Vingt ans plus tard
Le Dictionnaire québécois-français
dénigré dans le Français moderne en
2002
Il n'est jamais trop tard
pour rectifier les torts
Guy Laflèche, retraité
Littératures de langue française
Université de Montréal
8 juillet 2022
Louis Mercier et Claude Verreault, « Opposer
français "standard"
et français québécois pour mieux se comprendre
entre
francophones ? — Le cas du Dictionnaire
québécois-français
[de Lionel Meney, Montréal,
Guérin, 1999, xxxiv-1886 p.] »,
le Français moderne,
vol. 70,
no 1, 2002, p. 87-108. Le dictionnaire a connu sa
deuxième
édition, revue et corrigée, en 2003.
L'article scolaire se présente en
quatre parties,
« (A) Introduction » (p. 87-88),
« (B) Un ouvrage d'un genre bien
particulier »
(p. 88-94), « (C) Le DQF : reflet d'une
langue et d'une
culture ? » (p. 94-103) et
« (D) Conclusion » (p. 103-106), avec
une petite
bibliographie (p. 106-108). Vous avez bien lu,
« introduction » et
« conclusion » !
Plus scolaire que ça, il faudrait ajouter, « Corps
de la
dissertation », pour regrouper les parties B et C.
Or, c'est incorrect et inadéquat. En
D, nous n'avons
que quelques lignes de « conclusion », suivies
d'un appendice
sans aucun rapport avec le texte qui précède, sauf
à illustrer
en deux tableaux une supposée
« représentation
traditionnelle », qui oppose les
« québécismes » au
français standard
« de France » (sic) et qui signifierait que ces
« québécismes »... « ne
sont pas des
mots français » ! (p. 104). Et la
seconde figure,
géniale, consiste à dessiner
« trois »
catégories d'usage, les « francismes »,
les
« emplois communs » et les
« québécismes ». Il s'agirait
là d'une
« nouvelle représentation de la langue »
(p. 105)
qui montrerait enfin, grâce aux « emplois
communs » que
le français standard (sic) de France et le français
parlé au
Québec sont tous les deux du... français. Bref,
extraordinaire
conclusion, tout à fait inattendue : il faut
considérer
« les locuteurs québécois comme des
francophones à
part entière » (p. 105). Ces affirmations ne
sont le
résultat d'aucune démonstration; elles n'ont
été
étudiées nulle part, sauf qu'elles ont
été
répétées tout au long du compte rendu; elles
n'en sont donc
pas la conclusion, mais les prémisses arbitraires
posées en a priori.
Mais il faut ajouter qu'il s'agit de truismes.
La conclusion proprement dite se limite aux
deux phrases
suivantes : « Si l'ouvrage (le DQF) présente
des
qualités certaines, il est toutefois loin de répondre
à toutes
[sic] les exigences modernes de la lexicographie, notamment en ce
qui a trait
à la rigueur et à l'objectivité de la
description. Il nous
semble que le moment est venu d'exiger de telles qualités de
la part des
auteurs qui revendiquent le titre de lexicographes »
(p. 103). Deux
remarques complémentaires s'imposent. D'abord, quelles sont
ces
« qualités certaines » du DQF ?
Aucune n'a jamais
été exposées nulle part tout au long de
l'article. Ensuite,
la « rigueur » et
l'« objectivité »
de l'analyse lexicologique du français au Québec du
DQF ne font aucun
doute et n'ont pas été mises en cause par le pensum
qui
s'achève sur cette déclaration on ne peut plus
intempestive (c'est
le cheveu sur la soupe), qui est, finalement, on est en conclusion,
une insulte
gratuite. On va le voir, cela ne découle nullement du
prétendu
compte rendu.
La thèse du pensum se dégage des
premières lignes, évidemment malveillantes, de
l'introduction. Le
DQF s'opposerait à la « description globale du
français en
usage au Québec », celles des dictionnaires de
Claude Poirier
(Montréal, CEC, 1988) et de J.-C. Boulanger (Paris, Le
Robert, 1992), la
nouvelle voie lexicologique, pour, rétrograde, revenir
à
« l'approche plus traditionnelle de la description
différentielle » (p. 87). L'article se
propose donc de
dénoncer « une vision obsolète des rapports
qui existent
entre le français comme langue internationale et ses deux
variétés topolectales [comme c'est bien dit !]
que sont le
français de France et celui du Québec »
(p. 88). Car
le DQF présente une « image
controversable » (sic) du
français parlé au Québec. Avec
« topolectale » et
« controversable », on
voit bien qu'on a affaire à deux lexicologues... La
thèse est fausse
pour la raison toute simple que le DQF, qui est un glossaire des
vocables et des
expressions spécifiques au français parlé au
Québec,
n'a aucun rapport avec les deux dictionnaires donnés ici en
exemple, car le
Dictionnaire québécois-français n'est
pas un
« dictionnaire » au sens de
« répertoire des
définitions des mots d'une langue » (comme ceux de
Furetière et de l'Académie, puis le Larousse ou le
Robert, par
exemple). Le Petit Robert a d'ailleurs deux volumes, le
« Dictionnaire de la langue française »
et le
« Dictionnaire des noms propres ». Le vocable
« dictionnaire » n'a pas la même
signification dans les
deux titres. Au second tome du Robert, comme dans le cas du DQF,
le vocable
s'entend, évidemment, au sens lui aussi très courant
de
« répertoire alphabétique ». De
la part de
lexicologues, il s'agirait là d'une confusion inacceptable
si elle ne
s'expliquait, bien sûr, par la malveillance.
Ni dans l'introduction, ni surtout dans la
section sur
« un ouvrage d'un genre bien particulier », qui
ouvre
l'analyse, on ne trouve une présentation simple et correcte
de la nature de
l'ouvrage, de ses objectifs et de ses résultats, de sorte
que ces auteurs
peuvent dire n'importe quoi, sans qu'on sache de quoi il s'agit.
Cela commence
avec l'idée du « modèle d'un dictionnaire
bilingue » (j'y reviendrai en... conclusion, qui sera ici
une
véritable conclusion). Je cite : « chaque
emploi
"québécois" recensé est accompagné, en
guise de
définition [sic], d'un ou de plusieurs équivalents
qualifiés
de "français (standard)" » (p. 88). Cette
phrase anodine est
fausse. L'objectif du DQF est de recenser tous les emplois du
français
particuliers au Québec, quelle qu'en soit la nature, et d'en
proposer
l'équivalent ou les correspondants en France et dans toute
la francophonie
(régions de France, Belgique, Suisse, Afrique du Nord,
etc.). Est
qualifié, très correctement, de
« français
standard », celui de la majorité des francophones,
ce qui
correspond généralement à la France (et
l'adjectif n'a rien
de péjoratif ou de mélioratif). Il est à
noter, suite
à cette parenthèse, que le DQF est descriptif, sans
aucune
orientation normative; et lorsqu'il s'y trouve des jugements de
valeur, ils sont
tous... humoristiques ! On a bien le droit, on en conviendra,
de s'amuser des
pratiques québécoises ou françaises, et
l'auteur ne s'en prive
pas, même si la plupart du temps le comique et l'humour se
trouvent dans la
simple rencontre de synonymes des expressions
québécoises et de leurs
équivalents dans la francophonie, en France et, surtout,
à Paris
(notamment dans ses variantes
« branchées »).
Sur ce point, encore, l'apport le plus
important du DQF est
d'enregistrer les très nombreux anglicismes courants qui
contaminent
(à mon avis, car le dictionnaire les enregistre, sans jamais
en juger) le
français parlé au Québec. En ce qui concerne
le
répertoire des mots, vocables et acceptions propres au
français du
Québec, l'importance du DQF est considérable, sans
commune mesure
avec tout ce qui s'était fait jusqu'ici. Et je puis dire,
après
avoir lu le dictionnaire de la première à la
dernière page,
à petites doses, du 21 septembre 2019 au 2 avril 2021, que
je n'y ai
trouvé aucune faute sur ce point et que j'y ai au contraire
beaucoup appris.
En revanche, je pense qu'un petit nombre de mots très
caractéristiques du français au Québec devrait
être
marqués comme des américanismes (je pense, en
particulier, à
hot chiken, smokes meat, hot dog, humburger, club sandwich, etc.);
on devrait
pouvoir en identifier une cinquantaine. Cela dit, le DQF m'a
appris (en ne
l'enregistrant pas !) qu'on disait, en France, comme au
Québec,
« arrête ton char ! », mais souvent
avec une
apostrophe d'interjection, ce qui donne « arrête
ton char, Ben
Hur ! ». Et il faut ici ajouter que le dictionnaire
est
parsemé de mots plaisants qui tiennent à la
lexicologie, voire
à la morphologie; en témoigne ce « rions
un
peu » : en France, toilettes se dit au pluriel,
parce qu'on doit
« en faire plusieurs avant d'en trouver une
propre » !
Mais il faut dire que nos deux auteurs n'ont
jamais
été sensibles au comique et à l'humour du DQF
parce qu'ils
sont bégueules et fesses serrées. Figurez-vous que
le dictionnaire,
de par ses exemples, donnerait une image méprisante du
Québec et des
Québécois. Par exemple et bel exemple, à
l'article
« ceinture », on donne la citation
suivante :
« une ceinture et des bretelles [= une double
garantie; une double
sécurité] : "les chefs d'entreprise du
Québec sont plus
prudents qu'ailleurs, il leur faut une ceinture et des
bretelles" »
(p. 100, tableau 22, « exemples ne
présentant pas toute
l'objectivité ni toute la généralité
attendues » !). Oh ! mais quelle insulte de
citer un tel
exemple impliquant les chefs d'entreprise du Québec. Voyez
l'hilarant
tableau 21, « exemples à contenu
désobligeant »
(p. 99).
Comme vous pouvez le voir, j'en suis au
chapitre de la
« culture » (deuxième section du
chapitre C,
p. 99 et suiv.). J'ai sauté quelques pages ? Pas
du tout. J'ai
tout lu. Mais je n'ai trouvé rien d'intéressant ou
de pertinent
nulle part. En revanche, page après page, on assiste
à un
dénigrement systématique du DQF sur le mode du
procès
d'intention. Soit par exemple la proposition suivante, sur le
caractère
« bilingue » du dictionnaire :
« l'allusion a
ce modèle est pour le moins équivoque car elle donne
à penser
que le "québécois" et le "français" sont deux
langues
distinctes, ce qui n'est pas le cas et ce que l'auteur
reconnaît d'ailleurs
lui-même... » (p. 88). Mais, ajoutent nos
perspicaces
lexicologues, il ne s'agit que d'une « reconnaissance de
principe » ! Or, tout l'article baigne dans ces
supposées
« équivoques » destinées à
discréditer le DQF sur le mode du pudibond « ce
n'est pas ce qu'on
(a) dit », — mais que les lecteurs doivent
comprendre et
retenir.
Sans compter les évidentes et
malveillantes fautes de
logique. La plus spectaculaire se trouve lors de la
découverte que des
« équivalents » se trouvent tout aussi
bien au
Québec. Exemple : le vocable « ustensiles
(pour
cuillères, couteaux et fourchettes) » a son
équivalent
français, « couvert » ou, plus comique,
« poêle », et son équivalent
« cuisinière » (p. 95), qui se
disent tout aussi
bien l'un et l'autre au Québec. Où donc nos deux
auteurs ont-ils lu
que les « équivalents » ne s'employaient
pas ou
même jamais au Québec ? En fait, c'est faux. La
très
grande majorité des équivalents, en emploi dans
l'ensemble de la
francophonie, se disent tout aussi bien au Québec. Louis
Mercier et Claude
Verreault découvrent tout à coup la lune en nous
présentant
sur... trois exemples (!) ce qu'ils auraient dû comprendre
dès
l'ouverture du dictionnaire. Selon les locuteurs, selon les
situations de
communication et souvent très aléatoirement, on
emploiera l'un ou
l'autre des deux variantes. C'est d'ailleurs ce qu'on lit dans la
présentation du DQF : « dans
l'établissement de notre
nomenclature du québécois, nous avons
décidé de retenir
pratiquement tous les mots de notre corpus, même si certains
sont peu
employés ou ne sont plus employés du tout (c'est le
cas entre autres
de nombreux mots de la civilisation paysanne)... »
(p. vi). Et nos
deux auteurs de reprocher au dictionnaire d'enregistrer des
vocables... qui n'ont
plus cours ! (p. 95), avec une autre grave faute de
logique, celle du
tableau 12, dans son intitulé, « emplois rare
présentés comme courant dans la variété
québécoise du français » :
où donc ont-ils
lu que le DQF ne retenait que les vocables d'emplois
courants ? Où
donc la statistique d'emploi est-elle prise en compte ? Comme
cela se trouve
partout dans leur texte, le titre de ce tableau est destiné
à
dénigrer le dictionnaire.
Parmi les fautes de logique, il faut aussi
compter les
affirmations scolaires sans aucun rapport avec l'analyse du
dictionnaire. Cela se
trouve surtout dans les introductions des sections, de l'ordre de
la
péroraison (!), soit le péroraisonnage
lénifiant.
Voici l'ouverture de la section « culture »
(p. 99).
« Tout dictionnaire s'inscrit dans un contexte culturel
donné,
dont il est du reste tributaire et qu'il contribue par ailleurs
à maintenir
(cf. Dubois et Dubois, 1971: 8-9; Rey et Delesalle, 1979; Buzon,
1979; Lehmann,
1995; Collinot et Maxière, 1977) [sic ! comme on le
voit, cette
lapalissade est partagée par de nombreux ouvrages, qui y
consacrent
apparemment toutes leurs pages...]; en d'autres termes, le
dictionnaire n'est
jamais un ouvrage tout à fait neutre, tout à fait
objectif ». Pas besoin de lire la suite (même si
elle donne dans
l'humour blanc, avec l'exemple du Dictionnaire philosophique
de
Voltaire) : le DQF manque cruellement d'objectivité et
de...
« généralité » (comme tous
les
autres ?). Encore un petit coup de péroraisonnage
lénifiant ? Bon d'accord, ce sera l'introduction de la
section
« Langue ». Nos auteurs reconnaissent que le
corpus
littéraire et journalistique qui sert de base au DQF
« rend compte
de bien des particularités et curiosités [sic]
attestées », mais pour ajouter,
méchamment :
« cependant, étant donné le
caractère
hétéroclite et aléatoire du corpus et de la
nomenclature, il
faut se garder d'y voir le reflet de la langue littéraire et
journalistique
qui ont cours au Québec, encore moins celui de la
variété
québécoise de français dans son dynamisme
actuel »
(p. 94-95). Le corpus dépouillé est
« hétéroclite et
aléatoire » ? Je
ne vois rien de tel dans la liste des « sources
littéraires :
poésie, chanson, humour, roman,
théâtre » (DQF,
p. 1877-1881), « émissions de
télévision » (p. 1884),
« journaux, revues
et magazines » (liste des abréviations,
p. xxxvii-xxxviii).
D'ailleurs, le dictionnaire ignorerait de nombreux emplois
courants au
Québec. Suivent exactement et précisément
quatre (4)
exemples, « tapis » (équivalent,
« moquette », qui se trouve à l'article
« mur-à-mur »);
« tapisserie »
(équivalent,
« papier peint », qui se trouve au Robert et
n'est donc pas
particulier au français du Québec) et
« stationner », pour
« garer », qui
s'emploie en ce sens depuis le français classique au XVIIe
siècle
(tandis que les deux vocables, en emploi transitif, sont deux
synonymes courants
avec le développement du marché de la voiture au
début du XXe
siècle). Enfin un quatrième exemple,
« brique »,
équivalent « pavé », pour
désigner un gros
livre. C'est au moins un exemple pour illustrer « qu'on
chercherait en
vain bien des emplois aussi courants que... »
(p. 95).
Nos auteurs nous présentent donc le DQF
comme un
dictionnaire « bilingue », on l'a vu, alors
qu'on lit bien,
dans sa présentation, qu'il s'agit d'un dictionnaire
différentiel
« sur le modèle d'un dictionnaire
bilingue »
(p. v). Autrement dit, il ne donne aucune
« traduction »
des emplois particuliers et spécifiques au Québec,
mais en propose
des équivalents. Je l'ai déjà dit, mais je
dois le
répéter, car Mercier et Verreault jouent sur ce
quiproquo pour faire
croire que le DQF est un ouvrage normatif qui proposerait aux
Québécois d'adopter ces équivalents !
C'est faux et,
pour bien dire, ridicule. Or, c'est ce que comprendront les
lecteurs du compte
rendu. En voici un exemple simple pris du début de leur
analyse qui donne
un sens positif et mélioratif à l'adjectif
« standard ». « En quoi [...]
chatte [...]
serait-il plus "standard" [que pelote] pour désigner
le sexe de la
femme ? Ne s'agit-il pas [...] de termes tout aussi grivois
ou
vulgaires ? [tu parles !]. L'examen attentif [sic] des
équivalents proposés aux emplois recensés dans
l'ouvrage
montre clairement que la variété
québécoise de
français est dans la pratique comparée
essentiellement à la
variété qui a cours en France et qui se trouve de ce
fait la seule
à être reconnue comme "standard" »
(p. 89). Que dis
donc cette affirmation qui sera serinée subtilement du
début à
la fin du texte ? Que le dictionnaire propose aux
Québécois de
remplacer leurs tournures spécifiques par les
équivalents de
France ! C'est faux, c'est une sottise — et c'est ce que
retiendra
malheureusement le lecteur. Relisez le texte de nos deux auteurs,
en revoyant
l'exposé descriptif du DQF : « Pelote, 1er
(vulg.) pubis;
2e (vulg.) [= sexe de la femme], chatte; etc. ».
Standard ?
L'adjectif ne vient nulle part dans l'article. En revanche, il est
exact
qu'environ 100 millions de francophones au monde parlent
(vulgairement !) de
la chatte de la grosse pouffiasse, tandis qu'au Québec, six
millions de
francophones (sur une population de 8,6 millions) peuvent dire, sur
le
modèle de Michel Tremblay, qu'ils ont vu la p'lotte de le
grosse torche
d'à côté (lorsqu'ils ne font pas le raccourci
pour
désigner la plotte de la plotte d'à
côté !). Bref,
chatte et pouffiasse sont deux vocables du français
standard, tandis
que la plotte est le très beau vocable
québécois choisi par
nos deux lexicologues pour s'interroger : « en quoi
chatte
serait-il plus "standard" que pelotte ? »
(p. 89, je les
réécris). — Ils ne savent pas
compter ?
Or, tout ce verbiage insane, je le
répète car
c'est essentiel, développe l'idée saugrenue que le
DQF tenterait
d'imposer les équivalents français (standards !)
pour remplacer
nos expressions ainsi dépréciées.
Pourquoi ce dénigrement d'un si
remarquable
dictionnaire ? Le verbiage insane que je viens d'identifier
relève de
l'inintelligence, un vocable que j'aime beaucoup. Or, nos deux
universitaires
sont de savants lexicologues. Il suit que leur compte rendu ne
devrait pas se lire
au premier degré. Mais il faut bien voir que sa
première
caractéristique est la hargne. Rarement trouvera-t-on un
texte aussi
hargneux. Pourtant, rien dans leur exposé ne justifie ce
comportement. Il
n'y a là aucune analyse scientifique, linguistique ou
lexicologique. Au
contraire, tout l'article épouille des vétilles, des
bagatelles, des
broutilles qui n'ont aucune portée en lexicologie et,
surtout, sans aucun
rapport avec l'évaluation du dictionnaire en cause, le
DQF.
Pourquoi ? La réponse se trouve
peut-être
à l'entrée « aménagement
linguistique »
du DQF, mais comme je ne suis pas lexicologue de profession, je
vais laisser de
plus savants que moi étudier la question.
Appendice
Conclusion. On vient de lire la dénonciation d'un
torchon, un texte
insane, sans aucune valeur scientifique, qui constitue
objectivement un
« règlement de compte » avec la
caractéristique
assez bizarre de ne régler aucun
« compte », car le
Dictionnaire québécois-français de
Lionel Meney, on l'a
lu, n'a aucune visée polémique. Pourquoi donc Louis
Mercier et
Claude Verreault s'en prennent-ils hargneusement à un
travail qui ne les
implique d'aucune manière ? Évidemment, ils se
sentent « visés », d'où leur
texte
rédigé, propagé et publié pour
dénigrer un
instrument de travail essentiel, dont personne ne saurait se
passer, aussi bien au
Québec que dans la francophonie, dès que le
français du
Québec est impliqué (enseignement, rédaction;
littérature et études littéraires; et, bien
entendu, grammaire
du français, linguistique et lexicologie).
Un « torchon », vraiment
? Bien
sûr. Il s'agit ici, nous sommes en lexicologie, d'un vocable
technique qui
désigne objectivement un écrit improvisé, mal
ou peu
rédigé (cet article est fait pour l'essentiel d'une
série de 25 « tableaux »
entremêlés
d'affirmations qu'elles sont censées prouver
d'office,
sans la moindre
analyse), sans valeur, sans valeur scientifique aucune. Deux
incontestables
savants lexicologues, et cela ne fait aucun doute, lorsqu'ils font
« école », s'aveuglent au point de
rédiger une
attaque au-dessous de tout. Car on peut résumer ma note
critique en
quelques mots — en effet, il est clair que Louis Mercier et
Claude Verreault
n'ont qu'un reproche à faire au DQF : Lionel Meney a
fait et bien fait
ce qu'il voulait faire, un dictionnaire différentiel du
français au
Québec en regard du parler de l'ensemble de la francophonie.
Or, c'est un
crime. Il ne devait pas faire ce qu'il voulait faire et a bien
fait. Il devait
plutôt faire ce qu'eux, Louis Mercier et Claude Verreault,
auraient voulu
qu'il fasse et... comptent faire ! Je cite leur jugement sans
appel :
« Par l'approche différentielle qui le
caractérise, le DQF
tourne carrément le dos au projet de description globale du
français
québécois comme variété autonome du
français,
qui est au coeur des préoccupations linguistiques
québécoises
depuis plus d'une décennie » (p. 103).
Qu'est-ce donc que
ce « projet » auquel le DQF « tourne
le
dos » ? Évidemment, il s'agit du projet
grassement
subventionné et on ne peut plus
« équipé »
(car il s'agit de faire « subventionner des
équipes de
recherche » !) auquel se vouent corps et âme
nos deux savants.
Hors de ce projet, point de salut. D'où le très
saint
règlement de compte. Il s'agit, dans ce cas
particulier,
d'écraser Lionel Meney qui non seulement ne participe pas
à la bonne
recherche, la « recherche du Graal », mais
nuit, et je cite,
aux « exigences modernes de la lexicographie »
(p. 103).
Bref, il faut dénoncer ces deux savants (et cela ne fait
aucun
doute) dont la
science se limite à celle de leur école. Si les
écoles
peuvent être impitoyables entre elles (et c'était le
cas des
« endogénistes » et des
« exogénistes », comme des
« aménagistes » et des
« déménagistes »), imaginez la
hargne qui
frappera ceux qui ne sont d'aucune école. Cela donne des
règlements
de compte sans compte à régler ! Et par
conséquent,
objectivement, de savants torchons.
Les tout derniers mots de ma note critique
désignent
assez bien la source de ce « règlement de
compte » sans
objet, la source de cette hargne caractérielle : elle
vient d'abord
et avant tout de l'équipe du « Trésor de la
langue
française au Québec » de
l'Université Laval
(Québec), qui a vite investi l'Office
québécois de la langue
française (et son très défectueux Dictionnaire
terminologique
qui, devenant descriptif au lieu d'être prescriptif, a perdu
tout son sens)
et qui a été récupéré par
l'équipe
Franqus de l'Université Sherbrooke. Dans les deux cas qui
n'en font qu'un,
les groupes issus du TLFQ de Claude Poirier se sont sentis
« visés » par la réalisation de
Lionel Meney.
Vous vous imaginez ? Un savant lexicologue (d'origine
française,
toutefois, ce qui est malheureusement incriminant) réussit,
tout seul, sans
équipe et sans aucune subvention, à publier un
formidable
dictionnaire différentiel du
québécois-français. Un
ouvrage monumental (2 000 pages, des centaines
d'entrées et des
milliers d'exemples). C'est scandaleux ! surtout pour tous
les ti-culs qui
se proposent le plus sérieusement du monde de créer
le
« Dictionnaire québécois
universel » qui devrait
remplacer le Robert ou le Larousse, voire le TLFi (c'est le
« Trésor de la langue française
électronique »). Ce sera le dictionnaire du
français de
référence à Tunis et à Alger, à
Strasbourg,
à Marseille et... à Paris, et bien sûr à
Liège ! Il s'agit en fait de débarquer (c'est
dans le DQF) les
lexicologues français, dont la tradition remonte à
Richelet,
Furetière et l'Académie, c'est-à-dire à
la naissance
du français, aux XVIe et XVIIe siècles. L'objectif
est de remplacer
ces gosseux attardés du Larousse et du Robert par une
entreprise
lexicologique enfin moderne et qui saura mettre le français
du Québec
à sa juste place, c'est-à-dire en évidence.
D'accord, je
m'amuse, mais avouez que c'est amusant...
Cela précisé pour ceux qui ne
connaîtraient rien des débats et querelles des
lexcologues au Québec (débats auxquels je n'ai jamais
participé), j'ajoute que ma note
obéissait à
une stratégie d'ordre critique, qui doit être
située. J'en
fait la chronologie.
2000. Claude Poirier, « Faut-il "traduire" le
québécois ? », Québec
français,
no 118, p. 101-103. Il fallait s'y attendre, le premier
« torchon insane sans aucune valeur scientifique en mode
de
règlement de compte contre le DQF » est venu du
patron du TLFQ.
Si on le relit, on verra tout de suite qu'il s'agit du brouillon de
l'article de
Louis Mercier et Claude Verreault. — Lionel Meney a tout de
suite
répliqué de la manière la plus
compétente :
« Critique du "Dictionnaire
québécois-français" :
un mauvais procès d'intention
(réponse
à Claude Poirier) », Québec
français,
no 121, 2001, p. 89-92.
2000. Louis Mercier et Claude Verreault, « "Le
Dictionnaire
français-québécois" (1999) : du
réel au trompe-l'oeil »,
conférence au 68e congrès de
l'Association
canadienne-française pour l'avancement des sciences (Acfas),
Montréal, mai 2000. Le texte est aussitôt
publié sur le site
internet de C. Verreault à l'Université
Laval.
Il s'agit de la première version du
texte qui
paraîtra au Français moderne et dont je fais la
critique ici.
Le texte devait être publié dans un recueil des actes
du colloque de
l'Acfas qui n'a jamais paru. Or, ce que je ne savais pas au moment
où j'ai
rédigé ma note critique, c'est que Lionel Meney avait
déjà répliqué au texte insipide de
Louis Mercier et
Claude Verreault, dans un petit ouvrage magistral, digne de son
dictionnaire :
2002. Lionel Meney, Polémique à propos du
« Dictionnaire
québécois-français »,
Montréal, Guérin, 72 p.
On a droit à une étude
lexicologique d'une
rigueur remarquable où le savant répond point par
point à ses
malheureux détracteurs. À mon avis, cette
réplique
devrait figurer
dorénavant en appendice à toute
réédition du DQF, tant
elle est juste et importante. Moi qui ai lu le dictionnaire de la
première
à la dernière page, forcément dans l'ordre
alphabétique
de ses entrées, cela a été un grand plaisir de
lire dans
l'ordre aléatoire des critiques défaillantes de nos
deux sbires du
TLFQ ce supplément. En plus, L. Meney s'offre le
plaisir de
présenter la réception peu commune de son ouvrage,
aussi bien au
Québec qu'en Europe, à la courte honte des auteurs de
son
dénigrement gratuit. Et cela, avant même que ce texte
incriminé ne soit intempestivement publié de la
manière la
plus irresponsable par le Français moderne. Cela
dit, ma note
critique doit être retenue, et publiée ici,
précisément
parce qu'elle n'est pas la réplique d'un savant lexicologue,
mais d'un
lecteur et d'un fanatique du DQF. Je répète que je
l'ai lu en entier
et j'ajoute que je l'utilise souvent. Bien sûr, il s'agit
d'un instrument
de travail indispensable pour les spécialistes, je l'ai dit
plus haut, mais
pour moi il s'agit du complément de mon Petit
Larousse et de mon
Petit Robert (dictionnaires portatifs du français
contemporain et du
français moderne, respectivement). Et je ne vois pas comment
un intellectuel
québécois pourrait s'en passer.
2002. Louis Mercier et Claude Verreault, « Opposer
français
"standard" et français québécois pour mieux se
comprendre
entre francophones ? — Le cas du Dictionnaire
québécois-français, le Français
moderne, revue
de linguistique française, vol. 70, no 1,
2002, p. 87-108.
2022 ! G. Laflèche, « Vingt ans plus tard :
il n'est jamais
trop tard pour rectifier les torts » : c'est la
note critique
publiée ici.
Et c'est ici qu'elle devait paraître
depuis le
début, mais je l'ai rédigée dans le but de
l'adresser d'abord,
pour publication, au Français moderne. Car si j'ai
été
scandalisé à la lecture du torchon, dans mon esprit,
leurs auteurs,
Louis Mercier et Claude Verreault, pour ce texte, ne
méritent rien d'autre
que mon plus parfait mépris. En revanche, sa publication
dans la
prestigieuse revue de linguistique française est un scandale
qui doit
être dénoncé. Fondée en 1933 par Albert
Dauzat, cette
revue a toujours été pour moi, depuis mes
études à
Strasbourg, la revue de Paul Imbs, qui la dirigeait alors. Au
Centre de philologie
romane, c'était pour nous la publication d'une Bible par
fascicules; il
faut dire que je travaillais sur la grammaire des temps des verbes
en
français, dont Paul Imbs était alors le maître
incontesté (l'Emploi des temps verbaux en français
moderne,
Paris, Klincksieck, 1960) et que j'avais dépouillé
tous les articles
de la revue à ce sujet. Apprendre quarante ans plus tard
qu'un
épouvantable torchon était paru dans
« ma » revue
de linguistique française, il y a vingt ans, c'était
un choc.
Vingt ans. Je précise la durée,
parce qu'il n'y
a jamais de prescription en matière de délit
intellectuel. Exemple.
Je viens de découvrir que Charlevoix, dans son Histoire
de la Nouvelle-France,
en 1744, a menti, en inventant le nom d'un personnage
qui n'a jamais
existé, pour cacher un plagiat : Kondiaronk. Son nom
est aujourd'hui
très célèbre, désignant même le
plus haut site de
Montréal, l'esplanade « Kondiaronk » au
sommet du Mont-Royal.
Il s'agit d'une pure invention. Eh bien, 300 ans plus
tard, il n'y a pas
prescription : le jésuite
Pierre-François-Xavier de Charlevoix
doit être dénoncé pour ce comportement immoral
(on lira cela
dans mon prochain livre, en cours de rédaction). Même
chose pour la
publication de l'article de Louis Mercier et Claude Verreault dans
le
Français moderne, il y a 20 ans. Oui, d'accord, c'est
surtout la revue
qui doit être dénoncée. Et mon histoire
devient maintenant
autobiographique.
2022, 8 juillet. J'ai adressé ma note critique, pour
publication, au
Français moderne, en suivant les consignes
indiquées sur le
site internet de la revue; je l'ai adressée au
secrétariat, et
nommément aux secrétaires, les professeurs Philippe
Monneret et Frank
Neveu, « responsables du secrétariat
général ». Non seulement je n'en ai
reçu aucun
accusé de réception, mais un mois plus tard, je n'en
avais aucune
nouvelle. Il ne fallait par être très perspicace pour
comprendre
qu'il s'agissait d'un refus de publication.
17 août. Enfreignant les règles, j'ai relancé
le directeur de
la revue, Jean-Marie Klinkenberg, que j'avais connu au tout
début de ma
carrière de professeur, sans lui rappeler, bien entendu,
notre très
ancienne amitié. Dès le lendemain, c'est lui qui me
rappelait nos
échanges, au moment où il était professeur
invité
à l'Université de Montréal, comme un des
auteurs vedettes du
groupe μ (Rhétorique générale,
Paris,
Larousse, 1970).
Il me dit gentiment qu'il a non seulement rapporté un bon
souvenir de son
séjour à Montréal, mais également mon
Petit Manuel
des études littéraires, l'essai
pamphlétaire qui a
inauguré tout mon enseignement; or, il ajoute qu'il a
beaucoup
utilisé le dictionnaire de Lionel Meney dans un cours de
culture
québécoise qu'il a donné longtemps à
l'Université de Liège. Bref, la possibilité
d'une publication
improbable de ma note critique dans le Français
moderne vient de
passer de 2% à 5% ! Ses collègues ont
été trop
occupés pour me répondre; ma note critique ayant la
forme d'un
article devrait être soumise, comme l'a été
l'article de Louis
Mercier et Claude Verreault, en « double
aveugle » (ce dont il
n'a pas trace dans ses archives). Et d'ajouter, pour finir, que
« nous
aurons évidemment, lors de notre prochaine réunion de
comité
de rédaction, à débattre de
l'opportunité politique de
revenir à une publication vieille de 20 ans
déjà, alors
évaluée favorablement ». Ho !
Même à
la fin d'une note amicale, c'est déjà un refus de
publication que les
deux « responsables du secrétariat
général » devront maintenant... justifier
autrement que par
leur silence.
2023, 4 juin. Justement, question silence, celui-ci allait durer
un an si je
n'avais lancé un « rappel » au
sympathique directeur de
la revue. C'est bien tristement et la mort dans l'âme qu'il
m'a
répondu dès le lendemain. Message du 5 juin 2023
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