Il ne fait pas de doute que la strophe 1.11 des
Chants de
Maldoror est inspirée de la ballade de Goethe. Je ne
sais pas encore
qui l'a signalé le premier, mais pour une fois ce n'est pas
l'étude
de Marcel Jean et Arpad Mezei (1947, p. 65-66) qui attribuent
la strophe
à l'influence du « roman populaire »,
Eugène Sue
en particulier. C'est là une évidente faute de
lecture, qui consiste
à interpréter la strophe 1.11 à la
lumière du
Chant 6.
Dans les éditions critiques ou
commentées, c'est
Pierre-Olivier Walzer qui indique le premier la source (1970) et la
traduction
probablement utilisée par Ducasse :
« Certains
détails de la présente scène se rapportent
visiblement
à la célèbre ballade, "Le Roi des aulnes"
(Erlkönig), de
Goethe; Isidore Ducasse a pu connaître la traduction de
cette pièce
par Gérard de Nerval, publiée à la suite du
Faust, dans
la réédition M. Lévy, de 1868 »
(p. 1093,
n. 3). Mais curieusement, Walzer ne donne pas le texte de
Goethe (dans ses
notes 1 des p. 68 et 69) dans la traduction de Nerval,
mais dans celle
de Henri Blaze, qu'il n'identifie même pas. Comme à
son habitude,
Hubert Juin recopie pour Gallimard l'apparat critique de Walzer
qu'il abrège
(p. 45, n. 2; et p. 46, n. 1). Et le comble
est que la
traduction de Blaze (en deux citations recopiées mot
à mot de Walzer
dans la Pléiade) est donnée explicitement pour celle
de Gérard
de Nerval ! Jean-Luc Steinmetz reprend Walzer sans le citer
(si celui-ci
était bien le premier à avoir indiqué la
source); mais
Steinmetz donne ses deux citations du « Roi des
aulnes » dans
la traduction de Blaze dont il indique correctement la
référence
(n. 5 et 7 de la strophe 1.11). Enfin, tout à
l'honneur des
éditions commentées, Jean-Pierre Goldenstein
reproduit en appendice
le texte intégral de la traduction du « Roi des
aulnes »
par Gérard de Nerval dans l'édition de Michel
Lévy en 1868
(Goldenstein, p. 347-348).
S'il ne fait pas de doute que la strophe 1.11
s'inspire du
« Roi des aulnes », alors la question se pose
de savoir
où et comment Ducasse a connu la ballade. Pourquoi ?
Pour la raison
toute simple que si l'hypothèse de Pierre-Olivier Walzer est
juste, alors
il suit qu'Isidore Ducasse connaît également le
Faust de
Goethe. Et il apparaît en effet que c'est Goethe et non
seulement sa ballade
qui inspire cette strophe — et nullement le roman populaire,
comme on le voit
à l'annotation de la présente édition :
cf. 1.11, n. (4) et suiv.. Ajoutons un exemple
fort simple aux
exposés de l'annotation. La strophe 1.11 présente
Maldoror qui tente
d'arracher Édouard à sa famille. Voyez la
dernière
scène du « premier » Faust :
c'est Faust
qui tente en vain d'arracher Marguerite à son cachot,
à sa folie.
Le parallèle avec la strophe 1.11 est d'autant plus net
lorsque Faust (puis
Méphistophélès lui-même) se tient comme
Maldoror sur le
seuil. Cela dit, je n'ai trouvé aucun recoupement textuel
incontestable
entre le Faust de Nerval et la strophe de Ducasse.
D'où l'importance
de savoir quelle traduction du « Roi des
aulnes » a pu inspirer
Isidore Ducasse, car s'il s'agit de la version de Nerval, on sait
au moins qu'elle
lui vient de sa traduction de Faust, de sorte que
l'hypothèse d'une
influence de Goethe s'en trouve renforcée, voire
accréditée.
Voici donc l'état de la recherche à ce
propos.
Il faut en effet commencer par établir la
bibliographie des
traductions françaises du « Roi des
aulnes » et en
confronter les textes à la strophe en cause des Chants de
Maldoror,
dans l'espoir d'y trouver un recoupement textuel identifiant la
source
précise de Ducasse. Mais même si cela n'était
pas possible,
l'histoire des traductions et de leurs versions pourrait
premettre de confirmer
ou d'infirmer l'hypothèse qui pour l'instant veut que
Ducasse s'inspire de
la traduction de Gérard de Nerval parue dans son
édition du
Faust. C'est ce que laissent croire quelques indices.
Voici l'état
actuel de cette bibliographie en cours d'élaboration.
Première version, 25 septembre 2006.
*Astérisque : indique les volumes que je n'ai pas encore
consultés.
Charles Nodier
Sans date. Traduction de Charles Nodier (1780-1844).
Je n'en trouve pas trace dans Bibliograpie : Charles
Nodier par Edmund
J. Bender, « Bibliographie des oeuvres, des lettres et
des manuscrits de
Charles Nodier, suivie d'une Bibliographie choisie des
études sur Charles
Nodier (1840-1966) », Lafayette, Purdue University
Studies, 1969, VI-83 p.
Ernestine Panckoucke
D'après la notice FRBNF 32505786 de la Bibliothèque
Nationale de
France, la traduction attribuée à Ernestine
Panckoucke serait en
fait, selon Quérard, de François-Alphonse de
Loève-Weimars et
de J.-J.-P. Aubert de Vitry.
*1825, Goethe, Poésies de Goethe, trad. Mme E.
Panckoucke, Paris,
C.L.F. [Charles Louis Fleury Panckoucke (1780-1844),
éditeur], XLVIII ou LX-155 p.
Apparemment en deux formats, in-32o et in-16o.
*1830, « Poésies allemandes, Klopstock, Goethe,
Schiller, Burger,
morceaux choisis et traduits par M. Gérard ».
Telle est la référence donnée par Jean Richer
dans son
édition des OEuvres complémentaires de
Gérard de
Nerval, vol. 1 (de 8 vol.), « La vie des
lettres »,
Paris, Minard (coll. « Lettres modernes »),
1959, p. 56,
n. 1.
1840, Goëthe, Faust de Goëthe, suivi du Second Faust;
choix de
ballades et poésies de Goëthe, Schiller, Burger,
Klopstock, Schubart,
Koerner, Uhland, etc., traduit par Gérard, Paris,
Charles Gosselin,
482 p. « Le roi des aulnes »,
p. 319-320. L'ouvrage
se consulte sur Gallica de la Bibliothèque Nationale de
France.
1853, Goëthe, Faust et Second Faust de Goethe, suivis d'un
choix de
poésies allemandes, traduction de Gérard de
Nerval, nouvelle
édition précédée d'une notice sur
Goethe et sur Nerval,
édition de Théophile Gautier, Paris, Garnier,
448 p.
« Le roi des Aulnes », p. 316-317.
L'ouvrage se consulte
sur Gallica de la Bibliothèque Nationale de France.
*1868, Goethe, Faust et Second Faust de Goethe, suivis d'un
choix
de ballades et
de poésies de Goëthe, Schiller, Burger, Klopstock,
Schubart, Koerner,
Uhland, Jean-Paul Richter, Hoftmann, H. Heine, etc., traduction
de
Gérard
de Nerval, précédé d'une notice par
Théophile Gautier,
Paris, Lévy, XXVII-482 p. « Le roi des
aulnes »
s'y trouve vraisemblablement p. 316-317; il devrait donc
s'agir d'une
réédition de l'ouvrage de 1853. — C'est le
texte de cette
édition que reproduit Jean-Pierre Goldenstein,
p. 347-348.
1883, date de la « troisième
édition » du
même ouvrage, « Le roi des aulnes » s'y
trouvant toujours
p. 316-317.
— Il ne faut pas confondre cet ouvrage dont une des
éditions de
Théophile Gautier est de 1868 avec une autre édition
des Faust
de Nerval qui paraît la même année 1868 chez le
même
éditeur Michel Lévy, avec des illustrations de Tony
Johannot
(380 p.) : les Faust n'y sont pas suivis d'un
choix de
poésies allemandes.
— Les textes de ces éditions du « Roi des
aulnes »
(1840, 1853 et 1868) ne présentent pas de variantes
lexicales, mais de
nombreuses variantes de ponctuation significatives, de même
que quelques
variantes graphiques (distribution des majuscules et des
tirets).
— On en trouve ici le texte dans une version
uniformisée. C'est
« Le roi des aulnes » de Goethe selon
Nerval.
François-Antoine de Wolffer
*1837, Goethe, Élégies romaines, suivies de ses
épigrammes,
ballades et épîtres, et d'un choix de ses
poésies
fugitives, trad. Wolffer, Paris, Dondey-Dupré,
VIII-199 p., in-8o.
*1843, Goethe, Poésies de Goethe, trad. Henri Blaze,
Paris,
Charpentier, in-16o, XXXIV-310 p. 1863, rééd.
[seconde
édition], in-18o, XXXVI-319 p.
1873, troisième édition, XXXVI-319 p.,
« Le Roi des
Aulnes », p. 57-58. La préface du traducteur
est
datée du 10 juin 1842. Il suit que l'édition
originale (que je n'ai
pas eu en mains est bien de 1843).
Comme Walzer et Steinmetz à sa suite paraissent citer
l'édition de
1843, il faut croire que le texte a varié. Non seulement
les deux
éditeurs diffèrent entre eux (dont la variante
« mèneront/mènent » à la
cinquième
strophe du poème original), mais les variantes de
ponctuation sont
nombreuses avec celle-ci de 1873.
Philippe Le Bas (1794-1860)
et Jacques Auguste Adolphe Regnier (1804-1884)
1844, Cours de littérature allemande ou Morceaux choisis
des auteurs les
plus distingués de l'Allemagne,
précédés de notices
biographiques par M. Le Bas et M. Regnier, Paris, Charles Hingray,
quatrième
édition, VIII-448 p.
— Il s'agit d'un recueil de textes en allemand.
« Le roi des
aulnes » s'y trouve, p. 331. Comme le titre de
l'ouvrage est en
français, je le consigne ici pour qu'on n'ait pas à
s'y reporter
inutilement.
1861-1863, Goethe, OEuvres de Goethe, trad. Jacques Porchat,
Paris,
Hachette, 10 vol. In-8o. Vol. 1, Poésies
diverses,
Pensées, Divan
oriental-occidental, XII-755 p.
« Le roi des aulnes », p. 62-63.
— L'édition consultée est datée de
1906.
2. Traduction de Henri Blaze (1843),
édition de
1873
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