Coquilles et anomalies typographiques
a) 52: 25 P 1868, B 1869 dépecer # depecer
b) 53: 27 P 1868 tes yeux..... > tes yeux.... > tes yeux...
c) 54: 15 P 1868 Depuis que tu
m'es apparu > B 1869 Depuis
que
tu m'est apparu
d) 55: 23 P 1868 malediction > B 1869 P 1869
malédiction
e) 56: 17 P 1868, B 1869
éternité >
éternite
Variantes
1) 52: 16 P 1868, B
1869 Addition : MALDOROR.
— Homme, lorsque > Le
frère de la sangsue marchait à pas lents dans la
forêt. Il s'arrête à plusieurs reprises, en
ouvrant la bouche pour parler. Mais, chaque fois sa gorge se
resserre, et refoule en arrière l'effort avorté.
Enfin, il s'écrie : « Homme,
lorsque
2) 52: 22 P 1868 (et P
1869) T : n'aille pas > B 1869 ne vas pas
Ne vas pas mis pour n'ailles pas. Voir
la
note (e).
3) 52: 22 P 1868, B 1869
n'aille/ne vas pas comme les autres prendre avec ta main >
n'aille pas, comme les autres, prendre avec ta main
4) 52: 23 P 1868, B 1869 prendre
avec ta main les vers > prendre avec ta main, les vers
Une virgule manque, après l'infinitif
(soit prendre,), pour encadrer le
complément circonstanciel (avec ta main). Cette anomalie
s'explique par une question de rythme qui articule les trois
infinitifs complétant successivement le verbe :
prendre, considérer, puis dépecer.
5) 53: 1 P 1868, B 1869 que toi
aussi tu ne seras > que, toi [...]
aussi, tu ne seras
6) 53: 1 P 1868, B 1869
toi aussi
> toi, aussi
7) 53: 2 P 1868, B 1869
Ni moi, ni Dazet [B 1869
> D...] n'avons pu trouver le
problème de la vie. > Ni moi, ni les quatre pattes-nageoires de l'ours marin de
l'océan Boréal [...] n'avons pu trouver le
problème de la vie.
8) 53: 2 P 1868, B 1869 Ni moi,
ni Dazet/D... n'avons > Ni moi, ni [...] l'ours marin de
l'océan Boréal,
n'avons
9) 53: 6 P 1868, B 1869 Que dira
ta famille avec ta petite soeur de te voir > Que dira ta
famille, avec ta petite soeur, de te voir
10) 53: 9 P 1868, B 1869 qui ose
approcher de moi sans peur > qui ose approcher de moi, sans peur
11) 53: 9 P 1868, B
1869 sans peur ? > sans
peur,
En rattachant la phrase suivante (12) et (13)
à celle-ci, la réécriture réalise
l'encadrement du circonstanciel par deux virgules (10) et (11). En
revanche, le point d'interrogation se perd dans la transcription.
Il faudra le rétablir : cf. n. (j).
12) 53: 9 P 1868, B
1869 Le voilà qui s'avance peu
à peu, non à la façon de l'ouragan;
> à sauts obliques et
tourmentés;
La « façon
d'avancer » (lentement) est non seulement
réécrite positivement, mais avec une image (de style
artiste) vraiment exceptionnelle en ce qu'elle mêle le sens
littéral (le saut concrètement oblique) et la
concrétisation du tête-à-queue (les sauts du
tourmenté). Celui qui rédige maintenant est un as de
la création poétique : on peut être
assuré qu'il s'agit de l'auteur de tous ou de la
majorité des chants suivants, si l'analyse rhétorique
doit être prise en compte par l'étude de
genèse.
13) 53: 12 P 1868, B 1869 Ses
cheveux jouent avec la brise et
paraissent vivre. > Ses paupières
énormes jouent avec la brise [...]
14) 53: 12 P 1868, B 1869 jouent
avec la brise et paraissent vivre. > jouent avec la brise, et paraissent vivre.
15) 53: 13 P 1868, B
1869 En fixant ses yeux mon corps tremble > En fixant ses
yeux monstrueux, mon corps tremble
16) 53: 15 P 1868, B 1869 c'est
la première fois depuis que > c'est la première
fois, depuis que
17) 53: 18 P 1868, B 1869 tout
s'est tu dans la nature et a éprouvé un grand frisson
> tout s'est tu dans la nature, et
a éprouvé un grand frisson>
18) 53: 19 P 1868, B 1869
Puisqu'il te plaît de venir à moi comme attiré
par un aimant > Puisqu'il te plaît de venir à
moi, comme attiré par un
aimant
19) 53: 22 P 1868, B
1869 Tu dois être puissant, car > Tu dois être puissant; car
20) 53: 22 P 1868, B 1869 car tu
as une figure plus qu'humaine > car,
tu as une figure plus qu'humaine
21) 53: 24 P 1868, B 1869 Je
t'abhorre autant que je le peux, et je
préfère > Je t'abhorre autant que je le peux; et je préfère
22) 53: 27 P 1868, B 1869
Comment ! > Comment !...
23) 53: 27 P 1868 c'est toi,
Dazet > c'est toi, D... > c'est toi, crapaud
24) 53: 27 P 1868, B 1869 c'est
toi, Dazet/D... !... > c'est
toi, crapaud ?...
25) 53: 27 P 1869
Addition : c'est toi, crapaud !... gros crapaud !... infortuné
crapaud !...
26) 54: 2 P 1869
Addition : Mais, qu'as-tu donc
fait de tes pustules visqueuses et fétides, pour avoir l'air
si doux ?
27) 54: 4 P 1868, B 1869 Quand
tu descendis d'en haut par un ordre supérieur > Quand tu
descendis d'en haut, par un ordre
supérieur
28) 54: 5 P 1868, B
1869 avec la mission peut-être de consoler > avec la
mission de consoler
29) 54: 5 P 1868, B 1869 la
mission de consoler les hommes > la
mission de consoler les diverses races
d'êtres existants
30) 54: 6 P 1868, B 1869 tu
t'abattis sur la terre avec la rapidité du milan > tu
t'abattis sur la terre, avec la
rapidité du milan
31) 54: 8 P 1868, B
1869 course; et je te vis !
> course; je te vis !
32) 54: 8 P 1869 Addition
: je te vis ! Pauvre
crapaud !
33) 54: 9 P 1868, B 1869 je
pensais à l'infini en même temps qu'à ma
faiblesse > je pensais à l'infini, en même temps qu'à ma
faiblesse
34) 54: 12 P 1868, B 1869 cela,
par la volonté divine ! >
cela, par la volonté divine .
35) 54: 12 P 1868, B 1869
À quoi bon l'injustice dans les décrets
suprêmes ? > À quoi bon l'injustice, dans les décrets
suprêmes ?
36) 54: 13 P 1868, B
1869 Est-il insensé, le Créateur ? cependant le plus fort > Est-il
insensé, le Créateur;
cependant le plus fort
La faute doit être du typographe,
entraînée par deux corrections de Ducasse sur la
même ligne de composition, celle-ci et celle de la variante
suivante, où le point-virgule est correctement
remplacé par la virgule. On pourrait adopter la même
solution que celle de la v. (11), cf.
n. (j), et rétablir le point
d'exclamation; mais le plus probable est que les deux propositions
exclamatives doivent être transformées en une
phrase exclamative. Dans ce cas, Ducasse voulait remplacer le
premier point d'interrogation par la virgule et non le
point-virgule, ce que je fais. Voir la n. (s).
37) 54: 14 P 1868, B 1869
cependant le plus fort; dont la
colère est terrible ! > cependant le plus fort, dont la colère est
terrible !
38) 54: 15 P 1868, B 1869 Depuis
que tu m'es apparu, Dazet [>
B 1869 D...] ! couvert
d'une gloire qui n'appartient qu'à Dieu > Depuis que tu
m'es apparu, monarque des étangs et des
marécages ! couvert d'une gloire qui
n'appartient qu'à Dieu
39) 54: 18 P 1868, B 1869 mais
ma raison chancelante > mais, ma
raison chancelante
40) 54: 21 P 1868, B 1869 ne
regarde pas en haut avec des paupières inquiètes >
ne regarde pas en haut, avec des
paupières inquiètes
41) 54: 22 P 1868, B
1869 Si tu pars, partons tous les
deux > Si tu pars, partons ensemble
42) 54: 22 P 1868, B 1869 tous
les deux. > ensemble !
43) 54: 22 P 1868, B
1869 Addition : DAZET
— Maldoror, écoute-moi. > Le crapaud s'assit sur les cuisses de
derrière (qui ressemblent tant à celles de
l'homme !) et, pendant que les limaces, les cloportes et les
limaçons s'enfuyaient à la vue de leur ennemi mortel,
prit la parole en ces termes : « Maldoror,
écoute-moi.
44) 55: 1 P 1868, B 1869 Un jour
tu m'appelas le soutien de ta vie > Un jour, tu m'appelas le soutien de ta vie
45) 55: 2 P 1868, B 1869 Depuis
lors je n'ai pas démenti la confiance que tu m'avais
vouée > Depuis lors, je n'ai
pas démenti la confiance que tu m'avais vouée
46) 55: 3 P 1868, B 1869 Je ne
suis qu'un adolescent > Je ne suis
qu'un simple habitant des roseaux
47) 55: 4 P 1869 Addition
: un simple habitant des roseaux, c'est
vrai
48) 55: 4 P 1868, B 1869 Je ne
suis qu'un [...], > Je ne suis qu'un
[...];
49) 55: 7 P 1868, B 1869 Je suis
venu vers toi afin de te retirer de l'abîme > Je suis venu
vers toi, afin de te retirer de
l'abîme
50) 55: 8 P 1868, B 1869 tes
amis te regardent frappés de consternation chaque fois
qu'ils te rencontrent > tes amis te regardent, frappés de consternation, chaque fois qu'ils te rencontrent
51) 55: 9 P 1868, B 1869 ils te
rencontrent pâle et voûté dans les
théâtres > ils te rencontrent, pâle et voûté, dans les théâtres
52) 55: 11 P 1868, B 1869
pressant de deux cuisses nerveuses ce cheval > pressant, de deux cuisses nerveuses, ce cheval
53) 55: 14 P 1868, B 1869
Abandonne ces pensées qui rendent ton coeur vide comme un
désert > Abandonne ces pensées, qui rendent ton coeur vide comme un
désert
54) 55: 18 P 1868, B
1869 tu crois être dans ton naturel, toutes les fois qu'il sort de ta bouche des
paroles insensées > tu crois être dans ton naturel,
chaque fois qu'il sort de ta bouche des
paroles insensées
La variante apparaît nettement comme une
correction, tout à fait appropriée d'ailleurs. Mais
pourquoi cette correction, alors que les approximations et
incorrections sont très nombreuses dans cette strophe ?
Peut-être parce que le correcteur avait bien assez de revoir
les additions ?
55) 55: 20 P 1868 (et P 1869)
Malheureux ! qu'as-tu dit >
B 1869 Malheureux qu'as-tu dit
56) 55: 22 P 1868, B 1869 une
intelligence immortelle que Dieu avait créée > une
intelligence immortelle, que Dieu avait
créée
57) 55: 23 P 1868, B 1869 Tu
n'as engendré que des malédictions plus affreuses que
la vue de panthères > Tu n'as engendré que des
malédictions, plus affreuses que
la vue de panthères
58) 55: 24 P 1868, B 1869 la vue
de panthères affamées.
> la vue de panthères affamées !
59) 56: 1 P 1868, B 1869 De quel
droit viens-tu sur cette terre pour tourner en dérision ceux
qui l'habitent > De quel droit viens-tu sur cette terre, pour tourner en dérision ceux qui
l'habitent
60) 56: 4 P 1868, B
1869 il faut t'en retourner
dans les sphères > il faut retourner dans les
sphères
61) 56: 6 P 1868, B 1869 Nous
savons que dans les espaces il existe des sphères > Nous
savons que, dans les espaces, il existe des sphères
62) 56: 9 P 1868, B 1869 Eh
bien!... va-t'en !... > Eh
bien, va-t'en !...
63) 56: 10 P 1868, B
1869 montre, enfin, ton essence divine > montre enfin ton
essence divine
La soustraction des deux virgules encadrant
l'adverbe de temps est vraiment inattendue, inexplicable.
Peut-être s'agirait-il encore, comme plus haut, v. (54), d'une correction ? Dans ce cas, elle
n'est évidemment pas de Ducasse, mais pourrait bien lui
avoir été suggérée.
64) 56: 11 P 1868, B 1869 ton
essence divine que tu as cachée jusqu'ici > ton essence
divine, que tu as cachée
jusqu'ici
65) 56: 11 P 1868, B
1869 que tu as cachée jusqu'ici, et, le plus tôt possible > que tu
as cachée jusqu'ici; et, le plus
tôt possible
66) 56: 13 P 1868, B 1869 ta
sphère que nous n'envions point > ta sphère, que nous n'envions point
67) 56: 14 P 1868, B 1869 car je
ne suis pas parvenu à > car,
je ne suis pas parvenu à
68) 56: 16 P 1868, B 1869
n'espère plus retrouver Dazet
[> B 1869 D...] sur ton
passage > n'espère plus retrouver le
crapaud sur ton passage
69) 56: 16 P 1868, B
1869 Il va mourir dans la
connaissance*i
que tu ne l'as pas aimé. Pourquoi suis-je compté
parmi les existences, si Maldoror ne
pense pas à moi ? Tu verras passer par la rue un
convoi que nul n'accompagne; dis-toi : « C'est
lui ! » Soustraction de
P 1869.
70) 56: 17 P 1868, B 1869 je
pars pour l'éternité afin d'implorer ton pardon >
je pars pour l'éternité,
afin d'implorer ton pardon
Conclusions
Si ses variantes ne sont pas en
elles-mêmes très significatives, si même elles
sont peu concordantes avec la logique des Chants, la
réécriture de l'avant-dernière strophe du
Chant premier n'en est pas moins très
caractéristique. Manifestement, l'auteur et son correcteur
sont pressés de finir.
Ponctuation
La réécriture de la strophe, car
c'est bien de cela qu'il s'agit, n'ajoute pas moins de 26 virgules
isolées et six fois seulement les doubles virgules
d'encadrement, alors qu'une de ces doubles virgules est soustraite,
v. (63). Encore plus
caractéristique d'une réécriture peu en accord
avec la réédition du Chant premier en volume, on n'y
trouve que deux fois la mise en place de la formule
« ; conjonction, » (v. 19-20 et 65).
En revanche, pour la première fois, on
trouve huit réécritures, additions ou soustractions
de ponctuation très diverses, ce qui explique d'ailleurs une
faute de ponctuation qui doit être corrigée,
v. (36).
Réécriture
On peut dire que voilà la
première (et la dernière) strophe du Chant premier
qui aura été réécrite à
proprement parler. Par contraste, cela est significatif de la
reconduction du texte de l'édition princeps jusqu'ici.
Pourtant, le travail de réécriture qu'on trouve dans
cette strophe est pour le moins ce qu'on attend d'une
« nouvelle édition » du point de vue de
la rédaction. Pas moins de six fois, un fragment est
réécrit,
ajouté ou soustrait, v.
(12),
(15),
(28),
(31),
(41) et
(60) — de manière capricieuse, comme
nous le faisons tous.
Nous tous ? Oui, mais pas
Ducasse. — Il suit que son correcteur devrait toujours
être à l'oeuvre, comme ce sera encore le cas d'une
variante (et d'une seule) de la dernière strophe du chant
premier, v. (2).
Bien entendu, on le sait bien — voir la
n. (2) —, de nombreux traits de la
réécriture sont justifiés en ce qu'ils
tiennent à la métamorphose de Dazet en
pattes-nageoires de l'ours marin et en crapaud, ce qui amène
plus d'une dizaine de réécritures qu'on identifiera
facilement.
En outre, deux additions et une soustraction
essentielles découlent et de la transformation du genre
narratif et de la métamorphose de Dazet tout à la
fois, v.
(1),
(43) et
(69).
Corrections
Restent deux petites corrections, ou
plutôt une seule (54), l'autre
étant une sorte de lapsus d'hypercorrection (63). Elles seraient insignifiantes, si ce
n'était suffisant pour confirmer qu'un correcteur, qui n'est
pas un typographe ou un correcteur d'épreuves, est bien
à l'oeuvre. Ce n'est pas assez, toutefois, pour confirmer
qu'il s'agit bien de Georges Dazet, hypothèse qui doit donc
être maintenue à ce titre, jusqu'à preuve du
contraire.
(a) Le frère de la sangsue. Il
s'agit de
Maldoror, comme le portait explicitement la première
édition, cf. v. (1), et comme on le
lira plus bas en tête de la réplique du crapaud (p. 54: 26). L'appellation est
évidemment une remarquable figure de style artiste, comme on
n'en trouvait encore aucune de cette force dans l'édition
princeps du Chant premier. Nouvel indice qui tend à montrer
que la réécriture du chant se fait après la
rédaction des chants qui suivent.
On comprend, bien entendu, que la
désignation correspond à l'apostrophe « ma
soeur, la sangsue », mais le résultat de la
transformation est tel qu'on peut à bon droit se demander ce
que pourrait bien être, concrètement, le frère
de la sangsue ! Si vous posez la question hors contexte, on
vous répondra en anglais (à cause du genre) le
jelly-fish (la méduse) et c'est bien là le
résultat de la figure, non pas son sens, mais son effet.
(b) Refouler en arrière.
Exactement le
même pléonasme que dans l'addition de la
strophe précédente où on avait refouler en dedans. Il suit que la
révision des deux strophes a été faite au
même moment — et vraisemblablement toute la
révision du Chant premier.
(c) À qui donc Maldoror
s'adresse-t-il ?
Bien entendu, pour le lecteur francophone la question ne se pose
pas : il s'adresse à l'« homme » et
c'est bien dans la logique des Chants de Maldoror. Or, cela
ne fait pas de doute, la création littéraire se fait
à la faveur de l'hispanisme où le vocatif
(pensé ou traduit en espagnol) peut avoir deux sens :
Maldoror s'adresse soit au lecteur, soit à
lui-même.
Le texte joue de la confusion. En effet, le
contenu narratif de la phrase présente un Maldoror qui
résiste à faire « comme les
autres » (sic !) mais qui s'est attardé trop
longtemps; qui n'a pas résisté, puisqu'il doit ou
devrait se laver les mains, avant de reprendre le chemin de la
demeure familiale. Pourtant le texte oppose Maldoror à
celui à qui il s'adresse (« Quel mystère
cherches-tu ? Ni moi, ni... »).
À remarquer que l'ouverture de la
strophe comme, plus bas, celle de la réplique du crapaud
créent un mécanisme narratif qui sera très
fréquent dans les chants suivants. C'est la mise en place
du personnage narrateur, la description de la situation narrative.
S'il faut ici cinq lignes pour situer les narrateurs, il faudra
souvent la moitié de la strophe pour présenter sa
réplique. Chose certaine, la réécriture de la
troisième édition, qui se fait à la
lumière de ces réalisations, les prépare
très judicieusement.
(d) Partir mis pour aller plus loin, qui
l'arrête.
(e) T : n'aille pas. Voir la
variante (2). Après avoir hésité, j'ai
renoncé à rétablir et à
compléter la correction de la seconde édition (ne vas
pas), mais j'ajoute la désinence de la seconde personne du
subjonctif (que tu n'ailles pas), de
sorte qu'il soit compris comme un optatif : homme, n'ailles
pas, comme on trouve l'ellipse du pronom atone après le
pronom tonique (2.14 lui, a trouvé
naturel de se donner la mort).
(f) Prendre dans tes mains.
Autrement, il
s'agit d'un pléonasme.
(g) Comme Gabriel Saad le traduit, on
attendrait
normalement l'accord au pluriel sur « les
autres » : se disant que, eux, aussi, ils ne seront
plus... Mais le jeu narratif, évidemment, consiste à
raconter comme se produisant effectivement ce qui est
dénié ou qu'on souhaite ne pas voir se
réaliser. La preuve en est qu'il faudra se laver les
mains.
(h) Quel mystère
cherches-tu ? Nous
n'avons pu trouver le problème de la vie.
Évidentes incorrections que la plupart des traducteurs
s'empressent de corriger du moins la seconde : on cherche
à comprendre un mystère, on tente de résoudre
un problème.
(i) Si tard arriver : l'inversion n'est
naturelle
ni en français ni en castillan. L'effet poétique est
net.
(j) T : tourmentés; et quelle majesté... Je
rétablis le point d'interrogation des deux premières
éditions, v. (11).
(k) La tournure
« passive »,
typique du castillan (me es desconocido, Pariente; es un
desconocido para mi, Pellegrini, Alverez), est d'autant plus
appropriée qu'elle laisse entendre non pas qu'il ne
connaît pas, mais qu'il ne reconnaît pas le crapaud.
(l) Quand il a parlé. Si
le
passé composé est surprenant, venant abruptement dans
le développement, il est tout à fait
approprié, en regard desd autres temps composés qui
suivent. Il signifie l'accompli, quand cela est chose faite.
(m) À défaut des collages
de cadavres
exquis générés par le « beau
comme », qui n'apparaissent pas systématiquement
avant le cinquième chant, on a droit ici à un
chiasme, puisqu'il serait attendu que le suicide soit triste et
l'univers, beau.
(n) Depuis le commencement des
siècles : la
formule (amusante) de Ducasse est parfaitement originale, car il
est peu probable qu'il la reprenne de Chateaubriand qui l'a
utilisée trois fois, très sérieusement, dans
son Génie du christianisme en 1803. Elle sera
recréée plus souvent par la suite, sans que notre
poète n'y soit pour rien. Voir le dépouillement du
TLF.
(o) Que non pas (Grevisse,
par. 881, hist.).
La comparative négative n'a rien à voir avec un
hispanisme, bien au contraire. Il s'agit d'une tournure
très ancienne du français, depuis longtemps
archaïque au XIXe siècle. Le seul poète
à l'employer fréquemment sera Verlaine, dont on
connaît le goût des formules prises de la langue
médiévale et classique.
La tournure est d'autant plus inattendue
qu'elle se trouve dans une composition syntaxique
alambiquée. Il faut refaire la
« genèse » de la phrase pour comprendre
que Maldoror préfère voir un serpent que non pas
[voir] les yeux du crapaud. Avec l'addition (supposons-le)
« entrelacé autour de son cou », le
verbe
voir devient un semi-auxiliaire (voir enlacé), de sorte que
son sens se perd dans la subordonnée où il n'est pas
exprimé (que non pas [voir]).
Sans compter qu'il s'agit de voir les
yeux, les yeux monstrueux, aux paupières énormes,
dont le regard est profond, « quoique
doux »...
(p) La figure de la reprise, où
deux
fragments, ici deux adjectifs, se succèdent, comme
correction ou comme addition, ne se rencontre presque jamais dans
les Chants. Il faut le souligner, car c'est une marque de la
syntaxe toute canonique et classique de l'oeuvre, caractère
qui tranche tellement avec les audaces de la morphologie, du
lexique et des expressions qui rivalisent au contraire
d'originalité.
(q) Moi, pourquoi pas aussi ?
(¡ Y
yo, por qué no ?) = Pourquoi pas moi aussi ? —
Sans être une tournure castillane, la phrase de Ducasse est
plus proche de cette langue que du français où la
phrase segmentée exigerait un pronom de rappel (et moi,
pourquoi ne le serais-je pas aussi ?).
(r) La tournure à quoi bon ?
(à quoi
sert-il ? pourquoi donc !), si elle est vraiment
inattendue, n'en est pas moins très efficace dans ce
contexte, où elle rappelle le style très familier,
quotidien et personnel du Lucifer de Milton, parlant du
Créateur.
(s) T : Est-il insensé, le
Créateur; cependant le plus
fort, dont la colère est terrible ! — Voir la
variante (36).
(t) Dans les (= aux)
théâtres, dans (=
sur) les places publiques, dans les églises. En las, en los
convient au trois compléments en espagnol.
(u) La vue de, exactement comme à
la strophe
précédente, pour l'action de regarder quelque chose
et son effet, la vue du sang, par exemple. Et dans les deux cas,
il s'agit du second terme de la comparaison, la vue d'un enfant au berceau, la vue de panthères affamées.
(v) Je préférerais avoir
[...] mon
corps manquant des jambes et des bras, pour je
préférerais avoir le corps sans jambes ni bras. Ce
n'est pas un hispanisme. Toutefois, l'adjectif manquant, beaucoup
plus fréquent et naturel en français qu'en castillan,
joue ici le rôle d'un participe présent et produit de
ce fait une tournure espagnole. En plus, l'expression du manque
n'est pas sans humour sarcastique. On en retrouvera une semblable
à la strophe 3.3, le
côté où il manque
d'oeil... (P 1869, p. 160: 15), puis à la
strophe 4.5, le manque expressif de chevelure
(p. 207: 19).
(w) Que ne pas être toi : la
subordonnée est doublement fautive. D'abord elle devrait
être affirmative, que d'être toi; et ensuite la
conjonction devrait avoir la forme explicite de l'opposition
(plutôt que) ou du moins être accompagnée d'un
corrélatif de comparaison et s'exprimer à l'infinitif
(je préférerais = j'aimerais mieux... que
d'être toi, comme toi).
(x) Pour préserver
l'ambiguïté
de la logique narrative, on attendrait le démonstratif et
non le possessif, puisque si le crapaud est un envoyé d'en
haut, comme le soupçonne Maldoror, alors la terre n'est pas
de sa sphère.
(y) Sur ton passage, mis pour, sur ton
chemin (en
tu camino).
(z) La mort du crapaud, avant son
« départ », est tout ce qui reste de la
version originale où l'adolescent, Dazet, abandonné
et délaissé par Maldoror,
désespéré, annonçait son cortège
funèbre et prévoyait sa mort. Voir la v. (69).
(aa) T : afin d'implorer ton pardon !
— La
réplique se termine sans que les guillemets, ouverts
à la v. (43), ne soient
fermés.
(1) Bien entendu, Ducasse ne peut pas
ignorer
« Une charogne » de Baudelaire, mais on ne
trouve ici aucune allusion à cette pièce des
Fleurs du mal, même si les deux cadavres se
présentent ventre en l'air, rongés par les larves ou
les vers. Au contraire, on ne retrouve chez Ducasse rien de ce qui
constituait le sujet de Baudelaire, qui appliquait brutalement
à la bien-aimée ce que Ronsard préfigurait
dans la rose éclose du matin, ternie dès le soir par
la vieillesse. En fait, Ducasse met (ironiquement ?) en
scène le cadre et le prétexte du poème de
Baudelaire, soit le macabre des préromantiques, avec
exactement la même complaisance (jusqu'à preuve
d'ironie).
(2) Cf. variante (7).
Dazet >
les quatre pattes-nageoires de l'ours marin de l'océan
Boréal.
On connaît bien maintenant la
règle qui veut que Dazet (ou D... dans la
réédition de Bordeaux) soit systématiquement
remplacé par des animaux dans l'édition
définitive. Or, dans cette avant-dernière strophe du
Chant premier, Dazet était non seulement un personnage de
premier plan, mais l'interlocuteur de Maldoror. D'où les
très nombreuses réécritures qui donnent
dorénavant le ton si particulier aux Chants de
Maldoror, puisqu'à la faveur de cette transformation le
bestiaire de l'oeuvre va s'augmentant en se diversifiant tout au
long de ce premier chant jusqu'à cette strophe, où il
atteint un sommet.
Cet ours marin serait le phoque. Il devrait
sortir du même ouvrage que le pou de la strophe
précédente et le formidable acarus sarcopte de la
strophe suivante. Il s'agit, à l'évidence, de petits
cadavres exquis, collages d'histoire naturelle, produits de
l'étonnante et amusante présence de Georges Dazet
dans la rédaction originale : la preuve s'en trouve
ici du fait que ce n'est pas l'ours, mais ses pattes-nageoires qui
sont le sujet du collage.
(3) Cette phrase est une addition
à la
première édition. Elle pourrait faire croire que
Ducasse s'inspire ou se souvient du poème de Victor Hugo
dans la Légende des siècles, « Le
crapaud », mais tel n'est pas le cas.
Certes, auréole, maudits et prunelles
(proches des paupières), ces trois mots ou leurs synonymes
se trouvaient déjà dans la strophe originale, de
sorte que si l'on ne prend pas le soin d'évaluer la
genèse du texte au fil de sa réécriture, on se
persuade trop facilement de sa parenté avec le poème
de Victor Hugo. Cela a été le cas d'Antoine Fongaro,
« Le poète et le crapaud », Guillaume
Apollinaire, no 3, Minard (« Revue des Lettres
modernes »), 1964, p. 118s.). En moins de deux
pages, il attribue péremptoirement le crapaud de Ducasse
à Hugo, sans dire un mot du plus extraordinaire crapaud
littéraire, Georges Dazet.
En réalité, si quelques
rapprochements de forme peuvent être fait entre la strophe
des Chants et le poème de la Légende, ce sont des
rapprochements, justement, car il n'est pas possible de montrer que
la réécriture de la strophe s'inspire du
poème, précisément parce que trop de
rencontres de hasard se trouvait déjà dans la
première édition du Chant premier où le
crapaud ne figurait pas encore. Outre le crapaud lui-même,
il n'y a que deux rencontres d'idées. D'abord, le premier
vers du poème (« Que savons-nous ? Qui donc
connaît le fond des choses ? ») peut
être rapproché de l'ouverture ajoutée à
la réécriture, soit le mystère, le
problème de la vie. Ensuite, le jeu qui oppose ses pustules
et la douceur du crapaud. Or, les pustules du crapaud d'un
côté et les problèmes de la vie de l'autre sont
des « co-occurrences » trop attendues pour
impliquer une source littéraire.
Pour être complet, disons le,
l'idée que le « Le crapaud » ait
été dès la première édition la
source de la description de Dazet n'est pas impossible : elle
est saugrenue, quoique des plus amusantes !
(4) À partir d'ici, la strophe
s'inspire du
Paradis perdu de Milton, comme on le voit à sa
cosmographie et à son vocabulaire, sans que le texte de la
traduction de Chateaubriand ne soit explicitement utilisé
comme dans la seconde strophe. Du point de vue thématique et
narratif, l'influence est nette, puisque les deux personnages
viennent d'« en haut » et doivent ou devraient
y retourner, Dazet se présentant comme l'ange (avec ses
ailes), Maldoror, comme Lucifer, un esprit (du mal et qui peut y
renoncer). Avec la dernière édition, voilà le
crapaud à jouer le rôle de l'envoyé du Ciel,
alors qu'au contraire c'est Lucifer qui est comparé au
crapaud chez Milton ! où le démon prend cette
forme au chevet d'Adam et Ève (chant 4, v. 800).
Voir à ce sujet les nombreux rapprochements proposés
sur l'ensemble des Chants par M. Jean et A. Mezei, qui ont
probablement été les premiers à voir que la
présente strophe était rédigée à
la lumière du Paradis perdu (p. 67-68).
L'arrivée du crapaud sur la terre
ressemble au vol de Satan sur Eden : « Satan
s'envola, et sur l'arbre de vie (l'arbre du milieu et l'arbre le
plus haut du Paradis) il se posa semblable à un
Cormoran » (p. 122, Chant 4). Voici comment
Satan prenait pied sur la lave du Chaos qui sera bientôt
l'Enfer : « Alors ailes déployées, il
dirige son vol en haut, pesant sur l'air sombre... »
(p. 49, Chant 1), ce qui correspondra textuellement plus
loin au fait
de diriger son vol ascendant vers sa
sphère, cf. n. (8). Et c'est
bien
alors la cosmologie de Milton qui se profile dans la strophe :
« Nous savons que, dans les espaces, il existe des
sphères plus spacieuses que la nôtre, et dont les
esprits ont une intelligence que nous ne pouvons même pas
concevoir », voilà qui correspond à
« L'espace peut produire de nouveaux
mondes... » (p. 61). « Cette terre est
une tache, un grain, un atome, comparée avec le firmament,
et tous ses astres comptés, qui semblent rouler dans des
espaces incompréhensibles... » (p. 215,
Chant 8), etc.
(5) Je n'ai trouvé trace nulle
part du mot
composé maître-fantôme. Il serait susceptible
de préciser le genre littéraire évoqué
ici, ses auteurs, ses héros.
(6) La figure de l'épave est
tellement
remarquable que l'on pourrait en oublier le sens. Pourtant,
l'idée de scepticisme est vraiment inattendue, tant elle est
contradictoire avec la théologie de la strophe, comme celle
de tous les Chants de Maldoror. Ni le mot, ni l'idée
ne reviennent jamais dans l'oeuvre. On peut donc croire qu'Isidore
Ducasse se laisse emporter ici par la rhétorique du sermon
et de la prédication qui est bien celle du milieu du XIXe
siècle. Il est important de le souligner, parce qu'il est
miraculeux, c'est bien le cas de le dire, que les Chants se
construisent sur une théologie exempte de toute forme de
scepticisme. L'auteur des Poésies sera sur ce point du
même avis : « C'est avec les pieds que je
foulerai les stances aigres du scepticisme, qui n'ont pas leur
motif d'être » (Poésies I, 8 :
14).
(7) L'essence divine de Maldoror, selon
Dazet/le
crapaud, comme la sphère des êtres supérieurs
dont il vient être question et l'orgueuil
déplacé dont il s'agira ensuite, tout cela se
comprend et ne se comprend que dans la perspective du Paradis
perdu où Lucifer, le Grand Ennemi, compte parmi les
meilleurs esprits, supérieur à l'homme et à
bien des anges.
(8) Dirige ton vol ascendant vers ta
sphère.
Citation textuelle du Milton de Chateaubriand :
« Alors aile déployées, il dirige son
vol en haut, pesant sur l'air sombre qui sent un poids
inaccoutumé... » (p. 49). Voir plus haut,
n. (4).
« Maldoror a de beaux mouvements
oratoires et des raccourcis particulièrement
expressifs : en réalité des tours de phrase
vicieux et ridicules, de pur janotismes du type "Est-il
insensé, le Créateur; cependant le plus fort, dont la
colère est terrible !" » (p. 73).
Acta est fabula. Ite, missa est.
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