El bozo
TdM Règles d'établissement Strophe 3.5 Glossaires Index TGdM
Édition interactive des Chants de Maldoror du comte de Lautréamont par Isidore Ducasse
sous la direction de Guy Laflèche, Université de Montréal
<< Chant 4, strophe 7 >>
Variantes Commentaires Notes Faurissonneries
 

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      Il n'est pas impossible d'être témoin d'une déviation
anormale dans le fonctionnement latent ou visible
des lois de la nature (1). Effectivement, si chacun*s se
donne la peine ingénieuse d'interroger les diverses
phases de son existence (sans en oublier une seule,
car c'était peut-être celle-là qui était destinée à fournir
la preuve de ce que j'avance), il ne se souviendra
pas, sans un certain étonnement, qui serait comique
en d'autres circonstances, que, tel jour, pour parler
premièrement de choses objectives, il fut témoin de
quelque phénomène qui semblait dépasser et dépassait
positivement les notions connues fournies par
l'observation et l'expérience, comme, par exemple,
les pluies de crapauds (2), dont le magique spectacle dut
ne pas être d'abord compris par les savants. Et que,
tel autre jour, pour parler en deuxième et dernier
lieu de choses subjectives, son âme présenta au regard
investigateur de la psychologie, je ne vais pas
jusqu'à dire une aberration de la raison (qui, cependant,
n'en serait pas moins curieuse, (a) au contraire,
elle le serait davantage), mais, du moins, pour ne pas
faire le difficile auprès de certaines personnes froides,
qui ne me pardonneraient jamais les élucubrations
flagrantes de mon exagération, un état inaccoutumé,
assez souvent très grave, qui marque que la
limite accordée par le bon sens à l'imagination est
quelquefois, malgré le pacte éphémère conclu entre
ces deux puissances, malheureusement dépassée par
la pression énergique de la volonté, mais, la plupart
du temps aussi, par l'absence de sa collaboration
effective : donnons à l'appui quelques exemples, dont
il n'est pas difficile d'apprécier l'opportunité; si,
toutefois, l'on prend pour compagne une attentive
modération. J'en présente deux : les emportements
de la colère et les maladies de l'orgueil. J'avertis
celui qui me lit qu'il prenne garde à ce qu'il ne se
fasse pas une idée vague (b), et, à plus forte raison
fausse, des beautés de littérature que j'effeuille*i, dans
le développement excessivement rapide de mes phrases.
Hélas ! je voudrais dérouler mes raisonnements
et mes comparaisons lentement et avec beaucoup de
magnificence (mais qui dispose de son temps ?), pour
que chacun*s comprenne davantage*i, sinon mon épouvante,
du moins ma stupéfaction, quand, un soir
d'été, comme le soleil semblait s'abaisser à l'horizon,
je vis nager, sur la mer, avec de larges pattes de canard (c)
à la place des extrémités des jambes et des
bras, porteur d'une nageoire dorsale, proportionnellement
aussi longue et aussi effilée que celle des dauphins,
un être humain, aux muscles vigoureux, et
que des bancs nombreux de poissons (je vis, dans ce
cortège, entre autres habitants des eaux, la torpille,
l'anarnak groenlandais et la scorpène-horrible) (3) suivaient
avec les marques très ostensibles de la plus
grande admiration. Quelquefois il plongeait, et son
corps visqueux reparaissait presque aussitôt, à deux
cents mètres de distance. Les marsouins, qui n'ont
pas volé, d'après mon opinion, la (d) réputation de bons
nageurs, pouvaient à peine suivre de loin cet amphibie
de nouvelle espèce. Je ne crois pas que le lecteur
ait lieu de se repentir, s'il prête à ma narration,
moins le nuisible obstacle d'une crédulité stupide,
que le suprême service d'une confiance profonde,
qui discute légalement, avec une secrète sympathie,
les mystères poétiques, trop peu nombreux, à son
propre (e) avis, que je me charge de lui révéler, quand,
chaque fois, l'occasion s'en présente, comme elle s'est
inopinément aujourd'hui présentée, intimement pénétrée
des toniques senteurs des plantes aquatiques,
que la bise fraîchissante transporte dans cette strophe,
qui contient (f) un monstre (4), qui s'est approprié les
marques distinctives de la famille des palmipèdes.
Qui parle ici d'appropriation ? Que l'on sache bien
que l'homme, par (g) sa nature multiple et complexe,
n'ignore pas les moyens d'en élargir encore les frontières;
il vit dans l'eau, comme l'hippocampe; à travers
les couches supérieures de l'air, comme l'orfraie;
et sous terre, comme la taupe, le cloporte et la
sublimité du vermisseau. Tel est dans sa forme, plus
ou moins concise (mais plus, que moins), l'exact critérium
de la consolation extrêmement fortifiante que
je m'efforçais de faire naître dans mon esprit, quand
je songeais que l'être humain que j'apercevais à une
grande distance nager des quatre membres, à la surface
des vagues, comme jamais cormoran le plus
superbe ne le fit, n'avait, peut-être, acquis le nouveau (h)
changement des extrémités de ses bras et de ses jambes,
que comme l'expiatoire châtiment de quelque
crime inconnu. Il n'était pas nécessaire que je me tourmentasse
la tête (i), pour fabriquer d'avance les mélancoliques
pilules de la pitié (j); car, je ne savais pas que
cet homme, dont les bras frappaient alternativement
l'onde amère, tandis que ses jambes, avec une force
pareille à celle que possèdent les défenses en spirale
du narval (5), engendraient le recul des couches aquatiques,
ne s'était pas plus volontairement approprié
ces extraordinaires formes, qu'elles ne lui avaient
été imposées comme supplice. D'après ce que j'appris
plus tard, voici la simple vérité : la prolongation de
l'existence (6), dans cet élément fluide avait insensiblement
amené, dans l'être humain qui s'était lui-même
exilé des continents rocailleux, les changements importants,
mais, non pas essentiels, que j'avais
remarqués, dans l'objet qu'un regard passablement
confus m'avait fait prendre, dès les moments primordiaux*i
de son apparition (par une inqualifiable
légèreté, dont les écarts engendrent le sentiment si
pénible que comprendront facilement les psychologistes (k)
et les amants de la prudence) pour un poisson (7),
à forme étrange, non encore décrit dans les classifications
des naturalistes; mais, peut-être, dans leurs
ouvrages posthumes, quoique je n'eusse pas l'excusable
prétention de pencher vers cette dernière supposition,
imaginée dans de trop hypothétiques conditions.
En effet, cet amphibie (puisque amphibie il
y a, sans qu'on puisse affirmer le contraire) n'était
visible que pour moi seul, abstraction faite des poissons
et des cétacés; car, je m'aperçus que quelques
paysans, qui s'étaient arrêtés à contempler mon visage,
troublé par ce phénomène surnaturel, et qui
cherchaient inutilement à s'expliquer pourquoi mes
yeux étaient constamment fixés, avec une persévérance
qui paraissait invincible, et qui ne l'était pas
en réalité, sur un endroit de la mer où ils ne distinguaient,
eux, qu'une quantité appréciable et limitée
de bancs de poissons de toutes les espèces, distendaient
l'ouverture de leur bouche grandiose, peut-
être autant (l) qu'une baleine. « Cela les faisait sourire,
mais non, comme à moi, pâlir, disaient-ils dans leur
pittoresque langage; et ils n'étaient pas assez bêtes
pour ne pas remarquer que, précisément, je ne regardais
pas les évolutions champêtres (m) des poissons,
mais, que ma vue se portait, de beaucoup plus, en
avant » (n). De telle manière que, quant à ce qui me
concerne
, tournant machinalement les yeux du côté
de l'envergure remarquable de ces puissantes bouches,
je me disais, en moi-même, qu'à moins qu'on
ne trouvât dans la totalité de l'univers un pélican,
grand comme une montagne ou du moins comme un
promontoire (admirez, je vous prie, la finesse de la
restriction qui ne perd aucun pouce de terrain), aucun
bec d'oiseau de proie ou mâchoire d'animal sauvage
ne serait jamais capable de surpasser, ni même
d'égaler, chacun*s de ces cratères béants, mais trop
lugubres (o). Et, cependant, quoique je réserve une
bonne part au sympathique emploi de la métaphore
(cette figure de rhétorique rend beaucoup plus de
services aux aspirations humaines vers l'infini que
ne s'efforcent de se le figurer ordinairement ceux qui
sont imbus de préjugés ou d'idées fausses, ce qui est
la même chose), il n'en est pas moins vrai que la
bouche risible (p) de ces paysans reste encore assez
large pour avaler trois cachalots. Raccourcissons
davantage notre pensée, soyons sérieux, et contentons-
nous de trois petits éléphants qui viennent à
peine de naître. D'une seule brassée, l'amphibie
laissait après lui un kilomètre de sillon écumeux.
Pendant le très court moment où, le bras tendu en
avant reste suspendu dans l'air, avant qu'il s'enfonce
de nouveau, ses doigts écartés, réunis à l'aide
d'un repli de la peau, à forme de membrane, semblaient
s'élancer vers les hauteurs de l'espace, et
prendre les étoiles (q). Debout (8) sur le roc, je me servis de
mes mains, comme d'un porte-voix, et je m'écriai,
pendant que les crabes et les écrevisses s'enfuyaient
vers l'obscurité des plus secrètes crevasses : « Ô toi,
dont la natation l'emporte sur le vol des longues
ailes de la frégate, si tu comprends encore la signification
des grands éclats de voix que, comme fidèle
interprétation de sa pensée intime, lance avec force
l'humanité*v, daigne t'arrêter, un instant, dans ta
marche rapide, et, raconte-moi sommairement les
phases de ta véridique histoire. Mais, je t'avertis que
tu n'as pas besoin de m'adresser la parole, si ton
dessein audacieux est de faire naître en moi l'amitié
et la vénération que je sentis pour toi, dès que je te
vis, pour la première fois, accomplissant, avec la
grâce et la force du requin, ton pèlerinage indomptable
et rectiligne ». Un soupir, qui me glaça les os,
et qui fit chanceler*i le roc sur lequel reposait (r) la
plante de mes pieds (à moins que ce ne fût moi-même
qui chancelai*i, par la rude pénétration des ondes
sonores, qui portaient à mon oreille un tel cri (s) de
désespoir) s'entendit jusqu'aux entrailles de la terre :
les poissons plongèrent sous les vagues, avec le
bruit de l'avalanche. L'amphibie n'osa pas trop
s'avancer jusqu'au rivage; mais, dès qu'il se fut assuré
que sa voix parvenait assez distinctement jusqu'à
mon tympan, il réduisit le mouvement de ses
membres palmés, de manière à soutenir son buste,
couvert de goémons, au-dessus des flots mugissants.
Je le vis incliner son front, comme pour invoquer,
par un ordre solennel, la meute errante des souvenirs.
Je n'osais pas l'interrompre dans cette occupation,
saintement archéologique : plongé dans le
passé, il ressemblait à un écueil (9). Il prit enfin la parole
en ces termes : « la scolopendre ne manque pas
d'ennemis; la beauté fantastique de ses pattes innombrables,
au lieu de lui attirer la sympathie des
animaux, n'est, peut-être, pour eux, que le puissant
stimulant d'une jalouse irritation. Et, je ne serais
pas étonné d'apprendre que cet insecte est en butte
aux haines les plus intenses. Je te cacherai le lieu de
ma naissance, qui n'importe pas à mon récit : mais,
la honte qui rejaillirait sur ma famille importe à mon
devoir. Mon père et ma mère (que Dieu leur pardonne !),
après un an d'attente, virent le ciel exaucer
leurs voeux : deux jumeaux (t), mon frère et moi, parurent
à la lumière. Raison de plus pour s'aimer. Il
n'en fut pas ainsi que je parle. Parce que j'étais le
plus beau des deux, et le plus intelligent, mon frère
me prit en haine, et ne se donna pas la peine de cacher
ses sentiments : c'est pourquoi, mon père et ma
mère firent rejaillir sur moi la plus grande partie de
leur amour, tandis que, par mon amitié sincère et
constante, je m'efforçai d'apaiser une âme, qui n'avait
pas le droit de se révolter, contre celui qui avait été
tiré de la même chair. Alors, mon frère ne connut
plus de bornes à sa fureur, et me perdit, dans le
coeur de nos parents communs (u), par les calomnies les
plus invraisemblables. J'ai vécu, pendant quinze
ans, dans un cachot, avec des larves et de l'eau fangeuse
pour toute nourriture. Je ne te raconterai pas
en détail les tourments inouïs que j'ai éprouvés,
dans cette longue séquestration injuste. Quelquefois,
dans un moment de la journée, un des trois bourreaux,
à tour de rôle, entrait brusquement, chargé
de pinces, de tenailles et de divers instruments de
supplice. Les cris que m'arrachaient les tortures les
laissaient inébranlables; la perte abondante de mon
sang les faisait sourire. Ô mon frère, je t'ai pardonné,
toi la cause première de tous mes maux ! Se
peut-il qu'une rage aveugle ne puisse enfin dessiller
ses propres yeux ! J'ai fait beaucoup de réflexions,
dans ma prison éternelle. Quelle devint ma haine
générale contre l'humanité*v, tu le devines. L'étiolement
progressif, la solitude du corps et de l'âme ne
m'avaient pas fait perdre encore toute ma raison, au
point de garder du ressentiment contre ceux que je
n'avais cessé d'aimer : triple carcan dont j'étais
l'esclave. Je parvins, par la ruse, à recouvrer ma
liberté ! Dégoûté des habitants du continent, qui,
quoiqu'ils s'intitulassent mes semblables, ne paraissaient (v)
jusqu'ici me ressembler en rien (s'ils trouvaient
que je leur ressemblasse, pourquoi me faisaient-
ils du mal ?), je dirigeai ma course vers les galets
de la plage, fermement résolu à me donner la mort,
si*s la mer devait m'offrir les réminiscences antérieures
d'une existence fatalement vécue (w). En croiras-tu tes
propres yeux ? (x). Depuis le jour que je m'enfuis de la
maison paternelle, je ne me plains pas autant que tu
le penses d'habiter la mer et ses grottes de cristal (y).
La Providence, comme tu le vois, m'a donné en partie
l'organisation du cygne. Je vis en paix avec les
poissons, et ils me procurent la nourriture dont j'ai
besoin, comme si j'étais leur monarque. Je vais
pousser un sifflement particulier, pourvu que cela
ne te contrarie pas
, et tu vas voir comme ils vont
reparaître ». Il arriva comme il le prédit*s (z). Il reprit
sa royale natation, entouré de son cortège de sujets.
Et, quoiqu'au bout de quelques secondes, il eût complètement
disparu à mes yeux, avec une longue-vue (10),
je pus encore le distinguer, aux dernières limites de
l'horizon. Il nageait, d'une main, et, de l'autre,
essuyait ses yeux, qu'avait injectés de sang la contrainte
terrible de s'être approché de la terre ferme.
Il avait agi ainsi pour me faire plaisir. Je rejetai
l'instrument révélateur contre l'escarpement à pic;
il bondit de roche en roche*h, et ses fragments épars,
ce sont les vagues qui les (aa) reçurent : tels furent la
dernière démonstration*f et le suprême adieu, par lesquels,
je m'inclinai, comme dans un rêve, devant une
noble et infortunée intelligence ! Cependant, tout
était réel dans ce qui s'était passé, pendant ce soir
d'été.


1. Variantes

Corrections justifiées

1) 217: 9  (qui, cependant, n'en serait pas moins curieuse; > , au contraire, elle le serait davantage). Cf. n. (a).

2) 219: 11  il vit dans l'eau [...]; à travers les couches supérieures de l'air [...]; et sous la terre, comme la taupe, le cloporte et la sublimité du vermisseau. — Soustraction de l'article. Sous la terre ne se dit pas en français, mais quatre traducteurs rendent littéralement l'expression (Gomez, Serrat, Álverez et Pariente). Toutefois, je ne crois pas que ce soit un hispanisme et je ne l'enregistre donc pas comme tel.

3) 223: 1  le roc sur lequel je reposai > reposait la plante de mes pieds... Cf. n. (r).

4) 224: 9  j'efforçai > je m'efforçai d'apaiser une âme, qui n'avait pas le droit de se révolter... — La coquille est une amusante création transformant le verbe pronominal en un transitif, faire des efforts pour (intenté apacigar un alma, je tentai d'apaiser une âme).

5) 225: 9  [les habitants du continent] ne paraissaient pas > ne paraissaient jusqu'ici me ressembler en rien... Cf. n. (v).

6) 226: 7  et ses fragments épars, ce sont les vagues qui le > les reçurent... Cf. n. (aa).


2. Commentaires linguistiques

      Cette strophe exceptionnelle se mérite de très nombreux commentaires. Tellement que je les ai économisés. Je n'ai pas signalé toutes les figures de style artistes, comme par exemple, beautés de littérature (p. 217: 27, pour, beautés littéraires), crime inconnu (p. 219: 22, translation à trouver), la prolongation de l'existence (p. 220: 4, pour, le long séjour). Un explétif qui peut relever de la plaisanterie, nager des quatre membres (p. 219: 17). Et l'évident jeu de mot opposant la rage aveugle à la désillation des yeux (néologisme digne de Ducasse, p. 224: 26). En fait, l'analyse grammaticale de la strophe est certainement inépuisable. Je m'en tiens surtout aux incorrections, s'agissant de la principale caractéristique de la plus mauvaise strophe des Chants, pour réagir à l'angélisme des exégètes de notre poète, qui depuis pas moins d'un siècle n'ont jamais vu qu'il baragouinait son français.

(a) T : ... une aberration de la raison (qui, cependant, n'en serait pas moins curieuse; > , au contraire, elle le serait davantage), mais...

La correction est doublement justifiée : d'abord le point-virgule ne peut venir dans une parenthèse ; ensuite, « au contraire » n'est jamais précédé du point-virgule et suivi de la virgule dans les Chants. Par ailleurs, « car » vient deux fois dans la strophe avec la formule de ponctuation « ; car, » (formule qui n'est pas systématique, mais qu'on trouve tout de même cinq fois dans la strophe); or, la formule n'est pas appliquée dans sa première occurrence qui se trouve justement entre parenthèses (p. 216: 20).

(b) « J'avertis celui qui me lit qu'il prenne garde à ce qu'il ne se fasse pas une idée vague » de la beauté de ce qu'il lit ici. Tous les traducteurs en castillan donnent la double infinitive attendue également en français : de prendre garde à ne pas se faire. Pour conserver le subjonctif, Méndez réécrit, « que se ponga en guardia y no se forme... » (soit, à peu près, « qu'il soit sur ses gardes et ne se fasse pas... »). Il suit de ces corrections que la formulation de Ducasse ne tient nullement à une structure hispanique. L'incorrection est d'autant plus surprenante que le texte était exceptionnellement rédigé sans faute jusqu'ici.

(c) « Patte » désigne le pied et la jambe des animaux, mais le vocable ne convient manifestement pas aux palmipèdes, précisément parce que le mot est étymologiquement un croisement du latin palma, la « paume » (de la main), et de pes, « pied »; ces oiseaux ont des pieds palmés, ce qui décrit bien en particulier le canard, aux courtes pattes. D'où la très belle production de Manuel Serrat Crespo : palmas de pato.

      Le vocabulaire se court-circuite immédiatement, puiqu'on doit mettre des pattes au bout des jambes et des bras, pour les pieds et les mains. Or, cette lourdeur grammaticale, lexicale et sémantique, voir la n. (9), contredit la thématique qui présente manifestement l'amphibie comme un poisson, alors qu'on le voit dessiné ici comme une grenouille, l'amphibie par excellence, ce qui ne correspond évidemment pas à l'image que veut produire Ducasse. On dira que le lecteur n'y verra que du feu, à cause du style ampoulé et grandiloquent de l'ouverture de la strophe, ce qui est d'autant plus vrai que l'auteur revivifiera plus loin l'image (p. 222 : 9) de l'amphibie lançant son bras, « doigts écartés, réunis à l'aide d'un repli de la peau, à forme de membrane », vers le ciel comme s'il voulait prendre les étoiles.

(d) Il faut lire qu'il n'ont pas volé la réputation d'être de bons nageurs ou corriger leur réputation de bon nageurs.

(e) À son propre avis, explétif pour, à son avis. Ce n'est pas un hispanisme, car les traducteurs divergent considérablement... d'opinion ici (opinión, « avis », je me permets de le préciser pour ceux qui ne connaissent pas l'espagnol).

(f) Approximation : qui contient, est mis pour, où se trouve. Les correspondants, contenir et contener, ont les mêmes sens propres, mais leurs synonymes dans chacune des langues leur apportent beaucoup de nuances, de sorte qu'on ne trouve que deux traductions littérales en espagnol (Gómez et Pariente).

(g) Il faudrait comprendre, de par sa nature (c'est-à-dire, naturellement), mais dans ce cas le pronom de reprise, en, perd son sens, et il faudrait aussi comprendre ses frontières. Bref, c'est la proposition suivante qui lui donne son sens, même si elle n'a elle-même aucun sens. Voir la n. (9).

(h) Le nouveau changement, encore un explétif. Il faut deux changements pour en qu'on en trouve un nouveau.

(i) Explétif : se tourmenter la tête. Reformulation de l'expression de langue parlée familière, se casser la tête (se tourmenter !).

(j) Jeu de mot sur, dorer la pilule, employé sous forme réfléchie (se dorer la pilule), ce qui ne manque pas d'originalité.

(k) Selon le DHLF, la mot psychologue date de 1760, tandis que psychologiste apparaît en 1801, pour disparaître ensuite au profit de son vieux concurrent. En espagnol, on ne trouve que psicólogo (Garnier). Le vocable est donc significatif des lectures françaises de Ducasse, si le mot ne lui vient pas tout simplement du lycée.

(l) Il faut lire, peut-être autant que celle (la bouche) d'une baleine, ou, peut-être autant que le ferait une baleine (l'ouverture de la bouche).

(m) La présence des paysans implique la campagne, d'où la désignation des poissons de haute mer, avec leurs « évolutions champêtres » ! Trait manifeste d'improvisation et d'écriture automatique.

(n) Tout ce passage entre guillemets est incompréhensible. Alonso enlève les guillemets, Méndez le fait aussi, réécrivant le passage. Or, le passage en question ne peut être corrigé ou reformulé, précisément parce qu'il est incompréhensible. La réplique est manifestement en style indirect, en dépit des guillemets, mais avec une incontestable incise de style direct, « disaient-ils ». « Disaient-ils dans leur pittoresque langage », alors que le passage n'a absolument rien de pittoresque et n'évoque nullement la langue de paysans. Évidemment, Ducasse s'amuse à transformer des « bouches bées » en « bouches béantes » (boquiabiertos > bocas abiertas), évident hispanisme pour s'amuser du gallicisme), mais il s'amuse aussi à transformer l'image en sourire, pour l'opposer au fait de pâlir, qui n'a aucun sens dans le contexte. En plus, le passage corrige inadéquatement l'affirmation voulant que les paysans croient que l'amphibie fixait les bancs de poissons, alors qu'ils voyaient bien qu'il regardait plus loin en avant (comme s'ils pouvaient contredire ou corriger le texte que nous lisons !). Comme nous sommes dans la plus mauvaise strophe des Chants jusqu'ici, il ne fait pas de doute que Ducasse a perdu dans ce passage toute la maîtrise de son art et écrit vraiment n'importe quoi.

      Oui, cela devient tout de suite très amusant avec les précisions rhétoriques sur « la finesse de la restriction », l'emploie de la « métaphore », etc., mais la bourde permet de rappeler qu'un grand poète risque gros à improviser sans se réviser. Mais nous savons aussi, on doit le reconnaître, que c'est précisément à ce prix que Ducasse a produit son chef-d'oeuvre.

(o) Cratères béants, mais trop lugubres. La restriction ou la reprise implique un sens positif ou mélioratifs à l'adjectif, béant, qu'il n'a pas. Il faut dire que cet adjectif n'a pas de correspondant en castillan, ce qui pose un problème aux traducteurs qui doivent rendre, cráteres abiertos (des cratères ouverts !), ce qui n'a pas beaucoup de sens. Manuel Serrat Crespo croit s'en tirer avec la précision, abiertos de par en par (soit, grands ouverts). Manifestement, béant, à la faveur du gallicisme/hispanisme, se confond avec béat, qui a, lui, un correspondant, beato, mais dont tous les sens sont religieux et mélioratif.

      La réécriture de Carlos R. Méndez est aussi pertinente qu'instructive, soit, cráteres abiertos, pero, eso sí, tremendamente lúgubre, ce qui donnerait en français, béants, peut-être, mais terriblement lugubres. Et c'est bien ce qu'on doit comprendre dans le contexte.

(p) Renversement de style artiste : la bouche risible, la bouche qui rit.

(q) Prendre les étoiles. Le verbe correspondrait ici à, ramasser. Coger, que Ducasse a en tête, se dirait plutôt, attraper.

(r) T : ... le roc sur lequel je reposai > reposait la plante de mes pieds... — le passé simple à la première personne des deux verbes, je reposai, [je] chancelai, laisse croire qu'une faute s'est glissée dans le manuscrit, mais il est difficile d'imaginer comment le narrateur a pu quitter le roc, pour y revenir.

(s) La transformation du soupir en cri de désespoir ne peut s'expliquer que par la rédaction improvisée qui n'a pas été revue; mais la rédaction automatique est, elle, parfaitement logique, puisque c'est bien le soupir qui pourrait avoir fait chanceler le roc, si ce n'est l'effet... du cri.

(t) Deux jumeaux, nouvel explétif, pour, des jumeaux.

(u) Nos parents communs, explétif.

(v) T : Dégoûté des habitants du continent, qui, quoiqu'ils s'intitulassent mes semblables, ne paraissaient pas jusqu'ici me ressembler en rien... Je soustrais la forclusion (pas) qui fait double emploi avec son renforcement (en rien). J'ai hésité à corriger, d'abord parce que la faute est courante dans la langue parlée des francophones et ensuite parce que l'infinitif est détaché dans le syntagme verbal, paraître ressembler, ce qui explique justement... l'inadvertance.

(w) Si la mer devait m'offrir les réminiscences antérieures d'une existence fatalement vécue. Une note s'impose pour expliquer que cette toute petite proposition subordonnée, traduite en espagnol, est immédiatement comprise des lecteurs, si el mar [ici, on peut traduire le semi-auxiliaire à sa guise, mais au subjonctif, par exemple] ofrecía / había de, etc., ofrecerme reminiscencias anteriores de una existencia fatalmente vivida. Évidemment, la cascade de transformations de style artiste doit être résolue, mais aucun francophone n'y parviendra, à cause de deux hispanismes que signalent les liens html dans le texte. C'est d'abord une question morpho-syntaxique. La conjonction si, même si elle n'est pas toujours emphatique comme dans la strophe 1.3, est très ordinairement restrictive en castillan, ce qui n'est pas du tout le cas en français. Il faut donc comprendre, si jamais, au cas où, etc.

      Ensuite, l'hispanisme lexical de fatal, fatalement, suspend le sens de la phrase, car le francophone ne peut comprendre que l'adverbe signifie ici, tout simplement, mauvais, désastreux, et, donc, avoir vécu une existence épouvantable.

      Enfin, au sens strict, le personnage s'élance vers la mer... pour se noyer, comme on le comprend à première vue. Lu en traduction espagnole, le texte nous ramène immédiatement à la situation narrative : le personnage s'élance vers la mer (pour fuir le continent, l'humanité), à la condition que celle-ci ne lui remémore pas, même allusivement (les réminiscences antérieures !), les expériences qu'il a vécues.

(x) Ne pas en croire ses yeux : l'expression n'existe pas en espagnol où elle devrait être traduite, no dar crédito a sus ojos (Saturne). Or, quelques traducteurs la transcrivent littéralement, comme le tout premier, ¿ creerás a tus propios ojos ? (Gómez). Mais les plus avisés corrigent, ¿ Podrás creerme ? (Serrat). En effet, l'expression n'a rien à faire ici, mais il est probable que l'hispanophone lui donne un sens absolu qu'elle n'a pas en français. Quand on n'en croit pas ses yeux, cela concerne rigoureusement ce que l'on voit et le narrateur a déjà tout vu et ne verra rien de plus.

(y) La grotte de cristal est un phénomène géologique universel, spectaculaire. On en trouve partout au monde. Il n'y a donc aucune raison d'invoquer ici le latin et la demeure des dieux marins des Romains. À remarquer, et c'est très significatif, que jamais jusqu'ici on n'a trouvé la moindre allusion de culture latine dans les Chants.

(z) Il arriva comme il le prédit : cette formulation n'est pas recevable en français, alors qu'elle est tout à fait acceptable en castillan, succedió tal como había predicho. Je le précise exceptionnellement parce que toutes les structures calquée de l'espagnol ne produisent pas toujours des phrases aussi aberrantes. Parmi des dizaines de possibilités, la plus simple ne vient pas à l'esprit de Ducasse : et c'est (bien) ce qui se produisit.

(aa) T : ... [la longue-vue rejetée, pour jetée, du haut du rocher, qui bondit, pour rebondit, de roche en roche]... et ses fragments épars, ce sont les vagues qui le > les reçurent... La coquille, le pronom au masculin singulier, est significative de la rédaction automatique : l'auteur a gardé à l'esprit l'« instrument révélateur » et, donc, ni la longue-vue, ni ses fragments.


3. Notes

(1) Rédaction. Avec cette première phrase, tous ceux qui ont déjà lu la strophe comprennent que Ducasse connaît son sujet. Et par sujet, il faut entendre son personnage principal, l'amphibie. Mais ce sera ensuite deux improvisations. La première sur la rédaction qui met en place le sujet en question, la seconde sur l'histoire et le récit de l'amphibie.

(2) Source. « Les pluies de crapauds, dont le magique spectacle dut ne pas être d'abord compris par les savants ». Que viennent faire ici les savants ? Cela ne se s'expliquerait pas si la déclaration n'avait une source très précise. Il s'agit encore, comme à la strophe 4.5, cf. n. (3), de la réminiscence d'un article de Désiré Roulin dans la Revue des deux mondes (1835, p. 159-209), toujours dans sa chronique d'histoire naturelle, « Les pluies de crapauds ». La référence de Ducasse désigne exactement et précisément le sujet même de l'article, à savoir le questionnement des savants sur le phénomène, bien entendu aussi spectaculaire que magique. Le raisonnement consiste à comparer les recherches scientifiques sur deux phénomènes, les « pluies de pierres », les astéroïdes, d'un côté, et les diverses pluies d'animaux de l'autre, à commencer par les pluies de crapauds, sujet principal de l'article.

      Crapauds, araignées, sangsues : à remarquer que cet article avait de quoi retenir l'attention de Ducasse, qui y retrouvait son « bestiaire ».

(3) Cette parenthèse pose de nombreux problèmes. Mais on doit d'abord comprendre qu'il s'agit d'une addition ultérieure à la composition de la phrase. J'en recopie de passage « ... un être humain, aux muscles vigoureux, et que des bancs nombreux de poissons (je vis, dans ce cortège, entre autres habitants des eaux, la torpille, l'anarnak groenlandais et la scorpène-horrible) suivaient avec les marques très ostensibles de la plus grande admiration ». La parenthèse précise un « cortège », tandis que la phrase désigne des « bancs de poissons » qui « suivaient » l'amphibie. Le « cortège » procède des bancs de poissons qui suivent. Ensuite, des bancs de « poissons », cela ne comprend pas des baleines, bien entendu. L'anarnak est en effet un cétacé, précision qui viendra plus loin (l'amphibie est suivi de « poissons et de cétacés », p. 220: 23). L'addition a donc été faite avant cette précision.

      Le passage comprenant cette parenthèse est encadré de deux comparaisons, la nageoire effilée comme celle des dauphins et sa nage qui vaut celle des marsouins. Une autre, plus spectaculaire viendra plus bas, la force de ses jambes comparable à celle des « défenses en spirale du narval » ! (p. 219: 28).

      Tout cela relève de la passion de nombreux adolescents pour les vulgarisations de sciences naturelles, comme cela se voit plus haut des pluies de crapauds prises de la Revue des deux mondes, n. (2). Et j'ai bien trouvé dans la revue un article sur la pêche à la baleine qui désigne l'anarnak des Groenlandais (Jules Nougaret, tome 83, 1869, p. 707-729), mais sans rapport avec ce qui nous occupe ici. En effet, le problème est le suivant. Il ne fait pas de doute que cet anarnak groenlandais provient du savant vulgarisateur Lacépède (le comte Bernard Germain de Lacépède), puisque cette désignation n'a pas été retenue (au profit d'une autre appellation de Lucépède, l'hyperoodon); le mot composé se trouvait dans son Histoire naturelle des cétacés (1804, cf. la nouvelle édition de A.-G. Desmarest, Bruxelles, 1853, p. 212). Or, c'est dans un tout autre ouvrage, antérieur, que Lacépède désignait et la scorpène horrible (sans trait d'union) et la torpille, qu'il nomme toujours correctement la raie torpille : (il s'agit de la raie qui a donné son nom à notre arme moderne, le poisson, qui pour se protéger ou pour immobiliser ses proies, produit une très forte décharge électrique et qu'on appelle aujourd'hui, simplement, la torpille !) : il s'agit des tomes 1 et 2 de son Histoire naturelle des poissons, 1798-1803 (respectivement p. 172 et 261-265, voyez ces livres sur Gallica de la BNF).

      Bien entendu, Ducasse n'a pas compulsé ces ouvrages pour épingler les trois nom de sa parenthèse, ni ceux des autres « habitants des eaux » désignés ici. Lorsqu'on connaîtra sa source, on pourra évaluer précisément sa rédaction. L'impact de la figure, notamment dans le cas de la parenthèse, est d'accabler le lecteur de noms savants inconnus du commun des mortels pour caractériser le milieu fantastique où nage l'amphibie.

(4) Rédaction. Le développement qui s'ouvre ici, jusqu'à l'idée d'un crime, d'un châtiment et d'un supplice pour expliquer la nature de ce « monstre », montre que la seconde partie de la strophe n'est pas encore imaginée, d'où la restriction et le renversement qui suit, soit en résumé : il n'était pas nécessaire de me tourmenter, car il ne s'agit nullement d'un châtiment, « voici la simple vérité » (p. 220: 4). Ducasse n'a pas encore tout à fait imaginé l'histoire de son amphibie.

(5) Narval : le cétacé, qu'on appelle couramment la licorne de mer (d'où les défenses dont il est question ici) n'a qu'une seule et unique dent torsadée (le mâle du moins), longue de deux à trois mètres (pour un mammifère de quatre mètres). La précision devrait inciter à la prudence et à ne pas prendre le poète pour un « naturaliste » ! — Quelques critiques littéraires et commentateurs vont jusqu'à invoquer Darwin dans l'analyse de cette strophe.

(6) Rédaction. Du point de vue rhétorique, il s'agit d'une anticipation (« ce que j'appris plus tard ») du monologue de l'amphibie. Ducasse vient d'imaginer concrètement la seconde partie de sa strophe, puisqu'il désigne ici la menace de suicide de son personnage, qui tournera court : l'amphibie résolu à se donner la mort si... (p. 225: 12).

(7) Après l'anticipation (note précédente), c'est le retour en arrière. Or, cette rétrocession ne correspond pas à l'ouverture de la strophe, qu'elle reformule, car on lisait : « je vis nager [...] un être humain » (p. 218: 11).

(8) Ouverture de la seconde partie de la strophe : une question, suivie d'un monologue, le récit de l'amphibie.

(9) Cette strophe 4.7 est la plus mauvaise de tous les Chants, on en conviendra, car cela ne fait aucun doute. Elle présente d'abord un caractère enfantin où l'auteur s'amuse manifestement à ne rien dire (et il le dit !) : on est tous témoins du dysfonctionnement de la nature, exemple patent, les pluies de crapauds, exemple latent, les débordements de la colère et de l'orgueil. Suivront des affirmations factuelles plus enfantines encore : tout le développement sur les envergures des bouches des paysans est ridicule, bien entendu, tandis que l'histoire de l'amphibie est proprement stupide (et dans son déroulement événementiel, soit les rapports entre les jumeaux, comme entre l'amphibie et ses parents) et, plus encore, les supplices avec pinces, tenailles et autres et divers instruments de supplice, durant un emprisonnement de quinze ans, nourri de larve et d'eau fangeuse ! Le tout accompagné d'une psychologie d'une totale aberration qui culmine dans le fait que l'amphibie continue d'aimer les membres de sa famille, pour dédaigner... l'humanité (tous les autres hommes).

      Bref, s'il est difficile de désigner la meilleure strophe des Chants (j'ai choisi la strophe 3.5), il est certain que la moins bonne est celle qui nous occupe ici. À mon avis, personne ne pourrait faire pire. Et il fallait un génie, bien entendu, pour le faire en respectant le style, les structures narratives (personnage, l'amphibie; situation la mer, son nageur et son cortège de poissons; événements, l'« histoire » de l'amphibie) et la thématique des Chants.

      C'est toutefois dans cette très mauvaise strophe, parfaitement bien réussie de ce point de vue, qu'on trouve, en deux phrases, le plus beau passage de toute l'oeuvre. Si, en plus, on considère le passage dans son contexte, l'amphibie, se tenant debout en nageant dans une mer agitée près du rivage, sur le point de prendre la parole, il ne fait pas de doute qu'il s'agisse d'un chef-d'oeuvre de la littérature française. La « meute des souvenirs », l'« occupation archéologique » et, surtout, le fait brut de « ressembler à un écueil », de par sa position dans la mer et sa disposition à rassembler ses souvenirs, ces trois splendides figures parfaitement transparentes représentent le sommet de l'art incomparable d'Isidore Ducasse.

(10) Trait de rédaction automatique, comme en produit le récit de rêve : l'apparition inopinée d'une longue-vue. Le premier rédacteur venu l'aurait mise entre les mains du narrateur depuis longtemps. Au contraire, son apparition produit l'ultime séquence, totalement arbitraire, Ei (Hr = Ex + Ey... + Ei).


4. Faurissonneries

1. Sauf sa première et dernière phrase, le résumé de la strophe est correct : « J'ai connu un homme qui, persécuté par ses semblables, chercha refuge dans la mer où il prit configuration de poisson ».

2. La désignation de l'amphibie comme homme-poisson est également excellente.

3. Malheureusement, la longue « analyse » qui suit consiste en un collage de fragments de la strophe.

4. Pour toute la première partie, ce qui voudrait passer pour de l'ironie sarcastique tombe à plat, puisque Robert Faurisson lit au « second degré », si je puis dire, d'évidentes plaisanteries. On comprend tous que Ducasse s'amuse à produire de très longues phrases pour enfiler des précisions et des restrictions. Je crois que nous sommes nombreux à trouver que, dans cette strophe, les facilités comiques sont trop nombreuses, simplistes et manifestement improvisées au fil de la plume, sans avoir été revues. Mais de là à les prendre au sérieux, s'agissant d'évidentes facéties, on sera d'accord pour laisser cela à R. Faurisson.

5. Pour la seconde partie, l'accumulation de fragments cités aboutit à ce qui serait une « gymnastique un peu scabreuse », le fait de... nager d'une seule main ! (p. 128-129). Avec des palmes aux pieds, cela ne devrait vraiment pas être très difficile, surtout s'il s'agit de s'essuyer les yeux, injectés de sang. Ah ! ces littéraires. R. Faurisson manquait d'imagination ou ne savait pas nager... Et ces gens-là veulent faire de la critique littéraire !

Variantes Commentaires Notes Faurissonneries
Tables du début de la présente strophe