Correction justifiée
1) 293: 10 [Maldoror]
s'est bien
gardé de ne pas suivre les pas qui le
précédaient.
Il faut ajouter le pronom complément, les pas qui
précédaient
Maldoror, qui le précédaient. Comme il est
difficile de
comprendre qu'il s'agit du trajet qui conduit Mervyn du portail au
perron, les pas
qui précédaient, ce serait les pas
précédents (et la
relative à valeur démonstrative devrait alors
être au
présent); ces « pas » seraient donc
ceux de Mervyn...
à la strophe précédente ! mais de pas,
il n'a jamais
été question. Trois traducteurs seulement
reconduisent la
formulation de Ducasse (Serrat, Alonso et Méndez), tous les
autres
corrigent. Il s'agit d'une coquille, d'autant plus malvenue que la
réussite
du jeu de mot narratif en devient une tournure lourde dont l'impact
se perd. La
bourde doit donc être corrigée.
2) 295: 12 ... je vais
chercher dans mon
appartement un flacon rempli d'essence de
térébenthine, et dont je me sers habituellement quand la
migraine envahit
mes tempes...
Soustraction de la conjonction de coordination devant la
relative.
3) 295: 23 Depuis notre
légitime
union, aucun nuage n'est venu s'interposer entre nous. Je suis
content de toi, je
n'ai jamais eu de reproches à te faire :
> , et réciproquement.
4) 296: 13 Le commodore
[...] accepte
le flacon [d'essence de térébenthine] des mains de
son épouse.
Un foulard d'Inde y > en
est trempé, et l'on entoure la tête de Mervyn avec
[...] la soie.
Évidente faute d'inattention : on ne trempe pas un foulard
dans un flacon
d'essence, mais on l'imbibe de son contenu.
5) 297: 22 Il me
prenait pour un
malfaiteur,
s'écrie-t-il : > ; lui, c'est un imbécile.
(a) T : [Maldoror] s'est bien
gardé de ne pas
suivre les pas qui précédaient > les pas qui le précédaient. Cf. v. 1.
(b) Moins âgés que lui :
lourde formulation
pour, ses jeunes frères, d'autant qu'on trouve l'hispanisme
premier-né (primogénito)
dès la
phrase suivante.
(c) Le meuble, chargé d'un
fardeau. Bien
entendu, le pronom déterminatif manque, le sofa étant
chargé
de ce fardeau, d'un tel fardeau, mais il est impossible que la
tournure on ne peut
plus emphatique ne soit pas voulue. Ces désignations
alambiquée,
précieuses et maniérées, parsemées tout
au long de la
strophe, caricaturent le caractère aristocratique de la
famille de Mervyn.
Un sommet sera pour le père d'ordonner à son
épouse de
« refermer le conduit de (ses) glandes
lacrimales » !
(p. 294: 15).
(d) Il parle dans une langue
étrangère et
chacun l'écoute dans un recueillement respectueux : la
faute de
rédaction tient à l'expression maniérée
de la strophe
signalée à la note précédente. Le
« commodore » parle tout simplement
anglais ! Le
Britannique désigne la Tamise à la phrase suivante et
caractérisera ensuite la France comme une contrée
inhospitalière et sans lois protectrices. — Bien
sûr, il faut
comprendre que, dans un roman au réalisme social, un vieux
père
puisse être emporté devant l'énigmatique
désarrois de
son fils au retour d'une leçon d'escrime à Paris,
où l'on
risque d'être talonné par de très malveillantes
personnes.
Disons que la suite prouvera qu'il n'avait pas tort et qu'il devait
craindre bien
pis. Il faut surtout comprendre que c'est exactement l'effet que
veut produire ce
deuxième chapitre du roman, comme aussi le suivant, avant de
basculer dans
un comique de plus en plus loufoque, après une strophe
délirante
(6.6) digne des Chants précédents.
(e) Dans l'éloignement. On
attendrait, en
m'éloignant; mais en fait, c'est le complément
circonstanciel qui
ne convient pas : quoique depuis ma retraite, je suis loin
des combats
maritimes...
(f) Refermer, pour fermer.
(g) Prendre un livre + entre ses mains
= évident
explétisme.
(h) Les mains, pour les bras pendants.
À
remarquer que les mains pendantes n'est pas un hispanisme,
même si
plusieurs traducteurs
reprennent littéralement la curieuse expression, tandis que
les bras pendant en est un, pour les bras ballants.
(i) Je, je suis certain : cette
intervention à
la première personne ne peut être attribuée
qu'au narrateur.
Or, son contenu correspondrait plutôt à une
réflexion du
commodore et il suffirait de la mettre entre guillemets pour
comprendre que c'est
le père qui parle ainsi de ses jeunes enfants. Chose
certaine, puisqu'on
doit se poser la question, c'est une faute de rédaction (ou
pour le moins
de typographie).
(j) Je, je te bercerai : après
la
réflexion du père, vraisemblablement, c'est
maintenant celle de la
mère. Sa réflexion est explicitement suivie d'une
réplique
adressée à son époux, marquée du tiret,
tout comme la
réponse du commodore qui suit.
(k) T : Un foulard d'Inde y
> en est trempé... Cf. v. 4.
(l) « ... jusqu'à
l'apparition de
l'aurore et du chant du rossignol ». Mis pour, et qu'on
entende le chant
du rossignol, ou, et que chante le rossignol.
(m) Hallucination hypnagogique. Si
l'expression se
trouve deux fois dans la correspondance de Flaubert en 1868, elle
se trouve pour
la première fois ici, l'année suivante, dans une
oeuvre
littéraire (TLF). Isidore Ducasse a donc retenu le vocable
de sa lecture
d'Alfred Maury (cf. strophe 5.3, notes). Au sens
strict, il s'agit des images qui se forment dans la période
du
réveil, s'opposant à celles de l'endormissement;
dans les deux cas,
il 'agit toutefois d'« hallucinations »
à la limite du
rêve.
(n) Projets ultérieurs :
explétisme, comme
on en trouve constamment dans les Chants. Cette
caractéristique devra
être étudiée, car tout enseignement de la
rédaction au
collège, ou même dans les petites classes, apprend
à les
pourchasser et à les éliminer. Évidemment, on
en trouve deux
explications qui impliquent la rédaction des Chants,
l'improvisation d'une
part et le peu de soin à se corriger d'autre part. Mais
cette seconde
explication a aussi sa justification : notre
Montévidéen avait
bien autre chose à corriger que ses explétismes...
(o) Du côté où se
trouve, mis pour,
vers.
(p) Ses autres aquatiques camarades.
Autre, le
déterminant dit indéfini, est entraîné
par l'adjectif,
d'expression emphatique (s'agissant de cygnes !). Il s'agit
de ses
camarades.
Avec ce second chapitre, nous passons du roman
d'aventures au
roman réaliste, d'ordre psycho-social. Nous passons aussi
d'un univers
parisien à la description d'une famille aristocratique
anglaise richement
logée à Paris. Comme on va vite le voir, les
rapports
interpersonnels des membres de la famille sont manifestement
parodiques (accentuant
les caractères bourgeois de la strophe 1.11), s'agissant de
parodier le
genre romanesque. En revanche, ces rapports familiaux sont si
grossiers
(maître/« esclave » !) qu'on voit
mal quel romancier
(anglais !) Isidore Ducasse voudrait caricaturer. Il est
probable que
l'auteur donne simplement libre cours à son imagination pour
produire un
« roman » qui sera de plus en plus absurdement
« romanesque ».
Comme on va le voir, les hispanismes et le
caractère
hispanique de la strophe vont s'accentuer en regard de la strophe
précédente, qui en était déjà
fortement
marquée. En particulier, les désignations de
personne en mode
hispanique vont démultiplier (anachroniquement) les
formulations
« aristocratiques anglaises » ! —
Ce sera de
l'anglais en espagnol rédigé en français.
(1) Boiseries de cornaline : note
encyclopédique.
La seule occurrence du syntagme au TLF est celle qu'on trouve ici.
Malgré
mes recherches sur l'internet, je n'en ai trouvé aucune
autre. En revanche,
je crois bien en avoir trouvé la signification (sur RLG).
On lit en effet,
dans le Dictionnaire raisonné de l'architecture
française du XIe
au XVIe siècle d'Eugène Violet-le-Duc
(1814-1879), la note
suivante à l'article « Stelle » (chaires
ou
rangées de sièges dans le choeur) : les stelles
de la
cathédrale d'Auch (construite de 1820 à 1846) sont
« taillées dans un bois de chêne d'une
qualité
exceptionnelle, et qui a pris par le frottement l'aspect de la
cornaline » (Paris, Morel, 10 vol., vol. 8,
1869, p. 474).
Voilà qui correspond exactement aux lambris du salon
aristocratique des
parents de Mervyn. L'intérêt, pour nous, puisqu'il
est bien certain
que Ducasse n'a pas construit ce syntagme à partir du
fragment de la page
474 du huitième tome du dictionnaire de l'architecte
Violet-le-Duc, est de
pouvoir trouver où Isidore Ducasse a pu lire une
désignation aussi
rare que précise, des lambris de chêne de couleur ou
d'aspect
cornaline, obtenu par frottement ou polissage.
(2) Fils de famille : il est peu
probable que se trouve
caractérisé ici, presque péjorativement (ce
serait le fils
à papa), l'enfant d'une famille riche et
privilégiée. Il
s'agit plutôt d'un innocent hispanisme désignant un
enfant, un enfant
de cette famille. Dans les deux langues, fils/hijo s'emploie pour
désigner
l'enfant de l'un ou de l'autre parent, ou des deux; sauf qu'ici,
l'expression fils
de famille ne convient évidemment pas en français.
(3) Cette description fort
précise de
l'habillement de jeunes garçons, dont la famille
aristocratique est
installée à Paris au milieu du XIXe siècle, ne
correspond, me
semble-t-il, à aucune gravure ni à aucune
présentation des
vêtements de l'époque. Du moins je n'ai rien pu
trouver de
comparable. D'ailleurs les garçons, à ce moment,
portent le
même habillement que les petites filles, soit la robe, la
mode qui vient
justement d'Angleterre faisant fureur en France, dans la
bourgeoisie et la
noblesse, au moins jusqu'à l'âge de dix ans. Les
frères de
Mervyn devraient donc avoir entre douze et seize ans. Cela dit,
ces traits
descriptifs du vêtement de jeunes garçons ne viennent
peut-être
pas d'une gravure, d'une revue du XIXe siècle; il pourrait
bien s'agir d'un
costume folklorique (mais je n'ai rien pu trouver de comparable
dans les tableaux
historiques du XVIIIe siècle).
À noter que l'engoulevent de Caroline
se trouve partout
en Amérique du Nord et ses plumes décoratives partout
au monde. Au
XIXe siècle, il y a longtemps que le pantalon de velours
n'est plus
exceptionnel (le velours, venu d'Orient, se tissait en Italie et en
Espagne au
Moyen Âge, mais il se fait alors en Europe).
(4) «... et l'on entend les cris
joyeux d'un
kakatoès des Philippines, perché sur l'embrasure de
la
fenêtre ». Voilà une note inopinée,
merveilleuse
incongruité surréaliste. Jean-Luc Steinmetz (LdP)
imagine l'oiseau
prosaïquement rapporté par le commodore de
« ses voyages au
long cours » ! On ne trouve aucune oeuvre
enregistrée au TLF
qui désigne le kakatoès des Philippines (mais, de
1833 à 1864,
trois occurrence de cacatoès chez Eugène Sue, une
chez Alexandre
Dumas et une autre chez Barbey d'Aurevilly, sans rapport avec le
contexte des
Chants ici); on trouve l'oiseau décrit dans de nombreux
traités
d'histoire naturelle en 1850-1860 (et bien entendu dans
l'Encyclopédie de
J.-C. Chenu), mais il est peu probable qu'Isidore Ducasse l'ait
emprunté
à l'un de ces ouvrages. L'oiseau, en cage, correspond
à peu
près au perroquet (du moins le petit kakatoès ou
cacatoès).
Il cadrerait parfaitement bien dans le salon aristocratique des
parents de Mervyn,
bien entendu. — Sauf que l'oiseau n'est pas dit en cage,
mais sur
l'embrasure de la fenêtre et que nous sommes à Paris
et non en
Australie ou aux Philippines...
(5) Troisième
« énigme » parodiant le roman feuilleton
populaire.
Elle résume sommairement la situation finale de la strophe
6.8.
Fin du résumé du chapitre
II :
« Maldoror, caché derrière la porte, a tout
entendu et
notamment les menaces du père à l'égard de
celui qui a mis
"le garçon" dans cet état. Maintenant, comme une
"hyène", il
s'éloigne ! "à pas de loup" »
(p. 151). Le professeur
n'apprécie pas qu'une hyène s'éloigne à
pas de loup,
ce qui est amusant et ne porte pas à conséquence. En
revanche, la
narration n'implique aucun rapport entre les menaces
grandiloquentes du commodore
et ce que vient d'apprendre Maldoror, c'est-à-dire...
l'adresse de
Mervyn ! car c'est justement la seule chose qui lui importe
pour l'instant
(d'où la lettre qu'il adressera à l'adolescent au
chapitre
suivant).
Double faute. Robert Faurisson
« psychologise » le roman, de sorte qu'il
imagine Maldoror
prendre au sérieux les menaces du commodore à son
endroit; a-t-il
peur de lui voir décrocher son épée qui n'est
pas encore
rouillée et qu'on peut facilement effilée ? En
fait, tout
lecteur sera mort de rire à lire toute l'ouverture de la
strophe. Or, le
lecteur sera encore plus amusé de voir le professeur prendre
tout cela au
premier degré, seconde faute on ne peut plus
évidente, car le
critique sera bien le seul à prendre au sérieux la
caricature d'un
grotesque manifestement outrancier, et qui le deviendra de plus en
plus avec le
déroulement du roman — voir la note (d).
On voit d'ailleurs Robert Faurisson se
résigner
à ne plus pouvoir même citer toutes les
« énormités » de ce roman du
Chant 6. C'est
épouvantablement attristant. Trop à dire, rien
à dire. Il
en est débordé. Il va tout de même y aller de
quelques
interprétations originales, comme on va le voir aux
faurissonneries des
strophes suivantes.
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