El bozo
TdM Règles d'établissement Strophe 3.5 Glossaires Index TGdM
Édition interactive des Chants de Maldoror du comte de Lautréamont par Isidore Ducasse
sous la direction de Guy Laflèche, Université de Montréal
<< Chant 1, strophe 13 >>
Variantes Commentaires Notes Faurissonneries
 

 



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      Le frère de la sangsue (a) marchait à pas lents dans
la forêt. Il s'arrête à plusieurs reprises, en ouvrant
la bouche pour parler. Mais, chaque fois sa gorge se
resserre, et refoule en arrière (b) l'effort avorté. Enfin,
il s'écrie : « Homme (c), lorsque tu rencontres un chien
mort retourné, appuyé contre une écluse qui l'empêche
de partir (d), n'ailles (e) pas, comme les autres, prendre
avec ta main (f), les vers qui sortent de son ventre gonflé,
les considérer avec étonnement, ouvrir un couteau*i,
puis en dépecer un grand nombre*i, en te disant
que, toi, aussi, tu (g) ne seras pas plus que ce chien (1).
Quel mystère cherches-tu ? Ni moi, ni les quatre
pattes-nageoires de l'ours marin de l'océan Boréal (2),
n'avons pu trouver (h) le problème de la vie. Prends
garde, la nuit s'approche, et tu es là depuis le matin.
Que dira ta famille, avec ta petite soeur, de te voir si
tard (i) arriver ? Lave tes mains, reprends la route qui
va où tu dors... Quel est cet être, là-bas, à l'horizon,
et qui ose approcher de moi, sans peur, à sauts obliques
et tourmentés ? (j) et quelle majesté, mêlée d'une
douceur sereine ! Son regard, quoique doux, est profond.
Ses paupières énormes jouent avec la brise, et
paraissent vivre. Il m'est inconnu (k). En fixant ses
yeux monstrueux, mon corps tremble; c'est la première
fois, depuis que j'ai sucé les sèches mamelles
de ce qu'on appelle une mère. Il y a comme une auréole
de lumière éblouissante autour de lui. Quand il
a parlé (l), tout s'est tu dans la nature, et a éprouvé un
grand frisson. Puisqu'il te plaît de venir à moi,
comme attiré par un aimant, je ne m'y opposerai pas.
Qu'il est beau ! Ça me fait de la peine de le dire.
Tu dois être puissant; car, tu as une figure plus
qu'humaine, triste comme l'univers, belle comme le
suicide (m). Je t'abhorre autant que je le peux; et je préfère
voir un serpent, entrelacé*i autour de mon cou depuis
le commencement des siècles (n), que non pas (o) tes
yeux... Comment !... c'est toi, crapaud !... gros crapaud !...
infortuné crapaud !... Pardonne !... pardonne !...
Que viens-tu faire sur cette terre où sont
les maudits ? Mais, qu'as-tu donc fait de tes pustules
visqueuses et fétides, pour avoir l'air si doux ? (3)
Quand tu descendis d'en haut, par un ordre supérieur,
avec la mission de consoler les diverses races
d'êtres existants, tu t'abattis sur la terre, avec la rapidité
du milan, les ailes non fatiguées de cette longue,
magnifique course (p) (4); je te vis ! Pauvre crapaud !
Comme alors je pensais à l'infini, en même temps
qu'à ma faiblesse. « Un de plus qui est supérieur à
ceux de la terre, me disais-je : cela, par la volonté
divine. Moi, pourquoi pas aussi ? (q). À quoi bon (r) l'injustice,
dans les décrets suprêmes ? Est-il insensé, le
Créateur, (s) cependant le plus fort, dont la colère est
terrible ! ». Depuis que tu m'es apparu, monarque des
étangs et des marécages ! couvert d'une gloire qui
n'appartient qu'à Dieu, tu m'as en partie consolé;
mais, ma raison chancelante s'abîme devant tant de
grandeur ! Qui es-tu donc ? Reste... oh ! reste encore
sur cette terre ! Replie tes blanches ailes, et ne regarde
pas en haut, avec des paupières inquiètes... Si tu
pars, partons ensemble ! ». Le crapaud s'assit sur les
cuisses de derrière (qui ressemblent tant à celles de
l'homme !) et, pendant que les limaces, les cloportes et
les limaçons s'enfuyaient à la vue de leur ennemi
mortel, prit la parole en ces termes : « Maldoror,
écoute-moi. Remarque ma figure, calme comme un
miroir, et je crois avoir une intelligence égale à la
tienne. Un jour, tu m'appelas le soutien de ta vie.
Depuis lors, je n'ai pas démenti la confiance que tu
m'avais vouée. Je ne suis qu'un simple habitant des
roseaux, c'est vrai; mais, grâce à ton propre contact,
ne prenant que ce qu'il y avait de beau en toi,
ma raison s'est agrandie, et je puis te parler. Je suis
venu vers toi, afin de te retirer de l'abîme. Ceux qui
s'intitulent tes amis te regardent, frappés de consternation,
chaque fois qu'ils te rencontrent, pâle et
voûté, dans les théâtres, dans les places publiques,
dans les églises (t), ou pressant, de deux cuisses nerveuses,
ce cheval qui ne galope que pendant la nuit,
tandis qu'il porte son maître-fantôme, enveloppé
dans un long manteau noir (5). Abandonne ces pensées,
qui rendent ton coeur vide comme un désert; elles
sont plus brûlantes que le feu. Ton esprit est tellement
malade que tu ne t'en aperçois pas, et que tu crois
être dans ton naturel, chaque fois qu'il sort de ta
bouche des paroles insensées, quoique pleines d'une
infernale grandeur. Malheureux ! qu'as-tu dit depuis
le jour de ta naissance ? Ô triste reste d'une intelligence
immortelle, que Dieu avait créée avec tant
d'amour ! Tu n'as engendré que des malédictions*i,
plus affreuses que la vue de (u) panthères affamées !
Moi, je préférerais avoir les paupières collées,
mon corps manquant des jambes et des bras (v), avoir
assassiné un homme, que ne pas être toi ! (w). Parce que
je te hais. Pourquoi avoir ce caractère qui m'étonne*i ?
De quel droit viens-tu sur cette terre, pour tourner
en dérision ceux qui l'habitent, épave*g pourrie, ballottée
par le scepticisme ? (6). Si tu ne t'y plais pas, il
faut retourner dans les sphères d'où tu viens. Un habitant
des cités ne doit pas résider dans les villages,
pareil à un étranger. Nous savons que, dans les
espaces, il existe des sphères plus spacieuses que la
nôtre (x), et dont les esprits ont une intelligence que
nous ne pouvons même pas concevoir. Eh bien, va-t'en !...
retire-toi de ce sol mobile !... montre enfin
ton essence divine (7), que tu as cachée jusqu'ici; et, le
plus tôt possible, dirige ton vol ascendant (8) vers ta
sphère, que nous n'envions point, orgueilleux que tu
es ! car, je ne suis pas parvenu à reconnaître si tu es
un homme ou plus qu'un homme ! Adieu donc; n'espère
plus retrouver le crapaud sur ton passage (y). Tu
as été la cause de ma mort (z). Moi, je pars pour l'éternité,
afin d'implorer ton pardon ! » (aa).


1. Variantes

Coquilles et anomalies typographiques

a) 52: 25   P 1868, B 1869   dépecer # depecer
b) 53: 27   P 1868   tes yeux..... > tes yeux.... > tes yeux...
c) 54: 15   P 1868   Depuis que tu m'es apparu > B 1869   Depuis que tu m'est apparu
d) 55: 23   P 1868   malediction > B 1869 P 1869 malédiction
e) 56: 17   P 1868, B 1869   éternité > éternite

Variantes

1) 52: 16   P 1868, B 1869   Addition : MALDOROR. — Homme, lorsque > Le frère de la sangsue marchait à pas lents dans la forêt. Il s'arrête à plusieurs reprises, en ouvrant la bouche pour parler. Mais, chaque fois sa gorge se resserre, et refoule en arrière l'effort avorté. Enfin, il s'écrie : « Homme, lorsque

2) 52: 22   P 1868 (et P 1869)   T : n'aille pas > B 1869 ne vas pas

      Ne vas pas mis pour n'ailles pas. Voir la note (e).

3) 52: 22   P 1868, B 1869   n'aille/ne vas pas comme les autres prendre avec ta main > n'aille pas, comme les autres, prendre avec ta main

4) 52: 23   P 1868, B 1869   prendre avec ta main les vers > prendre avec ta main, les vers

      Une virgule manque, après l'infinitif (soit prendre,), pour encadrer le complément circonstanciel (avec ta main). Cette anomalie s'explique par une question de rythme qui articule les trois infinitifs complétant successivement le verbe : prendre, considérer, puis dépecer.

5) 53: 1   P 1868, B 1869   que toi aussi tu ne seras > que, toi [...] aussi, tu ne seras
6) 53: 1   P 1868, B 1869   toi aussi > toi, aussi
7) 53: 2   P 1868, B 1869   Ni moi, ni Dazet [B 1869 > D...] n'avons pu trouver le problème de la vie. > Ni moi, ni les quatre pattes-nageoires de l'ours marin de l'océan Boréal [...] n'avons pu trouver le problème de la vie.
8) 53: 2   P 1868, B 1869   Ni moi, ni Dazet/D... n'avons > Ni moi, ni [...] l'ours marin de l'océan Boréal, n'avons
9) 53: 6   P 1868, B 1869   Que dira ta famille avec ta petite soeur de te voir > Que dira ta famille, avec ta petite soeur, de te voir
10) 53: 9   P 1868, B 1869   qui ose approcher de moi sans peur > qui ose approcher de moi, sans peur

11) 53: 9   P 1868, B 1869   sans peur ? > sans peur,

      En rattachant la phrase suivante (12) et (13) à celle-ci, la réécriture réalise l'encadrement du circonstanciel par deux virgules (10) et (11). En revanche, le point d'interrogation se perd dans la transcription. Il faudra le rétablir : cf. n. (j).

12) 53: 9   P 1868, B 1869   Le voilà qui s'avance peu à peu, non à la façon de l'ouragan; > à sauts obliques et tourmentés;

      La « façon d'avancer » (lentement) est non seulement réécrite positivement, mais avec une image (de style artiste) vraiment exceptionnelle en ce qu'elle mêle le sens littéral (le saut concrètement oblique) et la concrétisation du tête-à-queue (les sauts du tourmenté). Celui qui rédige maintenant est un as de la création poétique : on peut être assuré qu'il s'agit de l'auteur de tous ou de la majorité des chants suivants, si l'analyse rhétorique doit être prise en compte par l'étude de genèse.

13) 53: 12   P 1868, B 1869   Ses cheveux jouent avec la brise et paraissent vivre. > Ses paupières énormes jouent avec la brise [...]
14) 53: 12   P 1868, B 1869   jouent avec la brise et paraissent vivre. > jouent avec la brise, et paraissent vivre.
15) 53: 13   P 1868, B 1869   En fixant ses yeux mon corps tremble > En fixant ses yeux monstrueux, mon corps tremble
16) 53: 15   P 1868, B 1869   c'est la première fois depuis que > c'est la première fois, depuis que
17) 53: 18   P 1868, B 1869   tout s'est tu dans la nature et a éprouvé un grand frisson > tout s'est tu dans la nature, et a éprouvé un grand frisson>
18) 53: 19   P 1868, B 1869   Puisqu'il te plaît de venir à moi comme attiré par un aimant > Puisqu'il te plaît de venir à moi, comme attiré par un aimant
19) 53: 22   P 1868, B 1869   Tu dois être puissant, car > Tu dois être puissant; car
20) 53: 22   P 1868, B 1869   car tu as une figure plus qu'humaine > car, tu as une figure plus qu'humaine
21) 53: 24   P 1868, B 1869   Je t'abhorre autant que je le peux, et je préfère > Je t'abhorre autant que je le peux; et je préfère
22) 53: 27   P 1868, B 1869   Comment ! > Comment !...
23) 53: 27   P 1868   c'est toi, Dazet > c'est toi, D... > c'est toi, crapaud
24) 53: 27   P 1868, B 1869   c'est toi, Dazet/D... !... > c'est toi, crapaud ?...
25) 53: 27   P 1869   Addition : c'est toi, crapaud !... gros crapaud !... infortuné crapaud !...
26) 54: 2   P 1869   Addition : Mais, qu'as-tu donc fait de tes pustules visqueuses et fétides, pour avoir l'air si doux ?
27) 54: 4   P 1868, B 1869   Quand tu descendis d'en haut par un ordre supérieur > Quand tu descendis d'en haut, par un ordre supérieur
28) 54: 5   P 1868, B 1869   avec la mission peut-être de consoler > avec la mission de consoler
29) 54: 5   P 1868, B 1869   la mission de consoler les hommes > la mission de consoler les diverses races d'êtres existants
30) 54: 6   P 1868, B 1869   tu t'abattis sur la terre avec la rapidité du milan > tu t'abattis sur la terre, avec la rapidité du milan
31) 54: 8   P 1868, B 1869   course; et je te vis ! > course; je te vis !
32) 54: 8   P 1869   Addition : je te vis ! Pauvre crapaud !
33) 54: 9   P 1868, B 1869   je pensais à l'infini en même temps qu'à ma faiblesse > je pensais à l'infini, en même temps qu'à ma faiblesse
34) 54: 12   P 1868, B 1869   cela, par la volonté divine ! > cela, par la volonté divine .
35) 54: 12   P 1868, B 1869   À quoi bon l'injustice dans les décrets suprêmes ? > À quoi bon l'injustice, dans les décrets suprêmes ?

36) 54: 13   P 1868, B 1869   Est-il insensé, le Créateur ? cependant le plus fort > Est-il insensé, le Créateur; cependant le plus fort

      La faute doit être du typographe, entraînée par deux corrections de Ducasse sur la même ligne de composition, celle-ci et celle de la variante suivante, où le point-virgule est correctement remplacé par la virgule. On pourrait adopter la même solution que celle de la v. (11), cf. n. (j), et rétablir le point d'exclamation; mais le plus probable est que les deux propositions exclamatives doivent être transformées en une phrase exclamative. Dans ce cas, Ducasse voulait remplacer le premier point d'interrogation par la virgule et non le point-virgule, ce que je fais. Voir la n. (s).

37) 54: 14   P 1868, B 1869   cependant le plus fort; dont la colère est terrible ! > cependant le plus fort, dont la colère est terrible !
38) 54: 15   P 1868, B 1869   Depuis que tu m'es apparu, Dazet [> B 1869   D...] ! couvert d'une gloire qui n'appartient qu'à Dieu > Depuis que tu m'es apparu, monarque des étangs et des marécages ! couvert d'une gloire qui n'appartient qu'à Dieu
39) 54: 18   P 1868, B 1869   mais ma raison chancelante > mais, ma raison chancelante
40) 54: 21   P 1868, B 1869   ne regarde pas en haut avec des paupières inquiètes > ne regarde pas en haut, avec des paupières inquiètes
41) 54: 22   P 1868, B 1869   Si tu pars, partons tous les deux > Si tu pars, partons ensemble
42) 54: 22   P 1868, B 1869   tous les deux. > ensemble !
43) 54: 22   P 1868, B 1869   Addition : DAZET — Maldoror, écoute-moi. > Le crapaud s'assit sur les cuisses de derrière (qui ressemblent tant à celles de l'homme !) et, pendant que les limaces, les cloportes et les limaçons s'enfuyaient à la vue de leur ennemi mortel, prit la parole en ces termes : « Maldoror, écoute-moi.
44) 55: 1   P 1868, B 1869   Un jour tu m'appelas le soutien de ta vie > Un jour, tu m'appelas le soutien de ta vie
45) 55: 2   P 1868, B 1869   Depuis lors je n'ai pas démenti la confiance que tu m'avais vouée > Depuis lors, je n'ai pas démenti la confiance que tu m'avais vouée
46) 55: 3   P 1868, B 1869   Je ne suis qu'un adolescent > Je ne suis qu'un simple habitant des roseaux
47) 55: 4   P 1869   Addition : un simple habitant des roseaux, c'est vrai
48) 55: 4   P 1868, B 1869   Je ne suis qu'un [...], > Je ne suis qu'un [...];
49) 55: 7   P 1868, B 1869   Je suis venu vers toi afin de te retirer de l'abîme > Je suis venu vers toi, afin de te retirer de l'abîme
50) 55: 8   P 1868, B 1869   tes amis te regardent frappés de consternation chaque fois qu'ils te rencontrent > tes amis te regardent, frappés de consternation, chaque fois qu'ils te rencontrent
51) 55: 9   P 1868, B 1869   ils te rencontrent pâle et voûté dans les théâtres > ils te rencontrent, pâle et voûté, dans les théâtres
52) 55: 11   P 1868, B 1869   pressant de deux cuisses nerveuses ce cheval > pressant, de deux cuisses nerveuses, ce cheval
53) 55: 14   P 1868, B 1869   Abandonne ces pensées qui rendent ton coeur vide comme un désert > Abandonne ces pensées, qui rendent ton coeur vide comme un désert

54) 55: 18   P 1868, B 1869   tu crois être dans ton naturel, toutes les fois qu'il sort de ta bouche des paroles insensées > tu crois être dans ton naturel, chaque fois qu'il sort de ta bouche des paroles insensées

      La variante apparaît nettement comme une correction, tout à fait appropriée d'ailleurs. Mais pourquoi cette correction, alors que les approximations et incorrections sont très nombreuses dans cette strophe ? Peut-être parce que le correcteur avait bien assez de revoir les additions ?

55) 55: 20   P 1868 (et P 1869) Malheureux ! qu'as-tu dit >   B 1869   Malheureux qu'as-tu dit
56) 55: 22   P 1868, B 1869   une intelligence immortelle que Dieu avait créée > une intelligence immortelle, que Dieu avait créée
57) 55: 23   P 1868, B 1869   Tu n'as engendré que des malédictions plus affreuses que la vue de panthères > Tu n'as engendré que des malédictions, plus affreuses que la vue de panthères
58) 55: 24   P 1868, B 1869   la vue de panthères affamées. > la vue de panthères affamées !
59) 56: 1   P 1868, B 1869   De quel droit viens-tu sur cette terre pour tourner en dérision ceux qui l'habitent > De quel droit viens-tu sur cette terre, pour tourner en dérision ceux qui l'habitent
60) 56: 4   P 1868, B 1869   il faut t'en retourner dans les sphères > il faut retourner dans les sphères
61) 56: 6   P 1868, B 1869   Nous savons que dans les espaces il existe des sphères > Nous savons que, dans les espaces, il existe des sphères
62) 56: 9   P 1868, B 1869   Eh bien!... va-t'en !... > Eh bien, va-t'en !...

63) 56: 10   P 1868, B 1869   montre, enfin, ton essence divine > montre enfin ton essence divine

      La soustraction des deux virgules encadrant l'adverbe de temps est vraiment inattendue, inexplicable. Peut-être s'agirait-il encore, comme plus haut, v. (54), d'une correction ? Dans ce cas, elle n'est évidemment pas de Ducasse, mais pourrait bien lui avoir été suggérée.

64) 56: 11   P 1868, B 1869   ton essence divine que tu as cachée jusqu'ici > ton essence divine, que tu as cachée jusqu'ici
65) 56: 11   P 1868, B 1869   que tu as cachée jusqu'ici, et, le plus tôt possible > que tu as cachée jusqu'ici; et, le plus tôt possible
66) 56: 13   P 1868, B 1869   ta sphère que nous n'envions point > ta sphère, que nous n'envions point
67) 56: 14   P 1868, B 1869   car je ne suis pas parvenu à > car, je ne suis pas parvenu à
68) 56: 16   P 1868, B 1869   n'espère plus retrouver Dazet [> B 1869   D...] sur ton passage > n'espère plus retrouver le crapaud sur ton passage
69) 56: 16   P 1868, B 1869   Il va mourir dans la connaissance*i que tu ne l'as pas aimé. Pourquoi suis-je compté parmi les existences, si Maldoror ne pense pas à moi ? Tu verras passer par la rue un convoi que nul n'accompagne; dis-toi : « C'est lui ! » Soustraction de P 1869.
70) 56: 17   P 1868, B 1869   je pars pour l'éternité afin d'implorer ton pardon > je pars pour l'éternité, afin d'implorer ton pardon

Conclusions

      Si ses variantes ne sont pas en elles-mêmes très significatives, si même elles sont peu concordantes avec la logique des Chants, la réécriture de l'avant-dernière strophe du Chant premier n'en est pas moins très caractéristique. Manifestement, l'auteur et son correcteur sont pressés de finir.

Ponctuation

      La réécriture de la strophe, car c'est bien de cela qu'il s'agit, n'ajoute pas moins de 26 virgules isolées et six fois seulement les doubles virgules d'encadrement, alors qu'une de ces doubles virgules est soustraite, v. (63). Encore plus caractéristique d'une réécriture peu en accord avec la réédition du Chant premier en volume, on n'y trouve que deux fois la mise en place de la formule « ; conjonction, » (v. 19-20 et 65).

      En revanche, pour la première fois, on trouve huit réécritures, additions ou soustractions de ponctuation très diverses, ce qui explique d'ailleurs une faute de ponctuation qui doit être corrigée, v. (36).

Réécriture

      On peut dire que voilà la première (et la dernière) strophe du Chant premier qui aura été réécrite à proprement parler. Par contraste, cela est significatif de la reconduction du texte de l'édition princeps jusqu'ici. Pourtant, le travail de réécriture qu'on trouve dans cette strophe est pour le moins ce qu'on attend d'une « nouvelle édition » du point de vue de la rédaction. Pas moins de six fois, un fragment est réécrit, ajouté ou soustrait, v.  (12), (15), (28), (31), (41) et (60) — de manière capricieuse, comme nous le faisons tous.

      Nous tous ? Oui, mais pas Ducasse. — Il suit que son correcteur devrait toujours être à l'oeuvre, comme ce sera encore le cas d'une variante (et d'une seule) de la dernière strophe du chant premier, v. (2).

      Bien entendu, on le sait bien — voir la n. (2) —, de nombreux traits de la réécriture sont justifiés en ce qu'ils tiennent à la métamorphose de Dazet en pattes-nageoires de l'ours marin et en crapaud, ce qui amène plus d'une dizaine de réécritures qu'on identifiera facilement.

      En outre, deux additions et une soustraction essentielles découlent et de la transformation du genre narratif et de la métamorphose de Dazet tout à la fois, v.  (1), (43) et (69).

Corrections

      Restent deux petites corrections, ou plutôt une seule (54), l'autre étant une sorte de lapsus d'hypercorrection (63). Elles seraient insignifiantes, si ce n'était suffisant pour confirmer qu'un correcteur, qui n'est pas un typographe ou un correcteur d'épreuves, est bien à l'oeuvre. Ce n'est pas assez, toutefois, pour confirmer qu'il s'agit bien de Georges Dazet, hypothèse qui doit donc être maintenue à ce titre, jusqu'à preuve du contraire.


2. Commentaires linguistiques

(a) Le frère de la sangsue. Il s'agit de Maldoror, comme le portait explicitement la première édition, cf. v. (1), et comme on le lira plus bas en tête de la réplique du crapaud (p. 54: 26). L'appellation est évidemment une remarquable figure de style artiste, comme on n'en trouvait encore aucune de cette force dans l'édition princeps du Chant premier. Nouvel indice qui tend à montrer que la réécriture du chant se fait après la rédaction des chants qui suivent.

      On comprend, bien entendu, que la désignation correspond à l'apostrophe « ma soeur, la sangsue », mais le résultat de la transformation est tel qu'on peut à bon droit se demander ce que pourrait bien être, concrètement, le frère de la sangsue ! Si vous posez la question hors contexte, on vous répondra en anglais (à cause du genre) le jelly-fish (la méduse) et c'est bien là le résultat de la figure, non pas son sens, mais son effet.

(b) Refouler en arrière. Exactement le même pléonasme que dans l'addition de la strophe précédente où on avait refouler en dedans. Il suit que la révision des deux strophes a été faite au même moment — et vraisemblablement toute la révision du Chant premier.

(c) À qui donc Maldoror s'adresse-t-il ? Bien entendu, pour le lecteur francophone la question ne se pose pas : il s'adresse à l'« homme » et c'est bien dans la logique des Chants de Maldoror. Or, cela ne fait pas de doute, la création littéraire se fait à la faveur de l'hispanisme où le vocatif (pensé ou traduit en espagnol) peut avoir deux sens : Maldoror s'adresse soit au lecteur, soit à lui-même.

      Le texte joue de la confusion. En effet, le contenu narratif de la phrase présente un Maldoror qui résiste à faire « comme les autres » (sic !) mais qui s'est attardé trop longtemps; qui n'a pas résisté, puisqu'il doit ou devrait se laver les mains, avant de reprendre le chemin de la demeure familiale. Pourtant le texte oppose Maldoror à celui à qui il s'adresse (« Quel mystère cherches-tu ? Ni moi, ni... »).

      À remarquer que l'ouverture de la strophe comme, plus bas, celle de la réplique du crapaud créent un mécanisme narratif qui sera très fréquent dans les chants suivants. C'est la mise en place du personnage narrateur, la description de la situation narrative. S'il faut ici cinq lignes pour situer les narrateurs, il faudra souvent la moitié de la strophe pour présenter sa réplique. Chose certaine, la réécriture de la troisième édition, qui se fait à la lumière de ces réalisations, les prépare très judicieusement.

(d) Partir mis pour aller plus loin, qui l'arrête.

(e) T : n'aille pas. Voir la variante (2). Après avoir hésité, j'ai renoncé à rétablir et à compléter la correction de la seconde édition (ne vas pas), mais j'ajoute la désinence de la seconde personne du subjonctif (que tu n'ailles pas), de sorte qu'il soit compris comme un optatif : homme, n'ailles pas, comme on trouve l'ellipse du pronom atone après le pronom tonique (2.14 lui, a trouvé naturel de se donner la mort).

(f) Prendre dans tes mains. Autrement, il s'agit d'un pléonasme.

(g) Comme Gabriel Saad le traduit, on attendrait normalement l'accord au pluriel sur « les autres » : se disant que, eux, aussi, ils ne seront plus... Mais le jeu narratif, évidemment, consiste à raconter comme se produisant effectivement ce qui est dénié ou qu'on souhaite ne pas voir se réaliser. La preuve en est qu'il faudra se laver les mains.

(h) Quel mystère cherches-tu ? Nous n'avons pu trouver le problème de la vie. Évidentes incorrections que la plupart des traducteurs s'empressent de corriger du moins la seconde : on cherche à comprendre un mystère, on tente de résoudre un problème.

(i) Si tard arriver : l'inversion n'est naturelle ni en français ni en castillan. L'effet poétique est net.

(j) T : tourmentés; et quelle majesté... Je rétablis le point d'interrogation des deux premières éditions, v. (11).

(k) La tournure « passive », typique du castillan (me es desconocido, Pariente; es un desconocido para mi, Pellegrini, Alverez), est d'autant plus appropriée qu'elle laisse entendre non pas qu'il ne connaît pas, mais qu'il ne reconnaît pas le crapaud.

(l) Quand il a parlé. Si le passé composé est surprenant, venant abruptement dans le développement, il est tout à fait approprié, en regard desd autres temps composés qui suivent. Il signifie l'accompli, quand cela est chose faite.

(m) À défaut des collages de cadavres exquis générés par le « beau comme », qui n'apparaissent pas systématiquement avant le cinquième chant, on a droit ici à un chiasme, puisqu'il serait attendu que le suicide soit triste et l'univers, beau.

(n) Depuis le commencement des siècles : la formule (amusante) de Ducasse est parfaitement originale, car il est peu probable qu'il la reprenne de Chateaubriand qui l'a utilisée trois fois, très sérieusement, dans son Génie du christianisme en 1803. Elle sera recréée plus souvent par la suite, sans que notre poète n'y soit pour rien. Voir le dépouillement du TLF.

(o) Que non pas (Grevisse, par. 881, hist.). La comparative négative n'a rien à voir avec un hispanisme, bien au contraire. Il s'agit d'une tournure très ancienne du français, depuis longtemps archaïque au XIXe siècle. Le seul poète à l'employer fréquemment sera Verlaine, dont on connaît le goût des formules prises de la langue médiévale et classique.

      La tournure est d'autant plus inattendue qu'elle se trouve dans une composition syntaxique alambiquée. Il faut refaire la « genèse » de la phrase pour comprendre que Maldoror préfère voir un serpent que non pas [voir] les yeux du crapaud. Avec l'addition (supposons-le) « entrelacé autour de son cou », le verbe voir devient un semi-auxiliaire (voir enlacé), de sorte que son sens se perd dans la subordonnée où il n'est pas exprimé (que non pas [voir]).

      Sans compter qu'il s'agit de voir les yeux, les yeux monstrueux, aux paupières énormes, dont le regard est profond, « quoique doux »...

(p) La figure de la reprise, où deux fragments, ici deux adjectifs, se succèdent, comme correction ou comme addition, ne se rencontre presque jamais dans les Chants. Il faut le souligner, car c'est une marque de la syntaxe toute canonique et classique de l'oeuvre, caractère qui tranche tellement avec les audaces de la morphologie, du lexique et des expressions qui rivalisent au contraire d'originalité.

(q) Moi, pourquoi pas aussi ? (¡ Y yo, por qué no ?) = Pourquoi pas moi aussi ? — Sans être une tournure castillane, la phrase de Ducasse est plus proche de cette langue que du français où la phrase segmentée exigerait un pronom de rappel (et moi, pourquoi ne le serais-je pas aussi ?).

(r) La tournure à quoi bon ? (à quoi sert-il ? pourquoi donc !), si elle est vraiment inattendue, n'en est pas moins très efficace dans ce contexte, où elle rappelle le style très familier, quotidien et personnel du Lucifer de Milton, parlant du Créateur.

(s) T : Est-il insensé, le Créateur; cependant le plus fort, dont la colère est terrible ! — Voir la variante (36).

(t) Dans les (= aux) théâtres, dans (= sur) les places publiques, dans les églises. En las, en los convient au trois compléments en espagnol.

(u) La vue de, exactement comme à la strophe précédente, pour l'action de regarder quelque chose et son effet, la vue du sang, par exemple. Et dans les deux cas, il s'agit du second terme de la comparaison, la vue d'un enfant au berceau, la vue de panthères affamées.

(v) Je préférerais avoir [...] mon corps manquant des jambes et des bras, pour je préférerais avoir le corps sans jambes ni bras. Ce n'est pas un hispanisme. Toutefois, l'adjectif manquant, beaucoup plus fréquent et naturel en français qu'en castillan, joue ici le rôle d'un participe présent et produit de ce fait une tournure espagnole. En plus, l'expression du manque n'est pas sans humour sarcastique. On en retrouvera une semblable à la strophe 3.3, le côté où il manque d'oeil... (P 1869, p. 160: 15), puis à la strophe 4.5, le manque expressif de chevelure (p. 207: 19).

(w) Que ne pas être toi : la subordonnée est doublement fautive. D'abord elle devrait être affirmative, que d'être toi; et ensuite la conjonction devrait avoir la forme explicite de l'opposition (plutôt que) ou du moins être accompagnée d'un corrélatif de comparaison et s'exprimer à l'infinitif (je préférerais = j'aimerais mieux... que d'être toi, comme toi).

(x) Pour préserver l'ambiguïté de la logique narrative, on attendrait le démonstratif et non le possessif, puisque si le crapaud est un envoyé d'en haut, comme le soupçonne Maldoror, alors la terre n'est pas de sa sphère.

(y) Sur ton passage, mis pour, sur ton chemin (en tu camino).

(z) La mort du crapaud, avant son « départ », est tout ce qui reste de la version originale où l'adolescent, Dazet, abandonné et délaissé par Maldoror, désespéré, annonçait son cortège funèbre et prévoyait sa mort. Voir la v. (69).

(aa) T : afin d'implorer ton pardon ! — La réplique se termine sans que les guillemets, ouverts à la v. (43), ne soient fermés.


3. Notes

(1) Bien entendu, Ducasse ne peut pas ignorer « Une charogne » de Baudelaire, mais on ne trouve ici aucune allusion à cette pièce des Fleurs du mal, même si les deux cadavres se présentent ventre en l'air, rongés par les larves ou les vers. Au contraire, on ne retrouve chez Ducasse rien de ce qui constituait le sujet de Baudelaire, qui appliquait brutalement à la bien-aimée ce que Ronsard préfigurait dans la rose éclose du matin, ternie dès le soir par la vieillesse. En fait, Ducasse met (ironiquement ?) en scène le cadre et le prétexte du poème de Baudelaire, soit le macabre des préromantiques, avec exactement la même complaisance (jusqu'à preuve d'ironie).

(2) Cf. variante (7). Dazet > les quatre pattes-nageoires de l'ours marin de l'océan Boréal.

      On connaît bien maintenant la règle qui veut que Dazet (ou D... dans la réédition de Bordeaux) soit systématiquement remplacé par des animaux dans l'édition définitive. Or, dans cette avant-dernière strophe du Chant premier, Dazet était non seulement un personnage de premier plan, mais l'interlocuteur de Maldoror. D'où les très nombreuses réécritures qui donnent dorénavant le ton si particulier aux Chants de Maldoror, puisqu'à la faveur de cette transformation le bestiaire de l'oeuvre va s'augmentant en se diversifiant tout au long de ce premier chant jusqu'à cette strophe, où il atteint un sommet.

      Cet ours marin serait le phoque. Il devrait sortir du même ouvrage que le pou de la strophe précédente et le formidable acarus sarcopte de la strophe suivante. Il s'agit, à l'évidence, de petits cadavres exquis, collages d'histoire naturelle, produits de l'étonnante et amusante présence de Georges Dazet dans la rédaction originale : la preuve s'en trouve ici du fait que ce n'est pas l'ours, mais ses pattes-nageoires qui sont le sujet du collage.

(3) Cette phrase est une addition à la première édition. Elle pourrait faire croire que Ducasse s'inspire ou se souvient du poème de Victor Hugo dans la Légende des siècles, « Le crapaud », mais tel n'est pas le cas.

      Certes, auréole, maudits et prunelles (proches des paupières), ces trois mots ou leurs synonymes se trouvaient déjà dans la strophe originale, de sorte que si l'on ne prend pas le soin d'évaluer la genèse du texte au fil de sa réécriture, on se persuade trop facilement de sa parenté avec le poème de Victor Hugo. Cela a été le cas d'Antoine Fongaro, « Le poète et le crapaud », Guillaume Apollinaire, no 3, Minard (« Revue des Lettres modernes »), 1964, p. 118s.). En moins de deux pages, il attribue péremptoirement le crapaud de Ducasse à Hugo, sans dire un mot du plus extraordinaire crapaud littéraire, Georges Dazet.

      En réalité, si quelques rapprochements de forme peuvent être fait entre la strophe des Chants et le poème de la Légende, ce sont des rapprochements, justement, car il n'est pas possible de montrer que la réécriture de la strophe s'inspire du poème, précisément parce que trop de rencontres de hasard se trouvait déjà dans la première édition du Chant premier où le crapaud ne figurait pas encore. Outre le crapaud lui-même, il n'y a que deux rencontres d'idées. D'abord, le premier vers du poème (« Que savons-nous ? Qui donc connaît le fond des choses ? ») peut être rapproché de l'ouverture ajoutée à la réécriture, soit le mystère, le problème de la vie. Ensuite, le jeu qui oppose ses pustules et la douceur du crapaud. Or, les pustules du crapaud d'un côté et les problèmes de la vie de l'autre sont des « co-occurrences » trop attendues pour impliquer une source littéraire.

      Pour être complet, disons le, l'idée que le « Le crapaud » ait été dès la première édition la source de la description de Dazet n'est pas impossible : elle est saugrenue, quoique des plus amusantes !

(4) À partir d'ici, la strophe s'inspire du Paradis perdu de Milton, comme on le voit à sa cosmographie et à son vocabulaire, sans que le texte de la traduction de Chateaubriand ne soit explicitement utilisé comme dans la seconde strophe. Du point de vue thématique et narratif, l'influence est nette, puisque les deux personnages viennent d'« en haut » et doivent ou devraient y retourner, Dazet se présentant comme l'ange (avec ses ailes), Maldoror, comme Lucifer, un esprit (du mal et qui peut y renoncer). Avec la dernière édition, voilà le crapaud à jouer le rôle de l'envoyé du Ciel, alors qu'au contraire c'est Lucifer qui est comparé au crapaud chez Milton ! où le démon prend cette forme au chevet d'Adam et Ève (chant 4, v. 800). Voir à ce sujet les nombreux rapprochements proposés sur l'ensemble des Chants par M. Jean et A. Mezei, qui ont probablement été les premiers à voir que la présente strophe était rédigée à la lumière du Paradis perdu (p. 67-68).

      L'arrivée du crapaud sur la terre ressemble au vol de Satan sur Eden : « Satan s'envola, et sur l'arbre de vie (l'arbre du milieu et l'arbre le plus haut du Paradis) il se posa semblable à un Cormoran » (p. 122, Chant 4). Voici comment Satan prenait pied sur la lave du Chaos qui sera bientôt l'Enfer : « Alors ailes déployées, il dirige son vol en haut, pesant sur l'air sombre... » (p. 49, Chant 1), ce qui correspondra textuellement plus loin au fait de diriger son vol ascendant vers sa sphère, cf. n. (8). Et c'est bien alors la cosmologie de Milton qui se profile dans la strophe : « Nous savons que, dans les espaces, il existe des sphères plus spacieuses que la nôtre, et dont les esprits ont une intelligence que nous ne pouvons même pas concevoir », voilà qui correspond à « L'espace peut produire de nouveaux mondes... » (p. 61). « Cette terre est une tache, un grain, un atome, comparée avec le firmament, et tous ses astres comptés, qui semblent rouler dans des espaces incompréhensibles... » (p. 215, Chant 8), etc.

(5) Je n'ai trouvé trace nulle part du mot composé maître-fantôme. Il serait susceptible de préciser le genre littéraire évoqué ici, ses auteurs, ses héros.

(6) La figure de l'épave est tellement remarquable que l'on pourrait en oublier le sens. Pourtant, l'idée de scepticisme est vraiment inattendue, tant elle est contradictoire avec la théologie de la strophe, comme celle de tous les Chants de Maldoror. Ni le mot, ni l'idée ne reviennent jamais dans l'oeuvre. On peut donc croire qu'Isidore Ducasse se laisse emporter ici par la rhétorique du sermon et de la prédication qui est bien celle du milieu du XIXe siècle. Il est important de le souligner, parce qu'il est miraculeux, c'est bien le cas de le dire, que les Chants se construisent sur une théologie exempte de toute forme de scepticisme. L'auteur des Poésies sera sur ce point du même avis : « C'est avec les pieds que je foulerai les stances aigres du scepticisme, qui n'ont pas leur motif d'être » (Poésies I, 8 : 14).

(7) L'essence divine de Maldoror, selon Dazet/le crapaud, comme la sphère des êtres supérieurs dont il vient être question et l'orgueuil déplacé dont il s'agira ensuite, tout cela se comprend et ne se comprend que dans la perspective du Paradis perdu où Lucifer, le Grand Ennemi, compte parmi les meilleurs esprits, supérieur à l'homme et à bien des anges.

(8) Dirige ton vol ascendant vers ta sphère. Citation textuelle du Milton de Chateaubriand : « Alors aile déployées, il dirige son vol en haut, pesant sur l'air sombre qui sent un poids inaccoutumé... » (p. 49). Voir plus haut, n. (4).


4. Faurissonneries

      « Maldoror a de beaux mouvements oratoires et des raccourcis particulièrement expressifs : en réalité des tours de phrase vicieux et ridicules, de pur janotismes du type "Est-il insensé, le Créateur; cependant le plus fort, dont la colère est terrible !" » (p. 73).

      Acta est fabula. Ite, missa est.

Variantes Commentaires Notes Faurissonneries
Tables du début de la présente strophe