El bozo
TdM Règles d'établissement Strophe 3.5 Glossaires Index TGdM
Édition interactive des Chants de Maldoror du comte de Lautréamont par Isidore Ducasse
sous la direction de Guy Laflèche, Université de Montréal
<< Chant 5, strophe 4 >>
Variantes Commentaires Notes Faurissonneries
 



 
 
25
P. 250


 
5


 
 
10
 

 
 
15
 



20
 



25
 
 

P. 251
 


5




10
 
 
 

15




20



 
25


 
P. 252



5


 
 
10
 



15



 
20

 


25


 
P. 253



5

 


10



 
15




20
 
 

 
25



P. 254
 


5

 
 
 
10

 


15
      — Mais qui donc !... mais qui donc ose, ici, comme
un conspirateur, traîner les anneaux de son corps
vers ma poitrine noire (a) ? Qui que tu sois, excentrique
python, par (b) quel prétexte excuses-tu ta présence*h ridicule ?
Est-ce un vaste*i remords qui te tourmente ?
Car, vois-tu, boa, ta sauvage majesté n'a pas, je le
suppose, l'exorbitante prétention de se soustraire à
la comparaison que j'en fais avec (c) les traits du criminel.
Cette bave écumeuse et blanchâtre est, pour moi,
le signe de la rage. Écoute-moi : sais-tu que ton oeil
est loin de (d) boire un rayon céleste ? N'oublie pas que
si ta présomptueuse cervelle m'a cru capable de t'offrir
quelques paroles de consolation, ce ne peut être
que par le motif d'une ignorance totalement dépourvue
de connaissances (e) physiognomoniques. Pendant
un temps, bien entendu, suffisant, dirige la lueur de
tes yeux*d vers ce que j'ai le droit, comme un autre,
d'appeler mon visage ! Ne vois-tu pas comme il pleure ?
Tu t'es trompé, basilic. Il est nécessaire que tu cherches
ailleurs la triste ration de soulagement, que
mon impuissance radicale te retranche*i, malgré les
nombreuses protestations de ma bonne volonté. Oh !
quelle force, en phrases exprimable (f), fatalement t'entraîna
vers ta perte ? Il est presque impossible que
je m'habitue à ce raisonnement*i que tu ne comprennes
pas que, plaquant sur le gazon rougi, d'un coup de
mon talon
 (g), les courbes fuyantes de ta tête triangulaire,
je pourrais pétrir un innommable mastic avec
l'herbe de la savane et la chair de l'écrasé.
    — Disparais le plus tôt possible loin de moi, coupable
à la face blême ! Le mirage fallacieux de l'épouvantement
t'a montré ton propre spectre ! Dissipe tes
injurieux soupçons, si tu ne veux pas que je t'accuse
à mon tour, et que je ne porte contre toi une récrimination
qui serait certainement approuvée par le
jugement du serpentaire reptilivore (1). Quelle monstrueuse
aberration de l'imagination t'empêche de me
reconnaître ! Tu ne te rappelles donc pas les services
importants que je t'ai rendus, par la gratification
d'une existence que je fis émerger du chaos, et, de
ton côté, le voeu, à jamais inoubliable, de ne pas déserter
mon drapeau, afin de me rester fidèle jusqu'à
la mort ? Quand tu étais enfant (ton intelligence était
alors dans sa plus belle phase), le premier, tu grimpais
sur la colline, avec la vitesse de l'isard, pour
saluer, par un geste de ta petite main, les multicolores
rayons de l'aurore naissante. Les notes de ta
voix jaillissaient, de ton larynx sonore, comme des
perles diamantines, et résolvaient leurs collectives
personnalités, dans l'agrégation vibrante d'un long
hymne d'adoration. Maintenant, tu rejettes à tes
pieds, comme un haillon souillé de boue, la longanimité
dont j'ai fait trop longtemps preuve. La reconnaissance
a vu ses racines se dessécher, comme le lit
d'une mare; mais, à sa place, l'ambition a crû dans
des proportions qu'il me serait pénible de qualifier.
Quel est-il, celui qui m'écoute, pour avoir une telle
confiance dans l'abus de sa propre faiblesse ? (h)
    — Et qui es-tu, toi-même, substance audacieuse ?
Non !... non !... je ne me trompe pas; et, malgré les
métamorphoses multiples auxquelles tu as recours,
toujours ta tête de serpent reluira devant mes yeux
comme un phare d'éternelle injustice, et de cruelle
domination ! Il a voulu prendre les rênes du commandement,
mais il ne sait pas régner ! Il a voulu devenir
un objet d'horreur pour tous les êtres de la création,
et il a réussi. Il a voulu prouver que lui seul est le
monarque de l'univers, et c'est en cela qu'il s'est
trompé. Ô misérable ! as-tu attendu jusqu'à cette
heure
pour entendre les murmures et les complots
qui, s'élevant simultanément de la surface des sphères (2),
viennent raser d'une aile farouche les rebords
papillacés de ton destructible tympan ? (i). Il n'est pas
loin, le jour, où mon bras te renversera dans la poussière,
empoisonnée par ta respiration, et, arrachant
de tes entrailles une nuisible vie, laissera sur le chemin
ton cadavre, criblé de contorsions, pour apprendre
au voyageur consterné, que cette chair palpitante,
qui frappe sa vue d'étonnement, et cloue dans
son palais sa langue muette, ne doit plus être comparée,
si l'on garde son sang-froid, qu'au tronc pourri
d'un chêne, qui tomba de vétusté ! Quelle pensée de
pitié me retient devant ta présence*h ? Toi-même, recule
plutôt devant moi, te dis-je, et va laver ton incommensurable
honte dans le sang d'un enfant qui
vient de naître : voilà quelles sont tes habitudes.
Elles sont dignes de toi. Va... marche toujours devant
toi. Je te condamne à devenir errant. Je te condamne
à rester seul et sans famille. Chemine constamment,
afin que (j) tes jambes te refusent leur soutien.
Traverse les sables des déserts jusqu'à ce que la fin
du monde engloutisse les étoiles dans le néant. Lorsque
tu passeras près de la tanière du tigre, il s'empressera
de fuir, pour ne pas regarder, comme dans
un miroir, son caractère exhaussé sur le socle de la
perversité idéale. Mais, quand la fatigue impérieuse
t'ordonnera d'arrêter ta marche devant les dalles de
mon palais, recouvertes de ronces et de chardons,
fais attention à tes sandales en lambeaux, et franchis,
sur la pointe des pieds, l'élégance des vestibules.
Ce n'est pas une recommandation inutile. Tu
pourrais éveiller ma jeune épouse et mon fils en bas
âge, couchés dans les caveaux de plomb qui longent
les fondements de l'antique château. Si tu ne prenais
tes précautions d'avance (k), ils pourraient te faire pâlir
par leurs hurlements souterrains. Quand ton impénétrable
volonté leur ôta l'existence, ils n'ignoraient
pas que ta puissance est redoutable, et n'avaient aucun
doute à cet égard; mais, ils ne s'attendaient
point (et leurs adieux suprêmes me confirmèrent leur
croyance) que (l) ta Providence se serait montrée à ce
point impitoyable ! Quoi qu'il en soit, traverse rapidement
ces salles abandonnées et silencieuses, aux
lambris d'émeraude, mais aux armoiries fanées, où
reposent les glorieuses statues de mes ancêtres. Ces
corps de marbre sont irrités contre toi; évite leurs
regards vitreux. C'est un conseil que te donne la langue
de leur unique et dernier descendant. Regarde
comme leur bras est levé dans l'attitude de la défense
provocatrice, la tête fièrement renversée en arrière.
Sûrement ils ont deviné le mal que tu m'as fait; et,
si tu passes à portée des piédestaux glacés qui soutiennent
ces blocs sculptés, la vengeance t'y attend.
Si ta défense a besoin de m'objecter quelque chose,
parle. Il est trop tard pour pleurer maintenant. Il
fallait pleurer dans des moments plus convenables*h,
quand l'occasion était propice. Si tes yeux sont enfin
dessillés, juge toi-même quelles ont été les conséquences
de ta conduite (m). Adieu ! je m'en vais respirer
la brise des falaises; car, mes poumons, à moitié
étouffés, demandent à grands cris un spectacle plus
tranquille et plus vertueux que le tien !


1. Variantes

      Aucune correction justifiée à signaler. Voir toutefois la n. (l).


2. Commentaires linguistiques

(a) Poitrine noire. L'adjectif ne s'explique pas. Il est donc laissé à l'interprétation du lecteur !

(b) Par quel prétexte. En français, on dit, sous quel prétexte. L'hispanisme*s rend, con qué pretexto.

(c) La comparaison que j'en fais avec. Même remarque qu'à la note précédente : en français on dit, sous les traits, en castillan, con los rasgos.

(d) Loin de, pour incapable, impuissant, ne pas pouvoir, perd ce sens à cause des amusantes translations qui suivent, boire pour voir et rayon céleste pour les rayons du soleil. D'où l'interprétation très juste d'Ana Alonso, tu ojo no alcanza (mais elle recopie évidemment ce qui est écrit, beber, et, rayo celestial, ce que ses lecteurs, toutefois, ont plus de chance de comprendre que les francophones).

(e) Une ignorance dépourvue de connaissances... Explétisme. Mendez peut prendre la liberté de corriger : una ignorancia de conocimientos fisiognomicos, une ignorance des connaissances physiognomoniques (du savoir, de la science physiognomonique).

(f) Quelle force, en phrases exprimable... À cause de l'inversion (pour, une force exprimable en phrases), on a souvent cru à une faute d'accord. Par ailleurs, la formulation paraît une dénégation : quelle force inexprimable t'entraîna vers (= à) ta perte ?

(g) D'un coup de mon talon. Redoublement de l'hispanisme, soit, le coup de*e et le possessif*s mon talon, pour un coup de talon.

(h) Exceptionnellement, cette réplique divine, c'est le cas de le dire, ne comprend aucune faute. Quelques hispanismes et tournures approximatives en français, oui, mais aucune faute grammaticale, morphologique en particulier. Comme on le verra, cette caractéristique stylistique du texte de la réplique est le premier indice du fait qu'il s'agisse d'une addition à une composition antérieure, comme c'est le cas également de la première phrase de la réplique suivante, destinée à faire transition. Voir la note sur la rédaction de la strophe.

(i) Les rebords papillacés de ton destructible tympan. Papillacés : « c'est le pavillon de l'oreille que Ducasse suggère par ce mot qui cependant signifie plutôt "munis de papilles" » (J.-L. Steinmetz, Pléiade II, p. 650, n. 6). L'image auditive, rebords papillacés / pavillon, amenée par le tympan, est certainement de bonne lecture. En revanche, le second adjectif du syntagme ne s'explique pas, puisqu'on attend plutôt l'indestructible tympan. Je ne serai sûrement pas aussi ingénieux que Steinmetz, mais je proposerais de renverser... le renversement. L'adjectif destructible, aussi rare en français qu'en castillan, ne correspondrait-il pas ici à destructif, destructeur ? Le tympan qui a détruit jusqu'à maintenant les murmures de protestation qui pouvaient parvenir jusqu'à lui.

(j) Chemine constamment, afin que tes jambes te refusent leur soutien. Oui, la phrase peut se comprendre avec cette locution conjonctive, mais c'est tout de même son résultat qui importe : jusqu'à ce que tes jambes te refusent leur soutien, comme le corrigent Gómez de la Serna, Ana Alonso et Carlos Méndez.

(k) Explétisme proche de la bourde, significative de la rédaction improvisée : les précautions ne peuvent se prendre que d'avance.

(l) Que, est mis pour, à ce que, car s'attendre appelle un complément transitif indirect. Mais je ne corrige pas parce que c'est précisément la subordonnée transitive directe qui peut justifier l'emploi du conditionnel à la place du subjonctif : ils ne pensaient pas, ne croyaient pas, etc., que ta Providence se serait montrée aussi impitoyable, en regard de l'attendu, ils ne s'attendaient pas à ce que ta Providence se montre, se soit montrée aussi impitoyable.

(m) Les conséquences de ta conduite. L'expression est parfaitement correcte en français (même s'il s'agit d'un glissement qui vient de l'espagnol conducta), mais elle réécrit la formule courante, les conséquences de tes actes. Il est amusant de voir tous les traducteurs adopter l'expression littéralement, las consecuencias de tu conducta (les conséquences de ton comportement). Julio Gómez de la Serna est le seul à traduire las consecuencias de tus actos, probablement pour, de tus acciones.


3. Notes

Rédaction : réécriture d'une composition antérieure du Chant second

— On se reportera d'abord aux analyses de la genèse du Chant 2, aux strophes 2.13 et 2.15; puis à l'étude de la genèse de la strophe 2.14.

      On peut faire l'hypothèse que cette strophe est la version complétée d'une rédaction antérieure, soit une strophe du Chant second, le Chant 2 rédigé en août et septembre 1868 et proposé à l'éditeur Lacroix en octobre 1868, mais resté inédit jusqu'à la publication des six chants en 1869.

      Et je dis bien qu'il s'agit d'une hypothèse, mais les indices sont tellement nombreux qu'on verra vite qu'elle ne pourra jamais être démontrée fausse (c'est la preuve par l'absurde ou l'hypothèse nulle en statistique). D'abord, l'hypothèse permet de « dater » la réécriture de la strophe 2.12 de la période correspondant à la rédaction du Chant 5 (et on verra pour finir que la strophe 2.12 prend la place qu'occupait la première version de cette strophe 5.4). En effet, cette strophe 2.12 entretient des rapports très étroits avec la strophe 5.3 et la présente strophe 5.4, d'abord et avant tout de par leur sujet, soit la dénonciation et le rejet de la conscience. Bien plus, une phrase qui porte précisément sur cette question est reprise presque mot à mot dans une addition à la réécriture de la strophe 2.12 :

2.12 (P 1869, p. 116: 20) Sache que je préférerais me nourrir avidement des plantes marines d'îles inconnues et sauvages [...] , que de savoir que tu m'observes, et que tu portes, dans ma conscience, ton scalpel qui ricane.

5.3 (P 1869, p. 247: 14) Oh ! voir son intellect entre les sacrilèges mains d'un étranger. Un implacable scalpel en scrute les broussailles épaisses. La conscience exhale un long râle de malédiction...

      Ensuite, ce n'est pas la ressemblance, mais au contraire la différence d'inspiration entre les strophes 5.3 et 5.4 qui montre que la seconde ne peut pas avoir été rédigée dans le prolongement de la première. La strophe 2.12, et surtout ses additions, participent, tout comme la présente strophe 5.4, de la thématique du Chant 2. La vision totémique du Créateur, les pieds dans la mare de sang (2.8), tout comme la poursuite de l'Homme par la Conscience (2.15), notamment, relèvent de la même dynamique narrative que les fragments d'histoire de notre strophe, totalement étrangers au Chant 5. En revanche, comme le sujet de la strophe qu'il vient de composer rejoint évidemment le sujet de la strophe ancienne, Ducasse la reprend maintenant ici, tout naturellement, au fil de sa composition.

      Non, il ne la « reprend » pas, il la refait, exactement comme la strophe 2.12. Mais cette fois-ci, la recomposition est bien plus simple. L'auteur fait un dialogue d'un monologue, lui ajoutant une brève réplique centrale, celle du Créateur présenté injurieusement sous les traits du Serpent qu'il s'agit de chasser, avant que le narrateur ne deviennent franchement Maldoror (anonyme, toutefois), présenté dans son palais où reposent son épouse et son jeune fils qui doivent leur mort à la cruauté de la Providence divine. La dérive narrative improvisée dans le premier état de la strophe lui donne une unité qui ne fait aucun doute.

      La réplique divine, si je puis m'exprimer ainsi, interrompt artificiellement ce déroulement improvisée... par sa logique même. Il s'agit donc d'une addition. D'abord cette rédaction très soignée est d'un style qui rompt avec l'état original — cf. n (h). Par exemple, on y trouve bien les habituels hispanismes de notre auteur, mais on remarquera qu'exceptionnellement on n'y rencontre aucune faute de français, aucune approximation, ni mauvaise utilisation des prépositions. Ce bref passage n'est pas improvisé; il est au contraire rédigé à partir d'une représentation préalable très précise de son contenu, — ce qui permet, par contraste, de caractériser la rédaction habituelle des Chants, où les strophes se composent rarement sur un plan préétabli. Par ailleurs, le vocabulaire en est souvent aussi précis que recherché : épouvantement (au lieu de la banale épouvante) est un substantif à connotation littéraire, tandis que la récrimination se définit rigoureusement par la contre-accusation, comme le dit le texte. Enfin, si toute la thématique de la version originale est étrangère à celle du Chant 5, comme c'est le cas de sa source d'information et d'inspiration dans l'encyclopédie de J.-C. Chenu, tel n'est pas le cas ici de la désignation du serpentaire reptilivore qui sort directement de son Encyclopédie d'histoire naturelle (1).

      Une fois qu'on a rassemblé tous ces indices concordants, le raccordement de l'addition à la version originale de la strophe devient une nouvelle évidence de la réécriture. Le plus difficile, en rédaction, est toujours d'ajuster la fin de l'addition avec la suite du texte déjà composé. Cela se fait ici en deux phrases qui se répètent pour faire transition (transition qu'on ne trouverait pas dans une composition continue) : « Quel est-il, celui qui m'écoute, pour avoir une telle confiance dans l'abus de sa propre faiblesse ? / — Et qui es-tu, toi-même, substance audacieuse ? Non !... non !... je ne me trompe pas; et, ... » (p. 251: 24-27). Le contraste entre les deux phrases peut bien être une réussite (c'est bien du Isidore Ducasse), mais il est clair que la première est très maladroite en regard de la tenue du texte de l'addition et contradictoire avec son contenu, puisqu'il s'agit d'une adresse à Maldoror (Dieu ne peut ignorer de qui il s'agit et il faut se garder du contre-sens de l'hispanisme (quel est-il). Le raccordement est inspiré par la désignation des « métamorphoses multiples » le syntagme qui suit et qui reprenait en ces mots la série synonymique des désignations du serpent (elle-même annoncée maintenant par l'originale « substance audacieuse »). L'introduction de l'insertion se fait, elle, très simplement par l'inversion de l'intrusion du serpent (d'où « Disparaît [...] loin de moi »), inversion qui trouvera plus loin un écho dans la proposition « toi-même, recule plutôt devant moi » (p. 252: 22-23), qui n'a pas besoin d'être considérée comme une addition, puisque la « présence » reprenait déjà l'« intrusion » de l'ouverture de la strophe.

      Mais ce n'est pas tout. L'ouverture de cette insertion reprend exactement la même formule que l'ouverture de la strophe 2.12. C'était le célèbre « [moi], à la verge rouge » (cf. n. (e)), c'est maintenant « [toi], coupable à la face blême ». Le gallicisme est trop remarquable pour ne pas manifester la parenté des deux ouvertures qui font partie d'une même séance de rédaction. Or, non seulement dans les deux cas il s'agit de reprendre et de compléter la version d'un texte déjà écrit, mais le court-circuit de la rédaction montre que la strophe réécrite 2.14 prend exactement la place originale de la strophe 5.4. Celle-ci suivait donc la description du combat contre la lampe-ange (5.11, qui s'ouvre elle-même sur une longue réplique) et précédait l'assassinat des naufragés et le combat de Maldoror et de la requine contre deux requins (5.13, donc). C'était une histoire d'aventures, comme les deux autres. Avec ce déplacement et la mise en corrélation avec la strophe précédente 5.3 et aussi l'addition de la réplique divine, Maldoror n'en est plus le héros ou le personnage principal; c'est le Créateur qui joue maintenant ce rôle, de sorte que le contenu philosophique de la strophe en est mis en relief. Sa virulence aussi.

Notes

(1) La désignation du serpentaire reptilivore vient de l'Encyclopédie d'histoire naturelle de J.-C. Chenu, vol. 4-7, « Oiseaux », vol. 4 (1853), p. 34-35, dont la gravure 46 intitulée « le serpentaire reptilivore ». Il s'agit du seul genre de la famille unique des serpentarinés d'Afrique méridionale (serpentarius, Cuvier). L'oiseau de proie a plusieurs noms communs (messager, secrétaire, etc.), mais le plus descriptif est le serpentaire, parce qu'il se nourrit exclusivement de reptiles et surtout de serpents.

(2) De la surface des sphères. Tout au contraire de ce qu'enregistre la note précédente, il faut remarquer que cette expression, inspirée de l'oeuvre de Milton (et connotant explicitement la source d'inspiration, le Paradis perdu), appartient au vocabulaire des deux premiers chants : le vocable sphère se trouve aux strophes 1.3, 1.5, 1.13 (trois occurrences), 2.7, 2,8... et se trouvait donc en 2.14, « ici », où se trouvait à l'origine la présente strophe 5.4. Comme le vocable ne se rencontrera plus jamais par la suite, il s'agit d'un autre indice important de l'hypothèse qui vient d'être exposée sur la rédaction de la strophe.


4. Faurissonneries

      Robert Faurisson produit un résumé de la strophe à l'aide d'une série de citations à la queue leu leu. En fait, bien compté, son pensum comprend 31 lignes de citations sur 61 (p. 138-139). Comme toujours, ce « résumé » n'a aucun rapport avec l'analyse.

      Au contraire, ce texte édulcore la strophe des Chants. Une fois, on a droit à une très comique « interprétation ». Cela concerne l'« excentrique python » (p. 249: 23-24) qui fait irruption en se dirigeant vers Maldoror. L'adjectif ne pose aucun problème, puisqu'il faut évidemment être tout à fait excentrique pour se lancer dans une telle entreprise. Mais, non, Robert Faurisson nous propose une évaluation zoo-physiolo-géométrique de l'affaire : « le Créateur a pris la forme d'un python, et Maldoror, qui se pique d'employer les mots dans leur sens exact, le qualifie d'"excentrique"; sa façon d'avancer ne lui fait-elle pas amorcer des cercles successifs qui n'ont pas le même centre ? » ! (p. 138).

      Reste une exceptionnelle analyse lexicale depuis le début de l'ouvrage, sur les rebords papillacés du tympan, cf. n. (i). « Ce "papillacés" a des allures de pataquès; il semble que notre homme ait voulu dire "papilionacés" » (p. 139). Bel effort, mais il y a peu de chance que l'image puisse évoquer la forme ou le nature de plantes à cinq pétales comparés au papillon.

      Chaque fois que j'achève l'édition d'une strophe des Chants, lorsque j'ouvre l'ouvrage de R. Faurisson, j'ai de plus en plus le sentiment que ce sera amusant et de moins en moins le pressentiment qu'il pourrait me conduire à revoir, corriger ou développer mon annotation. Cela dit, comme on le voit, je n'y suis pour rien.

Variantes Commentaires Notes Faurissonneries
Tables du début de la présente strophe