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|
« Ô lampe au bec
d'argent (1), mes yeux
t'aperçoivent
dans les airs, compagne de la voûte des
cathédrales (a), et
cherchent la
raison
de cette suspension (b).
On dit que tes lueurs éclairent, pendant
la nuit, la tourbe de ceux qui viennent
adorer le
Tout-Puissant et que tu montres aux repentis le
chemin qui mène à l'autel. Écoute (c), c'est fort possible;
mais... (d) est-ce que tu as
besoin*i de rendre
de
pareils services à ceux auxquels tu ne dois rien ?
Laisse, plongées dans les ténèbres, les
colonnes
des basiliques; et, lorsqu'une bouffée de la
tempête
sur laquelle le démon tourbillonne,
emporté
dans l'espace (2),
pénétrera,
avec lui, dans le saint
lieu, en y répandant l'effroi, au lieu de lutter,
courageusement,
contre la rafale empestée du prince
du mal, éteins-toi subitement, sous son souffle
fiévreux, pour qu'il puisse, sans qu'on le voie,
choisir ses victimes parmi les croyants agenouillés.
Si tu fais cela, tu peux dire que je te devrai tout
mon bonheur. Quand tu reluis (e)
ainsi, en
répandant
tes clartés indécises, mais suffisantes, je n'ose
pas
me livrer aux suggestions (f) de
mon
caractère, et je
reste, sous le portique sacré, en regardant par le
portail entrouvert, ceux qui échappent à ma
vengeance,
dans le sein du Seigneur. Ô lampe poétique !
toi qui serais mon amie si tu pouvais me comprendre,
quand mes pieds foulent le basalte des
églises, dans les heures nocturnes, pourquoi te mets-
tu à briller d'une manière qui, je l'avoue, me
paraît
extraordinaire ? Tes reflets se colorent, alors,
des nuances blanches de la lumière électrique;
l'oeil ne peut pas te fixer; et tu éclaires d'une
flamme nouvelle et puissante les moindres détails
du chenil du Créateur, comme si
tu étais en proie
à une sainte colère. Et, quand je me retire
après
avoir blasphémé, tu redeviens
inaperçue (g), modeste
et pâle, sûre d'avoir accompli un acte de justice.
Dis-moi, un peu; (h) serait-ce,
parce que tu
connais
les détours de mon coeur, que, lorsqu'il m'arrive
d'apparaître où tu veilles, tu t'empresses de
désigner
ma présence pernicieuse, et de porter l'attention (i)
des adorateurs vers le côté où vient de se
montrer
l'ennemi des hommes ? Je penche vers (j)
cette
opinion; car, moi aussi, je commence
à te
connaître;
et je sais qui tu es, vieille sorcière, qui
veilles si bien sur les mosquées sacrées, où
se
pavane,
comme la crête d'un coq (3),
ton
maître curieux (k).
Vigilante gardienne, tu t'es donné une mission
folle. Je t'avertis; (h) la première*i fois que tu me désigneras
à la prudence (l) de mes
semblables,
par
l'augmentation de tes lueurs phosphorescentes,
comme je n'aime pas ce phénomène d'optique,
qui n'est mentionné, du reste, dans aucun livre de
physique, je te prends par la peau de ta poitrine,
en accrochant mes griffes aux escarres de ta
nuque teigneuse, et je te jette dans la Seine. Je ne
prétends pas que, lorsque je ne te fais rien, tu te
comportes sciemment d'une manière qui me soit
nuisible (m). Là, je te
permettrai de
briller autant
qu'il me (n) sera agréable;
là,
tu me nargueras avec
un sourire inextinguible; là, convaincue de
l'incapacité
de ton huile criminelle, tu l'urineras avec
amertume ». Après avoir parlé ainsi,
Maldoror
ne
sort pas du temple, et reste (o)
les yeux
fixés sur la
lampe du saint lieu... Il croit voir une espèce de
provocation, dans l'attitude de cette lampe, qui
l'irrite au plus haut degré, par
sa présence inopportune.
Il se dit que, si quelque âme est renfermée (e)
dans cette lampe, elle est lâche de ne pas
répondre,
à une attaque loyale, par la sincérité. Il bat
l'air de ses
bras nerveux et souhaiterait que la lampe se transformât
en homme; il lui ferait passer un mauvais quart
d'heure, il se le promet. Mais, le moyen qu'une lampe
se change en homme; (h) ce n'est pas
naturel (4). Il ne se
résigne pas, et va chercher, sur le parvis de la
misérable
pagode, un caillou plat, à tranchant affilé (p). Il
le lance en l'air avec force... la chaîne est
coupée,
par le milieu, comme l'herbe par la faux, et
l'instrument
du culte tombe à terre, en répandant son huile
sur les dalles... Il saisit la lampe pour la porter
dehors, mais elle résiste et grandit. Il lui semble
voir des ailes sur ses flancs, et la partie supérieure
revêt la forme d'un buste d'ange. Le tout veut
s'élever en l'air pour prendre son essor; mais il le
retient d'une main ferme. Une lampe et un ange qui
forment un même corps, voilà ce que l'on ne voit
pas souvent. Il reconnaît la forme de la lampe; il
reconnaît la forme de l'ange; mais, il ne peut pas les
scinder dans son esprit; en effet, dans la
réalité,
elles sont collées l'une dans l'autre, et ne forment
qu'un corps indépendant et libre; mais, lui*s croit que
quelque nuage a voilé ses yeux, et lui a fait perdre
un peu de l'excellence de sa vue. Néanmoins, il se
prépare à la lutte avec courage, car son
adversaire
n'a pas peur. Les gens naïfs racontent, à ceux qui
veulent les croire, que le portail sacré se referma
de
lui-même, en roulant sur ses gonds affligés, pour
que
personne ne pût assister à cette lutte impie (5), dont les
péripéties allaient se dérouler dans
l'enceinte
du sanctuaire
violé. L'homme au manteau (6), pendant
qu'il
reçoit des blessures cruelles avec un glaive
invisible (7),
s'efforce de rapprocher de sa bouche la figure de
l'ange; il ne pense qu'à cela, et tous ses efforts se
portent vers ce but. Celui-ci perd son énergie, et
paraît
pressentir sa destinée. Il ne lutte plus que faiblement,
et l'on voit le moment où son adversaire
pourra l'embrasser à son aise,
si c'est ce qu'il veut
faire. Eh bien, le moment est venu. Avec ses muscles,
il étrangle la gorge de l'ange, qui ne peut plus
respirer,
et lui renverse le visage, en l'appuyant sur sa
poitrine odieuse. Il est un instant touché du sort
qui
attend cet être céleste, dont il aurait volontiers
fait
son ami. Mais, il se dit que c'est l'envoyé du Seigneur,
et il ne peut pas retenir son courroux. C'en
est fait; quelque chose d'horrible va rentrer dans
la
cage du temps ! (q). Il se
penche, et
porte la langue,
imbibée de salive, sur cette joue angélique (r), qui jette
des regards suppliants. Il promène quelque temps sa
langue sur cette joue. Oh !... voyez !... voyez
donc !...
la joue blanche et rose est devenue noire, comme un
charbon ! Elle exhale des miasmes putrides. C'est la
gangrène; il n'est plus permis d'en douter. Le mal
rongeur s'étend sur toute la figure, et de là,
exerce
ses furies sur les parties basses;
bientôt, tout le
corps
n'est qu'une vaste plaie immonde. Lui-même,
épouvanté
(car, il ne croyait pas que sa langue contînt un
poison d'une telle violence), il ramasse la lampe et
s'enfuit de l'église. Une fois dehors, il aperçoit
dans
les airs une forme noirâtre, aux ailes brûlées,
qui
dirige péniblement son vol vers les régions du ciel*d.
Ils se regardent tous les deux, pendant que l'ange
monte vers les hauteurs sereines du bien, et que lui,
Maldoror, au contraire, descend vers les abîmes
vertigineux
du mal... Quel regard ! Tout ce que
l'humanité
a pensé depuis soixante siècles, et ce qu'elle
pensera encore, pendant les siècles suivants, pourrait
y contenir aisément, tant de choses se dirent-ils (s),
dans cet adieu suprême*s !
Mais, on comprend que
c'étaient des pensées plus élevées que
celles qui jaillissent
de l'intelligence humaine; d'abord, à cause
des deux personnages, et puis, à cause de la
circonstance.
Ce regard les noua d'une amitié éternelle. Il
s'étonne que le Créateur puisse avoir des
missionnaires
d'une âme si noble. Un instant, il croit s'être
trompé, et se demande s'il aurait dû suivre la
route
du mal, comme il l'a fait. Le trouble est passé; il
persévère dans sa résolution; et il est
glorieux,
d'après lui, de vaincre tôt ou tard le Grand-Tout,
afin de régner à sa place sur l'univers
entier (8), et sur
des légions d'anges aussi beaux. Celui-ci lui fait
comprendre, sans parler, qu'il reprendra sa forme
primitive, à mesure qu'il
montera
vers le ciel; laisse
tomber une larme, qui rafraîchit le front de celui qui
lui a donné la gangrène; et disparaît peu
à peu,
comme un vautour, en s'élevant au milieu des nuages.
Le coupable regarde la lampe, cause de ce qui
précède (t).
Il court comme un insensé à travers les
rues,
se dirige vers la Seine, et lance la lampe par-dessus
le parapet. Elle tourbillonne, pendant quelques instants,
et s'enfonce définitivement*i dans les
eaux bourbeuses.
Depuis ce jour, chaque soir, dès la tombée
de la nuit, l'on voit une lampe brillante qui surgit et
se maintient, gracieusement, sur la surface du
fleuve, à la hauteur du pont Napoléon, en
portant,
au lieu d'anse, deux mignonnes ailes d'ange. Elle
s'avance lentement, sur les eaux, passe sous les arches
du pont de la Gare et du pont d'Austerlitz, et
continue son sillage silencieux, sur la Seine (u), jusqu'au
pont de l'Alma. Une fois en cet endroit, elle
remonte avec facilité le cours de la rivière*i, et revient
au bout de quatre heures à son point de départ.
Ainsi de suite, pendant toute la nuit. Ses lueurs,
blanches comme la lumière électrique, effacent
les
becs
de gaz qui longent les deux rives, et, entre lesquelles (v),
elle s'avance comme une reine, solitaire,
impénétrable,
avec un sourire inextinguible, sans que son
huile se répande avec amertume (w).
Au commencement,
les bateaux lui faisaient la chasse; mais, elle déjouait
ces vains efforts, échappait à toutes les
poursuites,
en plongeant, comme une coquette, et reparaissait,
plus loin, à une grande distance. Maintenant, les
marins superstitieux, lorsqu'ils la voient, rament
vers (x) une direction
opposée, et retiennent leurs chansons.
Quand vous passez sur un pont, pendant la
nuit, faites bien attention; vous êtes sûr de
voir
briller la lampe, ici ou là; mais, on dit qu'elle ne se
montre pas à tout le monde. Quand il passe sur les
ponts un être humain qui a quelque chose sur la
conscience, elle éteint subitement ses reflets, et le
passant, épouvanté, fouille en vain, d'un
regard
désespéré, la surface et le limon du fleuve.
Il
sait ce
que cela signifie. Il voudrait croire qu'il a vu la
céleste lueur; mais, il se dit que la lumière
venait
du devant des bateaux ou de la réflexion des becs
de gaz; et il a raison... Il sait que, cette
disparition,
c'est lui qui en est la cause; et, plongé dans de
tristes réflexions, il hâte le pas pour gagner sa
demeure.
Alors, la lampe au bec d'argent reparaît à
la surface, et poursuit sa marche, à travers (y) des
arabesques
élégantes et capricieuses.
| |
On doit corriger deux fautes significatives, l'emploi d'un mot pour
un autre et un accord en genre manifestement
inapproprié :
1) 108: 18 P 1869
un caillou plat, à tranchant effilé # affilé — on effile un tranchant
pour qu'il soit affilé;
2) 112: 4 P 1869
[Les lueurs de la lampe] effacent [celles de] les becs de gaz
qui longent les deux rives, et, entre lesquels, elle s'avance comme une reine... #
lesquelles — la lampe s'avance
entre les deux rives et non entre les becs de gaz, ni même
les
rangées de becs de gaz.
Style
Avec la ponctuation instable et fautive, avec
ses confusions et fautes de niveaux de langue et, surtout, avec sa
composition improvisée et aléatoire, cette strophe
présente une très évidente recherche
stylistique : c'est le jeu ou le travail des séries
synonymiques, dont la seconde réalisation radicale se
trouvera à la strophe 5.4. Il s'agit, au fil de la plume,
de
varier systématiquement le vocabulaire qui désigne un
objet ou une idée. Ce sera ici, d'abord l'église,
ensuite ses fidèles et enfin Dieu : les
cathédrales, les
basiliques, le
saint lieu, les
églises, le
chenil — attention au contresens
dû
à l'hispanisme : il s'agit bien de la
« niche » du Créateur et non du
« chenil » de ses fidèles —, les
mosquées et le
temple — et encore une fois le
saint lieu, et pour finir, la
pagode;
la
tourbe [des adorateurs] — attention au
contresens : c'est la foule ou la horde —, les
repentis (pour certains du moins), les
croyants et les
adorateurs; le
Tout-Puissant, le
Seigneur, le
Créateur, le
Créateur encore et le
Grand-Tout. On a aussi le
démon et le
prince du mal.
Bien entendu, comme n'importe quel
rédacteur littéraire, Ducasse a déjà
fait
l'effort (sic) de « varier » son vocabulaire
dans
ses strophes précédentes. Ce qui est nouveau ici,
particulièrement avec les désignations de
l'église, c'est qu'il le fait de manière critique,
c'est-à-dire à la fois avec sarcasme et humour. On
peut être certain que le sarcasme
« anti-littéraire »
lui est inspiré par sa source
on ne peut plus littéraire, Lamartine ayant eu l'art
de désigner le saint lieu sous les noms du
sanctuaire, de la
nef, des
basiliques et du
temple — sans compter le
« bas lieu » employé
métaphoriquement pour l'ici-bas. Mais la critique
sarcastique
a tout de suite pour résultat le comique et l'humour, le
travail du style produisant la puissante et sulfureuse image
de la « niche » du Créateur, le
« chenil »
où
il loge.
Commentaires
(a) La ponctuation est tout de suite
fautive. Il
faudrait avoir : cathédrales; et,
cherchent..., comme on le trouve correctement six lignes plus bas,
soit « ; + adv./conj. + , » :
« basiliques; et,
lorsque... ». La règle est appliquée
18 fois, tandis qu'elle est enfreinte pas moins de 14 fois. Or,
comme on va le voir, c'est toute la ponctuation de cette strophe
qui est aberrante : on le voit à l'emploi abusif des
points de suspension (d), comme à
l'emploi du point-virgule pour les deux-points.
(b) L'inversion syntaxique de style
artiste (mes
yeux t'aperçoivent = je t'aperçois) devient si
naturelle qu'on ne se préoccupera plus du fait que
l'image passe de l'imaginaire à
l'irréel : ses yeux « cherchent la
raison », cela ne saurait maintenant surprendre le
lecteur des Chants, voire un lecteur des romantiques. Comparer en
effet avec ces vers de Lamartine : « Et mon oeil aime à se suspendre / À ce
foyer aérien... ».
(c) Premier des traits de la langue
parlée
familière qui vont jalonner la strophe. Outre celui-ci, il
s'agit des cinq passages suivants : « Si tu fais
cela, tu peux dire que... » (106 : 17); « Dis-moi un
peu » (108 :8); « il
lui ferait passer un mauvais quart d'heure » (108 :
14); « il ne pense qu'à cela » (109 : 17) et « faites bien
attention » (112 : 15).
Étant donné le style
recherché, littéraire et même poétique
du texte par ailleurs, il apparaît que ces écarts de
niveaux de langue sont involontaires, à cause
précisément de leur relative discrétion, car
autrement le rédacteur n'aurait pas manqué de les
mettre en relief. Il faut y voir une marque du bilinguisme
d'Isidore Ducasse, où la langue parlée
familière déteint sur la langue écrite
littéraire.
(d) Seconde anomalie de la ponctuation
: on trouve
en effet pas moins de neuf fois les points de suspension dans la
strophe, dans leur emploi canonique, s'agissant effectivement de
« points de suspension ». Non seulement ils
avaient été éliminés, mais en plus
Ducasse commençait à leur donner une nouvelle
fonction : les « points de
transition ».
(e) Reluire, pour luire. La faute de
construction
morphologique se trouvera trois fois dans la strophe. Plus bas,
renfermer (p. 108: 10) est mis pour
enfermer, ce qui ne porte pas plus à conséquence
qu'ici, contrairement à rentrer, pour entrer dans la cage du
temps, cf. n.(q).
(f) L'inspiration vient de soi, tandis
que la
suggestion vient de l'extérieur. Ce n'est pas un
hispanisme, comme on le voit aux variations (arrebato, impulso,
etc.) des traducteurs (quoique, en castillan, il y ait deux mots
pour désigner deux nuances de cette relation, sugestione et
sugerencia, le second marquant une action plus subtile).
(g) Inaperçu n'est pas un
adjectif et
ne peut s'employer comme épithète sans recherche
stylistique, en dehors de son emploi comme apposition (passer, ne
pas passer inaperçu). Justement, Ducasse l'emprunte au
poème de Lamartine où son emploi, dès le
troisième vers (« Inaperçue et solitaire »),
s'explique d'abord par le décompte de la versification,
ensuite par la variation stylistique, puisque vient plus loin
l'« invisible flamme » (v. 38), et bien entendu par une recherche
stylistique qui est ici de l'ordre de l'évidente
création originale. Rien de tel ne peut expliquer
l'utilisation qu'en fait Ducasse, comme s'il s'agissait d'un mot
banal du français.
(h) Lorsqu'on lit
« écoute, c'est fort possible » (106: 5), la virgule marque une pause qui vaut
bien les deux-points. En revanche, ici, le point-virgule est mis
pour les deux-points. La faute se trouve encore plus bas, toujours
dans une expression familière : « je
t'avertis; la première fois
que... » (p. 107: 19); comme
aussi, mais dans une moindre mesure, avec « Mais, le
moyen qu'une lampe se change en homme;
ce n'est pas naturel » (p. 108:
15).
(i) (S'empresser) de porter l'attention
vers, n'est
pas une construction française, pas plus que castillane. On
attire l'attention sur qqun ou qqch; la
transformation de style artiste voudrait même qu'on attire
explicitement l'attention « vers le côté
d'où vient de se montrer qqun », pour
marquer la convergence des deux mouvements.
(j) Aujourd'hui, on penche pour
une opinion.
Mais au XIXe siècle, on penchait tout aussi bien vers
une opinion (inclinarse por/hacia esta opinión, les deux se
disent en castillan).
(k) Maître curieux : inversion,
car le
Créateur n'est certainement pas curieux, mais, dans ce
contexte, une curiosité. En tout cas, l'inversion (bis) de
style artiste le vaut bien : comme un coq pavanne sa
crête ! — Si la place de l'adjectif dans le
syntagme nominal est plus libre en espagnol, tous les traducteurs
adoptent ici le même ordre qu'en français, de sorte
qu'on ne peut voir un hispanisme dans la formulation de
Ducasse : c'est un curioso/extraño
señor/dueño.
(l) Comme on le voit sur cet exemple, le
« renversement » (l'inversion des mots dans un
syntagme et l'échange de leurs catégories
grammaticales, comme aussi le passage respectif de l'abstrait au
concret et inversement) est devenu si naturel que la figure
n'est plus de style, mais de langue. C'est le
« ducassien » des Chants de Maldoror.
La preuve en est que cette « désignation à
la prudence de ses semblables » est pafaitement claire,
alors que sa translation est difficile à réaliser (ce
serait à peu près « inciter mes semblables
à la prudence à mon égard » —
ce qui est très approximatif). Bref, désigner
quelqu'un à la prudence des hommes est non seulement une
belle formule, mais également une expression
très précise. C'est en ce sens que le travail du
style transforme peu à peu la langue.
(m) « Je ne prétends
pas que,
lorsque je ne te fais rien, tu te comportes sciemment d'une
manière qui me soit nuisible ». La phrase est
paraitement claire, mais elle est incompréhensible dans le
contexte. Et elle n'a rien à voir avec une formulation
castillane, car Manuel Ávarez Ortega et Manuel Serrat Crespo
qui la traduisent littéralement, mot à mot, n'y
changent rien, alors même que le traducteur qui parfois les
inspire (respectivement Pellegrini et Pedrolo) avaient
interprété le texte, on va le voir. Ana Alonso
reprend prudemment ce mot à mot, sauf pour l'ouverture de la
phrase, notre plus gros problème : au lieu de no
pretendo, elle écrit, no afirmo que. C'est presque
littéral et le problème reste entier. Alexis
Lykiard, dans sa traduction anglaise (littérale) met
prudemment la phrase entre parenthèses. C'est toutefois
Carlos Méndez qui adopte la solution la plus simple et la
plus radicale : il ne la traduit pas !, la supprimant de
son adaptation.
Voici l'interprétation de Julio
Gómez de la Serna, suivie de près (comme on le voit
aux parenthèses) par Aldo Pellegrini, interprétation
retenue par Manuel de Pedrolo, lecture toute naturelle, puisque ce
sera celle du lecteur de Ducasse, précisément parce
que la phrase est illisible dans son contexte : no estoy
dispuesto a (no puedo) tolerar que no haciéndote yo nada, te
(com)portes a sabiendas (deliberamente) de una menera (un modo) que
me perjudique (perjudica), soit dans une traduction
française la plus littérale possible, je ne suis pas
disposé à tolérer, alors que moi je ne te fais
rien, que tu te comportes volontairement d'une manière
préjudiciable à mon égard. C'est bien ce
qu'on devrait lire. Mais ce n'est pas ce que Ducasse a
écrit. Pourquoi donc ?
La réponse se trouve dans
l'étude de genèse, au sens le plus littéral,
dans l'étude de la rédaction de la strophe. Isidore
Ducasse a improvisé le texte jusqu'au tout avant-dernier
développement, probablement sa dernière feuille et
peut-être la toute fin de la strophe. À ce moment,
à l'avant-dernier développement, il se cite
lui-même,
reprenant et réécrivant deux passages de
la strophe. Et c'est alors qu'il ajoute la phrase qu'on
étudie ici et corrige un pronom de celle qui suit.
Dès qu'on a cette hypothèse à l'esprit, on
retrouve le texte primitif de la rédaction, parfaitement
clair.
|
... et je te jette dans la Seine. Là, je te permettrai de
briller autant qu'il te sera agréable; [là, tu
me nargueras avec un sourire inextinguible;] là, convaincue
de l'incapacité de ton huile criminelle, tu l'urineras avec
amertume.
|
| | |
Que s'est-il donc passé ? Au fil de sa rédaction,
Ducasse est revenu à la première partie de son texte,
le premier des deux volets de sa strophe, en a repris deux
extraits, mais a modifié le dernier, la toute fin de la
réplique de Maldoror. Il a probablement ajouté
à ce moment la seconde proposition, entre crochets dans ma
reconstitution; il a changé le pronom de la première
proposition pour la rendre conforme, plus ou moins, à ce
qu'on lit à la fin (car il serait plutôt
agréable à Maldoror, le passant anonyme d'un des
ponts de la Seine, que la lampe brille pour lui), et, surtout, il
ajoute cette phrase qui prend, rétrospectivement, pour le
lecteur qui relit la strophe un sens plus
adéquat : « lorsque je ne te fais
rien », lorsque je ne tente pas de profaner ton
église, lorsque je suis un simple passant sur un pont de
Paris (et que j'ai comme bien d'autres « quelque chose
sur la conscience »), alors tu ne te comportes pas, en
t'éteignant, de manière à me nuire
sciemment.
(n) Autant que tu voudras,
puisque ce sera
impossible. Cuanto te venga en gana (Gómez).
Réécriture en cours de rédaction
improvisée, selon l'hypothèse proposée
à la note précédente.
(o) Court-circuit : rester (il ne sort
pas), mis
pour garder. Tous les traducteurs en castillan reformulent
l'expression, permanece con los ojos fijos...
(p) Correction (1). T
:
effilé, pour affilé.
(q) Victor Hugo écrira
bientôt que
« l'oiseau le plus libre a pour cage un
climat » (Religions et religion, Paris, Levy,
1880, p. 49, chap. 9, « Questions »).
Je dois cette référence à Jacques Dufresne qui
a lui-même créé sur ce modèle
l'idée de « faire éclater la cage du temps
et de l'espace où nous sommes enfermés »
(Agora, 4: 1, sept. 1996). C'est la formule que
connaît Isidore Ducasse et qu'il inverse en l'employant
absolument, pour « se produire ». D'où
le très évident emploi de rentrer pour entrer
(apparaître à l'intérieur et non pas y entrer
à nouveau).
(r) Angélique, pour la joue de
l'ange,
qui jette des regards suppliants.
(s)
Tant de choses se dirent-ils : la postposition du sujet s'explique
par la forme exclamative, mais, dans ce cas, le complément
devrait suivre le groupe verbal dont il fait partie, soit, tant ils
se dirent de choses, tant se dirent-ils de choses. Autrement, la
formulation est non seulement fautive, mais ambiguë, le pronom
« ils » pouvant désigner non pas
Lautréamont et l'ange, mais cet autre pronom,
« tant de choses », accordé au neutre et
au pluriel (pour, tant de choses se dirent-elles).
(t) Le coupable regarde la lampe, cause
de _ce qui
précède_ : la cause de _tout cela_. Je crois
qu'il s'agit d'un hispanisme, mais pas au sens littéral,
comme le disent les traducteurs en espagnol. Je ne peux donc pas
le confirmer.
(u) Isidore Ducasse, pour cause
d'hispanisme, joue
très peu sur les sonorités. Ce sillage
silencieux, sur la Seine est une très exceptionnelle
allitération. Du coup, la figure donne au mot sillage le
sens d'une action (continuer à « produire son
sillage »), celui de sa production. Ni le
français ni l'espagnol n'ont de mot pour cela.
(v) T : [Les lueurs de la lampe]
effacent les becs
de gaz qui longent les deux rives, et, entre lesquels, elle
avance... Correction (2).
(w) Autonomie des strophes. On trouve
ici un
phénomène qu'on ne rencontrera dans aucune autre
strophe. C'est, disons, l'autocitation. Avec quelques variations,
toutefois. Ses lueurs [= reflets], blanches comme
la lumière électrique (p. 106: 28) [...]; avec un sourire
inextinguible [ « tu me nargueras avec un sourire
inextinguible », p. 108: 3,
paraît une addition au passage antérieur au moment de
la présente rédaction, n. (m)]; et
sans que son huile se répande avec amertume
(réécrivant le texte, notamment
répandre pour uriner) — et il faut
maintenant oublier que l'huile avait été
déjà répandue au moment où la lampe
s'était fracassée au sol
(« répandant son huile sur les dalles »,
p. 108: 21), ce qui est un des nombreux
traits du « récit
improvisé », comme je l'explique
ci-dessous.
(x) Vers, mis pour dans, une direction
opposée.
(y) À travers, mis pour avec, des
arabesques. La figure recoupe toutefois celle du sillage. Cf.
n. (u).
Sources
Le point de départ de la strophe est
évident, parce qu'il est explicite. C'est « La
lampe du temple » de Lamartine (1830). Le poème
sera d'abord déformé ou développé dans
le sens de la thématique de Byron (c'est le Maldoror/Manfred
et le jeune adolescent, que nous connaissons bien maintenant). Le
second développement n'en est pas moins évident,
même si, lui, n'est pas explicite (je veux dire appuyé
aussi littéralement) : c'est le combat des anges dans
le Paradis perdu de Milton. En revanche, la source de
l'« homme au manteau » (héros du roman
noir populaire) est un très explicite clin d'oeil au roman
de Victor Hugo, Notre-Dame de Paris.
Genèse
Le jeu, fort bien réussi, consiste
à inventer du Milton en déformant du Lamartine dans
le sens de Byron ! Résultat : du pur Ducasse.
Narration
En effet, on trouve pour la première
fois ici la narration aléatoire ou improvisée qui
sera très souvent utilisée par la suite. Ce n'est
certes pas la première fois que Ducasse improvise, puisque
c'est manifestement le mode de rédaction des Chants, ce que
souligne le fait qu'il ne revoit pas le texte de ses strophes. Ce
qui est nouveau, dans cette strophe 2.11, c'est l'impact de la
rédaction sur le déroulement narratif. On le voit
à deux caractéristiques complémentaires, d'une
part l'histoire se développe ou se compose au fur et
à mesure de la rédaction, tandis que d'autre part
elle se réorganise et se recompose de la fin vers le
début. Pour l'étude narrative, il s'agit des deux
principales propriétés du récit de
rêve : c'est l'histoire en acte et en même temps
sa rétroaction. Il n'y a qu'une façon de produire de
telles compositions à l'état de veille et c'est
d'accentuer manifestement le caractère aléatoire des
événements ou plutôt de la suite
événementielle. L'événement doit
perdre sa raison d'être dans la chronologie de
l'histoire et ne plus être (ou avoir été
pensé comme) la conséquence du
précédent et la cause du suivant. Cette
caractéristique n'apparaît pas encore explicitement
dans la présente strophe, mais Ducasse la produira
bientôt (2.14), et avec beaucoup de force (2.15) et de plus
en plus souvent (3.5, 4.3, 4.5, 4.6, 4.8, 5.2, 5.7 et tout le
Chant 6, mais particulièrement 6.8 et 6.10).
Ajoutons que l'on trouve ici la
première réalisation du diptyque, la strophe
réalisée en deux volets, le premier constitué
d'une réplique, la « narration », le
second d'un récit, le « réel »
— tels que les désigne la strophe 5.7, la superbe
strophe de l'araignée, qui est la meilleure
représentation de cette structure narrative.
Par ailleurs, la narration, essentiellement au
présent (que ne gênent pas quelques passés
simples), raconte sous la forme d'une scène les
actions qui se produisent au fur et à mesure de son
déroulement. C'est la narration simultanée qui est
soulignée par de nombreuses
« didascalies » intégrées au
récit, de sorte que le narrateur présente une action
qui se déroule sous les yeux de son lecteur, devant eux, en
quelque sorte. La plus significative de ces formulations est le
« Oh !... voyez !... voyez
donc ! » (p. 100: 5), mais
on en trouve plusieurs tout au long du second volet de la
strophe.
Notes : les sources
(1) Après l'incipit, on ne mettra
pas
beaucoup de temps à voir confirmer l'intertexte, puisque la
source de Ducasse est vite évidente. Il s'agit de
« La lampe du temple ou L'âme présente
à Dieu » de Lamartine, poème paru dans ses
Harmonies poétiques et religieuses en 1830.
La même question lance le poème
et la strophe : pourquoi « te consumes-tu
devant Dieu ? » (première strophe du
poème, v. 2-4), je cherche
« la raison de cette suspension » (p. 106: l) — tandis que Maldoror
reprend à son compte (« on dit que... »,
106: 2) la ou les premières raisons
écartées par le poème : diriger la
prière, l'amour (v. 6) ou les pas des
adorateurs (v. 10) vers l'autel. Tout le
jeu stylistique des « séries
synonymiques », on l'a vu plus haut (cf. le style), vient des variations du poème
dans ses désignations du lieu saint. Par ailleurs, Ducasse
doit beaucoup d'autres vocables au lexique du poème
(notamment l'« inapercu » ! (cf.
n. (g), les lueurs et les lumières,
bien entendu), mais aussi des images (le pavé/basalte des
églises, par exemple, ou la lampe
symbolique/poétique).
Par ailleurs, le
« développement » improvisé de la
strophe trouve son origine dans le poème même de
Lamartine. C'est, bien sûr, la réponse
littérale à la question des incipit : pourquoi
la lampe brille-t-elle, sinon pour éloigner Satan, puis
Maldoror ? Mais c'est surtout la dixième strophe du
poème, avec son « vent » et son
« nuage », qui produit le tout premier
développement de la strophe des Chants, soit la venue de
Satan, préfiguration de Maldoror — dans le style du
Paradis perdu de Milton.
Toutefois, il faut bien ajouter que la strophe
ne retient que l'exposé matériel du poème de
Lamartine (en écartant l'essentiel, c'est-à-dire le
sous-titre ou le vrai titre de la pièce). C'est, bien
entendu, la première forme de l'ironie sarcastique. Plus
ici nulle belle âme. Plus de comparaison ni même de
métaphore. La lampe est une lampe, ce sera même un
ange, un bel adolescent, l'envoyé de Dieu. Cela s'appelle
« tuer un poème ». On ne saurait plus
lire dorénavant Lamartine sans rire. Relisons-le !
tout de même.
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La lampe du temple,
ou L'âme présente à Dieu
Pâle lampe du sanctuaire,
Pourquoi, dans l'ombre du saint lieu,
Inaperçue et solitaire,
Te consumes-tu devant Dieu ?
Ce n'est pas pour diriger l'aile
De la prière ou de l'amour,
Pour éclairer, faible étincelle,
L'oeil de Celui qui fit le jour.
Ce n'est pas pour écarter l'ombre
Des pas de ses adorateurs;
La vaste nef n'est que plus sombre
Devant tes lointaines lueurs.
Ce n'est pas pour lui faire hommage
Des feux qui sous ses pas ont lui;
Les cieux lui rendent témoignage,
Les soleils brûlent devant lui.
Et pourtant, lampes symboliques,
Vous gardez vos feux immortels,
Et la brise des basiliques
Vous berce sur tous les autels.
Et mon oeil aime à se suspendre
À ce foyer aérien,
Et je leur dis sans les comprendre :
Flambeaux pieux, vous faites bien.
Peut-être, brillantes parcelles
De l'immense création,
Devant son trône imitent-elles
L'éternelle adoration.
Et c'est ainsi, dis-je à mon âme,
Que de l'ombre de ce bas lieu,
Tu brûles, invisible flamme,
En la présence de ton Dieu.
Et jamais, jamais tu n'oublies
De diriger vers lui mon coeur,
Pas plus que ces lampes remplies
De flotter devant le Seigneur.
Quel que soit le vent, tu regardes
Ce pôle, objet de tous tes voeux,
Et comme un nuage tu gardes
Toujours ton côté lumineux.
Dans la nuit du monde sensible
Je sens avec sérénité
Qu'il est un point inaccessible
À la terrestre obscurité;
Une lueur sur la colline,
Qui veillera toute la nuit,
Une étoile qui s'illumine
Au seul astre qui toujours luit;
Un feu qui dans l'urne demeure
Sans s'éteindre et se consumer,
Où l'on peut jeter à toute heure
Un grain d'encens pour l'allumer.
Et quand sous l'oeil qui te contemple,
Ô mon âme, tu t'éteindras,
Sur le pavé fumant du temple,
Son pied ne te foulera pas.
Mais vivante au foyer suprême,
Au disque du jour sans sommeil,
II te réunira lui-même
Comme un rayon à son soleil.
Et tu luiras de sa lumière,
De la lumière de Celui
Dont les astres sont la poussière
Qui monte et tombe devant lui.
—— Lamartine,
Harmonies poétiques et religieuses, 1830,
Oeuvres complètes, Paris, Gosselin, 1847,
2 vol., vol. 2, p. 26-28.
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(2) Milton. La strophe est à
peine
lancée à partir du poème de Lamartine que le
rédacteur a déjà à l'esprit son
prolongement, qui lui vient, on le voit, du Paradis perdu de
Milton. C'est le « grand ennemi » (Satan) qui
s'abat sur terre, ce sera bientôt l'ennemi
des hommes (Maldoror). — Le vocabulaire pris de Milton
compte aussi, outre le Créateur, « les
régions du ciel » (110: 16)
et les « légions d'anges » (111: 8).
(3) « À ces mots, il
lève
un noble coup qui ne resta pas suspendu, mais tomba comme la
tempête sur la crête orgueilleuse de
Satan » (Milton, le Paradis perdu, traduction
de Chateaubriand, p. 176). Voir la note (5).
(4) Ducasse s'amuse : qu'un génie
sorte de
la lampe d'Aladin, ce n'est évidemment pas
« naturel ». Que la lampe du sanctuaire se
transforme en ange, envoyé de Dieu, ce sera au contraire de
la pure logique (symbolique).
(5) On ne trouve pas dans ce passage la
moindre
allusion à la lutte de Jacob contre l'ange/Dieu
(Genèse, 32: 24-32). Jamais d'aucune manière Ducasse
n'a évoqué quelque texte biblique que ce soit
jusqu'ici; on ne saurait confondre la Genèse avec les
contes des Mille et une nuits, section « Histoire
d'Aladin ou la Lampe merveilleuse » !
La source d'inspiration de Ducasse
opère depuis plusieurs strophes déjà et est
annoncée depuis le tout début de la présente
strophe — cf. n. (2). Il s'agit du
combat des anges Michel, puis Daniel, contre Satan au mont de Dieu
— d'où la Chute aux enfers : c'est le
livre 4 du Paradis perdu de Milton. En voici le tout
début de l'« argument » dans la
traduction de Chateaubriand : « Raphaël
continue à raconter comment Michel et Gabriel furent
envoyés pour combattre contre Satan et ses anges. La
première bataille décrite ». Satan, il
faut le rappeler ici, est « le grand ennemi »
(p. 175). Certes, Ducasse ne reprend aucun fragment de la
traduction de Chateaubriand — voir toutefois les n. (3), (7) et (8)
—, mais il suffit de l'avoir à l'esprit pour
comprendre qu'elle inspire ce passage de la présente
strophe, comme ce sera encore le cas du combat de l'aigle et du
dragon en 3.3.
(6) La désignation sort tout
droit de
Notre-Dame de Paris, comme le prouve d'ailleurs son
expression abrupte ici comme là. Tout le chapitre 7.7 du
roman joue de l'anonymat transparent de l'« l'homme au
manteau noir » (avec pas moins de 17 occurrences). La
« formule » sera reprise par Alexandre Dumas et
figure déjà probablement en bonne place dans le roman
populaire, mais c'est à Victor Hugo qu'Isidore Ducasse
l'emprunte, puisqu'il a déjà
« cité » ce roman à la strophe
2.5.
(7) Sans justification narrative aucune,
ce
« glaive invisible » sort de nulle part, pour
disparaître aussitôt : il vient du poème de
Milton. C'est en effet un combat de boucliers et
d'épées, de « flamboyantes
épées » (p. 179), que se livrent
Gabriel et Satan, combat qui se résume d'ailleurs en un seul
coup d'épée de « l'envoyé du
Seigneur » (comme on le lit tout de suite après,
p. 109: 27).
(8) C'est l'objectif de Satan,
exprimé
partout dans le Paradis perdu, c'est le motif du combat qui
inspire ici Ducasse : « ces troupes [les Puissances
liguées de Satan] se hâtaient avec une
précipitation furieuse, car elles se flattaient d'emporter
ce jour-là même, par combat ou surprise, le mont de
Dieu, et d'asseoir sur son trône le superbe Aspirant, envieux
de son empire » (p. 173). De même, on trouve
souvent un caractère vaguement érotique dans les
descriptions des anges et des légions d'anges chez le Grand
Puritain.
La strophe aurait pour sujet la lampe...
« du Saint-Sacrement » (p. 93, deux
occurrences). Suit, à travers de nombreuses citations hors
contexte, une série de traits pris de la strophe qui ne
forment évidemment pas un résumé, ni un
commentaire critique, puisque les citations sont brutes.
« Cette lampe à l'huile vaut
bien une lampe électrique » (p. 94). Deux
fois, la strophe compare les reflets et les lueurs de la lampe
à ceux de l'électricité. Je laisse la
question aux historiens (comme toutes les questions d'ordre
encyclopédique : voyez les éditions
commentées des chants, notamment sur la désignation
des ponts de Paris dans cette strophe); mais il me semble que la
lampe électrique n'est pas encore de mise vers 1870, alors
que la conduction de l'électricité en est encore
à l'expérimentation. Ducasse évoque
plutôt un phénomène tout
expérimental.
Conclusion : « Publicité
gratuite, dans le style de Maldoror; simplement, on lui trouvera
quelques "relents" d'information publicitaire à la
manière des journaux » (p. 94). Ce jugement
s'applique à la citation, en italique, à
l'auto-citation
du texte sur la « lumière
électrique ». — Robert Faurisson veut-il
dire que Ducasse fait sa publicité en se citant
lui-même ?
En quoi cela peut-il correspondre à la
publicité des journaux ?
La lampe du Saint-Sacrement, la lampe
électrique et des « relents » de
publicité journalistique... Je ne trouve dans ce
commentaire de la strophe 2.11 rien qui corresponde ni au texte de
Ducasse, ni même rien qui serve la thèse de Robert
Faurisson. On y trouve toutefois une lecture tout à fait
inadéquate de la strophe, qu'on ne peut même pas
reconnaître dans cette accumulation de citations. Bref ces
« notes de lecture » viennent d'une très
mauvaise lecture, c'est évident.
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Tables du
début de la
présente
strophe |
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