Vous êtes de langue maternelle espagnole ? Puisque vous
êtes ici, vous lisez donc le français. Vous le
comprenez assez bien pour pouvoir le traduire en espagnol ?
Alors prêtez-vous à l'exercice : traduisez en
castillan la première strophe des Chants de Maldoror
dont vous trouverez le texte ci-dessous. Votre traduction sera
utilisée pour évaluer les interactions entre elles
des
traductions publiées à ce jour.
Traducteurs recherchés
Il existe sûrement, du moins je l'espère bien, des
études théoriques passionnantes sur le rapport d'un
traducteur avec les traductions antérieures de
« son » oeuvre. Je n'en connais encore aucune,
mais je me préoccupe de la situation concrète des
sept
traducteurs successifs des Chants de Maldoror en espagnol
et en catalan sur lesquelles je travaille actuellement.
J'étudie les hispanismes dans l'oeuvre dont je
prépare
un établissement scientifique du texte.
Si je dois traduire un jour Homère, Virgile, Dante ou Don
Quichotte en français, comme le fils respectueux, ou encore
comme la grue la plus vieille à l'avant-garde de la
volée, je peux adopter deux attitudes opposées, soit
ne rien voir des traductions antérieures, soit au contraire
les utiliser (avant, pendant et après mon travail). Comme
je
ne suis pas téméraire et que j'aime bien les autres
chemins philosophiques et plus sûrs, j'adopterais
plutôt
la seconde attitude. Mais justement, la traduction n'est pas mon
métier. Et j'imagine que si tel était le cas,
j'aimerais bien mieux produire d'abord la meilleure traduction
possible et me donner ensuite le plaisir de le vérifier dans
les traductions antérieures ...sans avoir jamais rien
à
corriger à mon travail, bien entendu.
Les traductions. Il existe, cinq
traductions
en espagnol et deux traductions en catalan (l'une pour le premier
chant
seulement) des Chants de Maldoror du comte de
Lautréamont
par Isidore Ducasse. Je voudrais pouvoir évaluer
l'interaction de
ces diverses traductions entre elles. Comme il s'agit d'un texte
français de la toute fin de XIXe siècle (1868-1869),
il s'y
trouve peu de problèmes de linguistique historique majeurs
(et
aucun dans la strophe choisie). Aussi, je voudrais obtenir au
moins de
cinq à dix traductions d'une des strophes de l'oeuvre par
des
hispanophophones qui n'utiliseront aucune des traductions
existantes.
Les traducteurs recherchés sont donc simplement des
personnes dont
la langue maternelle est le castillan ou le catalan, qu'elles
soient
d'Espagne ou d'Amérique, qui parlent et comprennent le
français bien entendu, et qui ne possèdent aucune
traduction
espagnole ou catalane du texte d'Isidore Ducasse.
Par ailleurs, la traduction doit se conformer à quelques
critères simples, mais d'application évidemment
aléatoire : la traduction proposée doit
être la plus proche possible du texte original, tout en
restant
d'une parfaite qualité en castillan. L'idéal serait
de supposer que sa traduction s'adresse à un lecteur de
langue
espagnole qui a déjà fait du français au
collègue et qui veut comprendre le texte français qui
se trouverait en regard. Et rien n'empêche, bien entendu, de
produire la plus belle traduction possible, dans ces conditions
difficiles.
Que je vous aie sollicité, qu'un ami vous ait signalé
cette expérience ou que vous soyez ici simplement par
hasard,
je vous prie de participer à ce petit exercice sans
prétention pour le plaisir de la chose. S'il m'arrivait de
juger que votre compréhension du texte français
(plutôt difficile, en réalité) ne pouvait
être comparable à celle des traducteurs
professionnels,
vous en seriez quitte pour une bonne conversation avec un ami qui
ne
saurait faire la même chose avec un texte en castillan. Au
contraire, n'hésitez pas à me proposer votre
traduction !
Comme il ne s'agit donc nullement d'un concours, mais d'une
expérience, les traductions retenues ne seront pas
nominalement identifiées. Chacun des participant accepte
donc
de figurer dans la liste des traducteurs, mais sans que sa
traduction
soit nominalement identiée. Par exemple, les cinq
traducteurs, V, W, X, Y et Z, auront produit les cinq traductions
retenues, les traductions no 1 à no 5, sans qu'on sache
laquelle chacun a traduite. S'il m'en faudrait au moins cinq, je
compte en obtenir plus de dix.
On se doute combien il sera passionnant de voir comment ces
traductions spontanées reproduiront ou non les choix de
traducteurs qui pouvaient avoir, eux, à leur disposition les
traductions antérieures.
La strophe à traduire
Voici donc la strophe à traduire. C'est simplement la
première des Chants de Maldoror.
Plût au ciel que le lecteur, enhardi et devenu
momentanément
féroce comme ce qu'il lit, trouve, sans se
désorienter,
son chemin abrupt et sauvage, à travers les marécages
désolés de ces pages sombres et pleines de poison;
car,
à moins qu'il n'apporte dans sa lecture une logique
rigoureuse
et une tension d'esprit égale au moins à sa
défiance, les émanations mortelles de ce livre
imbiberont son âme comme l'eau le sucre. Il n'est pas bon que
tout le monde lise les pages qui vont suivre : quelques-uns
seuls savoureront ce fruit amer sans danger. Par conséquent,
âme timide, avant de pénétrer plus loin dans de
pareilles landes inexplorées, dirige tes talons en
arrière et non en avant. Écoute bien ce que je te
dis : dirige tes talons en arrière et non en avant,
comme
les yeux d'un fils qui se détourne respectueusement de la
contemplation auguste de la face maternelle; ou, plutôt,
comme
un angle à perte de vue de grues frileuses méditant
beaucoup, qui, pendant l'hiver, vole puissamment à travers
le
silence, toutes voiles tendues, vers un point
déterminé
de l'horizon, d'où tout à coup part un vent
étrange et fort, précurseur de la tempête. La
grue la plus vieille et qui forme à elle seule
l'avant-garde,
voyant cela, branle la tête comme une personne raisonnable,
conséquemment son bec aussi qu'elle fait claquer, et n'est
pas
contente (moi, non plus, je ne le serais pas à sa place),
tandis que son vieux cou, dégarni de plumes et contemporain
de trois générations de grues, se remue en
ondulations
irritées qui présagent l'orage qui s'approche de plus
en plus. Après avoir de sang-froid regardé plusieurs
fois de tous les côtés avec des yeux qui renferment
l'expérience, prudemment, la première (car, c'est
elle
qui a le privilège de montrer les plumes de sa queue aux
autres grues inférieures en intelligence), avec son cri
vigilant de mélancolique sentinelle, pour repousser l'ennemi
commun, elle vire avec flexibilité la pointe de la figure
géométrique (c'est peut-être un triangle, mais
on ne voit pas le troisième côté que forment
dans
l'espace ces curieux oiseaux de passage), soit à
bâbord,
soit à tribord, comme un habile capitaine; et, manoeuvrant
avec des ailes qui ne paraissent pas plus grandes que celles d'un
moineau, parce qu'elle n'est pas bête, elle prend ainsi un
autre chemin philosophique et plus sûr.
Vous êtes prié de m'adresser votre traduction à
l'adresse suivante :
lafleche@ere.umontreal.ca
État du travail
(1) Norma Davis
8 mars 2000.
Il n'y a pas dix jours que j'ai lancé cet appel et
j'ai déjà la première traduction. Elle est de
Mme Norma
Davies, de Montréal. Je ne peux pas en mettre le texte ici
maintenant, bien entendu. Comme il faut déjà
résister
à la tentation de comparer sa traduction avec une de celles
qu'on
trouverait facilement en bibliothèque ou en librairie avant
de m'adresser
la sienne... Mais vous vous doutez combien cette lecture est
passionnante.
En revanche, dès que je recevrai votre traduction, je
pourrai vous
adresser toutes les traductions reçues et les autres au fur
et
à mesure que je les recevrai. Je vous invite donc à
participer
nombreux à l'expérience.
(2) Ana María Sbaffi
8 avril.
La seconde traduction spontanée de la première
strophe me
parvient
aujourd'hui. Elle est encore d'une Montréalaise, Ana M.
Sbaffi,
elle aussi d'origine uruguayenne. Cette traduction est un nouveau
meveilleux bijou. Je n'en dis pas un mot de plus, pas un seul
qualificatif, car vous allez essayer de l'imiter. Or nous
cherchons dix,
maximum douze traductions spontanées.
(3) Elisabeth Garcia-Gruet
et
(4) Angelika Ruhe Mistral
Oui ! Après plusieurs espoirs, promesses et
défections, avec
toujours de
bonnes excuses, voici coup sur coup deux nouvelles traductions
spontanées,
reçues respectivement le 8 et le 13 octobre. Celle d'Elisabeth
Garcia-Gruet, qui vient de France, et celle d'Angelika Ruhe
Mistral,
d'Espagne.
Les quatre traductrices et moi, nous allons nous régaler
dans les heures
et les jours qui viennent à comparer ces traductions
spontanées et à les
confronter aux traductions publiées en espagnol à ce
jour. Nous
partageons d'ailleurs déjà des anecdotes savoureuses
(dont celle du
moineau qui a un moment paru sous les traits vraiment maldororiens
d'un
monje). Alors si vous voulez faire partie de la confrérie,
aiguisez
vos plumes !
TdM
TGdM
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