Corrections justifiées
285: 2-3 ... je
pense que chacun
ne sera pas de mon avis, si je ne me
trompe... —
L'adverbe de négation manquait. Voir la note (a).
286: 22 ...
peut-être, il est > est-il à
quelques pas de vous.
(a) Carlos R. Mendéz est souvent
le traducteur
des Chants que j'aimerais pouvoir traduire à mon tour en
français
pour corriger sans crainte Isidore Ducasse à son juste
mérite. Si
no me equivoco, creo que nadie será de mi opinión,
sauf erreur,
personne ne sera de mon avis. Les autres traducteurs tentent de
rendre la lettre
du texte, avec de petites corrections. Pour ma part, je dois me
contenter de
corriger la dernière proposition en lui ajoutant la
négation :
si je ne me trompe, v. (1).
(b) La désignation du papier
« non
mâché » n'est pas une niaise plaisanterie,
mais, comme on
le voit, un hispanisme*s
d'interprétation
difficile. Il est significatif que les traducteurs ne savent
comment le rendre en
castillan, Pellegrini commentant même sa traduction :
que no sea
amasado (approximativement : pétri), avec en note,
« papier
non mâché, dice el original » ! En
anglais, Alexis
Lykiard traduit, sheets of unrumpled papers, ajoutant en
note :
« papier non mâché », another
playful pun (encore
un autre jeu de mot).
Or, il se trouve que papier mâché
se dit en
français en espagnol, si je puis dire, papel maché
(sans l'accent
circonflexe, bien entendu). Ce qui donne une belle symphonie
lexicale :
amasado, humedicido, acartonado, arrugado et cuché !
S'agissant d'un vocable décrivant
concrètement
sa rédaction, je pense que Ducasse pourrait désigner
un papier
« non rogné », c'est-à-dire non
découpé, tout simplement. C'est le folio plié
en deux, qui
donne quatre pages, soit des feuillets qui peuvent être
emboîtés
en cahiers. — Mais notre auteur n'était probablement
pas, comme moi,
un fanatique de la description matérielle des livres.
Finalement
l'idée initiale que je m'étais faite du sens de
l'expression peut
encore tenir, le papier qui n'a pas été rogné
et
mâchouillé pour en faire, en classe, d'amusantes
boulettes...
(c) Mêmes désignations
confuses qu'à
la strophe précédente (n. (g) et
suiv.). Commencer par ce chant la série...,
voilà qui
paraît indiquer un projet qui ne sera pas tenu. Mais du
moins on est ici au
« sixième chant ». Toutefois, les
« poèmes » et les
« épisodes » ne désignent pas
clairement ses
strophes. Cela dit, la relance « notre héros
s'aperçut
que... », pourrait indiquer que tel est bien le cas.
(d) « Dramatiques
épisodes d'une
implacable utilité ! ». La phrase nominale
est en apposition
au complément direct de la phrase précédente,
« poèmes instructifs ». L'ensemble des
deux phrases
constitue donc une seule phrase (segmentée), le
second segment
reprenant et continuant le premier. Comme on va le lire, toute la
strophe est
caractérisée par cette structure syntaxique qu'on
n'avait jamais
rencontrée jusqu'ici dans les Chants et qui se trouve au
moins sept fois,
dont la prochaine fois en cascade : « agents et
espions
étaient à ses trousses » + « Sans
parvenir
à le rencontrer » + « Tant son
habilité
déroutait ».
Cette caractéristique stylistique
très nette
contredit ce qu'on pouvait déduire de la strophe
précédente,
qui laissait croire que les deux strophes étaient
rédigées le
même jour, et donc l'une à la suite de l'autre,
n. (h). Bien au contraire, le changement
radical du style
implique une pause, de sorte que cette strophe 6.2 paraît une
curieuse
relance de la rédaction, comme s'il s'agissait d'une seconde
« préface ». En fait, on verra qu'elle
a
été rédigée en premier, avant ce qu'on
lit aujourd'hui
en tête du Chant 6, la strophe 6.1 (voir l'introduction
des notes).
(e) Un cercle vicieux ne peut se
commettre qu'en
logique, s'agissant d'un raisonnement circulaire. La plupart des
traducteurs
corrigent, dans toutes les langues : s'enfermer, tomber,
s'aventurer,
s'avancer dans un cercle vicieux, l'exécuter, le tracer,
etc.
(f) La réussite de la figure
artiste tient
à la transformation du nom propre en un déterminatif,
ce qui
paraît naturel en castillan, qui distinguerait le personnage
mythique,
Minotaure, et les minotaures. Tous les traducteurs donnent,
nutrir el minotauro
de sus instintos perversos. Cela dit, aucun dictionnaire de la
langue espagnole,
ni aucun autre, ne classe le minotaure parmi ses noms communs.
Ducasse aurait
pourtant dû faire école.
(g) Médiocre, réellement
médiocre,
s'opposant à supérieur, est d'autant plus surprenant
ici que le
déguisement sera présenté comme génial.
On comprend,
évidemment, que se déguiser en grillon n'est pas du
plus grand chic,
mais c'est tout de même une manière vraiment
géniale de passer
inaperçu dans les égout de Paris. Ducasse doit
rendre ici le doublet
de mediocre, mediano, soit moyen, ordinaire, médiocre (ni
bien ni mal,
Saturne).
(h) Par ce point, hispanisme*s, en
este punto,
pour sur ce point.
(i) « À sept cents
lieues de ce
pays ». Quel pays ? Tous les traducteurs
reproduisent
l'inadvertance, sauf Manuel Serrat Crespo : à 700
lieues
d'ici.
(j) « Au milieu ».
La guerre
civile se répand entre les citoyens. Tous les
traducteurs
corrigent.
(k) « ... des
générations
entières, dont il ne serait pas difficile de concevoir le
chiffre
innombrable ». La proposition relative se comprend, mais
elle n'est pas
bien rédigée. Méndez, encore lui, la
réécrit
correctement, en inversant le sujet et son complément :
no es
difícil concebir que la cifra es innumerable, dont il n'est
pas difficile
de concevoir que le chiffre en est innombrable. Il aurait mieux
fait en changeant
le substantif qui ne convient pas, comme le font... tous les autres
traducteurs !, remplaçant chiffre par nombre. Les deux
premiers
traducteurs avaient d'ailleurs trouvé la meilleure
formulation, le nombre
infini (Gómez, Pellegrini).
On ne peut pas dire qu'il s'agisse
d'incorrections, mais ce
sont là trois évidentes faiblesses, s'accumulant dans
une seule
proposition.
(l) Gentlemen : comme le fait
remarquer
Manuel Serrat Crespo, en note dans sa traduction, le mot anglais
n'a ici
aucune
justification, contrairement à son emploi, strophe 6.5
(p. 304: 21), dans la lettre de Mervyn,
« fils de la
blonde Angleterre » (p. 290: 8).
— Cela dit, son emploi par Ducasse n'est pas surprenant, car
le mot se trouve
partout dans les romans du XIXe siècle; on le rencontre
même dans la
correspondance de Flaubert ou de Mallarmé. Comme le mot
« chic », qu'on a lu plus haut (p. 285:
28), le vocable
« gentleman » fait partie de ce que l'on
appellerait
aujourd'hui le vocabulaire branché !
(m) « Pour le ratissage de mes
phrases,
j'emploierai forcément la méthode naturelle, en
rétrogradant
jusque chez les sauvages, afin qu'ils me donnent des leçons.
Gentlemen
simples et majestueux, leur bouche gracieuse ennoblit tout ce qui
découle
de leurs lèvres tatouées ». Voilà
deux phrases qui
ne se comprennent pas, ce qui est exceptionnel dans les Chants. On
peut supposer
que le ratissage*v désigne le
polissage des
phrases. Il sera question de phrases « passées
à la
filière » des métaphores (6.5, p. 301:
26), mais sans
que cela puisse s'appliquer ici. Et qu'est-ce que la
« méthode
naturelle » ? Celle qui va de soi ?
« Rétrograder » n'est jamais
employé nulle part
ailleurs dans l'oeuvre, mais on peut comprendre qu'il s'agit de
revenir à
l'expression simple et naturelle des primitifs. Mais leurs
« lèvres tatouées » est un
syntagme qui ne se
rencontre pratiquement jamais, ni dans les oeuvres
littéraires, ni dans les
ouvrages d'ethnologie (quoiqu'on le trouve très
exceptionnellement chez
Lamartine, dans son Voyage en Orient, mais appliqué
à des
jeunes filles, sans aucun rapport avec le présent
contexte).
Il reste que « sauvages »
et
« lèvres tatouées » concordent;
que tout ce qui
sort de leur bouche est d'une grande noblesse, celle de gentlemen;
et que c'est
ce style que compte produire dorénavant le narrateur,
à leur
exemple.
(n) Dans, hispanisme morphologique*s pour, sur cette
planète.
(o) Où se trouve donc cette
preuve que rien n'y
est risible ? Une troisième, puis une quatrième
phrase de
suite, incompréhensibles ? Heureusement, ces deux
dernières
phrases se comprennent littéralement. Mais l'affaire de la
« planète » n'est pas très
claire. Surtout qu'on
se retrouve ensuite avec un « style »
apparemment naïf,
mais en fait profond.
(p) La phrase en question ne fait que
deux propositions
(« Par cela même... »). Et c'est ce que
peut
désigner le texte. Mais il s'agit plus probablement du
développement qui commence avec « Or,
depuis les jours de
ma naissance... » (p. 286:
25).
« Poser » pourrait
être un verbe
absolu (« prendre la pose »), mais il serait
plus logique d'y
voir un verbe transitif, voire un quasi-auxiliaire (ne pas poser
de
questions, ne pas poser comme, que...), de sorte
que la phrase
serait véritablement interrompue, inachevée.
Sur la rédaction de la strophe, voir
les notes (c) et (d). On en déduit que
le style de la
strophe 6.2 est radicalement différent de celui de la
strophe
précédente, mais également de tout ce qu'on a
lu jusqu'ici.
C'est l'accumulation de phrases segmentées, ces
« phrases » étant suivies de phrases
complémentaires, parfois de phrases nominales.
Or, il est clair que cette strophe 6.2 a
été
rédigée avant la strophe précédente, la
strophe 6.1.
On le voit à son style, notamment sa syntaxe, car si l'on
inverse les deux
strophes, il apparaît que la succession des deux
« styles » devient naturelle, puisque toute la
suite du Chant
concorde avec la strophe 6.1 (au lieu que la strophe 6.2
représente un saut
discordant).
On le voit aussi à son contenu
immédiat.
« Avant d'entrer en matière... », il
faut ouvrir son
encrier. C'est vraiment le début, car il s'agit de
« commencer,
avec amour, par ce sixième chant » une
série de
poèmes. Puis, finalement, il faut se moucher avant de
reprendre
« le porte-plume que mes doigts avaient laissé
tomber ».
Enfin, on le voit surtout au rôle qui
sera
dorénavant celui de « notre
héros ». Tout le
début de la strophe nous présente Maldoror, mais rien
ne nous dit
encore qu'il sera le héros d'un
« roman ». Cela viendra
avec la strophe « suivante », la strophe
6.1 !
Pourquoi donc Ducasse a-t-il inversé
ces deux
strophes ? D'abord et tout simplement parce que la strophe
devenue la
première (6.1) présente beaucoup mieux (quoique
encore
approximativement, voir la note (g) de
cette strophe)
ce que sera le « roman » qui suit. Ensuite,
certainement,
parce que l'idée de la
« préface » est venue plus
tard et que les deux strophes (inversées) pouvaient en tenir
lieu, —
ce qui sera l'impression des lecteurs, au point qu'un des
éditeurs ne les
distingue pas très nettement (J.-P. Goldenstein).
D'un tout autre point de vue, celui de la
rédaction
matérielle, l'inversion des deux strophes devrait indiquer
que Ducasse ne
rédige pas dans un cahier (de feuilles
précollées ou
attachées), mais sur des feuilles qu'il peut
déplacer. Si le
Chant 6 correspondait à un nouveau
« cahier »,
alors Ducasse aurait rédigé sa strophe
« 6.1 » sur un
nouveau « folio » placé devant celui
qu'il avait
déjà utilisé, les feuilles s'emboîtant
en feuillets pour
former les cahiers.
(1) « Or, depuis les jours de ma
naissance... ». Les lecteurs des Chants n'en seront pas
surpris :
la narration passe abruptement en mode
« homodiégétique », pour le dire
savamment. C'est Maldoror qui prend ici la parole et qui sera le
narrateur de la
suite de la strophe (dans l'esprit du lecteur), ce qui sera
toutefois de plus en
plus ambigu. En fait, avec l'expression « le ratissage
de mes
phrases » (p. 287 : 10),
soit à
peine après douze lignes, c'est l'écrivain et donc le
narrateur qui
reprend explicitement la plume.
(2) Tout ce qui précède
immédiatement cette finale est de l'ordre de la
désinvolture, on le
comprend et l'apprécie (depuis la
« poésie »
jusqu'au fait créaturel de se
« moucher »). Mais ici,
le narrateur répète, finalement, qu'il va reprendre
la plume
(toujours avec désinvolture).
L'auteur, et il s'agit d'Isidore Ducasse, n'a
aucune
idée de ce qu'il va rédiger. Il sait seulement que
Maldoror sera son
héros, mais ne sait peut-être pas encore que ce sera
le héros
d'un roman. N'est-ce pas ce que dit la strophe qui tourne autour du
pot, enfilant
une série de « digressions » ? Du
point de vue
autobiographique, c'est précisément ce qui fait la
beauté de
cette strophe. Trop humaine. Isodore Ducasse tergiverse..., et
l'exprime
nettement.
(3)
L'« énigme » s'expliquera à la
strophe 6.9
(l'avant-dernière strophe). Il s'agit d'une parodie des
finales
« énigmatiques » des romans populaires.
Le mécanisme sera présenté en 6.10, n. (6).
On admettra
qu'il s'agit d'une réussite, car aucun feuilletoniste
n'aurait pu
rédiger une telle relance, d'une telle beauté,
proprement
surréaliste.
La rédaction de cette énigme ici
enregistre la solidarité des strophes 6.1 et 6.2, qui ont
été à ce moment déjà
inversées. Il suit que toutes les annonces
énigmatiques auront été ajoutées
à la suite de la rédaction de tout le
Chant 6.
Ce qui est vraiment extraordinaire, avec
Robert Faurisson,
c'est qu'il comprend tout. On a vu qu'il était difficile
d'expliquer le
passage évoquant les primitifs et leurs lèvres
tatouées. Pas
de problème, pour notre critique, qui joue de l'ironie
gratuite :
« Le style, lui aussi, tiendra les promesses du
passé. Les
phrases seront plus que jamais étudiées et
soignées; elles
seront ratissées comme les allées d'un jardin d'une
harmonie toute
classique, ou plutôt, elles auront la simplicité, le
naturel et la
majesté des sauvages, qui comme chacun sait, savent
être des
"gentlemen simples et majestueux" ». Et d'ajouter comme
s'il s'agissait
toujours des primitifs : « On a tort de se moquer
des sauvages [car]
"rien n'est risible dans cette planète" »
(p. 149).
Etc. Bien entendu, les nombreuses
interprétations
impliquées par ce commentaire ne sont pas toutes
inadéquates. Mais
il faut remarquer l'assurance avec laquelle elles sont
assenées, sans aucune
analyse.
Sur la dernière phrase de la strophe,
ce
commentaire : « Maldoror vient de donner le coup
d'envoi d'une des
plus prodigieuses actions jamais vécues, de mémoire
de romancier, de
poète, et, plus généralement, d'homme. Un
coup de
maître : l'histoire de l'assassinat par Maldoror de
Mervyn, jeune lord
anglais de seize ans et quatre mois ! »
(p. 149-150).
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