Il ne sera pas mauvais de commencer par le
commencement, qui
se trouve presque toujours dans le passé. On commencera
donc avec une
petite recherche
d'histoire en consultant le Dictionnaire historique de la langue
française paru en 1992, aux articles
« nègre » et
« noir » (bg 14). On y apprendra, si l'on ne le
savait pas ni ne
s'en doutait, que le premier vocable est aujourd'hui, et même
depuis
longtemps, un archaïsme qui a été
remplacé par le second.
L'analyse est on ne peut plus claire, car le long article se
termine par la
conclusion suivante : « Il faut attendre l'emploi
du mot par les
Noirs eux-mêmes, surtout à partir de 1930, pour
assister à une
valorisation marquée, qui n'exclut pas les connotations
racistes dans le
discours des Blancs. Cette situation rend l'emploi du mot, par
rapport à
"noir", très délicate en français
contemporain. Les emplois
figurés et les dérivés eux-mêmes sont
parfois
évités » (vol. 1, p. 1315a).
L'article apporte
dès le début deux précisions, d'abord des
expressions
où le mot se trouve, seule « travailler comme un
nègre
(1812) » est encore vivante. En fait, très
tôt
« le mot est souvent évité pour sa valeur
péjorative
et raciste, sauf quand il est employé par les Noirs
eux-mêmes, ceci
surtout depuis la prise de conscience d'une
spécificité
culturelle,
liée aux mouvements de décolonisation du milieu du
XXe
siècle ». En fait, on ne trouve que deux
dérivés
de valeur positive, d'abord négrophile
(littéralement
« ami des Noirs »), évidemment sorti de
l'usage, qui
désignait au XIXe siècle les partisans de l'abolition
de l'esclavage;
ensuite, toujours en usage, négritude,
popularisé par
Senghor.
Mais si le vocable est un archaïsme, il
n'est
frappé d'aucun interdit, comme n'importe quel autre
archaïsme, et il
s'emploie et doit s'employer dans de nombreux contextes, notamment
dans les titres
d'ouvrages, les citations et, surtout, dans les emplois
spécialisés,
en recherche et en enseignement, et cela dans tous les domaines.
Pour donner un
exemple très simple de ces emplois, on ne saurait remplacer
le concept
d'« art nègre », un art qui a
ébloui les artistes
cubistes en France, par un euphémisme, sans se ridiculiser.
Autre exemple
simple et catégorique : le présent essai de
saurait en faire
l'économie, puisqu'il s'agit de son sujet !
Les trois histoires qui vont nous occuper
correspondent aux
impacts du mot « nègre » dans les
enseignements
universitaires au Québec, aux Universités
Concordia et McGill
à
Montréal, comme à l'Université d'Ottawa, en
Ontario, en 2020
et en 2021. Dans les trois cas, l'« histoire »
commence par un
fait tout simple, un « incident », le fait
qu'un professeur
emploie en classe le mot « nègre ».
Mais ces faits se
transformeront d'« incident » en
« événement » pour devenir des
« affaires », voire des
« histoires ».
Voyons cela.
À l'Université Concordia de
Montréal, le
29 octobre 2019, la professeure Catherine Russell présente
brièvement
l'ouvrage de Pierre Valllières intitulé
Nègres blancs
d'Amérique. Elle le fait pour introduire le film
expérimental
intitulé Pierre Vallières, autrement
incompréhensible,
de Joyce Wieland. À l'Université McGill, le 28
septembre 2020, une
professeure a mis au programme de son cours de littérature
québécoise, sept livres, dont le premier est
Forestiers et
voyageurs de Jean-Charles Taché. L'ouvrage de 1863,
comprend le mot
« nègre » une fois, à la page 99
du livre de
poche. À l'Université d'Ottawa, le 15 octobre 2020,
la professeure
Verushka Lieutenant-Duval explique, dans son cours intitulé
« Les
identités sexuelles dans les arts visuels », le
phénomène de la récupération positive
de vocables
méprisants. Le mot queer, une injure, est
aujourd'hui
revendiqué ostensiblement par des homosexuels; tel a
été
souvent et surtout le cas spectaculaire du mot
« nègre »
(voir l'article « nègre » au DHLF
présenté ci-dessus à l'ouverture du
présent essai).
Ce sont là trois
« faits » anodins,
comme il s'en trouve des milliers dans toutes les classes de toutes
les
universités du monde. Comme on le voit clairement, il
s'agit d'informations
essentielles qui s'imposent manifestement dans le cadre de ces
trois
enseignements.
Or, ces faits deviennent des
« incidents »
qui doivent absolument être tués dans l'oeuf, car ce
sont trois faits
anodins qui pourraient devenir des
« événements ». Et tel sera
le cas,
à cause de la journaliste Isabelle Hachey qui en fera le
sujet de plusieurs
chroniques au journal la Presse de Montréal. Un
incident, c'est un
fait qu'on veut sans importance aucune et qu'on tente d'ignorer et,
surtout, de ne
pas rendre public. Un événement, par
définition, c'est le
point de départ d'une histoire. Concordia et McGill
réussiront
à maintenir l'« affaire » dans le cadre
d'une
« histoire minimale », tandis qu'à
Ottawa, cela
deviendra « toute une histoire » !
Je suis spécialiste des études
narratives, la
science des histoires (bg 8). Je
peux donc
présenter cette première « configuration
actantielle ». Elle comprend deux
« actants », la
professeure et un étudiant ou son groupe, souvent un petit
groupe. Les
attributs des personnages sont ici, évidemment, essentiels.
Une professeure
d'expérience et deux chargées de cours. Ce serait
long d'expliquer
la différence entre un chargé de cours et un
professeur à
l'université, mais il est facile d'expliquer que le
chargé de cours
n'a pas de permanence, qu'il n'est protégé que
sommairement par un
contrat dont la première caractéristique est la
précarité; professionnellement, il a
généralement
beaucoup moins d'expérience de l'enseignement qu'un
professeur
(évidemment permanent). Bref, pour le dire comme je le
pense, un
chargé de cours est à la merci du
« clientellisme » de l'université; il
est surtout
à la merci de ses étudiants (militants). Il doit
« filer
doux », comme on dit. On le voit, nos deux
« héroïnes » (à McGill et
à Ottawa)
ne sont évidemment pas en position de force. Or,
contre-épreuve,
bizarrement, tel sera aussi le cas à Concordia, où
l'on s'en prendra
à une enseignante de carrière.
En face de ces trois professeures, c'est tout
le contraire
pour les « militants » qui s'infiltrent dans
leurs salles de
cours. Ces « opposants », comme on les nomme
dans les
études narratives (c'est le loup, dans le Petit Chaperon
rouge,
l'ogre dans le Petit Poucet), n'ont rien à voir avec
les
étudiants allumés, attentifs, critiques, voire
contestataires; ils
correspondent à leur désignation : ce sont des
militants; ils
ne sont pas là pour apprendre, mais pour
réformer leurs
confrères et leurs enseignants. On les reconnaît
facilement :
d'un côté, ils ont un grave problème cognitif
qui leur interdit
tout dialogue ou tout échange; et de l'autre, ils sont du
genre à
porter plainte aux autorités contre leurs enseignants, en
plus de se
répandre en dénonciations sur les médias
sociaux. Nous
voilà donc avec
des opposants qui ont porté plainte contre trois
professeures qui ont
« prononcé » en classe le mot
« nègre ». Il s'agit non seulement
d'opposants, mais
de caractériels ? On va le voir, cela ne fait
absolument aucun
doute.
Mais une configuration actantielle peut
comprendre aussi un
actant qu'on situe au-dessus de la hiérarchie des
personnages et qu'on
appelle techniquement le « destinateur ».
Disons, le
« juge », celui à qui l'histoire est
destinée et
qui est l'arbitre des forces en présence. Dans le cas qui
nous occupe, il
s'agit des autorités universitaires. Dans deux de nos trois
histoires, ces
autorités ont tout fait « pour qu'il n'y ait pas
d'histoire ». À Concordia, c'est simple,
n'étaient les chroniques de Philippe Léger et
d'Isabelle Hachey, il n'y aurait jamais eu qu'un fait qui ne serait
même pas
devenu un incident. Dans le cas de McGill, c'est plus triste, car
la
chargée de cours a dû subir un véritable lavage
de son
enseignement. L'étudiante qui a porté plainte
à cause du mot
« nègre » dans Forestiers et
Voyageurs a pu lire
un autre livre, Maria Chapdelaine ! en plus
d'abandonner le cours
après deux semaines, de se le faire rembourser et de se le
faire
créditer, par une note donnée pour un travail
préliminaire.
Bref, notre chargée de cours, est passée
d'héroïne
à victime, et son opposante a plus que triomphé. Et
c'est sans
compter l'exercice stupide où l'enseignante a
été mise en
demeure (bien gentiment) de trouver toutes les occurrences des mots
« nègre » et
« sauvage » de son
corpus des six livres à son programme, pour que les
étudiants
puissent... ne pas les lire. Comme on le voit, notre
troisième personnage
de la configuration actantielle n'y est pas allé de main
morte; il a rempli
son rôle avec une rigueur peu commune, pour une opposante
qu'il a finalement
gratuitement récompensée...
Cela dit, comme
« destinateur » ou
« juge », on trouve pire, dans notre
troisième histoire.
À l'Université d'Ottawa, le recteur Jacques
Frémont a tout
simplement déclaré l'héroïne, le
personnage principal de
l'histoire, Verushka Lieutenant-Duval, comme ayant
été raciste en
proférant le mot « nègre » et
déclaré son opposante (identifiée à
toute la classe
de l'enseignante, voire toute la communauté
« racisée ») comme victime d'une
atteinte à son
droit à la dignité ! L'intérêt de
l'affaire
Lieutenant-Duval est qu'elle n'en est pas restée, comme
à Concordia et à McGill, au niveau de l'histoire
minimale. Non,
l'« incident » du 23 septembre (cb 6)
devient un « événement » avec la
chronique
d'Isabelle Hachey le 15 octobre (cb 7),
suivi d'une
série événementielle vraiment
percutante : la Lettre des
34 (cb 8), les cafouillages du recteur
prenant partie pour
les (sic) supposés victimes et dénonçant
l'enseignante
(cb 9 et 12) et mise en
place d'un
inutile Comité pour noyer le poisson, le Comité
Bastarache
(cb 21 et 22), demande
d'excuses du
recteur par 73 membres de l'Université (cb 24 et
25). Dans les études narratives, on
désigne sous
les sigles Si la situation initiale et Ei,
l'événement initial de la
série événementielle. Ici, la situation
initiale est le cours
de Verushka Lieutenant-Duval, le 23 septembre 2020 (cb 6),
et l'événement initial, la chronique d'Isabelle
Hachey, le 15 octobre
(cb 7), et l'histoire est toujours en
cours.
Est-ce qu'il suit qu'Isabelle Hachey fait
partie de la
configuration actantielle ? Non. Certes, elle aura
été, du point de vue narratif, la
« porte-parole » des trois professeures; elle
a tenu
courageusement leur rôle, en a interviewées
quelques-unes et a
été
la garante de leur expérience. Elle aura donc
été la
narratrice de nos trois histoires. Les études
narratives
caractérisent cette narration en disant qu'elle est en
« focalisation interne fixe radicale », ce qui
signifie qu'elle
adopte le seul point de vue d'un personnage, son personnage
principal, celui de
chacune des professeures (auxquelles l'Histoire, comme on le lit au
fil de ses
chroniques, refusait le droit de parole et même simplement
celui d'être
entendu, dans le cas de Verushka Lieutenant-Duval) et
adopter se comprend
radicalement, au sens strict. Sur ce point toutefois son
rôle est
double : la journaliste a rapporté les faits et les
témoignages, tandis que la chroniqueuse a jugé en
conséquence
les « incidents » dont elle faisait à
juste titre des
« événements ». Bien entendu, la
narratrice a
eu de très nombreux lecteurs, dont quelques-uns ont
réagi et
d'autres, plusieurs, ont agi. Je dois dire que je n'ai rien retenu
des quelques
rares critiques improvisées que j'ai pu lire, tandis que
plusieurs
réactions ont été de véritables
actions, comme par
exemple le texte d'opinion de Patrick Moreau (bg 12). — Mais voir également le texte
splendide de Dany Laferrière (bg 7).
Voilà pour les trois histoires
passées au crible
des études narratives. Voici maintenant ces mêmes
histoires revues
sous l'angle de la lexicologie, « l'étude des
mots ».
Ce sera l'analyse du vocable « nègre »,
qui permet de
comprendre le sens profond de nos trois histoires.
Dans aucune de ces histoires, ce vocable n'a
été
employé ou rappelé comme injure et dans les deux
premières
histoires, à Concordia et à McGill (au Québec,
donc) le mot est
repris du titre d'un essai ou se trouve une fois dans un roman.
C'est ce dernier
cas, le plus caractéristique, qui mérite d'être
étudié précisément. Une professeure
est chargée
du cours FREN 252 du département des
littératures de langue
française qui porte le titre « Littérature
québécoise ». On en trouve toujours le
curriculum ou le
plan de cours sur le site internet de l'Université McGill.
Dans le contexte
de l'épidémie, il s'agira principalement
d'accompagner les
étudiants dans leur lecture de sept romans
considérés comme
des « oeuvres incontournables ou représentatives
de la
littérature québécoise ». Le
premier de ces romans
est Forestiers et voyageurs de Joseph-Charles Taché.
C'est sur le
thème du territoire, l'enracinement et le
déplacement, que l'accent
sera mis, thème évidemment approprié,
s'appliquant au roman
de Taché. C'est la quatrième séance, le 21
septembre (ou
peut-être en réalité la cinquième, le
28), qui sera
principalement consacrée à ce roman. Une
étudiante, puis
quelques autres étudiants, sont scandalisés d'avoir
été
mis en présence du mot
« nègre » sans en
avoir été avertis d'avance, et l'étudiante,
qui portera
plainte, refuse de lire cet ouvrage. L'administration va se plier
à
l'attitude de l'étudiante et conseiller à
l'enseignante toute une
panoplie de stratégies pour « faire
passer », si je puis
dire, les mots tabous. Non seulement
« Nègre » qui se
trouve encore dans deux autres romans du corpus, l'Hiver de
force de
Réjean Ducharme et les Fous de Bassan d'Anne
Hébert, mais
également le mot « Sauvage » qui se lit
évidemment partout dans le roman de Taché, comme on
l'a toujours
employé couramment de la Nouvelle-France à la fin du
XIXe
siècle et au-delà, au Québec. Bref,
l'enseignante doit
absolument faire un important travail de mise en contexte
précis afin de
protéger les étudiants qui ne peuvent supporter ce
vocabulaire, ces
vocables. C'est évidemment, de la part d'un vice-recteur
à
l'enseignement, une attitude infantilisante qui demande à
une enseignante
de se plier à d'invraisemblables caprices n'ayant pas leur
place à
l'Université et surtout pas dans un enseignement de
littérature
française.
Ces étudiants ne sont plus des enfants
d'école,
des collégiens, ce sont des adultes au début de leur
carrière
universitaire. Il est facile de leur expliquer, sans les
infantiliser, qu'ils
n'ont tout simplement pas leur place à l'université.
Au
collège, au Cégep, ils n'ont jamais lu le mot
« nègre » dans aucune oeuvre
littéraire ?
Dans ce cas, ils se présentent à l'université,
dans le domaine
des études littéraires, sans avoir jamais rien lu,
c'est
évident. Ils doivent donc apprendre à lire. S'ils
sont le
moindrement intelligents, ils vont vite voir que le mot
« nègre » se trouve partout dans les
oeuvres
littéraires de langue française (et s'ils ne peuvent
pas en supporter
la lecture, ils doivent vite changer de département et je
leur
conseillerais, par exemple, médecine dentaire !). Il
suffit d'une
toute petite radiographie du corpus de la littérature
française pour
voir que le vocable se trouve partout. Prenons la base de
données du
Trésor de la langue française, mise au point à
Nancy et qu'on
trouve aujourd'hui sur le site internet ARTFL-Project de
l'Université de
Chicago ou l'ATILF du Conseil National de la Recherche scientifique
en France. Le
dépouillement informatisé est de 1968. Actuellement,
la base de
données comprend 3 500 oeuvres de la littérature
française, des origines à nos jours. La recherche du
mot
« nègre » sous toutes ses formes,
singulier ou pluriel,
masculin ou féminin (nègre OR nègres Or
négresse Or
négresses) nous apprend que le mot est employé
exactement et
précisément 4 940 fois par 330 auteurs, dans
environ 500
oeuvres — et je m'avise de rechercher sur la
bibliothèque de Google les titres d'ouvrages qui comprennent
le mot nègre et j'en trouve plus de cent-vingt !
L'étudiante, et ses quelques acolytes, se trouvent
tout simplement
ridiculisés par ce fait brut qui montre, hors de tout doute,
que ces belles
âmes n'ont pas leur place à l'université dans
un enseignement
sur la littérature française, où 14% des
oeuvres comprennent
le mot « nègre » d'une à
plusieurs centaines de
fois (et en moyenne 10 fois). Le vice-doyen à
l'enseignement de McGill
n'est pas non plus apte à gérer une situation pour
lui
incontrôlable, en fonction de sa politique d'accommodement.
Est-ce que les
professeurs de littérature de langue française de
McGill vont
écarter 15% des oeuvres du programme et demander à
leurs enseignants
d'identifier les 5 000 occurrences du mot
« nègre »
dans ces oeuvres pour... en prévenir la sensibilité
et les caprices
d'étudiants ? Et leur éviter de lire ces pages,
voire ces
oeuvres ! Étant donné la situation
« lexicale » il serait même stupide et
saugrenu de mettre
une note en tête... de tous les cours de littérature
française
à ce sujet, car, évidemment, seuls des
imbéciles en auraient
besoin. D'ailleurs, voilà une excellente chose. Personne
ne veut enseigner
à ces étudiants. Ils n'ont pas leur place à
l'université. Bon, d'accord, on peut leur conseiller de
s'inscrire au
département de médecine dentaire.
Refuser de lire le roman de Taché,
celui de Ducharme
et d'Anne Hébert, c'est une chose, et toute une !, mais
on doit savoir
que notre pauvre étudiante et ses acolytes ne pourront pas
lire Voltaire,
Chateaubriand, Hugo, Balzac, Flaubert, Alexandre Dumas, Lamartine,
Claudel, Sartre
ou Simone de Beauvoir. Vous vous rendez compte ?
Apparemment, un vice-recteur
à l'enseignement, lui, ne s'en est pas rendu compte...
Reprenons la question lexicale du point de vue
de
l'étymologie (bg 1). Le
mot
nègre n'est pas français, ni anglais
d'ailleurs (negger
étant une déformation de negro). Le
latin niger
a produit noir en français et nero en
italien. C'est en
espagnol et en portugais qu'il a donné negro, origine
du mot
nègre en français et en anglais. Le vocable
ne se trouve ni
au dictionnaire de Furetière (1690), ni aux premiers
dictionnaires de
l'Académie française au XVIIe siècle (à
partir de
1694). C'est à la quatrième édition du
dictionnaire de
l'Académie en 1762, que le mot fait son entrée
officielle en
lexicologie, « entrée » tout de suite
reprise par le
Dictionnaire critique de la langue française de
Féraud en 1787
(bg 6). Voici l'entrée de
ce dictionnaire
qui reprend celle de l'Académie :
« Nègre, -esse. On appelle Mores
les peuples de l'Afrique
du
côté de la Méditerranée; et
Nègres, ceux
qui sont du côté de l'océan, et surtout ceux
qu'on transporte
dans les colonies européennes, et qui y servent comme
esclaves. Ex., "il
a dans son habitation deux cents nègres et cinquante
négresses".
Nègrerie : lieu où l'on enferme les
Nègres, dont
on fait commerce. Négrillon, -one, petit
nègre, petite
négresse. On dit familièrement « traiter
quelqu'un comme un
Nègre », le traiter fort mal, le traiter en
esclave ».
Bien entendu, il y a longtemps à ce moment que la traite des
Noirs s'est
développée en Amérique ibérique et
qu'elle existe en
Louisiane. Et c'est avant qu'elle ne devienne le moteur
socio-économique
des États-Unis, où le racisme accompagnera le
phénomène
par-delà son abolition.
Il faudrait un cours ou un séminaire
universitaire pour
mener l'étude des quelques 5 000 contextes où se
trouve le mot
« nègre » dans ces ouvrages de
littérature
française. Statistiquement, le vocable ne se rencontre que
34 fois dans les
oeuvres du XVIIe siècle au corpus du TLF (bg 15). La répartition de ses occurrences aux
siècles
suivants est la suivante : 0,1140 au XVIIIe siècle,
0,7053 au XIXe
siècle et 0,1807 au XXe siècle. Dans les textes
« contemporains » on compte donc plus de 70%
d'occurrences au
XIXe siècle. Au fil de ces compilations, je n'ai pas
noté
d'utilisations infamantes du vocable, ce qui ne prouve pas,
évidemment,
qu'il ne s'en rencontre pas, mais cela devrait indiquer qu'elles ne
sont pas
très fréquentes. En revanche, il m'a paru que ces
occurrences se
trouvaient très souvent dans des expressions figées,
dont la
première se trouve enregistrée au dictionnaire de
l'Académie,
4e édition, reprise au Dictionnaire critique
cité plus haut,
soit « traiter comme un nègre »
(maltraiter comme un
esclave, traiter durement). D'où de très nombreuses
expressions
françaises qu'on trouve aujourd'hui dans tous nos
dictionnaires :
« travailler comme un nègre »
(travailler fort),
« s'exprimer en petit nègre » (parler
sommairement et
incorrectement, comme anciennement les Noirs peu instruits des
colonies
françaises africaines); au Québec (Lionel Meney,
Dictionnaire
québécois-français)
: « un plan
de
nègre » (projet saugrenu et irréalisable),
« se
faire du sang de nègre (s'inquiéter »); je
ne connais pas
l'origine de ces deux expressions. Sans compter le proverbe
raciste en provenance
des colonies, « à blanchir un nègre, on
perd son
savon » (entreprendre une tâche impossible).
Il est donc évident que le vocable fait
irrémédiablement partie de la langue française
et qu'on ne
saurait en aseptiser les littératures de langue
française. Cela dit,
il faut savoir en évaluer la portée
psycho-sociologique en
Amérique du Nord, et il faut le faire en comparant et en
opposant le
français du Québec et l'anglais des
États-Unis. Le point de
départ de l'analyse est l'expression « le mot en
N ».
Il s'agit d'un anglicisme qui n'a absolument pas sa place au
Québec. Le mot
« Nègre » doit évidemment rester
pour ce qu'il
est où il s'oppose très correctement au vocable
« Noir ». En effet, jamais au Québec
les Noirs n'ont
été des Nègres, tandis que le
« mot »
nègre fait ici partie de la culture de tous les
francophones. D'abord
parce qu'on le trouve historiquement, on vient de le voir, depuis
le XVIIe
siècle en français et qu'il est omniprésent
dans les
littératures francophones au XIXe siècle. Parler ici
du
« mot en N » n'est pas seulement un anglicisme,
c'est surtout
une grave méconnaissance de la culture
québécoise. Le mot,
l'abréviation ou l'euphémisme, nous vient des
États-Unis
où il est tout à fait justifié, tandis qu'il
s'« impose » au Québec sous la pression
des Canadiens,
des Anglo-Québécois et, bien entendu, de nombreux
Noirs du
Québec. Il n'est pas difficile de comprendre que du sud au
nord des
États-Unis, avec certes de moins en moins de vigueur, le mot
« nigger » présente toujours une charge
émotive
considérable, puisque l'injure trouve sa source dans le
racisme
systémique, à cause de l'esclavage originel et du
ségrégationnisme qui est encore loin d'être
résorbé. Les Noirs et plus
généralement les
États-Uniens ont réussi à imposer
l'abréviation
« N-word » qui doit être utilisée
en lieu et place
non seulement de Nigger, mais même de Black.
Il s'agit d'un
mécanisme d'« abréviation »
typiquement anglo-saxon
(the N-word, the B-word pour bitch, the F-word pour fuck, the
A-word, pour
asshole, etc.). Mais en réalité, dans le cas de
N-word, il ne s'agit
pas d'une abréviation ou d'un euphémisme, car
l'expression en
question est de fait une dénonciation et elle est
évidemment
justifiée.
Cela précisé, il est clair que
cet
« anglicisme » n'est pas acceptable au
Québec qui
ne connaît pas ni n'a jamais connu de racisme
systémique vis-à-vis
des Noirs, comme d'aucune autre ethnie nous venant de
l'immigration. Pas de
racisme systématique non plus. Certes, on doit savoir qu'on
est tous
potentiellement racistes, instinctivement, et les pires
racistes sont
ceux qui ne le savent pas. On trouve deux beaux exemples de ce
phénomène dans les présents fichiers, Le
racisme de l'Arpenteur et le navigateur de Monique LaRue
et, surtout,
Scandale aux Abysses : l'affaire
Gosselin. Et, bien
entendu, le phénomène en question est
réversible. Il est tout
naturel que les membres des communautés issues de
l'immigration se sentent
ainsi naturellement ostracisés. Voici un exemple simple.
Il s'agit des « maudits
Français ». Nous sommes
en 1960. On ne trouvera pas facilement pires racistes, alors
qu'ils se croyaient
au Québec comme s'ils étaient aux colonies (en
Algérie par
exemple). Or, j'en ai entendu susurer que, s'ils n'avaient pas
obtenu telle
subvention ou telle
promotion, c'était... par racisme ! Et cette attitude
est tout
simplement instinctive, dans un sens comme dans l'autre. Et
voilà qui
explique la légende urbaine ou plutôt supra-nationale
du
« racisme systémique » au Québec.
En
réalité, il n'y a qu'une seule et unique forme de
racisme
systémique au Québec et elle est surtout
pan-canadienne. Il s'agit
du racisme vis-à-vis des Amérindiens, personne ne
peut le nier.
Qu'il s'agisse d'un racisme systémique pan-canadien,
découlant
notamment de la Loi sur les Indiens, une loi du Gouvernement du
Canada, ne justifie
pas qu'il se soit développé depuis plus d'un
siècle au
Québec. Le nommer et le dénoncer illustre qu'on ne
trouve pas un tel
racisme vis-à-vis des Noirs ici; et
l'importation de
l'anglicisme N-word au Québec doit être
dénoncée,
précisément parce qu'il minimise et banalise le seul
racisme
systémique au Québec, celui dont sont victimes les
Amérindiens.
Et nous voilà ainsi au coeur de
l'étude psycho-sociologique,
soit l'impact du « N-word » dans nos trois
affaires universitaires en 2020 et 2021. Je vais l'illustrer par
l'affirmation du
recteur Jacques Frémont au sujet de Verushka
Lieutenant-Duval.
L'enseignante, affirme le recteur, « avait tout à
fait le choix,
dans ses propos, d'utiliser ou non le mot commençant par -n;
elle a choisi
de le faire avec les conséquences que l'on sait »
(cb 9). Traduction d'Isabelle Hachey :
« Autrement
dit : "tu aurais dû savoir que n**ger est un mot tabou,
un mot Voldemort
qu'on ne prononce en aucune circonstance [personnage d'Harry
Potter, le
sorcier, « Celui qu'on ne doit jamais
nommer »]; maintenant,
arrange-toi avec tes troubles, fille » (cb 10).
Or, c'est précisément là que se trouve l'une
des clés
les plus importantes du phénomène à
l'étude :
contrairement à Isabelle Hachey et à Jacques
Frémont,
les
enseignantes et particulièrement les deux jeunes
chargées de cours,
comme la très grande majorité des
Québécois, ignoraient
complètement l'impact considérable que peut avoir le
mot
« nègre », surtout dans un contexte
aseptisé,
parfaitement neutre et descriptif. Il faut d'abord faire
remarquer, évidemment, que nos trois incidents surviennent
dans des universités « bilingues »,
c'est-à-dire très majoritairement anglophones —
ou pour mieux dire « canadiennes » (voir
l'article éclairant de Shannon Dea à ce sujet,
bg 4). Catherine Russell
(née en
1959 et qui a
fait ses études à New York) a « admis
qu'elle
n'était pas au courant des impacts que pouvait avoir, dans
ce contexte,
l'utilisation du N-word » (cb 3).
Verushka
Lieutenant-Duval, elle, « sait que c'est un mot qui fait
mal »,
« qu'il est inacceptable de l'utiliser pour diminuer ou
écraser
une personne de couleur », mais elle « ne
savait pas qu'il lui
était interdit de le prononcer pour expliquer un concept
théorique » dans un cours universitaire
(cb 10). Bien entendu, elle est
québécoise, de culture
québécoise. Bien entendu, aussi, tout le monde
finira bien par le
savoir, mais personne ne pourra jamais comprendre le
phénomène au
Québec, où la réaction épidermique ne
peut
paraître que maladive. Oui, devant le
phénomène, on le
rationalise, comme je l'ai fait plus haut, en expliquant qu'il est
on ne peut plus
naturel aux États-Unis et que la réaction qui produit
en contrepartie
l'abréviation « N-word », tout aussi
irrationnelle
soit-elle, appartient dorénavant à la culture
états-unienne et
même que le mot appartient maintenant à la langue
anglaise. En fait,
je le répète, N-word est moins une abréviation
de
« negger » que sa dénonciation,
puisqu'il affirme qu'on
se refuse, en le désignant, à le prononcer.
C'est ce qu'on
appelle un tabou (comme le porte bien le titre de la
chroniques
cb 14).
Mais c'est très légitimement
qu'on doit se
refuser absolument au Québec à employer l'anglicisme
« le
mot en N », « le mot qui commence par
N », etc. Non
seulement on doit pouvoir utiliser en toutes lettres le mot
« nègre » lorsque cela est
nécessaire,
mais il faut au contraire dénoncer cette
récupération
inacceptable au Québec de la culture états-unienne.
À
l'inverse, il faut dénoncer une naïve essayiste, Judith
Lussier, qui
en... dénonce la dénonciation ! à grand
renfort
d'indécentes nuances (bg 9,
10, 11).
Bien entendu, on peut ajouter que ces
« événements » apportent au moins
une petite
pierre au projet de faire du Québec un pays. Dans cette
affaire, le
Québec ne peut pas se reconnaître dans la
réaction du Canada
— et inversement.
Bg Le sigle renvoie aux entrées de la Bibliographie
qui suit.
Cb Désigne la Chrono-bibliographie
qui suivra.
Bibliographie
- Index :
- Amiraux, Valéry
- Bloch, Oscar, et Walther von
Wartburg
- Cloutier, Alexandre
- —— Dénigrement du rapport Cloutier par la haute
direction de l'Université de Montréal
- Dea, Shannon
- Déclaration des
droits de l'homme et du citoyen (1789)
- Féraud,
Jean-François
- Gaudreault-DesBiens,
Jean-François
- Gilbert, Anne,
- Jutras, Daniel,
- Laferrière, Dany
- Laflèche, Guy
- Lussier, Judith
- Moreau, Patrick
- Prévost, Maxime
- Reichman, Henry
- Rey, Alain
- Tellier,
Geneviève
- TLF, Trésor de la
langue française
Bloch, Oscar, et Walther von Wartburg,
Dictionnaire
étymologique de la langue française, Paris,
Presses
universitaires de France, 1968, articles
« nègre » et
« noir ». N'importe quel dictionnaire du
français (ou
de l'anglais) enregistre l'étymologie, avec les
dérivés et les
composés des deux mots. Le présent dictionnaire date
l'emprunt en
français de 1516, en précisant que la forme
originelle espagnole et
portugaise, « negro », sera reprise dans le
langage familier
au XIXe siècle. [1
| |
projet de loi 32
Cloutier, Alexandre, président,
Reconnaître, protéger et promouvoir la
liberté universitaire : rapport de la Commission
scientifique et technique indépendante sur la reconnaissance
de la liberté académique dans le milieu
universitaire, Québec, Gouvernement du Québec,
décembre 2021 [2
—— « Événements
récents impliquant la liberté universitaire au
Québec », Rapport de la Commission
Cloutier, « Annexe 2 », décembre
2021. [3
| |
|
Présentation critique sommaire
Le rapport de la Commission Cloutier propose
cinq recommandations et émet cinq avis à l'intention
du Gouvernement du Québec. Il propose l'adoption d'une loi
qui
définira la liberté universitaire et qui forcera les
universités du Québec à s'y conformer, d'abord
en adoptant une politique, précise
et distincte, à ce sujet, qui sera gérée par
un
comité qui devra entendre les litiges sur la question et
faire rapport au Ministère de l'enseignement
supérieur une fois l'an, tandis que le Ministère
devra à son tour faire un rapport de synthèse annuel
à ce sujet.
En ce qui concerne les avis, c'est simple, car
il s'agit d'une explicite condamnation sans appel des trois
« incidents » présentés dans le
présent essai : les « espaces
sécuritaires » et les
« traumavertissement » sont bannis des
universités et celles-ci doivent impérativement
légiférer pour prévenir et sanctionner toute
forme de lynchage intellectuel. En plus, les universités
doivent protéger tout membre de la communauté victime
de procédure judiciaire à l'encontre de sa
liberté universitaire, tandis que les hautes directions des
universités doivent garder un droit de réserve et ne
jamais intervenir sur des enjeux faisant l'objet de débat de
société.
Bien entendu, tout cela se trouve à
l'évidence dans la tradition universitaire, dans la
jurisprudence et même dans le fonctionnement normal de nos
institutions. C'était la conclusion de la Commission
Bastarache !
Or, il se trouve que le comportement de
quelques universités (canadiennes) force maintenant à
établir au Québec une législation pour que ces
droits et devoirs soient respectés. Et la Commission
Cloutier réussit le tour de force de le faire de la
manière la plus judicieuse qui soit, en respectant deux
principes qui ne sauraient s'opposer, l'autonomie des
universités et la liberté universitaire de ses
composantes (liberté de parole, d'enseignement, de
recherche,
etc.). On peut s'amuser à imaginer cela
appliqué à l'Université d'Ottawa en Ontario,
comme si la Commission Bastarache avait eu le pouvoir juridique de
forcer le recteur Frémont à s'excuser auprès
de la professeure Verushka Lieutenant-Duval, avant qu'elle ne soit
d'office rétablie dans son enseignement.
Toutes les universités du Québec
seront assujetties à une loi à cause de l'incartade
de quelques
directions universitaires ? Pourquoi pas ? Être
forcé par la loi de faire ce que l'on fait
déjà très bien, et depuis longtemps, cela ne
pose aucun problème, d'autant que cela évitera
d'autres dérives comme celles précisément qui
conduisent aujourd'hui aux conclusions de la Commission
Cloutier.
Sans compter que tout le chapitre 3 du rapport
de la Commission prouve que cela ne nous coûtera vraiment pas
très cher, « La liberté universitaire selon
le corps professoral et la communauté étudiante
(p. 28-44) ». Ce chapitre, en effet, est une
radiographie des opinions des composantes de l'université
québécoise sur la liberté universitaire
(enseignement, recherche, publication, etc.) et
la liberté d'étude qui en découle et la
complète. Or, cette enquête, fort bien menée,
découle précisément des
« incidents » présentés ici, ceux
des universités d'Ottawa, de McGill et de Concordia, puisque
c'est forcément en regard de ces faits
« explosifs » que tous les participants aux
travaux de la Commission se sont exprimés. Et,
contrairement à la Commission Bastarache, il ne s'agissait
pas ici d'empoisonner le poisson.
La Commission Cloutier a donc mené une
vaste enquête auprès des instances universitaires et
des personnes et des groupes impliqués dans cette
problématique. C'est donc ce chapitre 3 du rapport qui
rend compte de cette consultation : questionnaires
adressés aux professeurs et aux étudiants,
questionnaires à choix multiples et aux espaces
destinés aux commentaires; mémoires adressés
à la Commission et séances publiques
d'échanges; quelques séances à huis clos;
prise en considération des articles, des comptes rendus et
des opinions publiés dans les journaux, y compris sur
l'affaire Lieutenant-Duval, dont l'impact a été
très important au Québec. Il ressort de cette large
consultation que les entraves à la liberté
universitaire viennent très largement de groupes
d'étudiants, généralement anglophones ou
noirs, qui répercutent au Québec les comportement
états-uniens ou canadiens exigeant l'interdiction absolue de
l'utilisation en classe du « N-word » et
l'obligation de se trouver là dans des « safe
spaces », pour le dire dans leur langue. Les
statistiques des consultations distinguent en effet les professeurs
et les étudiants selon qu'il s'agit de francophones ou
d'anglophones, de Blancs ou de Noirs (« statut
minoritaire », « groupes
sous-représentés
ou marginalisés »). La
bonne distinction n'est pas faite, en ce qui concerne les
étudiants, qui devraient être
caractérisés, surtout pour les anglophones, selon la
durée de leur résidence au Québec, d'où
qu'ils viennent. Ces étudiants sont-ils au Québec
depuis six mois ?, un, deux ou trois ans ? Ou depuis plus
de trois ans et depuis toujours !
On peut penser, en effet, que les
étudiants étrangers accueillis au Québec
soient le moteur de ceux qui s'opposent à ce qu'on utilise
ici le mot « nègre », qu'on trouve
très normalement dans des titres d'ouvrages, des citations
ou des oeuvres à l'étude; qu'on ne le prononce
jamais, le remplaçant par l'euphémisme
« N-word »;
qui exigent des « safe
spaces »; qui considèrent que seuls des Noirs
peuvent employer le mot « nègre », etc.
Cela dit, on n'a pas besoin de cette précision, sur des
faits qu'on peut croire démontré d'eux-mêmes,
car la Commission dit clairement que tout cela est incongru au
Québec et c'est ce qu'elle affirme très fortement
dans ses cinq Avis.
On n'y peut rien, je le répète,
car si le Québec est une « société
distincte », une nation, ce n'est pas un
pays, de sorte que beaucoup de citoyens anglophones, d'immigrants
(récents), comme de résidents temporaires ou en
attente de la citoyenneté, se croient ici au Canada
(où, malheureusement, ils se trouvent en effet).
|
| |
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Comme j'ai lu le rapport de la Commission
d'Alexandre Cloutier de la première à la
dernière page, avec tous ses appendices, je peux à
bon droit protester contre son style bigenre. Le rapport est
rédigé, très sérieusement, dans un
style enfantin, stupide et débile, s'adressant manifestement
à des lecteurs qu'on prend pour des sous-doués.
Lorsqu'un rapport s'adresse à la Ministre de
l'éducation, Danielle McCann, pour tous les citoyens du
Québec, cette supposée « rédaction
épicène » doit être vigoureusement
dénoncée. Il y a quelque chose d'hallucinant
à voir Alexandre Cloutier et ses commissaires
présenter un rapport écrit en style manifestement
maladif. C'est une insulte à tout le Québec, qu'on
ridiculise ainsi.
On écrit donc, pour la ministre McCann
et pour tous les Québécois que, je cite :
« C'est d'abord en
réaction à l'arbitraire de sanctions prises par des
présidents ou présidentes d'université
contre certains professeurs et [certaines] professeures
ayant exprimé des points de vue jugés inacceptables,
qu'est fondée aux États-Unis l'Association
américaine des professeurs d'universités
(AAUP) » (p. 8). C'est ainsi qu'on présente
la naissance d'un document fondateur de la liberté
universitaire en Amérique. Il faut pratiquer une bien
niaise rédaction pour
écrire une telle phrase en français, car ce sont
évidemment des présidents d'université
qui ont mal agi vis-à-vis certains professeurs. Pas
des présidents ou présidentes contre des
professeurs et professeures. — Sans compter qu'il est
amusant de constater que l'accord du déterminant,
certain, ne se fait qu'au masculin pluriel, ce qui montre
que le style bigenre fait apparaître la marque du
féminin (professeures), pour des raison strictement
idéologiques, en la plaçant sous la domination du
« masculin » (soit professeurs, le genre
non marqué du féminin qu'on appelle le masculin
depuis les classes de l'école primaire).
Disons que c'est bien fait pour
la ministre McCann puisque son collègue Simon Jolin-Barrette
est responsable de la nomination de la
présidente de l'Office québécois de la langue
française (OQLF) actuellement, Ginette Galarneau, et des
fonctionnaires que la présidente préside, et que ces
fonctionnaires n'ont toujours pas le bon sens d'abroger l'Avis de
l'OQLF (2015) qui recommande d'adopter la rédaction
épicène à tous les Québécois
(la revue Lettres québécoises, par exemple, se
conforme à cette stupide recommandation le plus
sérieusement du monde, une revue littéraire !)
et impose au président Alexandre Cloutier de
présenter son rapport remarquable dans ce style
bébé la la.
C'en est gênant, pour le
président Cloutier, et insultant pour les lecteurs du
rapport, bien entendu. Le rapport désigne donc très
sérieusement les étudiants et étudiantes, avec
la belle variante en équilibre, des étudiantes et
étudiants, trente fois au cours du rapport. Risible :
une seule et unique fois la différence de sexe est prise en
compte, dans une formulation proprement stupéfiante,
« on observe que chez les étudiantes et
étudiants, 30% des femmes considèrent que
certains mots devraient être interdits, même s'ils sont
utilisés à des fins universitaires, alors que 16% des
hommes sont de cet avis » (p. 42). Quand un
comité de quatre commissaires et son président laisse
rédiger une phrase aussi tordue, c'est qu'ils ne peuvent
plus maîtriser le français : les
étudiantes et étudiants ne sont plus des
étudiantes et des étudiants, ce sont des femmes et
des hommes ! Et que voilà un symptôme du style
bigenre, la rédaction dite épicène ou
l'écriture dite inclusive, et qui prouve qu'elle est le
produit de la pure ignorance en matière grammaticale et
linguistique. En pratique, le fait d'ignorantes en ces
matières embauchées par des
« fonctionnaires », à l'OQLF,
évidemment sans expertise aucune en ces domaines.
Mais il n'y a pas que la
puérilité d'un style infantile et infantilisant. On
assiste également tout au long du rapport à la
bouffonnerie d'expression proprement loufoques. Bon,
évidemment, on s'en doute, on parlera des professeurs et
professeures (3 fois), et, bien sûr, pour équilibrer
(c'est le comique des précieuses, la balance étant
féminine), des professeures et professeurs (9 fois).
Avec les recteurs et rectrices, c'est 4 fois, avec le parfait
équilibre de la balance du masculin et du féminin.
Une seule fois il est question des conférencières et
conférenciers. Mais le style bigenre
en vient à présenter des caractères proprement
bouffons. Il s'agit d'abord des
« personnes répondantes ».
Pour rendre compte des répondants, de ceux qui ont
répondu aux questionnaires de la commission, on compte 31
occurrences, tout du long du rapport de cette désignation
incongrue, avec une fois, une seule, une formulation
française disant que « dans les réponses
aux questionnaires, plusieurs personnes ont affirmé
que... » (p. 31). Pour un universitaire comme moi,
le summum aura été atteint avec la désignation
des « personnes chargées de
cours » ! pour désigner les chargés de
cours que j'ai côtoyés durant tant d'années.
La bouffonnerie apparaît clairement en regard de la ridicule
redondance des « étudiantes et
étudiants » dès qu'on se rend compte que la
désignation des « personnes chargées de
cours » ne saurait s'employer au singulier !
Bref, Alexandre Cloutier et ses commissaires
devraient avoir honte de cette rédaction insensée.
Le budget de la Commission Cloutier n'est
peut-être pas épuisé ? Alors la ministre
devrait adresser un exemplaire de mon pamphlet à chacun de
ses commissaires : le Style bigenre, la
rédaction épicène, l'écriture
inclusive : l'Office québécois de la langue
française et ses travailleuses du genre (G.
Laflèche, Laval, Singulier, 2020). Elle ferait bien de le
lire, elle aussi, pour obtenir de Simon Jolin-Barrette qu'il
règle le problème à sa
source, à l'OQLF.
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La liberté universitaire :
La haute direction de l'Université de Montréal
dénigre le
rapport Cloutier
Daniel Jutras, Valéry Amiraux et
Jean-François
Gaudreault-DesBiens,
« Libertés universitaires : les
universités font
leurs devoirs ». Le texte d'opinion de la haute
direction de
l'Université de Montréal, signée du recteur et
de deux vice-recteurs,
a paru partout dans les journaux en
décembre-janvier 2021-2022
(le Devoir, 23 décembre; la Presse, 27
déc.; et
le Droit (Ottawa), 6 janvier). [2a
— Université de Montréal, Mission du
recteur,
« La liberté d'expression en contexte
universitaire » : « Déclaration
de
principes », déclaration adoptée par
l'Assemblée
universitaire le 14 juin 2021. Se lit sur
< umontreal.ca/missiondurecteur/ >. [2b
— Université de Montréal, Rapport de la
mission du recteur
sur la liberté d'expression en contexte universitaire,
Valéry
Amiraux, présidente de la mission, 4 juin 2021. [2c
— Jean-François Gaudreault-DesBiens,
vice recteur,
avec la
collaboration de Mtre Léa Boutrouille, avocate, les
Libertés
universitaires dans une université inclusive : rapport
réalisé dans le cadre des travaux de
préparation de
l'Énoncé de vision et du Plan d'action en
matière
d'équité, de diversité et d'inclusion,
Université de Montréal, mars
2020,
235 p. [2d
— Alexandre Chabot, secrétaire général,
Plan d'action
2020-2023 sur l'équité, la diversité et
l'inclusion,
déposé au Conseil le 26 mars et à
l'Assemblée
universitaire, le 11 mai 2020. [2e
En fait, ces cinq textes se programment les
uns à la
suite des autres. Conçu dans le contexte et à la
suite du Plan
d'action (mars 2020), le rapport Gaudreault-DesBiens
(également de mars
2020) sert de cadre à une comMission du rectorat, dont le
rapport (4 juin
2021) conduit à l'adoption de la déclaration de
principes de
l'Assemblée universitaire (14 juin 2021), ce qui justifie sa
promotion par la
lettre d'opinion de la haute direction de l'Université
(décembre-janvier
2021-2022), dénigrant le rapport Cloutier
destiné au
Gouvernement du Québec.
Oui, nous avons à l'Université
de Montréal une « Mission » du recteur,
avec, évidemment, ses Apôtres et son Évangile
(J.-F. G.-D.) qu'il s'agit de faire adopter par son
Assemblée. Ce sera pour nous, simplement, la comMission.
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Encore une digression
La haute direction de l'Université de
Montréal
dénigre le rapport Cloutier
— Pourquoi ?
Après mon évidente digression
sur le style
bigenre du rapport Cloutier, en voici une autre. Dans cet essai,
je ne
répertorie pas les textes d'opinion, car je m'en tiens aux
faits. La
chronique inaugurale d'Isabelle Hachey (le 15 août 2020),
après celle
de Philippe Léger (le 10 août), peut bien exprimer des
opinions, mais
elle rapporte des faits, des incidents, et en devient ainsi
elle-même un
événement. Cette chronique a suscité quelques
dizaines de
textes d'opinion. J'ai lu et, bien sûr, tenu compte de ces
textes, que j'ai
illustrés de deux exemples seulement, les interventions de
Patrick Moreau
(bg 12) et Dany Laferrière (bg 7), mais
aucun autres textes d'opinion n'est consigné ni
étudié ici.
Les opinions du polémiste, les miennes, suffisent !
Je fais toutefois exception pour le
« texte
d'opinion » de la haute direction de l'Université
de
Montréal sur... le
rapport Cloutier.
Ces derniers points de suspension s'expliquent
en ce que la
direction de l'Université de Montréal intervient
à la suite
de nos trois affaires sur l'utilisation du mot
« nègre »
à l'université et notamment, bien entendu, l'affaire
Lieutenant-Duval
de l'Université d'Ottawa qui a fait scandale au
Québec. Ce sont les
déclarations hallucinantes du recteur Jacques
Frémont, le 19 octobre
2020, qui en représentent le sommet.
Le dépôt du rapport de
Jean-François
Gaudreault-DesBiens, au mois de mars précédent
aurait-il
été prémonitoire ? Par
« dépôt », il faut entendre que le
rapport du
vice-recteur est remis au cabinet du recteur en mars 2020, tandis
qu'une
synthèse du mémoire ne sera déposée
à
l'Assemblée universitaire que le 7 décembre.
Or, c'est ce
mémoire et cette synthèse qui encadreront la
comMission du recteur,
l'adoption de la déclaration de principes, le tout
expliquant le texte
d'opinion de la haute direction de l'université de
Montréal.
Il ne fait pas de doute que le rapport
était
« prémonitoire » de l'affaire
Lieutenant-Duval que rien
ne pouvait laisser prévoir en mars 2020, tandis que les
« études de cas »
présentées en annexe du
rapport sont tout à fait étrangères à
nos
dénonciations de l'emploi du mot
« nègre » en
classe. J'ai donc pensé que le mémoire était
antidaté.
Le scandale de l'Université d'Ottawa a été
à son comble
le 19 octobre 2020. Octobre-novembre 2020, cela pouvait donc
correspondre à
la rédaction du rapport, dont un sommaire est
déposé à
l'Assemblée universitaire le 7 décembre. C'est
vraisemblable, car
le vice-recteur connaît parfaitement bien la question
juridique; ensuite,
l'essentiel de son analyse découle des documents
rassemblés pour le
Plan d'action sur l'équité; ne restait plus
qu'à improviser
les recommandations (cinq pages). Le rapport pouvait donc
être
rédigé en six semaines. Mais cela ne concorde
nullement avec
l'analyse du contenu du rapport, qui paraît bien dater de
mars 2020. D'une
part le rapport n'évoque jamais les affaires de Concordia ou
d'Ottawa, et
d'autre part il ne désigne pas non plus le Plan d'action
(déposé à la fin du mois de mars), mais
seulement
l'Énoncé de vision qui l'annonçait en mai
2019. Bref, il faut
bien en conclure que le rapport sur les Libertés
universitaires dans une
université inclusive relève d'un coup de
génie peu
commun.
J.-F. Gaudreault-DesBiens est un juriste
réputé
de la Faculté de droit qui dirigeait une chaire du Canada
sur
« les identités juridiques et
culturelles » en 2015;
il aura été doyen de sa faculté (2015-2019)
avant de devenir,
en 2019, vice-recteur à la Planification. C'est à ce
titre qu'il
participe, évidemment, à la rédaction du Plan
d'action sur
l'inclusion. Et c'est apparemment comme conseiller spécial
du rectorat
qu'il rédige son rapport personnel. Comme on le voit
à son sous-titre,
son rapport est préparé dans le cadre et fait
suite à
la mise en place d'un Plan d'action « en matière
d'équité, de diversité et
d'inclusion ».
Dans ces circonstances prémonitoires,
on comprend
toutefois que le seul et unique objectif de la haute direction est
de s'assurer
qu'aucune affaire comparable à celle qui éclatera
à
l'Université d'Ottawa ne puisse se produire à
l'Université de
Montréal. Il faut s'en prémunir. Il s'agit donc
d'« éviter la controverse » (p. 85)
et surtout
« les dommages réputationnels » pour
l'Université
(p. 77). Il suit, on le verra vite, que la liberté
universitaire est
le dernier des soucis de ces administrateurs. D'ailleurs,
l'énoncé
de principes à ce sujet ne dit nulle part que
l'Université a le
devoir de prendre fait et cause pour un professeur qui verrait
brimer sa
liberté universitaire par des étudiants, des
entreprises ou des
tribunaux. Pire, on lit dans le rapport J.-F. Gaudreault-DesBiens
que
« la promotion de l'expression des professeurs ne
signifie pas que
l'université puisse être contrainte d'endosser le
contenu de cette
expression » (p. 18). Qu'est-ce que cela
signifie ? Aucune
université ne fait la « promotion » de
la libre
expression de ses professeurs : elle doit
« défendre » sans condition un
professeur attaqué
en raison de son exercice ou devant toute tentative de la
restreindre. Or, il
ressort de cette phrase, à mot couvert (car autrement, elle
n'a aucun sens),
que la liberté universitaire du professeur ne sera pas
nécessairement
défendue.
Le texte d'opinion de la haute direction ne
présente
qu'un seul argument pour dénigrer le rapport Cloutier.
C'est le
suivant. Depuis que le « sondage » de la
commission a
été rendu public, on dit que « 60% des
membres du corps
professoral affirmeraient s'être autocensurés
en classe. Il
serait plus exact d'écrire, affirme la haute direction, que
60% des
1 079 répondants au sondage (envoyé à
33 516 membres
du corps enseignant) se sont exprimés ainsi. Ce taux de
réponse de
3,2%, famélique pour un sondage de ce type, impose beaucoup
de prudence dans
l'interprétation des résultats ». Or, ce
n'est pas
vrai : il ne s'agit nullement d'un sondage, mais d'une
consultation et, plus
précisément, d'une « enquête
d'opinion
volontaire »; et par ailleurs le rapport explique
clairement et
très souvent la nature exacte de ses données
statistiques,
précisément limitées aux quelques mille
« personnes
répondantes », mais qui représentent les
tendances du corps
professoral en ce qui concerne ses opinions sur le traitement de la
liberté
universitaire par les autorités des universités. Et
l'interprétation de ces données se fait très
prudemment,
notamment en regard d'autres formes de consultation (audiences
publiques,
témoignages à huis clos et dépouillement des
textes d'opinion
dans les journaux). À remarquer que la comMission du
recteur de
l'Université de Montréal n'a pu tenir compte que de
67 écrits
disparates (commentaires de quelques lignes, quatre mémoires
d'une vingtaine
de pages, et des articles ou... des textes soumis pour
publication). Disons
méchamment que cela est famélique en regard de la
consultation
correspondante de la commission Cloutier. Bref, l'extrait de la
lettre du recteur
qui s'analyse ainsi tient du dénigrement gratuit,
injustifié.
Pourquoi ?
Afin de pouvoir rejeter les conclusions du
rapport au nom de
l'« autonomie » des universités. Mais,
bien entendu,
nulle part le texte d'opinion ne dit en quoi cette autonomie serait
mise en cause.
L'explication est simple : tel n'est pas le cas.
Voici le tout dernier alinéa de la
lettre d'opinion de
la direction. « Les questionnements sur les limites de
la liberté
universitaire existent donc bien à l'Université de
Montréal,
comme dans d'autres universités québécoises.
Une loi
changera-t-elle cette réalité ? Non.
Permettra-t-elle à
une équipe de direction de mieux accompagner les personnes
impliquées
dans ces épreuves ? Non (1). Car c'est de cela qu'il
est question, au
final : comment aider des personnes — enseignantes ou
étudiantes
[sic, des personnes enseignantes ou étudiantes !]
— à ne
jamais censurer leur expression tout en s'assurant que demeure
ouvert un dialogue
authentique entre elles ? (2). Il nous apparaît que la
réponse
à cette question se situe bien davantage dans le registre
éthique et
pédagogique que dans le registre juridique. En outre, une
loi (3)
amoindrirait-elle le principe de l'autonomie des universités
en imposant des
mesures contraignantes qui s'inscriraient au coeur même de la
vie
académique ? Assurément ». Il faut
épingler
trois phrases de ce morceau de bravoure :
(1) Une loi : « Permettra-t-elle à une
équipe de
direction de mieux accompagner les personnes impliquées
dans ces
épreuves ? Non ». Cette affirmation a
plusieurs
implications. Elle présuppose que c'est à la haute
direction de
gérer les conflits concernant la liberté
universitaire. Elle
présuppose également que le règlement de ces
conflits est de
l'ordre de l'autorité paternelle, de la gestion familiale et
des discussions
de salon (le confort de la children's home universitaire).
Et on va le
voir, tout le rapport Gaudreault-DesBiens nous convie dans cet
environnement
douillet.
(2) Que vient donc faire cette idée de « dialogue
authentique » dans la question de la liberté
universitaire ?
— Vous allez vite le comprendre. On lit, dans
l'énoncé de
principes la curieuse phrase suivante :
« [l'Université]
s'assure que tous les membres de la communauté universitaire
peuvent en
confiance rapporter un incident afin d'être
accompagnés
adéquatement et de résoudre une situation
problématique ». Cela concernerait-il la
liberté
universitaire ? Non. Cela ne peut s'appliquer qu'aux
« échanges respectueux » !
(3) La « loi » proposée par la
commission Cloutier
implique deux articles, d'abord chaque université devrait
adopter (comme
l'Université de Montréal semble le faire avec sa
déclaration
de principes) une politique claire sur le respect de la
liberté
universitaire. Ensuite, elle doit mettre en place un comité
sur la
liberté universitaire, un comité
spécifiquement destiné
à gérer les griefs et les conflits à ce sujet,
qui devra en
faire rapport une fois l'an au ministre de l'Enseignement
supérieur. Il
faut beaucoup de mauvaise foi, il me semble, pour voir là
une menace envers
l'autonomie universitaire. La stratégie du texte d'opinion
consiste
à parler d'une « loi », sans dire en
quoi elle
consisterait, pour qu'on ne comprenne pas que l'autonomie
universitaire n'y est
nullement impliquée.
À remarquer, comme l'indique d'ailleurs
en introduction
le rapport Gaudreault-DesBiens (p. 7) qu'une telle loi est
enchâssée dans la constitution de l'Allemagne et
qu'elle se trouve
également aux États-Unis, avec
l'interprétation des tribunaux
du « premier amendement » en regard de la
liberté
universitaire. La loi « Cloutier » (je
m'amuse, avec cette
désignation) ajouterait un mécanisme minimaliste pour
s'assurer de
son application au Québec.
Ah ! l'Université de Montréal
veut avoir
l'autonomie nécessaire pour ne mettre en place aucun
mécanisme pour
gérer l'application de sa déclaration de
principes ?
L'ouverture de la lettre d'opinion de la haute
direction de
l'Université de Montréal se comprend très
difficilement. On
s'insurge contre l'idée que les universités seraient
incapables de
défendre la liberté universitaire contre, je
cite :
« un identitarisme galopant ». Comme vous le
voyez, même
votre dictionnaire ne comprend pas. Bien sûr, c'est de
l'anglais, si vous
voulez, mais en fait cela n'a aucun rapport avec la langue, mais
bien avec la
culture anglo-saxonne d'Amérique. Et tout le rapport
Gaudreault-DesBiens,
de la première à la dernière ligne, baigne
dans la culture
universitaire états-unienne et, par conséquent,
canadienne. Il
reproduit en négatif nos affaires concernant l'interdit de
prononcer le mot
« nègre » en classe aux
université de Concordia,
de McGill et d'Ottawa.
On comprend facilement qu'un rapport de
l'Université
de Montréal ne puisse désigner et étudier ces
trois
« affaires », bien entendu, contrairement au
rapport Cloutier.
C'est là un évident devoir de réserve.
Pourtant, on l'a lu
plus haut, c'est précisément à la suite de
ces incidents que
la comMission du recteur a été mise en place. Or, il
se trouve
que la
comMission en question, sans en avoir l'air, va adopter exactement
la même
attitude que celle du recteur Jacques Frémont, à
partir du rapport
Gaudreault-DesBiens qui lui sert de cadre.
Voici une amusante illustration pour ouvrir
l'analyse critique
du rapport. Il s'agit de l'affaire des
« agressions »
inconscientes dont les minoritaires se sentent souvent victimes,
désignées assez comiquement en anglais comme des
micro-agressions
(microaggressions, concept parfaitement ridicule,
sucette de
psychologues, ne s'agissant pas du tout d'agressions, mais du
sentiment
d'être agressé, généralement totalement
injustifié). J'en donne un exemple autobiographique, car je
ne suis jamais
aussi juste que lorsque je parle de moi. De retour du Vietnam, je
rencontre une
amie que je vois à l'occasion, une Vietnamienne d'origine,
immigrée
au Québec toute jeune. Je suis très heureux de lui
dire que j'arrive
de son pays natal; je lui dis combien j'ai aimé Hanoi,
l'une des plus
sympathiques ville que j'ai jamais connues (dans la chaleur de mon
enthousiasme,
je ne me rends pas compte que cela la laisse froide); mais
Hochiminh, là,
j'ai détesté, avec le bruit infernal de ses
motocyclistes et ses
citoyens très agités; mais après quelques
jours, je me suis
fait à la situation et j'ai vraiment beaucoup
apprécié ses
architectures et sa vie citadine. Voilà, vous avez
déjà
compris. C'est la micro-agression ! L'amie vietnamienne est
furieuse (sans
en rien laisser paraître), triste surtout et je comprends
vite que je suis
un parfait imbécile. D'abord, Hochiminh, ce n'est pas le
vrai nom de la
ville, qui s'appelle Saigon. Ensuite, cette ville-là n'est
plus rien du
tout; elle a perdu la splendeur qu'elle avait dans sa toute petite
enfance (celle
de mon amie, dans ses souvenirs); c'est même devenue une
ville
communiste !
Bien sûr, cela s'appelle un impair.
Mais sachez que
dans les universités états-uniennes, il est interdit
aux professeurs
de dire que les États-Unis sont un « melting
pot »;
d'affirmer que n'importe qui dans ce pays peut réussir,
à condition
de travailler fort; on ne doit surtout pas demander à un
immigrant
manifestement récent d'où il vient ou d'où ses
parents sont
originaires (on ne doit surtout pas s'intéresser aux pays
d'Asie et
d'Afrique ou aux villes d'Haïti).
Le rapport Gaudreault-DesBiens en vient
à
dépasser ces limites. Il recommande le plus
sérieusement du monde
la rééducation du personnel enseignant.
« Nous
recommandons donc que toute les personnes enseignant à
l'Université
de Montréal reçoivent une formation
pédagogique
intégrant des éléments liés à la
sensibilisation
au développement de l'intelligence émotionnelle et
culturelle...
[etc.] » (p. 77), et d'ajouter :
« ambitieuse tant
dans son contenu que par sa portée, cette formation pourrait
prendre des
formes diverses (sessions présentielles, formation en ligue,
guides (!) avec
études de cas, etc.) » (le
« etc. » est dans
le texte). Recommandation pour combattre les comportements
vexatoires et les
incivilités — « Que toutes les
personnes enseignant
à l'Université de Montréal reçoivent,
sous des formes
diverses, une formation pédagogique intégrant des
éléments de pédagogie inclusive et de
sensibilisation au
développement de l'intelligence émotionnelle et
culturelle visant
à les inciter à adapter leurs méthodes
pédagogiques
lorsque des thèmes difficiles sont abordés et, le cas
échéant, à tenir compte des enjeux liés
aux rapports
asymétriques de pouvoir en société »
(p. 88-89,
recommandation qui reprend et développe, on le voit, la
page 77 qui
vient d'être citée et qui doit donc être reprise
ici !).
Bref le corps professoral a besoin d'une
« révolution
culturelle ». Un peu plus et on exigerait que ses
membres vivent
quelques mois, non pas à la campagne, mais au sein de
« groupes
vulnérables ou désavantagés »
(p. 87). En tout
cas, il est assez curieux de voir le rapport Gaudreault-DesBiens
prendre la forme
du « Petit Livre rouge » de Mao Zedong.
Comparons les titres. D'un côté,
Reconnaître, protéger et promouvoir la
liberté
universitaire (rapport Cloutier) et de l'autre, les
Libertés
universitaires dans une université inclusive (rapport
Gaudreault-DesBiens).
Toutes les universités ne sont-elles pas, par
définition,
inclusives ? Et les recommandations du rapport s'ouvrent
encore sur cette
question, l'« idéal d'inclusion à la
diversité » (p. 85). C'est pourtant un
principe
méthodologique élémentaire : on
n'étudie jamais
deux questions à la fois.
La liberté de parole est limitée
par son abus,
la diffamation et le discours haineux. Et elle ne saurait
être
limitée par rien d'autre. Et c'est ce que proclame en
principe, la
déclaration de principes de l'Université de
Montréal.
On aura remarqué les deux sens du mot
« principe » dans la dernière phrase.
Et en effet, le
rapport Gaudreault-DesBiens distribue les nuances
représentées par
les mots « en principe », « a
priori » et, surtout, la belle expression voulant que
l'exercice de
la liberté universitaire se fasse « de
manière
responsable » ! Et de contrebalancer la
liberté de parole
par la promotion de la « civilité », de
l'« identitarisme », le « droit
à
l'égalité », la lutte contre les
« comportements
discriminatoires », etc. Et on voit surgir magiquement
ici et là,
les « groupes vulnérables et
désavantagés ». Quel rapport avec la
liberté
universitaire ? Est-il possible qu'on ne se rende pas compte
qu'on
frémontise ainsi l'Université de
Montréal ?
Exemple hypothétique simple. Dans un
cours de
littérature québécoise, un professeur devrait
mettre au
programme Trou de mémoire d'Hubert Aquin. Le
personnage clé
du roman est Olympe Ghezzo-Quénum, pharmacien
révolutionnaire de la
Côte d'Ivoire. Une lettre de lui ouvre le roman, en
avant-propos, mais c'est
encore lui qui donne toutes les clés de l'histoire, à
la fin du
roman, dans le bureau de P.-X. Magnant, pharmacien de
Montréal, qui se cache
alors sous un pseudonyme. Le pauvre homme, car le Noir
connaît tout de
l'histoire de ce beau salaud et il le tient sous son regard et le
poids de ses
insinuations incriminantes. Et le narrateur de rapporter cette
réplique,
avec en incise la pensée de Magnant en style indirect
libre :
« Allons donc, continua le nègre
insidieusement, vous
n'allez pas... » (p. 198 de l'édition
originale,
Montréal, CLF, 1968). Vous vous rendez compte ?
Devant l'attitude de
l'Université, le professeur se trouve devant le dilemme
suivant : ou
bien il s'autocensure et retire le roman de son programme (et c'est
ce qu'il devra
faire si l'attitude de l'Université de change pas), ou bien
il se retrouve
avec une affaire Lieutenant-Duval qui sera gérée
exactement comme l'a
fait le recteur Jacques Frémont à Ottawa.
Reprenons, pour être bien clair.
L'Université
de Montréal a un Bureau d'intervention en matière de
harcèlement (le BIMH). C'est très bien, c'est
essentiel. Or, la
commission Gaudreault-DesBiens considère que c'est cet
organisme qui devrait
gérer les conflits et griefs sur... les atteintes à
la liberté
universitaire ! La commission Cloutier émet l'avis
qu'un Comité
doit être spécifiquement consacrée à
cette question.
Question manifestement sans rapport avec le harcèlement,
l'inclusion, la
diversité, l'« identitarisme » ou
l'« égalitarisme », d'autant que ce sont
des accusations
de cet ordre, et sans fondement aucun, qui ont entravé la
liberté
universitaire à Concordia, McGill et Ottawa.
Que dit donc le rapport Gaudreault-DesBiens
sur cette
question ? D'abord, bien sûr, il brasse toujours deux
questions
différentes, comme on le voit au titre de la section
consacrée
à ce sujet : « Règlement des conflits
entre la
liberté universitaire et les revendications liées
à
l'inclusion » (chapitre I, section D, p. 79-81).
Nulle part cet
amalgame n'est justifié. Pourtant, la seule et unique
question est de
savoir comment doivent être gérés les griefs,
plaintes et
contestations sur les entraves à la liberté
universitaire. Quel
mécanisme sera mis en place sur ce point ? Eh
bien ! c'est
simple : aucun. Car le rapport Gaudreault-DesBiens, à
la faveur de
l'amalgame, reformule la question qui devient : quels seront
les modes de
« règlement des conflits entre la liberté
universitaire et
les revendications liées à
l'inclusion » ?
Réponse : il faut rejeter la
« judiciarisation »
et privilégier les « modes informels »
(sic) de
règlements qui devront bénéficier de
l'« appui » et de
l'« accompagnement » de
l'institution (p. 81). Cela porte à rire si l'on
imagine la plainte
d'un professeur, qui doit réagir à la
dénonciation
d'étudiants sur les médias sociaux protestant contre
le fait qu'on
trouve le mot
« nègre » dans Trou de
mémoire d'Aquin mis
au programme de leur cours, pour reprendre l'exemple inventé
plus haut.
Bref, la question pour la haute direction de l'université
n'est pas de
défendre la liberté universitaire du professeur, mais
d'« accompagner »,
« informellement », les
étudiants traumatisés par l'apparition sans
avertissement du mot
« nègre » à la page 198 du roman.
Voici sans
surprise la recommandation du rapport. « Quant au mode
de
règlement des conflits entre la liberté universitaire
et les
revendications liées à l'inclusion, il est
recommandé :
(A) que l'Université de Montréal priorise le
règlement
informel de ces conflits plutôt que de recourir à des
processus
disciplinaires formels qui ne devraient être
réservés qu'aux
cas les plus graves; (B) que l'Université de
Montréal
considère ajouter [sic] aux service du BIMH des services de
médiation
des conflits liés aux diversités »
(p. 89).
Tout cela est hors propos. Mais voilà
qui explique par
avance la dénonciation, par la haute direction de
l'Université de
Montréal, des conclusions du rapport Cloutier, qui, lui,
examine
précisément la liberté universitaire et
propose un
mécanisme législatif simple pour qu'elle soit
protégée.
Cela dit, il faut encore répéter
pour finir que
l'amalgame de la haute direction est typique de l'attitude des
universités
anglo-saxonnes d'Amérique. Le frémontage consiste
à nier ou
amoindrir la liberté universitaire au nom de la
sensibilité
déplacée de quelques étudiants. Or, cette
question est
traitée dans l'absolu, de la manière la plus
infantilisante qui soit.
Infantilisation et paternalisme, car la direction d'une
université
responsable ne saurait prendre en compte les dénonciations
d'éventuelles incartades à ce sujet, qui
relèvent justement
du BIHM. Le bon sens le plus élémentaire dit que des
comportements
ou propos racistes, anti-féministes, homophobes, etc., ne
sauraient
être permis ou justifiés sous couvert de
liberté universitaire.
Si cela se trouvait, on en saisirait vite les tribunaux. La
commission Gaudreault-DesBiens
n'avait pas à chipoter sur ces questions,
typiquement états-uniennes,
au sujet des pardons, demandes d'excuses et refus de
discussion en ces
matières, notamment sur les prétendues
micro-agressions.
La liberté universitaire concerne
essentiellement les
professeurs, enseignants permanents et chargés de cours.
Or, la comMission
qui a été chargé par le recteur
d'étudier la question,
dans le cadre du rapport Gaudreault-DesBiens
(c'est-à-dire celui de
la haute direction de l'Université), ne comprenait que deux
professeurs et
deux chargés de cours, sur dix membres, et n'a entendu, en
comptant
très largement, que 29 professeurs et 2 chargés de
cours sur 61
consultations. En plus, il faut dire que ces
« consultations »
étaient régies par un quorum où les
professeurs
devaient être entendus avec un nombre donné
d'étudiants et...
d'administrateurs.
Dans ces conditions, il est attendu que les
« constats » de la comMission du recteur
reflètent
exactement le cadre d'analyse de la haute direction. Aucun
professeur
d'université du Québec ne se reconnaîtra dans
ces conclusions.
D'un coté, on énumère arbitrairement toutes
sortes de
situations impliquant la liberté universitaire, pour
conclure à
l'hétérogénéité et aux nuances
(!) des
interventions; tandis que de l'autre, on ne voit absolument aucun
problème
car, dans les cas de conflits (aucun n'est désigné),
« la
très grande majorité des cas [a] trouvé une
solution
"locale" » (p. 6). Bref, pas de problème,
tout se
règle très bien à l'Université de
Montréal.
Voici trois extraits du rapport de la
comMission du recteur,
qui reprennent et même développent les amalgames du
rapport
Gaudreault-DesBiens. Au deuxième constat sur les
« inquiétudes » relatives à la
liberté
universitaire, on a droit à une page complète hors
propos (sur un
rapport comprenant environ huit pages de texte). La
voici :
« Certaines de ces personnes déplorent notamment
le fait que les
enjeux de racisme ne soient pas traités avec la même
diligence que eux
liés aux libertés universitaires,
particulièrement celles du
corps enseignant. Il ressort également des
témoignages que font
défaut des espaces où la parole des membres de la
communauté
puisse être accueillie en toute confiance, notamment lorsque
sont
vécues des situations de sexisme ou de racisme. Cette
absence d'un lieu
spécifiquement consacré à l'intervention sur
ces sujets peut
aller jusqu'à miner la relation de confiance entre les
membres de la
communauté universitaire et peut conduire à la
décision de ne
pas, parfois de ne plus, participer ou s'exprimer dans
l'institution. Plusieurs
membres de la communauté universitaire ont ainsi saisi
l'occasion des
travaux de la Mission pour venir témoigner
d'incivilités, de propos
et incidents haineux, de même que d'expériences de
racisme
vécues à l'Université. Au terme de son mandat,
la Mission
constate que la parole sur ces sujets reste encore à
recueillir.
« La Mission a été mise au
courant et se
réjouit de la création d'un nouveau Groupe de travail
sur le racisme,
sous l'égide du Secrétariat général et
relevant de la
secrétaire générale associée à
l'Équité, à la Diversité et à
l'Inclusion et aux
relations avec les Premiers Peuples. La Mission a également
pris acte du
Plan d'action en matière d'équité, de
diversité et
d'inclusion (ci-après EDI) et du Plan d'action en
matière de
relations avec les Premiers Peuples, qui comportent des
références
à la liberté universitaire et à la
liberté
d'expression. Néanmoins, les mandats de la Mission et ceux
de
l'équipe EDI demeurent distincts, malgré des
chevauchements
inévitables. Pour cette raison, bien que les membres de la
Mission soient
conscients de ces chevauchements, ils rappellent que l'objectif
principal de la
Mission est d'énoncer les principes auxquels
l'Université s'attache
en matière de liberté d'expression en contexte
universitaire » p. 6-7).
Si des étudiants ont saisi l'occasion
de la comMission
pour venir se plaindre de comportements jugés ou
supposés
inadéquats en regard de la
« diversité » et de
l'« inclusion », d'abord on devait les renvoyer
au forum
approprié et, ensuite, surtout, la comMission n'avait pas
à rapporter
cela sur tout une page de son rapport... en précisant que ce
n'était
pas son mandat d'étudier ces questions. Mais on
comprendra que nous
sommes ici au coeur de la stratégie de l'amalgame, puisqu'il
sera tenu
compte de ces interventions hors propos dans l'énoncé
de
principes !
Troisième constat. Toute la
communauté se range
derrière la haute direction, question liberté
universitaire, pour
défendre unanimement l'autonomie de l'Université de
Montréal.
« Les personnes rencontrées et lues ont
été
catégoriques quant au fait que la défense de la
liberté
d'expression passe par la protection de l'autonomie
institutionnelle de
l'Université face aux pressions externes, qu'elles
proviennent des acteurs
gouvernementaux, institutionnels, corporatifs ou autres » (p.
6). C'est ce
« constat » qui justifiera l'opposition de la
haute direction
aux avis du rapport de la commission Cloutier qui ne sont pas
connus à ce
moment ? Il n'y a pourtant là aucune
« pression
gouvernementale »...
Introduction aux recommandations :
« À
partir de ses constats et en vue d'assurer la mise en oeuvre
diligente de
l'Énoncé de principes, la Mission soumet au recteur
les
recommandations suivantes, à des fins de prévention
et de soutien,
dans le respect du mandat qui lui incombe. Elle garde à
l'esprit que les
conditions de possibilité d'exercice de la liberté
d'expression par
l'ensemble des membres de la communauté universitaire,
notamment de la
liberté d'enseignement,
passent par la responsabilité de toutes les parties à
maintenir un
climat propice à la discussion qui repose sur l'ouverture et
l'inclusion » (p. 9).
Comme on le voit, la comMission du recteur
reprend l'essentiel
du rapport Gaudreault-DesBiens, notamment en ce qu'il amalgame la
liberté
universitaire et la question de « l'ouverture et de
l'inclusion ». De façon plus
générale, c'est la
politique de la haute direction de l'université que la
comMission
présente à l'assemblée universitaire, qui va
l'entériner à l'unanimité. On doit admettre,
je crois,
qu'à la faveur de ses structures et de ses instances, la
haute direction
aura administré la question de manière admirable. En
quatre
documents, elle n'a rien étudié correctement, mais
elle
prétend avoir fait ses devoirs...
Relisons donc pour finir le titre de la lettre
d'opinion du
recteur et de ses vice-recteurs. Les universités font
leurs
devoirs ? L'Université de Montréal a fait
ses leçons
et même ses récitations, mais elle n'a pas encore fait
ses devoirs.
Espérons qu'une loi « Cloutier » la
forcera à le
faire. Cela commence par la mise sur pied d'un comité
exclusivement
dédié à la liberté universitaire, un
comité qui
doit faire rapport annuellement au ministre de l'Enseignement
supérieur.
C'est en corrigeant le brouillon du texte
ci-dessus que m'est
venue une idée toute simple. Question de non-respect de la
liberté
de parole à l'Université de Montréal,
l'exemple que je connais
le mieux, c'est le mien ! Je vous le résume donc en
quelques mots,
pour illustrer que la liberté universitaire est le dernier
des soucis de la
haute direction de l'Université.
L'histoire se passe en 2003. Je
dénonce le compte
rendu hallucinant d'un chroniqueur du Devoir qui fait la
promotion d'un
navet proprement antisémite, un roman d'Yves Gosselin (qui
n'a rien d'un
antisémite, c'est évident, mais c'est un fait, son
roman est tel),
Discours de réception (Montréal,
Lanctôt).
Spécialiste de Louis-Ferdinand Céline, j'ouvre un
nouveau fichier
internet pour dénoncer cette « affaire »
qui prend de
plus en plus d'importance, d'imbéciles journalistes du
Devoir mettant
l'ouvrage en liste pour le prix des collégiens.
La direction du Devoir, journal de
Montréal,
intervient auprès de la haute direction de
l'Université de
Montréal, pour que mon site internet soit fermé. La
haute direction
charge un vice-doyen de ma faculté d'exécuter la
sentence. Et celui-ci d'engager un
bureau d'avocats,
pour me faire taire, affabulant un « risque »
de diffamation,
pour que je ferme mon site internet sur les serveurs de
l'université.
— Peu importe les aléas de l'histoire qui finira par
la
création du site Singulier.info où vous lisez
actuellement ce texte
polémique. L'important est que je ne peux, alors, demander
à mon
syndicat, le Syndicat des professeurs de l'Université de
Montréal,
d'intervenir, tout simplement parce qu'il ne peut que loger un
grief en vertu de
la Convention collective, et alors il faudra des mois et des
années avant
que je puisse reprendre la possession de mon site internet... La
cause en est que
l'université n'avait et n'a toujours aucun mécanisme
permettant de
défendre efficacement la liberté d'expression de ses
professeurs.
C'est non seulement encore le cas aujourd'hui, mais la haute
direction de
l'Université de Montréal tient absolument à ce
que la
situation ne change pas... en vertu de
l'« autonomie » des
universités ! J'ai été à la merci
non seulement
d'une dénonciation de la direction du Devoir, mais
d'un vice-doyen
de l'université et de son bureau d'avocats.
Toute l'affaire Gosselin se trouve
exposée sur
< http://Singulier.info/po/go/ > et
particulièrement
avec le dossier
juridique :
<
http://Singulier.info/po/go/jur.html >.
Rétrospectivement, je pense que cette
affaire
mériterait une enquête, de sorte que les responsables
(à
commencer par les dénonciateurs) soient
blâmés et
que des excuses puissent m'être présentées.
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La liberté académique dans le milieu
universitaire
Projet de loi présenté à
l'Assemblée nationale du Québec par Danielle McCann,
ministre de l'enseignement supérieur, le 6 avril 2022. Le
projet tente de reprendre au mieux les conclusions de la commission
Cloutier. En voici le texte.
Projet de loi 32 (6 avril 2022)
Comme on le voit, la loi devrait obliger les universités
à présenter une politique claire sur la
liberté universitaire, désignée comme la
« liberté académique dans le milieu
universitaire ». Elles devront désigner un
responsable de son application et mettre en place un Conseil qui
recevra les plaintes des enseignants et des chercheurs sur les
éventuelles atteintes à son respect. Le Conseil
devra, une fois l'an, faire rapport au ministre, rapport qui sera
déposé à l'Assemblée nationale. Enfin,
le ministre aura un pouvoir discrétionnaire sur la mise en
application de la loi, dans le cas des universités qui n'en
respecteraient pas l'esprit.
Amendements.
Le projet de loi n'est déposé
que depuis deux jours (c'est aujourd'hui le 8 avril), mais j'en
proposerais dès maintenant les amendements
suivants :
— Sur la composition du Conseil. Le Conseil doit être
composé uniquement de chercheurs, de professeurs et de
chargés de cours, soit d'enseignants, dont aucun n'occupe de
charge administrative. Un ou quelques administrateurs peuvent en
faire partie, mais comme observateur, aucun n'y ayant droit de
vote. Aucun
étudiant ni aucune association étudiante ne peut en
faire partie et n'y sont invités comme observateur.
— Je rappelle que toutes les violations de la liberté
universitaire présentées dans cette étude sont
le fait de certains étudiants et que les associations
étudiantes se sont portées à leur
défense, au détriment de la liberté
universitaire.
— Le responsable de l'application de la politique sera le
président du Comité. On devra nommer un professeur
titulaire ou émérite qui n'aura jamais exercé
de fonction administrative dans son université.
— À l'article 6, le premier alinéa devrait
être complété ainsi (je souligne):
« Après comparaison des politiques qui lui sont
soumises par l'ensemble des universités du
Québec, le ministre peut, lorsqu'il l'estime
nécessaire [...], ordonner à un établissement
d'enseignement d'ajouter dans sa politique tout
élément qu'il indique ».
— Dans ses attendus, la Loi devrait indiquer qu'après
son application aux enseignements supérieurs durant de cinq
à sept ans, la loi s'appliquera à toutes les
institutions d'enseignement du Québec, aux collèges
(Cégep), comme aux écoles ! car tous les
professeurs ont droit à la liberté d'enseignement
— avec bien entendu des mécanismes d'évaluation
qui seront adaptés à ces niveaux.
Dea, Shannon, « Academic freedom
and the
N-word », Affaires universitaires/ University
affairs, 21 août 2020. — On se reportera à
l'article sur < universityaffairs.ca > qui donne les
adresses aux documents pertinents sur l'internet. [4
| |
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Sommaire de l'article
L'article présente l'équivalent
canadien des trois cas
« québécois »
étudiés dans le présent essai. Il faut
rappeler toutefois cette précision que les trois
universités en cause ici, à Montréal et
à Ottawa, sont des universités bilingues et,
donc, très largement anglophones. Les trois cas
présentés par Shannon Dea pourraient donc illustrer
que ces universités sont en fait... canadiennes (en milieu
québécois ! ou proche de cet environnement,
à Ottawa). Or, il apparaît que c'est une importante
caractéristique du phénomène. Cela illustre
le fait que le Québec est une société
distincte, une nation.
Les cas incontestablement
canadiens, en revanche, sont eux états-uniens, en ce sens
que l'attitude de ces universités est celle des
États-Unis. Trois professeurs blancs utilisent le mot
« negro » ou « nigger »
dans leur classe, composées surtout d'étudiants
blancs (nous sommes au Ontario); mais quelques étudiants
noirs protestent vigoureusement contre l'utilisation du N-word,
abandonnent le cours ou portent plainte. Cela se passe au
printemps 2020 à la Western University (London, Ontario),
à St. Jerome's University (université catholique
rattachée à l'Université de Waterloo, Ontario)
et à King's University College (London, Ontario). Les trois
incidents trouvent un très large écho dans la presse
et sur les médias sociaux, mais c'est à
l'université St. Jerome que l'affaire prend une tournure
inattendue et devient un événement aux multiples
rebondissements.
D'abord une pétition est lancée
contre la professeure de psychologie Barbara June Rye qui recueille
rapidement plus de 6 000 signatures, même si la
professeure s'est excusée auprès de deux
étudiants directement concernés et devant toute sa
classe (en mars). Ensuite, la direction de l'université de
Waterloo réagit très vigoureusement le 29 mai 2020,
avec une déclaration sans équivoque (!) :
« the University of Waterloo unequivocally believes that
there is no place for the use od the N-word in class, on campus or
in our communuty », ce qui revient à interdire
complètement l'usage du mot en question. Et la porte-parole
de condamner l'enseignante au nom de l'Université de
Waterloo : « We are disappointed that a member of
St. Jerome's University faculty used this racist language, and that
students in the class felt their concerns were not
respected ». À remarquer que le cours de la
professeure Rye portait précisément sur le
« harmful language » dans l'expression de la
discrimination entre groupes raciaux. Mais la réaction
viendra d'où on ne l'attendait pas : ce sont les
quelques Noirs qui enseignent à l'Université qui
protestent au nom de la liberté universitaire. Leur
premier et principal argument est qu'on ne saurait leur interdire
l'usage de ce mot dans leur travaux sur le racisme, notamment,
où il est évidemment essentiel. La direction fait un
pas de côté en déclarant que les professeurs
noirs (surtout) pourront utiliser le mot, dans les études
portant sur le racisme... Mais, comme on peut s'en douter, la
liberté universitaire ne peut se définir sur une
base raciale et l'emploi du mot limité à
l'étude du... racisme !
En prolongeant son enquête auprès
de plusieurs professeurs pour lesquels le mot en question est
important dans leur enseignement et leur recherche, Shannon Dea en
vient à la conclusion qui devrait, certainement, faire
l'unanimité dans la culture anglo-saxonne, au Canada comme
aux États-Unis : il ne fait aucun doute qu'un
professeur peut utiliser en toutes lettres le mot
« negro » en vertu de la liberté
universitaire (et S. Dea présente quelques cas
où des professeurs ont eu gain de cause sur ce point), mais
le bon sens dit que s'il peut le faire, rien n'indique qu'un
professeur doive l'utiliser, ce qui donne le sous-titre de
l'article : « Just because professors may say
the N-word doesn't mean they should ».
Et tel est le cas en milieu anglo-saxon, je le
répète, soit l'autocensure et l'utilisation de
l'euphémisme pour désigner, si nécessaire, le
mot tabou sans le prononcer. Il s'agit, je le répète
aussi, d'un héritage de l'esclavage et de la
ségrégation. Mais au Québec, ce
problème ne se pose pas. Sauf à Concordia et
à
McGill, puis à l'Université d'Ottawa.
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Déclaration des droits de l'homme
et du
citoyen
(1789), < elysee.fr >. Bien entendu, le texte s'en trouve partout,
mais on fera bien
d'y revenir pour lire ses articles 10 et 11. [5
Féraud, Jean-François,
Dictionnaire critique de
la langue française, article
« nègre »,
Marseille, Mossy, 2 vol., 1807, p. 723b. [6
Gilbert, Anne, Maxime Prévost et
Geneviève
Tellier, éd., Libertés malmenées :
chronique d'une
année trouble à l'Université d'Ottawa,
Montréal,
Leméac, 2022, 402 p. [cf. bg 16.
Laferrière, Dany,
« Dessine-moi un
dimanche avec
Dany Laferrière », Radio Canada, 25 octobre
2020, < ici.radio-canada.ca >. [7
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Addenda
C'est volontairement que je n'ai pas
cité, au cours de mon essai, ce texte de Dany
Laferrière lu à Radio-Canada et publié sur le
site du diffuseur. Il s'agit, certes, d'un texte d'opinion qui
concerne directement mon sujet. Pourquoi ne l'ai-je pas
cité ? Pour ne pas m'adonner à la
récupération, pour ne pas avoir l'air de dire,
« vous voyez ! même un Haïtien pense
exactement comme moi ». Car il va sans dire que
Laferrière pense exactement la même chose que
la très grande majorité des
Québécois.
Si j'enregistre maintenant son intervention,
dans cet addenda bibliographique, c'est parce que, si
Laferrière est un Québécois comme les autres
(tout haïtien et académicien français qu'il soit
par ailleurs), il s'exprime mieux, avec plus de pertinence et bien
plus fortement que nous tous sur ce point. Alors voici trois
petits extraits d'un texte de toute beauté que nous aurons
tous intérêt à relire et à
méditer.
(1) « Les esclaves n'ont pas fait la
révolution pour qu'on se trouve à la merci du mot
"nègre" ». (2) « La disparition du mot
"nègre" entraînera un pan entier de la
bibliothèque universelle ». (3) « Cette
plaisanterie d'une hypocrisie insondable du "N-word" est une
invention américaine comme le hamburger et la moutarde
sèche. Et j'espère que nous aurons le courage de
l'effacer... ».
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Laflèche, Guy, Matériaux
pour une
grammaire
narrative, Laval, Singulier, 1999, 2e éd., 2007.
— Je m'amuse, évidemment, à traiter
ironiquement nos trois histoires sur le mode des études
narratives. [8
Lussier, Judith, Annulé(e) :
réflexions sur la
cancel culture, Montréal, Cardinal, 2021. [9
Isabelle Hachey,
« Un
café avec
Judith Lussier : pour en finir avec la cancel
culture »,
la Presse, 21 novembre 2021. Empathique entrevue faisant la
promotion de
l'essai à la lumière des critiques (anachroniques) de
l'essayiste sur
les chroniques d'I. Hachey. [10
Étienne-Alexandre
Beauregard,
« Judith Lussier : justifier la cancel
culture »,
< eabeauregard.com >. La seule et unique analyse
critique sur
l'ouvrage parue à ce jour. [11
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Compte rendu critique
En effet, à lire les nombreux comptes
rendus de l'essai
de Judith Lussier, on ne peut imaginer de quel piètre
ouvrage il s'agit.
Cela commence avec l'édition. L'éditeur, Cardinal,
publie un essai
« illustré » de six dessins et dix
citations du livre,
pleine page, seize pages perdues. Et le livre présente des
marges
disproportionnées, des pages sans titres courants, avec des
notes
rejetées à la fin du livre, de très nombreuses
notes qui font
en moyenne deux lignes. Elles devaient évidemment venir en
bas de pages,
car elles sont essentielles à l'essai qui cite
systématiquement des
articles journalistiques qu'on ne peut évaluer sans leur...
référence ! Or, sans titres courants, il faut se
reporter à la table des matières pour savoir dans
quel chapitre on se trouve, pour localiser la note. Bref,
l'éditeur devrait se
trouver un
traitement de texte moderne.
La piètre qualité de l'essai se
voit dès
son titre qui commence avec un vocable en style bigenre,
« annulé(e) », et se poursuit en
anglais,
« réflexions sur la cancel
culture ».
Canceled, to get canceled, to cancel someone,
cela ne se dit
pas en français, évidemment, car si l'on annule une
conférence, on ne peut annuler le conférencier.
L'auteure (qui n'est
évidemment pas une autrice, n'ayant vraiment rien d'une
créatrice)
ne sait pas de quoi elle parle. Non, je ne veux pas dire qu'elle
ne connaît
rien à son sujet, ce qui est bien le cas, mais, plus
radicalement, qu'elle
ne sait pas... quel est son sujet !
Le lynchage intellectuel, le lynchage, a
été
parfaitement bien décrit, défini et, surtout,
dénoncé
par la lettre collective de 153 intellectuels au Harper's
Magazine le 7
juillet 2020, « A letter on justice and open
debate ». On n'a
évidemment pas à prendre en considération la
prétendue
réplique parue sur Tribune le 10 juillet suivant
« A more
specific letter on justice and open debate », s'agissant
d'une attaque
(de signataires souvent... anonymes !) contre les auteurs de
la Lettre,
multipliant les procès d'intention, alignant
(« more
specific » !) des exemples supposés pour
dénigrer les
cas caractérisés par la Lettre, cas dont l'un ne fait
aucun doute
ici, s'agissant de dénoncer absolument les atteintes
à la
liberté universitaire. Les auteurs de la lettre du 7
juillet
dénoncent le fait de s'en prendre pour des riens à la
liberté
de presse, à la liberté d'expression et d'opinion,
à l'aide
de campagnes de masse anonyme; des artistes, des professeurs et des
journalistes,
voire des comités de rédaction en viennent par
précaution
à s'autocensurer. Des bibliothèques retirent des
livres de leurs
tablettes, tandis qu'une librairie doit annuler une
conférence sous les
menaces. Des professeurs d'université sont
dénoncés, humiliés et ostracisés pour
avoir légitimement utilisé le mot
« nègre » dans un cadre strictement
pédagogique, sans obtenir le soutien légitime des
administrateurs de leur institution. Et les signataires de la
Lettre ouverte du Harper's
Magazine
précisent bien que ces attaques injustifiées viennent
de tout bord,
de la gauche comme de la droite, de progressistes comme de
conservateurs.
Voici le texte état-unien que je viens
d'adapter au
Québec : « The free exchange of information
and ideas, the
lifeblood of a liberal society, is daily becoming more constricted.
While we have
come to expect this on the radical right, censoriousness is also
spreading more
widely in our culture : an intolerance of opposing views, a
vogue for public
shaming and ostracism, and the tendency to dissolve complex policy
issues in a
blinding moral certainty. We uphold the value of robust and even
caustic
counter-speech from all quarters. But it is now all too common to
hear calls for
swift and severe retribution in response to perceived
transgressions of speech and
thought. More troubling still, institutional leaders, in a spirit
of panicked
damage control, are delivering hasty and disproportionate
punishments instead of
considered reforms. Editors are fired for running controversial
pieces; books are
withdrawn for alleged inauthenticity; journalists are barred from
writing on
certain topics; professors are investigated for quoting works of
literature in
class; a researcher is fired for circulating a peer-reviewed
academic study; and
the heads of organizations are ousted for what are sometimes just
clumsy mistakes.
Whatever the arguments around each particular incident, the result
has been to
steadily narrow the boundaries of what can be said without the
threat of reprisal.
We are already paying the price in greater risk aversion among
writers, artists,
and journalists who fear for their livelihoods if they depart from
the consensus,
or even lack sufficient zeal in agreement ».
Ces lynchages n'ont évidemment rien
à voir avec
les dénonciations légitimes, c'est-à-dire
à visage
découvert, voire les protestations publiques collectives,
qui font partie
de la liberté d'expression. Sofia Nolin, pour prendre un
exemple
chéri de Judith Lussier (p. 75-83, 218), avait tout
à fait le
droit et même le devoir de dénoncer publiquement une
caractérielle, ce qui n'a absolument rien à voir avec
un lynchage.
Or, bien compté, Judith Lussier nous aligne quinze
« affaires » du genre, exemples pris au fil de
sa lecture des
journaux.
Mais elle passe à la sauvette sur les
cas flagrants de
lynchages intellectuels qui nous occupent ici, s'agissant de la
liberté
universitaire, dans deux petits passages de son essai
(p. 42-48 et 167-169)
où elle réussit le tour de force d'édulcorer
ces
très graves dérives des administrations
universitaires !
« Questions sans réponse », situation
« difficile à démêler »,
« confusion ».
Voilà d'ailleurs la première
caractéristique de l'essai. Judith Lussier, on le voit, ne
sait pas de quoi
elle parle, elle ne connaît pas le sujet à
l'étude. Ce sujet,
répète-t-elle, est fort
« complexe » (de la page
13 à la page 132 !). Le tout en mode conditionnel,
chaque phrase
reprenant l'affirmation contraire en mode interrogatif. Nous
voilà donc
devant un « nouveau phénomène »,
un
phénomène « difficile à
comprendre ».
Évidemment, tel n'est pas le cas. Il s'agit d'un
comportement immoral qui
doit être dénoncé. Il faut dire que le quart
de l'essai,
certainement, est constitué de citations et d'exposés
pris aux
articles et interventions de Mathieu Bock-Côté... qui
n'a pas toujours
tort ! (p. 164, par exemple).
Et tout cela susuré avec l'objectif de
« débats », et même de
« sains
débats », de « dialogues » et
de
« conversations », de belles pages
écrites pour ne rien
dire (p. 113) ou pour aligner des truismes (p. 184).
Alors qu'il devrait
s'agir de dénoncer le lynchage intellectuel, tout cela est
vraiment
désolant. « On doit réfléchir
collectivement... » (p. 230). Ah ! oui ?
Ah !
bon ! Si elle avait commencé par
réfléchir un tout petit
peu, toute seule, elle n'aurait tout simplement pas écrit ce
livre mielleux
d'une incroyable roseur. Cela au moins, son éditeur l'a vu
instinctivement,
qui l'a mis tout en rose. Voilà tout de même,
finalement, une
qualité.
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Moreau, Patrick, « Vive la
critique, et
à bas la
censure », le Devoir, 8 mars 2021, p. A7. [12
Reichman, Henry, Understanding academic
freedom, Baltimore,
Johns Hopkins University, 2021, 248 p. [13
| |
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Brève présentation
L'introduction de l'ouvrage correspond
exactement à la Déclaration des 153 intellectuels du
Harper Magazine du 7 juillet 2020 contre le lynchage
intellectuel. Et c'est le moteur du livre, qui
présente les attaques contre la liberté
universitaire, de plus en plus menaçantes. Mais, dans
ce contexte, le principal et le plus important objectif d'Henry
Reichman est d'expliquer précisément ce qu'est la
liberté universitaire. Comme on l'a lu deux fois, au
cours de cet essai, la liberté universitaire qui nous
vient du Moyen Âge et de la Renaissance, est par avance un
renforcement de la liberté de penser, de parole et
d'opinion, qui date pour nous de la Révolution
française. C'est le droit de tout citoyen. Mais un
professeur ou un chercheur qui s'exprime dans le cadre de son
domaine de recherche, où que ce soit, dans ses cours ou sur
la place publique a, en outre, le droit d'être appuyé
et défendu par son université.
Henry Reichman présente
toutes les dimensions de la liberté universitaire et analyse
minutieusement de nombreux cas où elle a été
menacée ou défendue. La table des
matières de l'ouvrage énumère d'un mot ces
aspects dans un ordre logique. (1) Histoire, (2)
recherche, (3) enseignement, (4) liberté de parole
(« citizenship »), (5) permanence, (6)
législations, (7) étudiants et (8) savoirs.
Le premier chapitre décrit la mise en
place de l'idéal de la liberté universitaire aux
États-Unis. Je présume que l'histoire en question
ressemble beaucoup à celle qui s'est déroulée
au Québec, quelques décennies plus tard.
L'enseignement supérieur a dû se dégager de
l'emprise du clergé, alors qu'on lui devait la mise en
place, souvent rigoureuse, de cet enseignement; puis de l'emprise
politique; et finalement, des puissances socio-économiques.
Bref, la création de l'Université du Québec
doit représenter l'aboutissement de
la mise en place de l'idéal de la liberté
universitaire.
La suite de l'ouvrage présente,
sous forme critique, les points de vue à
partir desquels la liberté universitaire doit être
envisagée. La présentation, je l'ai dit, est
logique, mais le résultat synthétique. La
liberté des étudiants n'est pas moins importante que
celle des professeurs; les administrateurs, sauf à
protéger cette liberté, n'y ont évidemment
aucun accès, car aucune direction universitaire ne peut
intervenir auprès des membres de la communauté
universitaire, ni non plus auprès du public.
Le dernier chapitre est vraiment symptomatique
des débats des toutes dernières années,
où s'inscrit le « réquisitoire »
d'Henry Reichman. Épidémie du corona-virus et
vaccination, puissance des pétrolières et changement
climatique, interventions massives d'ignorants sur les
réseaux sociaux... Les directions d'université ont
le devoir d'appuyer leurs professeurs et leurs chercheurs pour
contrer la désinformation, notamment et surtout si elle
vient d'un président de la nation...
Henry Reichman ne s'en cache pas :
il s'en vante. Il est un défenseur et un porte-parole de
l'American Association of University professors (AAUP). Nous
n'avons pas au Québec l'équivalent, car ces
associations sont chez nous toutes récentes et n'ont donc
pas la même séculaire expertise. En revanche, il ne
fait pas de doute que Reichman doit compter, au Québec,
comme l'un des nôtres. La liberté universitaire
n'a pas de frontières.
|
| |
Rey, Alain, directeur, Dictionnaire
historique
de la langue
française, articles « nègre »
et
« noir », Paris, Le Robert, 1992, 2 vol. [14
TLF, Trésor de la langue
française.
Fondation de Paul Imbs en 1960, à Nancy, de ce qui deviendra
le Centre de
recherche « Analyse et traitement informatique de la
langue
française », ATILF; publication du dictionnaire,
par
P. Imbs, puis Bernard Quemada, 16 vol., 1971-1994. Sa
version
informatique sera le TLFI, le TLF informatisé. La base
de
données se trouve aujourd'hui sous deux versions, l'ATILF en
France (centre
géré principalement par le CNRS) et l'ARTFL Project
de
l'Université de Chicago
(< artfl-project.uchicago.edu >). C'est
cette dernière base de données qui a
été
utilisée ici. [15
* * * *
Anne Gilbert, Maxime Prévost et
Geneviève
Tellier, éd., Libertés malmenées :
chronique d'une
année trouble à l'Université d'Ottawa,
Montréal,
Leméac, 2022, 402 p. [16
Après l'introduction et l'entrevue avec
la victime,
avant une bibliographie proposant une « Chronologie des
événements », le recueil présente
trois
séries de trois articles sous les titres
« témoignages »,
« analyses » et
« propositions ». En réalité, il
s'agit d'une
série concordante de témoignages et d'essais qui
tentent d'expliquer
l'affaire Verushka Lieutenant-Duval.
En voici la table.
Yves Gingras,
« Préface : la
mission oubliée de l'université »,
p. 7-23. [16a
Anne Gilbert, Maxime
Prévost et
Geneviève Tellier, « Introduction : notre
crise
d'octobre », p. 25-58. [16b
E.-Martin Meunier, entretien
avec Verushka
Lieutenant-Duval, « L'honneur perdu de Verushka
Lieutenant-Duval :
malentendu, panique morale et violence institutionnelle à
l'ère des
médias sociaux », p. 61-116. [16c
François Charbonneau,
« Le
beau rôle », p. 119-141. [16d
Geneviève Boucher et
Maxime
Prévost, « Dialogue de l'éveil : les
études
littéraires à l'ère du militantisme
identitaire »,
p. 142-180. [16e
Marc Brosseau, « Les
tribulations
d'un défenseur de la liberté
universitaire », p. 181-206. [16f
Isaac Nahon-Serfaty,
« L'affaire
Lieutenant-Duval, les autels du sacrifice numérique et la
foule
vertueuse », p. 209-234. [16g
Pierre Anctil, « De
message en
communiqué, ou comment l'Université d'Ottawa trace
les contours d'une
crise », p. 235-259. [16h
Geneviève Tellier,
« Comment
l'industrie de l'EDI [équité, diversité et
inclusion] a
contribué à créer une gouvernance
universitaire
woke », p. 260-283. [16i
Nathalie Bélanger,
« L'expérience étudiante à
l'ère de
l'université entrepreneuriale (lettre à une
étudiante,
à un étudiant) », p. 287-309. [16j
Nelson Charest,
« L'école et
la suspension of disbelief », p. 310-327. [16k
Sylvie Paquerot,
« Retour sur les
fondements de la crise : les failles de la théorie
postcoloniale », p. 328-350. [16l
Anne Gilbert et Christian
Vandendorpe,
« Annexe : chronologie des
événements (d'octobre
2020 à novembre 2021) », p. 353-400. [16m
| |
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Compte rendu critique
Dans cet essai, je ne retiens pas, on le sait,
les textes
d'opinion, ni même les témoignages, pour m'en tenir
aux faits qu'il
s'agit d'analyser. Ce recueil réunit, pour l'essentiel, une
série
de témoignages, tous doublés de réactions,
généralement des tentatives d'explications, souvent
proches de textes
d'opinion. Or, cette publication est en soi, à n'en pas
douter, un
événement. Un événement qui redouble,
en
février 2022, l'événement considérable
que fut la
« Lettre des trente-quatre », le 16 octobre
2020 (cb 7).
Il s'agit d'ailleurs d'une publication de membres du groupe des 34,
dont on apprend
que la Lettre avait été une initiative de professeurs
du
Département de français et d'abord de
Geneviève Boucher et de
Maxime Prévost (bg 16e),
surtout lui parce qu'il était alors
le directeur du
département. Et, du point de vue anecdotique, on apprend
aussi que la
motivation première des initiateurs de la Lettre
était, pour
l'honneur de l'Université d'Ottawa, de prendre de
vitesse la
pétition qui se préparait alors à
Montréal (et qui
paraîtra dans le Devoir du 20 octobre, signée
par 579
enseignants et professeurs). Et, effectivement, la Lettre des 34
sera un
événement (considérable), tandis que la
pétition
publiée à Montréal, comme les
déclarations des
politiciens, qui suivront, par exemple (François Legault et
Justin Trudeau,
premiers ministres du Québec et du Canada, qui prennent
position,
respectivement pour et contre la liberté universitaire),
seront de simples
réactions, du moins jusqu'à la mise sur pied de la
Commission
Cloutier (16 juin 2021) et la publication de son rapport
(bg 2, décembre 2021).
Le plus pénible, dans le travail d'un
professeur, ce
sont les évaluations des travaux, surtout lorsqu'il faut
adresser de
sévères critiques à des étudiants de
bonne
volonté, qui ont beaucoup travaillé. Et, durant
toute ma
carrière, je commençais par les critiques,
précisant
toujours : l'important, c'est de savoir quels sont les
défauts et les
faiblesses de son travail, car pour les qualités, vous les
connaissez aussi
bien (et même mieux ! — et là, j'ironisais)
que moi. Le
premier défaut du recueil est stylistique et inqualifiable.
La plupart des
articles sont rédigés en style bigenre
(généralement
sous la forme de la « rédaction
épicène »,
mais parfois en mode « écriture
inclusive »). De la
part de professeurs d'université, de professeurs de
français ou
même de pédagogie, c'est au-dessous de tout : il
impossible de
se montrer plus insensible à la rigueur de la langue
française sur
la question de l'expression du genre en français. Car si le
seul objectif
du style bigenre est strictement idéologique, s'agissant de
se
présenter comme féministe, le résultat est au
contraire la
marque la plus flagrante d'anti-féministe de par sa ridicule
condescendance
envers les femmes. Aucune personne qui connaît le
moindrement le
français ne peut lire les pages 322 et 323 de l'article de
Nelson Charest
(le meilleur du recueil !) sans être stupéfait.
Le professeur
ne se rend pas compte qu'il se ridiculise ? Et cela est vrai
de l'ensemble
du recueil, parce que, s'il se fait parfois discret, le style
bigenre atteint
souvent des sommets dignes des journaux étudiants et des
publications
syndicales, comme c'est le cas de tout l'article de Nicole
Bélanger,
jusqu'à en défigurer le titre ! (bg 16j). — Il faudrait peut-être que mon
essai
pamphlétaire se rende à Ottawa : le Style
bigenre, la
rédaction épicène, l'écriture
inclusive : l'Office
québécois de la langue française et ses
travailleuses du
genre (Laval, Singulier, 2020, 224 p.). Je ne rate aucune
occasion d'en
faire la promotion, pour tenter de vaincre le boycottage du livre
par la presse,
notamment par peur de représailles.
Après le style, le style bigenre, le
lexique.
Étant donné le sujet du recueil, il est incroyable
que les auteurs
soient incapables d'utiliser le mot
« nègre ». C'est
avec le plus grand sérieux qu'il est remplacé par
l'anglicisme
« N-word » ! alors que c'est pour l'avoir
employé
correctement et à bon escient que Verushka Lieutenant-Duval
a sans le
prévoir déclenché toute l'affaire. Sauf
erreur, le mot ne
se trouve que deux fois dans le recueil (p. 167 et 333), alors
qu'il fallait toujours l'employer,
par principe, puisque c'est le seul qui convient. Les
membres du groupe
des 34 ne se rendent pas compte que cette incroyable autocensure
est risible ?
Réussir à ne pas utiliser le mot
« nègre »
lorsqu'il s'agit de son sujet, c'est évidemment un tour de
force
déplorable. Écrire, en introduction, que Verushka
Lieutenant-Duval
a été condamnée « pour avoir
prononcé en
classe ce qu'il convient désormais d'appeler "le mot en
N" »
(p. 30), voilà qui est du plus haut comique et... ne
convient
évidemment pas !
Question rédaction, pour tous ceux qui
comme moi liront
l'ouvrage de la première à la dernière page,
il est difficile
de comprendre pourquoi il est si mal rédigé. Cette
rédaction
est tellement scolaire qu'on se demande comment des professeurs de
littérature peuvent se faire si
« professeurs » et si
peu « écrivains ». A-t-on idée,
en introduction (bg 16b,
justement d'une excellente qualité, notamment sa section,
« Bref rappel des faits » !,
p. 30-35),
de prendre cinq pages pour nous présenter « Le
contenu de
l'ouvrage » (p. 51-58), c'est-à-dire de nous
résumer,
les uns après les autres, les articles du recueil qu'on a en
main ! En
principe, un lecteur sait lire et il n'a pas besoin de lire... ce
qu'il va lire.
Sans compter qu'il va le lire souvent ! Je sais bien qu'un
professeur doit
répéter, mais en classe, pas dans un livre. Les uns
après les
autres, les auteurs nous présentent les faits qu'on
connaît depuis la
quatrième page de couverture. En tout cas, vous n'oublierez
jamais que le
cours qui a déclenché l'affaire a eu lieu le 23
septembre 2020 et que
les deux premiers événements de l'histoire ont
été la
chronique d'Isabelle Hachey le 15 octobre et la Lettre des
trente-quatre
publiée le lendemain. Il fallait
présenter les
« faits » dans un texte liminaire, comme on les
trouve
exposés dans l'introduction, et donner copie de cet
exposé à
chacun des auteurs du recueil, pour qu'ils soient informés
de ce que le
lecteur saura déjà avant de lire son article.
En revanche, et c'est tout le contraire, l'une
des
premières qualités du recueil, la
répétition quasi
systématique de l'évaluation et de
l'interprétation de ces
faits, principal objet de l'ouvrage, est une réussite, parce
qu'elle n'est
pas... répétitive. Exactement le même incident
s'est produit
à Concordia, à McGill et à Ottawa, soit
l'utilisation
(justifiée) du mot « nègre » par
un professeur
dans son enseignement universitaire. Mais seulement
l'Université d'Ottawa
a connu son affaire « Verushka
Lieutenant-Duval » et cela n'a
qu'une seule et unique explication, le comportement illégal
et immoral du
recteur Jacques Frémont et de la haute administration de
l'Université. Mais ce comportement, qui est d'abord et
avant tout
constitué d'un déni de la liberté
universitaire, a plusieurs
causes et peut être analysé de plusieurs points de
vue. Et chaque
auteur du recueil en présente non seulement un
différent mais souvent
plusieurs. Or, les causes du comportement du recteur Jacques
Frémont, et
la série de faits et de méfaits qui en ont
découlé,
sont parfois, rarement, très simples, mais le plus souvent
d'une grande
complexité et la preuve en est que le recueil, pourtant si
riche et
diversifié sur ce point, ne réussit certainement pas
à les
épuiser. Et ces causes comprennent un mal universitaire qui
ne se limite
pas à l'Université d'Ottawa. Mais il n'y a pas que
les causes :
il y a aussi les conséquences, qui, elles, ont frappé
l'Université d'Ottawa, ses professeurs et ses
étudiants — et
souvent des personnes nommément identifiées, dont les
auteurs
rassemblés pour ce recueil. Voyons cela point par point.
Oui, le recueil rassemble d'abord des
« témoignages », mais ceux-ci sont en
fait des
« dépositions ». Tout le monde savait
déjà, vaguement, que la vie (la vie !) des
Trente-quatre n'avait
pas été facile. Tout le monde connaissait les
insultes de fucking
Frogs et de Blancs suprématistes francophones lancées
sur les
réseaux sociaux, mais c'était une abstraction. On
comprend
maintenant que Jacques Frémont et la haute administration de
l'Université d'Ottawa n'ont pas seulement eu un comportement
illégal
et immoral, mais également d'une cruauté sans nom,
une cruauté
qui rejoint le sadisme, car il apparaît qu'ils devaient en
être conscients (étant donné les nombreuses
actions des Trente-quatre
pour tenter en vain de se défendre), mais qu'ils
jouissaient de la
situation. Quel plaisir d'écraser des racistes pour
défendre la
dignité et le respect de tous les racisés de
l'Université
d'Ottawa et faire preuve d'antiracisme militant !
Pour ma part, je compatis d'abord et avant
tout avec le
professeur qui a tout de suite annoncé qu'il quittait ou
devait quitter le
groupe des signataires et, ensuite, avec les quelques-uns, deux ou
trois autres,
qui se sont tranquillement écartés du groupe
(p. 130). Aucun
d'entre eux ne pouvait se justifier. Mais tous perdaient le
support de la simple
cohésion du groupe. Je ne peux croire qu'aucun d'entre eux
ait
renoncé à son engagement moral initial en faveur
d'une chargée
de cours victime d'un déni de la liberté
universitaire; mais je n'ai
pas de peine à comprendre la terrible situation où
ils
se sont
trouvés, qui a conduit à leur triste retrait de
l'action.
Justement, les témoignages de la
cruauté de la
haute administration de l'université sont accablants. La
situation la plus
tragique aura été celle de Geneviève Boucher.
Elle a
été incapable de supporter la pression qui venait de
toute part.
Elle a dû se placer en congé de maladie, en
arrêt de travail
(p. 153), et suivre des séances de
psychothérapie (p. 159).
Elle a eu peur pour son intégrité physique et celle
de sa famille,
et cela ressort aussi du témoignages de Maxime
Prévost (p. 154),
comme cela est implicite dans les analyses que je vais maintenant
évoquer.
Car le plus terrible, pour un professeur est de se faire insulter
en
classe, par des
étudiants que l'administration de l'Université refuse
de sanctionner.
Nous sommes en pleine dérive : un professeur peut se
faire accuser de
racisme pour avoir signé la Lettre des 34, alors même
qu'il explique
la situation (p. 197), et des plaintes
« anonymes »
(venant de membres du syndicat des étudiants, sur un cours
auquel ils n'ont pas
assisté, p. 335) peuvent être portées
contre une
professeure,
dans la même situation. Et non seulement les administrateurs
ferment les
yeux, mais en plus, ils rencontrent les étudiants en
question pour... les
« écouter » ! (p. 199). Le
premier de ces
deux professeurs est Marc Brosseau, qui édite les
échanges sur Zoom
(bg 16f, p. 190-197),
où deux étudiantes l'insultent et insultent
même une étudiante noire qui a le malheur de prendre
la défense
de son professeur; celle-ci est accusée de vivre dans le
déni, le
déni du racisme de son professeur, et tout cela devant
toute
la classe d'une
centaine d'étudiants. Et voilà que la triste
situation se reproduit
avec des collègues : Marc Brosseau se retire de
plusieurs
comités, devant l'hostilité qui gronde contre les
Trente-quatre. Le
second cas est celui de la professeure Sylvie Paquerot, qui doit
faire face, elle,
à une dénonciation anonyme de membres de
l'association
étudiante, que son directeur « doit »
transmettre
à la doyenne. La professeure, pour se moquer gentiment de
sa doyenne,
propose qu'on scinde son cours en deux groupes (sachant que moins
de deux ou trois
étudiants quitteront son cours, qui se déroule
très bien, et
que la plainte que doit gérer la doyenne n'a aucun
rapport avec la
majorité de ses étudiants, voire aucun d'entre eux).
Mais la
plaisanterie est prise au sérieux par la doyenne. Je ne
vous raconte pas
la suite... (p. 334).
Et ces conséquences auront de longues
et nombreuses
répercutions psycho-sociologiques, à n'en pas douter,
même sur
les professeurs qui ont réussi à faire face
stoïquement à
la situation. On savait que Verushka Lieutenant-Duval a dû
affronter une
épouvantable tempête. Mais cette femme, intelligente,
dit très
lucidement que la situation des Trente-quatre a été
pire que la
sienne, parce qu'elle était isolée et qu'en
conséquence elle
était protégée des collègues et des
étudiants
malveillants et, souvent, fanatisés. D'abord,
l'intervention des 34 l'a
beaucoup encouragée, ensuite, ils ont été son
paratonnerre ! (p. 83). En revanche, ceux-ci disent et
répètent qu'ils ont été
protégés par leur
statut de professeur permanent, ce qui n'était et n'est
toujours pas le cas
de la chargée de cours.
Après ces terribles
conséquences, retour sur les
causes. S'il est impossible de justifier la cruauté
sadique de
l'administration de l'Université d'Ottawa, on peut du moins
en analyser les
ressorts, et ce recueil sur les Libertés
malmenées y
contribue, et bien au-delà de tout ce qu'on a pu lire dans
les textes
d'opinion journalistiques depuis le début de ce que nos
auteurs appellent,
non sans humour, leur « Crise d'octobre » (pour
mes lecteurs
étrangers, je précise à tout hasard :
voir l'article sur
la Crise d'octobre 1970 à l'encyclopédie
Wikipédia).
Pour commencer, je dirais que les textes du
recueil, sur ce
point essentiel, ne sont pas placés dans le bon ordre. Je
les
réordonnerais du plus général au très
particulier,
même si ce critère n'a aucune pertinence en regard de
la
qualité de chacune des analyses. Il y
a d'un
côté le mal universitaire, et les causes ici viennent
du
fonctionnement de toutes les universités depuis plusieurs
décennies.
Mais il y a aussi des causes qui sont plus directement liées
à
l'Université d'Ottawa, celles qu'on trouve dans les
universités
canadiennes, y compris les universités bilingues de
Montréal
(Concordia et McGill), un mal très particulier (qui touche
déjà les universités québécoises
et en
particulier, très gravement, l'Université de
Montréal) :
« il s'agit là de la pointe immergée d'un
iceberg qui s'est
détaché des côtes américaines et qui
creuse son sillon
délétère vers le Canada depuis des
années »
(François Charbonneau, p. 135).
On pourrait croire que Nathalie
Bélanger (bg 16j) et François Charbonneau
(bg 16d) proposent des analyses
« hors
sujet », tant ils prennent les choses de haut. Depuis
plusieurs
décennies maintenant, les universités ont
été
réorganisées du point de vue économique et, en
conséquence, dans leur administration. Ce ne sont plus
maintenant, comme
c'était le cas depuis toujours, les étudiants qui
viennent à
l'université, c'est le contraire : l'université
doit aller les
chercher, les « accueillir » et tout s'organise
à partir
de cet « accueil ». La section essentielle de
l'article de N.
Bélanger s'intitule « De l'étudiant au
centre [de
l'université jusqu'à] l'université
entrepreneuriale » (et la page 294 est ici
essentielle) :
l'université est une entreprise, les étudiants des
clients et les
professeurs, des pourvoyeurs. D'où l'affaire qui nous
occupe et c'est le
résultat de la mise en marché : « Si
l'université ne représente plus un espace de
débat portant
parfois sur des questions délicates, difficiles ou des
controverses, afin
de ne pas heurter les sensibilités ou mettre mal à
l'aise, cela ne
présage rien de bon » (p. 308).
François Charbonneau
part de cette conclusion, mais nous conduit beaucoup plus haut, sur
le front
idéologique. On écarte donc tout débat qui
pourrait nuire
à la rentabilité de l'entreprise universitaire, et on
fausse ainsi
tous les débats. Si les professeurs doivent s'adapter
à cette
situation, ils le font, par vocation, en restant ce qu'ils sont,
progressistes.
Ils veulent bien plaire aux étudiants, mais pour de bonnes
raisons :
ils seront avec eux militants (p. 123) de la
« déconstruction » (p. 121 et 140).
Et si les
professeurs doivent être progressistes, leurs administrateurs
ne seront pas
en reste. En tout cas, ils ne sont surtout pas racistes et... vont
en faire la
preuve : « Et c'est ainsi que cette crise
inventée de toutes
pièces a ouvert la voie à une absurde panique
morale »
(p. 139).
Mais il se trouve un article qui analyse le
problème
de manière radicale. Pour Nelson Charest (bg 16k) la crise découle de
l'anti-pédagogie qui s'est
installée à l'université. Les
étudiants doivent
renoncer à étudier et, en conséquence, les
enseignants
à enseigner. Je commence par signaler que l'auteur est un
as du
décryptage lexical et que l'article commence par inverser
les
caractérisations des deux « camps » qui
se sont
affrontés à Ottawa et il le fait d'abord en reprenant
le concept
exposé par Verushka Lieutenant-Duval dans un cours
(interrompu) qui restera
toujours célèbre. Il s'agit de la
« resignification » (du moins en anglais).
Wokes était
à l'origine une désignation positive s'appliquant aux
« éveillés »; mais pour les
Trente-quatre, comme
pour tout le monde, elle devenue (tout le contraire de queer) une
injure. Or, ces
supposés « wokes » n'ont pas
été tout
à fait capables de répliquer en affligeant leurs
détracteurs
de l'étiquette de racistes, car tout le monde peut
être traité
tel, trop facilement. Ce seront donc des entremetteurs du racisme
systémique. Et le renversement ne s'arrête pas
là, car
ces éveillés devenus éveilleurs de la
majorité vont
s'en prendre en fait aux majoritaires au nom des minoritaires
(auxquels ils
finissent par s'identifier). Ils s'en prennent donc à la
« blanchité
systémique » !
Mais il n'y a pas que la virulence d'un humour
sarcastique
dans cet article, car il s'agit d'expliquer comment on en arrive
à ces
extraordinaires renversements où les éveillés
endorment en
traitant les éveilleurs d'endormis et, en un mot, de
racistes. Nelson
Charest expose le concept popularisé par Samuel Coleridge et
qui s'applique
à toute la littérature et, bien plus largement,
à tout
enseignement, de la petite enfance à l'université et
bien au-delà.
Il s'agit de la « willing suspension of
disbelief » (c'est dans le titre de l'article; cf.
p. 319,
où se lit tout le contexte du concept de Coleridge). Il le
traduit, comme
on le fait généralement, en parlant de la
« suspension
volontaire (ou consentie) de
l'incrédulité ». Je crois
qu'on peut plus simplement annuler les deux négations et
parler de
l'« adhésion volontaire à
l'incroyable », comme
le fait tout lecteur de fiction. Or, et c'est bien ce qu'explique
l'auteur, ce
concept essentiel des études littéraires est en fait
la base de tout
apprentissage quel qu'il soit. On commence à faire
« comme
si » (dans les jeux, à l'école, dans les
arts, etc.), avant
de pouvoir, adulte, agir « pour de vrai ». Et
Nelson Charest
d'en donner deux exemples élémentaires et
spectaculaires. Le premier
est celui du cadavre qu'on présentait aux étudiants
de
médecine pour illustrer, par exemple, comment on
réalise une
transplantation cardiaque. L'expérience est difficile, elle
peut être
traumatisante, puisque les étudiants, devant un cadavre,
sont
confrontés avec la mort; mais l'équipe de deux
médecins et
d'une infirmière réalise l'opération en
classe,
« comme si » le cadavre était un
être vivant,
précisément pour que les étudiants ne blessent
ou ne tuent le
patient bien vivant lorsqu'il seront en exercice. Même chose
pour le second
exemple, même s'il devrait être bien moins terrible,
puisque la
situation est inversée. Verushka Lieutenant-Duval articule
devant toute sa
classe le mot « nègre », pour apprendre
à ses
étudiants, entre autre chose, qu'il y a une
différence radicale entre
citer le mot, comme elle le fait, et l'utiliser
(« pour
vrai »). « En décrétant que le
mot
[nègre] était "totalement inacceptable", peu importe
le contexte ou
la situation d'énonciation, l'administration de
l'Université d'Ottawa
a enfreint le principe de willing suspension of disbelief
qui régit
la formation des individus, de la maternelle à
l'université » (p. 324). J'insiste sur la
pertinence de
cette analyse, parce qu'elle identifie la cause profonde de la
dérive que
Nathalie Bélanger, comme on l'a lu plus haut, décrit
si bien :
l'« industrie » de l'enseignement, conduit au
refus
d'enseigner. Exeunt le cadavre et le mot
« nègre ».
Voilà pour les analyses qui portent sur
le
« mal universitaire » actuel et frappe tout le
monde de
l'enseignement. Mais le mal en question peut bien être
universel, il n'en
a pas moins frappé très concrètement
l'Université
d'Ottawa; et le groupe des Trente-quatre, à la ligne de
front, était
fort bien placé pour en exposer les méfaits. Je
résume leurs
analyses. Le plus incisif est Pierre Anctil (bg 16h), qui pourtant n'a pas réalisé
un très
gros travail. Il a tout simplement analysé un à un
tous les
communiqués de Jacques Frémont ! Rarement une
simple
description des actes performatifs, si je puis dire, d'une personne
en
autorité dans une université aura été
plus
incriminante. Certes, on a tous connu ces interventions au fil du
déroulement de la crise; mais d'en voir maintenant la
synthèse est
hallucinant. Oui, le recteur a perdu la bataille de la
communication
(p. 251), mais c'est la cause de cette défaite que
radiographie la
crise, toute la crise. La trajectoire conduit d'une série
de
déclarations fausses et malveillantes, constituant de fait
une lutte
(rectorale !) contre la liberté universitaire et une
propagande pour
la « dignité et le respect » des
minorités, se
renversant pour finir en de désespérantes
déclarations pour
la défense... de la minorité francophone, à
l'Université d'Ottawa, en Ontario et dans tout le Canada.
Isaac Nahon-Serfaty (bg 16g) ne
présente pas, comme on pourrait s'y attendre, le rôle
des
réseaux sociaux dans le développement de la crise,
mais, à
partir de la crise, il étudie leur fonctionnement. En
citant et en
analysant un bon échantillon des messages lancés sur
Twitter, il
illustre un phénomène tout simple, à savoir
que s'y
développe un discours religieux, une propagande violente
très
agressive, mais qui s'adresse à des croyants pour les
inciter à une
croisade. Le point de départ était de
dénoncer (le
prétexte de) la liberté universitaire par des
professeurs racistes,
mais la (fausse) crise, de ce point de vue, s'avère
« médiatique ». Un spectacle
sacrificiel sans aucun
rapport avec la réalité.
On en vient ainsi aux articles et aux passages
du recueil qui
visent la cause la plus immédiate de la crise. Et ce sont
ces articles qui
m'ont « réveillé » ! Je
dois dire que je
ne connaissais rien de la doctrine et des organismes voués
à
l'endoctrinement pour « l'équité, la
diversité et
l'inclusion », soit l'EDI, dite parfois l'EDID, pour y
ajouter la
« décolonisation ». Or, ces
exposés, ceux de
Geneviève Tellier (bg 16i) et de Sylvie Paquerot
(bg 16l), m'ont permis de
comprendre ce qui se passait
dans ma propre université, l'Université de
Montréal, car c'est
cette doctrine de l'EDI qui explique d'où procède le
rapport de J.-F.
Gaudreault-DesBiens, la comMission du recteur et jusqu'à la
Lettre d'opinion
de la haute direction qui a déclaré la guerre au
rapport Cloutier
déposé au Gouvernement du Québec (bg 2a-2e).
Ainsi s'expliquent les trois réactions délirantes
contre
l'utilisation du mot « nègre » à
Concordia,
McGill et Ottawa. Et il s'agit de la cause première du
dénigrement
de Verushka Lieutenant-Duval et de la fronde contre les
Trente-quatre. Je me
permets de reprendre l'essentiel de ces deux articles, de
même que plusieurs
passages du recueil, de mon point de vue et en mes propres mots.
Les auteurs
verront si je les ai correctement compris au point
d'intérioriser leurs
analyses.
Je croyais que le rapport de J.-F.
Gaudreault-DesBiens
était une très originale application, en mode
civilisé (par
et pour des membres de la civilisation occidentale, tout de
même), des
principes de la Révolution culturelle chinoise (politique
qui sévit
à nouveaux encore plus cruellement auprès des
Ouïghours
actuellement). On allait envoyer les professeurs de la
majorité blanche,
ceux du moins à la blanchité systémique
(Nelson Charest
dixit), en période de réadaptation dans des
communautés
racisées. Or, il n'y là rien d'original, puisque
cette plaisanterie
est le moteur de l'industrie qui explique le comportement du
recteur Jacques
Frémont. Tout commence avec les
« éveillés » (les
« wokes »)
qui deviennent des « éveilleurs » (des
« wokes », car ce sont les mêmes). Il
s'agit de la vaste
mouvance qui a inventé, par exemple, le concept de
« micro-agression ».
Je l'ai déjà dit, mais je le
répète avec plaisir : il s'agit d'une sucette
sans fondement
psychologique aucun (comme le dit très bien ici
Geneviève Boucher,
p. 164-165, car si le phénomène n'a par
définition aucune
réalité objective, voilà qu'on prétend
l'appliquer aux
savoirs, aux contenus même de l'enseignement). Et la
mouvance de
développer une série d'applications des
théories du complot.
Voilà où j'en étais avant de lire le recueil
du groupe des
Trente-quatre qui m'apprend qu'il ne s'agit pas là du
comportement diffus
de progressistes auto-proclamés, mais bien d'une très
luxuriante
industrie. Voilà des conférenciers qui vont
procéder à
la « rééducation » de vos
employés
malencontreusement endormis et vont les éveiller à
leur racisme,
à leur antiféminisme, à leur sexisme ou
à leur
inconscience devant la diversité sexuelle. Des
conférenciers, des
conférences ? Bien plus, ce sont des
spécialistes de
l'éveil qui mettent en place des formations, des cours,
voire des programmes
universitaires. Leur objectif est de réformer votre
université,
votre compagnie, votre industrie. Et les auteurs du recueil de
constater que ces
actions n'ont encore jamais prouvé leur efficacité;
soit deux sous-titres
de l'article de Geneviève Tellier, « Une
industrie qui
peine à produire des résultats » et
« Une
solution en quête de problème » (p. 274
et 277). En
fait, le bon sens dit que ces entreprises de
rééducation sont par
définition inopérantes et ne sauraient donner aucun
résultat,
bien au contraire. Il suffit d'analyser la situation
psycho-sociale en cause pour
s'en convaincre. Le racisme, par exemple, peut avoir plusieurs
formes, mais
prenons un raciste ou un groupe de racistes au hasard. Il faudrait
les prendre en
pitié, ne pas les offenser, car leur racisme est souvent
inconscient ?
Il faudrait donc leur donner une formation en EDI
pour les « éveiller » ? Voyons
donc. Seul le militantisme et
l'engagement social
peuvent, avec le temps, changer cette situation; et la
première chose
à faire est de ne rater aucune occasion de dénoncer
ces racistes et
le racisme sous toutes ses formes. Mais il faut maintenant, en
plus,
dénoncer les missionnaires des
« formations » en
EDI ? Aucune personne intelligente n'a besoin d'une
éducation
de cette sorte et si tel devrait être le cas, alors la
rééducation est impossible. Si des
imbéciles, les
wokes, se sont « éveillés », les
professeurs
d'université ne manqueront pas de le faire sans eux, si ce
n'était
déjà fait, puisque précisément c'est
leur
métier. Oh ! mais attention : Verushka
Lieutenant-Duval, qui
avait dû suivre déjà (comme probablement tous
les professeurs
de l'Université) une formation EDI a été mise
en demeure par
son doyen de la suivre à nouveau, en plus de rencontrer
celle qui
était alors la conseillère spéciale en EDI du
rectorat !
Et celle-ci d'exiger qu'elle suive aussi une formation sur le
racisme...
(p. 78). — À remarquer que
« K »,
l'étudiante à la source de la crise qui a
dénoncé son
enseignante sur Twitter et divulgué ses coordonnées
personnelles n'a
dû suivre, elle, aucune formation en EDI, ni en FLJ (voir
plus bas).
Ce mouvement, véritable discipline ou
matière
d'enseignement, nous vient des États-Unis sous le nom DEI
(diversity,
equity, inclusion), exactement comme dans Opus DEI. J'en ai
découvert
l'histoire, qui s'est développée depuis au moins une
décennie,
dans l'article d'un adepte, Billy E. Vaughn, « The
history of diversity
training and its pioneers » (Strategic Diversity and
inclusion
management magazine, vol. 1, no 1, 2007,
p. 11-16,
< diversityofficermagazine.com >). Mais toutes les
universités
du Québec ont maintenant leur programme et leur
comité
consacrés à la promotion de l'égalité,
de la
diversité et de l'inclusion. Certes, tout le monde est pour
la vertu et,
notamment, contre le racisme, les inégalités et la
discrimination.
Mais pourquoi la très surprenante unanimité sur ces
trois vertus-là ?
L'Université de Montréal ne pouvait
pas mettre en
place un programme et un comité FLJ pour défendre des
valeurs
universelles comme l'amour (la fraternité), la
liberté et la
justice ? Il suffit de poser la question pour comprendre que
nos
universités n'ont que faire de ces... six vertus. Il s'agit
pour elles de
soigner leur image et de se prémunir contre les
controverses.
Lesquelles ? Celles, bien entendu, des
éveillés-éveilleurs
et cela ne peut venir que des minorités
actives
(d'étudiants) des minorités et des (professeurs)
bien-pensants qui
se rangent derrière elles pour se faire du capital de
probité militante
(pour se donner le beau rôle, comme l'écrit
François
Charbonneau).
Et c'est ainsi que s'explique le comportement
et toutes les
déclarations du recteur Jacques Frémont. Tout a
été
rigoureusement encadré par la politique de l'EDI de son
Bureau des droits
de la personne et il n'a pas eu besoin de l'aide du conseiller
spécial de
l'université en matière d'inclusion, Boulou Ebanda de
B'béri ! Cette idéologie nocive, cette
politique, qui nous
vient des État-Unis et qui contamine maintenant toutes les
universités du Québec, explique, non pas
entièrement, mais
très concrètement l'affaire Verushka
Lieutenant-Duval. Elle en est
la cause immédiate.
Voilà pour les causes, après le
bref
exposé des conséquences. Restent les solutions. Or,
même si
cela peut surprendre, le recueil n'en propose aucune, s'en tenant
à son
sujet et à son titre, Libertés malmenées,
chronique d'une
année trouble...
Mais dans la préface du livre, Yves
Gingras (bg 16a),
de l'Université du Québec à Montréal,
exprime ce que
les professeurs de l'Université d'Ottawa n'ont pas dit
clairement, parce
qu'ils pouvaient estimer que c'était évident (et
peut-être
aussi par mépris pour le recteur qui jamais n'est
nommé dans
l'ouvrage, toujours désigné par son titre) : ce
que
démontre l'affaire Verushka Lieutenant-Duval, comme on le
voit à la
lecture du recueil, c'est « l'incompétence et la
lâcheté de la direction de l'Université
d'Ottawa, du doyen
jusqu'au recteur en passant par la vice-rectrice »
(p. 8) :
« d'où l'importance de s'assurer que les
dirigeants dont les
actions contredisent clairement leur mission soient appelés
à laisser
la place à des personnes qui auront le courage de
défendre et de
promouvoir la raison d'être de l'institution qu'ils entendent
diriger » (p. 18). On ne peut être plus
clair. Pour mettre
fin à la crise, il faut demander, exiger et obtenir la
démission du
recteur Jacques Frémont.
Mais il faut aller plus loin. La
première chose que
devra faire le doyen intérimaire sera de présenter
ses excuses
à Verushka Lieutenant-Duval au nom de l'Université.
Dans la
même déclaration, il assurera son syndicat,
l'Association des
professeurs à temps partiel de l'Université d'Ottawa,
que
l'Université fera en sorte que les griefs
déposés contre elle
se règlent rapidement, et déclarera,
exceptionnellement, que
l'Université s'est très mal comportée à
l'endroit de
Verushka Lieutenant-Duval. Enfin, le recteur intérimaire
annoncera qu'un
poste à temps plein conduisant à la permanence sera
créé et offert à Verushka Lieutenant-Duval
dans les trois mois
suivant sa nomination.
Par ailleurs, le recteur intérimaire
remerciera et
félicitera, au nom de toute la communauté de
l'Université
d'Ottawa, les Trente-quatre professeurs qui ont eu le courage de
dénoncer
la situation qui a conduit à la crise. Il assurera que les
griefs qui ont
été logés par certains d'entre eux seront
rapidement
réglés, sûrement à leur avantage, avec
les
autorités syndicales ou judiciaires impliquées.
Et c'est ainsi que le crise serait rapidement
réglée.
Resterait alors à s'assurer qu'elle ne
puisse plus jamais se
reproduire. Dans tout le recueil, il n'y a qu'une personne qui
connaît la
solution à ce problème, Verushka Lieutenant-Duval,
dans l'entrevue qu'elle accorde en tête du recueil
(bg 16c). On sait que la
commission Bastarach (cb 22), qui devait
enquêter sur la
liberté
universitaire à la suite de l'affaire, mais avec
l'interdiction
d'étudier l'affaire en question, avait conclu qu'il n'y
avait aucune action
à prendre, puisque l'Université d'Ottawa avait tous
les moyens de
défendre la chargée de cours, s'agissant d'une toute
simple question
de liberté universitaire. On sait aussi que la commission
d'Alexandre
Cloutier (bg 2 a conclu, elle, que si
l'Université
d'Ottawa (comme Concordia et McGill) avait pu refuser de
défendre la
liberté universitaire de la professeure, il fallait donc
impérativement mettre en place un processus pour forcer les
universités à faire ce qu'elles doivent
faire !
« E.-Martin Meunier — J'aimerais savoir quelle serait ta
solution pour
qu'une telle controverse ne puisse survenir à nouveau.
« Verushka Lieutenant-Duval — C'est une bonne question.
La
première chose qui me vient en tête, c'est la
création d'un
organisme chargé de traiter les plaintes, comme un ombudsman
ou quelqu'un
vers qui on pourrait se tourner pour qu'il y ait enquête
indépendante
dans un cas comme celui-là » (p. 114-115).
Il s'agit de la création de ce qu'on peut maintenant appeler
un
« Comité Cloutier » responsable,
idéalement, de
l'application d'une loi gouvernementale sur la liberté
universitaire. La
première chose qu'aurait constatée un tel organisme,
dit Verushka
Lieutenant-Duval, c'est que « tout commence par la
publication d'un
extrait de courrier étudiante-professeure sur Twitter; il
me semble que
cela devrait être strictement défendu et
protégé par
l'administration ». « Si on souhaite aller
jusqu'au bout de
ce qui s'est passé, de façon objective, une
enquête
indépendante s'impose impérativement »
(p. 115).
C'est aussi simple que cela. Il faut
appliquer rigoureusement
les cinq avis et les cinq recommandations du rapport Cloutier. On
peut
espérer, je crois, que ce recueil d'articles sur les
Libertés
malmenées à l'Université d'Ottawa
contribuera à
contrecarrer l'opposition des hautes directions des
universités à ce
rapport.
|
| |
On trouvera en tête de l'annexe 2
du rapport de la Commission Cloutier (bg 3) une présentation succincte,
précise et objective, des trois
« incidents » présentés,
analysés et jugés tout au long de cette
chrono-bibliographie,
en regard de leurs impacts journalistiques.
L'annexe répertorie toutefois plusieurs autres incidents,
d'abord parce que la Commission ne limite pas son enquête aux
années 2020 et 2021, mais ensuite parce qu'elle enregistre
des événement qui débordent la liberté
universitaire (lynchage d'une conférence de Mathieu
Bock-Coté à l'UQAM en 2017, lynchage du professeur
Philip Carl Salzman de McGill en 2020, etc.). Elle envisage
également d'importantes questions spécialisées
(gestion des tâches professorales ou publications sur le site
internet géré par la direction de
l'université). Toutefois, les faits
énumérés dans cette annexe permettent de
mettre en contexte nos trois incidents/événements,
symptômes d'une situation fort inquiétante.
Par ailleurs, cette chrono-bibliographie
constitue un « découpage
événementiel » de l'histoire
à l'étude, telle qu'elle est présentée
au tout début de cet essai. C'est dire que, s'agissant
d'une étude narrative, le dépouillement s'en tient
aux « événements »,
c'est-à-dire aux événements rapportés
par ces textes ou les textes qui sont d'eux-mêmes des
événements. Il suit que cette bibliographie ne
retient pas les témoignages et les textes d'opinion. Pour
analyser l'impact psycho-sociologique de ces
événements, il faudrait donc la compléter. On
utilisera pour cela la bibliographie d'Anne Gilbert et de Christian
Vandendorpe (bg 16m), voire le
dépouillement exhaustif à l'origine de leur article
(cf. p. 353, n. 1).
29 octobre 2019, Catherine Russell présente Nègres
blancs
d'Amérique (1968) de Pierre Vallières pour
introduire le film
expérimental de Joyce Wieland (Pierre
Vallières, 1972, 30
min.), dans son cours de cinéma à l'Université
Concordia.
Le 31 juillet 2020, donc neuf mois plus tard,
une cabale est
organisée pour dénoncer le fait que C. Russell a
nommé deux
fois (en anglais) le titre du livre de Vallières. Il s'agit
d'une
pétition (pour dénoncer cette « violence
anti-noire »)
qui compte 200 signataires, pétition qui exige qu'on lui
retire son cours à l'automne, 2020-2021. C. Russell
présente
aussitôt ses excuses, en expliquant qu'elle ne connaissait
pas l'impact que
pouvait avoir l'emploi de ce mot dans le cadre de son cours.
10 août 2020, Philippe Léger,
« Rien n'y
comprendre », le Journal de Montréal. Ph.
Léger
dénonce la situation et surtout la pétition, dont
l'initiatrice
déclare que « ce qui est arrivé est
inacceptable et
inconfortable », en affirmant que ces étudiants de
l'Université de Concordia manifestent « une
méconnaissance
profonde de l'ouvrage et de la réalité
québécoise ». « Au lieu de
rejeter le livre de
Vallières, ces pétitionnaires devraient, en fait,
l'étudier.
Peut-être qu'ils comprendraient un peu mieux la
société dans
laquelle ils ont fait le choix d'étudier... ».
Mais on va vite
voir que l'affaire est encore plus gravement tragique de par son
insignifiance
même, car ce n'est ni le livre ni son contenu qu'on
dénonce mais...
le titre du livre ou, plus précisément, le mot
« nègre » qu'on y trouve. En
réalité,
nous sommes même ici en-deçà de
l'ignorance ! [1
15 août 2020, Isabelle Hachey,
« Mots
tabous », la Presse. La chroniqueuse
présente elle aussi
l'incident qui en deviendra aussitôt un
événement. Elle analyse
de manière critique le sens de l'expression
« nègres
blancs » dans le titre du livre; elle conclut que cette
cabale
relève manifestement de ce que j'appellerai le lynchage
intellectuel (la
cancel culture) par une meutes de gérants d'estrade
des
réseaux sociaux (les wokes) dénoncés
par nul autre que
Barack Obama, précise-t-elle, en rapportant les propos de
l'ancien
président. [2
17 août, chronique de Simon Jodoin,
présentée
par Annie Desrochers à l'émission « Le
15-18 »
de Radio-Canada. L'intervention porte essentiellement sur l'impact
de la chronique
d'Isabelle Hachey. Six minutes trente secondes, où
l'affaire est
traitée,
évidemment, avec des gants blancs. Le thème de
l'intervention de S.
Jodoin est présenté ainsi sur le site internet de
l'émission : « Actualité avec Simon
Jodoin :
certaines idées deviennent-elles taboues ? ».
S. Jodoin
explique les réactions diverses au sens du titre de l'essai
de
Vallières en français et dans sa traduction anglaise.
Le titre du
livre est dit cinq fois. [3
—— La chronique
de Simon Jodoin
n'aurait rien à faire ici, puisqu'elle reprend simplement
celles de Philippe
Léger et d'Isabelle Hachey. C'était sans compter la
présence
de Ricardo Lamour, invité lui-aussi à
l'émission, venu
présenter son essai en faveur des jeunes Noirs de
Montréal, et qui
entend l'intervention de Simon Jodoin dans un autre studio (pour
cause
d'épidémie), d'où il sera interviewé
ensuite). Par
la suite, il porte plainte à Radio-Canada, contre la
chronique de
S. Jodoin. L'affaire se terminera par une analyse critique,
dans un texte
splendide d'une rare pertinence, de Guy Gendron, l'ombudsman
(service
français) de Radio-Canada, intitulé « Ce
mot dans la bouche
d'un Blanc est-il une grenade ? ("Le 15-18") »,
Ici Radio-Canada,
26 octobre 2020. Cette décision juridique devrait
être
retenue notamment comme une analyse de très haut niveau du
sens du syntagme
« nègres blancs » dans le titre de
l'essai de Pierre
Vallières (complétant l'analyse critique de son
contenu par Isabelle
Hachey). Mais, du point de vue qui nous occupe ici, bien loin de
l'analyse
littéraire, c'est la conclusion
« juridique » de
l'ombudsman qui doit être retenue :
Ricardo Lamour a
le « droit » le plus strict d'être
choqué,
heurté, scandalisé et même blessé par la
prononciation
du mot « nègre » dans le titre du roman;
en plus,
R. Lamour a tout à fait le droit de protester et
d'exprimer sa plus
profonde répugnance à ce sujet; mais
(mal)heureusement, il n'existe
pas de « droit à ne pas être
offensé ».
[4
—— L'affaire, incroyable, se
poursuivra durant plusieurs années, avec l'entrée en scène du CRTC !
18 septembre 2020, Atumn Darey,
« Tenure film studies
professor accused of racism », the Link (journal
des
étudiants de l'Université de Concordia),
vol. 41, no 1.
Il faut lire cet article confus et indigne du journalisme
(étudiant) pour
comprendre à peu près l'affaire Russell. [5
D'abord, Catherine
« Katie » Russell,
née en 1959, maîtrise et doctorat de
l'Université de New York,
est une professeure de haut niveau, que son enseignement, ses
recherches et ses
publications placent sans conteste parmi les grands professeurs
dans son domaine.
Comme le font périodiquement les professeurs de Concordia au
département de cinématographie, elle est
chargée du cours
de service intitulé « Methods in film
studies »,
à l'automne 2019 (elle a déjà enseigné
ce
séminaire en 2016-2017). On l'a lu plus haut, dans une
séance de son
cours d'introduction méthodologique, elle présente
l'essai de Pierre
Vallières et... en nomme deux fois le titre, afin
d'introduire le film
expérimental de Joyce Wieland, Pierre
Vallières.
Une étudiante de sa classe, Rose
Stiffarm, se
« réveille » (et cela s'applique bien au
comportement
d'une woke !) au printemps suivant pour dénoncer
auprès
de la direction, à titre personnel, ce qui lui paraît,
rétrospectivement, une situation inacceptable. La direction
intervient
auprès de l'enseignante, qui présente ses excuses
(!), le 31 juillet,
tout en déplorant que ces récriminations ne lui aient
pas
été adressées en temps et lieu, soit à
l'automne
précédent. L'étudiante Rose Stiffarm (qui
n'est pas noire, mais amérindienne, indigenous,
insiste-t-elle, indigène, autochtone, originaire des
États-Unis) est tout
à fait
insatisfaite de ces « excuses », et lance une
dénonciation sur les médias sociaux (où l'on
peut voir qu'elle
est très,
très active, notamment sur Twitter). L'affaire est reprise
et même
relancée, sous
la forme d'une « pétition » pour
dénoncer l'utilisation
d'un langage raciste (sic) par la professeure Russell, avec une
amusante
généralisation : « the petition itself
was much more
direct, stating Russell "weaponized her authority, privilege, and
power as a white
professor" ». La pétition est remise à la
direction de
l'Université.
Tout cela est plus et pire que ridicule.
L'article du journal
Link, je l'ai dit, est en-dessous de tout. D'abord, le
« journaliste » Atumn Darey cite à la
sauvette des
« déclarations » de l'étudiante
Rose Stiffarm
d'où il ressort qu'elle n'a pas été
traitée justement
en regard des autres étudiants de la classe de C. Russell.
Et cette
affirmation est recopiée par le journal étudiant,
alors qu'elle ne
s'appuie sur aucun fait précis et vérifiable. R.
Stiffarm est au
contraire, c'est évident, frustrée de ne pas avoir
été
traitée comme une vedette. L'étudiante
a deux courts métrages à son
actif, le plus long
a été produit par l'Office national du film :
Inside
Hothouse 12 (réalisation de R. Stiffarm, 2019,
9 mn). Il s'agit
d'un film académique fort bien réalisé,
alignant des entrevues
(style télévision) qui présentent le
douzième stage de
création cinématographique organisé par l'ONF,
stage qui a
été réservé à de
jeunes
autochtones; ils réaliseront trois films d'animation d'une
minute sur une
période de cinq mois; le film de Rose Stiffarm montre
combien
l'expérience a été enrichissante. Cela dit,
à en juger
par sa déception devant le séminaire de
méthodologie de
Concordia et son dénigrement de sa professeure, dans ses
déclarations informes au journal the Link, il
apparaît que
Rose Stiffarm n'a probablement pas compris qu'un cours
d'études
cinématographiques n'a pas pour fonction de saluer les
créations des
étudiants, s'il s'en trouve, mais de leur apprendre à
étudier
et à analyser les films.
Le même article donne la
« parole »
à un étudiant anonyme qui s'en prend
nommément
à la professeure Micheline Lanctôt. L'étudiant
a fini ses
études en 2017, mais s'est apparemment
« réveillé » (woked)
depuis deux ans pour
déplorer, combien, Noir, il avait été
ostracisé dans
ce département !
Et le journaliste d'écrire le plus
sérieusement
du monde que « Russell/Lanctôt did not respond to
request for
comment ». Tu parles !
Bref, même si c'est bien long, il est
clair que la
direction de l'Université de Concordia devait réagir
rapidement, non
pas pour étouffer l'affaire, mais pour donner son plein
appui à la
professeure Catherine Russell et dénoncer la vindicte dont
elle était
victime de la part de quelques étudiants, dont la
pétition va
jusqu'à demander qu'elle ne donne plus le cours de
méthodologie. Ce
lynchage n'a pas sa place dans nos universités au
Québec.
23 septembre 2020. Une chargée de cours de
l'Université d'Ottawa
donne sa deuxième sé:ance d'enseignemen de son cours
« Art and Gender » (« les arts et les
identités
sexuelles »). Il s'agit de Verushka Lieutenant-Duval.
Elle
doit expliquer
un concept assez savant, la réassignation subversive
qui consiste
à transformer une injure ou une désignation
méprisante en un
vocable positif, employé à contresens, mais qui
devient parfois un
« marqueur identitaire », dit la professeure.
Elle donne
l'exemple évident de queer,
« détraqué », employé
comme injure pour
dénigrer les homosexuels. Le mot a été
récupéré par un groupe particulier
d'homosexuels qui,
aujourd'hui, le revendique fièrement. Avant
d'achever son cours, qui se termine sur une discussion avec ses
étudiants sur ce dernier mot dont ils ne connaissent
généralement pas le sens premier,
l'enseignante ajoute, en passant, qu'il y a bien d'autres mots qui
ont été ainsi détournés de leur sens.
Et parmi ces exemple, elle donne celui du mot
« nègre » souvent
récupéré positivement par les Noirs
eux-mêmes.
À ce moment, elle prononce le mot en
question, mais dans un segment qui n'a pas duré deux
minutes. Le cours s'achève sans que personne n'ait fait la
moindre remarque à ce sujet. — Le soir même,
une
étudiante qu'on nomme K lui adresse un courrier
électronique pour lui dire qu'elle n'aurait pas dû
employer le mot « negger » (le cours se
donne en anglais), mais plutôt
« N-word ». Du coup, l'enseignante comprend
que son exemple
n'était peut-être pas approprié, alors que
sévit à ce moment le mouvement Black Lives Matter.
Si K lui fait cette remarque il est bien possible que d'autres
étudiants de sa classe aient eu la même impression.
Non
seulement elle présente ses excuses à K, mais elle
propose d'ouvrir son prochain cours sur cette question; elle lui
propose même de préparer un bref exposé sur la
charge émotive que peut représenter le N-word
aujourd'hui. K décline l'offre, mais Verushka
Lieutenant-Duval ouvre effectivement le cours suivant, le 30
septembre, avec une
discussion sur les avantages et les inconvénients d'utiliser
ou non le mot. La discussion dure moins de quinze minutes et c'est
la professeure qui la conclut en disant que le N-word
n'était pas un bon exemple, parce que contrairement à
« queer », il garde encore toute sa charge
négative. Ce que l'enseignante ne sait pas, c'est que K a
utilisé des fragments de ses échanges avec sa
professeure la semaine précédente, pour en publier
des fragments hors contexte sur Twitter, notamment une remarque
innocente où elle écrivait qu'au cours de sa
carrière universitaire (de 15 à 25 ans,
étudiante et enseignante,, elle avait déjà
entendu prononcer le mot « nègre » sans
que personne n'en fasse d'histoire. K lui fait dire qu'elle a
entendu prononcer souvent ce mot à... l'Université
d'Ottawa (où elle n'a jamais été témoin
de cela), avec la remarque: « U. Ottawa, dites à
vos prof de ne plus mentionner le mot en "N" ». Cela
soulève tout un tollé sur Twetter, où ne se
comptent plus les insultes et menaces à l'endroit de
Verushka. Un autre étudiant publie son adresse de courrier
électronique, l'adresse de son domicile et son numéro
de téléphone personnel. Elle découvrira tout
cela le lendemain, 1er octobre, en même temps que... son
doyen ! Deux jours après, la professeure est suspendue
d'office. — On trouve ce récit objectif des fais,
avec beaucoup d'autres informations factuelle dans l'entrevue de
Verushka
Lieutenant-Duval par E.-Martin Meunier en tête de
Libertés malmenées (2022, bg. 16c, « Retour sur l'affaire Verushka
Lieutenant-Duval », p. 63-74).
15 octobre, Isabelle Hachey,
« L'étudiant a
toujours raison », la Presse (15/10/2020). C'est
en effet deux
semaines plus tard que la chroniqueuse expose l'affaire qui fera
bientôt
scandale. Il se trouve qu'elle a non seulement la version de
l'enseignante, mais
également celle d'un témoin de choix, le professeur
retraité
Jean-Léopold Munk, qui s'était inscrit à ce
cours par pur
plaisir. De ces témoignages, la journaliste déduit
vite qu'on est (sur Twitter, pas dans sa classe)
en face d'une meute qui veut la tête de l'enseignante, dont
l'étudiante K (à l'origine de toute l'affaire), qui
non seulement a détourné de leur contexte des
messages personnels de son enseignante pour les publier sur Twitter
(ce qui est passible de poursuite judiciaire), mais a
également porté plainte au doyen de la Faculté
des arts. Ce qu'on apprendra plus tard (dans l'entrevue
citée ci-dessus), c'est que le doyen en question, Kevin Kee,
s'est précipité sur Twitter dès qu'il a
reçu la plainte de K, le 1er octobre, le lendemain de la 2e
séance de cours; il y a trouvé, évidemment,
l'avalanche de protestations et d'injures visant la professeure, et
sans prendre contact avec celle-ci, sans s'interroger sur la nature
de l'incident, il publie dès le lendemain un
communiqué qui blâme explicitement la professeure,
désignée comme un « chargé de
cours » (2 octobre 2020). Et l'enseignante est suspendue
des deux (!) cours qu'elle donne à ce moment. Or, tout cela
tient au comportement de deux étudiantes, dont celui de K,
qui est manifestement de mauvaise foi, ayant non seulement
accepté les excuses de sa professeure deux semaines plus
tôt, mais lui ayant précisé que, n'étant
pas Noire, originaire du Liban, elle
n'avait pas
personnellement été affectée par son
utilisation académique du mot
interdit.
C'est pourtant elle mène le bal depuis une semaine et qui
ira danser avec le doyen au lendemain de la seconde séance
du cours.
[6
16 octobre, « Liberté
surveillée :
des profs de l'Université d'Ottawa dénoncent la
suspension de leur
collègue », le Droit et le Journal de
Montréal. C'est ce qu'on appellera « la
Lettre des
34 ». La lettre ouverte est en effet signée par
trente-quatre
professeurs, professeurs francophones (à l'exception de cinq
ou six). La
lettre condamne évidemment la suspension de Verushka
Lieutenant-Duval, mais
plus généralement la confusion entre le
« racisme » et le droit d'exposer des
idées
controversées dans le cadre de l'enseignement universitaire.
[7
S'ensuivra
une série de
réactions qui vont rendre la vie des Trente-quatre
extrêmement difficile. D'abord, ces professeurs seront
harcelés
par une meute
de militants désinformés sur les réseaux
sociaux et jusque dans leurs cours. Ensuite, bien plus inattendu,
ils
devront faire face à l'hostilité de ce qui
apparaît vite comme une majorité de leurs
collègues anglophones — et
ce n'est pas par
hasard que
de nombreux professeurs anglophones se rangent
spontanément
derrière une dénonciatrice anonyme et son recteur.
Plus grave encore,
voilà quatre professeures du département de
sociologie et d'anthropologie
qui lancent une pétition diffamatoire sur l'internet. Je
n'ai trouvé la référence à cette
pétition qu'en 2022, dans le recueil des Trente-quatre,
Libertés malmenées. Comme on le verra plus
bas, même en lisant l'article d'Isabelle Hachey le 22 octobre
sur les « trois pétitions », je n'ai pas
trouvé celle-là, ce qui ne m'a pas surpris, croyant
qu'il s'agirait d'une pétition lancée sur les
serveurs de l'Université d'Ottawa, à l'intention de
ses professeurs (et peut-être aussi de ses étudiants).
Jamais je n'aurais pu imaginer que des professeurs
d'université lancent une pétition contre des
collègues accessible au gand public sur l'internet,
évidemment. Ce comportement est inconcevable et je
n'imagine pas que cela puisse jamais se produire à
l'Université de Montréal, ni dans n'importe quelle
autre université qu'à Ottawa, puisque tel a
été et est toujours le cas. Dans une des
universités de Montréal, il ne fait pas de doute
à mes yeux, que la direction de leur département les
aurait immédiatement mis en demeure de retirer leur
pétition, faute de quoi la faculté et la direction de
l'université les auraient lourdement sanctionnés,
c'est le bon sens qui le dit. On peut critiquer publiquement la
direction de son université, cela fait même partie de
la liberté académique, mais on ne peut jamais s'en
prendre à ses collègues, sauf dans le cadre
très restreint des questions liées à la
recherche et à ses domaines de recherche,
généralement dans les revues savantes.
19 octobre, Phyllis Rippey, Willow Scobie, Karine Vanthuyne and
Mireille
McLaughlin,
« Statement of solidarity with uOttawa BIPOC students and
colleagues », sur < change.org >,
pétition
lancée le 19 octobre 2020. 1 110 personnes ont
signé la
pétition en quelques mois, mais personne ne l'a plus
signée depuis
au moins un an maintenant (donc depuis mars 2021). — BIPOC
est l'acronyme
de Black, indigenous and people of color. [8
— Le Devoir, qui a refusé de publier la Lettre
des 34,
présente un extrait du texte chapeautant la pétition
qui la
dénonce : « La liberté universitaire
n'est pas la
liberté d'expression », 21 octobre 2020. Le titre
et le contenu
de ce texte sont diffamatoires, laissant croire que des professeurs
de
l'Université d'Ottawa tiennent des propos racistes sous le
couvert de la
liberté universitaire. [8a
| |
|
La pétition se trouve sur le site
« change » pour « Plate-forme
mondiale de
changement ». Il s'agit d'un site qui permet de lancer
n'importe
quelle pétition. On y trouve, par exemple, une
pétition pour
l'interdiction de vendre des animaux domestiques sur Kijiji
(421 363
personnes l'ont signée) ou un appel à
la
libération de Tamara Lich, prisonnière politique du
gouvernement
du Canada (6 210 appuis). Et cela va jusqu'à la toute
nouvelle
pétition : retirer le nom de
« poutine » au
célèbre mets québécois, en appui aux
Ukrainiens ! Bref, avec ses 1 110 signataires, la
pétition de ces quatre professeures ne
fait pas le
poids.
D'abord parce qu'elle prétend
s'adresser aux
professeurs de l'Université d'Ottawa et à leurs
étudiants.
Or, c'est évidemment faux. Il s'agit d'une pétition
ouverte
à tous et à n'importe qui. Et je le sais pour
l'avoir
signée ! Si je l'ai signée, il y a quelques
jours (je suis le
1 111e signataire), c'est pour en connaître tous les
rouages, avec le
plaisir d'y laisser un message dénonçant la stupide
entreprise.
Change est un site commercial de type pyramidal. Dès votre
signature
enregistrée, on vous demande un
« modeste » don et,
surtout, l'envoi de la pétition sur vos réseaux
sociaux (Twitter
ou Facebook), de sorte que chaque signataire en entraîne
souventde
nombreux autres. Ainsi pas moins de 667 des 1 110 signatures
d'appui
à la pétition sont celles
d'« amis » (comme on
les appelle sur Twitter). Bref, ce n'est pas très fort,
comme
résultat.
Ensuite, les commentaires laissés par
quelques-uns
des signataires, une cinquantaine peut-être, sont tous
rédigés en anglais. Ils sont anonymes, car
lorsqu'ils se
nomment, ces signataires ne donnent pas leur titre et ni ne
désigne leur
institution. Et je n'ai pu identifier que deux professeurs de
l'Université d'Ottawa, Keri Cheechoo, directrice du
programme Indigenous
teacher education, et Ruth Kane, de la Faculté de
l'éducation. Et
tous disent qu'ils sont contre le racisme, comme tout le monde. On
n'y lit rien
sur l'affaire Verushka Lieutenant-Duval, ni sur la Lettre des 34.
Et c'est tout
à fait normal, car la présentation (ou
justification) de la
pétition est mal rédigée et son objectif
incompréhensible. Cela est très surprenant de la
part
d'universitaires, car on se croirait sur Twitter (et l'on ne se
trompera
pas !). La seule chose qui se comprend, finalement (lorsqu'on
connaît bien
la situation qui sévissait à l'Université
d'Ottawa en
octobre 2020), c'est qu'il s'agissait pour ces quatre professeures
(fort bien
payées, avec sécurité d'emploi) de
dénoncer leurs
collègues qui se portaient à la défense d'une
chargée
de cours au statut précaire. C'est tout. En fait, ces
quatre
professeures voulaient se faire du capital édifiant d'EDI.
On lira les
insultes dans Libertés malmenées (bg 16, p. 46, 147 et 185-186), bien que
l'accusation contre les
Trente-quatre de contribuer à la
« suprématie
blanche » ait été remplacée par
celle
de propager
du « racisme systémique ».
Je m'en tiendrai au tout dernier
alinéa, qui devrait normalement reprendre et résumer
le texte (incompréhensible) qu'on a lu
jusque-là :
« L'APUO appelle au débat,
aux
événements et au dialogue (1).
Les étudiante.e.s, les collègues et les membres de
notre
communauté sont déjà activement
engagé.e.s dans ce
domaine sur les médias sociaux (2). Les
médias sociaux sont, en fait, le moyen par lequel nous avons
toute.te.s
été informé.e.s au sujet des
événements qui
ont lancé cette discussion (3). Les
étudiant.e.s ont réfléchi et
échangé
respectueusement des idées (4), mais
l'APUO les a ignorer [sic] comme s'il.elle.s n'existaient
pas » (5).
J'ai déjà dit que le texte de
présentation de la pétition était mal
rédigé,
mais ce dernier alinéa dépasse de beaucoup les
limites de
l'inintelligible, accumulant les obscurités et les fautes de
logiques.
(1) Que vient faire l'Association des
professeurs
de l'Université comme sujet de cette phrase ? D'abord,
l'APUO
représente ses membres, négocie leurs conditions de
travail et doit
défendre les intérêts de chacun d'entre eux.
Ensuite, la
formulation de ce sujet donne la fausse impression pour finir que
l'APUO est
l'initiatrice
de la pétition ou la cautionne. Enfin, peu importe le
sujet, car si l'on
peut « appeler au(x) débat(s) et au(x)
dialogue(s) »,
qu'est-ce qu'« appeler aux
événements » ?
Cela n'a aucun sens. Pas plus qu'en anglais d'ailleurs
(« The APUO
calls for events »).
(2) La seconde phrase affirme que tout
le monde,
à l'Université d'Ottawa, est activement engagé
dans le
« domaine » des réseaux sociaux. Cette
phrase est
nécessairement fausse. En plus,
« domaine » devrait
désigner les personnes qui sont impliquées dans la
création et le
développement des réseaux sociaux. Ce n'est
évidemment pas
ce que l'on veut dire, mais bien que « tout le monde est
engagé
sur les réseaux sociaux », ce qui est
évidemment
faux, je le répète. La phrase englobe les
étudiants et les
professeurs de l'Université et y ajoute « les
membres de la
communauté » : de qui s'agit-il ?
(3) Les
« événements qui ont
lancé cette discussion » ? A-t-on
déjà vu
des événements lancer quelque chose ? Et quels
« événements » ? quelle
« discussion » ? Ce dernier alinéa
devrait les désigner clairement. On se croirait devant
une composition
d'élèves du cours secondaire. Il faut comprendre que
les quatre
professeures ont appris sur les réseaux sociaux les
« faits » (sic) qui expliquent qu'elles lancent
cette
« pétition » ou contre
« lesquels » (sic) elles le font. Si vous ne
connaissez rien de
cela, si en particulier vous êtes du Canada anglais, vous ne
pouvez pas
savoir de quoi il s'agit.
(4) Je crois comprendre que, selon
elles, les
étudiants ont
« réfléchi », puis ont
« échangé » sur les
réseaux sociaux et,
tout cela, « respectueusement ». Si la phrase
n'a aucun
sens, elle implique trois affirmations gratuites, aussi bien par
leur
généralité que par leur manque de
pertinence.
(5) Qu'est-ce que l'APUO vient faire
comme sujet
de cette phrase ? Pour ignorer les demandes, les opinions ou
les
idées de qui que ce soit, il faut évidemment qu'elles
nous ait
été adressées. À remarquer que
l'affirmation
d'« ignorer comme si [ces étudiants] n'existaient
pas », s'appliquant à une association de
professeurs, est pour
le moins illogique. Il est tout simplement absurde d'accuser une
telle
association d'ignorer ce qui ne la concerne pas et n'est pas
porté
à sa connaissance. À ce qu'on sache, ces
étudiants ne se
sont pas adressés à l'APUO.
Voilà décortiqué en cinq
points un
alinéa proprement illisible et qu'on ne comprend pas mieux
maintenant,
s'agissant d'un texte de quelques lignes qui n'a aucun sens en
français.
Et, effectivement, les signataires de la pétition ne
pouvaient rien y
comprendre. En revanche, toute personne informée de
l'affaire Verushka
Lieutenant-Duval comprendra ce que les quatre auteures de ce texte
n'ont jamais
voulu dire, à savoir qu'elles sont de parfaites
imbéciles. Car ce
qu'elles nous disent, très clairement, mais sans s'en rendre
compte, c'est
qu'elles ont été informées sur Twitter de
« faits » qu'elles dénoncent et ne
peuvent donc pas
connaître. Durant les 10 ou 15 dernières
années de ma
carrière, j'ai toujours pris le temps d'expliquer comment
utiliser
adéquatement les médias sociaux. Comme je
m'adressais à des
universitaires, je n'avais pas besoin de leur expliquer longuement
que
la pire source
d'information est Twitter, qui fonctionne par envois de masse, par
et pour des
utilisateurs le plus souvent anonymes, qui improvisent n'importe
quoi, surtout
des envois émotifs, sans aucune connaissance ou expertise
sur les sujets
de leurs interventions.
Nos quatre savantes professeures des
Études
sociologiques et anthropologiques à l'Université
d'Ottawa ne savent
pas cela ? Leurs motivations se trouvent sur Twitter
lorsqu'elles
dénoncent à l'aveugle, sans aucune enquête ou
analyse digne
de ce nom, la Lettre ouverte des 34 ? Et de jouer la carte
« Twitter » : « Nous avons
entendu des
témoignages individuels d'étudiant.e.s de même
que suivi sur
Twitter de nombreux fils de discussion d'étudiant.e.s
Noir.e.s ,
Autochtones et de couleur, ainsi que des membres de notre
communauté
élargie qui se sont dit[.e.s] être choqué.e.s
que des
professeur.e.s de l'Université d'Ottawa tentent
d'éluder la
question de la blessure et de l'offense et prétendent qu'il
n'y a pas
encore eu de débat suffisant ». Aucun professeur
le moindrement
intelligent et compétent ne peut faire une telle
affirmation, car il n'y
a là aucun fait objectif, alors que la phrase s'ouvre et se
termine en
rapportant anonymement des propos diffamatoires envers
« des » professeurs de l'Université
d'Ottawa. Si tout
cela vise les 34 professeurs dénoncés par la
pétition, comme
c'est probable, c'est évidemment très
malhonnête.
Bref, Phyllis Rippey, Willow Scobie, Karine
Vanthuyne et
Mireille McLaughlin ont droit à mon plus parfait
mépris.
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19 octobre, message du recteur Jacques
Frémont au
Sénat de l'Université d'Ottawa, publié par le
Cabinet du
recteur, en réaction à ce qui est devenu en moins
d'une semaine
l'« affaire Lieutenant-Duval ». Cette
déclaration donne
implicitement tort à l'enseignante (tandis qu'on apprendra
qu'elle n'a pas
été consultée par le rectorat) et très
explicitement
raison à l'étudiante qui a porté plainte
(assimilée
à tous les étudiants du cours), accusant ainsi tout
aussi
explicitement
Verushka Lieutenant-Duval de racisme. En effet, selon le recteur,
il ne
s'agit pas ici de
liberté d'expression ou de liberté
académique :
« la question est beaucoup plus vaste puisque plusieurs
membres de notre
communauté [sic] considèrent que leur droit à
la
dignité a été atteint »; il annonce
qu'un autre
cours sera offert aux étudiants qui n'auraient pas envie
« d'avoir
encore une fois à se justifier pour que leur droit à
la
dignité soit respecté » ! Et
d'ajouter que
l'enseignante « avait tout à fait le choix, dans
ses propos,
d'utiliser ou non le mot commençant par -n; elle a choisi
de le faire avec
les conséquences que l'on sait »... [9
20 octobre, Isabelle Hachey, « Je suis
prof », la Presse. Comme le recteur Jacques
Frémont n'a
pas cru bon d'obtenir sa version des faits et qu'elle se trouve
condamnée
ipso facto par son dernier message, Verushka
Lieutenant-Duval
s'exprime par la voix de la chroniqueuse, à laquelle, par
ailleurs, le
recteur refuse toute entrevue. Le titre de la chronique est un
clin-d'oeil aux
manifestations en France à la suite de la
décapitation du professeur
Samel Paty, pour avoir présenté en classe les
fameuses caricatures
de Mahomet. « Je suis prof » faisant
écho à
« Je suis Charlie Hebdo ». Bien entendu,
l'enseignante ne
craint pas la décapitation, mais le lynchage intellectuel,
oui, puisqu'elle
doit faire face à un torrent de haine qui déferle sur
les
réseaux sociaux à son endroit. La chroniqueuse nous
apprend que tous
ses étudiants ont été déplacés
d'office, sans
consultation, dans le même cours donné par un autre
professeur. Elle
ne comprend pas l'attitude cruelle du rectorat à son
égard pour un
mot prononcé dans le cadre d'une explication savante et pour
lequel elle
s'est confondue en excuses. [10
22 octobre. Isabelle Hachey,
« Récupérations », la
Presse. La
chroniqueuse présente les trois pétitions, celle
d'étudiants
dénonçant l'enseignante, celle dite des 34 et,
finalement, celle qui
serait signée, croyais-je, par des professeurs de
l'Université qui
exprimaient leur « indignation face à
l'utilisation
par [leurs]
collègues de leur pouvoir et de leur privilège de
contribuer aux
structures de la suprématie blanche ». Dans les
premières éditions de cette chrono-bibliographie, je
disais
regretter beaucoup,
à la lecture de cet extrait, de ne pas avoir trouvé
le texte de ce
qui ne peut être qu'un torchon dû à une
réaction
collective épidermique et... raciste ! Depuis que je
l'ai trouvé (cf. plus haut au 19 octobre), je sais que je ne
pouvais pas mieux dire. [11
23 novembre, nouveau message du recteur Jacques
Frémont
publié par le Cabinet du recteur, « Le recteur
Frémont
annonce un Comité d'action antiracisme et
inclusion ». Le premier
objectif de ce second message est de « corriger les
faits » au
sujet de l'affaire Lieutenant-Duval. Comme on va le voir tout de
suite ci-dessous,
le recteur déforme et contredit les faits en
dénonçant
« une foule d'informations erronées ».
Il
réécrit complètement les
événements vécus
par Verushka Lieutenant-Duval et ses étudiants, tandis qu'il
édulcore
la réaction de l'Université, c'est-à-dire sa
propre attitude
dans cette affaire. Il ajoute même du nouveau, à
savoir que
l'enseignante aurait, selon des participants à son cours
(selon lui !),
proféré des déclarations jugées
menaçantes. Et
il nous apprend que la professeure a été
invité à
suivre « une formation en équité,
diversité et
inclusion » ! Plusieurs passages de la
déclaration du
recteur accusent l'enseignante de racisme et
présentent ses
étudiants comme des victimes, évoquant au passage le
déséquilibre du pouvoir entre les deux parties. Et
c'est dans ce
contexte précis qu'il faut « poser des gestes
immédiats
pour contrer le racisme... ».
Le recteur annonce donc la formation d'un
Comité
consultatif d'action antiracisme et inclusion. Ce sera le
comité
présidé par le juge Michel Bastarache, ce qui sera
annoncé le
30 mars 2021. [12
12 décembre 2020, Isabelle Hachey,
« Des
nouvelles de Verusha », la Presse. La
chroniqueuse se fait encore
une fois la porte-parole de la professeure. Le recteur ne l'a
toujours pas
rencontrée, tandis qu'il refuse toute entrevue.
L'enseignante a donc
logé un grief et son syndicat et ses avocats l'ont
reçu
favorablement; il s'agit de l'Association des professeurs à
temps partiel.
On a lu tous ses courriers électroniques concernant cette
affaire et
visionné les enregistrements Zoom des deux cours
impliqués;
tout cela concorde avec sa version des faits. La
chronique rappelle
qu'une seule étudiante a porté plainte
officiellement, celle qui a
diffusé les coordonnées de l'enseignante sur les
médias sociaux. [13
29 janvier 2021, Isabelle Hachey,
« Les mots tabous,
encore », la Presse. L'histoire s'est
passée le 28
septembre précédent, à l'Université
McGill de
Montréal. Une enseignante, chargée de cours,
enseigne une
introduction au roman québécois. Le premier roman au
programme est
Forestiers et voyageurs (1863) de Joseph-Charles
Taché. En
séance de cours, sur l'internet, une étudiante
s'exclame,
« le mot !, le mot ! ».
L'enseignante (qui a
demandé à garder l'anonymat) ne comprend pas.
« C'est
à la page 99 ! » (édition de poche,
« Compact Classique »). Et l'enseignante de
lire, en effet,
à haute et intelligible voix : en forêt, les
Voyageurs
« ont travaillé comme des
nègres ». Et, en
tentant d'expliquer qu'il s'agit d'une expression historique
convenue dans un livre
folklorique, elle a le malheur de répéter
l'expression. Le vice-recteur
à l'enseignement va lui conseiller de revoir les huit livres
au
programme de son cours, de trouver les mots « à
risque », d'en informer ses étudiants qui pourront
ne pas lire ces
pages, voire... ces livres ! Or, le mot
« Nègre » se
trouve dans les fous de Bassan d'Anne Hébert et dans
l'Hiver de
force de Réjean Ducharme; en plus, le mot
« Sauvage » se trouve un peu partout... La
professeure a
baissé la tête, suivi les consignes du vice-recteur et
s'est
juré de ne plus jamais donner de cours d'introduction
à la
littérature québécoise à McGill.
[14
Isabelle
Hachey revient en
détail sur l'affaire : « Le
clientélisme, c'est
ça », la Presse, 22 février 2021.
La chroniqueuse
a pris contact avec trois étudiants du cours (à la
demande de l'un
deux), dont une jeune Noire qui a porté formellement une des
deux plaintes
contre l'enseignante. Elle a lu la plainte. Elle a
écouté
l'enregistement du cours. Elle n'a rien à changé
à sa
chronique du 29 janvier, sauf à critiquer avec verdeur le
comportement
inacceptable des autorités de l'Université à
l'égard
de l'enseignante. Dans l'analyse des réactions des
étudiants, la
chroniqueuse finit par constater que, pour eux, les faits (qu'ils
dénaturent) n'ont aucune importance : seules leurs
émotions
comptent. Et ils sont sincèrement convaincus du traumatisme
qu'ils ont
vécu. Interrogé sur cette affaire, l'anthropologue du
département de psychiatrie de l'Université, Samuel
Veissiere,
confirme que certains étudiants sont très gravement
atteints par la
mise en présence de ces mots tabous : ces
« étudiants
sont plus fragiles, ils souffrent beaucoup plus de troubles de
santé
mentale » et la surprotection actuelle (censure, espace
idéologiquement protégés, etc.) nuit gravement
à leur
santé psychologique. Il s'agit d'une
génération d'enfants-rois
qui exigent que l'Université cède à tous leurs
caprices,
comme l'ont fait leurs parents. — Et on a le droit de
s'amuser un peu :
dans sa plainte, une étudiante reproche à la
chargée de cours
d'avoir de manière impertinente rappelé le
passé
antisémite de... Céline Dion (il s'agissait de
Louis-Ferdinand
Céline !). Il faut ajouter que les deux
étudiantes qui avaient
porté plainte ont abandonné le cours, après
quelques semaines
seulement, mais il leur a été crédité,
sur la note d'un
petit travail déjà fait ! (en plus de se faire
rembourser le
cours...). [15
Christopher
P. Manfredi,
vice-principal à McGill, « Liberté
universitaire et
équité à l'Université
McGill », la
Presse, 24 février 2021. Le professeur de sciences
politiques prend
vigoureusement la défense de la liberté
d'enseignement universitaire.
On ne saurait la diminuer au nom de la légitime promotion de
l'équité, de la diversité et de l'inclusion.
[16
6 février 2021, Isabelle Hachey,
« Au-delà
du mot qui commence par N », la Presse. Dans le
cadre
de l'affaire Lieutenant-Duval, la journaliste entreprend une
série de quatre
chroniques sur le harcèlement des professeurs et des
chargés de cours par
des « militants ». Elle commence par
l'histoire d'une
chargée de cours de l'Université du Québec
à
Montréal qui a dû se mettre en congé de
maladie, à
l'automne 2018, après deux mois de persécution, par
un
étudiant, avec son petit groupe, qui lui interdisait de
prononcer les
mots... « homme » ou
« femme » dans son
cours d'études féministes, car cela heurtait les
transgenres, comme
lui, qui se disait queer. Le même étudiant avait
déjà
sévi, l'année précédente, dans un autre
cours, portant
celui-là sur l'histoire de l'homosexualité;
l'enseignante
chargée du cours a renoncé, elle aussi, à
enseigner dans le
cadre des études féministes. Dans les deux cas,
l'Université
n'était pas outillée pour faire face à ces
situations et,
avisée, elle n'est pas intervenue, laissant les enseignantes
à elles-mêmes
et le militant militer avec un important déficit cognitif,
incapable de toute discussion rationnelle en regard de ses
dénonciations
maladives (c'est moi qui tire cette conclusion de la chronique
factuelle d'Isabelle
Hachey). [17
—— « Ils ont peur
d'être
annulés », 7 février. Jade Boivin,
enseignante à
temps partiel à l'Université d'Ottawa, vient de
décider de
réorganiser complètement son cours sur le
colonialisme, à la
suite de l'affaire Lieutenant-Duval, de peur d'être
« annulée » (cancel culture). La
même
chose s'est produite pour les cours du professeur de philosophie,
Charles Le Blanc;
même chose encore pour le professeur de... géographie,
Marc Brosseau,
pour son cours intitulé « Espaces sous
tension ». Et
paradoxe, une professeure (qui veut garder l'anonymat) a
été
harcelée sur les réseaux sociaux, avec une plainte
auprès de
l'Université d'Ottawa, pour avoir refusé de traiter
de la question
de... l'homosexualité, jadis condamnés à la
peine de mort.
Bref, il est même interdit de dire qu'on renonce à
parler d'une
question pour ne pas heurter certains étudiants, cela
même les
heurte ! [18
—— « On va
bouger », 8
février. C'est ce qu'annonce la ministre de l'Enseignement
supérieur
du Québec, Danielle McCann. Mais pourra-t-elle
légiférer sur
une question qui concerne les universités, la liberté
universitaire qu'elles ont pour rôle de garantir ?
C'est pourtant le
souhait de la Fédération des professeurs
d'université. Le
recteur de l'Université de Montréal, Daniel Jutras,
n'en voit pas la
nécessité. Lorsque la journaliste lui fait remarquer
que son
université ne s'est jamais exprimé sur la question,
il répond
que ce sera bientôt fait (précisons :
étant donné
la stupeur provoquée au Québec par l'affaire
Lieutenant-Duval à
Ottawa). La bonne
réponse du recteur aurait dû être
plutôt la
suivante : évidemment, madame Hachey,
l'Université de
Montréal n'a pas à donner dans les pétitions
de principes.
Toute université est par définition sujette au poids
de la
liberté d'expression qui est régie, depuis la
Déclaration des
droits de l'homme de 1789, par les tribunaux. C'est le droit de
parole d'un
côté, et l'interdit de la diffamation de l'autre.
L'université, toute université, renchérit sur
ce droit par
celui de la liberté universitaire (cf. Henry
Reichman, bg 13). Et cela ne remonte
pas à
1789, mais au XVIe siècle. Par définition, tout
enseignement
universitaire doit être public, libre de toute
ingérences
extérieures et
de toute coercition, dans les limites de la liberté
d'expression que je
viens de rappeler. Du point de vue de l'enseignement et de la
recherche, les
concepts d'université et de liberté universitaire
sont synonymes.
Et le recteur d'ajouter (si j'étais à sa
place) : je
suis très
heureux d'avoir pu répondre à votre question (qui ne
se pose pas).
[19
—— « La liberté
universitaire en
péril : un recteur dans la tourmente », 9
février.
Le recteur Jacques Frémont accorde pour la première
fois une entrevue
à la journaliste. Une entrevue ? Bien sûr que
non. Il accepte
de répondre ou de rédiger sept réponses
à autant de
questions. Rien ici ne manifeste des échanges dignes d'une
entrevue. La
note finale de la chronique relève de l'ironie :
« les
questions et les réponses ont été
éditées par
souci de concision et de clarté ». Tu
parles ! Le recteur
répète sans aucune nuance les affirmations
inacceptables qu'il a
déjà faites. À mon avis, la chroniqueuse
aurait dû
refuser d'accueillir ses répétitions dans sa
chronique, même
si, évidemment, ces affirmations se ridiculisent
d'elles-mêmes. La
prononciation du mot tabou par Verushka Lieutenant-Duval :
« les
étudiants [sic] étaient insultés »;
« c'est un mot chargé, c'est un mot qui est
blessant, c'est un mot
qui fait mal, et j'espère qu'à l'avenir, les
membres de la
communauté universitaire l'auront compris ».
Ensuite :
« On ne peut pas reprocher à quelqu'un
d'être insulté
par un mot. Cela appartient à chacun d'être
blessé ou
non ». Bref, le recteur milite pour un droit qui
n'existe pas, le droit
de ne pas être blessé par un enseignement, voire un
mot. Et
finalement d'ajouter : « une dimension qu'on oublie
peut-être,
c'est la souffrance authentique de certains étudiants et les
traumatismes
émotionnels véritables, notamment des
étudiants
racisés. Il y a vraiment des gens qui
souffrent ». Et d'ajouter
qu'il s'en trouve parmi les... 34 professeurs qui ont
apporté leur appui
à Verushka Lieutenant-Duval ! Et les étudiants
radicaux ?
« Si, à leur âge, ils ne militent pas pour
la justice
sociale (!), pour mettre fin aux discriminations (!), ils
ne le feront
jamais. Ce sont des
voix légitimes qui ont leur place (!)... ».
Manifestement, dans
l'esprit du recteur, cela caractérise l'étudiante qui
a
dénoncé son enseignante sur les médias
sociaux, en divulgant ses
coordonnées. [20
30 mars 2021, Jacques Frémont, message
annonçant
la création du Comité Bastarache qui examinera
« les
leçons à tirer des incidents récents survenus
chez nous et
ailleurs au Canada ». [21
4 novembre 2021, Michel Bastarache, Rapport
du Comité
sur la liberté académique, 39 p. et annexes.
Le juge
à la retraite a bien rempli sa mission, noyer le poisson, et
réussir
à le faire sans perdre toute crédibilité. Au
4 novembre, nous
sommes à plus d'un an de l'affaire qui s'est produite le 28
septembre 2020
et qui n'est évidemment toujours pas réglée,
puisque le
premier objectif de la création de ce Comité d'action
antiracisme et
inclusion, qui produit ce rapport, était simplement de
gagner du temps. La
lecture du rapport prouve, sans l'ombre d'un doute, qu'il
n'était nul besoin
du comité et de son rapport ! Non seulement ce rapport
n'apprendra
rien à personne, puisque le comité du juge ne fait
que redire ce qui
est connu depuis le XVIe siècle, la nature de la
liberté
universitaire, et son renforcement de la
liberté de
pensées, d'opinions et de paroles, qui ne sera
formulée, elle,
qu'avec la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen
(26 août
1789, bg 5), articles 10 et
11 :
« nul ne doit être inquiété pour ses
opinions,
même religieuses [...]. La libre communication des
pensées et des
opinions est un des droits les plus précieux de
l'homme : tout citoyen
peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à
répondre
de l'abus de cette liberté dans les cas
déterminés par la
loi ». On voit mal ce que le Comité Bastarache
pouvait ajouter
à une jurisprudence plusieurs fois séculaire sur la
question. [22
Il suit que le rapport devait condamner, au
moins
implicitement, le comportement du recteur Jacques Frémont
dans l'affaire
Lieutenant-Duval et c'est bien ce qu'il est forcé de
faire :
« L'Université d'Ottawa a une politique applicable
à ce
titre [soit l'avis du professeur Murtaza Shaikh, décembre
2020], soit le
règlement 121. Elle affirme le devoir de respecter la
liberté
académique et la liberté d'expression, et
l'engagement de ne pas
empêcher l'expression sur des sujets controversés ou
suscitant des
objections, le tout sous réserve des limites imposées
par les lois
du Canada et de l'Ontario » (p. 34).
En revanche, le Comité va se faire un
devoir de
respecter le mandat que lui a confié le
rectorat : noyer
le poisson. L'ouverture de l'abrégé du rapport
explique que la
création du comité fait « suite à
certains
événements ayant causé un important malaise en
ce qui concerne
le respect de la liberté académique à
l'Université
d'Ottawa ». Il s'agit d'une série de
réactions à
un seul et unique « événement »
(amalgamé
à deux autres sans rapport avec la création du
comité), mais
obéissant à la formulation volontairement
« généralisante » du rectorat sur
le
troisième objectif du mandat du comité, qui se lit
comme suit :
« les leçons à tirer des incidents
(pluriel)
survenus à l'Université d'Ottawa et ailleurs au
Canada ». Le Comité a compris qu'il lui
était
impérativement demandé de ne pas étudier
l'affaire Lieutenant-Duval
et le rôle du recteur à cette occasion. Il
l'écrit
d'ailleurs explicitement à son annexe 3,
« Toile de
fond », p. 3 : dans le cas des trois
« incidents » survenus à
l'Université d'Ottawa,
« le Comité ne veut toutefois pas revoir les
conditions dans
lesquelles ils ont été traités ni fournir une
opinion sur le
résultat obtenu » ! Comme on le voit, on
assiste à
la noyade du poisson : le Comité n'étudiera pas
la seule et
unique affaire qui a conduit à sa création !
Bref, voilà un
comité d'étude créé pour ne rien
étudier. Et
il va en conséquence faire beaucoup de travail inutile et
perdre beaucoup
de temps à ne pas le faire, c'est-à-dire
à ne rien
faire, puisque c'est son mandat...
Il faut donc lire ce rapport Bastarache et le
comparer au
rapport Gendron, l'ombudsman de Radio Canada, le 26 octobre 2020
(cb 4), sur la liberté d'expression
journalistique, fort proche
de la liberté universitaire. Mais pour en
(re)venir aux faits, il faudra attendre le rapport de la Commission
Cloutier, en décembre 2021 (bg 2).
5 novembre, Isabelle Hachey, « Pas
d'excuse pour
Verusha », la Presse. Un an après
l'« affaire », la chroniqueuse se demande
simplement s'il ne
serait pas temps... Non, elle ne demande pas des excuses, ce n'est
pas son
rôle (voir l'entrée suivante), mais de connaître
la
version de
l'Université
d'Ottawa sur l'affaire Lieutenant-Duval. Car le recteur de
l'Université,
alors même qu'il dépose le rapport Bastarach, laisse
circuler des
informations totalement fausses qu'il a lui-même
répandues :
« ce qui a été rapporté dans les
médiat ne
reflète pas la réalité. "Ce n'est pas ce qui
s'est
passé" », écrit I. Hachey, rapportant
l'affirmation
du recteur. Mais alors, que s'est-il donc passé ?
demande Verushka
Lieutenant-Duval, qui conserve précieusement les
enregistrement Zoom,
les courriers électroniques et tout ce qui a le moindre
rapport avec
« son » affaire. Manifestement, Verushka
Lieutenant-Duval est
beaucoup moins une victime de quelques militants, puis
d'étudiants qui ont
généralement acceptés ses excuses et sont
aujourd'hui
débordés avec elle par ces événements,
que... de son
recteur. Bref, l'enseignante n'aura pas droit à des
excuses. [23
13 novembre, François Chapleau et 72
autres membres de
l'Université d'Ottawa, lettre ouverte au recteur Jacques
Frémont : « Le temps de la
réconciliation ».
Le recteur aurait dû profiter de la présentation du
rapport Bastarache
le 4 novembre pour s'excuser auprès de Verushka
Lieutenant-Duval; il doit
le faire maintenant, immédiatement, et entreprendre au plus
vite la mise en
oeuvre des recommandations du rapport et non attendre
l'étude du
rapport attendu depuis longtemps. [24
Caroline
Plante,
« Professeure suspendue à l'Université
d'Ottawa : le
recteur doit s'excuser, estiment des employés »,
la Presse,
13 novembre 2021. La publication de la lettre dans le journal
suivra quelques
heures plus tard, avec l'énumération des 73
signataires. [25
9 novembre, anonyme, « Censure,
menaces et exclusion
au Collège de Maisonneuve : quelle liberté
d'expression ? », Journal de la
Société
générale des étudiants du collège de
Maisonneuve. [26
Mayssa Ferah
et Henri
Ouellette-Vézina, « Collège
Maisonneuve : l'emploi
"répété" du "mot commençant par N"
dénoncé », la Presse, 11 novembre.
Les journalistes
ont interviewé les collégiennes mises en cause et
plusieurs
participants du cours. [27
L'incident laisse pantois. Le 15 septembre,
dans son cours
de langue, une enseignante non identifiée lance un
« débat » sur le thème de la
liberté
d'expression, prenant prétexte des affaires Russell et
Lieutenant-Duval,
pour défendre la thèse que « tout doit
pouvoir se dire en
journalisme ». Mais l'enseignante poursuit avec un
exposé sur son
propre droit de dire le mot « nègre » et
le
répète sans cesse. Une collégienne va
demander à deux
reprises qu'on utilise plutôt l'abréviation,
« mot en
N », mais l'enseignante refuse d'écouter sa
seconde intervention,
déclarant, « toi, ça sert à rien de
lever la main,
je ne t'écouterai pas ». L'exposé
étoffé des
faits par le journal étudiant ne laisse aucun doute sur sa
crédibilité, d'ailleurs corroborée par les
deux journalistes de la Presse. Il est clair que
l'enseignante s'est
livrée
à de la pure provocation. Deux étudiantes quittent
la salle de
classe. Or, l'enseignante adresse à tous ses
étudiants le message
que cela n'en restera pas là : elle porte plainte
contre les deux
étudiantes (« éléments
perturbateurs »)
qui ont quitté le cours auprès des « Aides
pédagogiques individuelles » (qui iront
jusqu'à parler de
« comportements agressifs » contre leur
enseignante); et à cela s'ajoutera la confusion des
collégiennes
dénoncées par l'enseignante !
(qui confondra deux Noires de sa classe, mais pas
la
Blanche !)... La direction du collège refuse
d'intervenir :
c'est aux étudiants à régler le
problème dans un
dialogue serein et respectueux avec leur enseignante ! Je
crois qu'à
ce point de la présente chrono-bibliographie, on est en
droit d'être
sidéré par ce comportement surréaliste de
l'enseignante et la
réaction dadaïste de la direction du collège.
26 novembre 2020, Ricardo Lamour porte plainte au Conseil de la
radiodiffusion et des communications canadiennes (CRTC) pour avoir
vu sa plainte rejetée par l'ombudsman de Radio-Canada
sur la citation du titre du livre de Pierre Vallières,
Nègres
blancs d'Amérique, par Simon Jodoin à
l'émission de Radio-Canada « 15-18 »
— voir l'analyse de l'événement en cb 3. L'artiste a été incapable
de comprendre le remarquable rapport de Guy Gendron ? Ricardo
Lamour ne peut pas avoir été affecté pour
mourir à entendre prononcer le titre du livre de Pierre
Vallières, à moins d'être un grave
caractériel qui a vraiment besoin de
« consulter », autrement, ce qui est le plus
probable, il aura tenté de se faire du capital symbolique,
ce qui ne lui réussira pas trop.
31 juin 2022, le CRTC condamne
Radio-Canada, exige des excuses écrites publiques, une
redéfinition de sa politique en la matière, etc.
C'est évidemment le tollé au Québec.
Même le premier ministre, François Legault, en sort de
ses gonds : « "Je pense que c'est le CRTC qui
devrait s'excuser" a lancé le premier ministre en marge
d'une conférence de presse mardi après-midi [5
juillet 2022], sous une pluie d'applaudissements » (le
Journal de Québec). La décision est
accompagnée d'une opinion
minoritaire, celle de Caroline J. Simard (v.-p. Radio-diffusion);
je ne peux pas actuellement identifier les membres de la
décision majoritaire, mais je soupçonne qu'ils sont
majoritairement anglophones. — En fait, je ne
soupçonne plus rien, car j'ai posé la question au
secrétaire général du CRTC, Claude Doucet, le
21 septembre 2022. Le dernier accusé de réception de
ma demande pour connaître les membres du Conseil portait le
numéro officiel 867215. Je ne recevrai jamais de
réponse à ma question, mais la conclusion est
simple : la décision du CRTC contre Radio-Canada a
été prise par une majorité d'anglophones,
autrement, on se serait empressé de me répondre que
tel n'était pas le cas.
Radio-Canada a présenté ses
excuses le 13 juillet, mais a fait appel de la décision, ce
qui est on ne peut plus illogique, voire tout simplement
ridicule : on ne se plie pas à une décision
dont on fait appel ! On apprendra que cette décision
boiteuse est le résultat d'un compromis entre Radio-Canada
et CBC. Ce sont les anglophones de CBC qui ont exigé que
Radio-Canada présente ses excuses, notamment la pdg de
CBC/R.-C., Catherine Tait (Charles-Éric Blais-Poulin,
« Vives tensions entre Radio-Canada et CBC »,
la Presse, 21 septembre 2022). À remarquer que la pdg
milite pour la « diversité » et la
reconnaissance du « racisme
systémique », comme si cela n'était pas
contraire à ses fonctions.
L'appel de Radio-Canada contre le CRTC a
été accepté par la cour d'appel
fédérale, le 12 septembre 2022.
Décembre 2022. Le procureur
général du Canada, qui représente le CRTC
(puisque c'est lui, en vertu des règles judiciaires, qui
doit « représenter » devant la cour
d'appel l'organisme fédéral), déclare que la
Cour d'appel fédérale peut fort bien entendre la
demande de Radio-Canada, si elle le souhaite (!), mais elle devra
annuler la décision du CRTC à l'endroit de
Radio-Canada, car l'organisme a « outrepassé ses
pouvoirs » (Décision du procureur
général du Canada, 13 décembre 2022, Vincent
Larin, « Le CRTC a outrepassé ses pouvoirs
à l'endroit de R.-C., dit le produreur
général », la Presse, 14
décembre, Mario-Girard, « Tout un camouflet pour
le CRTC », la Presse, 15 décembre). Bref,
la CBC de Catherine Tait doit à tous les
Québécois des excuses, car Radio-Canada
n'avait pas à présenter d'excuses pour une
décision du CRTC qui outrepassait ses pouvoirs. Comme nous
avons été très nombreux au Québec
à déplorer cette mise genoux aussi stupide
qu'humiliante, j'espère que C. Tait et la CBC voudront
présenter publiquement et par écrit (sic) leurs
excuses, comme Radio-Canada a cru bon de le faire à
leur demande. Le couperet de la
Cour d'appel fédérale tombera dans un an, le 8 juin
2023.
3 juin 2022. Adoption de la loi 22 sur La liberté
académique dans le milieu universitaire, par
l'Assemblée nationale du Québec. Malheureusement,
les amendements espérés n'ont pas été
apportés au projet de loi. Il n'est pas dit explicitement
qu'une université a le devoir de défendre ses
professeurs et chargés de cours poursuivis en raison de leur
enseignement ou de leur interventions dans le cadre de leur
liberté académique. L'auto-censure perdurera donc.
Nulle part n'est reconnu leur droit de critiquer leur
université. Enfin, on n'y trouve aucun mécanisme
pour gérer ou encadrer les interventions du ministre dans
les politiques des universités sur les libertés
d'enseignement et de recherche.
24 et 31 août 2022. Deux premières séances du
Tribunal d'arbitrage sur les deux griefs déposés par
l'Association des professeurs à temps partiels de
l'Université d'Ottawa au nom de l'ancienne chargée de
cours Nerushka Lieutenant-Duval. Je suppose que c'est pour des
raisons strictement juridiques que Lieutenant-Duval plaide
l'ignorance. Elle ne savait pas qu'à l'Université
d'Ottawa, il lui était strictement interdit d'utiliser le
mot « nègre », dans le cadre d'un
enseignement spécialisé impliquant son utilisation.
Par ailleurs, la direction de l'Université d'Ottawa justifie
de manière ridicule son comportement immoral pour cause de
« circonstances exceptionnelles ». C'est
à cause de la « tempête »
soulevée par son emploi du mot
« nègre » qu'elle a suspendu
temporairement la chargée de cours... sans l'entendre
à ce sujet !
8 juin 2023 : « La Cour d'appel fédérale
annule la décision du CRTC
blâmant Radio-Canada », Mélanie Marquis,
la Presse, 9 juin. Le juge en chef Marc Noël se moque
du CRTC : non seulement le Conseil a outrepassé
scandaleusement ses compétences, mais il est évident
qu'il n'a pas tenu compte de la liberté d'expression
garantie par la Charte. Et le juge de s'amuser des excuses !
— Les excuses de Catherine Tait et de la CBC sont
impatiemment attendues. Viendront-elles ? Pensez-
vous !
TdM —
TGdM
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