Corrections justifiées
1) 307: 11 «... et
qui varieront
encore; » > »;... Il faut évidemment
déplacer le
point-virgule qui doit venir après la fermeture des
guillemets.
2) 307: 24 ...
plusieurs
phénomènes, qui
relèvent
directement d'une connaissance plus approfondie de la nature des
choses,
déposent en faveur de l'opinion contraire... — La
première
virgule manque pour encadrer la relative. Je l'ajoute.
3) 308: 6 ... ton courage
dans le malheur
inspire de l'estime à ton ennemi le plus acharné;
mais, Maldoror te retrouvera bientôt pour
te disputer la
proie qui s'appelle Mervyn. — Il faut ajouter la virgule, car
la formule de
ponctuation (; + conj. + ,) se trouve très
régulièrement dans
la strophe (dont la formulation : ... Créateur; mais,
qu'il..., se
trouve quelques lignes plus haut, p. 307:
19).
Comme on va le voir, la strophe accumule les
énumérations, voire une énumération de
comparaisons,
mais elle accumule surtout les périphrases de style artiste,
à tel
point qu'elle en est difficile à suivre. Si l'on se croit
d'abord
reporté au style des strophes de l'épopée des
cinq premiers
chants, on voit vite que tel n'est pas le cas. En fait, le
déroulement de
l'autoportrait de Maldoror se comprend fort mal. La cause en est
que la strophe
nous présente une suite « logique » qui
non seulement
ne l'est pas, mais n'organise pas non plus la structure habituelle
de l'histoire
rêvée ou aléatoire. Il s'agit plutôt
d'une curieuse
dérive discursive.
(a) La bosse pariétale, en style
artiste comique,
désigne la tête ou le crâne, mais le plus
drôle,
évidemment, c'est de voir ce dernier mot entrer... dans la
comparaison qui
porte sur la perforation de la bosse en question !
(b) Se lancer la flèche des
tourments : on
comprend sans peine, je n'ai pas cessé de me tourmenter.
Mais la
flèche, dans cette figure de style artiste, s'explique mal
(surtout que le
vocable est au singulier). Faut-il comprendre que les tourments
sont aigus ?
(puissant et douloureux). Qu'ils visent très
concrètement le
corps ? (comme on le comprendrait au premier
élément de
l'énumération de la phrase suivante). Ou encore,
simplement, que
Maldoror est, lui, personnellement, la cible de ces
tourments ? —
Il est tellement rare qu'une figure de style artiste des Chants ne
se laisse pas
expliquer qu'on pourrait retenir cet exemple dans la courte liste
des cas où
le lecteur se trouve fautif de rester ainsi dans l'expectative,
attendant de
trouver une explication qui ne vient pas.
(c) Aponévrose. Insertion
amusante d'un vocable
spécialisé de l'atanomie, dont la définition
se trouve dans
n'importe quel dictionnaire courant. Avec l'intellect, Ducasse
désigne
ainsi le corps et l'esprit.
(d) Les quatre propositions
énumérées dans la phrase sont absolues. Cela
s'analyse en une
suite, je suis w, x, y, z. Apparemment lancées par la
phrase
précédente (les tourments),
l'énumération dérive
vers ce composé, corps et âme du narrateur, qui se
trouve ainsi
« beau ». Ce sera la première fois que
l'embrayeur
« beau comme », n. (3), porte
précisément
sur l'expression de la beauté (et non d'un objet ainsi
caractérisé), preuve que le mécanisme
rhétorique est
maintenant intégré au contenu.
Mais bizarrement, cette intégration,
c'est-à-dire
cette utilisation explicite et mécanique de la figure, lui
enlève tout impact poétique; en tout cas,
l'énumération des quatre comparaisons occupe le quart
de la strophe.
D'autant plus que la phrase produit pour la deuxième fois de
suite une
énumération de propositions, trois propositions
subordonnées
avec leur double principale. Cela fait beaucoup de longueurs dans
une très
courte strophe sans contenu narratif, où rien ne se passe,
« allongeant » un portrait déjà
bien connu.
On rencontre certes une remarquable
réussite avec
l'entrée en scène impromptu du Créateur (et
deux propositions
magistralement discordantes : « Je n'envie rien au
Créateur;
mais, qu'il me laisse descendre le fleuve de ma destinée,
à travers
une série croissante de crimes glorieux »). Mais
ces longueurs,
ces énumérations et ces répétitions
d'éléments déjà connus, cela annonce le
piétinement des Poésies.
(e) Cette assertion, c'est
« je suis
beau », et les phrases qui suivent le confirment. Du
moins
jusqu'à l'évocation du Créateur, qui n'a
évidemment
rien à voir avec la beauté.
(f) Un regard irrité de
tout obstacle.
Le narrateur n'a pas oublié que son oeil se trouve sur son
front. Pour
comprendre le participe, il faut penser que ce regard n'accepte pas
(est
irrité) d'avoir quoi que ce soit devant lui. Sauf que l'on
passe d'un front
à un autre, « son » front. Faut-il donc
comprendre que
Maldoror et le Créateur se regardent déjà les
yeux dans les
yeux ? — Bref, une nouvelle expression qui se comprend
mal.
(g) Déposer, au sens de
témoigner, est
d'un emploi très spécialisé, même en
terme juridique.
Et il ne s'agit pas d'un hispanisme, les traducteurs rivalisant ici
de
simplicité (au point que leurs lecteurs puissent être
surpris de la
formulation : parler, déclarer, attester). Angel
Pariente est le seul
a donner le mot qu'on attendrait en français et probablement
le seul qui
convient en castillan, testificar.
(h) Curieusement, les formulations de
style artiste
s'entrecroisent. Après la
« dualité » (corps et
esprit) dont Maldoror se disait composé (et s'en trouvait
beau), voici
maintenant qu'il dénonce la prétendue
« unité » de la puissance divine, que le
Créateur
partage manifestement avec lui.
(i) Dès la propositions suivante
(« vois-tu... »), on comprend que Maldoror
s'adresse maintenant
au Créateur. Ce changement abrupt d'interlocuteur aura donc
été jusqu'à la fin une caractéristique
des Chants.
À remarquer que cela correspond à l'identification
tout aussi abrupte
(mais moins surprenante) du narrateur, Maldoror (p. 308:
6).
(j) Ma bouche sans lèvres.
L'expression
décrit très précisément la forme de la
bouche qui
entonne le clairon, la trompette ou les divers instruments à
vent.
Autrement, ce serait encore une formulation qui n'a aucune
justification.
Pour Maurice Blanchot, cette strophe est
« inspirée d'Edgar Poe » (Blanchot,
p. 170 et
n. 2). Voici comment Blanchot caractérise la
rédaction de la
strophe : Isidore Ducasse s'ennuie à rédiger
son roman.
« Alors, il revient aux "procédés
synthétiques", il
entend la lointaine rumeur des anciennes obsessions, — de la
laideur, du
miroir, de l'oeil, dans la strophe inspirée d'Edgar
Poe ».
Admettons que c'est un peu laconique comme
affirmation.
Laideur + miroir + oeil sont des thèmes qui se
retrouvent partout
dans l'oeuvre de Poe, mais ne peuvent renvoyer à aucun texte
précis.
En fait, Maurice Blanchot désigne très implicitement
« Le
chat noir », une des Nouvelles Histoires
extraordinaires (trad.
Charles Baudelaire, 1857) des plus célèbres. Certes,
Maurice
Blanchot peut compter que ses lecteurs trouveront eux-mêmes
de nombreux
« recoupements thématiques » entre la
nouvelle de Poe
et la strophe 6.6 de Ducasse. Celle-ci désigne un
« chat », un « chat
angora », très
agressif, qui s'en est pris à Lautréamont. Dans la
nouvelle de Poe,
c'est l'inverse, car c'est le narrateur qui s'en prend à son
chat, à
ses deux chats (car le premier sera remplacé par un sosie),
arrachant un
oeil au premier, le second étant borgne. Avec encore
l'inversion, c'est
Maldoror qui est borgne ou plutôt, cyclope, n'ayant qu'un
oeil au milieu du
front. Le narrateur de la nouvelle de Poe est ivrogne et
alcoolique; Maldoror a
fait bouillir les petits du chat dans une « cuve remplie
d'alcool ». Ces traits correspondant très
approximativement
à la nouvelle de Poe sont-ils suffisant pour la
déclarer comme une
source d'inspiration ? Bien sûr que non.
On ne rencontre aucune influence des
écrits d'Edgar Poe
dans les Chants et il ne sera fait allusion qu'à son
célèbre
corbeau dans les Poésies (PI, p. 10: 42).
(1) Les miroirs des vestibules. Le
lecteur peut se
croire encore dans l'« hôtel moderne »
des parents de
Mervyn. Mais il apparaîtra vite qu'il s'agit d'un
anachronisme. Le
narrateur n'est pas Mervyn, mais bien Maldoror. À remarquer
qu'il n'y a
aucune raison de mettre cette strophe en corrélation avec la
strophe 4.5.
Maldoror se voit bel et bien tel qu'il est reflété
par les
miroirs ! (et il vient apparemment de se voir tel qu'il est
depuis
longtemps !).
(2) Le chat
« angora ». Maurice
Blanchot y a vu le chat « noir » d'Edgar Poe
(n. préliminaire ci-dessus).
Conclusion : cela
fait partie de la culture de Blanchot, non de celle de Ducasse.
(3) Dernier des trois collages
quadruples, avec
l'embayeur « beau comme ». Cf. strophe 5.2,
n. (5), et 6.3, n. (5).
(1) « Le vice de conformation
congénital des
organes sexuels de l'homme, consistant dans la
brièveté relative du
canal de l'urètre et la division ou l'absence de sa paroi
inférieure,
de telle sorte que ce canal s'ouvre à une distance variable
du gland et au-dessous
du pénis ». Jean-Jacques Lefrère a
trouvé
l'origine première de cette citation dans l'ouvrage
d'Étienne-Frédéric
Bouisson, Tribut à la chirurgie (Montpellier,
Baillière, 1861, t. 2) reproduisant un extrait du
mémoire
« De l'hypospadias et de son traitement
chirurgical ».
J. J. Lefrère reproduit le début du
mémoire dans son
Lautréamont (documents iconographiques), Paris,
Flammarion, 2008,
p. 147. Et Sylvain-Christian David (Cahiers, 2010, p. 8
et 10) de montrer sans peine que
le collage de
Ducasse vient en fait d'un ouvrage populaire qui reprend cette
sources originale,
le Recueil de rapports sur les progrès des sciences et
des lettres en
France : rapport sur les progrès de la chirurgie,
Paris, 1867,
768 p., p. 423. Il s'agit de l'ouvrage
déjà trouvé
par J.-P. Goldenstein comme origine de la deuxième
comparaison en cascade
de la strophe 6.3.
(2) « La caroncule charnue, de forme
conique,
sillonnée par des rides transversales assez profondes, qui
s'élève sur la base du bec supérieur du
dindon ».
L'origine du collage est connue depuis l'article
célèbre de Maurice
Viroux, p. 639.
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