1) 11: 23 P 1868 B 1869 Ah ! > Oh
!
2) 11: 23 P 1868 B 1869 Ah ! qu'il est > Oh
comme il est
3) 11: 23 P 1868 B 1869
de
se
coucher avec un enfant > d'arracher
brutalement
de son lit un enfant
4) 11: 25 P 1868 B 1869
et
de
passer > et, avec les yeux très
ouverts, de
faire semblant de passer
5) 12: 3 P 1868 B 1869 coup,
d'enfoncer >
coup, au moment où il s'y attend le
moins,
d'enfoncer
6) 12: 4 P 1868 B 1869 ses ongles > les
ongles
7) 12: 5 P 1868
mourrait >
mourait
8) 12: 6 P 1868 B 1869 Ensuite on
>
Ensuite,
on
9) 12: 9 P 1868 B 1869 sang extrait
>
sang,
extrait
10) 12: 11 P 1868 B
1869 si ce
n'est > si ce
ne sont
11) 12: 11 P 1868 ces larmes > ses
larmes
Première des trois «fautes
d'imprimerie»
signalées par
Isidore Ducasse à Victor Hugo lors de l'envoi de deux
exemplaires de
la première édition du Chant premier, dans sa lettre
du
10 novembre 1868. Des trois, il s'agit de la seule coquille
et on voit
qu'elle est corrigée (comme ce sera aussi le cas des deux
autres
fautes) dès la seconde édition :
« page 7
ligne 10 : Au lieu de si ce n'est ces
larmes, il faut
si ce n'est ses ».
12) 12: 15 P 1868 B 1869 n'est-ce
pas, car >
n'est-ce pas; car
13) 12: 15 P 1868 B 1869 car il
> car, il
14) 12: 17 B 1869 maladive, mouillée # maladive
mouillée
15) 12: 18 P 1868 B 1869 yeux, laquelle > yeux;
laquelle
16) 12: 19 P 1868 B 1869 bouche qui
>
bouche,
qui
17) 12: 20 P 1868 B 1869 coupe
tremblante >
coupe, tremblante
18) 12: 22 P 1868 B 1869 n'est-ce
pas, car >
n'est-ce pas; car
19) 12: 22 P 1868 B 1869 car elles
>
car,
elles
20) 12: 24 P 1868 B 1869 mais les
larmes >
mais,
les larmes
21) 12: 25 P 1868 B 1869
palais; lui > palais.
Lui
22) 12: 25 P 1868 B 1869 lui ne
> lui, ne
23) 12: 27 P 1868 B
1869 je
le
sais. Donc > je le devine par
analogie, quoique
j'ignore ce que c'est que
l'amitié, que l'amour (il est probable que je ne les
accepterai jamais;
du
moins, de la part de la race humaine). Donc
24) 13: 5 B 1869 Bande lui #
Bande-lui
25) 13: 5 P 1868 B 1869 yeux
pendant >
yeux,
pendant
26) 13: 7 P 1868 B 1869 sublimes
semblables
>
sublimes, semblables
27) 13: 10 P 1868 B
1869
écarté, comme >
écarté comme
28) 13: 10 P 1868 B
1869
avalanche tu > avalanche,
tu
29) 13: 12 P 1868 B
1869
mains
aux > mains, aux
30) 13: 15 P 1868 B 1869 sang.
Oh ! comme >
sang. Comme
31) 13: 15 P 1868 B 1869 vrai. > vrai !
32) 13: 22 P 1868 B 1869 êtes
! comme >
êtes ! Comme
33) 13: 26 P 1868 B 1869 mal ? > mal !
34) 14: 1 P 1868 B 1869 Ou bien
sont-ce >
Ou
bien, sont-ce
35) 14: 2 P 1868 B 1869 Oui, que > Oui...
que
36) 14: 2 P 1868 B 1869 chose, car > chose...
car
37) 14: 2 P 1868 B 1869 car sinon
>
car,
sinon
38) 14: 3 P 1868 B 1869 jugement
? >
jugement !
39) 14: 5 P 1868 B 1869
sacrée qui >
sacrée, qui
40) 14: 14 P 1868 B 1869
bouche; même >
bouche. Même
41) 14: 15 P 1868 B 1869 mon expiation > ma
punition
42) 14: 16 P 1868 B 1869 Alors tu
>
Alors,
tu
43) 14: 16 P 1868 B 1869
déchireras
sans
> déchireras, sans
44) 14: 17 P 1868 B 1869
t'arrêter; fais-le
avec les > t'arrêter, avec
45) 14: 17 P 1868 B
1869 Je
me
laisserai faire, et > Je parerai mon
corps de
guirlandes embaumées, pour
cet holocauste expiatoire; et
46) 14: 20 P 1868 B 1869
déchiré; toi
> déchiré, toi
47) 14: 20 P 1868 B 1869 toi de
> toi, de
48) 14: 20 P 1868 B 1869
déchirer, ma >
déchirer... ma
49) 14: 21 P 1868 B 1869 O
adolescent aux >
O
adolescent, aux
50) 14: 23 P 1868 B 1869
Malgré toi je
>
Malgré toi, je
51) 14: 27 P 1868 B 1869 ce qui est le > c'est
le
52) 14: 28 P 1868 B 1869 Plus tard
tu >
Plus
tard, tu
53) 14: 28 P 1868 B 1869 à
l'hôpital,
car > à l'hôpital;
car
54) 15: 1 P 1868 B 1869 car le >
car, le
55) 15: 2 P 1868 B 1869 couronnes
de
lauriers >
couronnes de laurier
56) 15: 5 P 1868 B 1869
qui
rend
le crime sacré, je > qui consacre la
sainteté du crime, je
57) 15: 7 P 1868 B 1869 Mais moi
>
Mais, moi
58) 15: 7 P 1868 B 1869 moi
j'existe >
moi,
j'existe
Après les soustractions de la
dernière strophe, voici
maintenant
les
premières additions de la troisième édition.
La
première, variante (3), édulcore
considérablement
le texte qui présentait le narrateur comme un
pédophile
en
pleine activité, ce qui est tout autre chose que le fantasme
de
pédérastie exprimé dans le monologue
prêté
au
lecteur (où le sadisme d'ailleurs ne s'exerce plus sur un
enfant, mais
sur
un adolescent). La seconde addition, (23), est
à
la fois
une restriction (je sais > je devine) et une précision
(Lautréamont ne connaît pas plus l'amour que
l'amitié et
ne se
propose pas de connaître jamais ces sentiments). Enfin, la
troisième
addition (45), change radicalement la position
du narrateur
dans
l'imaginaire sadomasochiste : Lautréamont n'a plus
l'intention de
jouer
le rôle passif de la victime qui se laisserait faire,
mais bien
plutôt le rôle dynamique du puissant, sacrifié
à sa
jeune
victime.
On trouve d'autres additions, mais elles sont
de même nature
que les
soustractions ou les transformations, d'ordre grammatical ou
stylistique.
Comme toujours, la seconde édition
(B 1869) reproduit
strictement
la
première, mais en corrigeant deux évidentes
coquilles : (7) et (11). La seconde
correction est de
Ducasse, comme on l'a vu, mais rien ne permet de croire qu'il en
est de
même de la première.
En revanche, cela devait finir par se
produire, la troisième
édition
ajoute une coquille de taille, soustrayant la virgule devant un
syntagme
prépositionnel (28) pour en ajouter une
à sa
suite
(29), déplaçant ainsi le
complément
circonstanciel « comme une avalanche ». Cf. n.
(m) et (n).
On doit remarquer pour finir que si les
variantes de ponctuation
sont
relativement
moins nombreuses, c'est parce que la ponctuation de la
première
édition commence à rejoindre la virgulite et la
point-virgulite
qui
seront la norme des Chants. Les ajustements à faire
sont
donc
moins nombreux. Rien ne marque mieux le travail du style : le
résultat
s'impose d'ailleurs si fortement à la troisième
édition
des
premières strophes qu'on pourrait sans peine corriger les
écarts
qu'on y trouve encore ! comme le fait une fois le typographe
de la
seconde
édition (26). Je ne le fais pas, bien
entendu, ne
retenant pas même cette leçon, après avoir
hésité
il est vrai.
(a) À première vue,
c'est la cas de
le
dire, on
imagine
qu'il faut avoir les yeux grand ouverts, très grands
ouverts. Mais on
se
convainc vite que l'adjectif est mis ici pour franc,
sincère. Or, il
se
trouve que le dictionnaire encyclopédique de la langue
espagnole
contemporain de Ducasse, le dictionnaire Garnier, rappelle le
gallicisme
rostro
abierto (figure, visage ouvert) mis pour semblante ingenuo. Dans
le contexte
immédiat de l'addition — cf. variante (4) —,
l'enfant
n'a pas les yeux bandés, de sorte qu'il faut lui
présenter un
regard
ouvert, et faire semblant de le caresser. En tout cas,
cette
interprétation s'accorde à l'idée de
duplicité,
essentielle tout au long de la strophe.
(b) Les, mis pour ses. Cf. (d).
(c) Inversion : autant que dure
l'éternité.
(d) Son*s,
mis pour le, à cause
de la
participiale qui
suit
à laquelle le déterminant renvoie : on boit
son
sang,
le sang extrait comme..., sinon les larmes...
(e) Extrait : le caractère
objectif, froid
ou
chirurgical
du verbe est vraiment frappant. Comme cela se produit souvent,
Aldo
Pellegrini
donne l'expression qui viendrait spontanément à
l'esprit dans
le
contexte : obtenu.
(f) ¡
Hombre !
Voilà
un
hispanisme radical, comme on le voit au glossaire. Il est
d'ailleurs radical
de
plusieurs points de vue. Dès qu'il est traduit ou
pensé en
espagnol,
le vocable a un sens clair et net, sans surprise. C'est un seul
mot, mais en
réalité sa signification diffuse irradie tout le
texte des
Chants, car c'est du lecteur qu'il est question, plus
précisément du lecteur supposé qu'on appelle
le
narrataire.
Pour un lecteur francophone, surtout si c'est un homme (eh
oui !), il y
a dans
l'apostrophe masculine une forme d'exclusion d'une part de
lui-même qui
l'empêche d'occuper la position du narrataire, une position
de force
universelle, comme si Lautréamont, le narrateur, adressait
ses
Chants au représentant absolu de la condition
humaine, un
« lecteur » à sa mesure, Adam (celui de
John
Milton,
bien entendu), avant la création d'Ève ou la
distinction
sexuelle.
Enfin, troisième aspect, à travers ce mot, c'est
toute
l'expression
de la catégorie grammaticale du genre qui est atteinte. Les
tournures
passives et impersonnelles de la langue castillane, comme sa
préférence pour les désinences masculines ou
les accords
au
masculin, font en sorte que le féminin y est à la
fois plus rare
et
plus fortement marqué qu'en français. C'est ce
système
de
« sexuiusemblance » (comme l'appellent J.
Damourette et
E.
Pichon) qui fait exceptionnellement irruption dans une oeuvre de
langue
française, celle d'Isidore Ducasse.
Bien entendu, pour apprécier l'impact
considérable de
l'hispanisme
radical, celui-là en particulier, il faut avoir à
l'esprit que
la
langue et sa grammaire ne sont pas simplement des règles que
l'on
applique
plus ou moins bien, mais essentiellement une manière de
penser.
(g) T : n'est-ce pas; car... (P 1869,
p. 12:
14).
J'ajoute
le point d'interrogation et soustrais en conséquence le
point-virgule.
Le
morphème interrogatif, qui sert aussi à la mise en
relief et au
renforcement, pourtant si fréquent dans la langue
parlée, ne
s'enseigne pas dans la grammaire scolaire, de sorte que la faute
est
fréquente. On le trouve trois fois dans les Chants,
hors de
la
phrase interrogative, dont deux fois dans la présente
strophe, toujours
sans
son point d'interrogation (cf. (i) et aussi
p. 64:
23).
(h) La main, creusée au fond.
Le creux de
la main.
Il est évident que le
tête-à-queue de style
artiste a
normalement une fonction de
« poétisation ». Ce
sera
le cas, classique, de sa réalisation à la toute fin
de la
présente strophe, où la traduction de la
figure (son
point
de départ) se trouve dans la première édition,
c'est-à-dire dans la variante (56) :
consacrer
la
sainteté du crime, cela se traduit de manière
prosaïque
par l'expression « rendre le crime
sacré » (crime
sacré > crime saint/sanctifié > sainteté
du
crime).
On trouve aussi le mouvement inverse,
caractéristique du
style de
Ducasse : la dépoétisation ! On a
déjà
remarqué la manière avec laquelle Ducasse utilisait
le
mécanisme de la figure pour produire des images dont
le point
de
départ se perdait, alors précisément que la
rhétorique
veut que le lecteur puisse aisément le reconstituer :
cf. 1.1,
n. (h), ce point de départ
étant le
sens de l'image, comme on vient de l'illustrer.
Il faut ajouter maintenant que le
tête-à-queue sert,
dans les
Chants de Maldoror à briser ce qui peut apparaître
comme la
poésie naturelle de la langue, ses figures figées.
Le
tête-à-queue compte ainsi parmi les outils les plus
efficaces du
travail du style. Ce n'est pas le cas ici, où le creux de
la main se
trouve
tout aussi bien en espagnol qu'en français, mais il s'agit
souvent de
la
rêverie de l'hispanophone sur les tournures figées du
français,
l'équivalent des vocables étudiés ici dans le
glossaire
des
« gallicismes ». La
narration
produit ici
un simple fondu enchaîné, comme on le dit du raccord
de certains
plans
au cinéma. On va de la main repliée que l'on passe
sur la
figure au
geste de boire dans la paume de sa main, en renversant le
substantif (le
creux de la main) en participe adjectif (du verbe creuser).
L'image
produite est tellement prosaïque (surtout avec la virgule qui
isole le
syntagme adjectival) qu'elle mine l'expression courante et produit
un effet
de
langage poétique, au sens où on l'entend depuis Roman
Jakobson.
(i) T : n'est-ce pas; car... (P 1869,
p. 12:
22). Comme
en
(g).
(j) Celle qui aime le plus. C'est
avec la seconde
occurrence
de
l'expression, dans cette phrase, que l'ambiguïté
disparaît
(car
à la phrase précédente, la périphrase
pourrait
désigner aussi la mère ou toute figure
féminine que l'on
peut
imaginer). C'est donc l'amante. Ou plutôt, tel n'est
pas le
cas,
justement, parce qu'il nous faudrait le mot
« aimante »,
qui
n'existe pas comme substantif en français. En revanche, la
langue
poétique castillane userait sans peine ici du mot amadora
(féminin
d'amador, amateur ou « aimant »
justement ! qui aime,
forcément le plus...).
(k) Adolescent. C'est la
première fois
que le mot
apparaît dans les Chants et on y reviendra à la
première des apostrophes qui suivent (p).
On remarquera que la scène change avec
le mot. À la
première
séquence de la strophe, c'est d'un enfant qu'il s'agissait.
La seconde
séquence est constituée de l'adresse au lecteur
où le
discours
porte d'abord sur le sang et les larmes des enfants; mais lorsque
le
personnage
réapparaît, ou plus précisément celui
qui
apparaît
maintenant, c'est un adolescent.
C'est la conclusion de l'analyse narrative qui
prouve qu'on ne
saurait voir
ici
deux synonymes de valeurs approchées, dont le lecteur
devrait faire une
sorte de moyenne, sous les traits d'un « jeune
adolescent, presque
un
enfant ». C'est exactement le contraire qui est vrai.
Lautréamont parle d'abord d'un enfant qu'on peut porter dans
ses bras,
tandis qu'il présente maintenant au lecteur un adolescent
qu'il va
bientôt lui proposer d'enlacer. Le mécanisme narratif
est celui
de
l'histoire rêvée, qui n'a rien
d'« onirique »
(invention des récits de rêve,
c'est-à-dire de
l'idée qu'on s'en fait au réveil), juxtaposant des
tableaux et
des
séquences qui se réinterprètent
rétrospectivement
en
de nouvelles « histoires » avec l'apparition de
chaque
nouveau
tableau ou de chaque nouvelle séquence, par la force de
notre
compétence narrative. Les Chants de Maldoror
d'Isidore
Ducasse
sont à ma connaissance la seule réalisation
systématique
et
parfaitement rigoureuse de l'histoire rêvée ou
plus
exactement du rêve avant qu'on en fasse au réveil
un
récit, le récit d'une histoire qui n'a bien
entendu
jamais
existée, non pas parce que c'est un rêve, mais parce
qu'un
rêve,
s'il présente plus d'une image, est nécessairement un
emboîtement de tableaux et d'histoires.
Une des conséquences immédiates
du mécanisme
narratif du
rêve est la métamorphose des personnages, dont on a
ici un
exemple
très simple : on prend un enfant dans ses bras,
on lui
caresse
le front et les cheveux, avant de lui déchirer la poitrine.
À la
séquence suivante, c'est un adolescent qui tient ce
rôle, qui
le « tenait » donc dans l'histoire que nous
reconstituons,
la
métamorphose du personnage impliquant une
réinterprétation de
la séquence précédente. Et ainsi de suite.
Car on
imagine
bien que, dans les séquences suivantes, lorsqu'on se
trouvera en face
d'un
adolescent aux os cassés et aux lambeaux de chair
sanguignolants
arrachés par tout le corps, ce n'est pas non plus le
paraplégique
hospitalisé de l'avant-dernière séquence,
voire
même
celui qu'on peut imaginer dans le tombeau de la dernière
séquence.
La conclusion qui s'impose, au plan linguistique, c'est qu'on ne
passe pas par
inadvertance ou par faute de langue des trois occurrences du mot
enfant aux
cinq
occurrences du mot adolescent, alors même que personne
d'autre que
Ducasse
n'aurait pu résister à procéder à
l'harmonisation
du
vocabulaire dans la strophe « corrigée »
ou
« mise au net », à supposer qu'on puisse
même
la
« rédiger » ainsi.
(l) Il ne sera pas inutile de
souligner
l'impertinence de
l'adjectif (selon le mot de Jean Cohen) que redouble l'impertinence
de la
comparaison, de sorte que le tête-à-queue renverse en
chiasme les
deux
adjectifs, les cris perçants d'un côté et les
râles
sublimes de l'autre.
(m) T : t'ayant écarté
(P 1869,
p. 13: 9).
Je
corrige sans hésiter, car la faute est absolument impossible
pour un
francophone. En espagnol, les formes composées des verbes
pronominaux
réfléchis se conjuguent avec avoir : haberse
apartado,
habiéndote apartado = t'étant écarté.
On dira,
avec
raison, qu'il s'agit d'un hispanisme, mais au sens courant
de la
faute
attendu d'un hispanophone en français.
Comme je l'ai déjà
expliqué, si des fautes
comme celle-ci
ont
pu échapper aux corrections du manuscrit, c'est qu'elles
devaient
être
très nombreuses : voir strophe 1.3, n. (2).
Cependant, une fois la faute passée
à la
première
édition, on comprend que la seconde édition qui la
reproduit
doit
s'en tenir le plus possible au texte qui ne sera pas revu par
l'auteur. En
revanche, une fois déplacé par erreur le
complément qui
suit
(cf. les variantes (27) et (28) et la
note
suivante), on se retrouve, à la troisième
édition, avec
une
proposition tellement extravagante, « t'ayant
écarté
comme une avalanche », que la question de
l'auxiliaire y
paraît bien secondaire. Le résultat typographique,
s'ayant
malheureusement écarté comme une avalanche de la
présente
édition, était pourtant digne d'Isidore
Ducasse !
(n) T : t'ayant écarté
comme une
avalanche (P
1869,
p. 13: 10). Je rétablis simplement la leçon
correcte de
la
première et de la seconde éditions : cf.
variante (28). La version de la troisième
édition est une
évidente coquille et d'autant plus malheureuse qu'elle
correspond en
fait
à un déplacement de la virgule, celle de la variante
(29) étant ajoutée elle par
Ducasse.
(o) Même si le point
d'exclamation
conviendrait
beaucoup
mieux et serait même la ponctuation attendue ici, je crois
qu'il faut
laisser
les deux-points, pour le lecteur qui en est à sa
première
lecture des
Chants. Ainsi on ne peut ignorer que la phrase est du
niveau et de
la
nature de l'incise, même si cela est évident par
ailleurs, et
explicite avec la phrase qui suit la réplique.
« Réplique » n'est
pas le mot juste. On
trouve en
effet
pour la première fois dans cette strophe la forme de
narration
caractéristique des Chants. Elle consiste à
mettre en
place
deux discours qui se répondent ou se complètent, le
récit
du
narrateur et le monologue d'un personnage. Le discours du lecteur
fait ici
à peu près exactement le tiers de la strophe (une
proportion de
0,3617 pour être précis). On peut croire que la
formule est
inspirée par le Paradis perdu de John Milton, mais en
fait
elle
peut venir aussi de l'Enfer de Dante et de bien d'autres
oeuvres.
Ce qui
est important, c'est que la « réplique »
incluse,
de par
sa longueur même, fait en sorte qu'on passe de la
dramatisation à
la
narration. La chose s'explique de la façon suivante :
lorsqu'un
narrateur cède la parole à l'un ou l'autre de ses
personnages,
il
dramatise bien entendu sa narration (avec le dialogue ou le
monologue); mais
si un
personnage garde trop longtemps la parole, comme c'est le cas ici
de la
réplique du lecteur supposé, alors le narrateur fait
plus que
lui
céder la parole, il lui délègue la narration.
On change
ainsi
de narrateur, évidemment, mais ce qui est bien plus
important c'est que
le
statut d'un personnage en est transformé, puisqu'il acquiert
la
fonction
narrative (et c'est nécessairement un narrateur
homodiégétique, ce qui n'est pas le cas en
principe de
Lautréamont).
(p) Adolescent : comme on vient de
passer de
l'enfant
à
l'adolescent — voir la note (k) —,
aucun des
sept
traducteurs des Chants en espagnol n'a eu le réflexe
d'utiliser muchacho, qui conviendrait parfaitement
aux quatre
apostrophes qui vont suivre et qui divisent en autant de fragments
le
monologue du
lecteur.
On remarquera que seul le premier de ces
fragments utilise le
vouvoiement, ce
que
les traducteurs ne maintiennent pas, sauf Ana Alonso,
précisément
parce qu'il contredit le caractère affectif de la
désignation,
pensée en espagnol (niño, joven, mozo, muchacho,
etc.).
Toutefois,
nous ne sommes pas en espagnol, mais bien en français,
où se
trouve
l'hispanisme. Contrairement à hombre, muchacho n'a
absolument aucun
correspondant en français, de sorte que s'il est à
l'origine de
la
désignation « adolescent » ici, comme
c'est
très
souvent évident ailleurs, il s'agit d'une véritable
création
linguistique, au croisement du familier et affectif muchacho et de
l'emphatique
mais non moins affectif adolescent, bien improbable dans la bouche
d'un
hispanophone et impossible pour un francophone.
Si hombre illustre l'hispanisme comme
transformation du
français (son
hispanisation), adolescent explique bien le rôle de
l'hispanisme dans
la
construction d'un style qui transcende les langues romanes. La
preuve en est
que,
né de l'usage courant des noms génériques si
fréquents
dans la langue parlée castillane, cet hispanisme produit
dans les
Chants
de Maldoror bien autre chose que les désignations
affectives
(souvent
explétives d'ailleurs), soit une figure très
particulière
de
l'art oratoire, faite d'apostrophes et de désignations aussi
surprenantes
que maîtrisées.
(q) Inversion pour : de
cruelles
douleurs.
(r) Il n'est pas possible de
comprendre :
votre
mère
serait plus près de la mort (si abhorrée par les
coupables) que
je
ne suis abhorré moi-même. Le contresens est toutefois
prévisible à cause de la proposition incidente qui
sépare
la
principale de sa subordonnée. Il faut ajouter que la phrase
est lourde
d'implicite : les coupables détestent la mort à
cause du
jugement qui la suit, comme on le lira plus bas; il s'ensuit que
le lecteur,
évidemment coupable du mal qu'il déplore, laisse
entendre, ne
craignant pas la mort, qu'il n'est pas au nombre des coupables.
(s) Mis pour : qui t'a brisé
les os.
Hispanisme
morphologique*s : quien
rompió/ha roto tus huesos.
(t) T : ce crime; et pourtant (P 1869,
p. 14:
10).
Avant de
se prolonger d'une proposition exclamative, la phrase est
évidemment
interrogative directe. Il lui faut donc le point
d'interrogation.
(u) À première vue, la
virgule
paraît une
coquille
tant elle contredit l'usage du « même
de ». Il faut
y
regarder de plus près pour voir que trois phrases
s'articulent par
emboîtement : je veux que... + de cette
manière-là
même ce sera incomplet + tu feras alors... Du moins la
virgule
suggère-t-elle ces rejets.
(v) Cette phrase tient
véritablement de
l'hermétisme. La description est proche de celles des
parnassiens.
L'interprétation que j'en propose
s'attache d'abord à
l'utilisation
systématique de la préposition à mise
pour le
verbe
avoir (à = qui a, avec), un gallicisme qui fascine
manifestement
Ducasse,
qui l'a employé plusieurs fois déjà depuis la
strophe
précédente (les hommes aux
épaules étroites, à la
tête laide et aux yeux
terribles;
et
ici-même : les mains, aux
nerfs et
aux veines gonflées; l'adolescent,
aux cheveux blonds, aux
yeux si
doux) : il suffit de penser aux emplois de l'homme aux
lèvres
de... et surtout à la célèbre ouverture de la
strophe
2.12
où le mécanisme s'applique au pronom (lorsque je me
réveillais, [moi] à la verge rouge). C'est le
cas ici.
En
effet, l'expression « à la figure
vieille » est
à
prendre au sens littéral, comme la figure de
l'adolescent plus
haut, et ne se rapporte pas à la tombe, ni aux pieds, ni
même aux
couronnes et médailles, mais bien à toi (le
pronom
qu'on
trouve dans on t'appellera et tes pieds). C'est donc
ton
visage.
Ensuite, cela est plus facile à
établir, épars
se
rapporte aux
couronnes et médailles. Du coup, on voit que la grande
tombe
est
un tombeau, renfermant vraisemblablement deux cercueils si on veut
bien
l'imaginer
ou du moins celui du lecteur.
Au terme de l'analyse syntaxique, ce que l'on
voit apparaître
est fort
simple : c'est la statue du lecteur, sous les traits d'un
[sage]
vieillard
(à la figure vieille), dressée sur sa tombe où
les
ornements
de marbre, représentant des couronnes de laurier et des
médailles
d'or, sont si nombreux qu'ils cachent ses pieds nus. L'ensemble
forme le
monument
funéraire.
(w) Encore une périphrase.
Elle ne
paraît pas
énigmatique, la strophe précédente s'achevant
également
sur une invocation à Dieu et plus précisément
au
Créateur.
Pourtant, on peut croire un instant qu'il
s'agit de l'adolescent et
c'est si
vrai
que la traduction d'Ana Alonso le propose explicitement :
¡ Oh
joven, cuyo nombre no quiero escribir en esta página !,
Ô
jeune
homme dont je ne veux pas écrire le nom...
L'hypothèse peut
s'appuyer à bon droit sur la deuxième et la
troisième
séquences du monologue du lecteur, « Adolescent,
pardonne-moi », d'où son pardon,
« immense comme
l'univers ». On pourrait également invoquer un
argument
externe
à la strophe, se reportant au personnage de Falmer :
« Oui,
oui, j'ai déjà dit comment il s'appelle... je ne veux
pas
épeler de nouveau ces six lettres, non, non »
(4.8,
p. 227:
8) — quoique le narrateur applique le même traitement
au nom de
Dieu :
3.2 (P 1869, p. 151: 15)
Pendant trois jours, je
m'agenouillai dans les
églises, et ne cessai de remercier le grand nom de Celui qui
avait
enfin
exaucé mes voeux.
5.3 (P 1869, p. 247: 9) Au
moins, il est avéré
que,
pendant le
jour, chacun peut opposer une résistance utile contre le
Grand Objet
Extérieur (qui ne sait pas son nom ?)...
Or, c'est bien le Créateur en effet que
désigne ici la
périphrase et non l'adolescent. D'abord parce que ce dernier
n'est pas
d'un
individu, ensuite (comme la traduction Alonso le prouve sans le
savoir) parce
que
si Ducasse voulait le désigner ici, il lui faudrait
nécessairement
l'indiquer explicitement (« Ô toi,
adolescent ») et
enfin
parce qu'il y va de l'interprétation de tout le segment
final de la
strophe
et en particulier de la dernière phrase, celle qui suit.
Par ailleurs,
l'idée vient de Dante qui s'est imposé, par respect,
de ne
jamais
nommer Dieu ni Béatrice tout au long de l'Enfer, le
premier
cantique de son poème.
Cette ambiguïté levée, une
autre surgit. Le
pardon de
Dieu,
c'est d'abord le rachat de l'humanité après la faute
d'Adam;
ce peut
être aussi et c'est en conséquence le pardon possible
et
même
probable du criminel dont on vient d'élever la statue (le
« lecteur »). Ce n'est donc pas une
ambiguïté.
Il s'agit précisément de la problématique
chrétienne
de la rémission des péchés et du mal
envisagé dans
la
dialectique théologique.
(x) La connaissance de l'hispanisme
est
nécessaire
pour
comprendre le sens littéral de la dernière phrase et
même
la
description du monument funéraire et l'invocation au
Créateur
qui
précèdent : l'exclamation implique, bien
entendu, que le
« lecteur », ce monstre, lui, est mort et
probablement
même pardonné.
Faut-il souligner le coup de génie qui
consiste à
envoyer son
lecteur
au tombeau ? Nous sommes, n'est-ce pas ? à la
sixième
strophe !
(1) La strophe n'a aucune source
textuelle
avérée,
ni chez Sade et encore moins dans les Évangiles, comme on
l'a parfois
suggéré.
Sa source immédiate est la proposition
de la strophe 1.3
attribuant
à
Maldoror le désir suivant : « Qui l'aurait
dit !
lorsqu'il embrassait un petit enfant, au visage rose, il aurait
voulu lui
enlever
ses joues avec un rasoir, et il l'aurait fait très souvent,
si Justice,
avec
son long cortège de châtiments, ne l'en eût
chaque fois
empêché » (p. 8).
La
narration vient ensuite très naturellement après les
strophes
1.4 et
1.5, dont elle découle.
Par contre, l'addition qu'on trouve ici, soit
la variante (45),
est nettement d'origine biblique. « Je parerai mon corps
de
guirlandes
embaumées, pour cet holocauste expiatoire » :
l'« holocauste
expiatoire » (qu'on trouve aussi
au second
chant, 2.9, p. 95: 3), en
particulier, doit provenir
originellement de
Lévitique ou de Nombres; le texte le plus proche s'en
trouve dans le
paragraphe d'Ézéchiel, inspiré de ces livres,
sur la
description des offrandes, notamment les versets suivants :
« Une
brebis [...] sera donnée pour l'offrande, l'holocauste et le
sacrifice
d'actions de grâce, afin de servir de victime expiatoire, dit
le
Seigneur,
l'Éternel. [...] Le prince sera chargé des
holocaustes, des
offrandes
et des libations [...]; il offrira le sacrifice expiatoire,
l'offrande,
l'holocauste, et le sacrifice d'actions de grâces, en
expiation pour la
maison d'Israël » (Éz, 46: 15 et 17). Cela
dit, il ne
s'agit
pas de chercher dans la Bible la source de Ducasse. En effet, si
l'addition
est
d'origine biblique, son style ne l'est pas. On y voit sans peine
la tournure
romantique de Chateaubriand. Toutefois, je n'ai pu retrouver
aucune phrase
comparable dans sa traduction du Paradis perdu où
l'« holocauste expiatoire » et les
« guirlandes
embaumés » étaient susceptibles de figurer
dans
plusieurs
contextes. En tout cas, si Chateaubriand n'est pas la source
textuelle de
l'addition, il en est sûrement la source d'inspiration.
Aussi la phrase explicitement
« poétique »
contraste
avec le caractère prosaïque de la strophe, même
dans le
fragment
hermétique décrivant le monument.
(2) Mais, moi, j'existe/je vis
encore ! Rien
ne
permet de croire, même et surtout à la faveur de
l'hispanisme, qui pourtant en accentue l'expression, qu'on trouve
ici ce
qui apparaîtra rétrospectivement, du moins dans sa
répétition — « Pourtant, je sens que je
respire ! » (1.8, cf. n. 5) —,
comme
une citation du thème central de Menfred de Byron.
Bien au contraire, et je crois que le contrecoup en est encore plus
grand
à la relecture, rien ne laisse deviner encore le sens
« byronien » de cette étrange dernière
phrase
à la première lecture.
On ne peut pas toujours s'en tenir aux petits
détails
amusants
relevés avec brio par Robert Faurisson à coup de
points
d'exclamation : « râles perçants
[!] »
(p. 59), « puisait [!] » (p. 59) et
« perclus [!] » (p. 59). Ni non plus
à ses
très fines analyses syntaxiques, du genre :
« phrases
bâties en dépit du bon sens (voy. le rejet de
larmes,
complément du verbe puisait ! »
(p. 59).
Ni
même à son hilarant cours de logique classique
où le
raisonnement qui veut que le sang soit bon puisqu'il n'a pas de
goût ou
celui
qui dit que les larmes sont excellentes parce qu'elles ont le
goût du
vinaigre lui paraissent d'une logique « un peu
vacillante »
(p. 59). Robert Faurisson est vraiment d'une rare
perspicacité.
Cela dit, il faut aussi tenir compte des
grands mouvements de sa
lecture des
strophes. Ou plutôt de l'invention d'une oeuvre tout
à fait
nouvelle,
fruit d'une lecture originale :
1. Le criminel, selon lui est couvert de
« décorations »
(p. 59).
2. « On le décorera avec une telle
générosité
qu'il en aura des couronnes de laurier aux pieds »
(p. 59).
Je
n'invente rien.
3. Savez-vous où sont ses « pieds nus,
épars sur la
grande
tombe, à la figure vieille », où ils se
trouvent ?
Allez, devinez... « Par terre »
(p. 59) ! Ne
sommes-nous pas tous debout sur elle ? La terre, cette grande
tombe
à
la figure vieille... « Par terre ?
Voilà une
façon bien plate de s'exprimer ! Il sied de dire s'
[sic,
qu'] il
a les pieds nus, épars sur la grande tombe à la
figure
vieille » (p. 59).
Robert Faurisson ne manque pas
d'imagination.
4. Non seulement il ne fait pas l'ombre d'un doute pour lui
que le
narrateur
invoque l'adolescent, mais c'est sa victime :
« Sur
la
fin, Maldoror [sic] nous révèle que ce crime, il l'a
lui-même
perpétré. [...] Il ne veut pas écrire le nom
de sa
victime.
Il sait qu'elle lui a pardonné »
(p. 59-60).
5. Et pour finir l'interprétation du
« Mais, moi,
j'existe
encore ! » : ce serait un défi.
« Qu'on
se
le dise ! Et maintenant qui veut se mesurer avec
moi ? »
(p, 60), fait-il dire au texte.
Bien entendu, les fantasmes de Robert
Faurisson sont assez
éloignés
de l'oeuvre qui les inspire, on le voit. Ce sont les siens. En
tout cas,
il
nous présente un criminel qu'on va
« décorer »,
notamment avec des couronnes qui de la tête lui descendront
jusqu'aux
pieds,
des pieds « épars » sur la terre, cette
grande
tombe;
et ce criminel, ainsi accoutré, c'est nul autre que
Maldoror.
Maldoror ! un grand guignol décoré et
couronné, qui
nous
défie tous. Un peu plus et il nous brandirait un poing
sanguinaire.
Voilà le Maldoror de Robert Faurisson.
Et dire que son livre s'intitule
« A-t-on lu
Lautréamont ? ».
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