El bozo
TdM Règles d'établissement Strophe 3.5 Glossaires Index TGdM
Édition critique interactive
des Chants de Maldoror du comte de Lautréamont par Isidore Ducasse

sous la direction de Guy Laflèche, Université de Montréal
<< Chant 1, strophe 6 >>
Variantes Commentaires Notes Faurissonneries


 
 
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5

 

      On doit laisser pousser ses ongles pendant quinze
jours. Oh ! comme il est doux d'arracher brutalement
de son lit un enfant qui n'a rien encore sur la lèvre
supérieure*d, et, avec les yeux très ouverts (a), de faire
semblant de passer suavement la main sur son front,
en inclinant*i en arrière ses beaux cheveux ! Puis, tout
à coup, au moment où il s'y attend le moins, d'enfoncer
les ongles longs dans sa poitrine molle, de façon
qu'il ne meure pas; car, s'il mourait, on n'aurait
pas plus tard l'aspect de ses misères. Ensuite, on
boit le sang en léchant les (b) blessures; et, pendant ce
temps, qui devrait durer autant que l'éternité dure (c),
l'enfant pleure. Rien n'est si bon que son (d) sang, extrait (e)
comme je viens de le dire, et tout chaud encore,
si ce ne sont ses larmes, amères comme le sel.
Homme (f), n'as-tu jamais goûté de ton sang, quand
par hasard tu t'es coupé le doigt ? Comme il est bon,
n'est-ce pas ? (g) car, il n'a aucun goût. En outre, ne te
souviens-tu pas d'avoir un jour, dans tes réflexions
lugubres, porté la main, creusée au fond (h), sur ta
figure maladive mouillée par ce qui tombait des
yeux; laquelle main ensuite se dirigeait fatalement
vers la bouche, qui puisait à longs traits, dans cette
coupe, tremblante comme les dents de l'élève qui regarde
obliquement celui qui est né pour l'oppresser,
les larmes ? Comme elles sont bonnes, n'est-ce pas ? (i)
car, elles ont le goût du vinaigre. On dirait les larmes
de celle qui aime le plus; mais, les larmes de l'enfant
sont meilleures au palais. Lui, ne trahit pas, ne connaissant
pas encore le mal : celle qui aime le plus (j)
trahit tôt ou tard... je le devine par analogie, quoique
j'ignore ce que c'est que l'amitié, que l'amour (il est
probable que je ne les accepterai jamais; du moins,
de la part de la race humaine). Donc, puisque ton
sang et tes larmes ne te dégoûtent pas, nourris-toi,
nourris-toi avec confiance des larmes et du sang de
l'adolescent (k). Bande-lui les yeux, pendant que tu déchireras
ses chairs palpitantes; et, après avoir entendu
de longues heures ses cris sublimes, semblables
aux râles perçants (l) que poussent dans une bataille
les gosiers des blessés agonisants, alors, t'étant (m)
écarté, (n) comme une avalanche, tu te précipiteras de
la chambre voisine, et tu feras semblant d'arriver*h à
son secours. Tu lui délieras les mains, aux nerfs et
aux veines gonflées, tu rendras la vue à ses yeux
égarés, en te remettant à lécher ses larmes et son
sang. Comme alors le repentir est vrai ! L'étincelle
divine qui est en nous, et paraît si rarement, se
montre
; trop tard ! Comme le coeur déborde de pouvoir
consoler l'innocent à qui l'on a fait du mal : (o)
« Adolescent (p), qui venez de souffrir des douleurs
cruelles (q), qui donc a pu commettre sur vous un crime
que je ne sais de quel nom qualifier ! Malheureux que
vous êtes ! Comme vous devez souffrir ! Et si votre
mère savait cela, elle ne serait pas plus près de la
mort, si abhorrée par les coupables (r), que je ne le suis
maintenant. Hélas ! qu'est-ce donc que le bien et le
mal ! Est-ce une même chose par laquelle nous témoignons
avec rage notre impuissance, et la passion
d'atteindre à l'infini par les moyens même les plus
insensés ? Ou bien, sont-ce deux choses différentes ?
Oui... que ce soit plutôt une même chose... car, sinon,
que deviendrai-je au jour du jugement ! Adolescent,
pardonne-moi; c'est celui qui est devant ta figure
noble et sacrée, qui a brisé tes (s) os et déchiré les
chairs qui pendent à différents endroits de ton corps.
Est-ce un délire de ma raison malade, est-ce un instinct
secret qui ne dépend pas de mes raisonnements*i,
pareil à celui de l'aigle déchirant sa proie, qui m'a
poussé à commettre ce crime ? (t) et pourtant, autant
que ma victime, je souffrais ! Adolescent, pardonne-
moi. Une fois sortis de cette vie passagère, je veux
que nous soyons entrelacés*i pendant l'éternité; ne
former qu'un seul être, ma bouche collée à ta bouche.
Même, (u) de cette manière, ma punition ne sera
pas complète. Alors, tu me déchireras, sans jamais
t'arrêter, avec les dents et les ongles à la fois. Je parerai
mon corps de guirlandes embaumées, pour cet
holocauste expiatoire (1); et nous souffrirons tous les
deux, moi, d'être déchiré, toi, de me déchirer... ma
bouche collée à ta bouche. Ô adolescent, aux cheveux
blonds, aux yeux si doux, feras-tu maintenant
ce que je te conseille ? Malgré toi, je veux que tu le
fasses, et tu rendras heureuse ma conscience ».
Après avoir parlé ainsi, en même temps tu auras fait
le mal à un être humain, et tu seras aimé du même
être : c'est le bonheur le plus grand que l'on puisse
concevoir. Plus tard, tu pourras le mettre à l'hôpital;
car, le perclus ne pourra pas gagner sa vie. On
t'appellera*f bon, et les couronnes de laurier et les
médailles d'or cacheront tes pieds nus, épars sur la
grande tombe, à la figure vieille (v). Ô toi, dont je ne
veux pas écrire le nom (w) sur cette page qui consacre
la sainteté du crime, je sais que ton pardon fut immense
comme l'univers. Mais, moi, j'existe (x) encore ! (2)


1. Variantes

1) 11: 23  P 1868 B 1869  Ah ! > Oh !
2) 11: 23  P 1868 B 1869  Ah ! qu'il est > Oh comme il est
3) 11: 23  P 1868 B 1869  de se coucher avec un enfant > d'arracher brutalement de son lit un enfant
4) 11: 25  P 1868 B 1869  et de passer > et, avec les yeux très ouverts, de faire semblant de passer
5) 12: 3  P 1868 B 1869  coup, d'enfoncer > coup, au moment où il s'y attend le moins, d'enfoncer
6) 12: 4  P 1868 B 1869  ses ongles > les ongles
7) 12: 5  P 1868  mourrait > mourait
8) 12: 6  P 1868 B 1869  Ensuite on > Ensuite, on
9) 12: 9  P 1868 B 1869  sang extrait > sang, extrait
10) 12: 11  P 1868 B 1869  si ce n'est > si ce ne sont

11) 12: 11  P 1868 ces larmes > ses larmes

      Première des trois «fautes d'imprimerie» signalées par Isidore Ducasse à Victor Hugo lors de l'envoi de deux exemplaires de la première édition du Chant premier, dans sa lettre du 10 novembre 1868. Des trois, il s'agit de la seule coquille et on voit qu'elle est corrigée (comme ce sera aussi le cas des deux autres fautes) dès la seconde édition : « page 7 ligne 10 : Au lieu de  si ce n'est ces larmes, il faut si ce n'est ses ».

12) 12: 15  P 1868 B 1869  n'est-ce pas, car > n'est-ce pas; car
13) 12: 15  P 1868 B 1869  car il > car, il
14) 12: 17  B 1869  maladive, mouillée # maladive mouillée
15) 12: 18  P 1868 B 1869  yeux, laquelle > yeux; laquelle
16) 12: 19  P 1868 B 1869  bouche qui > bouche, qui
17) 12: 20  P 1868 B 1869  coupe tremblante > coupe, tremblante
18) 12: 22  P 1868 B 1869  n'est-ce pas, car > n'est-ce pas; car
19) 12: 22  P 1868 B 1869  car elles > car, elles
20) 12: 24  P 1868 B 1869  mais les larmes > mais, les larmes
21) 12: 25  P 1868 B 1869  palais; lui > palais. Lui
22) 12: 25  P 1868 B 1869  lui ne > lui, ne
23) 12: 27  P 1868 B 1869  je le sais. Donc > je le devine par analogie, quoique j'ignore ce que c'est que l'amitié, que l'amour (il est probable que je ne les accepterai jamais; du moins, de la part de la race humaine). Donc
24) 13: 5  B 1869  Bande lui # Bande-lui
25) 13: 5  P 1868 B 1869  yeux pendant > yeux, pendant
26) 13: 7  P 1868 B 1869  sublimes semblables > sublimes, semblables
27) 13: 10  P 1868 B 1869  écarté, comme > écarté comme
28) 13: 10  P 1868 B 1869  avalanche tu > avalanche, tu
29) 13: 12  P 1868 B 1869  mains aux > mains, aux
30) 13: 15  P 1868 B 1869  sang. Oh ! comme > sang. Comme
31) 13: 15  P 1868 B 1869  vrai. > vrai !
32) 13: 22  P 1868 B 1869  êtes ! comme > êtes ! Comme
33) 13: 26  P 1868 B 1869  mal ? > mal !
34) 14: 1  P 1868 B 1869  Ou bien sont-ce > Ou bien, sont-ce
35) 14: 2  P 1868 B 1869  Oui, que > Oui... que
36) 14: 2  P 1868 B 1869  chose, car > chose... car
37) 14: 2  P 1868 B 1869  car sinon > car, sinon
38) 14: 3  P 1868 B 1869  jugement ? > jugement !
39) 14: 5  P 1868 B 1869  sacrée qui > sacrée, qui
40) 14: 14  P 1868 B 1869  bouche; même > bouche. Même
41) 14: 15  P 1868 B 1869  mon expiation > ma punition
42) 14: 16  P 1868 B 1869  Alors tu > Alors, tu
43) 14: 16  P 1868 B 1869  déchireras sans > déchireras, sans
44) 14: 17  P 1868 B 1869  t'arrêter; fais-le avec les > t'arrêter, avec
45) 14: 17  P 1868 B 1869  Je me laisserai faire, et > Je parerai mon corps de guirlandes embaumées, pour cet holocauste expiatoire; et
46) 14: 20  P 1868 B 1869  déchiré; toi > déchiré, toi
47) 14: 20  P 1868 B 1869  toi de > toi, de
48) 14: 20  P 1868 B 1869  déchirer, ma > déchirer... ma
49) 14: 21  P 1868 B 1869  O adolescent aux > O adolescent, aux
50) 14: 23  P 1868 B 1869  Malgré toi je > Malgré toi, je
51) 14: 27  P 1868 B 1869  ce qui est le > c'est le
52) 14: 28  P 1868 B 1869  Plus tard tu > Plus tard, tu
53) 14: 28  P 1868 B 1869  à l'hôpital, car > à l'hôpital; car
54) 15: 1  P 1868 B 1869  car le > car, le
55) 15: 2  P 1868 B 1869  couronnes de lauriers > couronnes de laurier
56) 15: 5  P 1868 B 1869  qui rend le crime sacré, je > qui consacre la sainteté du crime, je
57) 15: 7  P 1868 B 1869  Mais moi > Mais, moi
58) 15: 7  P 1868 B 1869  moi j'existe > moi, j'existe

      Après les soustractions de la dernière strophe, voici maintenant les premières additions de la troisième édition. La première, variante (3), édulcore considérablement le texte qui présentait le narrateur comme un pédophile en pleine activité, ce qui est tout autre chose que le fantasme de pédérastie exprimé dans le monologue prêté au lecteur (où le sadisme d'ailleurs ne s'exerce plus sur un enfant, mais sur un adolescent). La seconde addition, (23), est à la fois une restriction (je sais > je devine) et une précision (Lautréamont ne connaît pas plus l'amour que l'amitié et ne se propose pas de connaître jamais ces sentiments). Enfin, la troisième addition (45), change radicalement la position du narrateur dans l'imaginaire sadomasochiste : Lautréamont n'a plus l'intention de jouer le rôle passif de la victime qui se laisserait faire, mais bien plutôt le rôle dynamique du puissant, sacrifié à sa jeune victime.

      On trouve d'autres additions, mais elles sont de même nature que les soustractions ou les transformations, d'ordre grammatical ou stylistique.

      Comme toujours, la seconde édition (B 1869) reproduit strictement la première, mais en corrigeant deux évidentes coquilles : (7) et (11). La seconde correction est de Ducasse, comme on l'a vu, mais rien ne permet de croire qu'il en est de même de la première.

      En revanche, cela devait finir par se produire, la troisième édition ajoute une coquille de taille, soustrayant la virgule devant un syntagme prépositionnel (28) pour en ajouter une à sa suite (29), déplaçant ainsi le complément circonstanciel « comme une avalanche ». Cf. n. (m) et (n).

      On doit remarquer pour finir que si les variantes de ponctuation sont relativement moins nombreuses, c'est parce que la ponctuation de la première édition commence à rejoindre la virgulite et la point-virgulite qui seront la norme des Chants. Les ajustements à faire sont donc moins nombreux. Rien ne marque mieux le travail du style : le résultat s'impose d'ailleurs si fortement à la troisième édition des premières strophes qu'on pourrait sans peine corriger les écarts qu'on y trouve encore ! comme le fait une fois le typographe de la seconde édition (26). Je ne le fais pas, bien entendu, ne retenant pas même cette leçon, après avoir hésité il est vrai.


2. Commentaires linguistiques

(a) À première vue, c'est la cas de le dire, on imagine qu'il faut avoir les yeux grand ouverts, très grands ouverts. Mais on se convainc vite que l'adjectif est mis ici pour franc, sincère. Or, il se trouve que le dictionnaire encyclopédique de la langue espagnole contemporain de Ducasse, le dictionnaire Garnier, rappelle le gallicisme rostro abierto (figure, visage ouvert) mis pour semblante ingenuo. Dans le contexte immédiat de l'addition — cf. variante (4) —, l'enfant n'a pas les yeux bandés, de sorte qu'il faut lui présenter un regard ouvert, et faire semblant de le caresser. En tout cas, cette interprétation s'accorde à l'idée de duplicité, essentielle tout au long de la strophe.

(b) Les, mis pour ses. Cf. (d).

(c) Inversion : autant que dure l'éternité.

(d) Son*s, mis pour le, à cause de la participiale qui suit à laquelle le déterminant renvoie : on boit son sang, le sang extrait comme..., sinon les larmes...

(e) Extrait : le caractère objectif, froid ou chirurgical du verbe est vraiment frappant. Comme cela se produit souvent, Aldo Pellegrini donne l'expression qui viendrait spontanément à l'esprit dans le contexte : obtenu.

(f) ¡ Hombre ! Voilà un hispanisme radical, comme on le voit au glossaire. Il est d'ailleurs radical de plusieurs points de vue. Dès qu'il est traduit ou pensé en espagnol, le vocable a un sens clair et net, sans surprise. C'est un seul mot, mais en réalité sa signification diffuse irradie tout le texte des Chants, car c'est du lecteur qu'il est question, plus précisément du lecteur supposé qu'on appelle le narrataire. Pour un lecteur francophone, surtout si c'est un homme (eh oui !), il y a dans l'apostrophe masculine une forme d'exclusion d'une part de lui-même qui l'empêche d'occuper la position du narrataire, une position de force universelle, comme si Lautréamont, le narrateur, adressait ses Chants au représentant absolu de la condition humaine, un « lecteur » à sa mesure, Adam (celui de John Milton, bien entendu), avant la création d'Ève ou la distinction sexuelle. Enfin, troisième aspect, à travers ce mot, c'est toute l'expression de la catégorie grammaticale du genre qui est atteinte. Les tournures passives et impersonnelles de la langue castillane, comme sa préférence pour les désinences masculines ou les accords au masculin, font en sorte que le féminin y est à la fois plus rare et plus fortement marqué qu'en français. C'est ce système de « sexuiusemblance » (comme l'appellent J. Damourette et E. Pichon) qui fait exceptionnellement irruption dans une oeuvre de langue française, celle d'Isidore Ducasse.

      Bien entendu, pour apprécier l'impact considérable de l'hispanisme radical, celui-là en particulier, il faut avoir à l'esprit que la langue et sa grammaire ne sont pas simplement des règles que l'on applique plus ou moins bien, mais essentiellement une manière de penser.

(g) T : n'est-ce pas; car... (P 1869, p. 12: 14). J'ajoute le point d'interrogation et soustrais en conséquence le point-virgule. Le morphème interrogatif, qui sert aussi à la mise en relief et au renforcement, pourtant si fréquent dans la langue parlée, ne s'enseigne pas dans la grammaire scolaire, de sorte que la faute est fréquente. On le trouve trois fois dans les Chants, hors de la phrase interrogative, dont deux fois dans la présente strophe, toujours sans son point d'interrogation (cf. (i) et aussi p. 64: 23).

(h) La main, creusée au fond. Le creux de la main.

      Il est évident que le tête-à-queue de style artiste a normalement une fonction de « poétisation ». Ce sera le cas, classique, de sa réalisation à la toute fin de la présente strophe, où la traduction de la figure (son point de départ) se trouve dans la première édition, c'est-à-dire dans la variante (56) : consacrer la sainteté du crime, cela se traduit de manière prosaïque par l'expression « rendre le crime sacré » (crime sacré > crime saint/sanctifié > sainteté du crime).

      On trouve aussi le mouvement inverse, caractéristique du style de Ducasse : la dépoétisation ! On a déjà remarqué la manière avec laquelle Ducasse utilisait le mécanisme de la figure pour produire des images dont le point de départ se perdait, alors précisément que la rhétorique veut que le lecteur puisse aisément le reconstituer : cf. 1.1, n. (h), ce point de départ étant le sens de l'image, comme on vient de l'illustrer.

      Il faut ajouter maintenant que le tête-à-queue sert, dans les Chants de Maldoror à briser ce qui peut apparaître comme la poésie naturelle de la langue, ses figures figées. Le tête-à-queue compte ainsi parmi les outils les plus efficaces du travail du style. Ce n'est pas le cas ici, où le creux de la main se trouve tout aussi bien en espagnol qu'en français, mais il s'agit souvent de la rêverie de l'hispanophone sur les tournures figées du français, l'équivalent des vocables étudiés ici dans le glossaire des « gallicismes ». La narration produit ici un simple fondu enchaîné, comme on le dit du raccord de certains plans au cinéma. On va de la main repliée que l'on passe sur la figure au geste de boire dans la paume de sa main, en renversant le substantif (le creux de la main) en participe adjectif (du verbe creuser). L'image produite est tellement prosaïque (surtout avec la virgule qui isole le syntagme adjectival) qu'elle mine l'expression courante et produit un effet de langage poétique, au sens où on l'entend depuis Roman Jakobson.

(i) T : n'est-ce pas; car... (P 1869, p. 12: 22). Comme en (g).

(j) Celle qui aime le plus. C'est avec la seconde occurrence de l'expression, dans cette phrase, que l'ambiguïté disparaît (car à la phrase précédente, la périphrase pourrait désigner aussi la mère ou toute figure féminine que l'on peut imaginer). C'est donc l'amante. Ou plutôt, tel n'est pas le cas, justement, parce qu'il nous faudrait le mot « aimante », qui n'existe pas comme substantif en français. En revanche, la langue poétique castillane userait sans peine ici du mot amadora (féminin d'amador, amateur ou « aimant » justement ! qui aime, forcément le plus...).

(k) Adolescent. C'est la première fois que le mot apparaît dans les Chants et on y reviendra à la première des apostrophes qui suivent (p).

      On remarquera que la scène change avec le mot. À la première séquence de la strophe, c'est d'un enfant qu'il s'agissait. La seconde séquence est constituée de l'adresse au lecteur où le discours porte d'abord sur le sang et les larmes des enfants; mais lorsque le personnage réapparaît, ou plus précisément celui qui apparaît maintenant, c'est un adolescent.

      C'est la conclusion de l'analyse narrative qui prouve qu'on ne saurait voir ici deux synonymes de valeurs approchées, dont le lecteur devrait faire une sorte de moyenne, sous les traits d'un « jeune adolescent, presque un enfant ». C'est exactement le contraire qui est vrai. Lautréamont parle d'abord d'un enfant qu'on peut porter dans ses bras, tandis qu'il présente maintenant au lecteur un adolescent qu'il va bientôt lui proposer d'enlacer. Le mécanisme narratif est celui de l'histoire rêvée, qui n'a rien d'« onirique » (invention des récits de rêve, c'est-à-dire de l'idée qu'on s'en fait au réveil), juxtaposant des tableaux et des séquences qui se réinterprètent rétrospectivement en de nouvelles « histoires » avec l'apparition de chaque nouveau tableau ou de chaque nouvelle séquence, par la force de notre compétence narrative. Les Chants de Maldoror d'Isidore Ducasse sont à ma connaissance la seule réalisation systématique et parfaitement rigoureuse de l'histoire rêvée ou plus exactement du rêve avant qu'on en fasse au réveil un récit, le récit d'une histoire qui n'a bien entendu jamais existée, non pas parce que c'est un rêve, mais parce qu'un rêve, s'il présente plus d'une image, est nécessairement un emboîtement de tableaux et d'histoires.

      Une des conséquences immédiates du mécanisme narratif du rêve est la métamorphose des personnages, dont on a ici un exemple très simple : on prend un enfant dans ses bras, on lui caresse le front et les cheveux, avant de lui déchirer la poitrine. À la séquence suivante, c'est un adolescent qui tient ce rôle, qui le « tenait » donc dans l'histoire que nous reconstituons, la métamorphose du personnage impliquant une réinterprétation de la séquence précédente. Et ainsi de suite. Car on imagine bien que, dans les séquences suivantes, lorsqu'on se trouvera en face d'un adolescent aux os cassés et aux lambeaux de chair sanguignolants arrachés par tout le corps, ce n'est pas non plus le paraplégique hospitalisé de l'avant-dernière séquence, voire même celui qu'on peut imaginer dans le tombeau de la dernière séquence. La conclusion qui s'impose, au plan linguistique, c'est qu'on ne passe pas par inadvertance ou par faute de langue des trois occurrences du mot enfant aux cinq occurrences du mot adolescent, alors même que personne d'autre que Ducasse n'aurait pu résister à procéder à l'harmonisation du vocabulaire dans la strophe « corrigée » ou « mise au net », à supposer qu'on puisse même la « rédiger » ainsi.

(l) Il ne sera pas inutile de souligner l'impertinence de l'adjectif (selon le mot de Jean Cohen) que redouble l'impertinence de la comparaison, de sorte que le tête-à-queue renverse en chiasme les deux adjectifs, les cris perçants d'un côté et les râles sublimes de l'autre.

(m) T : t'ayant écarté (P 1869, p. 13: 9).

      Je corrige sans hésiter, car la faute est absolument impossible pour un francophone. En espagnol, les formes composées des verbes pronominaux réfléchis se conjuguent avec avoir : haberse apartado, habiéndote apartado = t'étant écarté. On dira, avec raison, qu'il s'agit d'un hispanisme, mais au sens courant de la faute attendu d'un hispanophone en français.

      Comme je l'ai déjà expliqué, si des fautes comme celle-ci ont pu échapper aux corrections du manuscrit, c'est qu'elles devaient être très nombreuses : voir strophe 1.3, n. (2).

      Cependant, une fois la faute passée à la première édition, on comprend que la seconde édition qui la reproduit doit s'en tenir le plus possible au texte qui ne sera pas revu par l'auteur. En revanche, une fois déplacé par erreur le complément qui suit (cf. les variantes (27) et (28) et la note suivante), on se retrouve, à la troisième édition, avec une proposition tellement extravagante, « t'ayant écarté comme une avalanche », que la question de l'auxiliaire y paraît bien secondaire. Le résultat typographique, s'ayant malheureusement écarté comme une avalanche de la présente édition, était pourtant digne d'Isidore Ducasse !

(n) T : t'ayant écarté comme une avalanche (P 1869, p. 13: 10). Je rétablis simplement la leçon correcte de la première et de la seconde éditions : cf. variante (28). La version de la troisième édition est une évidente coquille et d'autant plus malheureuse qu'elle correspond en fait à un déplacement de la virgule, celle de la variante (29) étant ajoutée elle par Ducasse.

(o) Même si le point d'exclamation conviendrait beaucoup mieux et serait même la ponctuation attendue ici, je crois qu'il faut laisser les deux-points, pour le lecteur qui en est à sa première lecture des Chants. Ainsi on ne peut ignorer que la phrase est du niveau et de la nature de l'incise, même si cela est évident par ailleurs, et explicite avec la phrase qui suit la réplique.

      « Réplique » n'est pas le mot juste. On trouve en effet pour la première fois dans cette strophe la forme de narration caractéristique des Chants. Elle consiste à mettre en place deux discours qui se répondent ou se complètent, le récit du narrateur et le monologue d'un personnage. Le discours du lecteur fait ici à peu près exactement le tiers de la strophe (une proportion de 0,3617 pour être précis). On peut croire que la formule est inspirée par le Paradis perdu de John Milton, mais en fait elle peut venir aussi de l'Enfer de Dante et de bien d'autres oeuvres. Ce qui est important, c'est que la « réplique » incluse, de par sa longueur même, fait en sorte qu'on passe de la dramatisation à la narration. La chose s'explique de la façon suivante : lorsqu'un narrateur cède la parole à l'un ou l'autre de ses personnages, il dramatise bien entendu sa narration (avec le dialogue ou le monologue); mais si un personnage garde trop longtemps la parole, comme c'est le cas ici de la réplique du lecteur supposé, alors le narrateur fait plus que lui céder la parole, il lui délègue la narration. On change ainsi de narrateur, évidemment, mais ce qui est bien plus important c'est que le statut d'un personnage en est transformé, puisqu'il acquiert la fonction narrative (et c'est nécessairement un narrateur homodiégétique, ce qui n'est pas le cas en principe de Lautréamont).

(p) Adolescent : comme on vient de passer de l'enfant à l'adolescent — voir la note (k) —, aucun des sept traducteurs des Chants en espagnol n'a eu le réflexe d'utiliser muchacho, qui conviendrait parfaitement aux quatre apostrophes qui vont suivre et qui divisent en autant de fragments le monologue du lecteur.

      On remarquera que seul le premier de ces fragments utilise le vouvoiement, ce que les traducteurs ne maintiennent pas, sauf Ana Alonso, précisément parce qu'il contredit le caractère affectif de la désignation, pensée en espagnol (niño, joven, mozo, muchacho, etc.). Toutefois, nous ne sommes pas en espagnol, mais bien en français, où se trouve l'hispanisme. Contrairement à hombre, muchacho n'a absolument aucun correspondant en français, de sorte que s'il est à l'origine de la désignation « adolescent » ici, comme c'est très souvent évident ailleurs, il s'agit d'une véritable création linguistique, au croisement du familier et affectif muchacho et de l'emphatique mais non moins affectif adolescent, bien improbable dans la bouche d'un hispanophone et impossible pour un francophone.

      Si hombre illustre l'hispanisme comme transformation du français (son hispanisation), adolescent explique bien le rôle de l'hispanisme dans la construction d'un style qui transcende les langues romanes. La preuve en est que, né de l'usage courant des noms génériques si fréquents dans la langue parlée castillane, cet hispanisme produit dans les Chants de Maldoror bien autre chose que les désignations affectives (souvent explétives d'ailleurs), soit une figure très particulière de l'art oratoire, faite d'apostrophes et de désignations aussi surprenantes que maîtrisées.

(q) Inversion pour : de cruelles douleurs.

(r) Il n'est pas possible de comprendre : votre mère serait plus près de la mort (si abhorrée par les coupables) que je ne suis abhorré moi-même. Le contresens est toutefois prévisible à cause de la proposition incidente qui sépare la principale de sa subordonnée. Il faut ajouter que la phrase est lourde d'implicite : les coupables détestent la mort à cause du jugement qui la suit, comme on le lira plus bas; il s'ensuit que le lecteur, évidemment coupable du mal qu'il déplore, laisse entendre, ne craignant pas la mort, qu'il n'est pas au nombre des coupables.

(s) Mis pour : qui t'a brisé les os. Hispanisme morphologique*s : quien rompió/ha roto tus huesos.

(t) T : ce crime; et pourtant (P 1869, p. 14: 10). Avant de se prolonger d'une proposition exclamative, la phrase est évidemment interrogative directe. Il lui faut donc le point d'interrogation.

(u) À première vue, la virgule paraît une coquille tant elle contredit l'usage du « même de ». Il faut y regarder de plus près pour voir que trois phrases s'articulent par emboîtement : je veux que... + de cette manière-là même ce sera incomplet + tu feras alors... Du moins la virgule suggère-t-elle ces rejets.

(v) Cette phrase tient véritablement de l'hermétisme. La description est proche de celles des parnassiens.

      L'interprétation que j'en propose s'attache d'abord à l'utilisation systématique de la préposition à mise pour le verbe avoir (à = qui a, avec), un gallicisme qui fascine manifestement Ducasse, qui l'a employé plusieurs fois déjà depuis la strophe précédente (les hommes aux épaules étroites, à la tête laide et aux yeux terribles; et ici-même : les mains, aux nerfs et aux veines gonflées; l'adolescent, aux cheveux blonds, aux yeux si doux) : il suffit de penser aux emplois de l'homme aux lèvres de... et surtout à la célèbre ouverture de la strophe 2.12 où le mécanisme s'applique au pronom (lorsque je me réveillais, [moi] à la verge rouge). C'est le cas ici. En effet, l'expression « à la figure vieille » est à prendre au sens littéral, comme la figure de l'adolescent plus haut, et ne se rapporte pas à la tombe, ni aux pieds, ni même aux couronnes et médailles, mais bien à toi (le pronom qu'on trouve dans on t'appellera et tes pieds). C'est donc ton visage.

      Ensuite, cela est plus facile à établir, épars se rapporte aux couronnes et médailles. Du coup, on voit que la grande tombe est un tombeau, renfermant vraisemblablement deux cercueils si on veut bien l'imaginer ou du moins celui du lecteur.

      Au terme de l'analyse syntaxique, ce que l'on voit apparaître est fort simple : c'est la statue du lecteur, sous les traits d'un [sage] vieillard (à la figure vieille), dressée sur sa tombe où les ornements de marbre, représentant des couronnes de laurier et des médailles d'or, sont si nombreux qu'ils cachent ses pieds nus. L'ensemble forme le monument funéraire.

(w) Encore une périphrase. Elle ne paraît pas énigmatique, la strophe précédente s'achevant également sur une invocation à Dieu et plus précisément au Créateur.

      Pourtant, on peut croire un instant qu'il s'agit de l'adolescent et c'est si vrai que la traduction d'Ana Alonso le propose explicitement : ¡ Oh joven, cuyo nombre no quiero escribir en esta página !, Ô jeune homme dont je ne veux pas écrire le nom... L'hypothèse peut s'appuyer à bon droit sur la deuxième et la troisième séquences du monologue du lecteur, « Adolescent, pardonne-moi », d'où son pardon, « immense comme l'univers ». On pourrait également invoquer un argument externe à la strophe, se reportant au personnage de Falmer : « Oui, oui, j'ai déjà dit comment il s'appelle... je ne veux pas épeler de nouveau ces six lettres, non, non » (4.8, p. 227: 8) — quoique le narrateur applique le même traitement au nom de Dieu :

3.2 (P 1869, p. 151: 15) Pendant trois jours, je m'agenouillai dans les églises, et ne cessai de remercier le grand nom de Celui qui avait enfin exaucé mes voeux.

5.3 (P 1869, p. 247: 9) Au moins, il est avéré que, pendant le jour, chacun peut opposer une résistance utile contre le Grand Objet Extérieur (qui ne sait pas son nom ?)...

      Or, c'est bien le Créateur en effet que désigne ici la périphrase et non l'adolescent. D'abord parce que ce dernier n'est pas d'un individu, ensuite (comme la traduction Alonso le prouve sans le savoir) parce que si Ducasse voulait le désigner ici, il lui faudrait nécessairement l'indiquer explicitement (« Ô toi, adolescent ») et enfin parce qu'il y va de l'interprétation de tout le segment final de la strophe et en particulier de la dernière phrase, celle qui suit. Par ailleurs, l'idée vient de Dante qui s'est imposé, par respect, de ne jamais nommer Dieu ni Béatrice tout au long de l'Enfer, le premier cantique de son poème.

      Cette ambiguïté levée, une autre surgit. Le pardon de Dieu, c'est d'abord le rachat de l'humanité après la faute d'Adam; ce peut être aussi et c'est en conséquence le pardon possible et même probable du criminel dont on vient d'élever la statue (le « lecteur »). Ce n'est donc pas une ambiguïté. Il s'agit précisément de la problématique chrétienne de la rémission des péchés et du mal envisagé dans la dialectique théologique.

(x) La connaissance de l'hispanisme est nécessaire pour comprendre le sens littéral de la dernière phrase et même la description du monument funéraire et l'invocation au Créateur qui précèdent : l'exclamation implique, bien entendu, que le « lecteur », ce monstre, lui, est mort et probablement même pardonné.

      Faut-il souligner le coup de génie qui consiste à envoyer son lecteur au tombeau ? Nous sommes, n'est-ce pas ? à la sixième strophe !


3. Notes

(1) La strophe n'a aucune source textuelle avérée, ni chez Sade et encore moins dans les Évangiles, comme on l'a parfois suggéré.

      Sa source immédiate est la proposition de la strophe 1.3 attribuant à Maldoror le désir suivant : « Qui l'aurait dit ! lorsqu'il embrassait un petit enfant, au visage rose, il aurait voulu lui enlever ses joues avec un rasoir, et il l'aurait fait très souvent, si Justice, avec son long cortège de châtiments, ne l'en eût chaque fois empêché » (p. 8). La narration vient ensuite très naturellement après les strophes 1.4 et 1.5, dont elle découle.

      Par contre, l'addition qu'on trouve ici, soit la variante (45), est nettement d'origine biblique. « Je parerai mon corps de guirlandes embaumées, pour cet holocauste expiatoire » : l'« holocauste expiatoire » (qu'on trouve aussi au second chant, 2.9, p. 95: 3), en particulier, doit provenir originellement de Lévitique ou de Nombres; le texte le plus proche s'en trouve dans le paragraphe d'Ézéchiel, inspiré de ces livres, sur la description des offrandes, notamment les versets suivants : « Une brebis [...] sera donnée pour l'offrande, l'holocauste et le sacrifice d'actions de grâce, afin de servir de victime expiatoire, dit le Seigneur, l'Éternel. [...] Le prince sera chargé des holocaustes, des offrandes et des libations [...]; il offrira le sacrifice expiatoire, l'offrande, l'holocauste, et le sacrifice d'actions de grâces, en expiation pour la maison d'Israël » (Éz, 46: 15 et 17). Cela dit, il ne s'agit pas de chercher dans la Bible la source de Ducasse. En effet, si l'addition est d'origine biblique, son style ne l'est pas. On y voit sans peine la tournure romantique de Chateaubriand. Toutefois, je n'ai pu retrouver aucune phrase comparable dans sa traduction du Paradis perdu où l'« holocauste expiatoire » et les « guirlandes embaumés » étaient susceptibles de figurer dans plusieurs contextes. En tout cas, si Chateaubriand n'est pas la source textuelle de l'addition, il en est sûrement la source d'inspiration.

      Aussi la phrase explicitement « poétique » contraste avec le caractère prosaïque de la strophe, même dans le fragment hermétique décrivant le monument.

(2) Mais, moi, j'existe/je vis encore ! Rien ne permet de croire, même et surtout à la faveur de l'hispanisme, qui pourtant en accentue l'expression, qu'on trouve ici ce qui apparaîtra rétrospectivement, du moins dans sa répétition — « Pourtant, je sens que je respire ! » (1.8, cf. n. 5) —, comme une citation du thème central de Menfred de Byron. Bien au contraire, et je crois que le contrecoup en est encore plus grand à la relecture, rien ne laisse deviner encore le sens « byronien » de cette étrange dernière phrase à la première lecture.


4. Faurissonneries

      On ne peut pas toujours s'en tenir aux petits détails amusants relevés avec brio par Robert Faurisson à coup de points d'exclamation : « râles perçants [!] » (p. 59), « puisait [!] » (p. 59) et « perclus [!] » (p. 59). Ni non plus à ses très fines analyses syntaxiques, du genre : « phrases bâties en dépit du bon sens (voy. le rejet de larmes, complément du verbe puisait ! » (p. 59). Ni même à son hilarant cours de logique classique où le raisonnement qui veut que le sang soit bon puisqu'il n'a pas de goût ou celui qui dit que les larmes sont excellentes parce qu'elles ont le goût du vinaigre lui paraissent d'une logique « un peu vacillante » (p. 59). Robert Faurisson est vraiment d'une rare perspicacité.

      Cela dit, il faut aussi tenir compte des grands mouvements de sa lecture des strophes. Ou plutôt de l'invention d'une oeuvre tout à fait nouvelle, fruit d'une lecture originale :

1.   Le criminel, selon lui est couvert de « décorations » (p. 59).

2.   « On le décorera avec une telle générosité qu'il en aura des couronnes de laurier aux pieds » (p. 59). Je n'invente rien.

3.   Savez-vous où sont ses « pieds nus, épars sur la grande tombe, à la figure vieille », où ils se trouvent ? Allez, devinez... « Par terre » (p. 59) ! Ne sommes-nous pas tous debout sur elle ? La terre, cette grande tombe à la figure vieille... « Par terre ? Voilà une façon bien plate de s'exprimer ! Il sied de dire s' [sic, qu'] il a les pieds nus, épars sur la grande tombe à la figure vieille » (p. 59).

      Robert Faurisson ne manque pas d'imagination.

4.   Non seulement il ne fait pas l'ombre d'un doute pour lui que le narrateur invoque l'adolescent, mais c'est sa victime : « Sur la fin, Maldoror [sic] nous révèle que ce crime, il l'a lui-même perpétré. [...] Il ne veut pas écrire le nom de sa victime. Il sait qu'elle lui a pardonné » (p. 59-60).

5.   Et pour finir l'interprétation du « Mais, moi, j'existe encore ! » : ce serait un défi. « Qu'on se le dise ! Et maintenant qui veut se mesurer avec moi ? » (p, 60), fait-il dire au texte.

      Bien entendu, les fantasmes de Robert Faurisson sont assez éloignés de l'oeuvre qui les inspire, on le voit. Ce sont les siens. En tout cas, il nous présente un criminel qu'on va « décorer », notamment avec des couronnes qui de la tête lui descendront jusqu'aux pieds, des pieds « épars » sur la terre, cette grande tombe; et ce criminel, ainsi accoutré, c'est nul autre que Maldoror. Maldoror ! un grand guignol décoré et couronné, qui nous défie tous. Un peu plus et il nous brandirait un poing sanguinaire. Voilà le Maldoror de Robert Faurisson.

      Et dire que son livre s'intitule « A-t-on lu Lautréamont ? ».

Variantes Commentaires Notes Faurissonneries
Tables du début de la présente strophe