Les interventions du redoutable polémiste (nous le sommes tous) restent généralement sans réplique, malheureusement, ses victimes n'éprouvant pas le besoin qu'on mesure davantage la justesse de la critique et c'est bien dommage, cela nous permettrait de rire encore un peu, car si le polémiste est intervenu, c'est évidemment parce que ce n'était pas drôle du tout. La formule : polémique = réplique (pamphlétaire (sans réplique)).
L'éléphant de porcelaine L'arpenteuse du racisme La brouillonnologue de la CGMM Notre critique et sa poésie
Les fulminations de Dominique Deslandres, de René Latourelle et de Robert Toupin contre le « Mythe contemporain Laflèche »

Polémiques II

Guy Laflèche,
Université de Montréal

Le « mythe contemporain Laflèche »

Eh oui, le mythe contemporain Laflèche !

Table

Le mythe vous parle

      La revue d'Études d'histoire religieuse (EHR) de la Société canadienne d'histoire de l'Église catholique (SCHEC) me dénie le droit de réplique. Les collaborateurs de la revue Dominique Deslandres, Robert Toupin et René Latourelle, ces pieux spécialistes, peuvent me calomnier et dénigrer mes travaux dans leurs comptes rendus de mes ouvrages sans aucune réplique possible. Et pour cause ! En voyant en bibliothèque le dernier numéro de la prestigieuse revue canadienne (le no 64 de l'année 1998), j'apprends que Dominique Deslandres est présidente du comité de direction de la Société, tandis que Robert Toupin en est membre du conseil d'administration. Ainsi s'explique assez naturellement que je n'aie aucun droit de réplique aux insanités qu'ils ont eux-mêmes publiées à mon sujet dans la revue qu'ils dirigent.

      C'est immmoral.

      Ces gens-là ont bien raison de dire que leurs croyances religieuses relèvent du domaine strictement privé. Les sectes et les églises en auraient honte. Les ayatollahs et les intégristes qui peuvent de nos jours s'exprimer, à titre d'intellectuels, du hauts de chaires comme la revue de la Société pour fulminer ne peuvent plus le faire au nom des communautés religieuses, des sectes et des églises. Ils le font donc en leur nom personnel. Scientifiquement ? Mais non : toujours de manière très onctueusement et vipèrement religieuse, ex cathedra.

      C'est risible.

      Vraiment. Ridicule. C'est moi-même, le « mythe contemporain Laflèche », qui vous le dis ! Bien sûr que je m'amuse et m'en donne à coeur joie. Mais cela ne m'empêche nullement de prendre à coeur les résultats d'un travail qui m'amuse, le mien. Voyez, par exemple, les variations pétillantes (eh oui ! que d'inelligence) de Guy-Marie Oury dans son compte rendu des Écrits en Huronie de Jean de Brébeuf par Gilles Thérien dans le dernier numéro de la revue. Je parle de ses variations sur les sens du mot « martyre ». Le bon père à d'autant plus raison que le mot ne se trouve plus aujourd'hui au sens canonique ! (cf. le Petit Larousse). Mais alors, mon brave, en quel sens Jean de Brébeuf a-t-il été canonisé ? Il l'a été au sens canonique, cela ne fait pas l'ombre d'un doute. Or, j'ai montré que c'était totalement faux, aussi bien du point de vue historique que théologique : d'aucune manière nos « Saints Martyrs canadiens » n'ont été martyrisés alors qu'ils ont été canonisés à ce titre. La démonstration que j'en ai faite est aussi claire que rigoureuse. On opte donc, de manière pétillante, ambiguë et parfaitement hypocrite, pour le sens métaphorique, en quoi on fait très bien, puisqu'on ne saurait faire mieux. Mais les pétillantes variations ne sont alors que ce qu'elles sont, à savoir d'amusantes acrobaties intellectuelles. — Encore un compte rendu de notre sainte revue qui a l'air d'avoir mon Histoire du mythe des saints martyrs canadiens dans le gorgoton. Et encore un religieux qui va devoir passer à confesse... Ah Ciel ! Pardonnez-leur, je vous en prie, ils ne savent ce qu'ils font.

      Pour finir, voici les responsables du déni de mon droit de réplique. Les administrateurs de la SCHEC : Dominique Deslandres, présidente; Paul Aubin, vice-président; Jean Roy, secrétaire; Jocelyne Murray, trésorière. Comité de rédaction de la revue Études d'histoire religieuse : Brigitte Caulier, directrice; Michel Despland et Serge Gagnon; Paul Aubin (encore), responsable des comptes rendus.

      Goupillonnez, allez !, le «  mythe contemporain Laflèche » (comme on l'écrit dans votre revue, je vous jure !) va peut-être céder aux assauts de vos collaborateurs. Disons que je ne suis pas loin d'être mort de rire, c'est-à-dire bien vivant. Le plus risible, en effet, n'en est pas moins votre immoralité. Alors qui tuera-t-il, le ridicule ? Votre revue ?

      __gl>-

      Guy Laflèche,
      6 février 1999.

      P.S. « Inelligence » : on ne fait pas souvent d'aussi beau lapsus. Alors je ne le corrige pas. Un homme aussi pétillant que Guy-Marie Oury lorsqu'il fait des variations sur le martyre de Jean de Brébeuf, personne n'en doutera, a vraiment beaucoup d'inelligence.


 

Études d'histoire religieuse
Société canadienne d'histoire de l'Église catholique

      L'étude des écrits des jésuites de la Nouvelle-France serait-elle réservée aux croyants, aux historiens religieux, voire aux seuls jésuites ?

La compétence d'un athée

Guy Laflèche
Département des études françaises,
Université de Montréal

      Forcément, mes livres comptent parmi les sujets qui me passionnent. On ne s'étonnera donc pas que je me porte à leur défense s'ils sont dénigrés. Je dis bien dénigrés (et non critiqués), par des universitaires qui laissent paraître des insanités sous forme de comptes rendus dans les revues qu'ils dirigent.

      Ainsi en est-il de la Société canadienne d'histoire de l'Église catholique qui publie la revue Études d'histoire religieuse (EHR). Il s'agit d'une prestigieuse publication annuelle, dirigée par des universitaires patentés et où l'on trouve des articles d'auteurs renommés des universités du Québec et du Canada. Il est donc tout à fait scandaleux que j'y sois deux fois anathématisé. Certes, Robert Toupin, René Latourelle et Dominique Deslandres sont moins à blâmer que leurs éditeurs, mais c'est tout de même eux qui tiennent le goupillon et profèrent de grossières accusations et des injures fulgurantes à mon endroit. Je veux bien m'en amuser, mais je voudrais aussi m'assurer que tout le monde comprenne bien la plaisanterie. Je leur donne donc la réplique.

      Voici d'abord le jugement de mon plus sympathique ennemi personnel, le jésuite René Latourelle. Il l'a exprimé à l'occasion du compte rendu dithyrambique d'une plaquette publiée par un autre jésuite, Robert Toupin, Arpents de neige et Robe noires (Montréal, Bellarmin, 1991); c'est donc à propos de cette rapide présentation panoramique les missions des jésuites en Nouvelle-France que René Latourelle écrit :

      « Il résulte de cette présentation que le seul mythe de ces premières missions est le mythe contemporain Laflèche, étudié par Robert Toupin dans l'Appendice I (p. 81-99). Pour Laflèche, l'effort d'évangélisation des jésuites missionnaires apparaît comme une affaire politique, une entreprise de mystification et de subversion. Laflèche se garde bien toutefois de citer les innombrables passages [des écrits des jésuites] où le projet des missionnaires apparaît dans toute sa pureté [textuel! mais où donc?], relié au projet du Christ, dont le dessein a été de communiquer au monde entier la Bonne Nouvelle du salut [textuel] qu'il représente en sa Personne [textuel]. Un soupçon d'herméneutique lui aurait aussi appris (quand il s'agit des relations des jésuites) que la critique littéraire ne saurait faire l'économie de la critique historique et de la méthode qui lui est propre. Surtout, Laflèche aurait dû comprendre que les paramètres du XXe siècle appliqués au christianisme du XVIIe siècle, aux rapports Église-État, aux méthodes d'évangélisation et d'éducation, constituent un vice de méthode grossier » (EHR, no 59, 1993, p. 164).

Cet alinéa très intelligent se trouve vraiment imprimé noir sur blanc dans la revue Études d'histoire religieuse de la Société canadienne d'histoire de l'Église catholique. Il faut le rappeler, tant c'est incroyable. Comme on le voit à la première phrase, cette attaque vise mes ouvrages sur les saints martyrs canadiens, dont le premier volume a paru en 1988 et qui s'intitule Histoire du mythe des saints Martyrs canadiens. D'où l'idée géniale et proprement sidérante de faire de ma personne le « mythe contemporain Laflèche ». Le problème, c'est que Robert Toupin, dans son livre de 1991, s'en prend à l'introduction de mon édition de la relation de Paul Lejeune parue en 1973 sous le titre le Missionnaire, l'apostat, le sorcier (Les presses de l'Université de Montréal) et non à mes travaux sur les saints martyrs. Pour le reste, les anachronismes et fautes de méthode que me reproche René Latourelle sont des accusations gratuites reposant sur un sophisme assez évident : l'évangélisation, qui n'est pas une affaire politique, dit-il, doit être étudiée avec les méthodes des historiens et non des études littéraires, particulièrement lorsqu'il s'agit d'illustrer la Bonne Nouvelle de la Personne du Christ propagée par les missionnaires. Vous avez compris ? En bonne herméneutique, disons les choses simplement : le bon père voudrait que je fasse, comme lui, de la pastorale. Comme Robert Toupin !

      Revenons donc à l'appendice que ce dernier consacre à mon édition de 1973. Pour l'essentiel, il se scandalise de ce que j'ai illustré dans mon ouvrage (p. xxvi-xxviii) le fait incontestable qu'un bon tiers des relations des jésuites de la Nouvelle-France parues annuellement de 1632 à 1672 soit constitué d'un indigeste salmigondis de faits d'édification (récits de conversions, de baptêmes, de faits de piété, de miracles, etc.). Ces centaines de pages, destinées aux pieux lecteurs dévots des jésuites, ne sont pas d'une lecture passionnante et j'ai expliqué pourquoi en quelques mots. Ce n'est pas interdit, j'espère ? Mais il faut dire que Robert Toupin n'a pas compris grand-chose à mon analyse, de sorte que les moqueries auxquelles il se livre dans son appendice se retournent contre lui. Le style édifiant étant caractérisé par l'indétermination, le pamphlétaire amateur écrit : « En conséquence de l'indétermination de tant de faits, plus du tiers des relations flotterait dans un nuage opaque d'inconnaissable et serait porteur de maléfices, nageurs isolés dans le gouffre immense, rari nantes in gurgite vasto, dirait Virgile [textuel]. Mais alors ! si le récit s'est alourdi [sic] d'un tiers d'indétermination, il faut se poser des questions sur les deux autres tiers ! » (p. 90). Bref, l'auteur se livre hors de saison à toutes sortes de variations pétillantes d'intelligence sur l'indétermination qui serait mon « argument fondamental » dans la « dénonciation » des écrits des jésuites. Sans compter les niaiseries : « Si nous suivons la même trajectoire que ladite flèche... ».

      Bref, on le sait déjà, je ne fais pas de pastorale. Mais ce n'est pas tout. « Sur le ton d'une ironie facile, on en vient à expliquer des faits religieux par le recours à des principes qui nous conduisent à nier la valeur du projet de chrétienté, sous prétexte que la propagation de la foi chrétienne possède un caractère fondamentalement subversif » (p. 97). Pour comprendre cette phrase, il faut savoir que mon analyse de la relation de 1634 de Paul Lejeune, sur le plan strictement humain, reposait sur l'observation suivante : au cours de sa mission itinérante, en suivant la cabane de Mestigoït dans son circuit de chasse au cours de l'hiver 1633-1634, le missionnaire a été incapable de convertir personne et il a perdu le combat qu'il livrait contre le chaman Carigonan. Dans le récit de la vie quotidienne de cette expérience, il apparaît vite que l'entreprise désespérée de Paul Lejeune était de l'ordre de la subversion : il s'agissait de discréditer le chaman dont les pratiques magiques se révélaient incomparablement plus efficaces que les prières du missionnaire. Cela dit, on comprendra maintenant la phrase de Robert Toupin et on verra bien qu'elle n'a absolument aucun rapport avec la suivante qui devrait en découler : « Autant dire qu'il n'y eut ni héros ni martyrs dans toute l'histoire de l'Église, que missionnaires et Amérindiens eux-mêmes sont allés pour rien jusqu'au sacrifice de leur vie ! Autant dire qu'il ne s'est rien passé ! À partir du moment où l'on conteste la dimension libératrice du projet de christianisation [textuel], on doit conclure que malgré la foi, toute l'armature spirituelle de la cathédrale engloutie n'émerge jamais ! » (p. 97). Comme on le voit, ce sont mes ouvrages sur les saints martyrs canadiens qui sont visés ici, sans qu'il en soit fait mention. On appelle cela des attaques, je crois, et non de la critique.

      La critique, j'aurais pu l'attendre de Dominique Deslandres. Elle s'en prend aux trois premiers volumes de mon ouvrage sur les saints martyrs canadiens. C'est la seconde fulmination qui me vient des Études d'histoire religieuse de la Société canadienne d'histoire de l'Église catholique. Dans une note critique qu'elle consacre à six ouvrages portant sur les jésuites de Nouvelle-France, Dominique Deslandres accumule tant de faussetés sur moi et mes livres qu'on peut se demander comment autant de niaiseries peuvent tenir sur un peu plus d'une page ! Je ne retiendrai que trois accusations dignes d'une publication comme Vers demain et certainement pas d'une revue universitaire. Car si Dominique Deslandres a le droit le plus strict à ses opinions, ses convictions religieuses comme ses sentiments sur mes livres, elle ne saurait me présenter comme un anticlérical fanatique dont toute l'oeuvre se ramènerait à un combat acharné contre le christianisme. Il y a tout de même des limites à la sottise. Pourtant, son compte rendu de mes trois livres se termine sur un procès d'intention patent à ce sujet :

      « Laflèche utilise le passé pour régler ses comptes avec le joug qu'a fait peser sur les esprits l'establishment religieux d'avant 1960. Son agressivité à l'égard des valeurs qui sous-tendent le mythe des saints martyrs canadiens et l'exploitation qu'il a connue au Québec, paraît, en effet, bien suspecte; c'est pourquoi, pour s'attaquer en toute impunité historiographique à son oeuvre de déboulonnage, Laflèche devrait faire suivre sa signature par un A.S.I. (anti Société de Jésus) ou un A.E.C. (anti Église catholique) ! » (EHR, no 61, 1995, p. 121-122).

Cet incroyable procès d'intention s'épargne de juger mon travail à le ramenant aux dimensions d'un fantasmatique règlement de comptes !

      Une telle incongruité intellectuelle tient probablement au fait que Dominique Deslandres ignore ce qu'est un procès d'intention. En effet, elle m'accuse justement d'en faire un au supérieur jésuite Jérôme Lalemant : « Volontiers iconoclaste, Laflèche instruit un véritable procès d'intention en accusant Jérôme Lalemant d'être responsable de la mort de Jogues [...]. Or, d'une manière contradictoire, il reconnaît (vol. 2, p. 272-278, note 33) que les autorités coloniales et le supérieur des missions jésuites, en se fondant sur l'illusoire plan de paix iroquoise, n'évaluaient pas bien les risques de renvoyer Jogues en Iroquoisie où il se ferait tuer » (p. 121). Faux, archi-faux. D'abord, pas de procès d'intention : c'est bel et bien pour des intérêts strictement commerciaux qu'Isaac Jogues est envoyé par son supérieur en Iroquoisie, comme je l'ai longuement et précisément expliqué. Ensuite, le fait de mal comprendre les ressorts exacts d'une situation socio-politique n'implique nullement qu'on ne soit pas responsable des décisions risquées qu'on y prenne, bien au contraire. D'ailleurs si Jogues n'avait pas été assassiné, les objectifs de Jérôme Lalemant n'en auraient été que réalisés (et confirmés, si je puis dire !), puisque l'ambassadeur de la Nouvelle-France aurait maintenu la paix de 1645. Cela dit, ces faits et ces hypothèses se discutent, comme on le voit. Mais pas les accusations de Dominique Deslandres. Ce n'est pas moi, mais elle qui donne dans le procès d'intention.

      Et Dominique Deslandres n'est pas très forte en logique. Elle m'accuse de présenter sans distinction mes opinions et l'« information documentée » : ce n'est pourtant pas à dire que la bonne âme n'ait pas su faire la différence elle-même ! En tout cas, le moins que je puisse dire pour ma défense est que Dominique Deslandres n'a vraiment pas eu le talent de rendre compte correctement des trois premiers volumes de mon ouvrage sur lesquels elle donne simplement ses opinions, sans en produire beaucoup d' « information documentée ». Ses lecteurs n'auront absolument aucune idée de la nature, de la forme ou de l'objet de ces trois premiers volumes de mon ouvrage (dont le premier est fait d'une étude de l'iconographie classique des martyrs jésuites du Canada, d'une bibliographie critique des sources et des études sur l'épisode et, enfin, d'une analyse de la canonisation de ces martyrs, soit l'histoire de leur culte de 1860 à 1960 environ). En revanche, ils n'ignoreront rien des opinions de l'historienne à mon sujet.

      Justement, c'est la troisième et dernière accusation grave que je veux relever ici. Rationaliste athée, hégélien si l'on veut, convaincu de la justesse du matérialisme en histoire comme en toute chose, selon Dominique Deslandres, voilà qui « laisse planer quelques doutes sur (ma) capacité de prendre en compte la dimension spirituelle des faits » (p. 121) : « Une cause, bonne ou mauvaise, écrit-elle, qui s'insinue ainsi dans l'apparat critique finit par affaiblir une thèse bien appuyée » (ibid.). Ces deux affirmations, outre qu'elles soient contradictoires, sont aussi fausses l'une que l'autre et constituent de graves accusations. Je n'ai ni cause ni thèse à défendre. Certes, en matière religieuse, j'exprime clairement mes opinions et convictions, qui ne sont pas à discuter, à ce que je sache. En revanche, n'en déplaise à Dominique Deslandres, j'aurai été le premier à étudier les spiritualités fort variées des jésuites de la Nouvelle-France et qui sont propres à expliquer une bonne part des phénomènes reliés à l'épisode des saints martyrs canadiens et à son interprétation. Et Dominique Deslandres, ayant mes ouvrages sous les yeux, décréterait que mon rationalisme athée m'interdirait l'étude de la dimension religieuse des textes ? À la table des matières de mes livres, sous la forme d'un index, elle trouvera à l'entrée « spiritualité » l'ensemble de mes exposés à ce sujet. Qu'on ne soit pas d'accord avec ces analyses, qu'on les discute, qu'on les réfute, voilà bien la premier objectif de la recherche scientifique. Mais que Dominique Deslandres me juge sans me lire sous prétexte que je n'ai pas caché mes opinions religieuses, je trouve cela inacceptable.

      Car j'ai justement une question pour finir : est-ce que ces historiens intégristes peuvent se douter qu'ils tiennent leurs convictions de la transcendance plus encore que d'une conception traditionnelle et conservatrice des faits que j'ai étudiés ? Pour se livrer à l'invective, ne doivent-ils pas faire abstraction de mes travaux, dont le point de départ est l'analyse du m-y-t-h-e des saints martyrs canadiens ? Voici un exposé strict et rigoureux d'un des résultats de mon travail de recherche à l'occasion d'un bilan de l'apostolat des jésuites en Nouvelle-France :

      «  Quels ont été au total les résultats de cet effort missionnaire ? Il faut relever d'abord que les jésuites paient cher le zèle ainsi déployé. Huit d'entre eux périssent dans des conditions que l'hagiographie canadienne n'a cessé de magnifier depuis le XIXe siècle. Ces huit jésuites morts entre 1642 et 1649, notamment Jean de Brébeuf, Isaac Jogues et Gabriel Lalemant, sont victimes de la guerre menée par les Iroquois contre les Hurons, alliés des Français, sans que l'on puisse dire qu'ils aient été vraiment des martyrs de la foi au sens canonique du terme puisqu'ils n'ont jamais été mis en demeure de renier leur foi. Le père Garnier emploie le terme en 1649 avec une précaution significative : Il a plu à Notre Seigneur de donner la couronne de martyrs à deux de nos pères, savoir au père Jean de Brébeuf et au père Gabriel Lalemant. Ils n'ont pas été fait mourir par un tyran qui persécute l'Église, comme faisaient les anciens tyrans. Mais nous les appelons martyrs parce que les ennemis de nos Hurons leur ont fait beaucoup endurer en dérision de notre sainte foi [SMC, 3: 181)] » (Paris, Stock, 1990, p. 99-100).

Ce texte situe correctement la notion de martyre pour les jésuites de Nouvelle-France, de même que la cause immédiate de la mort de huit d'entre eux, soit la guerre des Iroquois. Et ce texte n'est pas de moi. On le trouve dans le livre de François Lebrun et d'Élisabeth Antébi intitulé les Jésuites ou la Gloire de Dieu.  Cette analyse reprend succinctement mais clairement les premières conclusions de mes travaux que j'avais exposées, avec ce vocabulaire, cette précision, cette simplicité et cette fermeté, cinq ans plus tôt, dans une synthèse que j'en ai présentée à Clermont-Ferrand (1985), conférence dont le texte a paru dans le recueil intitulé les Jésuites parmi les hommes aux XVIe et XVIIe siècles (« Les jésuites de la Nouvelle-France et le mythe de leurs martyrs », Clermont-Ferrand, Faculté des lettres, 1987, p. 35-45). Bien entendu, ce n'est pas l'ouvrage de François Lebrun et d'Élisabeth Antébi (pour lequel Robert Toupin était d'ailleurs un consultant !) qui me donne raison : il illustre simplement qu'à partir de 1990, après seulement une première synthèse et alors même que mes cinq volumes sur le sujet n'étaient qu'en cours de publication à Montréal (1988-1995), les termes dans lesquels j'ai formulé la question du mythe des saints martyrs canadiens se sont imposés aux historiens compétents et bien informés. De plus, en forme de réplique à la biographie de René Latourelle sur Jean de Brébeuf, j'ai récemment exposé l'argument qui donne son titre à mon article: « Victime du supplice du feu au XVIIe siècle, le missionnaire Jean de Brébeuf n'est pas un martyr » (Littératures, Montréal, Université McGill, 1996, p. 101-112). Ces questions que j'ai été le premier historien à formuler et les réponses que j'en ai proposées, que cela plaise ou non, aucun argument d'autorité ne saurait les effacer. Et si l'on tentait de le faire en les cachant, alors il faut savoir qu'on ne joue pas impunément les ignorants. On ne saurait faire le compte rendu d'un livre qui pose la question du mythe des saints martyrs canadiens sans l'aborder (Dominique Deslandres), comme on ne saurait non plus l'aborder à propos d'un second ouvrage sans que le premier soit bien identifié (Robert Toupin et René Latourelle).

      En tout cas Robert Toupin, René Latourelle et Dominique Deslandres ne sauraient dénigrer mon travail sans se discréditer. La compétence d'un athée, en ce qui concerne les questions religieuses, ne peut d'aucune manière être mise en cause par d'outrancières accusations d'anticléricalisme ou, pire encore, pour constat d'athéisme.


 

Appendice 1 — Refus des EHR de la SCHEC

Études d'histoire religieuse (EHR),
Revue de la Société canadienne d'histoire de l'Église catholique (SCHEC).

      Québec, le 18 février 1998

      Monsieur Guy Laflèche,

      Cher collègue,

      Les membres de la rédaction d'Études d'histoire religieuse ont examiné votre réplique intitulée « La compétence d'un athée », à des comptes rendus de vos livres parus dans les volumes 59 et 61. Nous comprenons que certains propos vous aient déplu. La rédaction tient néanmoins à vous assurer qu'elle ne prévilégie pas une approche confessionnelle de l'histoire religieuse. Bien au contraire, la Revue valorise une approche scientifique des faits religieux. Dans ce cadre, l'appartenance ou non à une religion, les croyances religieuses des auteurs et des membres de la rédaction, ou leur absence, relèvent du domaine strictement privé. Aussi votre compétence, qui n'est plus à démontrer, ne peut-elle pas s'appuyer sur ces critères.

      Pour ces raisons, la direction ne peut guère accueillir votre réplique sous sa forme actuelle, dans les termes et dans l'optique privilégiés. Mais nous aimerions que vous nous soumettiez un court article développant les questions fondamentales abordées en filigrane dans cette réplique. Nous pensons particulièrement aux lectures plurielles de l'activité missionnaire par les différentes disciplines que ce soit dans les thématiques et les approches valorisées par chacune. Votre texte devrait nous parvenir d'ici le 20 mars, suivant les directives éditoriales ci-jointes et il sera soumis à l'évaluation externe selon la procédure habituelle.

      Je demeure à votre entière disposition pour toute information supplémentaire et vous prie d'agréer, cher collègue, l'expression de mes meilleurs sentiments,

      Brigitte Caulier

      Études d'histoire religieuse (EHR),
      Revue de la Société canadienne d'histoire
      de l'Église catholique (SCHEC).
      Directrice : Brigitte Caulier,
      Département d'histoire,
      Faculté des lettres, Université Laval,
      Sainte-Foy, Québec G1K 7P4


Appendice 2 — Réplique aux EHR de la SCHEC

      10 mars 1998

      Comité de rédaction,
      Études d'histoire religieuse,
      a/s Mme Brigitte Caulier,
      Département d'histoire,
      UNIVERSITÉ LAVAL,
      Québec G1K 7P4

      Chers collègues,

      Permettez-moi de ne pas prendre au sérieux, comme elle le mérite, votre entourloupette que me transmet la directrice, Mme Brigitte Caulier, dans sa lettre du 18 février dernier, où elle doit justifier votre refus de publier ma réplique aux insanités de René Latourelle et de Dominique Deslandres sur moi publiées dans vos pages. Il ne s'agit pas de « certains propos » qui m'auraient « déplu ». Il s'agit d'accusations et d'insultes auxquelles j'entends répliquer.

      J'ACCUSE votre revue d'avoir publié les comptes rendus de ces deux-là qui m'accusent d'incompétence pour cause d'athéisme, qui me jugent sur des raisons strictement et fondamentalement religieuses, et vous avez le front de me répondre que vous ne publiez aucun texte fondé sur des croyances et des raisons religieuses, de sorte que... vous ne pouvez donc publier ma défense ! Vous voulez vraiment jouer les imbéciles ?

      Le « mythe contemporain Laflèche » ignorant les « paramètres [du] christianisme » (Latourelle, EHR, no 59, p. 164), « tenant du matérialisme historique et de l'hégélianisme » (Deslandres, EHF, no 61, p. 121), cet athée, parce qu'il est athée, est incompétent. Relisez les deux comptes rendus, relisez ma réplique.

      Le titre de mon article n'a pas, bien entendu, le sens que vous aimeriez bien lui donner. Il est parfaitement clair dans le contexte : un athée n'en est pas moins compétent en matière religieuse. Si la réprimande est humiliante pour la revue que vous défendez bien mal en y laissant paraître des turpitudes d'un autre âge, elle n'en est pas moins méritée.

      Et vous voudriez que j'y aille d'un petit article sur le filigrane de l'affaire ? En vérité votre petite entourloupette est en effet extrêmement significative d'une autre question que vous voulez bien ignorer totalement, à savoir la simple possibilité de traiter « scientifiquement » de croyances religieuses sans exposer d'abord clairement ses convictions en la matière. Vous voyez, vos sbires m'accusent d'incompétence pour cause d'athéisme (et, effectivement, je suis athée, mais pas pour cela incompétent), tandis que vous, si je comprends bien, vous voudriez qu'on vous laisse tranquillement parler scientifiquement de religion (c'est l'« approche scientifique des faits religieux »), sans bien sûr dire vos convictions. Secret professionnel, peut-être ? Mais d'accord, puisque vous le voulez, je veux bien que cela relève pour vous du « domaine strictement privé », comme vous l'écrivez. Mais si je comprends bien la logique de vos huit lignes, vous voulez en plus que je cache mes convictions. Je trouve que vous y allez un peu fort de sophisme, tout de même.

      Votre lettre de refus et la présente paraîtront en appendice à ma réplique.

      Avec mes meilleurs sentiments,

      __gl>-

      Guy Laflèche.


Table

  1. Le mythe vous parle
  2. La compétence d'un athée

  3. Appendice 1 - Réponse des goupilleurs
  4. Appendice 2 - Réplique aux goupilleurs


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