Chant 2 (2.8), la deuxième strophe à s'inspirer de l'Enfer : ce sera l'objet de la seconde section de cet essai, ci-dessous.

5. Chronologie des traductions françaises du vers I,2: 142

Avec la collaboration de Paul Bitner

   Voici toutes les traductions françaises de ce vers que j'ai pu colliger (4). Comme j'ai entrepris ce travail avant de connaître le répertoire de Marc Scialom (5), ce qui m'aurait facilité le travail, j'ai pu constater que je n'avais trouvé aucune traduction française qui n'y figurait pas, tandis qu'au contraire, mon relevé était bien incomplet avant d'utiliser le sien. En revanche, comme j'ai ensuite utilisé la bibliothèque électronique de Google (« Recherche de livres », soit RLG) afin de poursuivre mon dépouillement du vers à l'étude, j'y ai trouvé quelques nouvelles références, assez pour comprendre que le répertoire de Marc Scialom n'est pas encore tout à fait exhaustif (6). C'est à ce répertoire de 422 entrées que revoie le sigle « MS ».

   Le sigle « PB » renvoie pour sa part à l'ouvrage encore inédit de Paul Bitner, Dante en France. Il s'agit d'un répertoire chronologique des traductions et des traducteurs de Dante en français, contenant les manuscrits, éditions princeps, rééditions, éditions illustrées, ainsi qu'une biographie des traducteurs et la notification des choix formels de traduction. L'étude sera augmentée d'une bibliographie générale des ouvrages écrits sur Dante en français et de l'ébauche d'un index des oeuvres picturales, musicales, scéniques ou artistiques crées ou diffusées en France ou en français inspirées par Dante. L'auteur a complété et corrigé la présente chrono-bibliographie dans une série d'échanges par courrier électronique de juin à septembre 2016. Il s'agit donc de la troisième vague de dépouillement bibliographique qui confirme encore que Jacques-André Mesnard aura été le seul à qualifier d'« abrupt » le chemin qui conduit à l'Enfer. Les fanatiques d'Isidore Ducasse lui seront reconnaissant de sa contribution, tandis que les spécialistes des oeuvres de Dante attendent maintenant la publication de son répertoire. — On rejoint l'auteur à l'adresse dante.enfrance@sfr.fr.

   Et il ne reste plus qu'une seule traduction qui n'a pu encore être consultée (7). Lorsqu'une réédition se trouve en référence, on comprendra que c'est elle qui a été consultée. Sauf indication contraire, la traduction est en vers.

    Gallica : il s'agit de la bibliothèque virtuelle de la BNF;
    MS : renvoie au répertoire de Marc Scialom; cf. n. (5);
    PB, désigne le répertoire inédit de Paul Bitner et par conséquent sa collaboration à ce dépouillement bibliographique (voir ci-dessus);
    RLG : « Recherche de livres » de Google.

Chronologie

14??, fin du XVe siècle : « Pour le suyvre ientray la voye haute et silvestre », la Divine Comédie, d'après un manuscrit du XVe siècle, traduction anonyme de l'Enfer, manuscrit de la bibliothèque de l'Université de Turin. Transcription de Charles Casati de Casatis en 1873 (trad. des chants II et IV de l'Enfer, extrait des Mémoires de la Société des sciences de l'agriculture et des arts de Lille, année 1872, 3e série, 10e volume, Lille, Danel, 28 p. MS 1 et 160) et d'Émile Littré en 1879 (en appendice à sa traduction de l'Enfer). PB. [1

15??, début du XVIe siècle : « Ainsy lui dis, et puis qu'en voye le vis mettre, / J'entray dans le chemin noir, sauvage et champestre ». Anonyme de la bibliothèque de Vienne (Ms 10201). La transcription est d'Émile Littré en 1879. PB. [2

1596 : « Commençant à marcher j'entre d'un coeur avide / Par le profond, obscur & sauvage chemin », Balthazar Grangier, la Divine Comédie, Paris, Drobet; rééd. en 3 vol., Jehan Gesselin, 1597. MS. 9. [3

16??, première moitié du XVIIe siècle : « Je luy parlay ainsi et apres qu'il se fut mis en mouvement J'entray avec lui par le chemin qui est et profond et sauvage » (la traduction est en prose; avec la majuscule, on passe à la nouvelle page). Philippe Auguste Le Hardy (16??-1691), marquis de La Trousse, reproduction du manuscrit inédit sur le site internet de la Bibliothèque municipale de Toulouse (numerique.bibliotheque.toulouse.fr). PB. [4

1776 : « Dès que Virgile eut fait quelques pas, j'entrai dans un chemin profond & obscur », Julien-Jacques Moutonnet de Clairfons, l'Enfer, trad. en prose, Florence et Paris, Leclerc et Le Boucher Libraires, 577 p. MS 26. [5

1783 : « Ainsi parlai-je; et l'Ombre étant descendue, je la suivis dans un sentier sauvage et ténébreux », Antoine de Rivarol, l'Enfer, trad. en prose, Paris, Mérigot et Barrois, première édition complète, qui n'identifie pas le traducteur. La première publication des chants 1-8 de l'Enfer en 1780 me contenait pas la fin du chant 2. Dans les éditions modernes, l'« Ombre » perdra sa majuscule. Ces rééd. seront très nombreuses : Paul Bitner n'en dénombre pas moins, à ce jour !, de vingt-quatre jusqu'en 2009 dont il n'est pas facile de distinguer les réimpressions sous diverses formes plus ou moins proches de la réédition (ajout de préfaces, notes, appendices, etc.), chez au moins cinq éditeurs (dont celle de la Bibliothèque nationale à partir de 1867 (MS 27-28). Cela dit, il y a une chose qui ne change pas : le sentier qui conduit à l'Enfer, toujours sauvage et ténébreux ! PB. [6

1796 : « Dans le moment, nous nous mîmes en marche, et nous entrâmes dans un chemin sauvage et escarpé », Paul Édouard Colbert d'Estouteville (la page de titre porte : Détouville), petit-fils de Colbert, traduction manuscrite datée de 1751, imprimée pour la première fois en 1796, Paris, Sallior (successeur de Didot Jeune), an IV de la République. MS 32. [7

1811 : « Il ne craint plus ni les dangers ni la fatigue; son guide marche, il le suit », Pierre-Louis Ginguené, Histoire littéraire d'Italie, vol. 2, Paris, Michaud; rééd., 1824, p. 34. MS 39. — Comme il s'agit d'un résumé fait de paraphrases et de citations, le fragment n'est consigné ici que pour mémoire. [8

1812 : « et je le suivis dans un chemin tortueux et sauvage », Alexis-François Artaud de Montor (1772-1849), trad. en prose de l'Enfer, Paris, Smith et Schoell, 446 p. (le Paradis était paru en 1811, et le Purgatoire paraîtra en 1813); rééd., Firmin-Didot, 1828-1830, 9 vol.; troisième éd. (du vivant de l'auteur) de 1846 en 1 vol., puis 1849 (sur Gallica); enfin, peut-être une 10e éd., Paris, Garnier 1879, donne ce même texte. MS 40, mais il faudra se reporter à PB pour un dépouillement systématique des éditions, rééditions et réimpressions. [9

1817 : « Je me tais : il avance, et je marche après lui / Dans un profond sentier de l'aride contrée / Qui cache des Enfers la ténébreuse entrée », Henri Terrasson, l'Enfer, Paris, Pillet, 376 p. MS 43. [10

1823 : « J'entre dans le chemin profond et solitaire », Brait de la Mathe, l'Enfer, Paris, Bossange, 467 6. MS 46. [11

1824 : « Et j'entrai avec lui dans un lieu profond et obscur », John Charles Tarver, l'Enfer, trad. en prose, Londres, C. Knight, 2 vol; rééd., Londres, Dulau, 1826. MS 48-49. [12

1829 : « Je m'enfonçai soudain dans la pénible voie », Antoni Deschamps (Antoine-François-Marie Deschamps de Saint-Amand), la Divine Comédie (traduction de 20 chants), Paris, Gosselin. MS 52. Rééd. la même année, mais sans les lithographies de l'éd. originale, puis dans Poésies d'Antoni Deschamps, Bruxelles, Laurent, 1837. PB. [13

1831 : « J'entre dans le chemin pénible et redouté », Joseph-Antoine de Gourbillon, l'Enfer, Paris, Auffray, XVI-376 p. MS 53. [14

1835 : « Et moi je le suivis dans un sentier maudit », Charles Calemard de Lafayette, l'Enfer, Paris, Paul Masgana, 2 vol., 1835-1837. MS 55. [15

1837 : « Je dis, et dans la route profonde et sauvage / Quand Virgile est entré, sur ses pas je m'engage ». Auguste (François-Auguste-Agatocle-Urbain) Le Dreuille, l'Enfer, Paris, chez l'auteur, Imprimerie Fain. MS 58. [16

—— Les pages 10-11 manquent sur Gallica : collées l'une sur l'autre, elle ont été sautées par le scanneur.

1838 : « J'entrai dans le chemin profond, sombre, sauvage », Jean-Antoine de Mongis, l'Enfer, Paris, Gustave Barba, 386 p.; rééd., Paris, Delagrave, 1842 et 1846. « J'entrai dans un chemin profond, sombre, sauvage » (je souligne la variante), la Divine comédie, Paris, Delagrave, 1857 et 1876, 620 p. MS 60 et 167, PB. [17

1840 : « J'entrai dans le chemin raide et sauvage », Pier-Angelo Fiorentino (1809-1864), la Divine Comédie, traduction en prose, première édition, Paris, Charles Gosselin. MS 65. C'est encore la version de l'édition Hachette, 1850, 6e éd., 1858. MS 104 et 117. Voir les deux nouvelles versions, en 1861. [18

1841 : « J'entrai dans le chemin profond et sauvage », Julien Pélage Auguste Brizeux (1803 - 1858), la Divine Comédie, trad. en versets, Paris, Charpentier, rééd. de 1886. MS 67 (la rééd. de 1886 devrait figurer entre les nos MS 186 et 207, 1883 et 1891). [19

1842 : « Je le suis au chemin ténébreux et profond », Eugène Aroux, la Divine Comédie, Paris, Blanc-Montanier et Michaud, 2 vol.; nouvelle traduction, Héritiers Jules Renouard, 1856-1857, 3 vol. MS 72 et 108. — La première édition, que je n'ai pas vue encore, sera bientôt publiée sur Gallica. [20

1843 : « Je m'engageai dans le sentier tortueux et sauvage », Sébastien Rhéal (Sébastien Gayet de Cesena), la Divine Comédie, Paris, Lavigne, 1843-1854. MS 75. Voir la version de 1854 [21

1844 : Traduction à consulter, anonyme, l'Enfer, Paris, Prévôt. MS 80. [22

1846 : « J'entrai dans le chemin ténébreux et sauvage », Hyacinthe Vinson de la Gironde, Études et souvenirs (l'ouvrage contient la traduction des trois premiers chants de l'Enfer, Bordeaux, Laplace, p. 7-50, rééd., 161 p.; l'Enfer, Paris, Hachette, 1887, 232 p. MS 88 et 199. [23

1852 : « Et les voilà s'enfonçant dans le sentier âpre et sauvage ». Paraphrase de notre vers par le baron Paul Drouilhet de Sigalas dans De l'art en Italie : Dante Alighieri et « la Divine comédie », Paris, Firmin Didot, p. 346 (mais le fragment n'est pas repris dans la rééd. de 1853). PB. [24

1852 : « Nous entrons au chemin sauvage et tortueux », Louis Rastibonne, l'Enfer, 2 vol., 1852-1854, Paris, M. Lévy frères; la Divine Comédie, 1856-1860, 6 vol., 3e éd., 1865-1870, 3 vol. MS 93 et 140. PB. [25

1853 : « J'entrai sur ses pas dans un chemin escarpé et sauvage », Victor de Saint-Mauris, la Divine Comédie, trad. en prose, Paris, Amyot. MS 95. [26

1854 : « Et je m'enfonçai avec lui dans l'abrupt et sauvage sentier », Jacques-André Mesnard, traduction en prose, édition bilingue, Paris, Amyot, 3 vol., 1854-1857. MS 101. C'est la seule traduction qui donne « abrupt », au XIXe siècle, comme on le trouve à l'incipit des Chants de Maldoror. [27

—— L'ouvrage se trouve à la bibliothèque de l'Université de Montréal (et je possède une copie pdf du premier volume, l'Enfer). Les trois volumes se consultent sur Gallica de la BNF.

1854 : « Je m'engageai dans le sentier profond et sauvage », Sébastien Rhéal (Sébastien Gayet de Cesena), la Divine Comédie, 3e éd., annotation de Louis Barré et illustration d'Antoine Etex, Paris, J. Bry Aîné, 1854, 204 p. MS 98. Voir plus haut la version de 1843 [28

1855 : « J'entrai dans le chemin profond et sauvage », Félicité-Robert de Lamennais, publication d'E. D. Forgues, la Divine Comédie, dans les OEuvres posthumes de Lamennais, Paris, Paulin et Chevalier, 1855-1856, 3 vol. trad. en prose; rééd., Paris, Marpon et Flammarion, nouv. éd., 1883. MS 103 et 185. [29

1861a : « J'entrai dans le chemin roide et sauvage », Pier-Angelo Fiorentino, trad. en prose de l'Enfer, Paris, Hachette, in-folio, première édition illustrée par Gustave Doré. MS 126. — Voir l'entrée suivante et la version initiale de Fiorentino en 1840. [30

1861b : « J'entrai dans le chemin haut et sauvage », Pier-Angelo Fiorentino, trad. en prose de la Divine Comédie, 11e et 12e éd., Paris, Hachette, 1877 et 1881; même version dans l'édition de 1908. MS 125 et 128, respectivement 1860 et 1862. [31

1862 : « Je m'enfonçai dans cet âpre chemin », Victor de Perrodil, OEuvres poétiques, vol. 4, l'Enfer du Dante, Paris, Didier. MS 130. [32

1866 : « Et le coeur enhardi, il entre avec Virgile dans un chemin sauvage et profond qui va les conduire jusqu'aux portes de l'enfer », Daniel Stern (pseud. de Marie de Flavigny), comtesse d'Agoult, Dante et Goethe, dialogues, Paris, Didier, 450 p., p. 104-105. — L'ouvrage n'est pas répertorié dans MS. Il ne s'agit pas d'une traduction, mais ce commentaire « traduit » les deux derniers vers du Chant 2 de l'Enfer. PB. [33

1867 : « J'entrai par le sentier ténébreux et sauvage », François Villain-Lami, la Divine Comédie, Paris, Lacroix et Verboeckhoven. MS 145. [34

1873 : transcription des chants II et IV de l'Enfer du manuscrit de Turin par Charles Casati de Casatis. MS 1 et 160. Cf. no 1. PB. [35

1873 : « Il prit alors la route hérissée : / J'accompagnais, surmontant ma terreur », Amédée Jubert, les trois premiers chants de l'Enfer; puis l'intégrale de l'Enfer, 1874, et rééd. 1884, toujours à Paris, Berger-Levrault. Se trouve sur Gallica. MS 162. PB. [36

1874 : « J'entrai dans le chemin rocailleux et profond », René Alby, l'Enfer, Turin et Milan, Union Typographique de Turin, 2 vol. (on trouve les trois premiers chants au premier volume et le chant 4 au vol. suivant. MS 159. [37

1876 : « J'entrai dans le chemin mystérieux, sauvage », Hippolyte Topin, Diversités littéraires, proses et vers, Livourne, Meucci, p. 203. MS 166. À noter que l'auteur a déjà publié sa traduction du chant II dans le « Discours préliminaire » de la Divine Comédie de Dante Allighieri [sic] : le Paradis, Livourne, Guillaume, 1862. PB. [38

1877 : « J'entrai dans le chemin profond et sauvage », Francisque Reynard, la Divine Comédie, Paris, Lemerre, 2 vol. MS 168. [39

1879 : « Ens au chemin j'entrai haut et silvestre », Paul-Émile Littré, trad. en ancien français de l'Enfer, Paris, Hachette. MS 172. [40

1882 : « J'entrai dans le chemin profond, sauvage et noir », Adrien Bonneau du Martray, l'Enfer : cinq chants mis en vers (il s'agit des cinq premiers chants), Paris-Auteuil, Apprentis-Orphelins. MS 182. [41

1886 : « Et j'entrai dans le sombre et sauvage ravin », Pierre Denis Borné, la Divine Comédie, édition de l'auteur, 3 vol., hors commerce. MS 195. PB. [42

1886 : « Et je le suivis dans les profondeurs de la forêt sauvage », Henri Dauphin, la Divine Comédie, Amiens et Paris, Jeunet et Armand Colin. MS 194. [43

1887 : « Virgile s'avança et je le suivis dans un chemin tortueux et sauvage », anonyme, la Divine Comédie, trad. en prose, Paris, Blériot et Gautier (successeur). MS 198. [44

—— Il s'agit, en fait, de brefs sommaires des chants qui ne font jamais plus d'une page.

1889 : « J'entrai par le chemin haut et sauvage », Auguste-Jean Boyer d'Agen, les Fleurs noires, trad. de l'Enfer (chant 1 à 5), Paris, Havard, 360 p., p. 181-211. MS 201. [45

1891 : « Et ils entrent tous deux dans le chemin "profond et sauvage" qui conduit en Enfer », paraphrase d'Édouard Rod dans son ouvrage de vulgarisation, Dante, Paris, Lecène et Oudin, rééd., 1897, p. 99. Les judicieux guillemets sont de l'auteur. PB. [46

1894 : « Et ils se mirent en marche par un chemin montueux et sauvage », Maxime Durand-Fardel, la Divine Comédie, Paris, Plon-Nourrit. MS 216. [47

1900 : « Par le rude chemin j'accompagnai Virgile », Amédée de Margerie, la Divine Comédie, Bray et Retaux, 2 vol.; 2e éd., Paris, Téqui, 1913. MS 224 et 253. [48

1908 : « Et sur ses pas, j'entrai dans le chemin profond et sauvage », Adolphe Méliot, la Divine Comédie, trad. en prose, Paris, Garnier frères. MS 241. [49

1912 : « Je le suivis par le sentier ardu et solitaire », Louise Espinasse-Mongenet, l'Enfer, Paris, Nouvelle Librairie nationale; rééd., Paris, les Libraires associés, 1913, 1920 et 1947, rééd., Paris, Porson, 1950 (illustrations d'Édouard Goerg), puis 1965 pour l'édition posthume intégrale de la Divine Comédie. MS 247 et 368; PB. [50

1913 : « Je pénétrai par le chemin profond et sauvage », Ernest de Laminne, la Divine Comédie : l'Enfer, Paris, Perrin. Le Purgatoire paraîtra l'année suivante, chez le même éditeur. MS 254 date la parution de 1914. PB. [51

1921 : « Et j'entrai dans le chemin profond et sauvage », Joachim-Joseph Berthier, la Divine Comédie, Paris, Desclée de Brouwer. MS 265. [52

1921 : « J'entrai dans le chemin redoutable et sauvage », Henri Hauvette, l'Enfer, traduction en prose (ou plus précisément en versets), 2 vol., Paris, La Renaissance du livre, 1921-1922. MS 263. [53

1922 : « J'entrai dans le chemin creux et sauvage », André Pératé, la Divine Comédie. Paris, Imprimerie Nationale, 1922-1924; rééd., Paris, L'Art catholique, 1923. MS 269 et 271. Rééd., Paris, Jean de Bonnot, 1971, réimp. 1987. PB. [54

1924 : « J'entrai dans le chemin sauvage et dur », René-Albert-Charles Gutmann, l'Enfer, Paris, Léon Pichon, 138 p. MS 275. [55

1930 : « J'entrai dans le chemin difficile et sauvage », Simone et Louis Martin-Chauffier, l'Enfer, Paris, La Pléiade (coll. « Les chefs-d'oeuvres illustrés »), illustrations par Edy Legrand. MS 282. [56

1931 : « J'entrai dans le sentier sauvage et périlleux », Henri Lognon, la Divine Comédie, Paris, La citée des livres, 2 vol., l'Enfer et le Purgatoire. Garnier (coll. « Selecta »), nouv. éd., cette fois complète de la Divine Comédie, 1938, rééd., 1951, 1966. MS 283, PB. [57

1931 : « J'entrai dans le chemin profond et sauvage », Fortuné Palhories, Dante et « la Divine comédie », Paris, Fernand Lanore. — Texte abrégé du poème, paraphrase intégrant des commentaires. PB. [58

1935 : « Et j'entrai, sur ses pas, dans le chemin profond », Martin Saint-René, l'Enfer, Paris, Le Soudier; rééd., la Divine Comédie, Paris, Le Soudier (coll. « Bibliothèque des études poétiques »), 1966. MS 291 et 373. [59

1936 : « Tant l'ardeur d'une foi nouvelle, et l'espérance / du Salut, m'exaltait, me rendait confiance ! / Et je sentais mon coeur tressaillir de vaillance ! », Lucien-Alfred Demelin, la Divine Comédie, Paris, Les OEuvres Françaises. MS 295. — Comme on le voit, l'adaptation en alexandrins ne correspond pas ici au texte de Dante. MS 295. [60

1938 : « J'entrai dans le chemin tant profond et sylvestre », André Doderet, la Divine Comédie, Paris, Union Latine d'Édition. MS 299. [61

1941 : « J'entrais dans le chemin escarpé et sylvestre », Robert Vivier, la Divine Comédie, trad. en prose, Bruxelles, Labor (coll. « Collection nouvelle des classiques », nos 14 et 15), XXX-127 p. en 2 vol. MS 305. PB. [62

1947 : « J'entrai dans le chemin difficile et sauvage », Alexandre Masseron (1880-1959), l'Enfer, trad. en prose, Paris, Albin Michel. MS 313. Rééd., Paris, Club français du livre (coll. « Les portiques », no 28), 1954. À noter que l'auteur paraphrasait ainsi le vers en question quelques années plus tôt : « Et les voyageurs, prenant un âpre chemin, qui pénètre on ne sait où, au sein de la terre... », Pour comprendre « la Divine Comédie », Desclée de Brouwer 1939. PB. [63

1960 : « J'entrai dans le chemin escarpé et sauvage »,Pierre Ronzy, la Divine Comédie, Grenoble, Roissard, Le Cercle des professeurs bibliophiles de France, 1960-1962, 3 vol. MS 353. [64

1964 : « Alors il se mit en marche, et je le suivis. »..., Elisabeth de Solms, arrête sa traduction à l'avant-dernier vers du Chant 2, Tympans romans : sud de la France, « Dante : traduction de Solms ». Paris, Zodiaque. PB. [65

1964 : « J'entrai dans le pénible et sauvage chemin », Alexandre Cioranescu, la Divine Comédie, Lausanne, Rencontre, 2 vol. MS 378. Rééd., 1968 et s.d. (1984 ?). PB. [66

1965 : « J'entrai par le chemin haut et sauvage », André Pézard, dans les Oeuvres complètes, Paris, Gallimard (coll. « Bibliothèque de la Pléiade »). MS 367. Huit rééd. de 1968 à 2010, sans compter l'édition illustrée par Nicolas Chenard, tirage unique de 2002, avec la reproduction du manuscrit calligraphié de la traduction. PB. [67

1983 : « J'entrai dans le chemin dur et sauvage », Jacqueline Risset, « Sept chants (1-7) de l'Enfer », l'Infini, no 2, p.6-15; l'Enfer, Paris, Flammarion, 1985; le Purgatoire, 1988; et le Paradis, 1992. Les rééd. ou réimp. seront innombrables. MS 407 et 411. PB. [68

1977 : « Et dans le sentier dur, raboteux, / J'entrai lorsqu'en chemin je le vis se mettre », Jacques Parichet, « la Divine Comédie de Dante (fragments) », la Voix des poètes, nos 64-65, coll. « Les Pharaons », nos 29-30 - « L'ultime odysséee : Dante, collectif ». PB. [69

1987 : « J'entrai dans l'âpre et sauvage chemin », Lucienne Portier, la Divine Comédie, Paris, Cerf. PB. [70

1992 : « J'entrais dans le chemin profond et sauvage comme une forêt », François Mégroz, Lire « la Divine comédie » de Dante, vol. 1, l'Enfer, Lausanne, Bibliothèque « L'âge d'homme ». PB. [71

1995 : « J'entrai par la route abrupte et sauvage », Jean-Charles Vegliante, la Comédie, poème sacré : Enfer, Purgatoire, Paradis, édition bilingue, Paris, Imprimerie nationale, réimp. 1999 et 2007; traduction révisée, Paris, Gallimard (coll. « Poésie »), 2012, réimp. 2014. PB. [72

—— Rien n'indique que la traduction de J.-C. Vegliante ait pu être influencée par celle de J.-A. Mesnard. En revanche, il apparaît que le savant traducteur s'est livré à un exercice semblable à notre fameux magistrat amateur de Dante, comme il l'explique en postface de la collection « Poésie » : proposer une lecture de la Comédie, dans notre français moderne, sans le filet d'aucune annotation. Il s'agit de comprendre et non d'interpréter le texte italien qu'il suit mot à mot avec sa version française, poétiquement littérale. Certes, on peut déplorer le choix de « route » pour « chemin » qu'on a sous les yeux (cammino), dans le vers qui nous occupe, car il faut connaître son étymologie (rupta, « voie frayée en forêt ») pour savoir qu'il convient parfaitement ici. Mais les lecteurs du présent fichier savent que cette « route abrupte » (avec ses quatre occlusives) est une belle réussite, digne de celle de J.-A. Mesnard.

1996 : « Et, quand il s'ébranla / Je pris ce chemin qui loin pénètre », Kolja Mićević, l'Enfer, édition de l'auteur. Rééd. dans la Divine Comédie, toujours chez l'auteur, 1998. PB. [73

1996 : « J'entrai dans le chemin rude et sauvage », Marc Scialom, la Divine Comédie, dans les OEuvres complètes, sous la direction de C. Bec, Le Livre de poche : classiques modernes (coll. « La Pochotèque »). PB. [74

2003 : « J'entrai par le chemin haut et sauvage », la Divine Comédie, Didier-Marc Garin, Paris, La différence (coll. « OEuvres complètes »), 2e éd., 2009, 1039 p. PB. [75

2006 : « Encore une audace, celle revigorante de faire le mariole / Et d'enfoncer le chemin tant profond que sylvestre », Stéphane Bérard, l'Enfer, chants 1 à 9, Marseille, Éditions Al Dante, rééd., l'Enfer, traduction intégrale, 2008. PB. [76

—— Traduction (ou disons plutôt « transversion ») amusante, comique et facétieuse.

2007 : « Alors il se mit en marche, et j'allais sur ses pas », Gérard Luciani, la divine comédie (extraits) / Divina Commedia (estratti), Paris, Gallimard (coll. « Folio bilingue »), rééd, 2007. PB. [77

—— Comme on le voit, le dernier vers du Chant 2 n'est pas retenu par le traducteur.

2011 : « Ainsi dis-je; il se mit à marcher et / je pris le chemin abrupt et aride », Alain Delorme, la Divine Comédie, Saint-Denis, Éditions Edilivre (édition électronique ou livre sur papier à la demande). PB. [78

—— Troisième occurrence de l'épithèse « abrupt ». Après le sentier et la route, la voici appliquée au chemin. Mais c'est maintenant la seconde épithète qui surprend, « aride ». Si cet adjectif nous éloigne manifestement du texte original, les deux épithètes s'ouvrent musicalement sur la même voyelle. Peut-être était-ce l'effet recherché, de sorte qu'« abrupt » compterait ici moins pour son sens que sa sonorité.

2011 : « J'entrais sur le chemin escarpé et sauvage », Guy de Pernon (pseud. de Guy Jacquesson), l'Enfer, édition électronique bilingue (numlivre.fr). PB. [79

2012 : « J'entrai dans le pénible et sauvage chemin », Didier Halléppée, la Divine Comédie, Les écrivains de Fondcombe (coll. « Lettres classiques) », livre électronique. PB. [80

2013 : « Ainsi lui dis-je, et lorsqu'il fut en marche, / j'abordai le sentier sauvage et dangereux », Claude Dandréa, la Divine Comédie ou « le Poème sacré », Paris, Orizons (coll. « Cardinales »). PB. [81

2013 : « J'entrai avec lui dans le chemin horrible », William Cliff (pseud. d'André Imberechts), l'Enfer, édition bilingue, Bruxelles, Editions du Hasard (coll. « Le miroir »), rééd., La Table ronde (coll. « La petite vermillon »), 2014. PB. [82

2016 : « Et j'entrai dans cette âpre profondeur », Danièle Robert, l'Enfer, édition bilingue, Actes sud (coll. « Hors collection »). PB. [83

s.d. : « j'entrai dans le chemin raide et sauvage », trad. en prose de l'éd. Thill, Bruxelles. [84

Table des traducteurs

Anonyme de Turin - 14??
Anonyme de Vienne - 15??
Anonyme - 1844
Anonyme de Turin - 1873
Anonyme - 1887

Alby, René - 1874
Aroux, Eugène - 1842
Artaud de Montor, Alexis-François - 1812
Bérard, Stéphane - 2006
Barré, Louis (annotations de) - 1854
Berthier, Joachim-Joseph - 1921
Bonneau du Martray, Adrien - 1882
Borné, Pierre Denis - 1886
Boyer d'Agen, Auguste-Jean - 1889
Brait de la Mathe - 1823
Brizeux, Julien Pélage Auguste - 1841
Calemard de Lafayette, Charles - 1835
Casati de Casatis, Charles, éd.,- 1873
Cioranescu, Alexandre - 1968
Cliff, William - 2013
Colbert d'Estouteville - 1796
Dandréa, Claude - 2013
Dauphin, Henri - 1886
De Laminne, Ernest - 1913
Delorme, Alain - 2011
De Margerie, Amédée - 1900
Demelin, Lucien-Alfred- 1936
De Saint-Mauris, Victor - 1853
Deschamps, Antony - 1829
Doderet, André - 1938
Drouilhet de Sigalas, Paul - 1852
Durand-Fardel, Maxime - 1894
Espinasse-Mongenet, Louise - 1912
Fiorentino, Pier-Angelo - 1840, 1861a, 1861b
Flavigny, Marie de, comtesse d'Agoult - 1866
Garin, Didier-Marc - 2003
Ginguené, Pierre-Louis - 1811
Gourbillon, Joseph-Antoine de - 1831
Grangier, Balthazar - 1596
Gutmann, René-Albert-Charles - 1924
Halléppée, Didier - 2012
Hauvette, Henri - 1921
Imberechts, André - 2013
Jacquesson, Guy - 2011
Jubert, Amédée - 1874
La Mathe, Brait de - 1823
Lamennais, F. Robert de - 1855
Le Dreuille, Auguste - 1837
Le Hardy, Philippe Auguste de La Trousse - 16??
Littré, Paul-Émile - 1879
Lognon, Henri - 1931
Luciani, Gérard - 2007
Martin-Chauffier, Simone et Louis - 1930
Masseron. Alexandre - 1947
Mégroz, François - 1992
Méliot, Adolphe - 1908
Mesnard, Jacques-André - 1854
Mićević, Kolja - 1996
Mongis, Jean-Antoine de - 1838
Moutonnet de Clairfons, Julien-Jacques - 1776
Parichet, Jacques - 1977
Pératé, André - 1922
Pernon, Guy de - 2011
Perrodil, Victor de - 1862
Pézard, André - 1965
Portier, Lucienne - 1987
Rastibonne, Louis - 1852
Reynard, Francisque - 1877
Rhéal, Sébastien - 1843, 1854
Risset, Jacqueline - 1983
Rivarol, Antoine de - 1783
Robert, Danièle - 2016
Rod, Édouard - 1891
Ronzy, Pierre - 1960
Saint-René, Martin - 1935
Scialom, Marc - 1996
Sigalas, Paul Drouilhet de - 1852
Solms, Elisabeth de - 1964
Stern, Daniel (pseud. de M. de Flavigny) - 1866
Tarver, John Charles - 1824
Terrasson, Henri - 1817
Topin, Hippolyte - 1876
Vegliante, Jean-Charles - 1995
Villain-Lami, François - 1867
Vinson de la Gironde, Hyacinthe - 1846
Vivier, Robert - 1941


6. Le Dante de Mesnard de Ducasse

      Les faits établis, il faut en tirer les conséquences. Les données brutes sont évidemment aussi simples qu'incontestables : Jacques-André Mesnard est le seul traducteur français à avoir jamais traduit par « abrupt » l'alto du dernier vers du second chant de l'Enfer et c'est précisément cette traduction que Ducasse cite textuellement à l'incipit non pas des Chants de Maldoror, mais plus précisément à l'ouverture du Chant premier, pour la reprendre d'ailleurs à la huitième strophe du chant suivant — cf. strophe 2.8, n. (1) —, strophe qui nous occupera à la prochaine section.

Dante au Chant premier

      En effet, le « Dante de Ducasse » concerne le Chant premier, avant de porter sur l'ensemble de l'oeuvre. On sait que celle-ci est lancée à partir de trois sources magistrales et de trois sources seulement, dans l'ordre Dante, Milton et Byron, la Divine Comédie, le Paradis perdu et le Pèlerinage de Childe Harold (pour la forme narrative) et Manfred (pour ses acteurs). Dante, on le sait depuis longtemps, inspire la comparaison des grues de la première strophe; c'est la comparaison « dantesque », c'est-à-dire la comparaison à la fois psychologique et narrative, qui implique souvent le monde animal. Bien entendu, si le mécanisme vient de la lecture de Dante, il est tout de suite développé, c'est le cas de le dire (la comparaison faisant la moitié de la strophe), pour constituer peu à peu le style propre du chant premier, puis des Chants de Maldoror, le ducassien. Voilà pour la rédaction.

      L'Enfer est textuellement cité à l'incipit. Cependant, il ne s'agit pas d'un collage, ni non plus d'une désignation (Dante ni son oeuvre ne sont nommés), mais d'une citation assez explicite pour être transparente à n'importe quel lecteur du poète italien; non pas le texte de Mesnard, évidemment, mais bien le thème et la rhétorique de la première strophe. Or, Ducasse ne reviendra plus au texte de l'Enfer, tout au long du Chant premier, et ne s'en rapprochera à nouveau qu'à la fin du chant suivant (à la huitième strophe, je viens de le dire). Contrairement à Milton et à Byron, Dante n'informera plus, jusque-là du moins, le contenu du texte, alors que son influence persiste dans l'écriture et le style.

Jacques-André Mesnard

      Ce sera donc l'écriture et le style du Dante de Mesnard. Jacques-André Mesnard (1792-1858) a été un juriste et un homme politique de premier plan (8). Il avait fait ses études de droit à Poitiers avant d'être avocat dans sa ville natale, Rochefort. Très vite, il occupe des fonctions importantes qui vont le conduire jusqu'au Sénat où il sera premier vice-président en 1852 : Premier Avocat général de la cour royale de Potiers en 1830, Procureur général à Grenoble en 1832, à Rouen en 1836, Conseiller à la Cour de cassation en 1841. Il est nommé Chevalier de la légion d'honneur en 1833 déjà, puis Pair de France en 1845. Aussi bien à la cour qu'au sénat, il intervient plusieurs fois dans les débats publics, notamment au sujet de la réforme de l'enseignement, comme aussi sur la pratique de la médecine et sur la pharmacie. S'il se présente comme un libéral sous la Restauration, il est favorable à la Révolution de Juillet, ce qui favorisera sa carrière politique qui prendra fin par conséquent avec la Révolution de 1848. Ses publications sont nombreuses. Depuis son premier livre, De l'administration de la justice criminelle en France (1831), toutes ses publications sont d'ordre juridique, sauf ses discours politiques, dont la BNF conserve quatre exemples (1832, 1833 et deux de 1846). Bref, Jacques-André Mesnard n'est pas un homme de lettres, ce n'est pas un littéraire et encore moins un chercheur ou un érudit des lettres et de la langue italienne.

      Et c'est précisément ce que salue Sainte-Beuve dans la Causerie du lundi du 11 décembre 1854 qu'il consacre à la publication inattendue du premier vice-président du Sénat et président de la Cour de cassation : « Ma première pensée, en recevant le livre de M. Mesnard et en voyant un magistrat éminent et un homme politique aussi distingué profiter de quelques moments de loisir pour traduire Dante comme autrefois l'on traduisait Horace, ma première pensée a été de me dire qu'il avait dû se passer en France toute une révolution littéraire... » (9). Et en effet, le compte rendu critique de Sainte-Beuve situe l'ouvrage dans l'histoire de la réception de Dante en France (on y reviendra) afin de la caractériser, caractérisation qui découle du profil du juriste et homme politique et qu'on illustrera par sa traduction unique et originale du vers à l'étude.

      Voici ce qu'écrit Sainte-Beuve sur ce point et qui sera retenu, voire confirmé par les spécialistes des traductions de la Divine Comédie (Albert Counson et Marc Scialom) : en regard des traductions de Fiorentino et de Brizeux, qui font autorité, J.-A. Mesnard aura eu « le soin d'être, autant que possible, coulant et facile en français, d'unir la fermeté du ton à l'aisance du tour et du nombre. Cette traduction peut se lire avec ou sans l'italien. Dans le calque très complet et très systématique qu'on veut faire d'un texte original, il arrive quelquefois qu'on reste plus voisin de l'idiome étranger que du nôtre, et que la traduction aurait besoin d'être traduite elle-même : c'est là un inconvénient que M. Mesnard a cherché à éviter, en infusant ça et là une nuance, je ne dirai pas de paraphrase, mais d'éclaircissement dans le texte » (p. 212). Il suit, toujours selon Sainte-Beuve, que la traduction peut se lire de manière « continue », précisément parce que J.-A. Mesnard a déjà fait l'effort d'apprécier mot à mot le poème, effort récompensé, même s'il en faudra encore au lecteur pour qu'il soit lui-aussi récompensé.

      Et voilà pourquoi, c'est avec le vieux juriste de longue expérience et fabuleux amateur de la Divine Comédie, et avec lui seul, que nous pouvons suivre, comme Dante suivait Virgile, le chemin abrupt, au dernier vers du deuxième chant. Car il y a une explication très simple à cet hapax, comme on dit, au fait assez extraordinaire que Mesnard soit seul à produire cette traduction et que cette traduction soit à la fois aussi juste, aussi belle que la réussite originale de Dante : ce traducteur ne fait pas oeuvre d'érudit, il ne confronte aucune traduction française et ne s'embarrasse pas de l'héritage des commentaires qui traduisent et interprètent, et par conséquent réécrivent, le texte original depuis longtemps perdu de Dante. De toute évidence, Mesnard n'a jamais pensé « étudier » les divers contexte de l'adjectif altus chez Virgile pour comprendre son sens exact dans ce dernier vers du chant 2. Il l'a tout spontanément compris, tel qu'il se trouvait dans la langue romane naissante, qui fut tout de même à l'époque bien proche de la sienne, l'ancien français. Et on connaît la preuve de cette interprétation : il aurait suffit que le traducteur ait sous les yeux un commentaire du vers italien ou qu'il confronte seulement deux traductions françaises à la sienne et jamais il n'aurait maintenu la création par trop originale de ce « chemin abrupt et sauvage ». Et c'est bien la qualité de toute sa traduction de la Divine Comédie, qui est à la fois simple, personnelle et originale, rien de plus. Il suit, j'imagine, que les spécialistes de Dante y trouveront des fautes d'interprétation (beaucoup ?) à côté de remarquables (et nombreuses ?) réussites, comme celle-ci, qu'ils ne manqueront pas d'adopter.

Dante en France

      Il faut dire que les Chants de Maldoror se situent dans la réception de Dante en France, tout comme la traduction de Jacques-André Mesnard. L'important, comme on le verra tout de suite, est que l'oeuvre de Dante n'a jamais été bienvenue en France. La preuve en est qu'il faut attendre Voltaire pour que Dante Alighieri soit reconnu, voire connu, ce qui n'est pas peu dire (10). En effet, dans son discours de réception à l'Académie (1746), Voltaire cite Dante deux fois, à sa juste mesure. Or, il ne l'a lu que sur le tard, en 1738, et s'en sera tout simplement amusé le reste de ses jours, son appréciation restant toute artificielle et académique, comme en font preuve ses écrits pamphlétaires contre le traducteur Marini pour le plaisir de Savario Bettinelli qui déclenche toute une polémique à ce sujet. L'idée est que Dante est certainement un génie, mais son oeuvre heurte le génie français, c'est-à-dire l'ordre classique. Cela dit, voilà pourtant le début de la réception de Dante en France, puisque notre Boileau n'en disait pas un mot.

      C'est le XIXe siècle qui découvrira finalement le poète, d'abord l'Enfer, ensuite la Divine Comédie et finalement son oeuvre complète. Je me permets de résumer cette réception (11) selon les étapes suivantes : on ignore Dante à la Renaissance et au siècle classique; sa découverte (on le voit avec Voltaire) est néo-classique; sa lecture est ensuite romantique : Lamartine lit l'Enfer avec enthousiasme, mais n'en pense pas moins la même chose que Voltaire et le dit ! Or, toute la première moitié du siècle va multiplier les traductions française de Dante à la suite de la traduction de Rivarol (1783) — la version de « prose noble et bienséante » (Scialom) —, qui sera le Dante des romantiques. D'après Marc Scialom, ce seront d'abord les traductions créatrices, puis les traductions académiques. La traduction de Jacques-André Mesnard se situe, en 1854, à l'ultime limite du premier mouvement, après les traductions d'Artaud de Montor (1811), Fiorentino (1840), Brizeux (1841) et Rhéal (1843). À partir de 1860, les traductions de Fiorentino et de Brizeux se seront imposées et connaîtront de très nombreuses réimpressions et rééditions (respectivement 20 et 17 jusqu'à nos jours). Suivront les traductions académiques. Ducasse ne les aura pas connues. Il ne se doute donc pas que Dante est un « monument littéraire », comme on peut le dire d'Homère.

      En revanche, on voit que la première traduction qu'il aura lue (si tant est qu'il en a lu d'autres) est celle d'un amateur, car c'est ainsi qu'on peut caractériser maintenant la traduction de Mesnard, la dernière et certainement la plus caractéristique des « entreprises créatrices ».


II
Les excréments humains

      Un an plus tard. Plusieurs mois en tout cas séparent la rédaction de l'ouverture du Chant premier et la huitième strophe du Chant 2. C'est la seconde fois que le rédacteur reprend explicitement l'Enfer de Dante, comme on le voit aux six rapprochements qui peuvent être faits avec des passages des chants 12, 18, 22, 32 et 34 (voir ces passages à la n. (2) de l'édition de la strophe 2.8). Dans aucun cas, Dante n'est cité au texte, ce qui se verrait à travers n'importe quelle traduction du texte italien.

      Or, l'étude de sources met au jour un problème très simple : la désignation des excréments humains (p. 88: 19), qui est totalement étrangère à la lettre de la traduction de Jacques-André Mesnard, et pour cause ! « Merde » et « excréments », on s'en doute, ne font pas partie de son vocabulaire. Et on doit admettre qu'« immondices », « vidanges » et « ordures » font l'affaire. Cela dit, Ducasse, lui, nous ramène à l'original, ou presque, en situant le Créateur sur un trône « formé d'excréments humains ».

      Dès lors, la question se pose : Isidore Ducasse a-t-il ouvert une autre traduction de l'Enfer avant de rédiger cette strophe ? On peut fort bien supposer qu'il avait fait une première lecture de l'oeuvre (ou des premiers chants de l'Enfer, puisque c'est un vers du Chant 2 qui est cité à l'ouverture du Chant premier), avant d'entreprendre sa rédaction. Il aurait lu la traduction de Jacques-André Mesnard en bibliothèque. L'année suivante, on peut penser qu'il s'est procuré une autre traduction de l'ouvrage, qu'il a relue avant de rédiger son chant 8. Laquelle ?

      Elisabetta Sibilio a publié en 1999 une étude des passages de l'Enfer évoqués dans les Chants de Maldoror, essai repris en volume en 2006 sous le titre Lautréamont, lettore di Dante qui a été traduit en 2008, Lautréamont, lecteur de Dante, comme il se doit (12). Entre la publication de l'article et sa réédition en volume, elle a consulté mon travail dans le présent chapitre (le 30 juin 2005), et elle le cite d'ailleurs très positivement. Elle est toutefois restée persuadée qu'Isidore Ducasse lisait Dante dans la traduction de Pier-Angelo Fiorentino — ou du moins qu'il a utilisé deux traductions, celle-là et celle de Mesnard, puisque j'en fais la démonstration. Son « Dante de Lautréamont », si je puis dire, est assez différent de mon « Dante de Ducasse », notamment parce qu'Elisabetta Sibilio voit les choses globalement et, pour ainsi dire, rétrospectivement; elle imagine en effet qu'Isidore Ducasse s'était proposé, dès le départ, de réécrire l'Enfer, entre la comparaison des grues (figure de la lecture) et celle des étourneaux (figure de l'écriture), qu'on trouve toutes deux en enfer (5: 40-49). Peut-être parce que je suis pas à pas la création de l'oeuvre, je pense plutôt que si la comparaison du vol des étourneaux rappellera celle du vol des grues, celle-ci ne l'annonçait nullement, notamment parce que la seconde sera d'une toute autre nature, un collage, bien éloignée de la création « dantesque » de la strophe initiale. Elle n'était surtout pas prévue, encore moins préméditée.

      Il en va de même pour la thèse que le Dante de Lautréamont soit celui de Fiorentino. Son hypothèse précède non seulement mon analyse, mais la sienne propre, puisqu'elle s'est procuré deux éditions de la traduction (Hachette, 1881, et une antérieure, non datée, chez Verda, celle qu'elle cite, cf. p. 24, n. 23), sans dire en quoi les textes des deux traductions sont différents, en regard de celui de Ducasse, et sans le confronter au texte d'aucune autre traduction française. Or, la conjecture repose en premier lieu sur une circonstance étrangère à l'oeuvre de Ducasse, soit la popularité de la traduction de Pier-Angelo Fiorentino, qui a connu pas moins de 14 rééditions ou réimpression du vivant de Ducasse, depuis sa parution chez Gosselin en 1840, chez Hachette à partir de 1850, dont trois éditions in-folio comprenant les gravures de Gustave Doré (1861, 1862 et 1865). Toutefois, si l'on se souvient que Ducasse a d'abord connu la traduction de Mesnard qui n'a eu qu'une seule édition, il apparaît que le raisonnement conduit à formuler une hypothèse, mais ne peut contribuer à l'établir, ni même à la maintenir, car à ce compte on peut observer que la traduction d'Artaud de Montor, bien que parue six fois seulement chez Firmin Didot, depuis 1812 jusqu'en 1859, aura été plus « populaire » (et la preuve en est que ce sera plus tard la traduction de la maison Marabout en 1962); même chose pour la traduction de Brizeux parue onze fois avant la publication du Chant premier de Ducasse, généralement chez le populaire éditeur Charpentier. Nous voilà donc avec trois hypothèses, quatre, puisque Ducasse pouvait consulter à la date de 1869 pas moins de 150 ouvrages (en comptant toutes les réimpressions et les rééditions) présentant une traduction de Dante (c'est l'entrée 150 de MS qui range les livres par ordre chronologique).

      Le second point développé par Elisabetta Sibilio est un court circuit. Il s'agit d'appliquer aux Chants de Maldoror ce que Pier-Angelo Fiorentino dit de la Divine Comédie dans sa longue introduction. L'exercice est très intéressant du point de vue de la critique littéraire, car E. Sibilio n'a aucune peine à rapprocher les deux oeuvres et à illustrer ce qui en est, à savoir le caractère dantesque de nombreux traits de l'oeuvre de Ducasse. Mais ces rapprochements thématiques et ces traits de genres littéraires ne feront jamais la preuve que Ducasse a lu la préface de Fiorentino et, par conséquent, qu'il a pu avoir sa traduction en main. D'ailleurs, je doute que Ducasse ait jamais pu trouver son inspiration dans un texte théorique de quelque nature que ce soit — notamment dans l'introduction d'une traduction de la Divine Comédie.

      Mais finalement, Elisabetta Sibilio oublie assez vite la traduction de Fiorentino (hypothèse dont son analyse se passerait bien) pour s'intéresser à l'essentiel, le « Dante de Maldoror ». Elle présente donc une excellente synthèse des rapprochements textuels qui ont été faits à ce jour, pour en conclure, très justement — elle est italienne et connaît son Dante ! —, au caractère « étrange » du rapprochement qui s'impose à l'évidence entre les deux oeuvres poétiques, sans qu'on retrouve chez Ducasse, bien entendu, « la splendide musicalité de Dante et [le] lexique retentissant de ses tercets ». Il faut plutôt y « rechercher un substrat de métaphores, de figures et d'images utilisées par Lautréamont dans un autre contexte et, évidemment, avec une fonction, littéraire, mais aussi idéologique, complètement différente » (trad. B. Puttemans, p. 48).

      Mais ce n'est pas parce qu'Elisabetta Sibilio n'a pu démontrer son hypothèse qu'elle ne doit pas être retenue. Maintenant que nous en sommes à la strophe 2.8, avec ces « excréments humains », il me paraît tout à fait légitime de reformuler son hypothèse, non pas celle qui voudrait que Ducasse ait connu la traduction de Pier-Angelo Fiorentino, mais qu'il en ait lu et connu plus d'une, après celle de Jacques-André Mesnard.

      Il n'est pas urgent de reprendre le dépouillement des traductions des « excréments humains », comme il l'a été pour le « sentier abrupt et sauvage ». La cause en est que nous nous trouvons dans une situation toute différente. Alors que Mesnard est le seul et unique à donner « abrupt », avec les « excréments » les traducteurs français multiplient les nuances, pour ne pas mettre le tonsuré dans la merde — mais pas tous. Bref, Mesnard se trouve ici en bonne compagnie. Et, par malheur, il n'est pas du tout impossible que Ducasse ait compris Dante à la seule lecture de Mesnard, car, entre nous, des excréments, c'est de la merde, qu'on les désigne comme notre juriste par les mots « immondices », « vidanges » et « ordures ». Cela dit, l'hypothèse que Ducasse utilise ici, au chant 2.8, une autre traduction que celle de Mesnard, pour en venir aux excréments humains, est plus que recevable, le contraire serait même surprenant. Voici un petit échantillon de traductions susceptibles d'avoir été connues de Ducasse, après celle de Mesnard. Il s'agit, je le rappelle, de la traduction des vers 112-117 du chant 18 de l'Enfer.

1780 : « ... et de là mes regards tombèrent au fond de l'impur fossé : je crus voir alors le cloaque du monde. / La foule des ombres confusément jetées dans cet immense égout se soulevait péniblement hors de l'épaisse surface. / Une d'entre elle avait frappé mes yeux, et je la considérais; mais je ne distinguais rien sur sa tête dégoûtante », Antoine de Rivarol, l'Enfer, Paris, Bureau de la publication, 1867, 2 vol.

1812 : « ... j'y vis une foule d'ombres plongées dans un fumier qui me parut le privé de l'univers. Je cherchais des yeux quelque coupable qui me fut connu; j'en remarquai un si chargé d'immondices, qu'on ne pouvait distinguer s'il était laïque ou clerc », Alexis-François Artaud de Montor, l'Enfer, Paris, Firmin Didot, 3e éd., s.d.

1838 : « Là les morts sont plongés dans une fange immonde / où semble se verser tous les égouts du monde. / Je cherchai du regard les criminels : l'un d'eux... / (Tant d'excréments couvraient son front et ses cheveux / Que nul n'eût reconnu s'il fut clerc ou laïque) », Jean-Antoine de Mongis, l'Enfer, Paris, Delagrave, 1876, 3e éd.

1840 : « ... penché sur le fossé, je vis des damnés plongés dans un cloaque où les sentines humaines semblaient s'être vidées. Et comme je cherchai des yeux, je vis l'un d'eux avec la tête tellement souillée d'excréments, que l'on ne pouvait voir s'il était prêtre ou laïque », Pier-Angelo Fiorentino, la Divine Comédie, Paris, Hachette, 1908.

1841 : « Là, nous vîmes, et en bas, dans la fosse, je vis des gens enfoncés dans une fiente qui paraissait sortir des latrines humaines; / Et tandis que je cherchais de l'oeil là dedans, je vis une tête si souillé d'excréments, qu'on ne savait si c'était un laïque ou un clerc », Auguste Brizeux, la Divine Comédie dans OEuvres de Dante, Paris, Charpentier, 1853.

1853 : « Je vis alors au fond de la fosse des âmes en grand nombre, plongées dans des immondices qui semblaient être l'assemblage de tous les excréments humains. Pendant que mes yeux descendaient dans ce cloaque, je vis une ombre dont la tête était si dégoutante d'ordures, qu'on ne devinait pas si c'était celle d'un clerc ou d'un laïque », Victor de Saint-Mauris, l'Enfer, Paris, Amyot.

1854 : « Nous vîmes alors dans les profondeurs de cette fosse une multitude grouillante au milieu des immondices. C'était comme d'immenses vidanges ! Et comme je cherchais des yeux, j'aperçus là-dedans un damné dont la tête était si chargée d'ordures, qu'on ne pouvait savoir s'il était oui ou non tonsuré », Jacques-André Mesnard, la Divine Comédie, Paris, Amyot.

      Si l'on s'en tient strictement à notre syntagme des « excréments humains », c'est la traduction de Victor de Saint-Mauris qui serait maintenant la source d'inspiration de Ducasse. On ne peut pourtant écarter la traduction de Fiorentino, pas plus que celle de Brizeux toutefois, puisque les deux mots se trouvent dans leur traduction, mais dans ce cas Ducasse aurait dû construire le syntagme.

      Le plus sage est donc, dans l'état actuel de l'analyse, de laisser la question ouverte, ainsi : alors que Ducasse a cité la traduction de Mesnard à l'incipit du Chant premier, est-ce que, l'année suivante, il n'aurait pas relu l'Enfer dans la traduction de Victor de Saint-Mauris (plutôt que celles de Brizeux ou de Fiorentino, ce qui est moins probable), avant de rédiger la huitième strophe du deuxième chant ?


Notes et références

(1) On consulte aisément ces commentaires sur l'internet au Dartmouth Dante Project, Darthmouth College et Princeton University, sous la direction de Robert Hollander.

(2) J'ai utilisé les index suivants : H. Merguet, Lexicon zu Vergilius, et Monroe Nichols Wetmore, Index Verborum Vergilianus, Hildesheim, Georg Olms Verlagsbuchhandlung, 1960 et 1961.

(3) The Works of Virgil, édition et commentaires de John Conington, revisée par Henry Nettleship, Hildesheim, Hildesheim, Georg Olms Verlagsbuchhandlung, 3 vol., 1963. Pour les traductions françaises, je me suis aidé de la traduction de Maurice Rat, que j'ai souvent reprise mot à mot, surtout lorsque les sens à l'étude n'étaient pas en cause : l'Énéide (Paris, Flammarion, coll. « Garnier-Flammarion », 1965).

(4) La première version de ce dépouillement a été réalisée en 1999, à la suite d'un appel lancé au groupe de discussion Balzac (Université de Montréal), groupe interactif d'échanges électroniques sur la littérature française (le 9 octobre 1999). Les premières versions de cette bibliographie ont été établies avec l'aide précieuse de Marc Cogan, spécialiste de Dante à la Wayne State University (voyez le livre qu'il venait de faire paraître à ce moment : the Design in the Wax : the Structure of the « Divine Comedy » and its Meaning, The William and Katherine Devers Series, « Dante Studies », no 3, 1999, 432 p.). C'est aussi Marc Cogan qui m'a fait connaître le Dartmouth Dante Project. Je remercie également Donald C. Spinelli, qui nous a mis en contact et m'a ensuite guidé dans ma recherche sur l'internet. Enfin, c'est grâce à Isabelle Lachance, étudiante de l'Université McGill, que j'ai pu achever la première version de ma bibliographie : c'est elle qui s'est chargée de dépouiller les quatre premières traductions à la Bibliothèque Nationale de France, lors d'un séjour à Paris en 2000-2001.

(5) Marc Scialom, « Répertoire chronologique et raisonné des traductions françaises de la Divine Comédie (XVe-XXe siècles) », Lingua e Letteratura, « Documenti e ricerche linguistiche », vol. 4, no 7, novembre 1986, p. 121-164. Une première version de ce répertoire se trouvait l'année précédente en annexe à sa thèse de 3e cycle, les Anti-traducteurs : aspects de « la Divine Comédie » en français pendant l'entre-deux guerres (Littérature comparée, Université de Paris IV, 1985). Le répertoire enregistre toutes les publications et toutes leurs rééditions (et même leurs réimpressions lorsqu'elles peuvent être datées) non seulement des traductions proprement dites de la Divine Comédie (intégrales ou partielles), mais de tout ouvrage consacré ou non à Dante qui comprend des traductions inédites ou non du poème. Marc Scialom a ensuite exploité lui-même une première fois les résultats de son travail sur la base d'une compilation statistique dans le cadre des analyses de la réception des oeuvres de Dante en France : « La traduction de la Divine Comédie, baromètre de sa réception en France ? », Revue de littérature comparée (Paris, Didier), vol. 63, no 2 (1989), p. 197-207.

(6) De ces références trouvées sur la bibliothèque électronique de Google, une seule s'est ajoutée à mon dépouillement, no 33. Voici les autres, peu nombreuses sur un travail qui compte plus de 400 entrées, mais suffisantes pour montrer que Google permettrait maintenant de parfaire le dépouillement.
1837 : Antony Deschamps, Poésies, traductions de Dante, Laurent, 345 p. Cf. MS 52, no 13 ci-dessus.
1873 : Comte de Séguier, Épilogue de « la Divine Comédie » : l'Enfer, un Coin de Paradis et incidemment une âme du Purgatoire, Mexico, Diaz de Léon et White [ce n'est toutefois pas une traduction].
1913 : l'Enfer, trad. Ernest De Laminne, signalé au fichier de la BNP, no 51 ci-dessus.
1984 : réimp. de la traduction d'Alexandre Cioranescu, MS 378.

      Je conserve cette note pour marquer ma dette à la bibliothèque électronique de Google.

(7) Il ne reste qu'une traduction à trouver : Anonyme - 1844

(8) J'ai consulté, sur les serveurs de la BNP le World Bibliographical Information System de K. G. Saur où j'ai trouvé une dizaine de notices sur J.-A. Mesnard, notamment celle de la Nouvelle Biographie générale de J. C. F. Hoefer, le Dictionnaire des parlementaires français de A. Robert et G. Cougny, et les Notices sur le personnel du Tribunal et de la Cour de cassation, dont celle de J.-A. Mesnard se termine par une bibliographie de ses oeuvres.

(9) Charles-Augustin Sainte-Beuve, « La Divine Comédie traduite par M. Mesnard, premier vice-président du Sénat et président de la Cour de Cassation », compte rendu du premier volume, l'Enfer, 11 décembre 1854, Causeries du lundi, Paris, Garnier, 3e éd., s.d., vol. 11, p. 198-214.

(10) Eugène Bouvy, « La critique dantesque au XVIIIe siècle : Voltaire et les polémiques italiennes sur Dante », Revue des Universités du Midi, nouv. série des Annales de la Faculté des Lettres de Bordeaux, t. 1 (17e année), no 3, juillet-septembre 1895, p. 295-334.

(11) Les travaux sur la réception et les traductions de Dante en France se sont sans cesse renouvelés depuis le XIXe siècle. Les plus importants auront été les suivants, dans l'ordre chronologique. Charles de Robillard de Beaurepaire, De la récente admiration des Français pour Dante, Rouen, Gagniard, 1883, 23 p. Eugène Bouvy, « Dante en France », Annales de la Faculté des Lettres de Bordeaux, t. 1, janv.-mars 1899, p. 33-39. Albert Counson, Dante en France, Erlanger et Paris, Junge et Fontenaving, 1906, 276 p. Marc Scialom, « La traduction de la Divine Comédie, baromètre de sa réception en France ? » (voir la (5)).

(12) En fait, le titre de la publication originale de l'article d'E. Sibilio était bien meilleur (et ne pouvait probablement pas être repris pour l'édition du volume) : « Maldoror all'Inferno », Micromégas (Rome), vol. 26, no 1 (1999), p. 71-86. Lautréamont, lettore di Dante, Roma, Portaparole (coll. « Piccoli Saggi »), 2006, 47 p. + 4 planches (dessins de Gustave Doré), trad. Benoît Puttemans, 2008, 48 p. Voir également son essai sur l'esthétique ou la théorie littéraire de Ducasse dans son oeuvre et son application à la structure de l'oeuvre elle-même, il Futuro della poesia : saggio su Lautréamont, Padova, Unipress (coll. « Biblioteca francese », no 5) 1998, 108 p.

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