I
Le chemin abrupt et sauvage
1. Découverte d'une citation
littérale d'un vers de l'Enfer
Les Chants de Maldoror (chant 1, P 1868,
p. 3, rééd., B 1869, p. 30) s'ouvrent
sur
une citation littérale de l'Enfer, le premier
cantique
de la Divine Comédie de Dante. La citation tient en
quatre mots, le « chemin abrupt et sauvage »,
mais elle est incontestable.
Voici cette ouverture :
« Plût au ciel que le lecteur,
enhardi
et devenu momentanément féroce comme ce qu'il lit,
trouve, sans se désorienter, son chemin abrupt et
sauvage à travers les marécages
désolés de ces pages sombres et pleines de
poison... ».
Le texte de cette ouverture, réédité en volume
l'année suivante, n'a qu'une seule variante, l'addition
d'une
virgule après « sauvage » (P 1869, p. 5: 5), cf. note (2) de cette strophe 1.1.
Cette citation littérale correspond à
une
traduction également littérale (je reviendrai
longuement sur cette question) du dernier vers du deuxième
chant de l'Enfer. En voici le texte italien :
intrai per lo cammino alto e silvestro (I, 2:
142).
Or, il se trouve qu'il n'existe qu'une seule
traduction française qui donne la version de Ducasse. Il
s'agit de la traduction en prose de Jacques-André
Mesnard, dans son édition bilingue de la
Divine comédie, en trois volumes, dont le premier,
l'Enfer, a paru en 1854. C'est donc la source et la source
textuelle d'Isidore Ducasse. Avant d'entreprendre
l'étude systématique du Dante de Ducasse, tout au
long de ce travail d'édition, voici d'abord la
présentation de cette découverte et l'étude de
ce premier vers cité par Ducasse à l'incipit de son
oeuvre.
2. Exposé de la découverte
J'ai trouvé cette citation au cours de
l'été 1999 en me proposant simplement de prendre une
vue d'ensemble de l'influence de Dante sur les Chants de
Maldoror que j'étudiais depuis quelques années.
Comme je lisais la Divine Comédie mot à mot en
italien (quel bel été !), il m'est tout
simplement apparu que le vers qui termine le second chant se trouve
cité littéralement à l'ouverture de l'oeuvre.
Cette découverte posait un problème très
simple : d'où Isidore Ducasse a-t-il tiré cette
traduction, « [j'entrai en un] chemin abrupt et
sauvage » ? Dans quelle traduction française
antérieure à 1868 trouve-t-on cette version du
dernier vers du deuxième chant de l'Enfer ?
Jusqu'à preuve du contraire, il fallait
évidemment en effet écarter trois
hypothèses.
D'abord Isidore Ducasse ne lit pas l'italien et ce
n'est pas lui qui traduit ainsi le texte original; ensuite, si
Ducasse lit l'espagnol, il est bien peu probable qu'il soit parvenu
à une si juste et remarquable traduction en passant par
l'intermédiaire d'une seconde langue romane; enfin, ce
serait un hasard vraiment extraordinaire qu'il se soit
rapproché d'une traduction
« littérale » aussi réussie en
refaisant l'une ou l'autre des multiples traductions
françaises de ce vers.
Il suit qu'on devait pouvoir identifier la traduction
de l'Enfer ou de l'ensemble de la Divine
Comédie que possédait ou qu'a utilisée
Isidore Ducasse dès l'ouverture de ses Chants de
Maldoror. Les spécialistes de l'oeuvre connaissent
depuis longtemps les fragments et les passages des Chants
qui sont inspirés du poème de Dante. Or, avec la
découverte de cette citation littérale, je pouvais
maintenant espérer identifier la traduction que connaissait
Isidore Ducasse. Un renseignement d'une extrême importance.
On imagine aisément les questions qui surgissaient
alors : s'agirait-il d'une traduction en vers ou en prose,
forme que prennent les Chants ? Si on en trouvait le
texte, alors on peut espérer en trouver d'autres citations
littérales, s'il y en a. Est-ce que cette traduction
comprendrait des illustrations ? Sans compter qu'il serait
vraiment passionnant de connaître l'interprétation que
Ducasse aura connue de l'Enfer de Dante — car on ne
trouve pas la moindre allusion aux deux autres cantiques, le
Purgatoire et le Paradis, dans les Chants de
Maldoror, ce qui est évidemment la première
caractéristique du Dante de Ducasse, celui des
romantiques.
Une fois la citation trouvée, il aurait pu se
produire que plusieurs traducteurs donnent la version
« ducassienne » du vers qui nous
intéresse. Or, tel n'est pas le cas bien au contraire, ce
qui explique évidemment qu'aucun spécialiste des
Chants de Maldoror n'ait encore
trouvé la citation, faute de connaître le texte
italien.
La surprise et l'intérêt du vers en
question pour le problème posé ici, en effet, c'est
que les traducteurs le rendent de manières extrêmement
variées. Sur les quelque quatre-vingt traductions
françaises
publiées jusqu'à nos jours, il n'y en a presque pas
de pareilles ! C'est assez extraordinaire et même
très inquiétant pour ceux qui ne peuvent pas lire le
texte italien...
Cela tient au fait que le vers pose une
évidente difficulté d'interprétation, de sorte
que nos traductions françaises, comme toutes les autres
d'ailleurs, reposent non pas simplement sur le texte de vieil
italien de Dante, mais bien sur les analyses et les commentaires de
ses exégètes. Voyons cela.
3. Sur le chemin de l'enfer
Intrai per lo cammino alto e silvestro,
« je m'enfonçai avec lui dans l'abrupt et
sauvage sentier », traduit donc Jacques-André
Mesnard.
Au tout début de l'oeuvre, au premier vers,
Dante se situe « sur le milieu du chemin de la
vie », perdu, égaré. L'oeuvre
entière, pour le remettre sur le droit chemin (grâce
à Béatrice qui intercède pour lui au ciel
où elle se trouve et qu'il ira rejoindre), l'amène
à suivre un étroit sentier qui le conduira
successivement en enfer, au purgatoire et finalement au Paradis,
d'où il reviendra pour rédiger son poème et
témoigner de sa conversion. Au premier chant, Dante est
perdu en forêt et tente d'atteindre une haute montagne
lumineuse qui se trouve à l'horizon, dont il entreprend
bientôt l'ascension. Mais il est successivement
repoussé par le guépard, le lion et la louve.
Désespéré, il va renoncer, lorsque
paraît Virgile, c'est-à-dire (!) l'auteur de
l'Énéide, envoyé comme guide par
Béatrice.
Virgile explique à Dante qu'on ne saurait
quitter la forêt par le chemin qu'il avait pris (du moins pas
avant que le Vautre ne soit venu défaire la
louve !) : « Il te faudra tenir une autre
voie » (1: 91) — ce qui inspire le vade
retro de la première strophe des Chants de
Maldoror et le mot à mot de sa dernière
proposition, celle du chemin détourné.
« Un autre chemin philosophique et plus
sûr » : cf. 1.1, n. (7). Ce que fait Dante, suivant
Virgile, comme il le dit au dernier vers du premier chant :
« Lors il partit et je suivis ses pas » (1:
136).
Le deuxième chant va nous ramener à ce
même vers, à sa reformulation, au vers qui nous occupe
ici, après les hésitations de Dante et les
explications de Virgile qui le convainc finalement de le suivre.
Alors, Virgile reprend sa marche par le sentier
détourné et Dante le suit : intrai per lo
cammino alto e silvestro, mot à mot, sans égard
pour le sens, « j'entrai par le chemin haut et
sylvestre ». Au chant suivant, Dante et Virgile sont
arrivés devant la porte de l'enfer. Le chemin qu'ils ont
suivi est celui qui conduit là, évidemment, mais
c'est déjà le sentier qui permet de descendre la
spirale des cercles de l'enfer.
4. « Intrai per lo cammino
alto e silvestro »
Dans le mot à mot français du vers
italien, « j'entrai par le chemin haut et
sylvestre », on comprend tout de suite les ajustements
qu'il faut en faire pour rendre correctement l'original en
français moderne, à un mot près, alto,
« haut ». Cammino : c'est un
chemin, un chemin détourné, un sentier.
Sylvestre : nous sommes en forêt, d'où le
sens premier de l'adjectif, forestier, mais le chemin
détourné n'est pas tracé, d'où son sens
second bien plus important, « sauvage », et son
troisième sens qu'on devine sans peine,
« âpre »,
« difficile », de sorte que Dante a peur de le
suivre précisément parce qu'il conduit à
l'enfer, « infernal ». Intrai
per : lorsqu'on entre dans un tel sentier, il ne fait pas
de doute qu'on s'y enfonce, mais le choix de ce verbe par J.-A.
Mesnard permet aussi de récupérer une part importante
du sens d'alto, qui va nous occuper maintenant
(« profond »).
En effet, c'est là que se trouve la seule mais
très importante difficulté de ce vers. Quel sens
donner à alto ? La synthèse des
interprétations proposées, du Moyen Âge
à nos jours, présente trois raisonnements
complémentaires : les recoupements internes du mot
alto dans la Divine Comédie, le sens
étymologique depuis le latin altus et surtout ses
emplois littéraires, notamment dans
l'Énéide où le mot se trouve justement
associé à la caverne où s'ouvrent les enfers.
Dans les trois cas, on croyait qu'alto avait dans ce vers le
sens premier de « profond », d'où
généralement on en tirait le sens second
d'« âpre » et
« difficile », ce qui redoublait le sens
abstrait qu'on accordait à silvestro. Je vais
expliquer maintenant comment en reprenant les trois analyses
(interne, étymologique et littéraire), j'en viens
à une conclusion toute différente, à savoir
qu'alto signifie « haut »,
« élevé » et
« escarpé » et que la meilleure
traduction qu'on puisse en donner est précisément
celle de J.-A. Mesnard reprise par Ducasse,
« abrupt ». Isidore Ducasse n'y est pour rien,
bien entendu, et je ne sais pas encore si cette réussite est
significative de la qualité linguistique et
littéraire de la traduction de J.-A. Mesnard, mais je
présente les résultats de mon analyse pour qu'on
puisse apprécier dans toute sa richesse le vers de Dante que
Ducasse cite à l'incipit des Chants qu'il publie donc
sous son augure.
Le chemin des commentateurs de Dante
Dès le début et durant longtemps, les
commentateurs (1) s'accordent
à
traduire alto par « profond »,
« secondo la grammatica » (d'après la
grammaire !), comme le précisait Buti (1385), mais on
se rend vite compte qu'il s'agit plutôt d'une analyse
littéraire. Voici, par exemple, le commentaire de Benvenuto
(1380) : « Unde dicit : « e intrai
per lo cammino alto e silvestro », idest viam, quae
ducit ad Infernum, quae est profunda et aspera, sicut describit
Seneca tragoedia prima et Claudianus in minori, et Statius et
Ovidius, uterque in majori » (traduction :
c'est-à-dire le chemin qui conduit à l'enfer, qui
est profond et âpre, comme le décrit
Sénèque dans ses premières tragédies,
et un peu Stace et souvent aussi bien Claudien qu'Ovide);
l'analyse de Vellutello (1544) est plus explicite encore :
« Entrai per lo camin alto, cioè profondo. Onde
diciamo alto al profondo mare. Silvestro, oscuro, per quel che
dicemmo al principio dell'oscura selva (je traduis :
alto... c'est-à-dire profond; ainsi disons-nous
« haut » dans « haute mer »
[en italien, comme en français]; silvestro, obscure,
comme nous le disions au début de la « forêt
obscure »). Imitando Virgilio nel sesto :
« Spelunca alta fuit, vastoque immanin hiatu Scrupea
tuta lacu nigro memorumque tenebris, Unde locum Graij dixerunt
nomine Avernus, etc. » (Virg. Aen.
6.237-242) » (on verra en détail ce rapprochement
avec l'Énéide plus loin).
C'est à la fin du XVIIIe siècle
seulement, que les commentateurs ajoutent au sens de
« profond », qui s'estompe, celui de
« dangereux » et de
« difficile ». Cela se fait par recoupement
interne. Voici le commentaire de Lombardi (1791) :
« Alto. Prende quí questo aggettivo al
senso medesimo, che nell'ottavo della presente cantica, ove dice
alto periglio (v. 99), e nel ventesimo sesto, dove alto
passo (v. 132) al senso cioè di
« difficile », e
« pericoloso »... »
(Traduction — Alto : cet adjectif prend ici le
sens même qu'il a dans le huitième chant du
présent cantique, où il est question du alto
periglio [grand danger] (v. 99), comme dans le
vingt-sixième chant où alto passo [le pas
difficile] (v. 132) a le sens de « difficile »
et « dangereux »).
Aujourd'hui, les commentateurs font la
synthèse des deux interprétations, en donnant parfois
« profond » comme sens premier (en
suggérant l'idée qu'on s'enfonce en forêt pour
descendre en enfer), mais « difficile » comme
sens second, comme sens abstrait et comme interprétation.
Voici sur ce point le commentaire du texte critique de la
Société dantesque italienne :
« incominciai cammino difficile (arduo) e
selvaggio (sylvestro), cioè rintrai nella selva (che
è simbolo del peccato, in questa vita, e dell'Inferno,
nell'altra)... ». Je traduis :
« j'entrepris le chemin difficile (ardu) et sauvage
(silvestre), c'est-à-dire que j'entrai dans la forêt
(qui est le symbole du péché, dans cette vie, et de
l'Enfer, dans l'autre)... ». Comme on le voit, le sens de
« profond » passe en réalité au
second plan, au profit de « difficile »,
à la faveur du recoupement avec alto passo [le pas
difficile].
En fait, alto passo se rencontre non seulement
au huitième chant (8: 99), mais ici-même, en
tête du second chant (2: 12); et on voit bien que les deux
occurrences s'accordent avec l'alto periglio (8: 99).
Toutefois, il ne s'agit pas à proprement parler du sens de
l'adjectif alto, mais de son interprétation en
contexte et notamment dans sa rencontre avec silvestro,
comme on peut le voir dans cammin silvestro (21: 84) et
selvaggia strada (12: 92), ces chemins sauvages
horribles, dont il est question depuis le tout début
de l'oeuvre, on l'a vu dès la selva oscura (1: 2),
esta selva selvaggia e aspra e forte (1: 5). Bref, en
région de forêt sauvage, voilà un chemin
difficile et dangereux où Dante a peur de s'engager. C'est
ce qu'exprime l'adjectif « sauvage » et, si on
veut l'y ajouter, son renforcement avec alto.
Le chemin « profond » de
Virgile
Revenons donc à notre point de départ,
alto, son étymologie et ses emplois dans l'oeuvre de
Virgile. À l'aide d'une concordance (2), j'ai simplement lu et classé une à
une les quelque 275 occurrences du nom et de l'adjectif
altus par Virgile (3). On
constate
évidemment que le poète emploie fréquemment le
mot et le plus souvent dans le sens premier que lui donnent nos
dictionnaires latins, celui qu'il a encore aujourd'hui dans toutes
les langues romanes (alto signifie
« grand » en
espagnol, et le mot en italien correspond à haut en
français, tous de altus). En français, on
parle encore de la haute mer; en latin, le mot s'employait
absolument comme métonymie pour désigner la mer (on
dit en français, le large). Ensuite, altus
accompagne tout naturellement les ablatifs compléments
circonstanciels de lieu : monte alto, alto
caelo, puppi alta et moenibus altis (la montagne,
le ciel, la poupe des navires et la muraille sont hauts), ce qui
correspond déjà à une trentaine d'occurrences
environ. Il n'était pas difficile de prédire que la
grandeur et la majesté découleraient de cet emploi
(l'ouverture du poème : altae moenia Romae). De
cet emploi absolu, convenu et redondant, l'adjectif s'emploie
ensuite pour marquer soit la hauteur, soit la profondeur, soit les
deux à la fois. On comprend que la haute mer est profonde
(adjectif qualificatif), mais dans le cas des lacs ou des fleuves,
il faut le préciser (adjectif déterminatif). Dans les
contextes suivants, on voit bien que l'adjectif déterminatif
peut signifier tout aussi bien la hauteur que la
profondeur :
Hic portus alii effodiunt : hic
alta theatri
Fundamenta locant alii, immanisque
columnas
Rupibus excidunt, scaenis decora
alta futuris
(Énéide, 1:
427-429).
« Ici certains creusent un port, là d'autres
établissent les fondations profondes d'un
théâtre et taillent dans le roc le haut (grand,
grandiose) décor d'immenses colonnes de la future
scène ». À tel point que, dans certains
emplois, il est impossible de décider entre les deux
« directions », vers le haut ou le
bas :
Turrim [...] convellimus
altis
Sedibus, impulimusque (2: 460,
464-465).
« Nous arrachons la tour de ses hauts/profonds fondements
pour la projeter en avant » : le passage
décrit comment l'immense tour est défaite de sa base,
à la fois haute et profonde, pour qu'elle s'effrondre sur
les colonnes de soldats danaens. Commentaire de John Conington (je
traduis de l'anglais) : « Altis est
généralement mis pour "haut"; mais il peut tout aussi
bien signifier "profond", la tour étant défaite par
en-dessous » (vol. 2, p. 138b).
Et c'est ainsi, avec ce double sens, qu'on parvient
à l'entrée de l'enfer, dans la haute/profonde
caverne. Le mot altus occupe en effet une position
clé dans le réseau thématique conduisant
à la descente aux enfers. Comme c'était
déjà le cas dans l'Odyssée, mais plus
approximativement (l'itinéraire de la maison d'Hadès
est décrit par Circée au chant 10 et Ulysse s'y
trouve au chant 11), la caverne se trouve dans les environs du
golfe de Naple, près du lac Averne :
Ditis tamen
ante
Infernas accede domos, et Averna per
alta
Congressus pete, nate, meos (5:
731-733).
Anchise a son fils Énée : « Cependant
aborde auparavant les demeures infernales de Dis, et, par les
profondeurs de l'Averne, viens, mon fils, t'entretenir avec
moi ». Mais il n'y a pas que ce chemin alto,
« profond », conduisant à l'enfer,
puisque
c'est la qualité propre de l'enfer lui-même, sa porte
(alta ostia Ditis), le seuil qu'on doit passer (limine
alto, 8: 461; 11: 482) pour y parvenir, dans les profondeurs de
la terre (alta terra, 6: 267). C'est apparemment tout le
contexte de notre cammino alto, notre « chemin
profond ». Voici l'enfer, tel qu'il est
représenté sur le bouclier
d'Énée :
Hinc procul addit
Tartareas etiam sedes, alta ostia
Ditis (8: 666-670).
« Plus loin il met encore le séjour du Tartare, la
profonde porte de Dis... », présentation
qu'on trouve identique dans les Géorgiques :
Taenarias etiam fauces, alta
ostia Ditis (4: 467).
« Et encore [par] la gorge de Ténare, [il entre
par] la profonde porte de Dis... ». Il est
complètement indifférent qu'alta ostia soit
pris
ici au sens de haute et grandiose ou de fort enfoncée et
donc
effrayante, les deux sens s'additionnant, puisque la porte
profonde ouvre sur les abîmes de l'enfer.
His actic propere exsequitur
praecepta Sibyllae.
Spelunca alta fuit vastoque
inmanis hiatu,
Scrupea, tuta lacu nigro nemorumque
tenebris,
Quam super haut ullae poterant inpune
volantes
Tendere iter pinnis : talis sese
halitus
atris
Faucibus effundens supera ad convexa
ferebat :
Unde locum Grai dixerunt nomine Avernum
(6: 236-242).
« Cela fait, il s'empresse d'exécuter les
prescriptions de la Sibylle. Il y avait une profonde
caverne monumentale taillée dans le roc en une vaste
ouverture, à l'abri d'un lac noir et des
ténèbres d'un bois. Nul oiseau ne pouvait
impunément voler dans les airs au-dessus d'elle, tant
étaient impures les exhalaisons qui, sortant de ces gorges
noirâtre, s'élevaient vers la voûte du ciel.
Aussi les Grecs ont-ils nommé ce lieu Averne ».
C'est évidemment cette lecture que les premiers
commentateurs de la Divine comédie reportent tout
naturellement sur le cammino alto qu'emprunte Dante à
la suite de Virgile pour se retrouver au vers suivant, au premier
du troisième chant, ici, devant la porte de l'enfer.
Il s'agit d'un très légitime court-circuit
littéraire qui va se perdre peu à peu, chez les
commentateurs, avec la culture classique. Or, la lecture
littéraire n'était pas correcte.
Le chemin « abrupt » de
Dante
En effet, les « derniers vers »,
celui de chacun des deux premiers chants, indiquent bien le chemin
qui mène à l'enfer du troisième chant, mais ce
chemin n'est pas celui qui conduit à l'enfer
gréco-latin. Au contraire, Dante prend grand soin de ne pas
situer géographiquement l'enfer chrétien. Plus
encore, il dessine une situation topographique qu'il est impossible
d'associer à l'Averna per alta et le cammino
alto, sera au contraire une voie détournée,
puisque Virgile explique à Dante qu'on ne saurait parvenir
à la montagne lumineuse par le chemin qui y mène
naturellement, directement. Par ailleurs, les vers qui nous
intéressent, comme on le voit, ne sont pas associés
à l'enfer, mais au chemin qui y conduira, finalement, ce qui
est tout autre chose. Or, le contexte qui inspire Dante se trouve
également dans l'Énéide, et
parfaitement bien illustré, au détour d'une
comparaison.
La voici :
Ac velut ille, prius quam tela inimica
sequantur,
Continuo in montis sese
avius abdidit altos
Occiso pastore lupus magnove iuvenco...
(11: 809-811).
Il s'agit d'une comparaison psychologique, s'appliquant au
comportement d'Arruns, en exposant la conduite du loup qui prend la
fuite. « Ainsi avant que les traits de l'ennemi le
poursuivent, un loup qui a tué un berger ou un jeune taureau
puissant, court tout de suite se cacher, par des sentiers
détournés, sur de hautes
montagnes ». Avius : inaccessible,
là où il n'y a pas de chemin frayé;
s'appliquant aux personnes : errant. Comme le loup s'enfonce
errant dans les montagnes, se perdant pour se sauver. Dans
cet exemple, in montis altos, l'adjectif se trouve dans un
contexte fréquent et significatif de
l'Énéide où il a son sens redondant
proprement épique (on l'a vu plus haut, dès le
début de l'analyse), altos montis/montibus,
l'adjectif qualificatif accompagnant fréquemment des noms de
montagne. L'adjectif prend même une fois à lui seul
le sens de montagneux : Creta in alta (5: 588),
désignant les montagnes et les falaises de la Crète.
Enfin, s'il voisine le sens de « profond » en
s'appliquant aux bois, aux boisés et aux forêts (ex
alto luco, 7: 95; lucos in alto, 11: 740), le fond du
bois, la profondeur de la forêt s'imaginent tout aussi bien
en pays montagneux, tout comme les gîtes et repaires des
lions et autres bêtes sauvages (stabula alta, 6: 179;
9: 388; et 10: 723).
Dans cette topographie, qui est
précisément celle des deux premiers chants de la
Divine Comédie, nous sommes encore bien
éloignés des portes de l'enfer, qu'on imagine
d'ailleurs là-haut, dans l'une des grottes des montagnes,
supera ab alta (6: 787), des hauteurs supérieures.
Si nous reprenons de ce point de vue le vers de Dante,
intrai per lo cammino alto e
silvestro,
on n'en trouvera pas en français de meilleure traduction que
celle de J.-A. Mesnard qu'a cité Ducasse à l'incipit
des Chants de Maldoror et qui en est donc une remarquable
interprétation,
je
m'enfonçai dans l'abrupt et sauvage sentier.
Or, M. Olivier Sers (avocat de Poitiers, que je me plais à
imaginer aujourd'hui dans le bureau qu'occupait, J.-A. Mesnard,
puisque c'est là qu'il a commencé sa
carrière), me fait remarquer que l'adjectif convient
d'autant mieux qu'« abrupt » est
déjà en latin, dans le même contexte, un
synonyme d'« alto » : « Ergo
abrupta palus multos discessit in amnes »,
« donc le marais aux pentes raides se divise en de
nombreux fleuves », Lucain, Pharsale, trad.
C.U.F.), et avec les mêmes sens seconds.
Bien entendu, cette conclusion peut paraître
suspecte, précisément parce qu'elle conduit
exactement au point de départ, la traduction du vers par
J.-A. Mesnard
citée par Ducasse. Cela dit, je ne vois pas de
raison d'en faire une gloire ni pour l'un ni pour l'autre, du moins
pas avant d'avoir pu montrer d'une part que la qualité de
cette traduction se confirme pour l'ensemble de l'Enfer et,
encore plus improbable, que Ducasse l'ait choisie
précisément pour cette raison. — On reviendra
d'ailleurs sur ce point après avoir
énuméré toutes les traductions
françaises de notre fameux vers, des origines à nos
jours.
En revanche, on peut à bon droit se demander
comme moi comment un éditeur d'Isidore Ducasse peut
réaliser une étude des traductions du Dante pour
trouver finalement la source du poète italien dans un
contexte particulier de l'Énéide de Virgile,
alors que ce professeur de littérature française n'a
rien d'un spécialiste de Dante et encore moins de
Virgile ! La réponse à cette question est toute
modeste, même si je suis forcément assez content des
résultats de mon travail. En effet, il est rare qu'on
trouve du nouveau, qu'on fasse la moindre découverte ou
qu'on établisse une conclusion nouvelle, par hasard, sans la
mise en place d'une dynamique de recherche. Aussi, je ne suis
nullement spécialiste de Dante ou de Virgile, mais bien d'un
vers et d'un seul de la Divine Comédie et, pour mieux
dire encore, d'un mot de ce vers, alto !
Éditeur de Ducasse et lecteur de Dante, j'ai
consacrée de belles heures au plaisir de relire mon
Énéide dans l'ordre alphabétique des
contextes de l'adjectif altus, situant le moindre
complément circonstanciel dans le développement en
cours. À la lettre « c », j'ai
trouvé Creta in alta et à
« m », in montis altos, ce loup, qui
dans une métaphore suivait manifestement (l'exemple de)
Dante et Virgile, sur ces sentiers abrupts.
Bien entendu, ces sentiers conduisent à
l'analyse de la traduction de Mesnard en regard de son utilisation
par Ducasse dans les Chants de Maldoror. J'y reviendrai
donc à la huitième strophe du Chant 2 (2.8), la
deuxième strophe à s'inspirer de
l'Enfer : ce
sera l'objet de la seconde section de cet essai, ci-dessous.
5. Chronologie des traductions
françaises du vers I,2: 142
Avec la collaboration de Paul Bitner
Voici toutes les traductions françaises de ce
vers que j'ai pu colliger (4).
Comme j'ai
entrepris ce travail avant de connaître le répertoire
de Marc Scialom (5), ce qui
m'aurait
facilité le travail, j'ai pu constater que je n'avais
trouvé aucune traduction française qui n'y figurait
pas, tandis qu'au contraire, mon relevé était bien
incomplet avant d'utiliser le sien. En
revanche, comme j'ai ensuite utilisé la bibliothèque
électronique de Google (« Recherche de
livres », soit RLG) afin de poursuivre mon
dépouillement du vers à l'étude, j'y ai
trouvé quelques nouvelles
références, assez pour comprendre que le
répertoire de Marc Scialom n'est pas encore tout à
fait exhaustif (6). C'est à
ce
répertoire de 422 entrées que revoie le sigle
« MS ».
Le sigle « PB »
renvoie pour sa part à l'ouvrage encore inédit de
Paul Bitner,
Dante en France. Il s'agit d'un répertoire
chronologique des traductions et des traducteurs de Dante en
français, contenant les manuscrits,
éditions princeps, rééditions, éditions
illustrées, ainsi qu'une biographie des traducteurs et la
notification des choix formels de traduction. L'étude sera
augmentée d'une bibliographie générale des
ouvrages écrits sur Dante en français et de
l'ébauche d'un index des oeuvres picturales, musicales,
scéniques ou artistiques crées ou diffusées en
France ou en français inspirées par Dante. L'auteur
a
complété et corrigé la présente
chrono-bibliographie
dans une série d'échanges par courrier
électronique de juin à septembre 2016. Il s'agit
donc de la troisième vague de dépouillement
bibliographique qui confirme encore que
Jacques-André Mesnard aura été le seul
à qualifier d'« abrupt » le
chemin qui conduit à l'Enfer. Les fanatiques d'Isidore
Ducasse lui seront reconnaissant de sa contribution, tandis que les
spécialistes des oeuvres de Dante attendent
maintenant la publication de son répertoire. — On
rejoint l'auteur à
l'adresse
dante.enfrance@sfr.fr.
Et il ne reste plus qu'une seule
traduction qui n'a pu encore être
consultée (7). Lorsqu'une
réédition se trouve en référence, on
comprendra que c'est elle qui a été
consultée. Sauf indication contraire, la traduction est en
vers.
Gallica : il s'agit de la bibliothèque
virtuelle de la BNF;
MS : renvoie au
répertoire de Marc Scialom; cf. n. (5);
PB, désigne le répertoire
inédit de Paul Bitner et par conséquent sa
collaboration à ce dépouillement bibliographique
(voir ci-dessus);
RLG : « Recherche de
livres » de Google.
Chronologie
14??, fin du XVe siècle :
« Pour le
suyvre ientray la voye
haute et silvestre », la Divine Comédie,
d'après un manuscrit du XVe siècle, traduction
anonyme de l'Enfer, manuscrit de la
bibliothèque de l'Université
de Turin. Transcription de Charles Casati de Casatis en 1873
(trad. des
chants II et IV de l'Enfer, extrait des Mémoires
de
la Société des sciences de l'agriculture et des arts
de Lille, année 1872, 3e série, 10e volume,
Lille,
Danel, 28 p. MS 1 et 160) et
d'Émile Littré en 1879 (en appendice à sa
traduction de l'Enfer). PB. [1
15??, début du XVIe siècle :
« Ainsy lui dis, et puis qu'en voye le vis
mettre, / J'entray dans le chemin noir, sauvage et
champestre ». Anonyme de la bibliothèque de
Vienne (Ms 10201). La transcription est d'Émile
Littré en 1879. PB. [2
1596 : « Commençant à
marcher j'entre d'un coeur avide / Par le profond, obscur &
sauvage chemin », Balthazar Grangier, la Divine
Comédie, Paris, Drobet; rééd. en 3 vol.,
Jehan Gesselin, 1597. MS. 9. [3
16??, première moitié du XVIIe
siècle : « Je luy parlay ainsi et apres qu'il se
fut mis en
mouvement J'entray avec lui par le chemin qui est et profond
et sauvage » (la traduction est en prose; avec la
majuscule, on passe à la nouvelle page). Philippe Auguste
Le Hardy (16??-1691), marquis de La Trousse, reproduction du
manuscrit
inédit sur le site internet de la Bibliothèque
municipale de Toulouse (numerique.bibliotheque.toulouse.fr). PB.
[4
1776 : « Dès que Virgile eut
fait
quelques pas, j'entrai dans un chemin profond & obscur »,
Julien-Jacques Moutonnet de Clairfons, l'Enfer, trad. en
prose, Florence et Paris, Leclerc et Le Boucher Libraires,
577 p. MS 26. [5
1783 : « Ainsi parlai-je; et l'Ombre
étant descendue, je la suivis dans un sentier sauvage et
ténébreux », Antoine de Rivarol,
l'Enfer, trad. en prose, Paris, Mérigot et Barrois,
première édition complète, qui n'identifie pas
le traducteur. La première publication des chants 1-8 de
l'Enfer en 1780 me contenait pas la fin du chant 2.
Dans
les éditions modernes, l'« Ombre »
perdra sa majuscule. Ces rééd. seront très
nombreuses : Paul Bitner n'en dénombre pas moins,
à ce jour !, de
vingt-quatre
jusqu'en 2009 dont il n'est pas facile de distinguer les
réimpressions sous diverses formes plus ou moins proches de
la réédition (ajout de préfaces, notes,
appendices, etc.), chez au moins cinq éditeurs (dont celle
de la Bibliothèque nationale à partir de 1867
(MS 27-28). Cela dit, il y a une chose qui ne change
pas : le sentier qui conduit à l'Enfer, toujours
sauvage et ténébreux ! PB. [6
1796 : « Dans le moment, nous nous
mîmes en marche, et nous entrâmes dans un chemin
sauvage
et escarpé », Paul Édouard Colbert
d'Estouteville (la page de titre porte : Détouville),
petit-fils de Colbert, traduction manuscrite datée de 1751,
imprimée pour la première fois en 1796, Paris,
Sallior
(successeur de Didot Jeune), an IV de la République.
MS 32. [7
1811 : « Il ne craint plus ni les
dangers
ni la fatigue; son guide marche, il le suit »,
Pierre-Louis
Ginguené, Histoire littéraire d'Italie,
vol. 2, Paris, Michaud; rééd., 1824, p. 34.
MS 39. — Comme il s'agit d'un résumé fait
de paraphrases et de citations, le fragment n'est consigné
ici
que pour mémoire. [8
1812 : « et je le suivis dans un chemin
tortueux et sauvage », Alexis-François Artaud de
Montor (1772-1849), trad. en prose de l'Enfer, Paris, Smith
et Schoell, 446 p. (le Paradis était paru en
1811,
et le Purgatoire paraîtra en 1813);
rééd.,
Firmin-Didot, 1828-1830, 9 vol.; troisième éd. (du
vivant de l'auteur) de 1846 en 1 vol., puis 1849 (sur
Gallica);
enfin, peut-être une 10e éd., Paris, Garnier 1879,
donne ce même texte.
MS 40, mais il faudra se reporter à PB pour un
dépouillement systématique des éditions,
rééditions et réimpressions. [9
1817 : « Je me tais : il avance,
et je marche après lui / Dans un profond sentier de
l'aride contrée / Qui cache des Enfers la
ténébreuse entrée », Henri
Terrasson, l'Enfer, Paris, Pillet, 376 p. MS 43.
[10
1823 : « J'entre dans le chemin profond
et solitaire », Brait de la Mathe, l'Enfer, Paris,
Bossange, 467 6. MS 46. [11
1824 : « Et j'entrai avec lui dans un
lieu profond et obscur », John Charles Tarver,
l'Enfer, trad. en prose, Londres, C. Knight, 2 vol;
rééd., Londres, Dulau, 1826. MS 48-49. [12
1829 : « Je m'enfonçai soudain
dans la pénible voie », Antoni Deschamps
(Antoine-François-Marie Deschamps de Saint-Amand), la
Divine Comédie (traduction de 20 chants), Paris,
Gosselin. MS 52. Rééd. la même
année, mais sans les lithographies de l'éd.
originale, puis dans Poésies d'Antoni Deschamps,
Bruxelles, Laurent, 1837. PB. [13
1831 : « J'entre dans le chemin
pénible et redouté »,
Joseph-Antoine de Gourbillon, l'Enfer, Paris, Auffray,
XVI-376 p. MS 53. [14
1835 : « Et moi je le suivis dans un
sentier maudit »,
Charles Calemard de Lafayette, l'Enfer, Paris, Paul Masgana,
2 vol., 1835-1837. MS 55. [15
1837 : « Je dis, et dans la route
profonde et sauvage / Quand Virgile est entré, sur ses
pas je m'engage ».
Auguste (François-Auguste-Agatocle-Urbain) Le Dreuille,
l'Enfer, Paris, chez l'auteur, Imprimerie Fain. MS 58.
[16
—— Les pages 10-11 manquent sur Gallica :
collées l'une sur l'autre, elle ont été
sautées par le scanneur.
1838 : « J'entrai dans le chemin
profond,
sombre, sauvage », Jean-Antoine de Mongis,
l'Enfer,
Paris, Gustave Barba, 386 p.; rééd., Paris,
Delagrave, 1842 et 1846. « J'entrai dans un chemin
profond,
sombre, sauvage » (je souligne la variante), la Divine
comédie, Paris, Delagrave, 1857 et 1876, 620 p.
MS 60 et 167, PB. [17
1840 : « J'entrai dans le chemin raide
et sauvage », Pier-Angelo Fiorentino (1809-1864), la
Divine Comédie, traduction en prose, première
édition, Paris, Charles Gosselin. MS 65. C'est encore
la version de l'édition Hachette, 1850, 6e éd.,
1858. MS 104 et 117. Voir les deux nouvelles versions, en 1861. [18
1841 : « J'entrai dans le chemin
profond
et sauvage », Julien Pélage Auguste Brizeux
(1803 -
1858), la
Divine
Comédie, trad. en versets, Paris, Charpentier,
rééd. de 1886. MS 67 (la rééd. de
1886 devrait figurer entre les nos MS 186 et 207, 1883 et
1891).
[19
1842 : « Je le suis au chemin
ténébreux et profond », Eugène
Aroux,
la Divine Comédie, Paris, Blanc-Montanier et Michaud,
2 vol.; nouvelle traduction, Héritiers Jules Renouard,
1856-1857, 3 vol. MS 72 et 108. — La
première
édition, que je n'ai pas vue encore, sera bientôt
publiée sur Gallica. [20
1843 : « Je m'engageai dans le sentier
tortueux et sauvage », Sébastien Rhéal
(Sébastien Gayet de Cesena), la Divine
Comédie,
Paris, Lavigne, 1843-1854. MS 75. Voir la version de 1854 [21
1844 : Traduction à consulter,
anonyme, l'Enfer, Paris, Prévôt. MS 80.
[22
1846 : « J'entrai dans le chemin
ténébreux et sauvage »,
Hyacinthe Vinson de la Gironde, Études et souvenirs
(l'ouvrage contient la traduction des trois premiers chants de
l'Enfer, Bordeaux, Laplace, p. 7-50,
rééd.,
161 p.; l'Enfer, Paris, Hachette, 1887,
232 p. MS 88 et 199. [23
1852 : « Et les voilà
s'enfonçant dans le sentier âpre et
sauvage ». Paraphrase de notre vers par le baron Paul
Drouilhet de Sigalas dans De l'art en Italie : Dante
Alighieri et « la Divine comédie »,
Paris, Firmin Didot, p. 346 (mais le fragment n'est pas repris
dans la rééd. de 1853). PB. [24
1852 : « Nous entrons au chemin sauvage
et tortueux », Louis Rastibonne, l'Enfer, 2 vol.,
1852-1854, Paris, M. Lévy frères; la Divine
Comédie, 1856-1860, 6 vol., 3e éd., 1865-1870, 3
vol. MS 93 et 140. PB. [25
1853 : « J'entrai sur ses pas dans un
chemin escarpé et sauvage », Victor de
Saint-Mauris,
la Divine Comédie, trad. en prose, Paris, Amyot.
MS 95. [26
1854 : « Et je m'enfonçai avec
lui dans l'abrupt et sauvage
sentier », Jacques-André Mesnard, traduction en
prose, édition bilingue, Paris, Amyot, 3 vol., 1854-1857.
MS 101.
C'est la seule traduction qui donne « abrupt »,
au XIXe siècle,
comme on le trouve à l'incipit des Chants de
Maldoror.
[27
—— L'ouvrage se trouve à la bibliothèque
de l'Université de Montréal (et je possède une
copie pdf du premier volume, l'Enfer). Les trois volumes se
consultent sur Gallica de la BNF.
1854 : « Je m'engageai dans le sentier
profond et sauvage », Sébastien Rhéal
(Sébastien Gayet de Cesena), la Divine
Comédie,
3e éd., annotation de Louis Barré et illustration
d'Antoine Etex, Paris, J. Bry
Aîné, 1854, 204 p. MS 98. Voir plus haut la
version de 1843 [28
1855 : « J'entrai dans le chemin
profond
et sauvage », Félicité-Robert de Lamennais,
publication d'E. D. Forgues, la Divine Comédie, dans
les
OEuvres posthumes de Lamennais, Paris, Paulin et Chevalier,
1855-1856, 3 vol. trad. en prose; rééd., Paris,
Marpon
et Flammarion, nouv. éd., 1883. MS 103 et 185. [29
1861a : « J'entrai dans le chemin
roide
et sauvage », Pier-Angelo Fiorentino, trad. en prose de
l'Enfer, Paris, Hachette, in-folio, première
édition illustrée par Gustave Doré.
MS 126.
— Voir l'entrée suivante et la version initiale de
Fiorentino en 1840. [30
1861b : « J'entrai dans le chemin haut
et sauvage », Pier-Angelo Fiorentino, trad. en prose de
la
Divine Comédie, 11e et 12e éd., Paris,
Hachette,
1877 et 1881; même version dans l'édition de 1908.
MS 125 et 128, respectivement 1860 et 1862. [31
1862 : « Je m'enfonçai dans cet
âpre chemin », Victor de Perrodil, OEuvres
poétiques, vol. 4, l'Enfer du Dante, Paris,
Didier. MS 130. [32
1866 : « Et le coeur enhardi, il entre
avec Virgile dans un chemin sauvage et profond qui va les conduire
jusqu'aux portes de l'enfer », Daniel Stern (pseud. de
Marie de Flavigny),
comtesse
d'Agoult, Dante et Goethe, dialogues, Paris, Didier,
450 p., p. 104-105. — L'ouvrage n'est pas
répertorié dans MS. Il ne s'agit pas d'une
traduction, mais ce commentaire « traduit » les
deux derniers vers du Chant 2 de l'Enfer. PB. [33
1867 : « J'entrai par le sentier
ténébreux et sauvage », François
Villain-Lami, la Divine Comédie, Paris, Lacroix et
Verboeckhoven. MS 145. [34
1873 : transcription des chants II et IV de
l'Enfer du manuscrit de Turin par Charles Casati de Casatis.
MS 1 et 160. Cf. no 1. PB. [35
1873 : « Il prit alors la route
hérissée : / J'accompagnais, surmontant ma
terreur », Amédée Jubert, les trois
premiers chants de l'Enfer; puis l'intégrale de
l'Enfer, 1874, et rééd. 1884, toujours
à Paris, Berger-Levrault. Se trouve sur Gallica.
MS 162. PB. [36
1874 : « J'entrai dans le chemin
rocailleux et profond »,
René Alby, l'Enfer, Turin et Milan, Union
Typographique de Turin, 2 vol. (on trouve les trois premiers chants
au
premier
volume et le chant 4 au vol. suivant. MS 159.
[37
1876 : « J'entrai dans le chemin
mystérieux, sauvage », Hippolyte Topin,
Diversités littéraires, proses et vers,
Livourne, Meucci, p. 203. MS 166. À noter que
l'auteur a déjà publié sa traduction du chant
II dans le « Discours préliminaire » de
la Divine Comédie de Dante Allighieri [sic] :
le
Paradis, Livourne, Guillaume, 1862. PB. [38
1877 : « J'entrai dans le chemin
profond
et sauvage », Francisque Reynard, la Divine
Comédie, Paris, Lemerre, 2 vol. MS 168.
[39
1879 : « Ens au chemin j'entrai haut et
silvestre », Paul-Émile Littré, trad. en
ancien français de l'Enfer, Paris, Hachette.
MS 172. [40
1882 : « J'entrai dans le chemin
profond,
sauvage et noir », Adrien Bonneau du Martray,
l'Enfer : cinq chants mis en vers (il s'agit des cinq
premiers chants), Paris-Auteuil, Apprentis-Orphelins. MS 182.
[41
1886 : « Et j'entrai dans le sombre et
sauvage ravin », Pierre Denis
Borné, la Divine Comédie, édition de
l'auteur, 3 vol., hors commerce. MS 195. PB. [42
1886 : « Et je le suivis dans les
profondeurs de la forêt sauvage », Henri Dauphin,
la Divine Comédie, Amiens et Paris, Jeunet et Armand
Colin. MS 194. [43
1887 : « Virgile s'avança et je
le suivis dans un chemin tortueux et sauvage »,
anonyme, la Divine Comédie, trad. en prose, Paris,
Blériot et Gautier (successeur). MS 198. [44
—— Il s'agit, en fait, de brefs sommaires des chants
qui ne font jamais plus d'une page.
1889 : « J'entrai par le chemin haut et
sauvage »,
Auguste-Jean Boyer d'Agen, les Fleurs noires, trad. de
l'Enfer (chant 1 à 5), Paris, Havard, 360 p.,
p. 181-211. MS 201. [45
1891 : « Et ils entrent tous deux dans
le chemin "profond et sauvage" qui conduit en Enfer »,
paraphrase d'Édouard Rod dans son ouvrage de vulgarisation,
Dante, Paris, Lecène et Oudin, rééd.,
1897, p. 99. Les judicieux guillemets sont de l'auteur. PB.
[46
1894 : « Et ils se mirent en marche par
un chemin
montueux
et sauvage », Maxime Durand-Fardel, la Divine
Comédie, Paris, Plon-Nourrit. MS 216. [47
1900 : « Par le rude chemin
j'accompagnai
Virgile », Amédée de Margerie, la Divine
Comédie, Bray et Retaux, 2 vol.; 2e éd.,
Paris, Téqui, 1913. MS 224 et 253. [48
1908 : « Et sur ses pas, j'entrai dans
le chemin profond et sauvage », Adolphe Méliot,
la Divine Comédie, trad. en prose, Paris, Garnier
frères. MS 241. [49
1912 : « Je le suivis par le sentier
ardu
et solitaire », Louise Espinasse-Mongenet,
l'Enfer,
Paris, Nouvelle Librairie nationale; rééd., Paris,
les
Libraires associés,
1913, 1920 et 1947, rééd., Paris, Porson, 1950
(illustrations d'Édouard Goerg), puis 1965 pour
l'édition posthume
intégrale de la Divine Comédie. MS 247 et
368;
PB. [50
1913 : « Je pénétrai par
le chemin profond et sauvage », Ernest de Laminne, la
Divine Comédie : l'Enfer, Paris, Perrin. Le
Purgatoire paraîtra l'année suivante, chez le
même éditeur.
MS 254 date la parution de 1914. PB. [51
1921 : « Et j'entrai dans le chemin
profond et sauvage », Joachim-Joseph Berthier, la
Divine
Comédie, Paris, Desclée de Brouwer. MS 265.
[52
1921 : « J'entrai dans le chemin
redoutable et sauvage », Henri Hauvette, l'Enfer,
traduction en prose (ou plus précisément en versets),
2 vol., Paris, La Renaissance du livre, 1921-1922.
MS 263.
[53
1922 : « J'entrai dans le chemin creux
et sauvage », André Pératé, la
Divine
Comédie. Paris, Imprimerie Nationale, 1922-1924;
rééd., Paris, L'Art catholique, 1923. MS 269 et
271. Rééd., Paris, Jean de Bonnot, 1971,
réimp. 1987. PB. [54
1924 : « J'entrai dans le chemin
sauvage et dur »,
René-Albert-Charles Gutmann, l'Enfer, Paris,
Léon Pichon, 138 p. MS 275. [55
1930 : « J'entrai dans le chemin
difficile et sauvage », Simone et Louis Martin-Chauffier,
l'Enfer, Paris, La Pléiade (coll. « Les
chefs-d'oeuvres illustrés »), illustrations par
Edy
Legrand. MS 282. [56
1931 : « J'entrai dans le
sentier
sauvage et périlleux », Henri Lognon, la Divine
Comédie, Paris, La citée des livres, 2 vol.,
l'Enfer et le Purgatoire. Garnier (coll.
« Selecta »), nouv. éd.,
cette fois
complète de la Divine Comédie, 1938,
rééd., 1951, 1966. MS 283, PB. [57
1931 : « J'entrai dans le chemin
profond et sauvage », Fortuné Palhories, Dante
et
« la Divine comédie », Paris,
Fernand
Lanore. — Texte abrégé du poème,
paraphrase intégrant des commentaires. PB. [58
1935 : « Et j'entrai, sur ses pas, dans
le chemin profond », Martin Saint-René,
l'Enfer, Paris, Le Soudier; rééd., la
Divine
Comédie, Paris, Le Soudier (coll.
« Bibliothèque des études
poétiques »), 1966. MS 291 et 373. [59
1936 : « Tant l'ardeur d'une foi
nouvelle, et l'espérance / du Salut, m'exaltait, me
rendait confiance ! / Et je sentais mon coeur tressaillir
de vaillance ! », Lucien-Alfred Demelin, la
Divine
Comédie, Paris, Les OEuvres Françaises.
MS 295. — Comme on le voit, l'adaptation en alexandrins
ne correspond pas ici au texte de Dante. MS 295. [60
1938 : « J'entrai dans le chemin tant
profond et sylvestre », André Doderet, la
Divine
Comédie, Paris, Union Latine d'Édition.
MS 299. [61
1941 : « J'entrais dans le chemin
escarpé et sylvestre »,
Robert
Vivier, la Divine Comédie, trad. en prose, Bruxelles,
Labor (coll. « Collection nouvelle des
classiques », nos 14 et 15), XXX-127 p. en
2 vol.
MS 305. PB. [62
1947 : « J'entrai dans le chemin
difficile et sauvage », Alexandre Masseron (1880-1959),
l'Enfer, trad. en prose, Paris, Albin Michel. MS 313.
Rééd., Paris, Club français du livre (coll.
« Les portiques », no 28), 1954.
À noter que l'auteur paraphrasait ainsi le vers en question
quelques années plus tôt : « Et les
voyageurs, prenant un âpre chemin, qui pénètre
on ne sait où, au sein de la terre... », Pour
comprendre « la Divine Comédie »,
Desclée de Brouwer 1939. PB. [63
1960 : « J'entrai dans le chemin
escarpé et sauvage »,Pierre
Ronzy, la Divine Comédie, Grenoble, Roissard, Le
Cercle des
professeurs bibliophiles de France, 1960-1962, 3 vol.
MS 353. [64
1964 : « Alors il se mit en marche, et
je le suivis. »..., Elisabeth de Solms, arrête sa
traduction à l'avant-dernier vers du Chant 2,
Tympans
romans : sud de la France, « Dante :
traduction de Solms ». Paris, Zodiaque. PB. [65
1964 : « J'entrai dans le
pénible et sauvage chemin »,
Alexandre Cioranescu, la Divine Comédie, Lausanne,
Rencontre, 2 vol. MS 378. Rééd., 1968 et
s.d. (1984 ?). PB. [66
1965 : « J'entrai par le chemin haut et
sauvage », André Pézard, dans les
Oeuvres
complètes, Paris, Gallimard (coll.
« Bibliothèque de la Pléiade »).
MS 367. Huit rééd. de 1968 à 2010, sans
compter l'édition illustrée par Nicolas Chenard,
tirage unique de 2002, avec la reproduction du manuscrit
calligraphié de la traduction. PB. [67
1983 : « J'entrai dans le chemin dur et
sauvage », Jacqueline Risset, « Sept chants
(1-7)
de l'Enfer », l'Infini, no 2, p.6-15;
l'Enfer, Paris, Flammarion, 1985; le Purgatoire,
1988; et
le Paradis, 1992. Les rééd. ou réimp.
seront
innombrables. MS 407
et 411. PB. [68
1977 : « Et dans le sentier dur,
raboteux, / J'entrai lorsqu'en chemin je le vis se
mettre », Jacques Parichet, « la Divine
Comédie de Dante (fragments) », la Voix des
poètes, nos 64-65, coll. « Les
Pharaons », nos 29-30 - « L'ultime
odysséee : Dante, collectif ». PB. [69
1987 : « J'entrai dans l'âpre et
sauvage chemin », Lucienne Portier, la Divine
Comédie, Paris, Cerf. PB. [70
1992 : « J'entrais dans le chemin
profond et sauvage comme une forêt »,
François Mégroz, Lire « la Divine
comédie » de Dante, vol. 1,
l'Enfer,
Lausanne, Bibliothèque « L'âge
d'homme ». PB. [71
1995 : « J'entrai par la route abrupte et sauvage »,
Jean-Charles Vegliante, la Comédie, poème
sacré : Enfer, Purgatoire, Paradis, édition
bilingue, Paris, Imprimerie nationale, réimp. 1999 et
2007; traduction révisée, Paris,
Gallimard (coll. « Poésie »), 2012,
réimp. 2014. PB. [72
—— Rien n'indique que la traduction de
J.-C. Vegliante
ait pu être influencée par celle de J.-A.
Mesnard. En revanche, il apparaît que le savant traducteur
s'est livré à un exercice semblable à notre
fameux magistrat amateur de Dante, comme il l'explique en postface
de la collection « Poésie » :
proposer une lecture de la Comédie, dans notre
français moderne, sans le filet d'aucune annotation. Il
s'agit de comprendre et non d'interpréter le
texte italien qu'il suit mot à mot avec sa version
française, poétiquement littérale. Certes, on
peut déplorer le choix de « route » pour
« chemin » qu'on a sous les yeux
(cammino), dans le vers qui nous occupe, car il faut
connaître son étymologie (rupta,
« voie frayée en forêt ») pour
savoir qu'il convient parfaitement ici. Mais les lecteurs du
présent fichier savent que cette « route
abrupte » (avec ses quatre occlusives) est une
belle réussite, digne de celle de J.-A. Mesnard.
1996 : « Et, quand il
s'ébranla / Je pris ce chemin qui loin
pénètre », Kolja Mićević,
l'Enfer, édition de l'auteur. Rééd.
dans
la Divine Comédie, toujours chez l'auteur, 1998. PB.
[73
1996 : « J'entrai dans le chemin rude
et sauvage », Marc Scialom, la Divine
Comédie,
dans les OEuvres complètes, sous la direction de
C. Bec, Le Livre de poche : classiques modernes (coll.
« La Pochotèque »). PB.
[74
2003 : « J'entrai par le chemin haut et
sauvage », la Divine Comédie, Didier-Marc
Garin, Paris, La différence (coll. « OEuvres
complètes »), 2e éd., 2009, 1039 p.
PB.
[75
2006 : « Encore une audace, celle
revigorante de faire le mariole / Et d'enfoncer le chemin tant
profond que sylvestre », Stéphane Bérard,
l'Enfer, chants 1 à 9, Marseille, Éditions
Al Dante, rééd., l'Enfer, traduction
intégrale, 2008. PB. [76
—— Traduction (ou disons plutôt
« transversion ») amusante, comique et
facétieuse.
2007 : « Alors il se mit en marche, et
j'allais sur ses pas », Gérard Luciani, la
divine
comédie (extraits) / Divina Commedia (estratti),
Paris, Gallimard (coll. « Folio bilingue »),
rééd, 2007. PB. [77
—— Comme on le voit, le dernier vers du Chant 2
n'est pas retenu par le traducteur.
2011 : « Ainsi dis-je; il se mit
à marcher et / je pris le chemin abrupt et aride », Alain
Delorme, la Divine Comédie, Saint-Denis,
Éditions
Edilivre (édition électronique ou livre sur papier
à la demande). PB. [78
—— Troisième occurrence de
l'épithèse « abrupt ».
Après le sentier et la route, la voici
appliquée au
chemin. Mais c'est maintenant la seconde
épithète
qui surprend, « aride ». Si cet adjectif nous
éloigne manifestement du texte original, les deux
épithètes s'ouvrent musicalement sur la même
voyelle. Peut-être était-ce l'effet recherché,
de sorte qu'« abrupt » compterait ici moins
pour son sens que sa sonorité.
2011 : « J'entrais sur le chemin
escarpé et sauvage », Guy de Pernon (pseud. de Guy
Jacquesson), l'Enfer, édition électronique
bilingue
(numlivre.fr). PB. [79
2012 : « J'entrai dans le
pénible et sauvage chemin », Didier
Halléppée, la Divine Comédie, Les
écrivains de Fondcombe (coll. « Lettres
classiques) », livre
électronique. PB. [80
2013 : « Ainsi lui dis-je, et lorsqu'il
fut en marche, / j'abordai le sentier sauvage et
dangereux »,
Claude Dandréa, la Divine Comédie ou
« le Poème sacré », Paris,
Orizons (coll. « Cardinales »). PB. [81
2013 : « J'entrai avec lui dans le
chemin horrible », William Cliff (pseud. d'André
Imberechts), l'Enfer,
édition bilingue, Bruxelles, Editions du Hasard (coll.
« Le miroir »), rééd., La Table
ronde (coll. « La petite vermillon »), 2014.
PB. [82
2016 : « Et j'entrai dans cette
âpre profondeur », Danièle Robert,
l'Enfer, édition bilingue, Actes sud (coll.
« Hors collection »). PB. [83
s.d. : « j'entrai dans le chemin raide et
sauvage », trad. en prose de l'éd. Thill,
Bruxelles.
[84
Table des traducteurs
Anonyme de Turin - 14??
Anonyme de Vienne - 15??
Anonyme - 1844
Anonyme de Turin - 1873
Anonyme - 1887
Alby, René - 1874
Aroux, Eugène - 1842
Artaud de Montor, Alexis-François -
1812
Bérard, Stéphane - 2006
Barré, Louis (annotations de) - 1854
Berthier, Joachim-Joseph - 1921
Bonneau du Martray, Adrien - 1882
Borné, Pierre Denis - 1886
Boyer d'Agen, Auguste-Jean - 1889
Brait de la Mathe - 1823
Brizeux, Julien Pélage Auguste - 1841
Calemard de Lafayette, Charles - 1835
Casati de Casatis, Charles, éd.,-
1873
Cioranescu, Alexandre - 1968
Cliff, William - 2013
Colbert d'Estouteville - 1796
Dandréa, Claude - 2013
Dauphin, Henri - 1886
De Laminne, Ernest - 1913
Delorme, Alain - 2011
De Margerie, Amédée - 1900
Demelin, Lucien-Alfred- 1936
De Saint-Mauris, Victor - 1853
Deschamps, Antony - 1829
Doderet, André - 1938
Drouilhet de Sigalas, Paul - 1852
Durand-Fardel, Maxime - 1894
Espinasse-Mongenet, Louise - 1912
Fiorentino, Pier-Angelo - 1840,
1861a,
1861b
Flavigny, Marie de, comtesse d'Agoult - 1866
Garin, Didier-Marc - 2003
Ginguené, Pierre-Louis - 1811
Gourbillon, Joseph-Antoine de - 1831
Grangier, Balthazar - 1596
Gutmann, René-Albert-Charles - 1924
Halléppée, Didier - 2012
Hauvette, Henri - 1921
Imberechts, André - 2013
Jacquesson, Guy - 2011
Jubert, Amédée - 1874
La Mathe, Brait de - 1823
Lamennais, F. Robert de - 1855
Le Dreuille, Auguste - 1837
Le Hardy, Philippe Auguste de La Trousse -
16??
Littré, Paul-Émile - 1879
Lognon, Henri - 1931
Luciani, Gérard - 2007
Martin-Chauffier, Simone et Louis - 1930
Masseron. Alexandre - 1947
Mégroz, François - 1992
Méliot, Adolphe - 1908
Mesnard, Jacques-André - 1854
Mićević, Kolja - 1996
Mongis, Jean-Antoine de - 1838
Moutonnet de Clairfons, Julien-Jacques -
1776
Parichet, Jacques - 1977
Pératé, André - 1922
Pernon, Guy de - 2011
Perrodil, Victor de - 1862
Pézard, André - 1965
Portier, Lucienne - 1987
Rastibonne, Louis - 1852
Reynard, Francisque - 1877
Rhéal, Sébastien - 1843,
1854
Risset, Jacqueline - 1983
Rivarol, Antoine de - 1783
Robert, Danièle - 2016
Rod, Édouard - 1891
Ronzy, Pierre - 1960
Saint-René, Martin - 1935
Scialom, Marc - 1996
Sigalas, Paul Drouilhet de - 1852
Solms, Elisabeth de - 1964
Stern, Daniel (pseud. de M. de Flavigny) -
1866
Tarver, John Charles - 1824
Terrasson, Henri - 1817
Topin, Hippolyte - 1876
Vegliante, Jean-Charles - 1995
Villain-Lami, François - 1867
Vinson de la Gironde, Hyacinthe - 1846
Vivier, Robert - 1941
Les faits établis, il faut en tirer les
conséquences. Les données brutes sont
évidemment aussi simples qu'incontestables :
Jacques-André Mesnard est le seul traducteur
français à avoir jamais traduit par « abrupt
»
l'alto du
dernier vers du second chant de l'Enfer et c'est
précisément cette traduction que Ducasse cite
textuellement à l'incipit non pas des Chants de
Maldoror, mais plus précisément à
l'ouverture du Chant premier, pour la reprendre d'ailleurs
à la huitième strophe du chant suivant — cf.
strophe 2.8, n. (1) —,
strophe qui nous occupera à la prochaine section.
Dante au Chant premier
En effet, le « Dante de
Ducasse » concerne le Chant premier, avant de porter sur
l'ensemble de l'oeuvre. On sait que celle-ci est lancée
à partir de trois sources magistrales et de trois
sources seulement, dans l'ordre Dante, Milton et Byron, la
Divine Comédie, le Paradis perdu et le
Pèlerinage de Childe Harold (pour la forme narrative) et
Manfred (pour ses acteurs). Dante, on le sait depuis
longtemps, inspire la comparaison des grues de la première
strophe; c'est la comparaison « dantesque »,
c'est-à-dire la comparaison à la fois psychologique
et narrative, qui implique souvent le monde animal. Bien entendu,
si le mécanisme vient de la lecture de Dante, il est tout de
suite développé, c'est le cas de le dire (la
comparaison faisant la moitié de la strophe), pour
constituer peu à peu le style propre du chant
premier, puis des Chants de Maldoror, le ducassien.
Voilà pour la rédaction.
L'Enfer est textuellement cité
à l'incipit. Cependant, il ne s'agit pas d'un collage, ni
non plus d'une désignation (Dante ni son oeuvre ne sont
nommés), mais d'une citation assez explicite pour
être transparente à n'importe quel lecteur du
poète italien; non pas le texte de Mesnard,
évidemment, mais bien le thème et la
rhétorique de la première strophe. Or, Ducasse ne
reviendra plus au texte de l'Enfer, tout au long du Chant
premier, et ne s'en rapprochera à nouveau qu'à la fin
du chant suivant (à la huitième strophe, je viens de
le dire). Contrairement à Milton et à Byron, Dante
n'informera plus, jusque-là du moins, le contenu du texte,
alors que son influence persiste dans l'écriture et le
style.
Jacques-André Mesnard
Ce sera donc l'écriture et le style du
Dante de Mesnard. Jacques-André Mesnard (1792-1858) a
été un juriste et un homme politique de premier
plan (8). Il avait fait ses
études de
droit à Poitiers avant d'être avocat dans sa
ville
natale, Rochefort. Très vite, il occupe des fonctions
importantes qui vont le conduire jusqu'au Sénat où il
sera premier vice-président en 1852 : Premier Avocat
général de la cour royale de Potiers en 1830,
Procureur général à Grenoble en 1832, à
Rouen en 1836, Conseiller à la Cour de cassation en 1841.
Il est nommé Chevalier de la légion d'honneur en 1833
déjà, puis Pair de France en 1845. Aussi bien
à la cour qu'au sénat, il intervient plusieurs fois
dans les débats publics, notamment au sujet de la
réforme de l'enseignement, comme aussi sur la pratique de la
médecine et sur la pharmacie. S'il se présente comme
un libéral sous la Restauration, il est favorable à
la Révolution de Juillet, ce qui favorisera sa
carrière politique qui prendra fin par conséquent
avec la Révolution de 1848. Ses publications sont
nombreuses. Depuis son premier livre, De l'administration de la
justice criminelle en France (1831), toutes ses
publications sont d'ordre juridique, sauf ses discours politiques,
dont la BNF conserve quatre exemples (1832, 1833 et deux de 1846).
Bref, Jacques-André Mesnard n'est pas un homme de lettres,
ce n'est pas un littéraire et encore moins un chercheur ou
un érudit des lettres et de la langue italienne.
Et c'est précisément ce que
salue Sainte-Beuve dans la Causerie du lundi du 11
décembre 1854 qu'il consacre à la publication
inattendue du premier vice-président du Sénat et
président de la Cour de cassation : « Ma
première pensée, en recevant le livre de
M. Mesnard et en voyant un magistrat éminent et un
homme politique aussi distingué profiter de quelques moments
de loisir pour traduire Dante comme autrefois l'on traduisait
Horace, ma première pensée a été de me
dire qu'il avait dû se passer en France toute une
révolution littéraire... » (9). Et en effet, le compte rendu critique de
Sainte-Beuve situe l'ouvrage dans l'histoire de la
réception de Dante en France (on y reviendra) afin de la
caractériser, caractérisation qui découle
du profil du juriste et homme politique et qu'on
illustrera par sa traduction unique et originale du vers à
l'étude.
Voici ce qu'écrit Sainte-Beuve sur ce
point et qui sera retenu, voire confirmé par les
spécialistes des traductions de la Divine
Comédie (Albert Counson et Marc Scialom) : en
regard des traductions de Fiorentino et de Brizeux, qui font
autorité, J.-A. Mesnard aura eu « le soin
d'être, autant que possible, coulant et facile en
français, d'unir la fermeté du ton à l'aisance
du tour et du nombre. Cette traduction peut se lire avec ou sans
l'italien. Dans le calque très complet et très
systématique qu'on veut faire d'un texte original, il arrive
quelquefois qu'on reste plus voisin de l'idiome étranger que
du nôtre, et que la traduction aurait besoin d'être
traduite elle-même : c'est là un
inconvénient que M. Mesnard a cherché à
éviter, en infusant ça et là une nuance, je ne
dirai pas de paraphrase, mais d'éclaircissement dans le
texte » (p. 212). Il suit, toujours selon
Sainte-Beuve,
que la traduction peut se lire de manière
« continue », précisément parce
que J.-A. Mesnard a déjà fait l'effort
d'apprécier mot à mot le poème, effort
récompensé, même s'il en faudra encore au
lecteur pour qu'il soit lui-aussi récompensé.
Et voilà pourquoi, c'est avec le vieux
juriste de longue expérience et
fabuleux amateur de la Divine Comédie, et avec lui
seul, que nous pouvons suivre, comme Dante suivait Virgile, le
chemin abrupt, au dernier vers du deuxième chant. Car il y
a une explication très simple à cet hapax, comme on
dit, au fait assez extraordinaire que Mesnard soit seul à
produire cette traduction et que cette traduction soit à la
fois aussi juste, aussi belle que la réussite originale de
Dante : ce traducteur ne fait pas oeuvre d'érudit, il
ne confronte aucune traduction française et ne s'embarrasse
pas de l'héritage des commentaires qui traduisent et
interprètent, et par conséquent
réécrivent, le texte original depuis longtemps perdu
de Dante. De toute évidence, Mesnard n'a jamais
pensé « étudier » les divers
contexte de l'adjectif altus chez Virgile pour comprendre
son sens exact dans ce dernier vers du chant 2. Il l'a tout
spontanément compris, tel qu'il se trouvait dans la langue
romane naissante, qui fut tout de même à
l'époque bien proche de la sienne, l'ancien français.
Et on connaît la preuve de cette interprétation :
il aurait suffit que le traducteur ait sous les yeux un commentaire
du vers italien ou qu'il confronte seulement deux traductions
françaises à la sienne et jamais il n'aurait maintenu
la création par trop originale de ce « chemin
abrupt et sauvage ». Et c'est bien la
qualité de
toute sa traduction de la Divine Comédie, qui est
à la fois simple, personnelle et originale, rien de plus.
Il suit, j'imagine, que les spécialistes de Dante y
trouveront des fautes d'interprétation (beaucoup ?)
à côté de remarquables (et nombreuses ?)
réussites, comme celle-ci, qu'ils ne manqueront pas
d'adopter.
Dante en France
Il faut dire que les Chants de Maldoror
se situent
dans la réception de Dante en France, tout comme la
traduction de Jacques-André Mesnard. L'important, comme on
le verra tout de suite, est que
l'oeuvre de Dante n'a jamais été bienvenue en France.
La preuve en est qu'il faut attendre
Voltaire pour que Dante Alighieri soit reconnu, voire connu, ce qui
n'est pas peu dire (10). En
effet, dans son
discours de réception à l'Académie (1746),
Voltaire cite Dante deux fois, à sa juste mesure. Or, il ne
l'a lu que sur le tard, en 1738, et s'en sera tout simplement
amusé le reste de ses jours, son appréciation restant
toute artificielle et académique, comme en font preuve
ses écrits pamphlétaires contre le traducteur Marini
pour le plaisir de Savario Bettinelli qui déclenche toute
une polémique à ce sujet. L'idée est
que Dante est certainement un génie, mais son oeuvre heurte
le génie français, c'est-à-dire l'ordre
classique. Cela dit, voilà pourtant le début de la
réception de Dante en France, puisque notre Boileau n'en
disait pas un mot.
C'est le XIXe siècle qui
découvrira finalement le poète, d'abord
l'Enfer, ensuite la Divine Comédie et
finalement son oeuvre complète. Je me permets de
résumer cette réception (11)
selon les étapes suivantes : on ignore Dante à
la Renaissance et au siècle classique; sa découverte
(on le voit avec Voltaire) est néo-classique; sa lecture est
ensuite romantique : Lamartine lit l'Enfer avec
enthousiasme, mais n'en pense pas moins la même chose que
Voltaire et le dit ! Or, toute la première
moitié du siècle va multiplier les traductions
française de Dante à la suite de la traduction de
Rivarol (1783) — la version de « prose noble et
bienséante » (Scialom) —, qui sera le Dante
des romantiques. D'après Marc Scialom, ce seront d'abord
les traductions créatrices, puis les traductions
académiques. La traduction de Jacques-André
Mesnard se situe, en 1854, à l'ultime limite du premier
mouvement, après les traductions d'Artaud de Montor (1811),
Fiorentino (1840), Brizeux (1841) et Rhéal (1843). À
partir
de 1860, les traductions de Fiorentino et de Brizeux se seront
imposées et connaîtront de très nombreuses
réimpressions et rééditions (respectivement 20
et 17 jusqu'à nos jours). Suivront les traductions
académiques. Ducasse ne
les aura pas connues. Il ne se doute donc pas que Dante est un
« monument littéraire », comme on peut
le dire d'Homère.
En revanche, on voit que la première
traduction qu'il aura lue (si tant est qu'il en a lu d'autres) est
celle d'un amateur, car c'est ainsi qu'on peut
caractériser maintenant la traduction de Mesnard, la
dernière et certainement la plus caractéristique des
« entreprises créatrices ».
Un an plus tard. Plusieurs mois en tout cas
séparent la rédaction de l'ouverture du Chant premier
et la huitième strophe du Chant 2. C'est la seconde
fois que le rédacteur reprend explicitement l'Enfer
de Dante, comme on le voit aux six rapprochements qui peuvent
être faits avec des passages des chants 12, 18, 22, 32 et 34
(voir ces passages à la n. (2) de l'édition de la strophe
2.8).
Dans aucun cas, Dante n'est cité au texte, ce qui se verrait
à travers n'importe quelle traduction du texte italien.
Or, l'étude de sources met au jour un
problème très simple : la désignation
des excréments humains (p. 88: 19), qui est totalement
étrangère à la lettre de la traduction de
Jacques-André Mesnard, et pour cause !
« Merde » et
« excréments », on s'en doute, ne font
pas partie de son vocabulaire. Et on doit admettre
qu'« immondices »,
« vidanges » et « ordures »
font l'affaire. Cela dit, Ducasse, lui, nous ramène
à l'original, ou presque, en situant le
Créateur sur un trône « formé
d'excréments humains ».
Dès lors, la question se pose : Isidore
Ducasse a-t-il ouvert une autre traduction de l'Enfer avant
de rédiger cette strophe ? On peut fort bien supposer
qu'il avait fait une première lecture de l'oeuvre (ou des
premiers chants de l'Enfer, puisque c'est un vers du
Chant 2 qui est cité à l'ouverture du Chant
premier), avant d'entreprendre sa rédaction. Il aurait lu
la traduction de Jacques-André Mesnard en
bibliothèque. L'année suivante, on peut penser qu'il
s'est procuré une autre traduction de l'ouvrage, qu'il a
relue avant de rédiger son chant 8. Laquelle ?
Elisabetta Sibilio a publié en 1999 une
étude des passages de l'Enfer évoqués
dans
les Chants de Maldoror, essai repris en volume en 2006 sous
le
titre Lautréamont, lettore di Dante qui a
été traduit en 2008, Lautréamont, lecteur
de Dante, comme il se doit (12). Entre
la publication de l'article et sa réédition en
volume, elle a consulté mon travail dans le présent
chapitre (le 30 juin 2005), et elle le cite d'ailleurs très
positivement. Elle est toutefois restée persuadée
qu'Isidore Ducasse lisait Dante dans la traduction de Pier-Angelo
Fiorentino — ou du moins qu'il a utilisé deux
traductions, celle-là et celle de Mesnard, puisque j'en fais
la démonstration. Son « Dante de
Lautréamont », si je puis dire, est assez
différent de mon « Dante de Ducasse »,
notamment parce qu'Elisabetta Sibilio voit les choses globalement
et, pour ainsi dire, rétrospectivement; elle imagine en
effet qu'Isidore Ducasse s'était proposé, dès
le départ, de réécrire l'Enfer, entre
la comparaison des grues (figure de la lecture) et celle des
étourneaux (figure de l'écriture), qu'on trouve
toutes deux en enfer (5: 40-49). Peut-être parce que je
suis pas à pas la création de l'oeuvre, je pense
plutôt que si la comparaison du vol des étourneaux
rappellera celle du vol des grues, celle-ci ne l'annonçait
nullement, notamment parce que la seconde sera d'une toute autre
nature, un collage, bien éloignée de la
création « dantesque » de la strophe
initiale. Elle n'était surtout pas prévue, encore
moins préméditée.
Il en va de même pour la thèse
que le Dante de Lautréamont soit celui de Fiorentino. Son
hypothèse précède non seulement mon analyse,
mais la sienne propre, puisqu'elle s'est procuré deux
éditions de la traduction (Hachette, 1881, et une
antérieure, non datée, chez Verda, celle qu'elle
cite, cf. p. 24, n. 23), sans dire en quoi les textes des
deux
traductions sont différents, en regard de celui de Ducasse,
et sans le confronter au texte d'aucune autre traduction
française. Or, la conjecture repose en premier lieu sur une
circonstance étrangère à l'oeuvre de Ducasse,
soit la popularité de la traduction de Pier-Angelo
Fiorentino, qui a connu pas moins de 14 rééditions ou
réimpression du vivant de Ducasse, depuis sa parution chez
Gosselin en 1840, chez Hachette à partir de 1850, dont trois
éditions in-folio comprenant les gravures de Gustave
Doré (1861, 1862 et 1865). Toutefois, si l'on se souvient
que Ducasse a d'abord connu la traduction de Mesnard qui n'a eu
qu'une seule édition, il apparaît que le raisonnement
conduit à formuler une hypothèse, mais ne peut
contribuer à l'établir, ni même à la
maintenir, car à ce compte on peut observer que la
traduction d'Artaud de Montor, bien que parue six fois seulement
chez Firmin Didot,
depuis 1812 jusqu'en 1859, aura été plus
« populaire » (et la preuve en est que ce sera
plus tard la traduction de la maison Marabout en 1962); même
chose pour la traduction de Brizeux parue onze fois avant la
publication du Chant premier de Ducasse, généralement
chez le populaire éditeur Charpentier. Nous voilà
donc avec trois hypothèses, quatre, puisque Ducasse pouvait
consulter à la date de 1869 pas moins de 150 ouvrages (en
comptant toutes les réimpressions et les
rééditions) présentant une traduction de Dante
(c'est l'entrée 150 de MS qui range les livres par ordre
chronologique).
Le second point développé par
Elisabetta Sibilio est un court circuit. Il s'agit d'appliquer aux
Chants de Maldoror ce que Pier-Angelo Fiorentino dit de
la
Divine Comédie dans sa longue introduction.
L'exercice est très intéressant du point de vue de la
critique littéraire, car E. Sibilio n'a aucune peine
à rapprocher les deux oeuvres et à illustrer ce qui
en est, à savoir le caractère dantesque de nombreux
traits de l'oeuvre de Ducasse. Mais ces rapprochements
thématiques et ces traits de genres littéraires ne
feront jamais la preuve que Ducasse a lu la préface de
Fiorentino et, par conséquent, qu'il a pu avoir sa
traduction en main. D'ailleurs, je doute que Ducasse ait jamais pu
trouver son inspiration dans un texte théorique de quelque
nature que ce soit — notamment dans l'introduction d'une
traduction de la Divine Comédie.
Mais finalement, Elisabetta Sibilio oublie
assez vite la traduction de Fiorentino (hypothèse dont son
analyse se passerait bien) pour s'intéresser à
l'essentiel, le « Dante de Maldoror ». Elle
présente donc une excellente synthèse des
rapprochements textuels qui ont été faits à ce
jour, pour en conclure, très justement — elle est
italienne et connaît son Dante ! —, au
caractère « étrange » du
rapprochement qui s'impose à l'évidence entre les
deux oeuvres poétiques, sans qu'on retrouve chez Ducasse,
bien entendu, « la splendide musicalité de Dante
et [le] lexique retentissant de ses tercets ». Il faut
plutôt y « rechercher un substrat de
métaphores, de figures et d'images utilisées par
Lautréamont dans un autre contexte et, évidemment,
avec une fonction, littéraire, mais aussi
idéologique, complètement
différente » (trad. B. Puttemans, p. 48).
Mais ce n'est pas parce qu'Elisabetta Sibilio
n'a pu démontrer son hypothèse qu'elle ne doit pas
être retenue. Maintenant que nous en sommes à la
strophe 2.8, avec ces « excréments
humains », il me paraît tout à fait
légitime de reformuler son hypothèse, non pas celle
qui voudrait que Ducasse ait connu la traduction de Pier-Angelo
Fiorentino, mais qu'il en ait lu et connu plus d'une, après
celle de Jacques-André Mesnard.
Il n'est pas urgent de reprendre le
dépouillement des traductions des
« excréments humains », comme il l'a
été pour le « sentier abrupt et
sauvage ». La cause en est que nous nous trouvons dans
une situation toute différente. Alors que Mesnard est le
seul et unique à donner « abrupt », avec
les « excréments » les traducteurs
français multiplient les nuances, pour ne pas mettre le
tonsuré dans la merde — mais pas tous. Bref, Mesnard
se trouve ici en bonne compagnie. Et, par malheur, il n'est pas du
tout impossible que Ducasse ait compris Dante à la seule
lecture de Mesnard, car, entre nous, des excréments, c'est
de la merde, qu'on les désigne comme notre juriste par les
mots « immondices »,
« vidanges » et
« ordures ». Cela dit, l'hypothèse que
Ducasse utilise ici, au chant 2.8, une autre traduction que celle
de Mesnard, pour en venir aux excréments humains, est
plus que recevable, le contraire serait même surprenant.
Voici un petit échantillon de traductions susceptibles
d'avoir été connues de Ducasse, après celle de
Mesnard. Il s'agit, je le rappelle, de la traduction des vers
112-117 du chant 18 de l'Enfer.
1780 : « ... et de là mes regards tombèrent
au fond de l'impur fossé : je crus voir alors le
cloaque du monde. / La foule des ombres confusément
jetées dans cet immense égout se soulevait
péniblement hors de l'épaisse surface. / Une
d'entre elle avait frappé mes yeux, et je la
considérais; mais je ne distinguais rien sur sa tête
dégoûtante », Antoine de Rivarol,
l'Enfer, Paris, Bureau de la publication, 1867,
2 vol.
1812 : « ... j'y vis une foule d'ombres plongées
dans un fumier qui me parut le privé de l'univers. Je
cherchais des yeux quelque coupable qui me fut connu; j'en
remarquai un si chargé d'immondices, qu'on ne pouvait
distinguer s'il était laïque ou clerc »,
Alexis-François Artaud de Montor, l'Enfer, Paris,
Firmin Didot, 3e éd., s.d.
1838 : « Là les morts sont plongés dans une
fange immonde / où semble se verser tous les
égouts du monde. / Je cherchai du regard les
criminels : l'un d'eux... / (Tant d'excréments couvraient son front
et ses cheveux / Que nul n'eût reconnu s'il fut clerc ou
laïque) », Jean-Antoine de Mongis, l'Enfer,
Paris, Delagrave, 1876, 3e éd.
1840 : « ... penché sur le fossé, je vis
des damnés plongés dans un cloaque où les
sentines humaines semblaient
s'être vidées. Et comme je cherchai des yeux, je vis
l'un d'eux avec la tête tellement souillée d'excréments, que l'on ne pouvait
voir s'il était prêtre ou laïque »,
Pier-Angelo Fiorentino, la Divine Comédie, Paris,
Hachette, 1908.
1841 : « Là, nous vîmes, et en bas, dans la
fosse, je vis des gens enfoncés dans une fiente qui
paraissait sortir des latrines humaines; / Et tandis que je
cherchais de l'oeil là dedans, je vis une tête si
souillé d'excréments, qu'on ne savait si
c'était un laïque ou un clerc », Auguste
Brizeux, la Divine Comédie dans OEuvres de
Dante, Paris, Charpentier, 1853.
1853 : « Je vis alors au fond de la fosse des âmes
en grand nombre, plongées dans des immondices qui semblaient
être l'assemblage de tous les excréments humains. Pendant
que mes yeux descendaient dans ce cloaque, je vis une ombre dont la
tête était si dégoutante d'ordures, qu'on ne
devinait pas si c'était celle d'un clerc ou d'un
laïque », Victor de Saint-Mauris, l'Enfer,
Paris, Amyot.
1854 : « Nous vîmes alors dans les profondeurs de
cette fosse une multitude grouillante au milieu des immondices.
C'était comme d'immenses vidanges ! Et comme je
cherchais des yeux, j'aperçus là-dedans un
damné dont la tête était si chargée
d'ordures, qu'on ne pouvait savoir s'il était oui ou non
tonsuré », Jacques-André Mesnard, la
Divine Comédie, Paris, Amyot.
Si l'on s'en tient strictement à notre
syntagme des « excréments humains »,
c'est la traduction de Victor de Saint-Mauris qui serait maintenant
la source d'inspiration de Ducasse. On ne peut pourtant
écarter la traduction de Fiorentino, pas plus que celle de
Brizeux toutefois, puisque les deux mots se trouvent dans leur
traduction, mais dans ce cas Ducasse aurait dû construire le
syntagme.
Le plus sage est donc, dans l'état
actuel de l'analyse, de laisser la question ouverte, ainsi :
alors que Ducasse a cité la traduction de Mesnard à
l'incipit du Chant premier, est-ce que, l'année suivante, il
n'aurait pas relu l'Enfer dans la traduction de Victor de
Saint-Mauris (plutôt que celles de Brizeux ou de Fiorentino,
ce qui est moins probable), avant de rédiger la
huitième strophe du deuxième chant ?
(1) On consulte aisément ces
commentaires
sur l'internet au
Dartmouth Dante Project, Darthmouth College et Princeton
University, sous la direction de Robert Hollander.
(2) J'ai utilisé les index
suivants :
H. Merguet, Lexicon zu Vergilius, et Monroe Nichols Wetmore,
Index Verborum Vergilianus, Hildesheim, Georg Olms
Verlagsbuchhandlung, 1960 et 1961.
(3) The Works of Virgil,
édition et
commentaires de John Conington, revisée par Henry
Nettleship, Hildesheim, Hildesheim, Georg Olms Verlagsbuchhandlung,
3 vol., 1963. Pour les traductions françaises, je me suis
aidé de la traduction de Maurice Rat, que j'ai souvent
reprise mot à mot, surtout lorsque les sens à
l'étude n'étaient pas en cause :
l'Énéide (Paris, Flammarion, coll.
« Garnier-Flammarion », 1965).
(4) La première version de ce
dépouillement a été réalisée en
1999, à la suite d'un appel lancé au groupe de
discussion Balzac (Université de Montréal), groupe
interactif d'échanges électroniques sur la
littérature française (le 9 octobre 1999). Les
premières versions de cette bibliographie ont
été établies avec l'aide précieuse de
Marc Cogan, spécialiste de Dante à la Wayne State
University (voyez le
livre qu'il venait de faire paraître à ce
moment : the Design in the Wax : the Structure of the
« Divine Comedy » and its Meaning, The
William and Katherine Devers Series, « Dante
Studies », no 3, 1999, 432 p.). C'est aussi Marc
Cogan qui m'a fait connaître le Dartmouth Dante
Project. Je remercie également Donald C. Spinelli, qui
nous a mis en contact et m'a
ensuite guidé dans ma recherche sur l'internet. Enfin,
c'est grâce à Isabelle Lachance, étudiante de
l'Université McGill, que j'ai pu achever la première
version de ma bibliographie : c'est elle qui s'est
chargée de dépouiller les quatre premières
traductions à la Bibliothèque Nationale de France,
lors d'un séjour à Paris en 2000-2001.
(5) Marc Scialom, «
Répertoire
chronologique et raisonné des traductions françaises
de la Divine Comédie (XVe-XXe
siècles) », Lingua e Letteratura,
« Documenti e ricerche linguistiche »,
vol. 4, no 7, novembre 1986, p. 121-164. Une
première version de ce répertoire se trouvait
l'année précédente en annexe à sa
thèse de 3e cycle, les Anti-traducteurs :
aspects
de « la Divine Comédie » en
français pendant l'entre-deux guerres
(Littérature
comparée, Université de Paris IV, 1985). Le
répertoire enregistre toutes les publications et toutes
leurs rééditions (et même leurs
réimpressions lorsqu'elles peuvent être datées)
non seulement des traductions proprement dites de la Divine
Comédie (intégrales ou partielles), mais de tout
ouvrage consacré ou non à Dante qui comprend des
traductions inédites ou non du poème. Marc Scialom
a ensuite exploité lui-même une première fois
les résultats de son travail sur la base d'une compilation
statistique dans le cadre des analyses de la réception des
oeuvres de Dante en France : « La traduction de
la
Divine Comédie, baromètre de sa
réception en France ? », Revue de
littérature comparée (Paris, Didier),
vol. 63, no 2 (1989), p. 197-207.
(6) De ces références
trouvées
sur la bibliothèque électronique de Google, une seule
s'est ajoutée à mon dépouillement, no 33. Voici les autres, peu nombreuses sur
un travail qui compte plus de 400 entrées, mais suffisantes
pour montrer que Google permettrait maintenant de parfaire le
dépouillement.
1837 : Antony Deschamps, Poésies, traductions de
Dante, Laurent, 345 p. Cf. MS 52, no 13 ci-dessus.
1873 : Comte de Séguier, Épilogue de
« la
Divine Comédie » : l'Enfer, un
Coin de Paradis et incidemment une âme du Purgatoire,
Mexico, Diaz de Léon et White [ce n'est toutefois pas une
traduction].
1913 : l'Enfer, trad. Ernest De Laminne,
signalé au fichier de la BNP, no 51
ci-dessus.
1984 : réimp. de la traduction d'Alexandre
Cioranescu, MS 378.
Je conserve cette note pour marquer ma dette
à la bibliothèque électronique de Google.
(7) Il ne reste qu'une traduction
à trouver : Anonyme - 1844
(8) J'ai consulté, sur les
serveurs de la
BNP
le World Bibliographical Information System de K. G.
Saur
où j'ai trouvé une dizaine de notices sur J.-A.
Mesnard, notamment celle de la Nouvelle Biographie
générale de J. C. F. Hoefer, le
Dictionnaire des parlementaires français de
A. Robert et G. Cougny, et les Notices sur le
personnel du Tribunal et de la Cour de cassation, dont celle de
J.-A. Mesnard se termine par une bibliographie de ses oeuvres.
(9) Charles-Augustin Sainte-Beuve,
« La
Divine Comédie traduite par M. Mesnard, premier
vice-président
du Sénat et président de la Cour de
Cassation », compte rendu du premier volume,
l'Enfer, 11 décembre 1854, Causeries du lundi,
Paris, Garnier, 3e éd., s.d., vol. 11,
p. 198-214.
(10) Eugène Bouvy,
« La critique
dantesque au XVIIIe siècle : Voltaire et les
polémiques italiennes sur Dante », Revue des
Universités du Midi, nouv. série des Annales
de la Faculté des Lettres de Bordeaux, t. 1 (17e
année), no 3, juillet-septembre 1895,
p. 295-334.
(11) Les travaux sur la
réception et les
traductions de Dante en France se sont sans cesse renouvelés
depuis le XIXe siècle. Les plus importants auront
été les suivants, dans l'ordre chronologique.
Charles de Robillard de Beaurepaire, De la récente
admiration des Français pour Dante, Rouen, Gagniard,
1883, 23 p. Eugène Bouvy, « Dante en
France », Annales de la Faculté des Lettres de
Bordeaux, t. 1, janv.-mars 1899, p. 33-39. Albert
Counson, Dante en France, Erlanger et Paris, Junge et
Fontenaving, 1906, 276 p. Marc Scialom, « La
traduction de la Divine Comédie, baromètre de
sa réception en France ? » (voir la (5)).
(12) En fait, le titre de la
publication originale
de l'article d'E. Sibilio était bien meilleur (et ne
pouvait probablement pas être repris pour l'édition du
volume) : « Maldoror all'Inferno »,
Micromégas (Rome), vol. 26, no 1 (1999),
p. 71-86. Lautréamont, lettore di Dante, Roma,
Portaparole (coll. « Piccoli Saggi »), 2006,
47 p. + 4 planches (dessins de Gustave Doré), trad.
Benoît Puttemans, 2008, 48 p. Voir également son
essai sur l'esthétique ou la théorie
littéraire de Ducasse dans son oeuvre et son application
à la structure de l'oeuvre elle-même, il Futuro
della
poesia : saggio su Lautréamont, Padova, Unipress
(coll. « Biblioteca francese », no 5)
1998, 108 p.
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