1) 56: 19 P 1868, B 1869
Addition : Ce premier chant finit ici > S'il est quelquefois logique de s'en rapporter
à l'apparence des phénomènes, ce
premier chant finit ici
2) 56: 22 P 1868, B 1869
essayer sa lyre, au son si
étrange > essayer sa lyre :
elle rend un son si étrange
« Correction » de
même ordre que celles qu'on trouvait à la strophe
précédente. Voir la conclusion au sujet de ces réécritures.
3) 56: 22 P 1868, B 1869 son si
étrange. > son si
étrange !
4) 56: 24 P 1868, B 1869 une
empreinte forte au milieu des imperfections > une empreinte
forte, au milieu des imperfections
5) 57: 3 P 1868, B 1869 cependant
au début il ne doit pas commencer par un chef-d'oeuvre >
cependant, au début, il ne doit pas commencer par un
chef-d'oeuvre
6) 57: 10 P 1868, B 1869 se
tendent une main amie à travers les eaux argentines du grand
estuaire > se tendent une main amie,
à travers les eaux argentines du grand estuaire
7) 57: 11 P 1868, B 1869 Mais la
guerre éternelle > Mais, la
guerre éternelle
8) 57: 14 P 1868, B 1869 pense
à moi si tu m'as lu > pense à moi, si tu m'as lu
9) 57: 15 P 1868, B 1869 ne te
désespère point, car >
ne te désespère point;
car
10) 57: 16 P 1868, B 1869 car tu
as un ami dans le vampire > car, tu
as un ami dans le vampire
11) 57: 17 P 1868, B 1869 En
comptant Dazet [> B 1869
D...], tu auras deux amis ! >
En comptant l'acarus sarcopte qui produit la
gale, tu auras deux amis !
Pour la première fois, cette
quatorzième et dernière strophe du Chant premier est
parfaitement bien rédigée en français. Elle
ne comporte, en cherchant bien, qu'un hispanisme (retardé) et une faute syntaxique (f), dès la première édition.
En plus, à la seconde édition, elle comprend une
minuscule correction insignifiante, de celle que nous faisons tous
en nous relisant, c'est la v. (2), comme on
en trouvait plusieurs à la strophe
précédente.
(a) Rédaction : la
première
édition portait simplement « Ce premier chant
finit ici ». L'édition définitive ajoute
une facétie. L'addition est d'autant plus surprenante qu'on
attendrait plutôt des soustractions ! En effet, les
Chants de Maldoror pourraient en principe se passer de cette
dernière strophe du Chant premier, devenue obsolète.
— Il suit que le travail de rédaction de l'oeuvre en
fait partie, Ducasse n'ayant pas même pris la peine d'en
soustraire au moins les désignations explicites comme
celle-ci. Cf. (d)
(b) À l'exception notable d'Ana
Alonzo (no
sea usted severo) et d'Ivos Margoni (se voi essere imparziale),
tous les traducteurs en langue romane donnent le pluriel (no
seáis severos, no sigueu severs), comme si le narrateur ne
s'adressait pas à son lecteur en le vouvoyant.
(c) L'empreinte, c'est la signature, la
personnalité. Il suit qu'une empreinte forte désigne
un caractère exceptionnel. Il faut le préciser,
parce que l'affirmation est assez inattendue pour qu'on lui cherche
un autre sens.
(d) Rédaction : il est inattendu
que
l'annonce de la « parution » du deuxième
chant reste dans l'édition définitive, d'autant plus
que ce Chant deuxième, qui devait paraître fin
novembre 1868, n'a pas paru. Le laps de temps en aura
été plus que
« retardé ».
(e) Il s'agit du rio de la Plata (le
« fleuve de l'Argent », d'où les eaux
« argentines » de l'estuaire). La Plata n'est
pas un hispanisme, puisqu'on dit plus couramment rioplatense (nom
et adjectif).
(f) Des victimes nombreuses, pour
de
nombreuses victimes. L'inversion est d'autant plus inattendue que
l'adjectif indéfini tient lieu de déterminant en
castillan comme en français, c'est-à-dire qu'il ne
prend pas l'article : numerosas víctimas.
(g) Vieillard, jeune homme :
anciano/viejo,
joven/muchacho. Voir l'hispanisme hombre et les désignations
génériques apparentées. Il y a un trait
d'hispanisme, au sens culturel, à voir apostropher ici deux
catégories de lecteurs, au singulier, le vieux et le
jeune.
(h) Le vampire désigne ici la
chauve-souris de ce nom et non le héros du mal
légendaire qui lui sera associé. Ceux qui
comprennent ici « tu as un ami dans "Maldoror", le
vampire », font évidemment un amalgame qui trahit
le texte. Je dois le signaler, car le contresens est très
répandu chez les critiques et commentateurs adeptes du
vampirisme.
(i) T : En comptant l'acarus sarcopte.
On ne sait
pas encore d'où sort ce petit collage de cadavre exquis, mais
on doit accepter la correction que n'a pas
osé faire Jean-Pierre Goldenstein : « d'un
point de vue réaliste, il faut sans doute rétablir
une virgule manquante entre acarus et sarcopte [...].
D'un point de vue poétique, même si l'on a affaire ici
à une probable coquille, il est indéniable que des
générations de lecteurs de Lautréamont ont
intériorisé cet acarus sarcopte qui n'existe
pas » (p. 407-408).
J.-P. Lassalle (« Les clavicules de
Lautréamont », Cahiers Lauréamont,
nos 27-28, 1993, p. 94) a tenté de justifier la
coquille avec la désignation latine acarius scabiei,
littéralement « acarius de la galle ».
Le complément déterminatif n'a aucun rapport avec le
vocable sarcopte (« découpeur de
chair »), qui désigne une sorte d'acariens. Bref,
la virgule s'impose.
En moins de deux phrases, le comte de
Lautréamont (car il s'agit de
l'« auteur », du
« poète ») exprime une très nette
pensée politique, celle de son auteur alors anonyme, Isidore
Ducasse, dont il est clairement le porte-parole. Non seulement une
oeuvre d'art peut être également, parfois, un document
autobiographique, mais il y a des cas où ce caractère
est évident, lorsqu'on ne peut plus distinguer l'auteur du
narrateur.
Une seule question nous occupera dans ces
notes, la situation sud-américaine de l'auteur,
puisque cette édition critique est réalisée
à partir de l'étude de l'hispanisme de l'oeuvre.
La première question, la plus
importante, est celle de savoir pourquoi l'auteur se
présente ainsi, « né sur les rives
américaines, à l'embouchure de la Plata ».
Du point de vue des traits hispanisques des Chants, cela ne fait
aucun doute : s'il ne faut pas être
« sévère » pour cette oeuvre qui
rend « un son si étrange », c'est parce
que son auteur est d'origine hispanique. En effet, celui qui lit
cette strophe sans savoir que Ducasse est Montevidéen parce
qu'il est né là-bas de parents français (c'est
un Français qui a acquis de fait la nationalité
uruguayenne), le texte de la strophe peut faire croire le
contraire, soit qu'il s'agit d'un Sud-Américain qui
écrit en français — ce qui est d'ailleurs un peu
vrai dans son cas, aussi par la force des choses. Il suit, du
point de vue linguistique, qu'Isidore Ducasse était bien
conscient du son « si étrange » de sa
lyre et par conséquent des
« imperfections » de son français. S'il
est assez intelligent pour reconnaître ses faiblesses, il ne
manque pas non plus du bon sens qu'il faut pour savoir qu'une
langue s'apprend et se perfectionne par la pratique et qu'on ne
manquera pas de voir l'« empreinte » du
génie à venir dans le Chant premier qui
s'achève ici : ce n'est pas encore un
« chef-d'oeuvre », mais cela viendra.
La seconde question, qu'on verra
étudiée ci-dessous en quelques notes, découle
de l'illustration de la justification. Le Sud-Américain
expose en moins de dix lignes ce qui devrait être la
situation socio-politique de l'Argentine et de l'Uruguay (et dans
cet ordre), alors que cette description ne cadre pas du tout avec
la réalité. Pourquoi ? — Tout simplement
parce qu'Isidore Ducasse est bien le fils du chancelier au consulat
de France en Uruguay et qu'il est déjà un homme de
lettres français, bien éloigné de la
vie politique américaine rioplatense. On admettra,
je pense, que c'est tout naturel et que le contraire eût
été surprenant.
(1) On remarque, en effet, que le
poète ne
se dit pas explicitement montevidéen, alors que
c'était le cas de Maldoror/Lautréamont en 1.7
(p. 17: 7). C'est donc par
recoupement que le poète se présente, si l'on veut,
comme originaire d'Uruguay, comme Isidore Ducasse, né
à l'embouchure du rio de la Plata, à
Montevideo.
(2) Jadis « rivaux »
?
Vocabulaire de chancellerie, déjà. La Grande Guerre
a duré de 1839 à 1852. Elle a opposé la
Confédération argentine de Rosas non pas tout
à fait à la République orientale,
c'est-à-dire à l'Uruguay, mais à Montevideo,
la ville des gringos, où les Français occupent de par
leur proportion une position très importante. Dans la
guerre qui l'oppose à l'Argentine, Montevideo est
assiégée de 1843 à 1851; au cours de cette
période, la population de la ville est pour plus de la
moitié d'origine étrangère très
récente; la « capitale » subit un
blocus et ne peut être ravitaillée que par mer, avec
l'appui des navires étrangers; et par ailleurs, elle est
coupée de tout le reste du pays, non seulement au sens
économique et militaire, mais également au sens
socio-politique. Alors que la majorité de la population
accorde son appui au parti Blanco (les Blancs), bien
représenté par les forces du général
Oribe, qui a l'aval de Buenos Aires, c'est le parti Colorado (les
Rouges), avec l'appui des forces militaires françaises,
italiennes et anglaises, qui domine à Montevideo, où
se sont réfugiés les Argentins opposés au
« dictateur » Rosas.
(3) Voici le discours des deux grands
partis
politiques depuis au moins 1857 qui surnage ici. C'est la
politique de la « fusion » : les Rouges
ne sont plus rouges, ni les Blancs, blancs, chaque parti
prétendant effacer le passé et accusant le parti
adverse de porter ses couleurs. Et la politique s'applique
forcément à la position nationale vis-à-vis de
l'Argentine. On tend donc des « mains amies »
et on rivalise dans « le progrès matériel
et moral ». Le moins que l'on puisse dire, c'est que ce
discours lénifiant serait plus conforme à celui du
chancelier François Ducasse qu'au comte de
Lautréamont.
(4) De lénifiant à
sidérant :
l'Argentine et l'Uruguay, « deux peuples [...]
s'efforcent actuellement de se surpasser par le progrès
matériel et moral »; et deux capitales
« se tendent une main amie, à travers les eaux
argentines du grand estuaire ». C'est évidemment
trop beau pour être vrai. D'abord, ce n'est pas la double
alliance de l'Uruguay et de l'Argentine, mais bien la Triple
Alliance que l'Argentine et le Brésil ont imposée
à l'Uruguay, bras de fer qui n'est évidemment pas
aussi poétique que la main amie tendue sur les eaux
argentines. Le traité secret de 1865 est depuis longtemps
un secret de polichinelle lorsque Ducasse écrit cette
strophe.
(5) Après la Triple Alliance,
voici
évoquée avec le plus bel euphémisme sa
conséquence, la Guerre du Paraguay, une guerre
d'extermination, avec le massacre programmé par les deux
puissances de la région, l'Argentine et le Brésil, de
toute une population à peu près sans défense
qui a le malheur d'être dirigée par une petite
dynastie de mégalomanes. Au moment où Ducasse
rédige ces lignes, le Paraguay est toujours dirigé
par Francisco Solano (1862-1870), tandis qu'en Uruguay, c'est la
dictature du général Venancio Flores qui vient
à peine de s'achever (de 1865 à son assassinat en
février 1868). Il avait pris à la fois la
présidence du pays et la tête des armées qu'il
a dirigées lui-même contre le Paraguay, ce qu'il
préparait depuis 1862 déjà :
c'était (du point de vue des biographes de Flores et des
historiens d'Uruguay) le « prix à
payer » pour sa
révolution des Rouges.
Or, Ducasse a donné ce texte à
imprimer à son retour d'Argentine et d'Uruguay en juillet et
août 1868; il était à Montevideo à
l'automne 1867 et peut-être durant l'hiver 1867-1868 (car on
ne connaît pas la date de son arrivée à Paris).
À ce moment, Venancio Flores a déjà
reporté l'assemblée constituante destinée
à légitimer sa dictature; il a été
assassiné en février et le pays a replongé
dans le chaos politique. Tandis que la guerre du Paraguay n'aura
pas fini son carnage avant 1870.
Cela dit, l'important, pour le Consulat
français, ce sont les bonnes affaires, ce qu'on peut appeler
en effet le « progrès matériel et
moral ». Et l'Uruguay se trouve en pleine croissance
économique, au cours de ces années. Son
réseau ferroviaire, par exemple, n'est plus en construction,
mais en expansion.
Bibliographie
La situation politique et sociale qui se
profile dans ces quelques notes n'est encore qu'une esquisse. Il
faudra d'abord évaluer la pensée politique du
chancelier, François Ducasse, ce qui ne sera pas facile,
notamment parce que l'objectif premier des diplomates est
précisément de ne pas s'exprimer à ce sujet.
Ensuite, plus simple mais plus long, les divers courants
idéologiques des « Français
d'Uruguay ». Enfin, notre objectif, l'idéologie
politique qu'Isidore Ducasse devait et pouvait partager avec son
père et ces Français, à l'âge de 21 et
23 ans. Il ne fait pas de doute, bien entendu, que les Ducasse,
père et fils, aient été anti-Rosas et par
conséquent « unitaires »;
c'étaient aussi des Rouges, mais cela déjà se
présente sous plusieurs teintes (des docteurs aux caudillos,
des gauchos aux militaires), selon les aléas de la vie
quotidienne nationale; et, dans tous les cas, ils ne peuvent
être que rationalistes et anticléricaux, mais avec la
volonté (je parle du père) de n'en jamais rien
laisser paraître, « au contraire ».
Pour esquisser cette analyse, j'ai
utilisé les ouvrages suivants portant de divers points de
vue sur la situation du rio de la Plata en 1867 et 1868, en regard
de la dernière strophe du Chant premier.
José Pedro Barrán, Historia uruguaya,
vol. 4, « Apogeo y crisis del Uruguay pastoril y
caudillesco (1839-1875) », Montevideo, Ediciones de la
Banda oriental, 2007, 152 pág.
Mercedes Vigil y Raúl Vallarino, la Triple alianza :
la guerra contra el Paraguay en imágenes, Montevideo,
Planeta, 2007, 133 pág.
Washington Lockhart, Venancio Flores : un caudillo
tragico, Montevideo, Ediciones de la Banda oriental (coll.
« Historia uruguana, 2a serie, los hombres »,
no 5), 1976, 112 pág.
Alfredo Lepro, Años de forja : Venancio Flores,
ensayo de interpretación histórica, Montevideo,
1962, 316 pág.
Le commentaire de Robert Faurisson est six ou
sept fois plus long que la strophe (p. 74-76). Comme il ne
trouve aucun trait linguistique ou grammatical à se mettre
sous la dent, le professeur réécrit à son
goût et à sa guise le texte. Tout cela est aussi
désolant que désarmant.
1. « Montevideo, la toute charmante coquette,
un vrai petit Paris (du moins à l'en
croire) ».
2. « Maldoror, sûr de lui-même, va
majestueusement se remettre au travail ».
3. « Il ne doit pas, s'il est raisonnable et
pondéré, commencer par un chef-d'oeuvre; il n'en
a pas le droit, selon ce qui est prévu ».
4. « Tu as un ami dans le vampire » :
« viens, approche et reçois mon baiser de paix.
Sais-tu que je t'aime... ».
5. « Adieu, lecteurs audacieux qui vous
plongeâtes dans la lecture de ce chant et qui ne
craignîtes point que ses émanations n'imbibassent vos
âmes comme l'eau, le sucre ».
Si, cinq sottises suffisent.
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