Les interventions du redoutable polémiste (nous le sommes tous) restent généralement sans réplique, malheureusement, ses victimes n'éprouvant pas le besoin qu'on mesure davantage la justesse de la critique et c'est bien dommage, cela nous permettrait de rire encore un peu, car si le polémiste est intervenu, c'est évidemment parce que ce n'était pas drôle du tout. La formule : polémique = réplique (pamphlétaire (sans réplique)).
L'éléphant de porcelaine L'arpenteuse du racisme La brouillonnologue de la CGMM Notre critique et sa poésie
Les fulminations de Dominique Deslandres, de René Latourelle et de Robert Toupin contre le « Mythe contemporain Laflèche »

Polémiques II

Guy Laflèche,
Université de Montréal

Scandale aux abysses : l'affaire Gosselin


Réactions, interventions

  1. Réactions critiques
    1.1 — Guy Laflèche, Ce livre est une ordure
    1.2 — Marc Laudelout, Anticélinisme primaire
    1.3 — Guy Laflèche, « Fin de la parenthèse et retour aux fumées d'Auschwitz »
  2. Lettres ouvertes
    2.1 — Aux journalistes du Devoir
    2.2 — Message au groupe de discussion LITOR
    2.3 — Lettre ouverte à la Fondation Marc Bourgie
  3. Communiqués de presse
  4. Le CRILQ et son Lamartine
  5. Les marionnettes du ventriloque

1 — Réactions critiques

1.1 — Guy Laflèche, Ce livre est une ordure

      Voici la première pièce au dossier de l'Affaire Gosselin. Il s'agit de ma réplique au compte rendu de Louis Hamelin, qui est d'elle-même une dénonciation du livre d'Yves Gosselin, et de son auteur, et de son éditeur Jacques Lanctôt. J'ai adressé ce texte au Devoir le 22 octobre 2003, moins de trois jours après la parution du compte rendu d'Hamelin (18-19 octobre).

Yves Gosselin, Discours de réception, Montréal, Lanctôt, 2003, 162 p.

Ce livre est une ordure

Guy Laflèche
Université de Montréal

      Le titre de cette réplique est de moi : ce livre est une ordure. Il s'agit du livre d'Yves Gosselin publié par Lanctôt Éditeur et dont Louis Hamelin servait un irresponsable compte rendu dithyrambique dans le Devoir de samedi dernier.

      On ne publie pas aujourd'hui un roman dont le personnage principal est le romancier Louis-Ferdinand Destouches dit Céline sans s'inquiéter de sa teneur. On n'en publie pas non plus un compte rendu dans le cahier des livres du Devoir sans s'assurer de la compétence de son auteur. La chaîne d'irresponsabilités ici comprend Yves Gosselin, Jacques Lanctôt et ses employés, Louis Hamelin et Jean-François Nadeau responsable du « Cahier des Livres » au Devoir. Cela fera beaucoup d'excuses à présenter. J'espère que le Devoir pourra les faire dès samedi prochain en première page du journal, avec la publication de la présente réplique en première page du cahier des livres.

      Comme il me faudrait trois fois plus d'espace que Louis Hamelin pour répliquer à son compte rendu, je vais tenter de m'en tenir à l'essentiel dans cette intervention critique.

      L'éditeur Lanctôt écrit ou laisse écrire en quatrième page de couverture du livre de Gosselin que Louis-Ferdinand Céline est une « ordure canonisée ». Il s'agit là d'une opinion qui, exprimée sans autre forme de procès, est une insulte gratuite. D'abord Céline n'a jamais été canonisé par personne, sinon par les lecteurs et les critiques qui ont reconnu ses indéniables talents d'écrivain, s'agissant du plus grand romancier français du XXe siècle. Il ne s'agit pas non plus d'une « ordure ». Il s'agit d'un homme qui a été fascisant, antisémite, raciste et pacifiste, aux sens précis et peu honorables que ces mots ont dans la société française et dans l'Europe de l'entre-deux-guerres. Il y a deux ouvrages qui mettent en perspective la dérive idéologique que Destouches a payée fort cher, mais dont, à sa honte, il ne s'est jamais ni expliqué ni excusé. Il s'agit de l'essai de Jacqueline Morand sur « Les idées politiques de Louis-Ferdinand Céline » (1972) et de la biographie critique remarquablement bien informée de Philippe Alméras (« Céline entre haines et passion » chez Laffont, 1994). Jacques Lanctôt et sa maison d'édition littéraire doivent des excuses à tous ceux qui aiment assez la littérature et ses écrivains pour se scandaliser de la stigmatisation outrancière d'un Céline comme « ordure canonisée ».

      Les excuses de Louis Hamelin seront plus simples à présenter, car évidemment il n'a manifestement pas la conscience historique élémentaire pour apprécier l'ouvrage dont il fait bêtement la promotion. Mais je ne sais pas s'il est possible de s'excuser de son ignorance lorsque l'intelligence est en cause. Lorsqu'il écrit qu'« il faut un minimum de culture pour mettre en branle une farce pareille », il fait preuve évidemment d'une nonpareille inculture. Retrouver le style ou même l'esprit du style de Céline dans cette assommante et lourde tartine, c'est faire preuve d'une rare insensibilité au talent de l'écrivain français. Mais le plus grave, évidemment, est de ne pas comprendre que l'histoire ne saurait être un « vulgaire tapis » ou une « allée de quilles pour jongleur doué ». Le critique fait preuve d'une irresponsabilité dont il est peu probable qu'il se relève sans présenter rapidement ses excuses et refaire ses devoirs critiques le plus vite possible.

      Le « discours de réception » d'Yves Gosselin met en scène un narrateur falot qui s'adresse à l'Académie française pour y présenter l'apologie de Louis-Ferdinand Céline peu après son décès. Le roman est constitué de ce discours. À partir du véritable personnage que fut Destouches, l'auteur nous invente, à travers ce « discours », un Céline fictif, le Céline que nous connaissons tous, mais tel qu'il serait devenu, dans une Europe où l'Allemagne nazie aurait été victorieuse. Dans cette triste fiction, Louis-Ferdinand Destouches serait devenu un fanatique partisan d'Hitler, le rencontrant à plusieurs reprises pour le soigner, il aurait cessé d'écrire des romans (mais n'en aurait pas moins obtenu le Nobel !) pour devenir hygiéniste avec l'appui de tous les ministères du maréchal Pétain. Et pourquoi ? Pour inventer de formidables médicaments, vaccins à l'eau de mer et traitements électriques permettant de régénérer les races. Toutes les cinq pages, environ, on retrouve de multiples développements tout aussi idiots sur ses « idées » eugénistes (en regard des articles que Céline a rédigés en réalité et que nous pouvons lire facilement aujourd'hui). À cela s'ajoute un chapelets de niaiseries égrenées tout au long du livre (Céline a un trois-mâts à Saint-Malo, il devient un fanatique défenseurs des animaux et se fait d'ailleurs inhumer au cimetière de ses chiens). Je ne vois vraiment pas qui peuvent intéresser de telles inventions d'enfants d'école sous-doués.

      Mais l'essentiel n'est pas là. Il consiste tout simplement dans le discours antisémite, raciste et fasciste du narrateur, rapportant des propos supposés du grand homme, discours qui culmine au centre du livre (p. 81-84) dans l'apologie frénétique de l'holocauste d'Auschwitz.

      Je peux expliquer le plus sommairement possible pourquoi ce discours fictif est proprement odieux. L'auteur ne voit pas que son « discours » (qui se voudrait outrancier mais ne l'est nullement) est une grave édulcoration non seulement de la réalité, mais même des discours antisémites qui ont été tenus en réalité, et par Céline lui-même, au moment où se mettaient en place les camps de concentration nazis. La cause en est que Louis-Ferdinand Destouches, contrairement au personnage que le pauvre Gosselin fabule sous son nom, n'était pas une baudruche insane et ignoble. Et c'est cela, précisément, qui est terrible, ce dont notre pauvre Gosselin (bis) n'a aucune conscience. Il s'imagine probablement que les associations juives vont monter aux barricades pour fustiger son livre, dont son éditeur fera fortune. Il ne sera pas accusé de racisme, mais bien plus gravement pour un intellectuel de manquer de jugement et de sens historique. Par ailleurs, ce qui est assez grave pour un écrivain, il est clair que Gosselin analyse à contresens l'oeuvre et la pensée de Céline et on en voit partout l'illustration navrante. Céline ne peut être un académicien d'aucune façon, il ne peut défendre la langue française (de Rabelais à... Dumas !), son premier roman n'a rien de particulièrement hygiéniste, etc. Mais le plus grave et le plus irresponsable est de lui attribuer un délire fasciste, raciste et antisémite qui, par sa logorrhée même, est une édulcoration de la grave responsabilité historique que porte l'auteur de Bagatelles pour un massacre.

      Une dernière chose, non des moindres. Il y aurait là « humour décapant » et « pastiche réussi » selon le critique Hamelin. Un véritable « électrochoc » propre à provoquer des « chocs salutaires » d'après l'éditeur Lanctôt. Le livre de Gosselin ne dénonce rien du tout, ni l'antisémitisme ni les dangers de la génétique. Rien. Ce livre n'est pas un pamphlet ni un ouvrage polémique. Il ne vise rien du tout. Pourquoi ? Mais parce que l'auteur, manifestement, n'y exprime pas trois idées : il n'en a pas une. Il n'a surtout pas idée du mal inutile que fait son livre, pour rien.

      On me permettra tout de même cette conclusion positive : Céline, lui, n'était pas un crétin.


1.2 — Marc Laudelout, Anticélinisme primaire

      J'ai édité ici, dans ce répertoire internet, la réaction critique de Marc Laudelout, avant qu'elle ne paraisse au Bulletin célinien (vol. 22, no 248, décembre 2003, p. 15). En contrepartie, Marc Laudelout renvoyait à l'adresse de mon site internet en appendice à sa réaction : « Voir aussi le site internet de Guy Laflèche (www. etc), professeur au département des études françaises de l'Université de Montréal ». Si les premiers intéressés, les lecteurs du Devoir, ne savent encore rien de l'affaire que la direction leur cache sciemment, les spécialistes de l'oeuvre de Céline, eux, en sont déjà informés — et aussi bien que précisément !

Anticélinisme primaire

      L'offensive vient, cette fois, du Canada où, ironie, Céline envisagea un moment de s'exiler. Cela s'appelle Discours de réception et la couverture nous montre Hitler parlant à un rassemblement de SA, en 1933.

      Extrait de la quatrième de couverture : « Nous sommes en 1953 : Hitler a gagné la guerre. La France est réduite par l'Occupant à un État semi-agricole où règne une idéologie agrarienne célébrant les vertus du travail, de la famille et de l'hygiénisme. Ce jour-là, Abel Morandon, médecin maréchaliste, prononce son discours de réception à l'Académie française, un éloge de son prédécesseur Louis-Ferdinand Céline, mort quelques mois plus tôt d'une embolie cérébrale, et dont le dernier ouvrage, La mort des juifs, a rencontré un vif succès outre-Rhin ».

      Dans un livre récent, Céline est à la fois qualifié d'ange et de démon. Ici, il est vu comme un « mythe littéraire » et une « ordure canonisée », excusez du peu.

      Céline-Bardamu se décrivait comme « scientifiquement médiocre » (l'Église). Promotion ? L'auteur, un dénommé Gosselin, l'imagine en grand inventeur de plusieurs produits miracles, soulageant successivement Pétain, Hitler et Goering, pour n'en citer que quelques-uns. Cette diatribe anticélinienne est d'une peu commune vulgarité et témoigne d'une méconnaissance abyssale de l'écrivain. Jugez plutôt : le Céline de Gosselin est académicien, chantre de la Révolution Nationale, apologiste des études gréco-latines, admirateur de Henri Pourrat et de Barrès, ami fervent et laudateur de Brasillach, et bien entendu, irréductible partisan de l'extermination des juifs.

      À quand un pamphlet intelligent contre Céline ? Ce n'est sans doute pas pour demain, il faut le craindre. La fiction a, hélas, ses limites, et, pour être efficace, il faudrait que la fabrication soit crédible. On assiste ici à une sinistre bouffonnerie d'une bêtise insondable. Qu'il se soit trouvé dans la « Belle Province » un éditeur assez borné pour rendre publique cette prose affligeante est une autre mauvaise nouvelle pour nos amis québécois.

      Marc Laudelout
      Le Bulletin célinien
      celinebc@skynet.be
      http://www.lfceline.fr.st


1.3 — Guy Laflèche, « Fin de la parenthèse et retour aux fumées d'Auschwitz »

      On trouvera dans les fichiers du Devoir le soi-disant compte rendu du premier roman d'Yves Gosselin par Christian Desmeules. Comme on le voit, ce prétendu compte rendu est en fait une défense et illustration du choix imposé par Jean-François Nadeau et une attaque sournoise à mon endroit pour avoir dénonocé ce choix. J'ai bien entendu répliqué aussitôt. Ici, et non dans les pages du journal où je suis interdit de parole.

Le Devoir plaide le « second degré »

Contrairement à la soldate du Pentagone,
celui du
Devoir est volontaire : l'acheté à crédit, le vendu, est « payé pour »
C'est le plaisant placide du beau bocal où il chronique.

« Fin de la parenthèse
et retour aux fumées d'Auschwitz »

Quelle horreur que cette totale insensibilité. Ainsi le Devoir continue-t-il de manipuler l'information de la manière la plus sordide.

En effet, la réplique du Devoir à mes protestations paraît aujourd'hui. « Journal d'une ménagère à Auschwitz » (le Devoir, 27 décembre 2003, p. E7). Elle est évidemment de Jean-François Nadeau, par un autre de ses sosies (les moustachus dans l'âme ne manquent pas), Christian Desmeules, après Louis Hamelin. Le sbire ne s'en cache pas dans la longue parenthèse qui fait plus du tiers de son prétendu compte rendu du Jardin du commandant, le premier roman d'Yves Gosselin (Montréal, 42e Parallèle, 2003, 284 p.). Honte à lui.

Voici les deux phrases qui me visent et servent de réplique aux protestations que j'ai développées dans ce fichier internet depuis plus de deux mois maintenant :

« Mais ceux qui savent lire liront Discours de réception. Les autres, lecteurs au premier degré, agités du bocal ou polémistes en mal de batailles, ceux qui connaissent leurs lettres mais sans jamais dépasser l'alphabet, ceux-là pourront toujours croire qu'il s'agit d'autre chose que d'une critique impitoyable de l'antisémitisme et des idéologies totalitaires ».

Évidemment, je ne suis pas nommé, mon fichier sur la Toile n'est ni présenté ni même désigné. Je suis, à moi tout seul, de nombreux « agités du bocal ou polémistes en mal de batailles ». Comme je suis interdit de parole dans le Devoir, il y a évidemment quelque lâcheté à Christian Desmeules de m'inventer une armée et des armes de destruction massive (« L'attention suscitée par Discours de réception [..] nous y ramène » : quelle attention ? — les manipulations du Devoir ?). Ainsi, le sosie du puissant directeur-adjoint peut-il s'épargner toute argumentation pour remplir la mission de défendre le journal où il exerce le métier de chroniqueur (genre soldate d'Irak, version le Devoir). Non seulement il a, lui, droit de parole dans le journal, mais il est manifestement en service commandé. Honte à lui.

On aimerait savoir en effet d'où il tient le livre de Gosselin paru au 42e Parallèle et on aimerait également savoir de quelle maison d'édition il s'agit.

Christian Desmeules s'ajoute ainsi à la chaîne d'irresponsablilités que je dénonce. Surtout que je n'ai pas la réponse à ces deux questions, fort simples. D'ailleurs, les deux questions n'en font qu'une et la réponse n'est pas à choix multiple : Jean-François Nadeau, président du jury du Prix littéraire des collégiens et qui a personnellement choisi le livre d'Yves Gosselin, a commandé à son chroniqueur, évidemment fort heureux de l'être et payé pour, de défendre son choix. Comme Christian Desmeules ne donne pas son adresse de courrier électronique et que les journalistes du Devoir (dont J.-F. Nadeau) refusent de répondre à mes questions, j'en suis évidemment réduit à proposer ces déductions sans pouvoir les vérifier. Mais on admettra qu'elles sont assez vraisemblables. En tout cas, elles font mentir ma prédiction. Je croyais qu'on ne trouverait jamais personne le moindrement intelligent ou cultivé pour prendre la défense du livre d'Yves Gosselin. J'avais oublié l'argument de Sartre contre Céline (faux, mais qui lui a valu le pamphlet « À l'agité du bocal ») : « il était payé pour ». Christian Desmeules est chroniqueur du Devoir pour le Cahier des Livres dirigé par Jean-François Nadeau. Honte à lui, honte à eux.

Je n'ai pas encore vu le Jardin du commandant, mais il est clair que le compte rendu de Christian Desmeules vaut exactement, ni plus ni moins, celui de Louis Hamelin sur le Discours de réception : invraisemblable résumé dithyrambique, sans l'ombre de la moindre analyse critique, manifestant une totale insensibilité pour les horreurs nazies avec lesquelles Gosselin s'amuse, les chroniqueurs s'en amusant eux aussi beaucoup.

Le Devoir plaide donc « l'ironie et le second degré ». Ainsi s'ouvre la parenthèse de Christian Desmeules pour la défense du Discours de réception. Celui-ci dénoncerait l'« antisémitisme » et les « idéologies totalitaires » (écho de la quatrième de couverture de Lanctôt Éditeur). Comment ? « Par l'absurde ». Or, je l'ai démontré dès le début, personne ne peut prendre au « sens propre » le Discours de réception (ce dont le pauvre Christian Desmeules a le front de m'accabler, à sa courte honte, honte à lui). J'ai expliqué tout cela déjà précisément et longuement. Reprenons pour le pauvre homme ce qu'expose ma toute première réplique au Devoir, le premier texte de ce fichier. D'accord, Yves Gosselin ne tient pas le discours antisémite de son personnage. Non. Mais alors, quel est donc ce « sens second », ce « sens profond », ce « sens figuré » que manifesterait le roman d'Yves Gosselin ? (évidemment, nous connaissons la réponse, exposée ici en long et en large, mais pas les lecteurs du chroniqueurs au Devoir où j'ai été interdit de parole, tous ceux d'entre eux du moins qui ne connaissent pas le présent fichier ... dont le chroniqueur cache l'existence ! honte à lui ? oui, honte à lui, hypocrite et malveillant). Christian Desmeules affirme que je suis un imbécile incapable de comprendre qu'il s'agit d'une « critique impitoyable de l'antisémitisme et des idéologies totalitaires » (écho de la quatrième de couverture de Lanctôt Éditeur, je le répète : mais dites donc, est-ce qu'il est payé aussi pour défendre le budget publicitaire de Lanctôt Éditeur au Devoir ? lui aussi ?). Mais lui, Christian Desmeules a compris qu'il s'agit d'une « critique impitoyable de l'antisémitisme et des idéologies totalitaires ». Pour moi, d'après lui, il s'agirait « d'autre chose ». De quoi donc ? ... un roman de crétins, oui. Honte à lui de cacher cela à ses lecteurs. Mais Christian Desmeules, qui n'en est pas à une lâcheté près, est payé pour, pour jouer les plaisants placides du beau bocal où il chronique. Honte à lui, donc.

Mais est-ce que ce serait trop lui demander de bien vouloir nous expliquer comment la mise en scène d'un bouffon peut lui paraître relever de la critique, alors qu'il s'agit d'un discours loufoque tout à la fois anachronique (et parsemé d'anachronismes), profondément niais et débile (question « eugénisme » et autres balivernes relatives à Céline), manifestant un plaisir évident de jouer les données historiques avec une parfaite immoralité et une répugnante vulgarité ? Le pauvre chroniqueur s'amuse d'ailleurs à relever quelques charmants anachronismes (agrémentés de réserves qu'il n'expose pas, honte à lui, n'étant pas payé pour cela). Christian Desmeules attendait vraiment ce livre, il lui a appris quelque chose ? Rien du tout. Manifestement, le Discours de réception ne dénonce ni Céline, ni l'antisémitisme, ni rien, je l'ai écrit clairement il y a deux mois, tout simplement parce que l'auteur, je le répète, n'a absolument rien à dire ni rien à exprimer.

C'est clair : ce livre est une ordure.

Pourquoi ? Mais parce que c'est exactement le contraire qui est vrai : ce discours « antisémite » n'a absolument aucun sens second, figuré ou profond; or, ce discours de « premier degré » (qui n'en a pas d'autres), bouffonnerie pour incultes, porte sur Auschwitz.

Avec ceux dont il prend la relève, Christian Desmeules s'amuse beaucoup de ces irresponsabilités : « Auschwitz », « On déporte, on s'approprie, on extermine », « ...les fumées nauséabondes qui s'échappent jour après jour des fours crématoires du camp de concentration... », « les coulisses de l'horreur mécanisée d'Auschwitz », « ...une montagne de chaussures d'enfants », « fumées d'Auschwitz ». Et comme les autres, ce qui est terrible (pour nous tous, au Québec du moins), les bonnes intentions de Christian Desmeules ne font absolument aucun doute. Il est persuadé de collaborer au « pari exigeant d'une littérature de combat » pour « secouer l'indifférence et l'oubli ». De la « dynamite ». Honte à lui, honte à nous.

Un bouffon qui déblatère, jouer à raconter des histoires (celle d'une « petite madame » qui ignore tout...) : il ne passe pas par l'esprit de ces cuistres de l'information qu'il s'agit là d'un criminel comportement enfantin ? Sous prétexte de littérature, dans le Cahier des Livres, c'est le Devoir qui joue à manipuler ainsi l'information de manière sordide. Quelle horreur.

Guy Laflèche,
27 décembre 2003


2 — Lettres ouvertes

2.1 — Aux journalistes du Devoir

Dimanche, 2 novembre 2003

Employés, journalistes et dirigeants
du Devoir,

Mesdames, messieurs,

Vous m'excuserez de faire ainsi irruption dans votre boîte électronique, mais je tiens à ce que vous soyez informés des protestations que j'adresse à la direction de notre journal. Lecteur du Devoir depuis toujours, je présuppose que vous considérerez tous que ce journal appartient tout autant à ses lecteurs qu'à ses artisans, même si chaque numéro est d'abord votre oeuvre et celle de la direction et de la rédaction, ce jour-là, ces années-là, où vous y travaillez.

1- En 1995, M. Sansfaçons refusait obstinément de faire paraître un très simple texte d'opinion mettant en cause mes collègues historiens. Qu'à cela ne tienne, j'en ai fait une publicité, publicité refusée par M. Descôteau pour le numéro des 11-12 novembre 1995. À ma connaissance, c'est le seul texte d'opinion jamais refusé comme publicité au Devoir (texte d'opinion qui ne pouvait prêter à aucune accusation de diffamation ou autre, s'agissant simplement d'une polémique intellectuelle entre collègues historiens).

2- En 2002, le Devoir a refusé obstinément que je puisse protester contre le résultat d'un reportage (bien caché, mais bien payé par la publicité) nous appelant tous à « fêter » l'anniversaire du suicide d'Aquin. J'ai distribué mon tract comme un brave lors de l'événement à la cinémathèque, pour expliquer que le suicide d'Aquin était un mythe, s'agissant d'un « aliénicide » (c'est-à-dire de la mort d'un suicidaire, d'une personne victime d'une maladie mentale, qui aurait dû être soigné et qui, dans ce cas, serait probablement encore parmi nous aujourd'hui). Aujourd'hui même, au contraire, on lit dans notre journal sous la plume du pauvre Michel Biron un nouvel avatar du mythe, « Aquin ou le suicide comme oeuvre d'art », compte rendu du pauvre Sheppard. Désolant. Il me paraît criminel de faire ainsi l'apologie du mythe d'un suicide. Or, cela serait aujourd'hui impossible ou du moins plus difficile, je crois, si mon journal avait simplement permis que je m'exprime dans ses pages, ce que j'ai réclamé en vain à hauts cris.

3- En 2003, maintenant, c'est d'antisémitisme qu'il s'agit, comme vous le verrez ci-dessous.

Évidemment, il faut que ce soit gros, très gros pour que je tienne absolument à intervenir encore dans le journal où je me sens ostracisé. Cette année, comme l'année dernière, il s'agit d'une réaction d'un spécialiste des études littéraires sur une question soulevée par une publication de notre journal dans le « Cahier des Livres ».

Je n'ai pas d'autres objectifs par le présent message que de vous transmettre ces informations et, évidemment, mes protestations. Aux journalistes parmi vous, je serais reconnaissant de faire connaître ces informations, puisque c'est votre métier. À tous ceux d'entre vous qui seriez d'accord avec la légitimité de mes protestations, je serais reconnaissant de vous voir protester auprès de la direction de notre journal.

Voici mainteant la lettre que j'ai tenté de vous faire transmettre par le Syndicat des journalistes du Devoir qui n'a pas accusé réception de mon envoi et qui est le principal objet du présent message :

Le 30 octobre 2003

Monsieur Paul Cauchon, président, Syndicat des journalistes du Devoir.

cc redaction@ledevoir.com

Cher monsieur Cauchon,

Accepteriez-vous de transmettre copie du présent message aux journalistes du Devoir ? Il me semble que la direction de votre journal ne devrait pas s'y opposer, si même elle ne décidait pas, à votre demande, de le faire elle-même pour y ajouter sa version ou ses raisons.

Depuis une semaine aujourd'hui, j'ai adressé au journal une énergique et virulente protestation contre le compte rendu de Louis Hamelin sur le livre d'Yves Gosselin mettant en scène un discours antisémite fictif absolument inacceptable. Je n'accuse nullement Gosselin ou Hamelin — et encore moins le Devoir — de partager les idées véhiculées par le roman, mais de manquer d'intelligence au point d'insulter les victimes des camps de concentration nazis, les juifs collectivement et, par conséquent, nous tous. C'est simple et c'est mon titre : ce livre est une ordure.

Toute personne intelligente qui l'a en main ne met pas dix minutes en s'en rendre compte.

Le texte de ma réaction critique se trouve à l'adresse suivante :

< http:_//_www.mapageweb.umontreal.ca/lafleche/po/gos.html >.

Le Devoir a évidemment le pouvoir de refuser de publier ma réplique. Je crois toutefois qu'il a le devoir de la publier intégralement, comme j'avais le devoir moral de l'écrire. J'ai longtemps donné, à l'Université de Montréal où je suis professeur, un cours entièrement consacré à l'oeuvre de Céline, mes deux articles spécialisés sur son style et ses pamphlets antisémites font autorité et ses romans occupent toujours une place importante dans mon enseignement. Je suis donc bien placé pour expliquer pourquoi le roman d'Yves Gosselin est ignoble d'ignorance et de niaise forfanterie, que sa publication chez Lanctôt et sa promotion au Devoir sont moralement inacceptables.

Je ne sais pas pourquoi la direction refuse de faire paraître mon intervention critique. Toutefois, si je pense à vous écrire, c'est tout simplement parce que je vois aujourd'hui la publicité de Lanctôt Editeur en première page du journal (elle fait évidemment partie du budget du Cahier des Livres...). Je n'accuse pas la direction de protéger sa publicité, mais je pense qu'avec l'ostracisme dont je suis victime à votre journal, cela pourrait bien être une explication parmi d'autres et qu'il y a là apparence de conflit éthique. Aux journalistes et notamment au Syndicat d'en juger en regard des explications que vous devriez exiger et obtenir de la rédaction.

Quoi qu'il en soit, je ne vous demande rien d'autre que de faire parvenir la présente aux journalistes du Devoir, libre à la rédaction d'y ajouter sa version. Je vous serais reconnaissant de m'indiquer dès demain vendredi, 31 octobre, si cela a pu être fait ou non, auquel cas je m'adresserai personnellement à chacun des journalistes, un à un, au cours de la fin de semaine qui vient, si mon travail peut m'en laisser le temps.

Je vous prie d'agréer, cher monsieur Cauchon, l'expression de mes meilleurs sentiments,

__gl>-

Guy Laflèche,
Professeur titulaire,
Études françaises,
Université de Montréal.

Voilà. Je sais bien que je fais figure de triste Hidalgo, du genre Don Guichote de Montréal, mais vous avouerez que s'agissant de suicide à distinguer de l'aliénicide, puis maintenant d'antisémitisme et de camps d'extermination nazis, il n'y ait pas de quoi rire.

Bien à vous tous,

__gl>-


2.2 — Message au groupe de discussion LITOR

      Depuis plusieurs jours, le groupe de discussion LITOR interroge la pensée du linguiste et philosophe britannique George Steiner à l'occasion d'une entrevue à la radio française où il tiendrait, avec d'autres, des propos réactionnaires, ce qui n'est pas interdit, évidemment. En revanche, quelques membres de notre groupe trouvent que quelques passages de ses essais frisent l'antisémitisme ou la justification des camps de la mort. C'est dans ce contexte que je propose le cas qui nous intéresse ici. Voici le message que j'ai adressé aux membres du groupe.

Jeudi, 20 novembre 2003

Bonjour,

Passons à autre chose ? Pourquoi pas.

Mais avant, je voudrais remercier tous les intervenants dans ce débat concernant George Steiner. J'ai actuellement devant moi Dans le château de Barbe-bleue, que je viens d'acheter, mais je n'ai pas pu trouver à Montréal son Transport de A. H., ni en édition originale, ni dans la collection Livre de poche, ni même dans les bibliothèques que je fréquente. Ce qui me stupéfie, évidemment, dans les extraits de François Rastier, c'est le discours délirant sur les camps d'extermination des Juifs. Ces ouvrages sont parus depuis 20 ou 30 ans et il faut LIT+OR, des extraits de notre modérateur, puis des extraits de l'un de nous, F. Rastier, pour qu'enfin on s'interroge ?

Justement, puisqu'il faut bien passer à autre chose, puis-je vous proposer un sujet semblable qui me désole actuellement ?

Le journal le Devoir de Montréal a publié le 19 octobre dernier un compte rendu pleine page, avec illustrations, d'un « roman » paru à Montréal (chez Lanctôt Éditeur) intitulé Discours de réception, d'un certain Yves Gosselin. Le « roman » prête tout simplement, sur plus de 150 pages, un délirant et abject discours antisémite à un personnage faisant l'éloge du romancier Louis-Ferdinand Céline (dans le contexte où le fascisme nazi aurait triomphé lors de la dernière guerre).

Il se trouve que je connais fort bien l'oeuvre romanesque et pamphlétaire de Louis-Ferdinand Destouches dit Céline que j'ai longtemps enseignée à l'Université de Montréal et qui occupe toujours beaucoup de place dans mon enseignement. J'ai donc tenté en vain de répliquer à cette ordure (car il n'y a pas d'autre mot pour qualifier ce « roman » — dont j'ai fait précisément le titre de mon intervention).

Ici intervient LITOR. Littérature et ordinateur. C'est sous prétexte de « littérature » que le Cahier des Livres du Devoir peut faire la promotion d'un « roman » abject qui tout à la fois méprise l'oeuvre romanesque de Céline et en même temps amoindrit, détourne et déforme son discours pamphlétaire antisémite, fasciste et raciste dans un formidable crachat à la figure de tous les survivants des camps de la mort nazis, nous tous. Voilà pour la « Littérature » où j'ai été absolument incapable de protester.

Heureusement, dans LITOR, il y a « ordinateur ».

D'abord le fichier internet que j'ai pu mettre en place à ce sujet :

< http:_//_www.mapageweb.umontreal.ca/lafleche/po/gos.html >,

ensuite, le présent message ! (sur LITOR, car la proportion des membres par ailleurs branchés et actifs sur la Toile y est évidemment plus forte qu'ailleurs, de sorte que plusieurs d'entre vous avez immédiatement accès au site dont vous avez l'adresse ci-dessus).

Sans l'internet et sans le courriel, il me serait impossible de protester.

Alors peut-être ne faut-il pas être surpris qu'une transcription d'extraits d'une entrevue par Patrick Rebollar et les extraits de François Rastier sur les essais de George Steiner ne nous parviennent que trente ans après les faits et précisément sur LITOR, pas ailleurs. C'est en tout cas grâce à l'ordinateur, c'est-à-dire la communication électronique qu'il permet.

Je me débranche en vous saluant tous, — Guy


2.3 — Lettre ouverte à la Fondation Marc Bourgie

Lundi, 24 novembre 2003.

Mme Claude Bourgie-Bovet,
Fondation Marc Bourgie,
cbourgie@prixlitterairedescollegiens.ca

Madame,

Depuis près d'un mois maintenant, je dénonce l'ouvrage d'Yves Gosselin dont le Devoir a lancé la promotion. Le journal a refusé que je réplique au compte rendu incompétent qu'il a laissé paraître. Je vois que cette promotion est en fait une compromission, puisque le livre de Gosselin est maintenant devenu l'un des cinq ouvrages destinés par le journal au Prix littéraire des collégiens.

Mon seul objectif est de dénoncer le « roman » d'Yves Gosselin, car il s'agit tout simplement d'une ordure. Si un ouvrage pornographique et franchement imbécile comptait au nombre des cinq oeuvres soumises au jugement des collégiens, ce ne serait rien du tout en regard de l'ouvrage abject dont il est question ici.

Vous trouverez ma dénonciation circonstanciée à l'adresse suivante :

< http:_//_www.mapageweb.umontreal.ca/lafleche/po/gos.html >.

Je ne sais pas comment vous sortirez de cet imbroglio, mais je pense que le mieux est de tout simplement dénoncer l'incompétence des journalistes du Devoir. De toutes façons, comme je m'en charge, vous auriez avantage à prendre contact avec moi à ce sujet pour que je puisse vous aider au mieux de mes connaissances.

Peut-être n'avez-vous pas pensé que les universitaires sont à votre service ? — contrairement aux journalistes, évidemment au service de la promotion de leur journal.

Et question de compétence, vous ne pensez pas que ce serait plutôt aux centres de littérature québécoise des universités de Montréal et de Laval (regroupés sous le nom de CRILCQ, le Centre de recherche interuniversitaire sur la littérature et la culture québécoises) de procéder de manière compétente à la mise en place du mécanisme propre à choisir correctement les oeuvres à soumettre aux collégiens ? Chose certaine, dans ce cas, le livre inqualifiable que je dénonce n'aurait jamais eu aucune chance de se retrouver en lice.

Je vous rappelle que mon objectif est de dénoncer un livre infect. Vous devriez trouver dans mon fichier internet assez de raisons pour vous convaincre que je ne dois pas avoir tout à fait tort !

La question qui devrait vous importer est celle-ci : le Devoir savait depuis exactement le jeudi 23 octobre 2003 que je dénonçais l'ouvrage. J'ai mis mon site internet en place deux jours plus tard, le 25 octobre. C'est trois semaines plus tard seulement que le roman a été proclamé en lice. J'ai fait mon devoir en dénonçant immédiatement le livre au journal. Vous devez maintenant faire le vôtre en dénonçant le journal au public.

Nous n'avons pas de choix.

Je vous prie d'agréer tristement l'expression de mes meilleurs sentiments,

__gl>-

Guy Laflèche,
Professeur titulaire,
Université de Montréal

Copies conformes

Copie du présent message a été adressée et s'est rendue aux adresses suivantes :

Mme Francine Turbide, collège Montmorency, administration,
fturbide@cmontmorency.qc.ca

M. Bernard Descôteaux, directeur du Devoir,
redaction@ledevoir.com

M. Stanley Péan, écrivain, porte-parole du PDC,
stanpean@hotmail.com

Mme Francine D'Amour, collège de Montmorency,
fdamour@cmontmorency.qc.ca

Remarque : les autres professeurs du Comité de coordination n'ont pas d'adresse électronique. Les responsables sont priés de leur en faire parvenir copie, dont merci.

M. Pierre G Mailhot, a/s Mme Oria Hamadi,
ohamadi@cgpvicto.qc.ca

c.c. aux journalistes et employés du Devoir.


3 — Communiqués de presse

3.1Dénonciation de la Fondation Marc Bourgie, 27 novembre 2003.

3.1Dénonciation du Devoir, 13 décembre 2003.


4 — Le CRILCQ et son Lamartine

Correspondance
  1. Appel à mes collègues contre l'initiative du Crilcq
  2. Réponse spontanée du directeur du Crilcq
  3. Réplique à la réponse inacceptable de Pierre Nepveu
  4. Piteuse réponse du directeur
  5. Réponse officielle du CRILCQ
Analyse
  1. Le CRILCQ et son Lamartine
  2. Les noms (de la pastorale littéraire du CRILCQ)
  3. L'action (de la pastorale littéraire du CRILCQ)
  4. Le résultat (de la pastorale littéraire du CRILCQ)

      Le CRILCQ est le Centre de recherche interuniversitaire sur la littérature et la culture québécoises. Il s'agit du nouveau centre regroupant le Centre d'études québécoises (CÉTUQ) de l'Université de Montréal et le Centre de recherche en littérature québécoise (CRELIQ) de l'Université Laval, à Québec.

      Pour que tout soit clair sur ce point, je dirai tout de suite que j'ai toujours été un farouche opposant de ces machines administratives dès qu'elles ont dépassé leur fonction initiale, celle du centre de documentation, pour devenir des structures gérant la recherche et des fonds de recherche. À Québec et à Montréal, c'est un demi-million de dollars par année qui est englouti dans le CRILCQ, une fortune, l'essentiel étant détourné de la recherche, la seule qui importe dans notre domaine, la recherche responsable conduite sous la responsabilité intellectuelle des professeurs d'université, avec leurs étudiants.

      Oublions un moment la pastorale littéraire du CRILCQ qui finance tables rondes, conférences, lectures, soirées, causeries, colloques, ateliers, séminaires et journées d'études — et leurs publications ! Un centre de littérature québécoise, me semble-t-il, devrait s'occuper de rassembler la documentation pour les chercheurs, les professeurs et les étudiants. La documentation, la recherche — la documentation au service de la recherche. Pas de chance, je peux illustrer à moi tout seul, ici, les deux failles des deux piliers foudroyés de l'édifice. Ce n'est pas pour rien que j'ai toujours été un farouche opposant du développement tentaculaire inadéquat de ces centres.

      D'abord, question recherche, l'étude que j'ai publiée en 2001 fait la preuve que les ouvrages fondateurs du Centre de Laval (le CRELIQ) sont tout bonnement des amalgames de plagiats d'assistants de recherche recopiés par leurs responsables se livrant à leur tour au démarquage de texte. C'est ce qu'on doit apprendre aux collégiens à ne jamais faire et qui a produit tout ce qui concerne la Nouvelle-France (qui est mon domaine de recherche) dans la Vie littéraire au Québec, puis les Écrits de la Nouvelle-France, dirigés ou rédigés par Maurice Lemire, fondateur du Centre. J'analyse cela mot à mot dans « Les sauvages de l'histoire littéraire », Recherches amérindiennes au Québec (vol. 31, no 2, 2001, p. 105-111). Je ne fais pas d'amalgame ou ne généralise rien du tout : j'explique sur un cas particulier que les « compilations » d'assistants conduisent rarement à la recherche dans notre domaine et souvent au pire, dont exemple.

      Ensuite, question documentation, je viens de réaliser une étude critique sur le détournement (il n'y a pas d'autres mots) du patrimoine documentaire des deux Centres de littérature québécoise : l'Union des écrivains québécois en a fait sa chose, ce qui lui permet de délivrer des certificats d'écrivain, privilège de ses membres. Encore un scandale, c'est bien probable. Pour bien saluer mes critiques vis-à-vis du CRILCQ, j'en fais sur l'heure un nouveau chapitre de mes polémiques :

L'« ILE » des simoniaques

Voilà pour le CRILCQ, qui ne m'inspire vraiment pas de bons sentiments.

      Cela dit, je puis garder le sens des proportions. Je suis un irréductible opposant au Centre de littérature québécoise, soit, mais ce n'est pas une raison de penser qu'il ne peut en sortir que du mal, du mauvais et du pire. Je proposais même à la Fondation Marc Bourgie, on s'en souviendra, de confier au CRILCQ l'organisation du Prix littéraire des collégiens.

      C'est donc avec stupeur et incrédulité que j'ai appris le 12 janvier que le CRILCQ mettait en oeuvre sa pastorale littéraire au service du Prix des collégiens de la Fondation Marc Bourgie. Il faut savoir que cela faisait alors deux mois que je dénonçais l'affaire Gosselin auprès de mes collègues, alors que ce sont quelques-uns d'entre eux, les membres et responsables du CRILCQ à Montréal, qui organisaient l'événement.

      Alors voici ma correspondance à ce sujet. Suivra son analyse.

Correspondance

4.1 — Appel à mes collègues contre l'initiative du CRILCQ

13 janvier 2004, 19h42
Professeurs du département des Études françaises,
Université de Montréal.

Chers collègues,

Oui, encore l'affaire Gosselin.

Le CRILCQ annonce dans son « Babillard, calendrier des activités 2003-2004 » (sans aucune date d'édition ni de version d'ailleurs) en page 6, dans ses « Rencontres d'écrivains », une série de rencontres « Dans le cadre du Prix littéraire des collégiens », avec les cinq auteurs en lice, dont le fameux Yves Gosselin.

Comme j'ai adressé mes communiqués aux responsables du CRILCQ de Montréal et de Québec, mes fichiers d'analyses et de protestations ne peuvent avoir échappé aux directeurs et à leurs comités de direction. Si j'étais membre du CRILCQ, je m'opposerais énergiquement à ce qu'on fasse la promotion du Prix des collégiens cette année 2004 et dénoncerais le fait de donner quelque tribune que ce soit au dénommé Yves Gosselin. Il ne s'agit pas de censure, il ne s'agit pas de le faire taire, bien au contraire, mais on ne saurait lui donner une tribune où il ne peut de toutes manières que dire des âneries, c'est forcé, étant donné la nature et le contenu de ses deux romans.

Est-ce que les responsables du CRILCQ, c'est bien le cas de le dire, veulent s'ajouter à la chaîne des irresponsables que je dénonce?

Bien tristement, — Guy

4.2 — Réponse spontanée du directeur du CRILCQ

Jeudi, 13 janvier 2004, 20h10

Cher Guy,

À titre de responsable intérimaire du CRILCQ, je prends acte de ton dernier message au sujet de la table ronde à venir avec les finalistes du Prix des collégiens. Je précise que je n'ai pas lu le roman concerné, Discours de réception, et que je n'ai guère l'intention de le lire : si ce roman t'a indigné, je dirais que le sentiment général est qu'il s'agit surtout d'un assez mauvais roman, passablement ennuyeux. Mais enfin, un jury de plusieurs personnes l'a retenu... Aucun d'entre eux, en tout cas, n'y a lu un manifeste antisémite et je n'ai encore vu aucun journal qui ait porté l'affaire devant le grand public. Ni ton préféré, le Devoir, ni aucun autre. Le Congrès juif et le B'nai B'rith ne se sont par ailleurs pas (encore) manifestés. Pas plus que les profs de CEGEP dont les étudiants sont en train de lire les romans en lice.

Donc, à moins d'un revirement de dernière heure, tu me permettras de maintenir le programme actuel et la table ronde prévue, avec tout le respect que je dois à ton opinion.

Très cordialement,

Pierre Nepveu
Directeur intérimaire,
CRILCQ

4.3 — Réplique à la réponse inacceptable de Pierre Nepveu

14 janvier 2004

Re : Le CRILCQ et l'affaire Yves Gosselin

Mon cher Pierre,

La présente n'est pas personnelle. J'écris au directeur du CRILCQ.

Je ne répondrai pas, évidemment, au message que tu m'as envoyé en réponse à la protestation que j'ai adressée aux collègues et en particulier aux dirigeants et membres du CRILCQ parmi nous. À moins qu'une discussion s'ouvre à ce sujet entre nous, ce qui me surprendrait beaucoup, je n'ai pas à te répondre, ni personnellement, ni devant les collègues.

En revanche, tu dois être bien conscient que le CRILCQ, lui, sera l'objet de mes foudres, ce qui ne devrait pas donner lieu à polémique, pas plus qu'avec le Devoir, la Fondation Marc Bourgie, Lanctôt Éditeur, etc. En général, une fois écrasées mes victimes perdent la crédibilité de simplement pourvoir répliquer. Je te jure que ce sera le cas du CRILCQ, pour la raison évidente que je ne saurais porter des accusations contre les journalistes et dirigeants du Devoir et épargner le CRILCQ parce que ce sont mes collègues qui y travaillent. Je suppose que tu comprends cela. C'est une question d'honnêteté intellectuelle.

Tu me demandes ironiquement si je te permets de maintenir la table ronde réunissant les finalistes du Prix des collégiens. Bien sûr que non. Je n'ai absolument aucun pouvoir au CRILCQ, ni même droit de parole, n'y étant pas membre. Cela dit, pour utiliser ta formule ironique, tu me permettras aussi de dire que, non, je ne respecte pas du tout les opinions du CRILCQ que tu transmets dans ta lettre.

Et c'est l'objet de mon message : je me permets, sans aucune arrière pensée, de te demander de bien vouloir t'assurer que ton message reflète bien la position du CRILCQ, notamment son Comité de direction et ses autres comités supérieurs s'il s'en trouve. Je suppose que oui, ayant parlé à X tout à l'heure : il m'a dit qu'à son avis ton message représentait bien la position du CRILCQ (ce qui n'est pas mon problème, mais le tien, je te le dis amicalement). Toutefois, après quelques minutes seulement (car on ne pouvait se parler longtemps : il devait retrouver ses gants !), il n'avait pas l'air certain d'être d'accord avec cette position, car, contrairement à toi il veut absolument voir le livre et paraissait plus que sensible à mes positions — et même absolument certain que je ne pouvais pas avoir tort (c'est pour te dire). Mais pour lui, la question ne se pose pas, car il est en sabbatique.

Je ne sais pas encore quelle forme prendra mon opposition à la Table ronde du CRILCQ sur le Prix des collégiens, mais je devrais normalement commencer par en signaler l'existence, le fait que j'ai protesté en vain, sans publier mon message qui n'apporte rien de neuf, mais en reproduisant le tien qui, lui, présente la position du CRILCQ et m'est adressé de ta part à titre de Directeur.

Je n'attendrai pas ta réponse pour agir, évidemment. En revanche, si tu avais besoin d'un délai pour consulter (à nouveau) les instances ou les comités du CRILCQ, tu voudras bien me dire combien de temps il te faut. Si l'événement était annulé, j'en serais fort heureux : c'est mon premier objectif. Faute de quoi mon second est de le dénoncer. J'en ai le droit et je ne te demande pas la permission. Je tiens seulement à t'en informer clairement d'abord.

Bon jeudi, bon vendredi, et ce sera enfin la fin (de semaine), — Guy

Ou plutôt : Guy Laflèche, titulaire.

4.4 — Piteuse réponse du directeur

15 janvier 2004

Cher Guy,

Je ne crois pas avoir utilisé l'ironie dans ma lettre, en tout cas ce n'était pas mon intention. Cela dit, oui, je crois en effet que j'aurais besoin d'un délai pour consulter le comité de direction du CRILCQ. La réponse que je t'ai faite ne saurait être considérée comme la position officielle du CRILCQ avant que j'aie parlé à mes collègues. Et puis, il me fait plaisir de t'annoncer que je me suis ravisé et ai décidé d'acheter le roman de Gosselin, pour me faire une idée plus juste de l'enjeu. Cela dit, je t'avertis tout de suite que je ne vais pas m'engager dans une série d'échanges interminables et de courriels fleuves. Tu seras informé en temps et lieu de la position officielle du CRILCQ et des mesures à prendre au besoin.

Très cordialement,

Pierre Nepveu,
Directeur du CRILCQ.

4.5 — Réponse officielle du CRILCQ

19 janvier 2004

Cher Guy,

À la suite de nos échanges, le comité de direction du CRILCQ s'est réuni aujourd'hui, ce lundi le 19 janvier à midi, pour discuter de « L'affaire Yves Gosselin ». Je tiens à préciser que, contrairement à ce que j'avais annoncé, j'ai pris la peine de lire le roman d'Yves Gosselin, Discours de réception, ce qu'ont aussi fait Gilles Dupuis et Patrick Poirier.

Au terme de cette réunion nous en arrivons aux conclusions suivantes.

1. Sans nier que le roman d'Yves Gosselin puisse être tendancieux et complaisant, pour autant qu'il fait tenir à un académicien fictif de 1953 un discours lourdement antisémite, nous sommes d'avis que le roman comme tel ne saurait être considéré comme antisémite et cela pour deux raisons : a) le paratexte (4e de couverture, épigraphes) dit explicitement le contraire; 2) le roman se sert clairement de la figure de Louis-Ferdinand Céline, à qui l'académicien rend hommage, pour critiquer l'hygiénisme et l'eugénisme contemporains, le discours anti-juif du personnage se situant dans une dénonciation plus large, et évidemment ironique, de toutes les impuretés et de toutes les « tares » humaines au nom du progrès médical et technique et d'une « sainte alliance » entre la France et l'Allemagne qui fait bien sûr allusion à l'Europe nouvelle.

2. Nous croyons que l'indigence de ce roman, l'importance outrancière que l'éditeur semble lui accorder [sic], le traitement de Louis-Ferdinand comme « ordure canonisée » en 4e couverture, ainsi que toutes autres questions concernant la valeur littéraire de l'ouvrage et la qualité de son auteur [?] ne sont aucunement de notre ressort. Il n'est pas en notre pouvoir, et ce n'est pas notre rôle, de remettre en question le choix du jury (nous nous dissocierions toutefois de ce choix si nous jugions le roman haineux ou diffamatoire).

3. Le rôle du CRILCQ se bornant à organiser des tables rondes autour desquelles les finalistes du Prix des collégiens sont réunis, et compte tenu des observations ci-dessus, nous croyons qu'il y a lieu de maintenir les activités déjà annoncées. Chacun conserve évidemment l'entière liberté de se présenter à ces tables rondes, d'interroger l'auteur et, au besoin, de dénoncer son travail et ses idées, sans procès d'intention et compte tenu de la liberté de parole de chacun.

Nous espérons, cher Guy, expliquer ainsi le plus clairement possible notre position. Tout en respectant la tienne, nous souhaitons aussi qu'en homme qui déteste à bon droit la censure et qui préconise la liberté d'expression, tu écouteras nos arguments.

Très cordialement,

Pierre Nepveu, directeur intérimaire
CRILCQ, site Université de Montréal.

Analyse

Le CRILCQ et son Lamartine

      « Lamartine ». Pierre Nepveu est poète et je trouve très amusant de le désigner du nom du plus pur représentant de la confrérie. Ce n'est évidemment pas sa poésie ni son oeuvre poétique que je désigne ainsi, mais sa fonction ou son travail dans ce domaine, si je puis dire. Poète. Plus poète que Lamartine, je pense que c'est impossible à imaginer.

      Mais en réalité, ce que je caractérise ainsi, ce sont les directeurs de nos Centres de littérature québécoise. Je sais que c'est terrible, mais je crois que je peux en faire la démonstration : ces gens-là sont tous des Lamartine.

      Il faut dire que Lamartine représente pour moi l'art d'écrire pour ne rien dire. Lorsqu'on n'a pas trois idées, en comptant largement d'ailleurs, il faut tout de même du génie pour en faire des Méditations poétiques, puis de Nouvelles Méditations poétiques, sans compter ses Harmonies poétiques et religieuses. Comment est-il possible d'avoir tant de succès lorsque l'on n'a rien à dire ? Directeurs, il faut que tout le monde comprenne que nous n'avons que de bons sentiments (et rien d'autre !). Mais je reconnais que c'est un art et je le retrouve tout pur dans les admirables textes administratifs des directeurs du CRILCQ. Et Pierre Nepveu plus que tout autre.

      Mais tout Lamartine qu'il soit, le directeur d'un Centre de littérature québécoise ne parvient pas toujours à ne rien dire. Il arrive que la vacuité de son expression finisse par signifier quelque chose. Lorsqu'il s'agit de racisme et d'antisémitisme, en particulier, le dérapage est clair : la volonté de ne rien dire et de ne pas agir est si évidente que Lamartine lui-même y perdrait des plumes (l'« aigle »), voire sa plume.

      Ainsi, c'est au CÉTUQ et à son Lamartine que le Québec doit l'affaire LaRue, dont j'ai tiré la conclusion dans mes Polémiques, soit la nature du texte de Monique LaRue, qui s'est étouffée de bonnes intentions, avec tous ceux qui l'ont « soutenue » dans cette triste entreprise, dont son texte témoigne à l'évidence, l'Arpenteur et le navigateur, Montréal, Fides et CÉTUQ (oui !), 1996 — publication orchestrée par Pierre Nepveu qui l'a lui même défendue dans le Devoir (26 avril 1997), alors même que la directrice Lise Bissonnette lui servait de porte-voix. Un scandale intellectuel rare. Revoir au besoin mon analyse à ce sujet :

L'arpenteuse du racisme.

Je rappelle toutefois ma conclusion, fort simple : Monique LaRue n'est pas raciste, mais le texte de sa conférence, lui, l'est profondément. J'ai expliqué pourquoi. Or, la faute en revient au CÉTUQ et à ses conférences lamartiniennes, jouant de la « transculture ».

      La pastorale littéraire de ces centres de recherche n'est pas innocente.

      Le cas se présente à nouveau aujourd'hui, mais à l'inverse. Cette fois-ci, c'est le Devoir qui est le premier responsable de l'affaire Gosselin. Il est donc naturel que le CRILCQ lui renvoie l'ascenseur !

      Si l'on revoit chacune des cinq étapes de l'affaire Gosselin selon ma correspondance avec le CRILCQ et son Lamartine, on constate vite que l'essentiel est de noyer de poisson. En logique, on commence par oublier (1) la majeure : l'ouvrage d'Yves Gosselin retenu ou imposé parmi les finalistes du Prix littéraire des collégiens n'a aucun intérêt ni aucune valeur littéraire, en plus d'être profondément antisémite — même si les bonnes intentions de l'auteur, qui n'est pas antisémite, ne font aucun doute; cela doit être dénoncé. Le CRILCQ remplace tout cela par ce qui a l'air d'une « indignation » ou une simple « intervention » de ma part, d'où (2) la mineure : mais personne ne dénonce cet ouvrage ! Dès lors (3) la conclusion est simple, puisque c'est ce qu'il s'agit de « justifier » : ce n'est pas le rôle du CRILCQ de dénoncer un ouvrage... qui ne l'est pas et ne doit donc pas l'être. CQFD. La table ronde sera maintenue. Et la seconde lettre de Pierre Nepveu d'agiter le grelot de la censure.

      Quel style, vraiment. Lamartine. Génial.

Les noms

      Il faut donc rétablir les faits. Les noms d'abord : Gilles Dupuis, Pierre Nepveu et Patrick Poirier ne sont pas ceux qui avaient lu le livre d'Yves Gosselin lors de la réunion du 19 janvier, mais bien les trois seuls membres du Comité du CRILCQ présents ! Lorsque l'on sait que l'un d'entre eux, Patrick Poirier, est un employé (le coordinateur scientifique du CRILCQ), on comprend l'attitude de Pierre Nepveu dès son premier message !

      Ce qu'on voit surtout, c'est que le « Comité de direction » du CRILCQ, c'est l'évêque, un seul de ses curés et son bedeau. Mettons que c'est pour le moins problématique dans les circonstances où il était si simple d'annuler la table ronde, puisqu'elle n'était pas approuvée par un nombre assez significatif de membres du Comité de direction du CRILCQ. L'évêque, le curé et le bedeau, titre génial du tout nouveau Peter Greenaway : il ne pouvait pas se terminer magistralement, comme tous ses autres films ?

      Je serais curieux de savoir comment la question a été traitée au Centre de Québec où elle n'a probablement même pas été abordée, puisque je n'étais pas là pour intervenir.

L'action

      L'action ensuite : c'est évidemment la caution donnée au Devoir, à son jury et au Prix de la Fondation Marc Bourgie.

      Il s'agit bien là d'une « chaîne d'irresponsabilités », chaque maillon étant justifié par (la « responsabilité » de) tous les autres. Je rappelle le texte de la publicité qui paraît aujourd'hui... dans le Devoir : « Olivieri, librairie-bistro : Prix littéraire des collégiens 2004. Le CRILCQ et la fondation Marc Bourgie présentent une causerie animée par Stanley Péan avec trois des finalistes en lice : Yves Gosselin, Discours de réception, François Gravel, Adieu Betty Crocker, Lise Tremblay, la Héronnière. — Lundi, 23 février, 19h30 » (le Devoir, 21 février 2004, p. F6).

      Donner une tribune à un négationiste, c'est criminel. Promouvoir les turpitudes d'Yves Gosselin, c'est pire : c'est cautionner un très grand nombre d'irresponsables, intellectuels patentés, qui refusent de répondre de leurs actes, qui ont refusé de répondre même tout simplement à mes questions.

      Peu importe l'issue du concours (sauf si le roman d'Yves Gosselin sortait vainqueur !). L'institution littéraire fabrique sa justification de la manière la plus implacable : éditeurs, chroniqueurs, directeurs de journaux, membres d'un jury, promoteurs d'un prix et responsables de centres littéraires. L'auteur est le seul qui n'est pour rien dans l'affaire ! Il suffit de lire sa tartine pour le comprendre.

Le résultat

      Justement, le résultat enfin : l'analyse incorrecte du Discours de réception d'Yves Gosselin.

      En effet, la seconde lettre de Pierre Nepveu, rédigée au nom du CRILCQ, participe manifestement de la critique ou plutôt de l'absence de critique des chroniqueurs du Devoir et de Voir. Certes, on commence, après trois mois d'analyse critique de ma part, à prendre conscience de quelques faiblesses de l'ouvrage, mais pas au point d'y voir le livre sans aucun intérêt ni aucune valeur littéraire dont il s'agit. Plus encore, son propos est lu au « second degré » en fonction des bonnes intentions de l'auteur.

      D'ailleurs, pour les « responsables » du CRILCQ, la seule question qui importe est celle de l'antisémitisme, mot qui ne vient pas une seule fois dans ma corresponsance comme on le voit (s'agissant d'un centre littéraire, c'est bien de littérature qu'il devrait s'agir et cela devrait suffire à discréditer l'ouvrage). Il leur importe de ne pas y donner prise et ils veulent donc s'assurer de leur parfaite innocence, ce dont personne ne peut douter : aussi précisent-ils bien que s'il s'agissait d'un « roman haineux ou diffamatoire (sic) » ils s'en dissocieraient sans hésiter. Comme on le voit, la question qui se pose pour eux, c'est eux. Un Lamartine ne doit pas s'engager, évidemment, mais il doit impérativement se désengager. Ces « responsables » ne doivent avoir aucune « responsabilité ». Bref, si Yves Gosselin n'est pas passible d'une condamnation pour discours haineux ou diffamatoire (sic) et si son roman n'est pas antisémite (sic), alors on n'en demande pas plus.

      Pour ma part, comme on le voit à la lecture de mon premier message, le 13 janvier, la question n'est pas de savoir jusqu'où on peut aller sans engager sa responsabilité, mais celle de savoir s'il n'est pas moralement criminel de participer à la promotion de l'ouvrage de quelque manière que ce soit. Là est la question. Et elle porte sur l'analyse du texte d'Yves Gosselin, son roman, dont l'analyse est de notre compétence, surtout si l'on est membre d'un Centre de littérature québécoise. Et c'est bien ce que font les « responsables » du CRILCQ pour désengager leur « responsabilité ». Je suis désolé, mais il faut les prendre au mot. On se fichera complètement de leurs ridicules réserves. C'est seulement leur défense du livre d'Yves Gosselin qui peut nous importer, puisqu'il s'agit pour eux de se justifier. Ils écrivent :

« le discours anti-juif du personnage se situant dans une dénonciation plus large, et évidemment ironique, de toutes les impuretés et de toutes les "tares" humaines au nom du progrès médical et technique et d'une "sainte alliance" entre la France et l'Allemagne qui fait bien sûr allusion à l'Europe nouvelle ».       — On peut les lire au texte.

Vraiment ? Mais vraiment ? — Voilà en tout cas ce qu'écrivent sérieusement nos trois universitaires. Avec la rhétorique de savants professeurs de lettres qui s'y connaissent, ils affirment que « bien sûr » le discours antisémite avec lequel joue Yves Gosselin se situe dans une « dénonciation plus large » et même « évidemment ironique ». Clairement, évidemment, bien sûr, voilà un autoritarisme factice qui n'a pas besoin de la moindre illustration textuelle (et pour cause !). En fait, leur innocence déclarée (et fort crédible, il faut le dire) profite précisément de l'innocence crasse de l'auteur que je dénonce depuis quatre mois : les (bonnes) intentions d'Yves Gosselin ne font absolument aucun doute. Quel sens faut-il alors donner au roman ? Mais voyons, bien sûr, c'est évident, disent nos intellectuels : il s'agit de dénoncer l'eugénisme (!) et l'« Europe nouvelle », « la "sainte alliance" entre la France et l'Allemagne » ! Je les cite au texte, car autrement ce serait incroyable, tellement c'est déplacé d'esbrouffe intellectuelle. Un petit roman de cent cinquante pages publié au Québec, où ne se trouve aucun exposé critique, serait en fait une dénonciation de l'Europe nouvelle et d'un nouvel eugénisme, ce qui est évidemment, pour qui a lu cette tartine vide de la moindre idée, à mourir de rire.

      Bref, Gilles Dupuis, Pierre Nepveu et Patrick Poirier, qui ne sont pas des humoristes et vraiment pas drôles, voudraient (pour se justifier) faire croire qu'ils ont parfaitement bien saisi, dans Discours de réception, combien ce roman était politiquement impliqué dans un grand débat qui sévirait actuellement en Europe. On aimerait beaucoup qu'ils nous illustrent leur « lecture » de quelques citations prises du discours bouffon dégradant faisant l'éloge d'un vulgaire antisémitisme et un loufoque eugénisme prêtés à Céline.

      La vérité est simple : ce n'est pas vrai.

      Nulle part le texte de Discours de réception ne dénonce ni n'analyse de quelque manière ces « idées » d'Europe nouvelle impliquant une alliance de l'Allemagne et de la France actuelles, ni évidemment quelque question que ce soit relative au débat sur l'éthique biologique ou génétique. Inutile de les mettre au défi d'illustrer cela avec le roman d'Yves Gosselin, car c'est impossible.

      Si leur analyse du roman est fausse, se situant exactement au même niveau que celles des chroniqueurs du Devoir et de Voir, elle est tout autant dangereuse, pire encore de la part d'universitaires patentés.

      Avec un peu, beaucoup d'imagination, c'est entendu, on peut croire que ce sont bien là les intentions de l'auteur. Mais on ne trouve rien, absolument rien de tel dans le roman.

      Or, c'est bien à des collégiens, pour des collégiens qu'on présente une oeuvre littéraire exclusivement sur les intentions de son auteur ? C'est ce qu'aura enseigné la pastorale littéraire du CRILCQ avec sa table ronde.

      Pourtant, j'explique depuis le début que la réalisation est opposée aux intentions. La portée de mon analyse critique, dans la perspective d'un Centre de littérature québécoise, est considérable, alors même que le CRILCQ en fait fi. Il ne sera pas inutile de la résumer : elle montre que le roman d'Yves Gosselin n'a aucun intérêt ni aucune valeur littéraire, alors même qu'il a été choisi de manière qui le disqualifie par un jury formé par le Devoir pour ses intérêts (le journal ayant publié un compte rendu dithyrambique du roman par son chroniqueur Louis Hamelin et ayant refusé ma réplique.); l'ouvrage prête à Louis-Ferdinand Céline un discours inacceptable parce qu'il est injustifié; par ailleurs, Discours de réception est un ouvrage profondément antisémite, alors même que l'auteur avait de très bonnes intentions, au-dessus de son talent, et même au-delà.

      Tout cela concerne directement les compétences d'un Centre de littérature québécoise, ses responsables et ses membres.

      Chose certaine, Gilles Dupuis, Pierre Nepveu et Patrick Poirier, qui ont lu le roman et utilisent le CRILCQ pour en faire la promotion, font preuve d'une rare insensibilité, aussi bien du point de vue littéraire que moral.


5 — Les marionnettes du ventriloque

      On n'en finira pas. Voici un nouvel épisode de l'affaire Gosselin. Il est typique de l'écriture journalistique. Un journal, la rédaction d'un journal, voire quelques journalistes peuvent manipuler l'information sans y toucher. Il leur suffit, ventriloques, d'utiliser quelques innocentes marionnettes. C'est ce qui se passe cette fin de semaine du 17 avril 2004 au Devoir.

      Qu'on en juge.

Aux lecteurs du Devoir

Auto-publi-reportage

      C'est en première page que le Devoir affiche aujourd'hui : « Ook Chung remporte le Prix des collégiens ». Pour les innocents lecteurs du journal, c'est une bonne nouvelle. Voilà un écrivain qui remporte le Prix littéraire des collégiens. En réalité, ce n'est pas une nouvelle, c'est une scandaleuse publicité. Première page et photo au verso du cahier (p. A10).

      La participation du Devoir au Prix littéraire des collégiens de la Fondation Marc Bourgie, orchestré par le Devoir lui-même, est pour le journal une entreprise publicitaire, un travail de promotion et aussi un instrument de pouvoir aux mains des éditeurs qui contrôlent largement son Cahier des livres.

      En tout cas, voilà une présentation du concours 2004 totalement dépourvue d'analyse critique, de l'ordre de la désinformation. L'« événement » de vendredi, c'est à première vue le dévoilement du gagnant du prix, la veille, le 16 avril, au Salon du livre de Québec. Participer à un événement, voire l'orchestrer, et en faire un « événement » de première page, pour un journal, cela ne peut pas être très objectif. C'est pour le moins de l'ordre de l'auto-publi-reportage. En tout cas, on peut dire que le journal sait mettre ses bonnes oeuvres en évidence... Le résultat figure non seulement en première page du journal, mais comprend aussi une page complète du Cahier des livres (p. F4).

      Mais comme le Devoir manipule depuis le début l'information dans cette affaire — le pire des crimes qu'on puisse reprocher à des journalistes —, il n'est pas trop surprenant que le journal trahisse sa mission, celle précisément de... l'information. Par conséquent, voilà une innocente nouvelle en première page !

      De qui est-elle ?

Isabelle Porter

      C'est la journaliste Isabelle Porter qui « couvre » le Salon du livre de Québec pour le Devoir.

      Doit-on supposer qu'elle ignore tout de l'affaire Gosselin et peut rendre compte de l'événement créé par le Devoir sans en tenir compte ? Car, bien entendu, l'événement, c'est le prix remporté par un écrivain, alors c'est le résultat du concours qu'elle doit bien présenter, mais comment le présenter sans tenir compte de la critique que j'en ai faite toute l'année ?

      Le plus simple serait évidemment de l'ignorer, puisque c'est ce qu'il s'agit de faire.

      C'est du journalisme, ça ?

      Ce ne sera pas nécessaire d'examiner longuement ce reportage pour y voir toute une série de publicités et congratulations du niveau des salles paroissiales de l'ancien temps. « En plus du prix remis à Ook Chung, on a fait tirer, parmi les étudiants participants, des abonnements au quotidien le Devoir, six bourses d'études accordées par la fondation Marc Bourgie, ainsi qu'un voyage culturel et sportif en France... » (p. A10).

      J'aimerais interroger Isabelle Porter. Serait-ce possible ? Je voudrais savoir comment et jusqu'où elle a participé à l'épuration de l'information dans la constitution du publi-reportage kétaine au service du journal et des bonnes oeuvres des responsables et partenaires du Prix littéraire des collégiens.

      Pourtant, la question la plus importante n'est pas dans les réponses d'Isabelle Porter — car je suppose d'office que la journaliste de Québec a été manipulée. En effet, c'est la direction du Devoir qui publie le reportage de la journaliste en première page. Or, ni Jean-François Nadeau ni Bernard Descôteaux ne peuvent plaider eux la naïveté ou l'ignorance, si tel pouvait être le cas de la journaliste. Ils ont donc fabriqué la nouvelle, la première page, voire le reportage signé « Isabelle Porter ».

      Isabelle Porter ne le sait peut-être pas, mais elle est bien la marionnette de ventriloques...

Tommy Gagné Dubé

      Le directeur des pages culturelles du Devoir nous présente « les meilleurs textes des étudiants [= collégiens] consacrés aux cinq oeuvres en lice » du Prix des collégiens, qui, dit-il, « s'impose désormais comme l'un des plus importants au Québec » (p. F4). On sait déjà que le Prix de la Fondation Marc Bourgie, orchestré par le Devoir, est promu en première page comme « l'un des plus importants au Québec », de sorte que le journaliste, efficace, peut tout de suite en tirer profit. Inutile d'attendre pour savoir si le journal la Presse, par exemple, en fera également un « événement » dans son cahier Lecture de demain... Oublions le conflit d'intérêts journalistique dans cette déclaration anodine.

      Question : qui a choisi ces « meilleurs textes » ?

      Les mêmes qui avaient choisi le livre d'Yves Gosselin ?

      On va vite comprendre qu'il nous faut absolument la réponse à cette nouvelle question. Qui a choisi le texte de Tommy Gagné Dubé sur le roman d'Yves Gosselin ? Qui ?

      Car il s'agit d'une action immorale incriminante. Il s'agit là, à mon sens, d'esclavage intellectuel, de traite des idées et d'utilisation d'une personne sans défense comme bouclier. Je trouve cela ignominieux. Moi qui travaille avec des adultes, des étudiants et non des collégiens, jamais je n'utiliserais aucun d'entre eux pour défendre mes idées ou mon institution. Je suis responsable de mes actes, de mes engagements et de ma pensée, et j'en répondrai toujours, précisément parce que je suis capable de les défendre.

      Oui, bon. Pas de rhétorique. Venons-en simplement aux faits.

Lettre ouverte à Tommy Gagné Dubé

      Voici d'abord le texte du collégien Tommy Gagné Dubé publié par le Devoir et qui devient, de ce fait, une nouvelle pièce au dossier de l'affaire Gosselin. Les bonnes intentions de Tommy Gagné Dubé ne font évidemment aucun doute, et c'est précisément ce qu'exploitent ceux qui l'utilisent à son insu. On se retrouve toutefois avec une présentation du Discours de réception aussi irresponsable que les autres (et c'est bien le cas de le dire), destinée à la propagande favorisant le roman d'Yves Gosselin afin de justifier rétrospectivement ce choix inacceptable et scandaleux parmi les finalistes du Prix littéraire des collégiens. Mais lisons ce texte.

      Ensuite, j'en ferai l'analyse critique, le commentant pas à pas.

Un discours-choc

Le livre d'Yves Gosselin se démarque par son originalité
et par la réflexion qu'il suscite chez le lecteur

Tommy Gagné Dubé
Trois-Rivières, Sciences humaines / Monde

L'oeuvre d'Yves Gosselin, Discours de réception, est sans aucun doute le livre le plus controversé de l'édition 2004 du Prix littéraire des collégiens. D'ailleurs, certaines personnes (1) trouvaient aberrant que ce livre soit soumis au jugement de jeunes étudiants de niveau collégial (2). Certes, cette oeuvre a de quoi choquer (3), mais la censurer (4) aurait laissé croire que nous manquions de jugement (2) pour interpréter les passages parfois crus de ce livre (5). Et surtout, cela nous aurait privés d'une discussion endiablée (6) qui fut à la fois passionnante et constructive pour chacun de nous (7). Malgré le fait que la majorité des participants étaient prêts à condamner cette oeuvre au bûcher (22) bien avant le début de la discussion, l'opinion du groupe a changé de façon radicale pour être plutôt favorable à l'oeuvre à la fin du débat (8).

Ce Discours de réception est un roman où fiction et réalité s'entremêlent pour provoquer un effet massue. L'audace d'imaginer un scénario où Hitler a gagné la guerre, où le fascisme a triomphé et où de Gaulle a été fusillé ne manque pas de faire réagir (9). L'auteur expose (10) tellement l'antisémitisme à l'extrême qu'une personne ayant rigoureusement parcouru (11) ce livre ne peut percevoir les idéologies en cause autrement que comme totalement absurdes (12).

Avec un acharnement déroutant, il martèle la conscience (13) du lecteur afin qu'il voit la bêtise humaine (14) dans ses habits les plus pompeux (15). Avec ironie, Gosselin présente les effets pervers de l'endoctrinement (16), et l'aveuglement meurtrier (16) qui en découle, où le juif (17) n'a plus que la valeur d'un savon (18). L'hommage à l'écrivain Louis-Ferdinand Céline devient un prétexte (19) : on comprend que l'apologie est dérisoire, mais surtout que nul n'est à l'abri d'une telle aberration, pas plus le grand écrivain que l'universitaire (20) reconnu.

Bien qu'elle ne soit pas accessible à tous en raison de la connaissance que l'on doit avoir des faits et des personnages historiques pour bien comprendre le contexte (21), cette oeuvre, on ne peut plus choquante (22), se démarque par son originalité et par la réflexion qu'elle suscite chez le lecteur. Alors si votre intention était de provoquer une onde de choc et d'inciter les gens à réfléchir (23), je n'ai qu'une chose à vous dire : chapeau M. Gosselin !

Tommy Gagné Dubé

Analyse et remarques critiques

      Cher Tommy Gagné Dubé,

      Peux-tu croire que tu sois l'auteur du meilleur texte sur le roman d'Yves Gosselin ? Je ne pense pas.

      D'abord, comment est-ce possible que le « meilleur » texte sur le livre de Gosselin soit non seulement favorable, mais totalement dépourvu de la moindre critique ? Pas la plus petite réserve... Mon cher Tommy Gagné Dubé, je veux vraiment savoir qui a retenu ton texte et comment. Cela veut dire, évidemment, que je ne pense pas que ton texte soit bon. Tu sais comme moi qu'il est bien écrit. Mais la plupart des mauvais textes sont bien écrits, surtout les pires, comme celui dont parle ton exposé.

      Évidemment, toi, tes parents, tes amis êtes fiers cette fin de semaine du 17 avril 2004. C'est cela qui est épouvantable. Tu ne seras probablement pas long à comprendre, je te le souhaite, que tu es tout simplement la marionnette de ventriloques qui utilisent ton texte pour exprimer leurs mauvaises idées, indéfendables, puisqu'ils sont incapables de les défendre eux-mêmes. Tu écris bien : tu écris pour eux.

      Tu es fier d'être aujourd'hui dans le journal. Ce que tu ne sais pas encore, c'est que tu es déjà un peu ailleurs, ici. Et ce ne sera pas long que tu devras toi-même rendre compte de ton texte. Tu dois comprendre qu'on ne publie jamais impunément. Si tu n'es pas majeur et vacciné, ce n'est pas mon problème, étant donné que tu es maintenant un propagandiste du livre d'Yves Gosselin et que tu contribues à sa promotion.

      Pas de cadeaux de ma part : voici mes notes.

(1) Jamais on ne doit utiliser l'indéfini pour caractériser des opposants. En plus, je vais t'apprendre que c'est une règle de droit : jamais on ne peut faire témoigner des gens qui ne peuvent pas se défendre, ni même corroborer ou dénier des affirmations. Au collège, au cégep, on appelle cela du mémérage. Tu ne peux donc pas parler de « certaines personnes », tu dois nécessairement les identifier. Tu vas vite comprendre que tu ne pourrais pas écrire la suite si tu les désignais, car ton accusation est insoutenable.

(2) Des « étudiants de niveau collégial » cela n'est pas français. Tu veux dire « à des collégiens ». Je te signale d'abord qu'on est, dans la vie, élève, collégien, puis étudiant. On parle donc de collégiens. Personnellement, je n'ai jamais trouvé qu'il était aberrant de soumettre le livre de Gosselin à ton « jugement », car c'est exactement le contraire qui importe : les cas isolés comme le tien où le jugement fait défaut. Eh oui. C'est ça le problème. Mais ne t'inquiète pas, je n'ai pas l'intention de te dire que tu n'es pas intelligent, ni même que tu manques de bon sens. Sauf qu'effectivement tu fais la preuve que tu manques non pas d'intelligence, mais de sensibilité, comme on dit, de sensibilité littéraire, de bon sens critique et peut-être d'intuition.

(3) « Certes, cette oeuvre a de quoi choquer... ». Tu écris bien. Des niaiseries, mais c'est bien écrit. Je t'explique cela plus loin, en (22).

(4) Censurer ? A qui parles-tu ? De qui parles-tu ? Je comprends parfaitement bien, évidemment, que tu tiens ici un discours moralisateur qui n'est probablement pas le tien. Je t'explique l'affaire : « censurer » le livre d'Yves Gosselin, cela voudrait dire en interdire la publication, la diffusion ou la vente; cela pourrait vouloir dire aussi le faire interdire une fois mis en vente. Mais tu sais aussi bien que moi que tel n'est pas le cas. Alors, je répète ma question : de quoi parles-tu ? Tu ne le sais pas. Mais je vais te l'expliquer sommairement : sans le savoir, tu es le porte-parole de petits flics qui m'ont censuré, moi. J'ai expliqué qu'il fallait être vraiment épais pour choisir le livre d'Yves Gosselin pour le Prix littéraire des collégiens. Je te dis bien ce que j'ai fait : j'ai « expliqué » pourquoi c'était aberrant. Évidemment, comme il s'agit d'épais, tu peux imaginer facilement qu'ils ont dit que je voulais censurer Yves Gosselin. C'est ce que tu répètes. Comme tu vois, c'est exactement le contraire de la censure. Cela consiste pour des épais... Oui, bon, tu dois avoir compris.

(5) Je ne peux pas dire que tu édulcores la réalité, car manifestement tu ne sais pas de quoi tu parles. « Cru ». Tu parles de passages « choquants » ? Comme si de rien n'était. Tu te rends comptes ? Non, évidemment. Tous ceux qui (au Devoir, à Voir), comme toi, font un compte rendu favorable du livre d'Yves Gosselin (livre dont tu n'as pas encore dit un traître mot, je te signale) en disent la même chose que toi : rien. Ils ne disent pas ce qu'on y lit. Non, c'est « cru ». Tu trouves vraiment que le mot convient ? Tu vois, moi je dis que c'est abject et, comme tu peux le voir dans le présent dossier, je sais de quoi je parle, car je cite le livre au texte.

(6) Excuse-moi de t'interrompre, mais si je comprends bien tu juges un livre par les discussions qu'il suscite ? C'est-à-dire qu'un livre important pour toi, c'est un livre dont les autres parlent et dont on pourra se vanter de l'avoir lu ? Pourtant, la littérature, ce n'est pas une affaire de conversation et je ne vois vraiment pas pourquoi un roman devrait susciter des discussions... Moi, tu vois, c'est le dernier de mes soucis. La littérature, c'est fait pour être lue. Ce n'est pas une affaire de discussion de salon.

(7) Bravo mon vieux ! Tu parles encore pour les autres. Ce serait trop te demander de nous dire en quoi cela a été « constructif » pour toi ? Pour ce qui est de la passion, tu as simplement la passion des discussions de salon, on vient de le voir. Tout cela, c'est de la pastorale littéraire. Remarque bien qu'il y en a qui en font carrière.

(8) Si je comprends bien, tu n'es pas très représentatif de ton groupe de discussion, mais tu as eu une grande influence... Non, ce n'est pas cela ? Je suis tout de même surpris que tu n'aies retenu absolument aucun argument de ceux qui n'ont pas manqué de te dire qu'ils n'avaient pas particulièrement aimé le Discours de réception. Si tu l'avais fait, tu aurais vite compris que, toi, tu n'avais absolument aucun argument en faveur du livre. Si je te dis que le livre est ennuyant, tu ne peux évidemment pas me dire le contraire, puisque tu vois bien qu'il ne se passe rien dans ce « roman », ni non plus qu'on y trouve des idées intéressantes, car tu n'en trouveras pas une. Et ainsi de suite.

(9) (22) « Effet massue », vraiment ? Il n'y a aucun jeu opposant la réalité et la fiction dans ce Discours et, pire, tu vois de l'imagination débordante dans des hypothèses idiotes d'enfants d'école primaire. Quelle audace ! Tu ne trouves pas que cet Hitler-là, celui imaginé par ce pauvre Yves Gosselin, est pas mal moins « original » que l'autre ? Même un peu sympathique, précisément parce qu'il ne fait pas grand chose. En tout cas, il est moins dangereux que le vrai, c'est déjà ça. Excuse-moi de me moquer gentiment de l'audace que tu trouves à ton pauvre auteur, étant donné que l'histoire, elle, a été terriblement audacieuse, plaçant un fou furieux à la tête d'un État. Cela dit, tu écris bien. « L'audace d'imaginer... ne manque pas de... ». Aussi : « condamner cette oeuvre au bûcher »... Et encore : « cette oeuvre, on ne peut plus choquante »... Écoeurante, peut-être ? Abjecte, mon vieux.

(10) Tu veux dire probablement « porter, pousser à l'extrême ». Justement, le problème c'est précisément qu'Yves Gosselin n'expose rien.

(11) « Rigoureusement parcouru ». Tu veux probablement dire « lu ». En fait, on comprend que tu veux plutôt dire que ceux qui ne pensent pas comme toi ne savent pas lire. « Une personne ayant rigoureusement parcouru ce livre », tu veux-dire toi-même, n'est-ce pas ?, comme moi-même ? Et si on te disait que c'est toi qui n'a rien compris ? Alors je te réécris ta phrase, pour que tu comprennes bien (c'est le cas de le dire) : « L'auteur caricature tellement l'antisémitisme qu'une personne le moindrement critique qui aura lu l'ouvrage jusqu'à la fin ne manquera pas de considérer cette publication comme une aberration ». Et tu vois, je n'oserais pas écrire cette phrase sans faire la preuve de ce que j'avance, comme je l'ai fait longuement, tu peux le voir dans les fichiers de ce dossier.

(12) Le problème, c'est que les « idéologies en cause » (pourquoi ce pluriel ?) ne sont pas « totalement absurdes ». Ou plutôt, si, peut-être, mais Yves Gosselin ne les ridiculise nullement (il n'en a pas l'art), mais les caricature. Ce n'est pas du tout la même chose. Ce n'est pas difficile à comprendre : tu peux ridiculiser n'importe qui, c'est facile et c'est incorrect; en revanche, tu ne peux critiquer personne à tort et à travers.

(13) C'est quoi, cela, la « conscience du lecteur ». On dirait du Isidore Ducasse. Tu connais ? Les Chants de Maldoror du comte de Lautréamont.

(14) « La bêtise humaine ». Humaine?... Par opposition à la bêtise divine, peut-être ? Tu veux vraiment dire la bêtise des hommes ? Excuse-moi, mais j'ai le droit de protester, surtout en l'occurrence. La bêtise se mesure et commence, avec les épais, au pied de l'échelle. Je n'en suis pas. Parle pour toi, mon cher. Bon, d'accord, je rigole.

(15) Tu as le style vraiment pompier, mais c'est normal. Je le sais bien : tes professeurs aiment cela. Mais si tu te demandes ce que cela signifie, tu verras que ce n'est pas très clair. En revanche, tu pourrais peut-être remarquer que le style qu'Yves Gosselin prête à son personnage anonyme est vraiment très quelconque et bien éloigné de tout « discours ». En fait, ce serait le style pompier du sieur Gosselin, auteur de la tartine... Tu vas vraiment m'en vouloir, mais disons que vous avez tous les deux le même style. Un style de collégien ? Oups !... Tu parles de la pompe des habits de la bêtise de qui, au juste ? Je pense que cela vaut la peine que je te répète : « la bêtise humaine dans ses habits les plus pompeux ».

(16) « Endoctrinement » ? « Aveuglement meurtrier » ? Le second découlant du premier, évidemment. Tu trouves cela où, exactement, dans le Discours de réception ? Et tu penses qu'Yves Gosselin nous présente cela avec ironie en plus... Alors écoute. Je te propose un petit exercice vraiment facile, en principe : pourrais-tu faire un résumé et si possible un « plan » du prétendu discours ? C'est une question piège, évidemment. Si jamais tu réussis l'exercice, ce qui est impossible, tu pourras prouver à tous ceux qui ont déjà comme moi essayé de te faire comprendre que cet ouvrage était un navet assommant qu'ils avaient tort. Bonne chance !

(17) Juif, juif, juif ?... Je me demande pourquoi tu parles « du » juif, tout à coup. Je pense que j'ai parfaitement le droit d'ironiser : il me semble que tu es hors sujet.

(18) Là, je pense que tu n'as pas bien compris... Et c'est un peu triste. Tu dois avoir eu quelques cours d'histoire à ton collège, non ? Savon et juif, mis ensemble, cela ne te dis rien ? Oui, c'est assez terrible. Persécutions, déportations, camps de concentration, camps de la mort... C'est avec cela que joue Yves Gosselin, tu n'avais pas remarqué ? C'est même un peu le sujet de son livre. C'est drôle comme cela occupe peu de place dans ta réflexion... Ce qui explique l'ironie de ma petite note précédente, au cas où tu ne l'aurais pas comprise.

(19) Tu as raison. Et c'est criminel. On n'a pas le droit, je pense, d'utiliser un écrivain, une personne, qui que ce soit, même de nos ennemis, comme « prétexte », tu ne penses pas ? C'est profondément immoral. Tout le monde a le droit au respect de sa personne et de son nom.

(20) La prochaine fois, tu écris « le journaliste reconnu ». D'accord ?

(21) Mon cher collégien, je te souhaite de comprendre vite que l'esbroufe des noms propres est à la portée de n'importe quel imbécile. D'ailleurs, je n'ai pas de félicitations à te faire. Tu vois bien qu'Yves Gosselin se gargarise de quelques pauvres noms propres sans jamais désigner leurs faits et gestes, présenter leurs oeuvres ou leur pensée. Tu n'as pas compris qu'il n'y a là que forfanterie ? Et par-dessus le marché tu as le front d'accabler ceux qui, contrairement à toi, ne comprendraient pas... quoi ? Donc, voilà une oeuvre qui n'est pas accessible à tous, mais à toi, oui, ou non ? Relis-toi, mon cher.

(22) Plus haut, en (9).

(23) De plus en plus faible. On aurait dû t'expliquer que ta dernière phrase était vraiment de trop, surtout qu'elle relève du genre épistolaire. Tu nous dis que ce Discours de réception suscite la réflexion; alors, si c'était l'intention de l'auteur, bravo, c'est réussi ! Veux-tu que je te dise le fond de ma pensée ? Si ce livre pouvait susciter une quelconque réflexion, alors forcément on en verrait trace dans ton texte. Elle porterait, par exemple, sur l'antisémitisme et tu commencerais à te demander de quoi il s'agit au juste et tu comprendrais vite que les formes de racismes sont multiples, l'antisémitisme aussi, et qu'il s'agit même dans certains cas de doctrine, de pensée organisée. Mais le Discours de réception aligne tout simplement des niaiseries durant cent cinquante pages avec des personnages complètement loufoques. Tout cela n'a aucun rapport avec quelque forme de racisme et d'antisémitisme que ce soit et par conséquent ce que tu dis n'est pas vrai. Ce livre ne suscite aucune réflexion. En revanche, si tu y réfléchis un peu, je suis persuadé qu'il suscitera tout simplement ton indignation. D'autant plus que tu n'auras malheureusement pas eu le réflexe de voir tout de suite qu'il n'y avait là aucun « discours choc » ni matière à réflexion.

      Voilà.

      J'ai seulement une dernière question. Le titre de ton texte dans le Devoir n'est pas de toi, n'est-ce pas ? Tu vois, c'est le pouvoir des journalistes et c'est ainsi qu'ils nous font parler. On est tous un peu leurs marionnettes, mais toi, je dois dire, ils ne t'ont pas manqué.

      Je ne te félicite pas, Tommy Gagné Dubé, évidemment, mais je te souhaite des lectures un peu plus originales et intéressantes que la tartine que tu n'as pas su apprécier correctement à sa totale absence de valeur littéraire. Mort à crédit de Céline, par exemple. Alors quand tu pourras trouver Bagatelles pour un massacre, tu verras bien que l'auteur de ce pamphlet antisémite n'est pas tout à fait un crétin et tu comprendras d'un seul coup qu'Yves Gosselin a tout faux. Les antisémites ne sont malheureusement pas de vulgaires bouffons insipides.

      Salut, — Guy Laflèche


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