1) 17: 20 P 1868, B 1869
maintenant j'y suis
>
maintenant, j'y suis
2) 17: 24 P 1868, B 1869 Alors les
chiens
>
Alors, les chiens
3) 17: 25 P 1868
coureut > courent
4) 18: 1 P 1868, B
1869
ça
et là > çà et
là
5) 18: 2 P 1868, B 1869 Tout
à coup
ils
> Tout à coup, ils
6) 18: 2 P 1868, B
1869 de
tous
côtés > de tous les
côtés
On écrit de tout côtés ou
de tous
côtés
(DDLG),
ou encore de tous les côtés (DGLF). Or, cette
dernière
formulation présente l'avantage de ne laisser aucun doute
sur l'accord
de
l'adjectif indéfini dans l'esprit du lecteur, d'où
probablement
cette
intervention.
7) 18: 4 P 1868, B 1869
éléphant
avant > éléphant,
avant
8) 18: 7 P 1868, B 1869
baissent
> laissent
Il s'agit d'une coquille (soigneusement
reproduite à la
seconde
édition), comme tend à le prouver l'absence de la
virgule devant
« inertes » (qui serait alors une apposition ou
un
attribut du
complément d'objet). On peut croire que la correction est
de Ducasse,
car
la coquille est non seulement difficile à voir, mais peut
paraître une
leçon tout à fait vraisemblable, les chiens,
contrairement aux
éléphants, pouvant justement dresser l'oreille...
9) 18: 9 P 1868
tour
à
tour soit > tour à tour,
soit
10) 18: 17 P 1868, B 1869
montagnes
semblables
> montagnes, semblables
11) 18: 20 P 1868, B 1869 narine
rouge >
narine, rouge
12) 18: 20 B 1869 rouge
brûlant #
rouge, brûlant
13) 18: 21 P 1868, B
1869
chouettes dont > chouettes, dont
14) 18: 24 P 1868, B 1869
lièvre qui
>
lièvre, qui
15) 18: 24 P
1868 clin-d'oeil > clin d'oeil
16) 18: 24 B 1869 clin d'oeil
contre #
clin(-)d'oeil; contre
17) 18: 25 P 1868, B 1869 voleur
qui >
voleur, qui
18) 18: 26 P 1868, B
1869
serpents remuant > serpents, remuant
19) 18: 28 P 1868, B 1869
aboiements qui >
aboiements, qui
20) 19: 1 P 1868, B 1869 crapauds
qu'ils >
crapauds, qu'ils
21) 19: 3 P 1868, B 1869 arbres
dont >
arbres, dont
22) 19: 4 P 1868, B 1869 feuilles
mollement
bercées sont > feuilles,
mollement
bercées, sont
23) 19: 7 P 1868, B 1869
araignées
suspendues > araignées,
suspendues
24) 19: 8 P 1868, B 1869 corbeaux
qui >
corbeaux, qui
25) 19: 11 P 1868, B 1869 feux qui
>
feux, qui
26) 19: 16 P 1868, B 1869
Après quoi
ils
> Après quoi, ils
27) 19: 17 P 1868, B 1869 campagne
en sautant
>
campagne, en sautant
28) 19: 17 P 1868, B 1869 sautant
de leurs
pattes
sanglantes par-dessus > sautant, de
leurs
pattes
sanglantes, par-dessus
29) 19: 22 P 1868, B
1869
Les
chiens > Les amis des
cimetières
30) 19: 24 P 1868, B
1869
du
sang, car > du sang;
car
31) 19: 25 P 1868, B 1869 car ils
>
car, ils
32) 20: 2 P 1868, B 1869 les
autres sans >
les
autres, sans
33) 20: 3 P 1868, B 1869 ce qu'ils
font, se
déchirent > ce qu'ils font, et se
déchirent
34) 20: 3 P 1868, B 1869 lambeaux
avec >
lambeaux, avec
35) 20: 4 P 1868, B
1869
incroyable; ils n'agissent >
incroyable. Ils n'agissent
36) 20: 11 P 1868, B 1869 humains
à
la
figure > humains, à la
figure
37) 20: 23 P 1868, B 1869 Vous qui
>
Vous, qui
38) 20: 26 P 1868, B 1869 mon
front, ni les os > mon front;
ni
les os
39) 21: 1 P 1868, B
1869
montagnes alpestres, lesquelles je
parcourus >
montagnes alpestres, que je
parcourus
Correction. Heureusement que
l'antécédant
n'était pas
répété (lesquelles montagnes), comme il
devrait
l'être
en langage administratif. On se rappelle que Racine se moquait
déjà
de l'emploi dans ses Plaideurs. Disons en passant qu'on ne
peut pas
voir
dans la première formulation un hispanisme, el qual
correspondant
à peu près à lequel.
40) 21: 2 P 1868, B 1869 souvent
quand >
souvent, quand
41) 21: 3 P 1868, B 1869 Et quand
je
rôde
> Et, quand je rôde
42) 21: 4 P 1868, B 1869 des
hommes pendant
>
des hommes, pendant
43) 21: 7 P 1868, B 1869
flétrie avec
>
flétrie, avec
44) 21: 9 P 1868, B 1869
cheminées; il > cheminées :
il
45) 21: 9 P 1868
il ne faut
pas
les yeux > il ne faut pas que les
yeux
46) 21: 10 P 1868, B
1869
Être-Suprême >
Être
suprême
47) 21: 16 P
1868 ma chère caverne > ma caverne aimée
Il est difficile d'expliquer cette
« correction » que
Ducasse
fait dès la seconde édition (la première fois
que cela
se
produit pour une variante significative). Contrairement au
français
où cher est familier, caro est de style soutenu par rapport
à
querido; en revanche, aimé (comme le serait amado
d'ailleurs) est de
style
recherché.
48) 21: 19 P 1868, B 1869 Pourtant
je sens
>
Pourtant, je sens
49) 21: 20 P 1868, B 1869 Pourtant
je sens
>
Pourtant, je sens
50) 21: 21 P 1868, B 1869 Pourtant
je sens
>
Pourtant, je sens
51) 21: 22 B
1869
condamne # condamné
52) 22: 1 P 1868, B 1869
s'arrête pour
>
s'arrête, pour
53) 22: 3 P 1868, B 1869 l'horizon
à
travers > l'horizon, à
travers
54) 22: 4 P 1868, B 1869
l'entrée... je ne vois rien ! >
l'entrée : je ne vois rien !
55) 22: 5 P 1868, B 1869 Rien, si ce > Rien... si
ce
56) 22: 5 P 1868, B
1869
si ce
n'est les campagnes > si ce ne sont les campagnes
Correction, hypercorrection de l'hispanophone.
En effet, les
morphèmes
de
mise en relief « c'est... que » encadrant un
syntagme
nominal
pluriel s'accordent facultativement, surtout au présent. On
les trouve
toujours scrupuleusement accordés dans les Chants de
Maldoror
et
à tous les temps.
57) 22: 8 P 1868, B 1869 et le
cerveau !... > et le cerveau...
58) 22: 8-9 P 1868, B 1869 Qui
donc sur la
tête me donne > Qui donc, sur
la
tête, me donne
59) 22: 8 P 1868, B 1869 barre de
fer comme
>
barre de fer, comme
Contrairement aux apparences, les variantes
sont peu nombreuses
dans cette
strophe,
où les ajouts de ponctuation sont systématiques. Il
s'agit, la
plupart du temps, d'isoler les propositions relatives et les
participiales
dans les
énumérations, en ajoutant une virgule devant le
relatif, v. (13), ou le participe, (18)
— on
en compte
une
douzaine de cas. La même chose se produit avec les
compléments
circonstanciels et les adverbes de liaison. Une seule phrase est
scindée
(35). Une seule conjonction est encadrée
du
point-virgule
et de la virgule (30-31), figure typographique
dont on a
déjà parlé.
Les coquilles, nombreuses dans la
première édition,
sont parfois
corrigées dans la seconde — (3), (9),
(15) et (45) —, qui en
ajoute
une
à
son tour (51). On en trouve fort peu dans la
troisième,
puisque je ne dois intervenir qu'une fois.
Cela dit, on trouve pour la première
fois une correction
significative
de
la seconde édition reportée à la
troisième.
Lorsque
Ducasse remplace « ma chère
caverne » par
« ma caverne aimée » (47), sur
l'exemplaire de la première édition destinée
à la
réédition de Bordeaux, il en garde copie sur un autre
exemplaire
de
la première édition, celui qui sera recomposé
pour la
troisième édition, l'édition en un volume.
Nous sommes
à la huitième strophe et c'est la première
fois que cela
se
produit. Bien sûr, l'exemplaire corrigé de la
première
édition pour la troisième pouvait comprendre aussi la
correction
de
quelques-unes des rares coquilles qu'on trouve (et qu'on trouvera
vraisemblablement
encore dans les strophes suivantes) corrigées aussi bien
dans
l'édition de Bordeaux que dans l'édition en volume,
mais le
nombre
de coquilles reproduites aveuglément à la seconde
édition
est
si élevé (par exemple (4) et (46) dans la présente strophe), qu'il est
somme toute
peu
probable que cette lecture mot à mot ne soit pas
plutôt le fait
des
typographes et que voilà la première correction de
Ducasse
à
la seconde édition qu'il ait également
reportée à
la
troisième. En effet, si l'on oublie les quatre coquilles de
la
présente strophe corrigée dans les deux autres
éditions,
de
même que les variantes de « ver luisant »
dans la
strophe
précédente, 1.7, v. (1),
(7) et (21),
je n'en
trouve
que trois autres cas depuis le début du Chant I, si
je compte
bien : 1.4, v. (4); 1.6, v. (7); et 1.6, v. (11).
Après cette correction significative
dès la seconde
édition,
on n'en trouve que quatre autres dans la troisième et
dernière
édition, dont trois sont d'ordre morphologique :
l'addition de
l'article dans le syntagme « de tous (les)
côtés », (6), le relatif
« que » mis à la place de
« lesquelles » (39) et
l'accord au
pluriel
de « c'est » en « ce sont »
(56); reste donc la périphrase
« amis des
cimetières » qui remplace
« chiens » (29).
Étant donné leur
fréquence dans cette strophe,
je pense qu'on ferait bien de se reporter à l'analyse des
déterminants et des pronoms possessifs,
trait
particulièrement frappant de l'hispanisme morphologique des Chants. On
lira ici, ma tête (p. 21:
2); ma face (p. 21: 7); ma poitrine (p. 21: 18); et mon col (p. 21: 25).
(a) On dit, par exemple,
« à la
lueur de
la lune », tandis qu'on peut dire soit
« au clair
de
lune » (sans article), soit « au clair de la
lune »
(ce qui est pourtant moins attendu), probablement sous l'influence
de la
chanson
populaire (dont Lafargue fera une parodie dans les
Complaintes en
1885,
sous le titre « Complainte de Lord Pierrot »).
S'il
fallait
voir dans cet incipit l'influence de la chanson populaire, dont le
premier
vers est
bien « Au clair de la lune », alors
cette
influence
s'arrêterait là, n'ayant pas d'autre impact
appréciable
sur le
contenu de la strophe.
(b) Il faut comprendre : court,
vient et
vient
à
nouveau. La formule très curieuse s'explique par un
hispanisme
morphologique ou du moins par une compréhension toute
castillane du
préfixe verbal re- en français. En effet, plusieurs
verbes
composés avec ce préfixe peuvent traduire
rigoureusement la
tournure
volver + infinitif : relire, par exemple, correspond bien
à
volver
a leer (littéralement : revenir à lire, soit
recommencer
à lire, lire à nouveau). Et c'est ainsi qu'on peut
comprendre
que
« revenir » peut signifier volver a venir,
venir à
nouveau (ce qui est d'autant plus amusant que volver signifie
justement
revenir !). Évidemment, les traducteurs, qui
comprennent bien le
français, ne peuvent pas deviner que c'est de l'espagnol...
Aussi
interprètent-ils la formule à l'aide du verbe
aller :
l'ombre
court, va, vient. Or, le mouvement de l'ombre des arbres tel que
décrit
ici
ne connaît pas de recul ou de repli. Rapidement ou
lentement, l'ombre
court,
vient, revient sans cesse vers l'observateur, se moulant aux formes
du sol.
On trouvera le même sens parfaitement
bien exprimé
à la
prochaine strophe :
1.9 (P 1869, p. 31: 24) Pourquoi
reviens-je à toi,
pour la
millième fois, vers tes bras amis, qui s'entrouvrent, pour
caresser mon
front brûlant, qui voit disparaître la fièvre
à leur
contact !
(c) Par diverses formes.
Sous
diverses
formes ? En fait, ni l'une ni l'autre des deux
prépositions n'est
attendue avec les verbes qui précèdent et les
participes
présents qui suivent. En revanche, on peut sous-entendre un
verbe
comme
« passer » : passant par diverses
formes (en
suivant les formes du sol, en s'y moulant).
(d) Expression de la langue
parlée,
« dans
le
temps » (à une époque maintenant
révolue),
contraste
fortement avec « les ailes de la jeunesse ».
(e) L'emploi de gémir comme
transitif
direct est
littéraire (DGLF).
(f) Manifestement, l'attitude des
chiens laisse
entendre
qu'ils
vont hurler et non aboyer. — Par ailleurs, on crie la faim,
à la faim et sa faim, tandis qu'un
bébé pleure de faim, comme on pleure de joie.
Ducasse est le seul, parmi les auteurs des 1880 oeuvres du TLF
à écrire qu'un enfant crie de faim. En
revanche, tous les traducteurs sans exception reprennent
littéralement el niño grita de hambre. On
peut donc penser que la tournure est espagnole.
(g) « Tour à
tour » ne
porte pas,
je
crois, sur les chiens (au sens de « chacun leur
tour) »,
mais
sur les compléments de manière ou les comparaisons
qui suivent.
Il
faut le préciser, car l'expression fait alors double emploi
avec les
conjonctions marquant l'alternance (soit..., soit...), de sorte
qu'on lui
cherche
inutilement une autre application.
(h) À cause de l'étoile
du
nord, on
pensera
spontanément (comme plusieurs traducteurs) qu'il serait plus
simple le
désigner les étoiles du nord; mais la suite
montre que
non,
les chiens se tournant successivement vers les quatre points
cardinaux,
aboyant
contre les étoiles, toutes les étoiles.
(i) T : gisantes. En français,
le
participe
présent
ne s'accorde jamais et on ne saurait le confondre avec l'adjectif
verbal qui,
contrairement à l'adjectif, ne peut avoir de
complément.
Certes,
gisant est aussi un adjectif, mais il est difficile de
l'interpréter
ainsi
dans le contexte où les compléments sont
accompagnés de
relatives et de participiales.
(j) Il aura fallu trois
éditions pour en
arriver
à
la bonne ponctuation, celle du moins qui enlève toute
ambiguïté
aux fonctions des deux adjectifs. Le premier,
« rouge »,
qualifie l'« intérieur de la narine »
(sans la
virgule,
il qualifierait la narine — nuance !); le second, qui
qualifie
toujours
l'« intérieur de la narine », est
attribut du
complément d'objet du verbe rendre : l'air rend brulant
l'intérieur, rouge, de la narine.
(k) À première vue, la
préposition
est mise
pour
« par », mais à la réflexion, on
comprend
que le
corps des araignées est bien surpendu entre leurs
pattes,
surtout
si celles-ci sont arquées ou articulées, comme c'est
le cas des
grosses araignées du Cône Sud.
(l) Lambeau est pris pour synonyme de
morceau, ce
qui
explique le
caractère inattendu du nombre superlatif : mettre en
pièce,
c'est mettre en mille morceaux, c'est-à-dire en
lambeaux.
(m) On peut se cacher dans son
lit, mais ce
sera
nécessairement sous sa couverture. Le petit Chaperon
rouge :
« le loup, la voyant entrer, lui dit en se cachant
dans le
lit,
sous la couverture... » (Perrault, Contes,
éd.
J.-P. Collignet, Paris, Gallimard, coll.
« Folio »,
p. 144).
(n) On attend plutôt une
soif
insatiable
d'infini. La cause en est qu'« avoir soif
de »
est
un syntagme figé (lorsque le substantif soif ne se
caractérise
pas),
tandis qu'au contraire l'infini ne se concrétise pas parmi
d'autres,
dans
le contexte (l'infini mathématique, par exemple).
(o) Même est ici une tournure de
la langue
parlée,
au sens de « et même » et plus
précisément
« au contraire et exceptionnellement », de
sorte que
l'idée d'aller regarder par la fenêtre ne contrevient
pas
à
celle de se cacher. Il suit que l'adverbe assez prend dans la
même
phrase
son sens affectif de superlatif.
(p) On se met à la
fenêtre,
pour y
regarder,
plutôt que devant (qui indique qu'on y tourne le
dos).
(q) « Amie des
tempêtes »,
exactement
comme l'addition de la troisième édition, sur le
même
modèle, désignant les chiens comme « amis
des
cimetières » — cf. v. (29).
Ces
périphrases sont deux « devinettes »,
dont l'une
trouvera sa solution dans la strophe 2.13 (situant les requins dans
la
tempête et Maldoror jouant le rôle du tigre en
s'accouplant avec
la
femelle du requin) de sorte que l'univers imaginaire des Chants
de
Maldoror fait preuve d'une remarquable cohésion.
(r) Si méchant que je ne le
suis (et non
pas si
méchant que le tigre et la femelle du requin). La
consécutive
hypothétique (la proposition faisant suite aux deux-points)
implique
que la
comparaison est absolue.
(s) Regarder est manifestement mis
pour synonyme
de voir ou
d'apercevoir. En plus du sens immédiat du verbe, tout ce
qui suit
implique
nettement qu'on ne saurait le « regarder ». Je
ne peux
expliquer l'emploi par un hispanisme, les sens de
l'équivalent espagnol
étant aussi combreux et variés que le verbe
français,
mais je
constate que tous les traducteurs reprennent ici mirar, qui doit
donc convenir
au
contexte.
(t) Est-ce que Ducasse se moque du
grand
style ? Il ne
semble pas, pourtant. On trouve chez Flaubert ou Th. Gauthier des
expressions
identiques, mais évidemment opposées : le vent,
l'ouragan
ou
la tempête secouent les cheveux qui, eux, flagellent la
figure, la face
ou
les joues.
(u) Etre isolé comme une pierre
au milieu
du
chemin :
la proposition sonne comme un proverbe, mais je ne l'ai
trouvée nulle
part
ailleurs. Jusqu'à preuve du contraire, c'est donc une
remarquable
invention
de Ducasse.
(v) Si meurtrir peut consister
à mettre en
lambeaux,
alors
meurtrir en lambeaux paraît inadéquat, de sorte qu'on
comprend
que le
personnage meurtrit une poitrine déjà en lambeaux.
L'expression
en
prend un sens d'autant plus itératif que la phrase s'ouvre
avec le
complément « chaque matin ».
(w) Col (sauf pour col de chemise)
n'aura pas
d'autres
occurrences
dans les Chants que les deux que l'on trouve dans cette
strophe.
Partout
ailleurs, on trouve cou, comme on l'a lu plus haut d'ailleurs au
sujet du cou
des
chiens. Comme dans le cas de la caverne aimée, cf.
v. (47), cet emploi paraît très
recherché
dans le
contexte.
On n'y verra pas l'influence de l'espagnol
(cuello, dont la
prononciation est
plus
proche de cou que de col).
Par ailleurs, quel est le sens exact de la
comparaison ? Il
faut bien
supposer qu'elle porte sur les muscles du cou. Il faut
probablement
comprendre
aussi que le condamné sera pendu ou guillotiné. Mais
même
avec
ces deux hypothèses, le comparant ne s'applique pas au
comparé :
pourquoi et dans quelles circonstances un condamné à
mort
s'étourdirait-il ainsi ?
(x) T : un. Il s'agit d'un
évident lapsus,
la
tête
ne pouvant tourner que dans le sens opposé.
(1) Cette conclusion est tout à
fait
inattendue,
étant donné que Maldoror est dit
« cruel »
(1.3)
et que le narrateur entendait peindre les
« délices de la
cruauté » (1.4), dans la quatrième strophe,
où
il
se demandait pourquoi on ne pourrait être cruel et avoir
aussi du
génie.
Aussi me semble-t-elle s'expliquer par la
réplique suivante
du
héros
de Manfred de Byron, auquel la plupart des notes suivantes
seront
consacrées : « Pourquoi ne pas vivre et agrir
comme les
autres hommes ? — Parce que ma nature était
antipathique à
la
vie; et pourtant je n'étais pas cruel... »
(trad.
Laroche, vol. 3, p. 29).
Du point de vue de la genèse, on
devrait pouvoir en
déduire que
Ducasse a lu ou relu Manfred entre la rédaction des
strophes
1.4
et 1.6, la dernière phrase de cette dernière strophe
annonçant
très nettement le thème qui deviendra explicite dans
la
présente strophe — cf. n. (5).
(2) Après
Montévidéen
(strophe 1.7), voici le second adjectif désignant
un lieu
géographique, dans un texte où l'on ne trouve
absolument aucun
autre
nom propre encore que celui du héros, Maldoror. L'adjectif
n'est pas
employé toutefois au sens géographique, mais dans son
sens
dérivé de haute montagne, de sorte qu'il passera
inaperçu
en
regard de la thématique (de l'indétermination).
En revanche, le mot trahit la source :
l'adjectif est
entraîné
par le Manfred de Byron dont Ducasse va s'inspirer tout au
long du
portrait qu'il vient de commencer, comme j'en rendrai compte
à la fin,
n. (5).
(3) Première apparition
manifeste de ce que
l'on
appellera
le cadavre exquis, généralement
(mais
à tort) associée au « beau
comme » (beau
comme
X, Y ou Z). Le mécanisme consiste tout simplement à
produire
une
série donnée de comparaisons en y collant, plus ou
moins
arbitrairement (et plutôt plus que moins), des idées,
des
expressions
ou des citations. Dans le cas qui nous occupe, la formule
donnée ou
mathématique est celle-ci (où SN représente
simplement
le
syntagme nominal sur lequel porteront les trois comparaisons) : SN
pareil
à
X, ou à Y, ou à Z. Les variables X, Y et Z sont ici
trois
définitions du mot arête,
probablement
tirées d'un dictionnaire, le tout constituant une
réflexion ou
une
rêverie sur le mot français, un
« gallicisme ».
Si Ducasse s'est amusé de la
comparaison dès la
première
strophe, y mettant en place ce mécanisme à
l'ouverture des
Chants dont on doit se détourner comme X, ou
plutôt Y
(les
yeux d'un fils ou plutôt un vol de grues), on remarquera
qu'il s'agit
ici
d'un mécanisme de rédaction au sens strict, dans la
mesure
où
il n'est pas explicite, puisque rien n'indique au lecteur qu'il a
sous les
yeux un
collage. Bien au contraire. Le génie d'Isidore Ducasse
tient, je
crois,
à la conscience aiguë du matériau
littéraire. Le
produit, aussi juste soit-il, et c'est ici la thématique de
Manfred
de Byron (on va le voir tout de suite), n'efface pas la production,
les moyens
de
production. Voilà pourquoi Ducasse rendra explicite le
mécanisme
avec l'usage du « beau comme », ce qui le
conduira
à une
analyse très stricte de la comparaison, puis à une
critique de
la
rhétorique et de la littérature. Bref, comme on le
sait depuis
au
moins Maurice Blanchot, la genèse des Chants de
Maldoror fait
partie de l'oeuvre.
(4) Pierre-Olivier Walzer a
placé ici
(Pléiade,
p. 55, n. 1, et p. 1083), et non à la fin de
la phrase,
la
note suivante :
« Ce soleil impuissant à
réjouir le héros
se trouve
déjà dans le Manfred de Byron (I, 8,
Byron's
Poems,
t. II, Everyman's Library, no 487, p. 52) :
And thou, the bright eye of the universe,
That openest above all, and unto all
Art a delight — thou shin'st not on my
heart.
« Chaque matin, quand le soleil se lève pour les
autres, en
répandant la joie et la chaleur salutaires dans toute la
nature, tandis
qu'aucun de mes traits ne bouge (trad. A.
Pichot) ».
Cette note me paraît tout à fait
insolite,
étant
donné
la remarquable qualité de l'édition critique de
Pierre-Olivier
Walzer. Pour l'instant, je ne m'explique pas une série
d'erreurs aussi
importantes. Walzer annonce, en plein milieu d'une phrase, une
source
(supposée) du texte des Chants, il cite les trois
vers du
poème dramatique de Byron et, en guise de traduction
attribuée
à Pichot... la phrase complète de Ducasse ! Non
seulement,
c'est tout faux, mais de plus en plus, sauf pour les vers de Byron
qui sont
correctement cités et qui pourraient en effet avoir
inspiré
à
Ducasse le début de sa phrase, soit l'idée que le
soleil se
lève pour tous mais ne brille pas pour son personnage,
l'idée
seulement, car les vers du poète anglais n'ont aucun rapport
textuel
avec
le texte français.
Manfred (1817) est le premier des
« drames » de
George
Gordon Byron et se présente explicitement comme un
« poème
dramatique ». En trois actes, il raconte la fin du comte
Manfred
qui a
son château dans les Hautes Alpes. La pièce commence
au moment
où le jeune homme est sur le point de se suicider et se
terminera sur
sa
mort (qui n'est pas un suicide), la nuit suivante, après que
l'initié
des sciences magiques eut consulté petit à petit les
esprits qui
le
conduiront au noeud du drame : un mystérieux crime
d'inceste. Sa
soeur
Astarté ne lui apparaît que pour lui annoncer sa mort.
Les vers
cités ici se trouvent au premier acte, dans la
première
réplique de la seconde scène : the Works of
lord
Byron,
Hertfordshire, Wordworth Editions (coll. « The Wordsworth
poetry
library »), 1994, 860 p., p. 383b).
La traduction des oeuvres complètes par
Amédée
Pichot
n'est
pas, comme on va le voir, celle utilisée, lue ou
possédée
par
Isidore Ducasse. Et je rappelle que jusqu'à preuve du
contraire, rien
ne
permet de croire que Ducasse lisait l'anglais. Voici tout de
même la
traduction de nos trois vers par Pichot, puisque c'est à sa
traduction
que
Pierre-Olivier Walzer fait référence :
« Et toi,
oeil
brillant de l'univers, qui t'ouvres pour tous, et qui les
pénètres
tous de joie, tu ne peux briller sur mon coeur » (Paris,
Furne,
1836,
6 vol., vol. 3, p. 309).
Isidore Ducasse pouvait lire quatre
traductions françaises
des oeuvres
complètes de lord Byron qui, sauf la dernière, ont
connu
d'innombrables réimpressions et rééditions.
Celle
d'Amédée Pichot (reprise par Eusèbe de Salle)
est d'abord
parue en quinze volumes de 1821 à 1824; elle en est
à sa
onzième édition en 1842; elle vient d'être
citée
dans
l'édition Furne. La seconde est de Paulin Paris, parue en
treize
volumes
à Paris en 1830-1831, chez Dondey-Dupré : elle
en est
à
sa quinzième édition en 1877. La troisième,
probablement
celle de Ducasse, est de Benjamin Laroche : il s'agit d'une
traduction
« portative » en quatre volumes parue en
1836-1837; la
septième édition de cette traduction, toujours chez
l'éditeur
Charpentier je crois, a été corrigée en 1851
et ce sera
plus
tard l'édition Hachette, celle que j'utilise ici dans
l'édition
de
1875. Une quatrième traduction de l'oeuvre complète
de lord
Byron,
que je n'ai pu consulter encore, a commencé de
paraître en 1845,
mais
trois volumes seulement en ont été
publiés : il est
donc
peu probable qu'elle puisse avoir été utilisée
par
Ducasse. —
On trouve une liste des traductions françaises des oeuvres
de Byron
dans
le Cambridge History of english and american literature,
vol. 12 (qui
peut
se consulter sur Internet).
Si Pierre-Olivier Walzer donne ici la
référence
à
l'édition d'Amédée Pichot, c'est tout à
fait
exceptionnel, car les traductions qu'il citera longuement dans la
strophe
suivante
sont prises de la traduction de Benjamin Laroche, ce qui ajoute au
mystère.
Voici les trois vers qui nous occupent dans cette traduction :
« Et
toi, oeil brillant de l'univers, qui t'ouvres sur tous, et qui es
pour tous
un
délice, — tu ne luis point sur mon coeur »
(vol. 3,
p. 7). Comme on le voit le traducteur Laroche ne parle pas de
« joie », ainsi que traduisent Pichot et Paris,
mais,
suivant
la lettre de Byron, de « délices »
(delight). La
traduction de Paris est en effet la suivante :
« Soleil !
oeil
brillant de la nature, qui répands tes rayons sur tous les
corps, qui
les
pénètres de joie, — tu ne resplendis plus sur
mon
coeur »
(vol. 6, p. 14). Alors, pensera-t-on, Ducasse lit donc
l'un des
deux
autres traducteurs. Non, car on ne fonde pas une source textuelle
sur un mot,
un
seul, sans qu'il soit extrêmement significatif, ce qui n'est
évidemment pas le cas ici où le texte de Byron n'est
rappelé
d'aucune manière. Or, j'ai de bonnes raisons de croire que
la
traduction
utilisée par Ducasse est celle de Laroche, même si
elles sont
fort peu
nombreuses.
Il faut écarter la traduction
d'Amédée Pichot
pour deux
faits
simples et catégoriques. À la strophe suivante,
où
Byron est
nommément désigné, dans la première
édition
du
Chant I, on trouve l'utilisation du mot léviathan
pour
désigner d'énormes bateaux; or Ducasse s'inspire sans
l'ombre
d'un
doute de la strophe 181 du Pèlerinage de
Childe-Harold de
Byron,
où se trouvent ces « oak leviathans »
(p. 243b),
ce qui donne les « léviathans de
chêne » pour
Paulin Paris (vol. 3, p. 276) et Benjamin Laroche
(vol. 1, p.
442),
mais pas pour Amédée Pichot qui traduit par
« ces
citadelles mouvantes » (vol. 2, p. 367). Mon
second
exemple
est moins catégorique, mais plus instructif encore. Dans le
passage
de
Manfred qui paraît bien avoir
« inspiré »
la strophe précédente (1.7), la strophe du vers
luisant,
Amédée Pichot traduit ainsi le mot
composé :
« vers phosphorique » (p. 308), tandis que
Paris
donne
évidemment le très prosaïque « ver
luisant »; or Benjamin Laroche a l'honneur d'avoir
produit la
coquille qu'on trouve justement dans la première
occurrence
du mot
composé dans la première édition du Chant
I,
« ver-luisant » (p. 6).
Voilà une hypothèse qui repose
sur un trait
d'union ! Oui,
mais
c'est bien ce que l'on appelle une hypothèse, à
savoir qu'elle
est
réputée vraie jusqu'à preuve du contraire.
Or,
depuis que
je
l'ai formulée, rien ne m'a permis encore de la contredire,
alors que
l'intuition partout la confirme. En revanche, et ce point est
important, si
l'on
ne peut faire la preuve que Ducasse lit Byron dans la traduction de
Laroche,
et non
celle de Paris, cela signifie simplement que nulle part il ne suit
le
texte d'assez près pour permettre d'en
décider.
Dès
lors, la solution du problème ou la confirmation de
l'hypothèse
est
assez secondaire et permet paradoxalement de la maintenir.
Je peux illustrer cela d'un exemple
précis, sur un cas
important
où
les deux traductions françaises pourraient tout aussi
bien
représenter l'oeuvre de Byron pour Ducasse. Il s'agit d'une
autre
utilisation de Manfred, dans la seconde strophe du second
chant.
C'est
la fameuse « cicatrice »
(présumée telle par
le
comte de Lautréamont lui-même sur l'heure) que la
foudre divine
aura
précisément gravée sur son front.
L'étude de
l'épisode en regard des sources possibles (signalées
par
Pierre-Olivier Walzer, à l'exception de Manfred,
toutefois !),
montre bien que le narrateur ne se présente pas le visage
ravagé des foudres divines comme le Satan de Milton,
par
exemple,
mais très précisément marqué,
exactement
comme
le « front » de l'esprit diabolique qui se
trouve au
chevet de
Manfred à l'heure de sa mort. Le résultat se
présente
comme
un véritable tatouage !
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