1) 8: 2 B 1869 année
où #
années, où
2) 8: 4 P 1868 B 1869 était
méchant >
était
né méchant
3) 8: 5 P 1868 B 1869 put pendant > put, pendant
4) 8: 6 P 1868 B 1869 mais à >
mais, à
5) 8: 8 P 1868 B 1869 tête, jusqu'à
>
tête; jusqu'à
6) 8: 11 P 1868 B 1869 dit ?
lorsqu'il > dit ! lorsqu'il
7) 8: 15 P 1868 B 1869 empêché, il > empêché.
Il
8) 8: 17 B 1869 entendu ? Il ose # entendu ? il
ose
9) 8: 18 P 1868 B 1869 tremble.
>
tremble !
10) 8: 18 P 1868 B 1869 donc il > donc,
il
11) 8: 19 P 1868 B 1869
volonté ! > volonté...
12) 8: 20 P 1868 B 1869 pesanteur !
>
pesanteur ?
13) 8: 21 P 1868 B 1869 bien !
>
bien.
On trouve dans la troisième strophe la
première
variante
lexicale et
elle est bien entendu extrêmement significative, dans la
mesure
même
où Isidore Ducasse a tenu à introduire la
nuance :
Maldoror
n'était pas simplement bon dans son enfance alors qu'il
était
en fait
le contraire, méchant; il était né
méchant
(8: 2); il ne l'est donc pas devenu. La
méchanceté lui est naturelle, elle est
innée en
lui.
Au moins une des variantes de ponctuation est
significative
(affecte le sens),
tandis que la plupart d'entre elles, on le sait, n'ont pas d'autre
fonction
que de
marquer typographiquement le langage poétique (la virgulite,
la point-virgulite).
« Qui l'aurait dit !... » (8:
11) : le point d'interrogation faisait porter la
proposition sur ce
qui
précédait (il aurait dû être suivi de la
majuscule);
elle porte maintenant sur ce qui suit.
Les deux variantes de la seconde
édition, (1) et (8), sont toujours isolées. Jusqu'à
ce que l'on
trouve un indice du contraire, il se confirme que la
troisième
édition a été faite sur l'édition
princeps et sur
un
exemplaire où les variantes de la seconde édition
n'avaient pas
(ou
pas toutes ?) été portées. Dans ces cas,
elles ne
sont
donc pas de Ducasse, comme ces deux-ci.
(a) « Dans » mis
pour
« en ». Les deux prépositions n'ayant
pas ici le
même sens, l'emploi de l'une pour l'autre crée un
flottement de
sens
d'autant plus important que ce qu'annonce l'auteur (pour
dans
quelques
lignes, plus loin) sera achevé avant la fin de la phrase,
en
deux
lignes ! Encore une faute géniale.
(b) T : jeta (P 1869, p. 8: 9).
Michel Charles a
suggéré qu'il s'agissait non d'une faute ou d'une
coquille, mais
d'un
« archaïsme », renvoyant à Grevisse
(Rhétorique, p. 85). Maurice Grevisse
énumère des
exceptions modernes qu'il espère voir se multiplier,
puisqu'elles
permettent
de « marquer une précision très
utile » (8e
éd., par. 1018, b. rem.), c'est-à-dire les divers
temps de
l'indicatif. Or, justement, cela ne vaut pas pour le passé
simple,
surtout
s'il est isolé comme ici, qui sera ou paraîtra
toujours comme une
coquille, puisque c'est seulement l'orthographe et non la
prononciation qui
le
distingue du subjonctif, par rapport auquel il ne marque aucune
nuance
temporelle.
« Il cacha son caractère tant
qu'il put, [...]
jusqu'à
ce
qu'[...] il se jetât dans la carrière du
mal », cela
veut
dire jusqu'au moment où il s'y jeta, et comme on
l'écrit
avec le subjonctif, sauf rares exceptions, depuis au moins le
milieu du XVIIIe
siècle. Il ne saurait s'agir ni d'un archaïsme, ni
d'un
écart
volontaire par rapport à l'usage.
(c) Hispanisme*s. En espagnol, on n'économise
pas les
marques de la
possession, en français oui, de sorte que l'espression est
ici
nettement
fautive. Déjà, au tout début de la strophe,
on
écrirait tout naturellement « fut bon pendant
les
premières années, où il vécut
heureux »,
puisque ce sont les premières années de
sa
vie.
Mais le complément étant sous-entendu, on peut bien
accepter
là le possessif.
(d) Seul le premier traducteur
espagnol des
Chants
a
osé transcrire ici ce qui devrait pourtant venir à
l'esprit de
n'importe quel hispanophone : ¿ Habéis
oído,
Hombres ? (Gómez), laissant à la seule majuscule
le soin
d'exprimer l'emphase de l'apostrophe en français. Tous les
autres
traducteurs adoptent, bien entendu, humanos, comme on le lit en
français,
mais il ne fait pas de doute que l'expression dérive de
l'hispanisme
(au
sens strict) ¡ hombres !
(e) Maldoror ose le
répéter
« avec
cette
plume qui tremble » : il s'agit de la plume qui
rédige
la
strophe qu'on a sous les yeux. Voilà probablement la
première
substitution du héros au narrateur, ou la première
confusion des
deux
personnages, mais elle est imperceptible. En effet, pour celui qui
ne
connaît pas la suite des Chants, l'auteur peut
être le
simple
porte-parole de son héros dans cette phrase.
(f) La loi de la pesanteur devrait
désigner la théorie de Galilée sur la chute
des corps (1604), la loi sur la gravité ou de la
gravitation, celle de Newton (1687), d'où découle
l'attraction universelle (tandis que ces théories seront
revues par celle de la relativité d'Einstein vers 1915). On
verra, à la strophe 6.7, n. (f),
que c'est bien la théorie de la gravité qui est
désignée ici, sous le nom de lois de la pesanteur. Le
dépouillement du TLF tend à montrer que les deux
désignations sont très souvent mises l'une pour
l'autre, du moins en domaine littéraire.
Or, il semble bien qu'en
espagnol on
parle
seulement des leyes de la gravedad; la conclusion, si elle
s'avérait juste, illustrerait l'évidence, à
savoir que Ducasse a fait ses sciences physiques au
collège
et son collège, en français !
(1) Maldoror. L'étude des
sources ne
s'arrête
pas
avec l'analyse des influences possibles ou avec la
possibilité
d'origines
trop nombreuses d'une création originale. Elle confirme et
prend acte
de
l'originalité radicale. Tel est le cas du nom Maldoror, qui
n'a jamais
été un nom propre (de personne, de personnage ou de
lieu) avant
d'apparaître pour la première fois ici sous la plume
d'Isidore
Ducasse, pour donner ensuite son titre à l'oeuvre dont il
sera le
héros. Si ce nom avait la moindre source, on l'aurait
retrouvée
depuis longtemps, étant donné sa renommée.
Et la création du poète n'a pas
non plus
d'antécédent
dans aucune langue romane, ce qui lui donne une puissance
d'évocation
considérable. C'est parce que
« maldoror » ne
procède d'aucun mot connu — ou plus
précisément d'aucun
monème — que les interprétations peuvent
être
à
peu près illimitées. François Caradec en a
proposé une
énumération critique dans sa biographie (Caradec,
1975,
p. 194-196).
Ces interprétations commencent en quelque sorte avec
les deux
premières grandes coquilles bibliographiques, le Chant
I
étant enregistré au dépôt légal
sous le
titre
Chant des Maldolor (14-21 août 1868), puis
répertorié
dans la Bibliographie de la France le 5 septembre sous le
titre
Chants
de Maldorer (Lefrère, 1998, p, 326). Cela
donne :
« mal dolor », « mal
d'aurore »,
« mal d'horror », « Mald
oror » ou
encore
un jeu de mot contredisant l'« horreur du
mal ». Cette
recherche ou cette poursuite du sens, qui tient
véritablement du
calembour,
est parfaitement justifiée par l'évidente motivation
du nom du
héros (comme on le dit du signe ou de la signification
linguistique,
c'est-à-dire
du rapport entre le signifiant et le
signifié) : le
lecteur est évidemment invité à
interpréter lui-même
le mot « maldoror » en fonction du
personnage
dont
l'oeuvre trace le portrait. Dès lors, le coup de
génie aura
été de produire un mot dont le sens est l'oeuvre
même.
Toutefois, si le nom n'a aucune source et si
le mot n'a aucun sens
donné ou
prédéterminé, sa production linguistique est
un
évident
hispanisme : pour un francophone, comme
pour toute
personne
de langue romane, il s'agit d'un nom espagnol, cela ne fait aucun
doute.
(2) Genèse : correction et
corrections
d'épreuves.
Cette première phrase de structure syntaxique espagnole
qu'il est
impossible
de comprendre précisément en français est
l'occasion de
s'interroger sur le travail de correction, aussi bien dans le
processus de la
rédaction qu'au moment de la correction des
épreuves.
D'abord, étant donné le
caractère
foncièrement
castillan de cette formulation absolument impossible en
français, comme les très
nombreuses qu'on trouvera dans la suite des Chants, on
peut
se demander à bon droit si Ducasse faisait relire ses textes
et se
faisait
aider à les corriger avant de les soumettre à
l'édition
(car
on ne saurait trouver par inadvertance, ici et là, quelques
phrases
isolées de cette nature profondément castillane,
c'est une
simple
question de bon sens linguistique). On peut croire que oui,
pourquoi
pas ?
Est-il possible que la confusion des langues puisse être
telle qu'on la
trouve dans cette phrase sans se persuader qu'elle soit de celles
qui ont
échappé à ses correcteurs ? Ces deux
interrogatives
sont pour moi de l'ordre de la rhétorique, pour
ménager les
âmes sensibles. Dans mon esprit, il ne fait pas de doute
qu'Isidore
Ducasse
devait se faire aider pour rédiger en français comme
il le
faisait.
Pour qu'un correcteur laisse passer
« exceptionnellement » quelques phrases comme
celle qui
nous
occupe ici, c'est une simple question de bon sens statistique, il
fallait
nécessairement qu'il y en ait beaucoup à corriger,
à
revoir
ou à refaire. — L'étude systématique
des variantes de la strophe 1.11 permettra d'identifier ce
correcteur : Georges
Dazet !
Ensuite, à l'inverse, comment trois
typographes ont-ils pu
reproduire
cette
phrase sans sourciller ? Sans rien connaître encore des
habitudes
de
la correction d'épreuves dans les cas comparables à
celui du
jeune
débutant à la même époque, je fais
l'hypothèse
suivante : c'est précisément parce qu'aucun des
trois
éditeurs des Chants n'a jamais soumis la moindre
épreuves
à corriger que les manuscrits de Ducasse auront
été
respectés à la lettre. On peut croire en effet qu'un
typographe
et
ses correcteurs n'hésitent jamais à corriger tout ce
qui
apparaît nettement fautif et incorrect, s'ils savent que
l'auteur
reverra son
texte, tandis que dans le cas contraire, ils composent
« ce qui est
écrit ». Dans cette hypothèse, il suit
qu'on a
imprimé les manuscrits de Ducasse (et l'imprimé de
1868
annoté
du Chant I, pour les deux derniers cas), au lieu de
l'éditer
en
aidant l'auteur à le corriger.
Personnellement, je pense que c'est heureux.
Ducasse ne serait pas
d'accord
avec
ma conclusion, mais comme je suis fasciné par son
hispanisme, je suis
bien
aise de le voir trahi.
(3) Plus haut ? On ne trouverait
rien
à ce sujet
si
l'on se reportait aux deux strophes précédentes. Il
faut donc
entendre, simplement, « c'est ce que je viens de
dire ».
Le
narrateur renvoie en effet au fragment suivant :
« il cacha son
caractère tant qu'il put [...] mais, à la fin, [...]
il se
(jeta)
résolument dans la carrière du mal », n'en
pouvant
plus.
Genèse. Le lapsus est
extrêmement significatif, car
« plus
haut » renvoie à un fragment vraisemblablement sur
la feuille
de
papier (ci-haut) et, surtout, dans cette strophe. L'ouverture de
chaque
strophe
correspondrait donc à une nouvelle séance
d'écriture
(éventuellement sur une nouvelle feuille), comme on peut
dès
lors le
croire. En tout cas la strophe possède assez d'autonomie
pour que
l'auteur
en oublie que sa référence puisse désigner
d'autres
strophes.
L'hypothèse peut être
étayée par
l'autonomie
« stylistique » des strophes des Chants de
Maldoror,
nouvel indice du travail du style. Chaque strophe
paraît
exploiter
un trait stylistique particulier ou du moins en contenir un. On
peut
même
y deviner une contrainte d'ouvroir de littérature
potentielle (OUPIPO)
formulée ainsi : chacune des strophes de
l'épopée
stylistique contiendra au moins un trait de style original, unique
à
cette
strophe, et qui, sauf exception (si cela trahissait trop la
règle),
sera sa
figure dominante. Ainsi des trois premières
strophes :
1) La longue comparaison « narrative », avec
ses propres
comparaisons; les ruptures de construction syntaxiques,
également.
2) La reprise (trait de style isolé).
3) Le syntagme nominal complément de la phrase
(« fatalité
extraordinaire ! », « atmosphère
douce ! »,
« Malédiction ! »
et
« Impossible »).
1. « Moi, Maldoror, je vous parle et vous
dis... »
(p. 56). Belle assurance.
2. Maldoror a été bon, s'est aperçu
qu'il
était
méchant, alors il le devint, ce qui est la « faute
de la
fatalité ». « Allez
comprendre ! »
(p. 56). Voilà une lueur de lucidité qui
jaillit du
cerveau de
Faurisson. Il ose le redire ici avec une plume qui jubile :
il ne
comprend
pas.
3. « À quoi songeait-il devant cette
naïve
créature ? À lui enlever ses joues avec un
rasoir ! » (p. 56). Ce n'est ni
« enlever », ni « ses » qui
se
méritent ce point d'exclamation, mais le fait même que
le
héros
pouvait penser ou rêver de défigurer les enfants qu'il
embrassait.
Sur ce point, le critique aurait
été mieux
avisé de
méditer cette première représentation du mal
dans
l'oeuvre.
C'est la cruauté visant les bébés ou du moins
les tout
jeunes
enfants, ceux qu'on embrasse spontanément, mais qu'on aurait
plaisir
à défigurer si l'on donnait libre cours à sa
cruauté.
Il me semble que sans être sadique ou sadien on pourrait
imaginer bien
pire.
Pourtant, n'y a-t-il pas quelque chose de très touchant et
aussi de
profondément juste dans ce qui peut paraître une
juvénile
représentation du mal ? Elle implique que le bien
absolu soit
l'innocence de l'enfance. C'est ce qu'il écrivait plus
haut, entre les
lignes...
Et l'oeuvre complète de Réjean
Ducharme pourrait
servir à
confirmer la profondeur de l'intuition, telle que nous pouvons tous
l'avoir,
avec
ou sans enfant.
De quoi parlait Robert Faurisson, au
juste ? Ah oui, son point
d'exclamation.
4. « Impossible également si le mal voulait
s'allier avec le
bien.
Mélange incongru » (p. 45). Si Faurisson
comprend
correctement la phrase de Ducasse, il la reproduit sans en voir la
difficulté.
5. À la fin de sa glose, en style indirect
libre :
« C.Q.F.D. Je ne suis pas mécontent de la rigueur
de ma
démonstration » (p. 56). Inutile de faire un
plaidoyer
sur
le sérieux. Mais c'est l'occasion de redire que toute la
thèse
de
Faurisson repose précisément sur la confusion du
comique et de
l'humour, de la parodie, du sarcasme et de l'humour noir. En
ramenant tout
à la farce, il se trompe d'autant plus que ce registre ne se
trouve
nulle
part dans l'oeuvre de Ducasse (d'où procède Jarry et
sa
'pataphysique, non l'inverse).
La récréation est
déjà finie. Assez de
bouffonneries
pour cette strophe.
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