Les ramoneurs, les vidangeurs et les
éboueurs ne doivent pas
être
moins bégeux que les intellectuels de mêmes
métiers.
C'est possible que je m'avilisse (j'en ai le sentiment) à
m'occuper du
livre d'Yves Gosselin, mais il faut bien faire son travail, qui ne
peut pas
toujours être réjouissant. Bref, si l'on veut vivre
dans un
environnement simplement raisonnable, il faut savoir ramoner,
même si
c'est bien salissant, vidanger, même si c'est vraiment
écoeurant.
Il faut donc accepter que, péniblement, j'organise mes notes
de travail
sur le livre de Gosselin qui, évidemment, ne les
mérite pas.
J'arrêterai et annulerai avec plaisir ce travail dès
que
l'ouvrage sera dénoncé plus efficacement que par moi
et,
j'espère, pilonné.
Voici donc les éléments
d'analyse de la chose, non
pas dans
l'ordre chronologique du journal, mais dans la
réorganisation logique
que les nouvelles idées imposeront au fur et à
mesure.
— Une partie de ces notes, on le verra,
seront reprises et reformulée dans l'analyse
littéraire des deux romans d'Yves Gosselin, le Discours et le Jardin.
0. Trois extraits
Naturellement, on peut difficilement faire
l'analyse critique d'un
ouvrage
et n'en citer aucun extrait. Jusqu'à maintenant
(29 janvier 2004),
je m'étais fait un point d'honneur de ne jamais faire de
citations du
texte incriminé, par respect pour ceux qui consultent ce
dossier, par
respect pour moi-même, par respect aussi, évidemment,
pour la
mémoire des victimes nazies.
Je crois que ce n'est plus possible. Si la
Direction de mon
Université
tente de fermer ce site internet sur l'affaire Gosselin sous des
pressions
extérieures, si mes collègues du Crilq des
université de
Montréal et de Laval se proposent d'organiser tranquillement
une table
ronde sur les oeuvres en nomination au Prix des collégiens
de la
Fondation Marc Bourgie, si des revues littéraires du
Québec
demandent déjà des comptes rendus critiques du roman
d'Yves
Gosselin, cela signifie tout simplement qu'on ne me fait pas
confiance au
point de me croire sur parole.
Par conséquent, je suis forcé
d'illustrer l'ordure
par ses
propres propos orduriers. Je le fais donc, la mort dans
l'âme, en
présentant mes excuses d'avoir ce courage, parce que
personne ne
saurait transcrire ces imbéciles saletés sans en
être
sali, je le sais bien. Mais je n'ai pas de choix, puisque
précisément j'en suis là, constatant qu'il
faut au moins
être intelligent pour me croire sur parole.
On devra donc dorénavant me croire sur
trois extraits que je
cite au
texte.
(a) Apologie frénétique de l'holocauste
d'Auschwitz
Le centre, le coeur du roman d'Yves Gosselin
est constitué
par un
épouvantable discours prêté à
Louis-Ferdinand
Destouches (p. 81-84), on le sait déjà. Durant
toute la
première partie du roman, le lecteur a été
inoculé
à doses de plus en plus fortes d'un délire
antisémite
d'une incroyable vulgarité, évidemment incroyable
justement,
sans aucune crédibilité historique, ni quelque
justification que
ce soit dans l'uchronie stupide mise en place.
Le sommet de ce délire est atteint au milieu du roman dans
le discours
que Céline est censé prononcer le 20 janvier
1948, à
l'occasion de la fermeture du camp de concentration de Drancy en
France.
Encore une fois, je tiens à m'excuser de faire cette
citation :
|
« Nous fermons aujourd'hui ce qui
fut l'oeuvre
sacrée de
notre État. Plus aucun Juif ne vit aujourd'hui sur ce sol,
ne se cache
dans nos villages et nos provinces. Les Juifs ont disparu de la
terre de
France et du continent. (p. 81) [...] Rien ne se compare en
émotion à cette joie de voir tous ces porcs
brûler dans
les incinérateurs, de voir partir en fumée cette
création
insensée fondée sur le lucre et la pestilence. Rien
ne peut se
comparer également à cette joie incommensurable de
voir ces
chiens quémander quelques miettes de pain à leurs
gardiens, eux
qui se sont empiffrés pendant des siècles à
nos
dépens. [...] (p. 82) ».
|
|
Après cette transcription d'un discours
supposé de
Céline
(dont la suite est tout aussi ordurière), le narrateur du
roman reprend
à son compte ces propos :
|
« Voilà ce que disait
notre ami au
Vélodrome
d'Hiver en 1948 [...]. Un peuple de chiens est parti en
fumée, a
été rendu à la fumée de ses origines,
à son
inexistence, oui. Le peuple juif a été
exterminé
[...] (p. 83) ».
|
|
Au centre du roman, ce
« discours » de
Céline
exprime tout le sens du « Discours de
réception »,
c'est-à-dire le roman d'Yves Gosselin. Il n'y a là,
bien
évidemment, aucun sens second, profond ou connoté
propre
à discréditer l'antisémitisme ou
Céline. On ne
peut voir là autre chose qu'une sinistre et loufoque
bouffonnerie.
(b) Jeu de mot sur l'holocauste
|
« Un jour, à l'Institut
d'étude des
questions
juives, notre ami se trouva en présence d'un rabbin [...].
Ce jour-là,
le youpin dit à Céline :
« il ne reste
plus en France qu'un millier de mes congénères. Vous
ne pouvez,
docteur, éliminer tout un peuple ». [...] Il
dit :
« Nous ne pouvons accepter de nous laisser exterminer
[...] ». « C'est dommage, répondit
Céline.
Vous devriez vous sentir honoré de vous donner en
holocauste. Vous
complaisez ainsi à Jéhovah. Ainsi vous n'aurez pas
vainement
vécu » (p. 97) ».
|
|
Je m'excuse de devoir citer ce texte qu'il
n'est évidemment
pas
nécessaire de commenter.
(c) Dernier exemple de platitude immonde
|
« Notre ami chassa bientôt
ce Juif de son
bureau. Quelques
mois plus tard, on en fit aussi du savon »
(p. 100).
|
|
J'ai honte de transcrire encore ce
troisième exemple, mais
je crois que
je dois aller jusqu'au bout et jusque-là. Il sera
impossible
dorénavant d'ignorer que ce livre est une ordure et
pourquoi. Ces
trois citations suffisent amplement à la
démonstration :
il faut une totale insensibilité morale et littéraire
pour lire
tout un roman de cette eau sans en être profondément
dégoûté.
1. Sources
Il ne paraît pas possible, actuellement,
d'identifier une
source
d'information (et encore moins d'inspiration) à ce roman.
Gosselin a
dû lire quelques livres sur la vie de Destouches, dont
probablement le
livre d'Almeras. Je ne peux en identifier aucun actuellement.
En revanche, il n'utilise aucune oeuvre de
Céline, ni
même ses
deux premiers romans, dont il fait des présentations
loufoques, sans aucune portée (littéraire,
sociologique ou idéologique), ce qui manifeste son
inculture,
s'agissant de deux chefs-d'oeuvre.
De toute l'oeuvre, deux passages seulement
pourraient passer pour
des
pastiches du style de Céline, voire des citations
réécrites. Mais tel ne semble pas être le
cas :
d'abord
l'extrait d'un supposé ballet (p. 135), ensuite la
diatribe qui
termine l'alinéa de la prétendue réception du
romancier
comme écrivain du Reich (p. 148-149).
En tout cas pas de sources
déclarées, jamais de
textes
cités.
2. Épigraphes
Le livre porte en épigraphe deux
« citations ». La seconde est une
épaisse
niaiserie attribuée à Mussolini qui n'a absolument
aucun sens (et qu'en conséquence je ne rapporterai pas ici),
la première est une citation de
Borges selon laquelle les dictatures fomentent l'idiotie :
« Les dictatures fomentent l'oppression, la
servilité et la cruauté; mais le plus abominable est
qu'elles fomentent l'idiotie ».
Voilà qui voudrait
indiquer qu'on va lire une « idiotie » et que
l'auteur la
présente comme telle pour s'en distancier. Or, à
l'évidence, l'épigraphe tombe à plat, tout
simplement parce que l'« idiotie » en question
n'est manifestement pas le discours de réception, mais le
roman d'Yves Gosselin qui n'est bien entendu le produit d'aucune
dictature — sinon la dictature de l'inculture.
3. Éléments
narratifs
Situation narrative : Dominique Noguez a
imaginé un
discours de
réception à l'académie de Paul Valéry
sur Arthur
Rimbaud. Je n'en connais pas encore la référence.
Quand à faire un
« personnage » de
Céline,
le seul exemple en est Pulp de Charles Bukowski (Santa Rosa,
Black
Sparrow Press, 1994, trad. Gérard Guégan, Paris,
Grasset,
1995) : dans son dernier roman, Bukowski rend hommage au
romancier
auquel il doit tant. Son Céline est toutefois
présenté
comme un sosie du romancier Céline, plutôt que le
personnage
lui-même,
un revenant peut-être. En tout cas, la belle Grande
Faucheuse est là pour lui rappeler que ce sera bientôt
son tour
de pouvoir jouer les revenants si ça lui chante.
Un récent roman de Pierre
Siniac s'intitule Ferdinaud
Céline (Paris, Payot et Rivages, 1997, 2002).
L'hommage, cette
fois-ci, tourne un peu au tour publicitaire (s'agissant du titre
d'un roman),
le héros romancier écrivant à la solde d'une
tenancière qui se fait appeler Ferdinaud Céline.
S'il est un
des modèles littéraires du romancier (l'auteur et son
personnage
principal), Louis-Ferdinand Céline ne joue aucun rôle
dans ce
roman.
4. Données et situations
historiques
Discours de réception est une
uchronie qui contredit
les
données historiques les plus élémentaires,
notamment en ce qui
concerne la biographie, la psychologie de Louis-Ferdinand
Destouches.
Dans le cas du Jardin du commandant, la
question se pose de
savoir si la
situation mise en place peut correspondre à des faits
historiques.
Évidemment, il ne fait pas de doute que la situation
romanesque est
parfaitement ridicule du point de vue psychologique, sociologique
et historique,
cela est même incontestable : il faudrait être
vraiment peu
perspicace pour imaginer un instant que la « fiction
romanesque » mise en place par Yves Gosselin puisse avoir
quelque
vraisemblance que ce soit, comme je le montre dans mon compte
rendu. La trame
narrative de l'histoire est tellement faible qu'elle n'a aucune
crédibilité. Absolument aucune Anna, mère de
deux enfants,
l'épouse du SS Hans Schwartz qui nous est
présentée, ne peut
correspondre à rien de la réalité des
Allemandes de la colonie
d'Auschwitz en... 1943-1944. Oublions cela.
En revanche, on peut essayer de prendre la
mesure des ignorances
crasses qui ont
permis d'affabuler pareilles niaiseries. C'est forcément
notre ignorance
à tous. Bien sûr, on peut trouver facilement les
centaines de
« manuels » qui permettent de préciser
la trame de fond
du génocide nazi et le déroulement
événementiel de
l'élimination systématique des juifs. Ce pourrait
être, par
exemple, l'exposé de Karl Dietrich Bracher, la Dictature
allemande :
naissance, structure et conséquences du
National-Socialisme, 1969, trad.
de Frank Straschitz (Toulouse, Bibliothèque historique
Privat, 1980). Ce
sont toutefois mes collègues du département
d'histoire de
l'Université de Montréal qui m'ont indiqué le
livre qui
devrait nous permettre actuellement de faire le point sur les
travaux relatifs au
judéocide. Il s'agit de l'ouvrage suivant.
Édouard Husson,
Comprendre Hitler et
la Shoah :
les historiens
de la République fédérale d'Allemagne et
l'identité
allemande depuis 1949, Paris, Presses universitaires de France
(coll.
« Perspectives germaniques »), 2000.
Je ne doute pas que pour plusieurs la lecture
de cet ouvrage sera
une formidable
aventure intellectuelle. Bien sûr, je pouvais me douter que
les travaux des
historiens des Allemagne de l'est et de l'ouest, comme ceux des
Allemands de la
diaspora, pouvaient avoir été divers et avoir
évolué
beaucoup depuis la fin de la guerre. Mais jamais je n'avais
pensé qu'il y
avait là un véritable combat de tranchées
idéologique
et institutionnel, et d'une telle âpreté qu'il
faudrait
plusieurs
décennies pour que l'ouvrage fondateur d'Alan John Percivale
Taylor, the
Course of German History (Londres, 1945), soit finalement
compris et
développé par les nouveaux historiens (disons) de
l'histoire
allemande... il n'y a pas vingt-cinq ans. La question, comme le
montre cet
ouvrage, n'est évidemment pas de savoir ce qu'on ne savait
pas, mais de
savoir correctement. C'est le « devoir de
mémoire » qui
conduit de la victime sacrificielle (Hitler, le national-socialisme
et ses SS)
à une conception historique, radicalement historique du
judéocide,
qui implique l'histoire nationale de l'Allemagne, ses structures et
en particulier
son armée (avec son action sur le front oriental aussi bien
que dans les
camps de la mort) et toute une population qui a bien voulu ne rien
comprendre, tout
ignorer et surtout oublier.
Cette remarquable radiographie de
l'historiographie de l'histoire
allemande conduit
aux chapitres vraiment percutants de la troisième partie,
« Regarder en face les crimes du nazisme », ses
deux derniers
chapitres en particulier qui sont d'une actualité
journalistique. Il faut
dire que le style d'Édouard Husson repose sur une
remarquable maîtrise
de la langue française, avec un rare sens de la formule.
Nous sommes loin d'Anna Schwartz ?
Évidemment ! Ce que
montre l'analyse
historiographique d'Édouard Husson, c'est tout ce qu'il faut
ignorer pour
rédiger un roman comme le Jardin du commandant. La
problématique mise en place par Yves Gosselin (qui a
paraît-il fait
des études en histoire...) retarde d'environ un
demi-siècle !
Les historiens n'en sont plus à l'histoire
événementielle et
factuelle, celle pouvant impliquer l'épouse d'un SS
d'Auschwitz en
1943-1944,
mais à toutes les familles d'Allemagne, bien
éloignées
de ces escadrons nazis, qui avaient toutes des membres de leur
famille dans
l'armée régulière (la Wehrmacht) ou les
diverses entreprises
qui en profitaient.
Bref, Yves Gosselin est vraiment ridicule
d'ignorance avec sa
petite
ménagère de SS... Quelle niaiserie. Cela dit, rien
n'aurait
dû l'empêcher, probablement, avec un peu de talent, de
produire le
roman de la femme de Hans Schwartz. Si j'en crois Édouard
Husson, c'est le
recueil Anatomie des SS-Saates (Fribourg, 1965) avec les
articles de Helmut
Krausnick, Martin Broszat, Buchheim et Jacobsen (cf. p. 256,
n. 3), qui
aurait dû lui permettre de rassembler l'information pour
mettre en place sa
fabulation dans un contexte socio-historique crédible,
vraisemblable, ayant
quelque poids existentiel.
5. Pamphlets et polémiques
contre
Céline
Les pamphlets, les critiques et les analyses
critiques contre
Céline
et son oeuvre ont été si nombreuses qu'il n'y a
aucune raison
d'en lancer aujourd'hui une nouvelle, à moins
évidemment d'avoir
de nouveaux faits ou des analyses renouvelées à
présenter, ce qui n'est évidemment pas le cas d'Yves
Gosselin
qui n'a pas trois idées sur le romancier et son oeuvre.
Jean-Pierre Martin, Contre Céline, Paris,
José Corti,
1997.
Le dernier débat virulent a
été lancé
par le
pamphlet de Jean-Pierre Martin intitulé Contre
Céline
(Paris, José Corti, 1997). Le livre est sous-titré
« d'une gêne persistante à l'égard de
la
fascination exercée par Louis Destouches sur papier bible,
avec
quelques propositions de sujets pour le baccalauréat d'une
fin de
millénaire ». L'ironie sarcastique ne
s'arrête pas
là, car l'ouvrage est désigné comme un
« roman » ! (de même que
Céline aurait
déguisé, selon l'auteur, en romans ses trois
dernières
oeuvres, qui seraient en fait des chroniques racistes et
revanchardes). La
polémique de Martin vise les très récentes
publications
sur Céline à ce moment, les apologies des
« célinophiles », c'est-à-dire
les ouvrages
de Julia Kristeva, Philippe Murray, Philippe Sollers,
Stéphane
Zagdanski, tandis qu'il est très ambivalent sur le travail
d'Henri
Godard qui est pourtant, avec ses éditions de la
Bibliothèque
de la Pléiade, le prétexte du pamphlet (comme on le
voit
à son sous-titre). Alors qu'il ignore absolument tout de la
critique
célinienne, Martin oppose à ces ouvrages
récents le
premier des travaux de Philippe Almeras (les Idées de
Céline, 1992), sans jamais citer sa biographie critique
de
Céline (pourtant parue en 1994), autrement plus
importante.
C'est de ce pamphlet et de la polémique
qu'il a
suscitée qu'est
tirée la quatrième page de couverture du livre de
Gosselin et
en particulier l'idée que Céline serait une
« ordure
canonisée ».
Évidemment Martin n'est pas assez
imbécile pour
qualifier
Céline d'ordure. Il ne perd pas ainsi tout sens des
proportions, comme
cela pourrait se produire dans une discussion de salon. Et c'est
bien
là le niveau objectif de la quatrième de couverture
du livre de
Gosselin. Certes, on trouve partout de ces gens qui ne peuvent
supporter la
moindre allusion à Céline et à son oeuvre, qui
se
refusent évidemment à le lire (comme d'autres se
refusent par
principe à écouter la musique de Wagner), par horreur
instinctive de l'antisémitisme qu'il
« représente ». Si l'on doit respecter
cette
réaction, on ne saurait la dégrader avec des propos
orduriers,
c'est bien le cas de le dire. Voilà pour l'ordure
qui ne peut
s'appliquer qu'à de tels propos, c'est-à-dire au
livre abject
d'Yves Gosselin.
En revanche, si le mot ne vient pas du livre
de Jean-Pierre Martin,
il
représente parfaitement bien la hargne anticélinienne
qu'il
attise. En tout cas, il ne fait pas de doute que le Céline
« canonisé » sort directement de son
pamphlet. En
effet, sa thèse est précisément que la
critique
célinienne, les célinophiles, les célinomanes
(pour les
amoureux de sa « petite musique »), les
célinistes
et les lecteurs célinifiés sont en train de canoniser
l'antisémite que fut Céline. Tout l'essai conduit
à
cette conclusion qu'on trouve à l'avant-dernière
section, nous
présentant le procès de canonisation d'un
« saint
Céline ». Le pamphlétaire imagine alors la
fable qui
a inspiré Gosselin, celle de la
« conversion » de
Céline qui, après la guerre, aurait renié ses
pamphlets
pour adopter les pensées progressistes issues de la
Résistance.
Cette fable montre les forces et faiblesses de
l'ouvrage. En
effet,
Jean-Pierre Martin écrit fort bien, avec une verve
pamphlétaire
qui ne manque pas d'être incisive, particulièrement
lorsqu'elle
est au service de sa colère et de son indignation. Sa
colère
devant la pensée antisémite et racistes des pamphlets
que
Céline n'a jamais reniée, ni même dans ses
derniers
romans; son indignation de voir les derniers commentateurs et
critiques de
son oeuvre jouer (lui semble-t-il) de l'horreur, de la catharsis et
du pouvoir
de l'Art, oubliant magiquement que cet art est le fait d'un
antisémite.
Bref, devant le racisme ambiant qui est
aujourd'hui le nôtre
et le
rappel des atrocités nazies, Martin pose à l'oeuvre
de
Céline (comme à ses déclarations) les
questions qui
s'imposent. Sa colère et son indignation sont tout à
fait
justifiées. Elles sont malheureusement à fleur de
peau et s'il
avait mieux lu et compris les
« célinophiles », son
dépit et son irritation (de bien-pensant que nous sommes
tous parfois
avec plaisir) auraient fait place à l'horreur, en effet,
notamment
l'aversion de la répugnance, pour s'exprimer
paradoxalement.
C'est ce que j'ai déjà
tenté de traduire dans
la
proposition suivante : le plus grand romancier
français du XXe
siècle a été, est resté et tenait
à
être, tout simplement, un salaud (Polémiques,
1992,
p. 71). La formule peut paraître difficile, puisqu'elle
implique
la conception sartrienne du « salaud », mais au
sens
premier elle dit bien le problème.
Cela signifie que Jean-Pierre Martin ne
s'indigne pas assez et pas
pour les
bonnes raisons, parce qu'il connaît mal et ne
sait pas
apprécier l'oeuvre de Céline. C'est la
simplification. Tout
est simple, simpliste dans son pamphlet. On ne peut pas compter
sur lui
pour prendre
la mesure exacte de la pensée de Céline en la situant
correctement dans l'univers raciste, antisémite et fasciste
où
elle s'est développée, de la France de
l'Entre-deux-guerres
à l'Occupation, avec les persécutions des juifs, les
éliminations, puis la découverte progressive du
programme
d'extermination en cours de réalisation, avec ses horreurs
abominables.
L'analyse commence ici avec l'histoire. Mais
on ne peut pas non
plus compter
sur Jean-Pierre Martin pour l'analyse des oeuvres de Céline.
Là
encore, son pamphlet repose tout entier sur une déplorable
simplification. Pour lui (comme pour Yves Gosselin d'ailleurs),
Céline
est tout bêtement l'auteur de deux ou trois oeuvres
(Voyage au bout
de la nuit, Mort à crédit et
peut-être aussi
Guignol's Band), de « beaux » romans, de
« belles » oeuvres littéraires (de
pensée
toute pure, évidemment). Puis viennent les pamphlets,
c'est-à-dire l'oeuvre
antisémite. Et pour finir, selon lui, Céline
« raconte ses malheurs » (ainsi
désigne-t-il la
trilogie qui ferme l'oeuvre du romancier (avec D'un
château
l'autre, Nord et Rigodon). S'y ajoutent,
à son avis,
les interminables jérémiades où perce partout
l'insupportable pensée antisémite
(c'est-à-dire les
correspondances, les articles et les entrevues, dont l'entrevue
fictive que
sont les Entretiens avec le professeur Y). Enfin,
troisième et
dernière mauvaise évaluation du pamphlétaire,
selon lui
tous ceux qui apprécient et étudient les oeuvres de
Céline se cantonneraient dans l'analyse de son style, des
formes
littéraires et narratives de son oeuvre, pour ne pas voir
ou, pire,
pour cacher son contenu.
Tout cela, malheureusement, est de l'ordre de
la simplification,
voire de
l'ignorance. Il faut dire « malheureusement »,
car tout
serait si simple dans ce cas. D'abord la pensée raciste,
antisémite et fasciste de Louis-Ferdinand Céline ne
saurait
être exagérée, caricaturée et sortie de
son
contexte historique sans qu'on en perde toute la portée
véritable. Ensuite, à l'inverse, il est impossible
de la
dissocier de toute son oeuvre, car elle commence à se mettre
en place
avant le premier roman, avant sa première oeuvre
littéraire (sa
pièce de théâtre, l'Église,
1926), avec sa
thèse de doctorat (1924) et l'idéologie qui
l'entoure. Bien
plus, les quatre pamphlets, qui accompagnent l'oeuvre romanesque,
en font
aussi irrémédiablement partie. Enfin, il faut
comprendre que
cette oeuvre, toute l'oeuvre de Céline, est celle d'un
romancier qui
a radicalement transformé la littérature et qu'il
s'agit, que
cela plaise ou non, du plus grand romancier français du XXe
siècle, produisant une succession de chefs-d'oeuvre, depuis
Voyage
au bout de la nuit (1932) jusqu'à Rigodon (1969,
paru
après sa mort, en 1961), y compris Bagatelles pour un
massacre
(1937), qui tient pourtant du collage de fragments.
Nous connaissons tous au Québec les
thèses simplistes
d'Esther
Delisle qui a « découvert » en Lionel
Groulx et
chez quelques éditorialistes du Devoir de dangereux
fascistes
passibles, aujourd'hui, d'un procès de Nuremberg
rétrospectif.
En France et plus généralement en Europe, la
justicière
aurait eu beaucoup plus de travail et pas mal moins de
succès,
emplissant plusieurs cahiers in-folio de déclarations et
exposés
antisémites dont elle a trouvé ici quelques exemples
qu'on sait
depuis toujours avoir été un aspect très
marginal et en
même temps très général de la
pensée des
intellectuels et politiciens nationalistes (et plus
précisément
« corporatistes ») du Canada français.
Justement,
si Louis-Ferdinand Céline n'avait été qu'un
quidam, parmi
la masse des citoyens français qui partageaient plus ou
moins les
idées fascistes et antisémites qui se
développaient
alors, les indignations de Jean-Pierre Martin seraient tout
à fait de
mises, même si le citoyen Destouches dit Céline avait
été un romancier comme tant d'autres, voire un
romancier
important comme il y en a tant, c'est-à-dire un romancier
pour toujours
secondaire. Le problème, le scandale, ce qui est proprement
épouvantable, incroyable (d'où cet insoutenable
trouble dû
à l'aversion de la répugnance), c'est
précisément
qu'il s'agit de Céline, le plus grand romancier
français du XXe
siècle, celui qui a changé pour toujours la face de
la
littérature à partir de la publication de Voyage
au bout de
la nuit, avec la récidive de Mort à
crédit,
puis avec toute son oeuvre.
Il ne faut pas beaucoup de culture
littéraire pour savoir
cela et il
ne faut pas non plus beaucoup de goût littéraire pour
s'en
assurer. Il suffit de lire l'oeuvre de Céline et d'en
apprécier
l'influence considérable aussi bien sur la
littérature
française que dans tout le monde occidental pour en avoir la
preuve et
en faire l'expérience. Or, c'est ce qui manque à
Jean-Pierre
Martin. Il ne connaît ni ne sait apprécier l'oeuvre
du
romancier. Alors, évidemment, tout devient facile. Le
romancier n'est
plus qu'un nom et ses oeuvres des abstractions. Il est alors fort
simple et
pour tout dire très satisfaisant (c'est le plaisir du
pamphlétaire) de vouer le romancier à sa
détestation,
d'afficher son indignation et ses bons sentiments.
D'où la jouissance perverse du
romancier Gosselin : quel
plaisir de
détester un crétin, celui qu'on sort du pamphlet de
Martin, le
simplifiant encore, pour en faire le bouffon d'une sinistre farce,
afin de le
haïr encore mieux. C'est là l'effet libérateur
de
l'ignorance et de la simplification outrancière, et on
serait heureux
pour lui qu'il en soit ainsi, n'était le discours
antisémitisme
produit en même temps pour amuser sa fureur, pour s'amuser.
Ainsi en
va-t-il finalement du manque de culture.
6. Péritexte
éditorial
La page de couverture porte la mention
« roman », mais pas
la page de titre.
En quatrième de couverture, le
narrateur est
identifié sous le
nom d'Abel Morandon (croisement d'Abel Bonnard et de Georges
Montandon). Son
nom pourtant ne vient nulle part dans le texte
(jamais le narrateur ne se nomme ou n'est nommé par les
interlocuteurs
dans les propos d'eux qu'il cite). Cela signifie que ce texte
publicitaire
est une rédaction d'Yves Gosselin ou plus probablement
utilise un texte
de lui, un premier jet revu par l'éditeur. En effet, comme
cette page
comprend la photographie de l'auteur et une notice sur lui, il faut
en
conclure que le texte publicitaire qu'on y lit est une
rédaction de
l'auteur acceptée et complétée par
l'éditeur.
Pour eux, le roman est évidemment
anticélinien
(Céline,
« mythe littéraire et ordure
canonisée »)
et constituerait un « coup de poing au visage du lecteur
[sic], qui
a[urait] l'effet d'un véritable
électrochoc »,
c'est-à-dire qu'il dénoncerait l'antisémitisme
et le
scientisme de l'idéologie fasciste.
De bien bonnes intentions...
7. Réception
critique
|
28 septembre 2003, Dany Laferrière - [0],
[9]
18 octobre 2003, Louis Hamelin - [1]
23 octobre 2003, Guy Laflèche - [2]
14 décembre 2003, Guy Laflèche - [2a]
Décembre 2003, Marc Laudelout, - [3]
27 décembre 2003, Christian Desmeules - [4]
29 janvier 2004, Éric Paquin - [5]
13 mai 2004, Christian Vachon - [6]
Automne 2004, André Brochu - [7]
Mars-avril 2005, Catherine Mavrikakis - [8]
|
Brochu, André - [7]
Desmeules, Christian - [4]
Hamelin, Louis - [1]
Laferrière, Dany - [0],
[9]
Laflèche, Guy - [2],
[2a]
Laudelout, Marc - [3]
Mavrikakis, Catherine - [8]
Paquin, Éric - [5]
Vachon, Christian - [6]
|
[0] Dany Laferrière,
« La haine à l'état pur », la
Presse, 28 septembre 2003.
Dans la réception critique du roman, ce
premier texte sur Discours de réception occupera
toujours la dernière place, tout simplement parce qu'il aura
été la face cachée de l'affaire Gosselin,
comme on le verra pour finir.
[1] Louis Hamelin,
« Vichy au
régime »,
le Devoir (Montréal), « Cahier des
Livres », 18 octobre 2003, p. F3.
Le présent dossier commence par une
réplique à ce compte
rendu. C'est le texte suivant, adressé au Devoir
le 23 octobre 2003.
[2] Guy Laflèche,
« Ce livre est une
ordure ».
Dossier internet publié le
25 octobre
2003 à l'adresse suivante :
http:_//_www.mapageweb.umontreal.ca/lafleche/po/gos.html
maintenant à — http://www.Singulier.info/po/go/
L'adresse de Guy Laflèche était
et reste celle du département
des littératures de langue
française de l'Université de
Montréal et son adresse électronique,
< guy.lafleche@umontreal.ca >.
Cette réplique refusée par le Devoir est la
première pièce de ce qui deviendra peu à peu
le dossier du même titre, pour s'intituler ensuite
« Scandale aux abysses », qui constitue
un chapitre du second volume de Polémiques
(vol. 1, Laval, Singulier, 1992). C'est maintenant le
présent livre électronique : Scandale aux
abysses : l'affaire Gosselin.
[2a] Guy Laflèche,
« Reportage publicitaire,
Communiqué des Éditions du Singulier :
Un
professeur de littérature de l'Université de
Montréal
dénonce le concours du "Prix des collégiens" de la
Fondation
Marc Bourgie », publicité dans la Presse
(Montréal), 14 décembre 2003, « Cahier
Lectures »,
p. 5.
On trouve ici le texte
de ce communiqué.
[3]Marc Laudelout,
« Anticélinisme primaire », le
Bulletin célinien, vol. 22, no 248,
décembre
2003, p. 15.
Cette dénonciation auprès des
spécialistes a été tout de suite reproduite
ici, avant même d'être imprimée.
[4] Christian Desmeules,
« Journal d'une
ménagère à Auschwitz », le
Devoir
(Montréal), « Cahier des Livres »,
27 décembre 2003,
p. E7.
Un nouveau chapitre du dossier (soit justement
le présent fichier)
s'ouvrait par la
réplique à ce prétendu compte
rendu, avant même d'avoir lu le roman. On la trouve
aujourd'hui avec les autres réactions
critiques : « Fin de la
parenthèse et retour aux fumées
d'Auschwitz ».
— Christian Desmeules et la
crédibilité du Devoir :
Comme on le voit à mon compte rendu, je ne trouve
pas une seule
qualité de
quelque sorte que ce soit au premier roman d'Yves Gosselin.
Quelles
qualités lui trouve donc Christian Desmeules ? Il
propose
simplement
au lecteur du Devoir un résumé
« laudatif » du roman. Deux petites phrases
impliquent
un
prétendu « sens second » :
« le
Jardin
du commandant met le doigt sur toutes les
lâchetés, les
petites
et les grandes »; « l'auteur nous brosse le
portrait
intime
de cet "envoûtement collectif" (sic) auquel des
millions
d'Allemands ont
consenti durant ces années noires ». Quelles
lâchetés ? Quel aveuglement ou
« envoûtement
collectif » (sic !) ? Absolument aucune
« lâcheté » ni aucun
« envoûtement » n'est
dénoncé par Yves
Gosselin dans sa tartine romanesque, on l'a vu. Tout le
reste,
absolument tout le compte rendu de Christian Desmeules est de
l'ordre du
servile
résumé.
Non seulement on n'y trouve pas la moindre
critique, mais pour bien
dire le
compte
rendu fait la preuve de la totale absence de jugement du
chroniqueur du
Devoir, qui devrait en être discrédité
aux yeux des
lecteurs du journal.
En effet, maintenant que j'ai lu le premier
roman d'Yves Gosselin,
je pense
qu'une
conclusion s'impose :
le compte rendu de Christian Desmeules est inacceptable. Il est
surtout
indigne du Devoir, sans même prendre en
considération
qu'il a été commandé et rédigé
à des
fins elles-mêmes indignes de journalistes. En tout cas, il
suffit de
le relire pour en être profondément
choqué : « Auschwitz, septembre 1943.
L'histoire... ».
[5] Éric
Paquin, « Camp
de
vacances », Voir (Montréal),
29 janvier 2004,
p. 26.
La brève réaction de lecture
porte sur les deux
romans d'Yves
Gosselin, dans l'ordre de leur parution, sur
le
Jardin du commandant d'abord, sur Discours de
réception
ensuite, et l'ensemble des deux romans en ouverture et en fermeture
de
l'article.
— Sur le Jardin du commandant
:
En ce qui concerne le premier, le critique
résume
tout
bonnement la situation romanesque, sauf sur un seul point,
l'inconscience ou
l'ignorance de la narratrice. À ce sujet, il reprend et
développe ce
qu'il attribue à l'« auteur »,
c'est-à-dire
au narrateur de l'avant-propos qui présente le livre et le
roman (les
deux) comme si l'oeuvre et ses personnages appartenaient à
la
réalité. Il s'agit, on l'a vu, non pas de l'auteur
Yves
Gosselin, mais manifestement d'un narrateur qui ne sait pas lire ou
écrire, puisqu'il invente purement et simplement une
problématique qui n'existe nulle part dans l'oeuvre.
À lire le
mauvais
et invraisemblable « roman » attribué
à Anna Schwartz il est parfaitement clair qu'elle ignore
complètement la nature du camp d'Auschwitz. Il faut tout de
même
savoir lire et s'en tenir au texte : il n'y a pas une ligne,
pas un mot
du récit attribué à Anna qui pourrait
même de loin
correspondre à une fable sur l'ignorance volontaire du
peuple allemand,
comme le prétend faussement (et de manière insultante
pour les
Allemands) l'avant-propos.
Là-dessus, Éric Paquin nous
développe un bel
exposé théorique sans aucun rapport avec le texte du
roman : « une inconscience désarmante, sinon
scandaleuse », « le fonctionnement d'une
certaine forme
d'ignorance », « une ignorance assumée,
contraire
de l'innocence morale, et fondée sur le désir profond
de ne pas
savoir ». Désolé, mais cela ne se trouve
nulle part
dans le roman, sauf dans les intentions vraisemblables de l'auteur
et les
déclarations invraisemblables de l'avant-propos. Cette
problématique n'est ni exposée ni mise en forme de
quelque
manière que ce soit dans le roman : c'est une pure
invention
d'Éric Paquin.
Même chose, et bien pire, en ce qui
concerne
l'« horreur » qui naîtrait selon
Éric Paquin
de l'ignorance de la pauvre femme et des connaissances du lecteur,
les
atrocités nazies d'Auschwitz. Ce n'est pas vrai. Il n'y a
là
absolument aucune expression critique, bien au contraire, mais un
charmant jeu
narratif très amusant auquel un lecteur comme Éric
Paquin est
convié. Et là est l'horreur, justement, dans la
totale
insensibilité dont font preuve l'auteur Yves Gosselin, comme
on le sait
déjà, et son lecteur, puisque c'est vraiment le cas
d'Éric Paquin. Pour un « lecteur
avisé »
comme lui, il s'agit d'un roman « à lire avec
circonspection ». Quelle horreur : il ne comprend
pas qu'il
s'agit d'un livre infect qui se propose d'amuser des lecteurs comme
lui avec
les horreurs mêmes d'Auschwitz. Au contraire. Charmant
compte rendu
d'un livre amusant.
— Sur Discours de
réception :
Le critique présente sommairement la
situation narrative du second roman.
Malheureusement, la phrase qui sert de conclusion à cet
exposé
est tout à fait inexacte : « La charge
contre l'auteur
de Mort à crédit occupe ainsi tout le
livre ».
Ce n'est pas vrai. Le bon sens le plus élémentaire
dit que le
personnage auquel on donne le nom de Céline dans ce roman
n'a rien
à voir avec Louis-Ferdinand Destouches dit Céline,
surtout pas
l'auteur de Mort à crédit, c'est-à-dire
le
romancier. Il ne peut donc y avoir dans le livre de Gosselin de
charge contre
Céline puisque Céline ne s'y trouve pas et qu'on n'y
trouve
aucune critique. À tel point qu'on pourrait hésiter
à
qualifier l'ouvrage d'anticélinien, tant ce
Céline-là,
ce personnage de grossier bouffon, n'a aucun rapport avec l'homme
que fut
Destouches.
En tout cas Éric Paquin n'est pas du
tout choqué de
voir ainsi
outrager grossièrement et gratuitement la personne de
Louis-Ferdinand
Céline. Il semble pourtant que tout homme devrait avoir
droit au
respect de sa personne, de son nom et de son oeuvre. Qu'il devrait
être
moralement interdit de bafouer une personne humaine sous
prétexte de
fiction, surtout en lui prêtant sans raison des propos
insanes,
grossiers et dégradants.
Par ailleurs, le « lecteur
avisé »
devrait
comprendre, d'après notre critique, qu'Yves Gosselin est un
« pourfendeur de la politique et des exactions
nazies »,
qu'il se livre à une « parodie du discours
antisémite » et que son ouvrage est une
« dénonciation de cette catastrophe
historique »
que furent les camps d'extermination. Comme on le voit,
Éric Paquin
est un lecteur aussi avisé qu'intelligent qui a parfaitement
compris
ce que voulait faire Yves Gosselin. Et notre très
sensible
critique frémit à l'idée que des lecteurs
moins
intelligents et avisés que lui puissent ne pas comprendre
que nous
sommes ici dans le burlesque et la parodie : « on
ne peut
toutefois s'empêcher de penser à la lecture que
pourraient faire
certaines personnes de Discours de
réception... ».
Je pense qu'on peut rassurer notre critique. Il faudrait vraiment
être
un imbécile pour ne pas comprendre les innocentes et
naïves bonnes
intentions d'Yves Gosselin. On n'a pas besoin des textes
éditoriaux
(quatrième de couverture, dédicaces et exergues) pour
comprendre
qu'Yves Gosselin n'est pas antisémite et pense combattre
l'antisémitisme.
Malheureusement, les bonnes intentions ne
suffisent pas :
aussi
Éric Paquin ne nous présente-t-il pas le mauvais
roman, mais
bien les
bonnes intentions de son auteur, ce qui n'est pas la même
chose. En
réalité, personne ne saurait trouver dans Discours
de
réception la moindre critique de l'antisémitisme,
ni
évidemment comme idéologies ou systèmes de
pensées
(qui varient considérablement selon les pays et les
époques),
ni non plus dans ses comportements et ses discours, ses actions et
ses
conséquences (qui varient encore plus). Pire, pire, il faut
le
répéter : cette prétendue parodie
burlesque du
prétendu discours « antisémite »
est une
édulcoration qui, par sa logorrhée même, est
profondément antisémite. Pour dire les choses
simplement, un
discours antisémite n'a jamais ni n'aura jamais rien
à voir avec
ce vulgaire discours où le lecteur est convié
à venir
amuser sa haine.
Et le moins que l'on puisse dire est
qu'Éric Paquin ne s'en
est ni
formalisé, ni scandalisé. Et ce n'est pas parce
qu'il a les
nerfs solides, mais tout bonnement parce qu'il est totalement
insensible
à l'antisémitisme, celui du livre d'Yves Gosselin
qu'il a lu
placidement en « lecteur avisé ».
Quelle horreur.
[6] Christian Vachon,
« Et si on parlait de l'autre
Céline », le Libraire (Québec,
bimestriel gratuit de « librairies
indépendantes »), no 22, 13 mai 2004, article
consulté en version html au Portail du livre au
Québec.
Christian Vachon présente trois
ouvrages récents sur Céline, alors en librairie, dont
ceux de deux passionnés, l'un de ses livres — ses
livres sur Céline — (Émile Brami,
Céline, Paris, Écriture, 2003), l'autre de
son époux (Lucette Amalzor Destouches, Céline
secret, Paris, Grasset, 2001, 2003). Les deux premiers
alinéas de l'article concernent le Discours de
réception.
L'article présente d'abord de
manière rigoureusement exacte le contenu du livre d'Yves
Gosselin, c'est-à-dire la situation narrative, mais
également son style (discours d'un académicien au
« style bien compassé »). Impossible de
faire mieux en moins de dix lignes.
Suit, au second alinéa, un jugement
critique d'une parfaite rigueur qui encadre une évaluation
tout à fait favorable sur l'éventuelle
création d'un portrait
abouti de Céline en amoureux des animaux, de la danse et des
bateaux pour représenter le « destin de ce
Céline pamphlétaire triomphant du
romancier » (Christian Vachon, on le voit en ce tour de
phrase, écrit remarquablement bien). La
critique est bien entendu défavorable d'abord et avant tout
parce que le portrait ainsi dressé de Céline en
hygiéniste pétainiste est totalement faux tandis que
l'ensemble tourne au grotesque.
Je ne recopie pas ce petit texte qu'on
trouvera facilement sur l'internet, mais j'en cite les deux
dernières phrases qui concernent directement notre
sujet : « On éprouve surtout un embaras en ne
parvenant pas à considérer que cette louange de
l'antisémitisme n'a des fins qu'uniquement caricaturales.
Mais cela mérite-t-il à cet ouvrage d'être
envoyé au pilori ? ».
D'abord, je voudrais faire remarquer au
libraire que ses trois derniers mots sont un court-circuit :
si j'ai en effet cloué l'ouvrage au pilori, ce que j'ai
demandé, c'est qu'on l'envoie au pilon. Ce n'est pas
à un libraire que je vais apprendre que ce sont deux
opérations bien différentes, quoique parfois
complémentaires. Certes, la conclusion de Christian Vachon
paraît toute naturelle, puisqu'il explique finement en moins
de vingt lignes qu'il s'agit d'un roman sans intérêt
qui n'a que des défauts, mais pour conclure qu'il n'y a pas
là de quoi fouetter un chat, puisqu'on n'y trouve qu'une
insignifiante caricature. Eh bien non ! On n'a pas
moralement le droit de caricaturer l'antisémitisme, et il y
a quelque chose d'irresponsable à
« vendre » ce livre, serait-ce avec un compte
rendu admirable.
P. S. — J'ajoute, à tout hasard,
que Stanley Péan est le
rédacteur en chef de la revue le Libraire. On sait
qu'il a refusé d'entrer en contact avec
moi tout au long de l'affaire Gosselin en 2003-2004. Stanley
Péan a-t-il demandé ou suggéré à
Christian Vachon de
traiter du livre de Gosselin ? Est-il pour quelque chose dans
la dernière phrase de son article ? Est-ce lui qui
a signalé au critique l'existence de mes fichiers internets
à ce
sujet ? — Le porte-parole du Prix des collégiens
2004 n'a jamais rien
écrit à ce sujet, Christian Vachon, oui. Une phrase
de dix mots, c'est déjà ça, même si la
justification est inacceptable.
[7] André
Brochu, « Le
fascisme fictif », première section du compte
rendu intitulé « Idéologie et
vérité romanesque » portant sur trois
romans d'Yves Gosselin, France Théoret et André
Dandurand, Lettres québécoises, no 115,
automne 2004, p. 17-18.
Le chapeau de l'article présente le
dénominateur commun des trois romans :
« Après une longue absence, l'idéologie
semble faire un retour en littérature, sans doute dans la
foulée des guerres plus ou moins saintes et des attentats
terroristes récents. Verrons-nous bientôt la fin de
l'intimisme individualiste ? ». Comme toujours,
c'est dans une très vaste perspective que l'essayiste
André Brochu situe son compte rendu des trois romans, celle
dans laquelle il a déjà situé par exemple
l'oeuvre romanesque de Michel Tremblay (Rêver la lune,
Montréal, HMH, 2002, notamment p. 27-34). Les trois
romans représentent en effet le renversement de
l'introspection en exploration des
« extérieurs » historiques ou
géographiques. Tel est
pour lui (et on peut bien le lui accorder) l'intérêt
et le seul de la « dissertation à peine
déguisée » (p. 18a) d'Yves Gosselin,
soit d'être le premier roman
québécois à tenter de s'approprier un sujet
essentiel de l'histoire contemporaine, le judéocide nazi.
Mais la conclusion de la présentation
est simple, le livre est raté. C'est un navet.
« Quant à
l'humour, allégué en quatrième de couverture,
il est trop noir, trop bête, trop laborieux pour susciter
d'autre
réaction que la stupeur » (p. 17b). Dans ces
conditions, ce qu'on peut reprocher au compte rendu d'André
Brochu, c'est de ne pas dire ce qu'il
laisse le soin à son lecteur de conclure, que ce livre
n'aurait jamais dû être écrit et encore moins
publié. — Pour moi, un compte rendu même tout
à fait défavorable comme celui-ci est encore trop
complaisant. La
stupeur ne suffit pas, qui laisse pantois, là où la
rédaction et la publication devraient susciter
l'indignation.
[8] Catherine Mavrikakis,
« Tu ne rêveras
point... », compte rendu du Jardin du commandant
d'Yves Gosselin, Spirale (Montréal), no 201,
mars-avril 2005, p. 14-15.
Le papotage du « lecteur » de
Catherine Anna Schwartz Mavrikakis sur Auschwitz
Je l'ai écrit noir sur blanc et en
voici la fulgurante confirmation : le Jardin du
commandant est un livre d'abrutis. Le roman a donc
complètement abasourdi Catherine Mavrikakis qui, abrutie,
nous sert à son tour un compte rendu d'abrutis. Il faut
dire que nous sommes ici dans le monde merveilleux de la critique,
la critique littéraire journalistique, à mille lieues
des études
littéraires, qui sont de l'ordre de l'analyse scientifique.
Les études stylistiques, narratives et thématiques,
avec les diverses approches historique, sociologique,
idéologique, psychologique ou même transculturelle
(voire nationale) des oeuvres littéraires, les
décrivent de manière rigoureuse. La critique
littéraire, elle, est par définition de l'ordre du
discours romantique où le critique (le critique) nous
parle de lui, forcément sans esprit critique, à
propos des autres, des auteurs (d'oeuvres littéraires).
Catherine Mavrikakis nous parle donc d'elle-même à
propos des idées de l'auteur d'un roman qu'elle a beaucoup
aimé, un navet.
Bien entendu, le propre des abrutis, c'est de croire
que nous le sommes tous, un pour tous. Cela donne lieu dans la
merveilleuse critique littéraire du Jardin du
commandant dans Spirale à une incroyable prise
d'otages où nous sommes tous tels,
« lecteurs » du roman. Voilà donc un
tout nouveau personnage.
J'ouvre une longue parenthèse (suite
à l'observation suivante : il n'y a pas de
« lecteur », car il n'y a pas de narrataire
dans ce roman). D'accord, il est possible de considérer que
celui qui ne signe pas l'avant-propos est un lecteur du
« document » (« ce livre »,
comme on le lit à l'ouverture de l'avant-propos) qu'il nous
présente, même s'il peut nous donner des informations
inédites sur les personnages, Anna et Hans Schwartz, pour
parler inopinément, au premier mot du dernier alinéa,
du « roman », de sorte qu'il se
révèle en être
l'« auteur », c'est le
« romancier ». — Mais je crois que c'est
là une faute de rédaction de l'auteur
véritable, Yves Gosselin, puisqu'un
« auteur » ne peut parler de ses personnages
comme s'il s'agissait d'individus réels, tandis que le
« romancier » ne peut faire le contraire,
c'est-à-dire traiter son roman de roman ! sauf bien
entendu à jouer de la mise en abîme, ce qui est
impossible dans ce roman-là. Il suit que Catherine
Mavrikakis n'a pas lu correctement l'affaire, puisqu'elle nous
présente la chose comme un avant-propos d'Yves Gosselin en
personne (« L'écrivain a pris soin dans son
avant-propos
de bien expliquer... »; « Ce
roman, insiste Yves Gosselin », p. 15a). Or,
Yves Gosselin ne peut pas être ce personnage, même si
l'auteur de ces lignes anonymes, qui nous présente un
« document », finit par le qualifier de
« roman ». C'est une faute de lecture de voir
dans cet avant-propos romanesque, un avant-propos du roman.
Quand on rédige un avant-propos, une préface ou une
note liminaire à l'oeuvre, on s'identifie comme son auteur,
on la « signe », et généralement
on la date. Il y a là deux genres différents qu'Yves
Gosselin et, après lui, Catherine Mavrikakis ont confondus,
prenant le premier pour le second ou ne sachant pas les
distinguer : les avant-propos de Breton à Nadja
ou de Robbe-Grillet au Régicide (signés et
datés), n'ont bien entendu aucune commune mesure avec les
avant-propos romanesques des Liaisons dangereuses ou de
Manon Lescaut, comme c'est le cas ici du Jardin du
commandant. Pas besoin d'avoir fait de longues études
littéraires pour comprendre cela, qui tombe sous le sens.
D'ailleurs, qui donc signerait autant
d'insultes gratuites au peuple allemand que Catherine Mavrikakis a
pourtant le front de reprendre à son compte ?
« Ce sont donc tous les Allemands et tous les
Européens, écrit-elle, qui sont potentiellement (?)
représentés dans le personnage cliché d'Anna
Schwartz, mais c'est aussi tout complice virtuel d'un silence, de
la dénégation, pointé du doigt à
travers le texte... » [et patati et patata]
(p. 15a). On n'a pas le droit d'accuser ainsi
péremptoirement les Allemands, les Européens de
« silence virtuel » (sic), d'avoir
été des « complices ». Il me
semble qu'il y a des limites à la sotte
généralisation.
Aussi bien le demander tout de suite,
puisqu'on y
est déjà : est-ce qu'Yves Gosselin et Catherine
Mavrikakis pourraient nous présenter ne serait-ce qu'une
seule Allemande, épouse d'un S.S. d'Auschwitz, comparable
à Anna Schwartz ? Bien sûr que non. Pourtant,
les S. S. d'Auschwitz avaient bien des épouses, mais il
faudrait être imbécile et irresponsable pour les
imaginer en stupide tête de linotte, en déclarant
par-dessus
le marché qu'il s'est trouvé
« à l'époque des millions d'Allemands comme
Frau Schwartz pour faire comme si tout cela [la Shoah]
n'était pas et ne pouvait exister » (le
Jardin, p. 18, cité p. 14c-15a). Voilà
pour la thèse du « roman à
thèse » !
Mais le plus grave, c'est la prise d'otages du
« lecteur ». Il me semble qu'il y a
quelque chose de retors à faire croire que « le
lecteur » peut endosser les impressions, les
idées, les jugements, les sentiments de la lectrice
Catherine Mavrikakis, qui devrait au moins se contenter de parler
pour elle-même et à la première personne,
surtout dans le cas extrême de « critique
littéraire » où l'on tient un discours
romantique sur soi-même.
Voici donc les diverses occurrences où les
(supposés) lecteurs du roman sont mis en scène
par Catherine Mavrikakis. Je commente, ici et là, entre
crochets quelques-uns de ces extraits. Le reste est de l'ordre de
la citation littérale.
|
(1) Sous la banalité pas du tout innocente d'un titre
bucolique [l'adjectif est pris du roman, p. 19], se terre le
dispositif d'un silence qu'on ne peut, complètement et
malgré tout, tenir coi, qui vient décider de ces
pages habitées par un malaise parfois insoutenable, celui
du lecteur (p. 14a).
(2) Si Anna Schwartz, [et patati, et patata], on comprendra
l'épouvante qui peut nous saisir à la
lecture de cette narration dont nous connaissons
d'avance le
dénouement et le secret atroces (p. 14a).
(3) Si Anna Schwartz [et patati et patata], le lecteur ne
peut que lire, derrière toutes les petites banalités
de la vie de cette femme, l'immensité de l'horreur nazie et
le refus de conférer à celle-ci une place dans le
discours quotidien (p. 14a).
(4) Le déni [sic] intolérable [sic] d'Anna Schwartz
de voir, d'entendre ce qui se passait à côté de
chez elle [où donc Catherine Mavrikakis voit-elle que la
pauvre tête de linotte a jamais refusé de voir,
d'entendre quoi que ce soit ? Catherine Mavrikakis a beaucoup
d'imagination; je ne pense pas qu'elle ait jamais lu le même
roman que moi] ce que son mari lui cachait [la nonoune, car il
s'agit d'une tête de linotte], constitue
l'intérêt [un déni qui n'existe pas, une
tête de linotte, voilà qui constitue de
l'intérêt, l'intérêt] de ce texte de
Gosselin qui force le lecteur à toujours
réécrire le roman, à créer un
palimpseste et à interpréter les mots de Schwartz
afin d'y rétablir la vérité, l'effroi et la
haine larvée (p. 14a). — [Franchement ce doit
être un très gros travail que d'être
forcé de réécrire tout un roman, créer
un palimpseste et interpréter les nonouneries d'Anna
Schwartz ! Catherine Mavrikakis exagère, je
crois : personne ne peut se lancer dans un tel travail
palimpsestique, surtout pas pour rétablir rien de moins que
« la vérité, l'effroi et la haine
larvée ». Je doute même que Catherine
Mavrikakis se soit elle-même livrée à ce fameux
palimpseste. Elle en a fait un petit texte pour Spirale, ce
qui n'est pas rien, il faut bien l'avouer].
(5) Le lecteur est totalement atteint par ce roman où
il doit faire sans cesse un travail de relecture, où il ne
peut jamais être en paix avec la parole de la narratrice et
où il se fait violence pour ne pas se laisser aller à
la vie tranquille d'Auschwitz, pour ne pas se laisser berner par
l'apparence catastrophique d'un « je ne sais rien et cela
ne
me regarde pas » (p. 14b).
(6) L'effet de ce roman sur celui qui en accepte la folie est
très fort. Le dispositif narratif permet de saisir comment
il était à la fois possible et impossible de vivre
sous le régime nazi dans la proximité avec
l'Holocauste sans se rendre compte du pire, sans savoir quoi que ce
soit. C'est cette possibilité impossible, cette possible
impossibilité à laquelle le lecteur doit faire
face dans le jeu pervers que le roman mène admirablement et
sans relâche. Le lecteur a envie de crier sans cesse
la vérité pour se la rappeler à lui-même
ou pour tenter de sortir de l'effrayante banalité des
scènes rapportées par Anna Schwartz dans son
autoportrait de femme normale menant une vie tout à fait
ordinaire. Ce livre veut prouver quelque chose en faisant du
lecteur l'otage d'une certaine démonstration
(p. 14c).
(7) Ce sont donc tous les Allemands et tous les Européens
qui sont potentiellement représentés dans le
personnage cliché d'Anna Schwartz, mais c'est aussi tout
complice virtuel d'un silence, de la dénégation, qui
est pointé du doigt à travers le texte, puisqu'il est
possible pour le lecteur tout au long de l'histoire de faire
comme si rien n'avait tout à fait lieu à Auschwitz
(p. 15a).
(8) Jusqu'où peut-on croire la narratrice, la suivre dans la
mauvaise foi de ses propos ? C'est la question qui ne cesse de se
poser à l'« insu » du personnage et qui
terrifie
le lecteur (p. 15a).
(9) De même, l'épilogue qui ferme le livre et qui
comporte une lettre du commandant lui-même à sa femme
Anna, très, très longtemps après la guerre,
rétablit d'une certaine façon la vérité
d'Auschwitz et constitue pour ainsi dire un aveu de
l'Haupsturmführer, Hans Schwartz, à son épouse
et au lecteur (p. 15a). — [Là, d'accord,
il s'agit d'une simple bourde : je ne pense pas que Hans
Schwartz s'adresse au « lecteur » du roman].
(10) Le lecteur restera seul avec son savoir sur la
vérité d'Auschwitz. Il fermera le livre sur un aveu
qui ne peut avoir lieu (p. 15b).
(11) Le Jardin du Commandant est truffé de
rêves faits par Anna à Auschwitz, de rêves
qu'elle ne comprend pas, qui la troublent et que le lecteur
peut lire comme espace de vérité, de
dévoilement crypté pour le personnage (p. 15c).
— [Excusez-moi de cette remarque, mais lorsqu'on en est rendu
à dire que « le lecteur peut lire », je
commence à trouver cela vraiment bizarre. C'est vrai que
depuis le début, le lecteur en question devait
« lire » beaucoup de chose que je n'ai, moi,
jamais lu dans ce roman. Enfin, voilà quelque chose que le
« lecteur peut lire », mais je
m'inquiète, s'agissant de lire « comme
espace de vérité, de dévoilement crypté
pour le personnage » je ne sais plus trop quoi. Ah oui,
des rêves].
— [Il ne sera pas inutile d'ajouter (puisque le lecteur,
apparemment, « peut les lire ») qu'il n'y a
aucun récit de rêve dans ce roman. Le
mot n'y vient même pas une seule fois, ni l'idée non
plus (à peine arrive-t-il à Hans de parler en
dormant : le comptable compte, ce qui est vraiment très
subtil ! comme toujours dans ce roman). Les rêves d'Anna
sont donc une pure
invention de Catherine Mavrikakis. Pourquoi ? Pour plaquer
dans son texte ses belles réflexions sur le livre de
Charlotte Beradt ? Je ne vois pas d'autre explication
à l'invention. Ah ! ces critiques
littéraires : voyez le beau titre spiralien de son
compte rendu].
(12) C'est cette mise en scène de l'inconscient d'Anna
Schwartz comme scène encore intime, personnelle à
l'heure d'Auschwitz, l'heure sans sommeil, sans
individualité et sans rêve, qui donne au
lecteur la pleine mesure des atrocités qu'a commises
cette femme innocente (p. 15c).
— [Jamais de récit de rêve dans ce roman, je le
répète; même le mot ne
s'y trouve pas].
(13) De cela, des rêves d'une Anna à Auschwitz, le
lecteur du Jardin du
commandant ne se remettra pas (p. 15c, [derniers mots de
l'article]).
— [Jamais...].
|
|
Bien sûr tout cela est invraisemblable,
complètement faux et souvent, disons-le, un peu stupide.
Prenons au hasard l'extrait du milieu, le septième :
« il est
possible pour le lecteur tout au long de l'histoire de faire
comme si rien n'avait tout à fait lieu à
Auschwitz » ! Vraiment ? Un parfait abruti,
oui : il suffit, en effet,
de remplacer toutes les occurrences du
« lecteur » que je souligne dans ces extraits
par le bon mot, « abruti »
(« l'abruti qui lit et continue de lire jusqu'à la
fin ce roman d'abrutis »), qui convient partout, pour en
faire la preuve. En tout cas, il faut au moins mettre tout cela au
singulier et au féminin, soit « la
lectrice », pour comprendre le sens exact de ces
affirmations surprenantes. Il s'agit là d'un tout simple
désengagement personnel, si je puis dire. Catherine
Mavrikakis, dans sa « critique
littéraire » ne mène aucune analyse, ne
propose aucune description rigoureuse du roman : elle parle
d'elle, tout bonnement, en lectrice du Jardin du commandant,
mais ce qu'elle en dit, elle l'exprime de la part de son
« lecteur ». Réécrit
correctement, cela donne les
affirmations suivantes, toutes simples et concordantes,
consternantes.
Relisons-les, et cette fois sans aucun commentaires.
|
(1) Sous la banalité pas du tout innocente d'un titre
bucolique, se terre le dispositif d'un silence que je ne peux,
complètement et malgré tout, tenir coi, qui vient
décider de ces pages habitées par un malaise parfois
insoutenable, le mien.
(2) Si Anna Schwartz, [et patati, et patata], on comprendra
l'épouvante qui a pu me saisir à la lecture de cette
narration dont je connaissais d'avance le dénouement et le
secret atroces.
(3) Si Anna Schwartz [et patati et patata], je n'ai pu que lire,
derrière toutes les petites banalités de la vie de
cette femme, l'immensité de l'horreur nazie et le refus de
conférer à celle-ci une place dans le discours
quotidien.
(4) Le déni intolérable d'Anna Schwartz de voir,
d'entendre ce qui se passait à côté de chez
elle, ce que son mari lui cachait, constitue l'intérêt
de ce texte de Gosselin qui m'a forcée à toujours
réécrire le roman, à créer un
palimpseste et à interpréter les mots de Schwartz
afin d'y rétablir la vérité, l'effroi et la
haine larvée.
(6) L'effet de ce roman sur moi, qui en ai accepté la folie,
a été très fort. Le dispositif narratif m'a
permis de saisir comment il était à la fois possible
et impossible de vivre sous le régime nazi dans la
proximité avec l'Holocauste sans se rendre compte du pire,
sans savoir quoi que ce soit. C'est cette possibilité
impossible, cette possible impossibilité à laquelle
j'ai dû faire face dans le jeu pervers que le roman
mène admirablement et sans relâche. J'avais envie de
crier sans cesse la vérité pour me la rappeler
à moi-même ou pour tenter de sortir de l'effrayante
banalité des scènes rapportées par Anna
Schwartz dans son autoportrait de femme normale menant une vie tout
à fait ordinaire. Ce livre veut prouver quelque chose en
faisant de moi l'otage d'une certaine démonstration.
(7) Ce sont donc tous les Allemands et tous les Européens
qui sont potentiellement représentés dans le
personnage cliché d'Anna Schwartz, mais c'est aussi tout
complice virtuel d'un silence, de la dénégation, qui
est pointé du doigt à travers le texte, puisqu'il
était possible pour moi tout au long de l'histoire de faire
comme si rien n'avait tout à fait lieu à
Auschwitz.
(8) Jusqu'où peut-on croire la narratrice, la suivre dans la
mauvaise foi de ses propos ? C'est la question je n'ai cessé
de me poser à l'« insu » du personnage et qui m'a
terrifiée.
(9) De même, l'épilogue qui ferme le livre et qui
comporte une lettre du commandant lui-même à sa femme
Anna, très, très longtemps après la guerre,
rétablit d'une certaine façon la vérité
d'Auschwitz et a constitué pour ainsi dire un aveu de
l'Haupsturmführer, Hans Schwartz, à son épouse
et à moi-même.
(10) Je suis restée seule avec mon savoir sur la
vérité d'Auschwitz. Il [Hans Schwartz] fermera le
livre sur un aveu qui ne peut avoir lieu.
(11) Le Jardin du Commandant est truffé de
rêves faits par Anna à Auschwitz, de rêves
qu'elle ne comprend pas, qui la troublent et que j'ai pu lire comme
espace de vérité, de dévoilement crypté
pour le personnage.
(12) C'est cette mise en scène de l'inconscient d'Anna
Schwartz comme scène encore intime, personnelle à
l'heure d'Auschwitz, l'heure sans sommeil, sans
individualité et sans rêve, qui m'a donné la
pleine mesure des atrocités qu'a commises cette femme
innocente.
(13) De cela, des rêves d'une Anna à Auschwitz,
lectrice du Jardin du
commandant je ne m'en remettrai pas.
|
|
Transcrit à la véritable
personne de celle qui s'exprime, sans plus aucune prise d'otages,
on voit bien que tout cela est terrible. Si la plupart de ces
affirmations sont tout bonnement sottes, quelques-unes sont
épouvantables. Bien entendu, à la
troisième personne, dans un compte rendu, c'est
l'inconscient qui s'exprime sans aucun surmoi, aucune retenu, et
pour bien dire très consciemment, même si c'est
impersonnel. C'est se permettre de dire le fond de sa
pensée : quelle formidable expérience cela a
été pour moi, Catherine Anna Schwartz Mavrikakis, que
de lire les âneries d'une
ménagère d'Auschwitz, cela m'a permis de me
remémorer page après page toutes nos ignorances sur
la plus grande tragédie humaine des temps modernes. Comme
c'était beau de lire du silence qui parlait si fort. N'en
rajoutons pas. Si ce ne sont pas là de sottes affirmations,
alors on doit pouvoir expliquer le sens de cette « prise
de parole silencieuse » (p. 15a).
Tel n'est pas le cas du pauvre personnage
d'Anna Schwartz que Catherine Mavrikakis accable des bonnes
intentions de l'auteur du roman ou, plutôt, des fautes de
lecture et absurdités
proférées par le narrateur de l'avant-propos,
chapitre préliminaire du roman (narrateur qui n'a
manifestement pas compris le roman qu'il présente, voire
qu'il pourrait avoir écrit !). Pour la critique
littéraire de Spirale, on serait ici devant un
« étrange et terrible roman »
(p. 14a), un roman à l'effet « très
fort » (p. 14b), un « jeu pervers que le
roman mène admirablement » (p. 14c), roman
d'une « effrayante force » (p. 15a) :
et tout cela pour illustrer la prétendue thèse
qu'« Yves Gosselin » aurait exposé dans
son « avant-propos » (p. 15a). Catherine
Mavrikakis fabule ? Pas du tout. Elle réécrit
et développe la quatrième de couverture du
roman : « Avec le Jardin du commandant,
roman d'une rare puissance aux résonnances universelles,
Yves Gosselin signe une oeuvre qui n'a pas fini de retentir dans
l'esprit de Catherine Mavrikakis ». Littéral.
Tout le monde, je parle de ceux qui ont
quelque connaissance de la littérature française, ici
de Racine, connaît le subconscient de Phèdre et
l'inconscient d'Hermione. Anna Schwartz, dans le Jardin du
commandant, ne présente aucun subconscient ni
inconscient. Il faut une Catherine Mavrikakis pour croire sur
parole celui qui écrit dans l'avant-propos :
« il est douteux qu'elle [Anna Schwartz] n'ait rien su de
l'activité réelle d'Auschwitz »
(p. 15). Mais d'où peut bien sortir une telle
affirmation, alors qu'à l'évidence la tête de
linotte n'en a manifestement rien su ni
soupçonné ?.
Et Catherine Mavrikakis en rajoute en parlant du
« silence », du
« déni », de la « mauvaise
foi », etc., d'Anna Schwartz. Ce n'est pas vrai. La
critique connaît les bonnes intentions de l'auteur, rien de
plus. — Mais je crois nécessaire de citer le compte
rendu au texte : le lecteur doit comprendre le
« refus de conférer à celle-ci
[l'« horreur nazie »] une place dans le
discours quotidien » (p. 14a). Il s'agit du
discours d'Anna Schwartz, évidemment, et non du roman !
alors que c'est ce que Catherine Mavrikakis dit, le contraire,
comme si c'était la même chose. « Le
déni intolérable d'Anna Schwartz de voir, [et patati
et patata] » (p. 14a). La narratrice est une
tête de linotte créée par un romancier moins
intelligent qu'elle, ce n'est pas de sa faute, me semble-t-il.
Dès lors, la tête de linotte ne voit rien. Alors quel
« déni » notre critique
littéraire peut-elle voir là ? Il n'y a aucun
déni de la part d'Anna Schwartz, ce n'est pas vrai.
« Tous les mots de cette femmes deviennent
suspects... » (p. 14b). Mais non, ce n'est pas
vrai. Du début à la fin de son journal, si l'on
pouvait parler de « journal », elle ne dit que
ce qu'elle dit, rien du tout. Mais peut-être notre
« lectrice » veut-elle dire qu'elle trouve
suspect ce qu'un auteur fait dire à son personnage ?
Alors là, on est tout à fait d'accord, mais il
faudrait écrire : « tous les mots que
l'auteur met dans la bouche de cette pauvre femme deviennent
suspects » (p. xyz !). Parfait. C'est ce que
je pense aussi. Alors, excusez-moi, mais puis-je vous laisser
entre abrutis ? Il paraît que le
« lecteur » pourrait « se laisser
berner par l'apparence catastrophique (l'italique suit, je ne
l'invente pas) d'un je ne sais rien et cela ne me regarde
pas » (p. 14b), etc. Je devrais arrêter
ce massacre ? Dommage. On trouve dans ce compte rendu des
affirmations à propos de certain « complice
virtuel d'un silence, de dénégation »
(p. 15a), de la « mauvaise foi » de la
narratrice (p. 15a), de la « parole silencieuse du
personnage d'Anna » (p. 15a), l'accusation de «
silence et déni » des (sic) personnages du roman,
etc., jusqu'au sommet de l'absurdité, les
« atrocités qu'a commises cette femme
innocente » (p. 15c).
Je dirais plutôt que c'est Catherine
Mavrikakis qui se livre à des atrocités sur une
pauvre femme imaginée par un sous-doué. On
remarquera, en effet, que la critique cite
longuement l'avant-propos (deux citations, au moins dix lignes,
p. 14c et 15a), puis s'occupe beaucoup de la lettre finale,
à l'épilogue. Mais elle ne parle à peu
près pas de ce qui se trouve entre les deux,
c'est-à-dire du roman. Elle n'a pas remarqué qu'il
en est à peu près de même des enfants.
À la première page du journal, on apprend qu'Anna a
deux fils (p. 24-25) et, à la fin du roman, qu'Anna n'a
pas divorcé à cause de ses enfants (p. 248).
Entre-temps, c'est-à-dire durant huit mois, ils n'ont fait,
dans son journal,
qu'une brève apparition dans un dialogue des plus loufoques
avec le père (p. 80). Ah oui, une fois aussi la bonne
les lave (p. 206). Mais alors, est-ce que le romancier
(là, on parle pour une fois d'Yves Gosselin) et la critique
(Catherine Mavrikakis, bien entendu) n'ont pas remarqué
qu'il y a quelque chose de bizarre à donner deux enfants
à la pauvre Anna sans avoir le talent d'en faire ou d'en
comprendre une mère ? Je trouve curieux qu'un
« auteur » et une
« critique » écrivent et
réécrivent un roman, tout un roman, sans s'occuper
d'un
petit détail comme celui-là. Qu'on soit insensible
au sort de Joachim et d'Helmut Schwartz explique évidemment
qu'on le soit, et je parle de l'auteur et de la critique, au sort
des juifs exterminés à Oswiecim, bien entendu. En
fait, Yves Gosselin et Catherine Mavrikakis sont tous deux des Anna
Schwartz, leur invraisemblable et, pour cela, abominable
créature.
La critique a le malheur de nous
expliquer que les bonnes intentions de l'auteur ne font aucun doute
en évoquant son deuxième roman, où
« Abel Morandon » (où a-t-elle lu ce nom
dans le roman ? l'a-t-elle lu ? — le narrateur du
roman est anonyme) tiendrait un discours que
« certains » ont très mal jugé,
considérant le roman
« antisémite », comme uchronie
« vulgaire ». Disons d'abord qu'elle n'a pas
mieux lu la critique que le roman, car à ma connaissance
personne n'a jamais reproché à Yves Gosselin de
« représenter ou reproduire
l'antisémitisme » (p. 15a), bien entendu
— ce que j'ai dénoncé, et que je dénonce
toujours, c'est la caricature insane qui n'a aucun rapport avec les
divers discours antisémites. Ce n'est pas simple, clair,
évident ? Alors pourquoi faire dire à
« certains » (p. 15a) des sottises au
sujet des turpitudes d'Yves Gosselin ? « Le
dispositif de l'avant-propos du Jardin du commandant ne
permet aucune ambiguïté sur la distanciation que
l'auteur peut prendre avec la narratrice qui raconte son Auschwitz
dans le jardin » (p. 15a). Catherine Mavrikakis
avait besoin de l'avant-propos romanesque pour comprendre la
distanciation ? Un peu plus et « monsieur
Brecht » serait sur la scène.
Est-ce que Spirale ne pourrait pas
trouver des « critiques littéraires »
capables de s'intéresser à des oeuvres
québécoises dignes du maître de la dramaturgie
allemande ? Car s'il y a des oeuvres où on ne trouve
absolument aucune distanciation, ce sont bien les romans d'Yves
Gosselin, notamment son fameux Jardin du commandant, qu'a
beaucoup apprécié Catherine Mavrikakis, un roman dont
elle ne se remettra jamais, a-t-elle dit, et qui n'a pas fini de
retentir dans son esprit, a-t-elle repris, littéralement.
Reste pour finir l'expression niaise de la
niaiserie. Dans le chapitre liminaire, l'avant-propos romanesque
de la
tartine, cela donne des « formules » d'une
extraordinaire vacuité, s'il ne s'agissait d'insultes
à l'égard des Allemands, du « peuple
allemand » : « je sais que tu sais que je
ne sais pas que tu sais », « je sais que tu ne
sais pas que je sais que je ne sais pas » (p. 18).
Catherine Mavrikakis : « comment il était
possible et impossible » (p. 14b-c) de vivre sans
rien savoir à proximité d'Auschwitz,
« c'est cette possibilité impossible, cette
possible impossibilité » (p. 14c), et
voilà notre Hans qui « avoue pour ne pas
avouer », faisant de « faux aveux »
pour un « aveu qui ne peut avoir lieu »
(p. 15b). Et c'est la première phrase du compte rendu
qui est la plus belle, sortie d'on ne sait où, disant on ne
sait quoi : « Tu ne me diras point et surtout,
je ne te dirai rien. Nous resterons complices de ce silence qui
parlera sans cesse à travers nous, sans jamais dire, nous
dire » (p. 14a). Rien de plus beau pour
introduire un compte rendu d'abrutis sur un roman d'abrutis.
Et, bien entendu, même si c'est un tour
de force vraiment extraordinaire, on ne trouve pas l'ombre d'une
critique dans cette prétendue « critique
littéraire » — que des éloges dignes
de la quatrième de couverture.
Lorsque j'écrivais en tête de mon
compte rendu critique du roman qu'on ne trouverait que des niais,
des inintelligents et des incultes pour
« apprécier » les soi-disant
subtilités de ce roman inepte, je ne pensais jamais en lire
un jour aucune illustration.
[9] Dany Laferrière,
« La haine à l'état pur », dans
sa chronique intitulée « Méditation sur le
temps, la haine et le baiser », la Presse, 28
septembre 2003, cahier « Arts et spectacles »,
p. E1 et E7, p. E7, première de deux colonnes sur
cinq.
La plogue d'un cabotin
Ceux qui ne connaisse pas le français
parlé au Québec n'auront pas beaucoup de fun à
lire mon titre. Dans ma jeunesse, la plogue (anglais plug)
était encore une prise de courant. Aujourd'hui, le mot
désigne exclusivement la promotion gratuite, qu'elle soit
personnelle, amicale ou commerciale, quelle que soit la forme sous
laquelle elle se fait. La plus courante est bien entendu celle des
entrevues à la presse, à la radio ou à la
télévision qui n'ont justement pas d'autres fonctions
que d'annoncer un spectacle ou une publication de l'invité.
Les chroniqueurs qui tiennent tribunes tentent de l'éviter,
surtout si leurs propres intérêts sont en jeu ou
encore, s'il le font (pour leurs amis), ils le feront de la
manière la plus discrète ou la plus ostentatoire
possible, c'est la règle de la plogue. Dans le monde
merveilleux de la critique littéraire, rien n'est plus
courant que de voir publier des comptes rendus élogieux des
ouvrages de ses amis et, dans ce cas particulier, la plogue est
invisible, bien entendu, puisque seuls les initiés peuvent
savoir que le rédacteur est l'ami personnel de l'auteur dont
il fait une « critique littéraire »,
ceux qui la publient ne le sachant généralement pas
eux-mêmes.
Tel n'est évidemment pas le cas de Dany
Laferrière dans sa chronique où il plogue avec
discrétion un livre publié par son propre
éditeur, Jacques Lanctôt, Lanctôt
Éditeur. Personne,
bien entendu, et surtout pas moi, n'y trouverait à redire,
s'il ne s'agissait du Discours de réception d'Yves
Gosselin. Or, justement, la plogue en question aura un effet
foudroyant et dévastateur, aussi discret que la bombe
à neutrons, puisque c'est à elle qu'on devra toute
l'affaire Gosselin. Je ne veux pas dire, évidemment, qu'il
suffit que Dany Laferrière plogue un livre de son
éditeur pour qu'il en devienne un succès de
librairie. C'est de l'affaire Gosselin qu'il s'agit. Alors cette
plogue-là mérite d'être étudiée
de près.
C'est la plogue d'un cabotin. S'appliquant
à Dany Laferrière, ce ne peut être une injure
ou une insulte, évidemment, puisque l'auteur, tout comme le
chroniqueur, est un cabotin de génie, mais ce sera tout de
même une sévère critique. Le mot, on le sait,
a deux sens. Son sens premier est péjoratif et
désigne tout simplement un mauvais acteur qui
« joue » et ne sait pas
« jouer ». Son sens second, en revanche, est
beaucoup plus vaste et signifie l'inverse du sens premier,
désignant celui qui manifestement s'amuse à
« jouer » (manifestement, car tout le
monde doit le comprendre) et qui peut parfois le faire de
manière absolument remarquable et même géniale.
Dans le cas de Dany Laferrière, il s'agit de la
première (chronologiquement, si je puis dire) de ses deux
plus grandes qualités, dans son oeuvre, dans ses chroniques
et, ici-même, dans cette chronique et la plogue qui nous
occupent. Cet auteur est un cabotin du discours public,
général, et un poète du discours personnel,
familier, particulier. On trouve chez lui le court-circuit des
plus banales généralités
(généralement des
« idées »), présentées de
manière originale et paradoxale, et des plus petits
détails (des faits, généralement des
« sentiments » ou des
« impressions ») de nos vies, souvent la
sienne, offerts comme la chose la plus naturelle du monde,
appartenant à tous.
Le cabotinage est fulgurant dans son premier
roman, à commencer par son titre évidemment,
Comment faire l'amour avec un nègre sans se fatiguer,
dont j'ai toujours gardé vivant le souvenir de ma
première lecture, à sa parution. Enfin, on pouvait
lire au Québec un Bukowski, presque aussi bon et en tout cas
digne de l'original. Un Haïtien, en plus, un
Montréalais d'origine haïtienne, qui nous
présentait, forcément, avec sa ville d'adoption,
un roman autobiographique  (ce qu'on
désigne depuis d'un inutile barbarisme du plus haut
comique : une « autofiction »). Ce fut un
succès de
librairie bien mérité. Je n'ai jamais
étudié les romans de Dany Laferrière, alors
même que je donnais à l'époque un cours sur les
formes narratives et stylistiques du roman québécois
et on va tout de suite comprendre pourquoi : j'ai
arrêté ma lecture de son deuxième roman,
Eroshima, avant d'en atteindre le tiers. Je viens de le
reprendre, après avoir relu le premier, et je sais que
j'avais parfaitement raison. D'abord parce que c'est une reprise
de ce qui devient la « formule » du premier
roman (avec en plus de longs collages pour étirer la
sauce); ensuite, parce que s'y mêle gratuitement la bombe
(je
vais y revenir) avec laquelle les États-Unis ont
détruit sans aucune raison ni justification Hiroshima, puis
Nagasaki, pour le simple plaisir cette fois de voir fonctionner
l'engin; enfin, parce que le narrateur du roman réussit
à nous convaincre sans peine lorsqu'il dit qu'il
écrit rapidement une petite bluette pour s'amuser et nous
amuser. Le cabotinage n'est pas toujours génial, même
si le passage érotique (singulier, je veux dire unique)
valait le détour.
Je n'ai plus acheté aucun livre de
l'auteur. J'ai feuilleté ses livres suivants en librairie
(en librairie, pas en bibliothèque, je les ai
feuilletés, jamais lus), assez souvent pour comprendre que
la seconde qualité de l'écrivain prenait le dessus.
J'ai vu, par exemple, qu'on lui a appris, à un certain
moment, à cesser de bloquer la clé de la mise en
majuscule de sa Remington, et, en plus, qu'il fallait tout de
même qu'il soit sérieusement un grand écrivain.
Il a fait aussi bien l'un que l'autre. S'il fallait
catégoriser, je proposerais de considérer qu'on a des
chefs-d'oeuvre d'Anne Hébert, de grands romans de
Réjean Ducharme et de bons romans de Dany Laferrière.
Il y a certes plus de bons romans que de chefs-d'oeuvre, mais on
fera attention qu'au moins quatre-vingt dix pour cent des romans
n'ont absolument aucune valeur littéraire. Car c'est
à cela finalement qu'il s'est mis et qu'il a parfaitement
bien réussi, la littérature, je n'ai même pas
besoin de le lire pour le savoir. Sauf que ce n'est pas ce genre
littéraire qui m'intéresse. Je suis plutôt un
lecteur de Nicole Brossard. Chose certaine, avec Dany
Laferrière, on est bien loin du roman expérimental et
même du bon vieux Bukowski, de Kérouac et surtout de
mon préféré, dans le genre cabotin de
génie, William Burroughs.
Cabotin de génie : vous voyez que je
n'ai pas perdu le fil. On retrouve toujours le court-circuit des
deux grandes qualités de Dany Laferrière dans ses
chroniques. Vous avez remarquez, j'espère, car c'est
là une idée géniale, que sa chronique dans
la Presse n'est pas publiée dans le cahier des
livres, des lettres ou de la littérature, mais dans celui
des arts et du spectacle ? Je suppose que c'est Dany
Laferrière lui-même qui l'a proposé et c'est
tout à fait significatif de son art littéraire. Vous
avez compris aussi qu'on n'a pas les deux grandes qualités
de cet auteur sans être très intelligent (avec dans
son cas, ce qui ne nuit pas, une très vaste et vivante
culture littéraire). La preuve
et l'illustration de cet art du chroniqueur se trouve, magistrale,
dans sa première chronique d'Haïti-Observateur
(« Ma première chronique », 20-27 avril
1984, les Années 80 dans ma vieille Ford,
Montréal, Mémoire d'encrier, 2005, p. 32-34).
Le paradoxe amusant : le moralisateur qui moralise longuement
sur le fait qu'il ne fera pas une chronique sur
l'américanité des Haïtiens de moins en moins
européens, mais qui ne le savent pas encore; la
poésie du hamburger : le portrait d'une vieille
sympathique râleuse new-yorkaise (elle a existé dans
sa vraie vie quotidienne), qui ne parle même pas anglais,
mais qui réussira à se faire servir son hamburger
sans viande, ce qui représente la subversion du
capitalisme.
La chronique du 28 septembre 2003 comprend
quatre parties ou trois sujets annoncés par son titre,
d'abord une réflexion sur deux pièces de
théâtre alors présentées à
Montréal, ensuite la plogue du livre d'Yves Gosselin et
enfin une contre-plongée poétique sur le baiser de
Madona et Britnew Spears, le tout suivi d'un fion sur la critique
du journalisme (non annoncé par le titre) inspiré par
le Bernard Landry de Jean-Claude Labrecque, qui oppose la vision
(muette) des cameramen aux images (bavardes) des journalistes. La
deuxième moitié de l'article est construite sur la
poésie personnelle, le premier baiser public non pas
surpris, mais bien « contemplé » par le
jeune homme de 23 ans qui arrivait à l'aéroport de
Montréal, puis son travail au téléjournal de
Quatre-Saisons. Ces deux sections sont de toute beauté,
particulièrement cette image du baiser éternel
photographié et reproduit pour toujours immobile dans la
presse. Mais la première section est tout aussi
extraordinaire, qui s'amuse (et c'est un plaisir évident)
à ridiculiser les portraits et les histoires d'Hamlet et
d'OEdipe, en opposant de la manière la plus comique le
vieux Sophocle au jeune Shakespeare (avec, en tout et pour tout,
une seule idée critique, celle de reprocher à la mise
en scène de Patrice Caurier et Moshe Leiser d'avoir voulu
moderniser « coûte que coûte »
Hamlet au TNM, ce qui ne s'appuie sur aucun
élément de démonstration — et on n'en
demandera pas au chroniqueur qui vient de cabotiner si
magistralement, le verbe s'appliquant bien ici, puisqu'on est au
théâtre).
Et c'est au centre de cette merveilleuse
chronique qu'on lit notre plogue du livre d'Yves Gosselin
publié par Lanctôt Éditeur (comme
l'écrit Dany Laferrière dès la première
ligne), une très belle page, digne du talent du chroniqueur
et, surtout, tout à fait caractéristique de ses deux
extraordinaires qualités. Il s'agit bien sûr d'une
« critique littéraire », de sorte que
c'est de lui que nous parle Dany Laferrière, dont l'objectif
n'est évidemment pas de nous décrire le roman pour
l'évaluer à sa juste mesure. On ne lui reprochera
donc pas de désigner le narrateur anonyme sous le nom d'Abel
Morandon qu'il n'a pas lu dans le roman, mais en quatrième
de couverture ! J'aimerais reproduire ici cette partie
centrale de sa chronique, mais elle compte 660 mots, ce qui est
beaucoup trop pour être considérée comme une
citation, d'autant qu'il ne s'agit pas d'une publication
journalistique, mais bien d'une chronique et, qui plus est, d'un
écrivain qui vit de sa plume. On la trouvera donc
en bibliothèque où se consultent les fichiers
internets de la Presse. Car
j'espère bien que si l'auteur publie un jour un choix de ses
chroniques dans ce journal, il aura le génie de choisir
celle-là, mais d'y soustraire la plogue.
Comme cela est attendu d'un compte rendu, la
part de résumé et de mise en situation est
importante. Apparemment très juste, si l'on ne fait pas
attention à ce qui revient en propre au chroniqueur qui, en
mettant de l'ordre dans l'histoire, la réécrit
considérablement, lui donnant en plus un style, une
thématique et une envergure sans aucune commune
mesure avec la tartine d'Yves Gosselin, jusqu'à nous dire,
ce qui n'est qu'à moitié vrai, que le roman est
rédigé dans un « style très fluide
et ne fait pas du tout universitaire. Plutôt un pamphlet dans
la bonne tradition française ». En revanche, la
mise en ordre des écrivains cités au fil des pages
est manifestement une réorganisation du chroniqueur, puisque
le narrateur du romancier jetait les noms au hasard, dans le plus
parfait désordre, sans analyse aucune. Tout au long du
roman, en effet, on lit toujours pour rien des dizaines de noms de
romanciers français bêtement classés en bons,
les collaborateurs, et méchants, les résistants.
Jamais un mot n'est dit d'eux ou de leurs oeuvres qui pourrait
même de très loin relever de l'analyse critique. On
va lire plus bas le bout de phrase où Dany
Laferrière présuppose une « certaine
connaissance » du milieu littéraire pour ceux qui
voudraient apprécier le roman. Mais alors, comment en a-t-il
retenu le nom de Paul Morand qui, sauf erreur, n'est nommé
qu'une seule et unique fois dans le roman, au détour d'une
digression ? (« Paul Morand, ici
présent », p. 54). Il faut une
« certaine connaissance » pour apprécier
les mots « Paul Morand » ? Non, bien
entendu. Mais Dany Laferrière, lui, a une connaissance
certaine de Paul Morand et il ne lance pas son nom au hasard
dans sa chronique, comme Yves Gosselin dans le roman !
Certes, le chroniqueur n'est pas sans critique
pour
le roman d'Yves Gosselin, alors même que, dans l'art
parfaitement maîtrisé de la plogue, elle sera
invisible à qui ne lira pas de près, de sorte
que, dans le cas qui nous occupe, ni l'auteur ni son éditeur
n'en seront conscients. Le Discours de réception,
c'est, en particulier, une tartine de 162 pages dans le style le
plus platement académique qui soit, pour faire de
Céline un invraisemblable académicien. On finit,
d'ailleurs, par ne même plus savoir si c'est le narrateur qui
parle ou le romancier qui écrit en
« plongeant » dans le « le
marécage putride du discours antisémite »
(à remarquer ici l'ambiguïté qui permet
déjà à l'auteur de se dédouaner,
puisque le sens second passe évidemment du discours
romanesque à celui du narrateur-romancier, dont on vient de
lire qu'ils ne se distinguent plus).
En plus, il suffit de lire le développement qu'en fera Louis
Hamelin, pour voir combien Dany Laferrière est
réservé dans ses éloges, absolument aucune ne
portant sur le roman, sauf à parler absurdement d'un
« style fluide », alors qu'on le qualifie
finement de scolaire.
Là-dessus, l'auteur de Comment
faire l'amour avec un nègre sans se fatiguer va
développer toute une série de réflexions
paradoxales simples et éblouissantes. À
tel point qu'on aurait aimé qu'il ait été
l'auteur du Discours de réception, qui en aurait pris
du galon. Dany Laferrière n'avait pas besoin du livre
d'Yves
Gosselin pour se demander, à propos du roman, qui ne
suggère évidemment rien de tel, si nos perceptions
des écrivains n'étaient pas largement bloquées
par leurs positions politiques (l'auteur fait ici un clin d'oeil
à l'histoire littéraire haïtienne ou sur
Haïti — il n'a pas retenu pour rien le romancier et
chroniqueur Paul
Morand). Il oppose
ensuite de la manière la plus comique les
personnalités et les styles de Proust et de Céline
(« les longues périodes asthmatiques de Proust
alternant avec les phrases en hoquet de Céline »),
double choix
considéré comme une volonté consciente des
Français de se donner deux grandes orientations
romanesques ! Et pour finir, ce seront deux magistrales
fabulations, toujours à propos du roman, où on
chercherait en vain la simple suggestions d'idées aussi
« géniales », celles du cabotin de
génie dont je parle depuis le début. D'abord le fait
de voir dans le roman d'Yves Gosselin le récit d'une
histoire conduisant
à la catastrophe, puisque Céline n'est même
plus un
écrivain, mais un stupide chantre de l'hygiénisme;
puisque tout le discours du narrateur sent l'embourgeoisement des
utopies du national-socialisme. Ensuite, encore plus original,
mais malheureusement tout à fait inexact, présenter
le nazisme comme une « une idéologie de la
défaite », ce qui n'a évidemment aucun
sens. Désolé, mais malheureusement aucune dictature
(idéologique) n'est vouée d'elle-même à
la défaite, sinon on n'aurait eu qu'à se croiser les
bras pour que les Poutine et Bachar al-Assad s'effondrent. Au
mieux, on le sait fort bien, elles pourrissent, avant d'être
remplacées par la suivante. Et, par suite, imaginer que la
tartine d'Yves Gosselin est remarquable d'intelligence parce
qu'elle
présente la victoire d'Hitler et que cette victoire
mène à la tartine de Gosselin, ce qui constitue cette
fois une
pitrerie indigne de son auteur : « le roman de
Gosselin est, à mon avis, l'une des plus virulentes
dénonciations de la politique hitlérienne. Comment
cela ? En accordant la victoire à Hitler, il lui
enlève l'auréole de la défaite (pour faire un
mythe, il faut une réussite éclatante, suivie d'une
défaite tout aussi éclatante) ». C'est
faux,
évidemment, toute originale soit la trouvaille, reposant sur
une invention pure et simple d'une définition du
« mythe » qui n'a tout bonnement aucun sens,
sans compter qu'Hitler n'est vraiment pas un mythe.
Mais il y a cabotinage beaucoup plus
irresponsable. Au « milieu » de sa lecture,
Dany Laferrière s'est interrogé pour savoir comment
un juif lirait cette ordure s'il était à sa place.
Je le dis dans mon vocabulaire pour bien faire voir
l'incongruité de la rhétorique d'un amuseur lorsqu'il
en oublie le sens le plus élémentaire des
proportions. Lui : « Je suis resté souvent
perplexe au milieu de ma lecture, me demandant comment un juif
prendrait un tel livre. Pour ma part, je trouve l'exercice
salutaire »; moi : jamais, au cours de ma lecture,
je me suis demandé comment un juif pourrait lire un tel
salmigondis de stupidités immondes et dégradantes,
énoncées à titre de « discours
antisémite »; lui : « exercice
salutaire » ! moi : exercice scolaire
d'écolier sous-doué qu'on n'a pas su discipliner
avant
l'âge de raison. Lui : une pitrerie; moi : un
profond dégoût. — Or, il ne s'agit pas
là d'opinions divergentes. J'ai signalé
l'ambiguïté de la formule :
« plongeant » dans le « le
marécage putride du discours antisémite »,
précisément parce que le chroniqueur l'applique tout
à la fois au discours du narrateur anonyme et au
livre ! En effet, il ne s'agit pas de deux affirmations
différentes, car c'est précisément parce que
la première est fausse que la seconde est vraie. C'est
parce que le discours du conférencier anonyme est une niaise
caricature du « marécage putride du discours
antisémite » que le roman est de lui-même un
discours antisémite, et par conséquent un livre
antisémite. Dès lors, la question n'est
évidemment pas de savoir comment « un
juif » prendrait un tel livre, mais la manière
désinvolte avec laquelle « Dany
Laferrière » le prend lui-même ! Avec
un grain de sel ? Pas du tout. Cela lui paraît
« salutaire » parce qu'il partage les bonnes
intentions de l'auteur et de son éditeur, tout
simplement.
Il faut donc relire Dany Laferrière et
ce ne sera
pas la dernière fois : « Je suis
resté souvent perplexe au milieu de ma lecture, me demandant
comment un juif prendrait un tel livre. Pour ma part, je trouve
l'exercice salutaire ». Il est resté
« perplexe », vraiment ? Mais pourquoi
donc ? À cause de qui ? Lui. Il le dit
clairement : il ne veut pas qu'on pense qu'il est
antisémite. Et il ne fait pas de doute que Dany
Laferrière n'est pas antisémite, ce n'est pas
évident ? Voilà pour la perplexité. Et
il trouve même l'exercice « salutaire ».
Mais pourquoi ? Pour qui ? Mais pour les lecteurs de sa
plogue, bien entendu : achetez, lisez, cela n'a absolument
aucune chance d'être (considéré comme) un trait
d'antisémitisme.
Et ces deux postulats n'ont besoin d'aucune
justification.
Le cabotinage a justement
cette
justification de n'en pas avoir et de n'être que ce qu'il est
lorsqu'il n'est
pas génial, comme c'est le cas dans cette phrase. Or,
cette pitrerie-là est bien aussi de l'ordre des
écrits de Dany Laferrière. La lecture salutaire
d'une ordure vaut bien l'édification thématique d'un
roman sur l'anéantissement d'Hiroshima, comme le dit le
narrateur d'Eroshima : « Je pense. Je pense
à
la Bombe atomique. Le grand-père de Hoki, je crois, est un
rescapé d'Hiroshima. Je vois les habitants d'Hiroshima en
train de vaquer à leurs occupations. Il est huit heures
du matin. Dans un quart d'heure, ce sera la fin. Je ne suis
pas choqué. Je suis intrigué »
(p. 20). Oh ! bien sûr, nous ne sommes pas dans le
roman
d'un crétin, car si l'on a une Hoki qui veut oublier on
trouve une autre Japonaise, à New York, Kero, qui, elle
« voue un culte à la mémoire »
(p. 80). Cela dit, la réflexion du narrateur que l'on
vient de lire est tout à fait significative du romancier qui
s'amuse à jouer de la Bombe sexuelle avec l'image
d'Hiroshima, pour en faire un roman.
C'est un hasard, mais l'image de la
bombe se trouve encore dans notre chronique du 28 septembre
2003 et va se retrouver dans le Devoir, le 18 octobre.
Dans les deux journaux, on trouve la même précaution
oratoire : la « bombe » que Dany
Laferrière suggère à son lecteur de manipuler
avec précaution (ce livre est « une vraie bombe,
et il faut le doigté d'un artificier pour le lire sans qu'il
vous explose au visage »), prend son sens littéral
chez Louis Hamelin, un auteur qui fait toujours dans le premier
degré, ce qui a parfois le mérite de la
clarté : « ce livre dangereux, qui, lu au
premier degré, affublé de l'étiquette de roman
ou pas, ferait demain éclater presque à coup
sûr une nouvelle affaire Michaud (et rien ne dit que
ça n'arrivera pas) ». Évidemment, puisque
c'est exactement ce que cherchaient l'auteur du roman et son
éditeur, il ne faut pas la tête à Papineau pour
le deviner ! Aussi le chroniqueur du Devoir n'avait
pas besoin de celui de la Presse pour le comprendre, mais
pour l'exprimer, oui. En revanche, c'est le vocabulaire, juste un
mot, qui fait d'abord la preuve hors de tout doute que la plogue de
la Presse est la source du délire du
Devoir : « Ce diable de Gosselin
connaît parfaitement son Céline... » (Dany
Laferrière), ce qui nous vaut, en écho au
Devoir, quinze jours plus tard : « mais
jusqu'où ce diable d'homme [...] est-il prêt
à aller ? » (Louis Hamelin). Un
écho ? Louis Hamelin développe tout simplement,
du début à la fin de son article, la plogue de Dany
Laferrière qui l'inspire. L'expression « diable
d'homme » ne peut venir sous la plume de Louis Hamelin
sans qu'il ait la chronique de la Presse sous les yeux (de
même pour l'énumération des romanciers, qu'il
a simplement revue lors de sa lecture du roman), mais ce n'est pas
seulement une question de vocabulaire, ce sont les idées
même de Dany Laferrière qui sont reprises. Voici la
phrase complète de Dany Laferrière sur ce point
précis, très important d'ailleurs, on l'a vu :
« Ce diable de Gosselin connaît parfaitement son
Céline et il plonge avec le docteur Destouches dans le
marécage putride du discours antisémite (discours qui
n'a jamais vraiment quitté la scène, soit dit en
passant) jusqu'à ce qu'il devienne impossible de
distinguer Morandon de Gosselin ». Oui, vous lisez
bien : Gosselin est finalement un cabotin (sens
premier !) qui joue du Morandon. Mais ce n'est pas Louis
Hamelin qui est capable de comprendre cette subtile
réflexion critique. Il écrit : « ...
mais jusqu'où ce diable d'homme, fût-il le docteur
Morandon, ou Yves Gosselin lui-même, bref, l'homme qui a
imaginé ce machin plutôt incroyable, est-il prêt
à aller ? ». Cette dernière
phrase ne se comprendrait même pas sans sa source. On n'est
pas ici dans l'ordre du plagiat, bien entendu, car malheureusement
Louis Hamelin ne recopie pas Dany Laferrière; mais il s'en
inspire de près sans le comprendre. « Il faut
un minimum de culture pour mettre en branle une farce
pareille » (Louis Hamelin) : « ... pour
bien l'apprécier, cela prend une certaine
connaissance du milieu littéraire durant la
période trouble de l'occupation... » (Dany
Laferrière).
Être la source d'un article stupide et
inqualifiable, niaisement laudatif, c'est bien triste, mais Dany
Laferrière n'y est pour rien. En revanche, en être la
cause, là, c'est épouvantable, surtout quand le
« compte rendu » qu'on a inspiré, sans
l'ombre de la moindre réserve critique, devient tout de
suite le point de départ de l'affaire Gosselin,
qui va conduire le livre à sa mise en lice par un
journaliste manipulant le jury du Prix des collégiens. Car
c'est évidemment la plogue de Dany Laferrière, lue au
« premier degré », c'est le cas de le
dire, qui va justifier, et c'est encore le bon mot, tous les
irresponsables
intervenants de l'affaire. Au sens littéral du terme, sans
que je le sache, pas plus qu'une grande partie de ceux qui ont vu
« passer » l'affaire, tous ceux qui y ont
participé et leurs amis, avaient été
cautionnés d'avance par le grand
romancier, par le chroniqueur vedette, par Dany Laferrière.
Relisons : « Je suis resté souvent perplexe
au milieu de ma lecture, me demandant comment un juif prendrait un
tel livre. Pour ma part, je trouve l'exercice
salutaire ». Qu'il s'agisse d'une pitrerie
destinée à se dédouaner de l'objet même
d'une plogue, cela ne fait aucun doute, d'autant qu'elle
réalise avec succès ce que propose la toute
première phrase du texte perdu au milieu d'une
chronique : désamorcer la
« bombe » pour que son compte rendu, la plogue,
ne lui explose pas au visage. C'est parfaitement réussi
pour Dany Laferrière dont il ne sera jamais question tout au
long de l'affaire Gosselin. Malheureusement pas pour Yves
Gosselin, Louis Hamelin, Jean-François Nadeau, le Prix des
collégiens, le Devoir, la Fondation Marc Bourgie, le
CRILCQ, Christian Desmeules, Éric Paquin et Catherine
Mavrikakis. Malheureusement pas pour les associations juives
québécoises. Malheureusement pas pour les
intellectuels du Québec qui m'ont lâchement
laissé seul jusqu'à ce jour à dénoncer
l'intolérable.
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