Les interventions du redoutable polémiste (nous le sommes tous) restent généralement sans réplique, malheureusement, ses victimes n'éprouvant pas le besoin qu'on mesure davantage la justesse de la critique et c'est bien dommage, cela nous permettrait de rire encore un peu, car si le polémiste est intervenu, c'est évidemment parce que ce n'était pas drôle du tout. La formule : polémique = réplique (pamphlétaire (sans réplique)).
L'éléphant de porcelaine L'arpenteuse du racisme La brouillonnologue de la CGMM Notre critique et sa poésie
Les fulminations de Dominique Deslandres, de René Latourelle et de Robert Toupin contre le « Mythe contemporain Laflèche »

Polémiques II

Guy Laflèche,
Université de Montréal

 

Encore l'édition critique
(des écrits de la Nouvelle-France)
Répliques à Réal Ouellet et Normand Doiron

Table

Les délateurs du critique

      « LES MICMACS DE LA BIBLIOTHÈQUE DU NOUVEAU MONDE ». Ainsi s'intitulait ma chronique de Recherches Amérindiennes au Québec en janvier 2001 (RAQ, vol. 31, no 2, p. 96-101). En belles majuscules, mon titre était on ne peut plus ambigu, s'agissant tout aussi bien des Micmacs, les Amérindiens de la Gaspésie et de l'Acadie, que des « micmacs » de la célèbre collection des Presses de l'Université de Montréal qui publiait coup sur coup deux éditions critiques faisant la preuve que les choses ne s'arrangent pas depuis la parution du premier volume de mes Polémiques où je consacrais tout un chapitre aux intentions critiques de Réal Ouellet sur Maria Chapdelaine et faisais l'analyse critique de la collection technocratique financée par des fonds publics, sous prétexte de prétendues recherches (« Édition critique », chapitre 3 de Polémiques, Laval, Singulier, 1992, p. 73-175).

      Réal Ouellet, le premier visé par ma critique de ces travaux extravagants, n'a encore et toujours rien compris.

      En tout cas, il est clair qu'on ne saurait prétendre faire l'édition critique d'un livre portant essentiellement sur les Micmacs en ignorant tout des travaux d'ethnologie historique sur eux ou encore en se contentant de plagier un mémoire de maîtrise à ce sujet pour faire le savant. De ce point de vue en tout cas, voici deux très mauvaises éditions critiques, la première de la Nouvelle Relation de la Gaspésie de Chrestien Leclercq par Réal Ouellet et la seconde de la Relation du voyage de Port Royal de l'Acadie de Marin Dières par Normand Doiron.

      Mon objectif n'était pas de faire un compte rendu critique des deux éditions (ce serait un joli massacre ! évidemment), mais de montrer qu'on ne saurait réaliser une édition critique sans faire d'abord l'étude de la genèse de l'oeuvre que l'on veut éditer, puis la recherche et l'étude de ses sources. C'est la moindre des choses. Et sur ces mauvaises éditions des livres de Chrestien Leclercq et de Marin Dières, je pouvais illustrer combien ces études de genèse et de critique des sources, nécessaires à l'édition critique, étaient également une méthode préalable tout aussi nécessaire à l'analyse des documents anthropologiques. Et c'est bien le sujet de ma chronique à RAQ : l'analyse littéraire des documents ethno-anthropologiques, titre-manifeste de ma première chronique (RAQ, vol. 29, no 3, p. 109-112).

      Un document ethnologique ne saurait non plus être apprécié à sa juste valeur (et à plus forte raison édité de manière critique) sans que son auteur soit précisément situé. Un ecclésiastique des seigneurs d'Acadie, même s'il a pu fréquenter les Micmacs à plusieurs reprises au cours d'une dizaine d'années, n'a absolument rien à voir avec les « missionnaires » jésuites; à plus forte raison, un poète et lettré de province qui vient passer un hiver en Acadie pour tenter d'y réaliser une entreprise commerciale ne peut nous rapporter que le « folklore » des Micmacs vus par Dières à travers les yeux des Français d'Acadie. Il faut en être conscient pour avoir quelque chance d'apprécier correctement l'ouvrage que l'on se propose d'éditer.

      Normand Doiron et Réal Ouellet trouvent ma chronique épouvantablement mauvaise, ce que n'importe quel lecteur pouvait évidemment deviner. Étant donné les exemples précis que je donne tout au long de mon analyse, il doit apparaître assez clairement qu'il est difficile que j'aie tort. Cela dit, Doiron et Ouellet ont tout à fait le droit de répliquer : Recherches Amérindiennes au Québec se fera un plaisir de publier leur réplique. Au lieu de cela, l'un et l'autre ont choisi de se plaindre de ma chronique à la direction de la revue, confidentiellement, si je puis dire. Dès que j'ai eu en main la « réplique » de Réal Ouellet en mai 2001, alors qu'elle aurait dû paraître dans le numéro suivant, comme on l'a d'abord cru, je me suis immédiatement mis à la rédaction de ma réaction. Erreur. Réal Ouellet ne voulait pas répliquer, ce qu'on a mis du temps à comprendre, il voulait me dénoncer, ce qui n'est pas la même chose.

      Je peux me tromper, mais je crois que c'est précisément ce que l'on appelle de la délation. Or, la délation, me semble-t-il, est le pire crime auquel peut se livrer un intellectuel. Car de deux choses l'une : ou bien on accepte la critique, ou bien on y réplique. On peut évidemment écrire à l'auteur pour lui présenter son point de vue ou même pour protester. Mais absolument jamais,  j-a-m-a-i-s  dans aucun cas, un honnête homme ne saurait écrire à des tiers et en particulier au directeur d'une revue, au comité de rédaction d'une revue ou encore à des membres d'un comité de rédaction d'une revue pour dénoncer une critique sur son travail. Or, non seulement Réal Ouellet, mais également Normand Doiron s'est ainsi livré à ce qui semble bien être la délation. Et s'y mettant à deux, on peut y voir un bel ensemble !

      Par définition toutes les oeuvres d'un intellectuel sont soumises librement à la critique. On ne saurait s'en dérober de quelque manière que ce soit, surtout pas en la dénonçant en privé, en secret, aux autorités. On n'a pas le droit de faire cela. C'est indigne et de son travail et de sa fonction.

      Voilà ce que dénonce la présente publication.

      __gl>-

      Guy Laflèche,
      13 octobre 2002

Lettre de Réal Ouellet

9 mai 2001

Recherches Amérindiennes au Québec

Monsieur le directeur et cher collègue,

J'ai lu avec stupéfaction le compte rendu que Guy Laflèche a publié de l'édition de Leclercq, Nouvelle Relation de la Gaspésie, parue aux PUM sous ma direction. Qu'une revue sérieuse comme la vôtre fasse paraître un article aussi injuste, hargneux et méprisant dépasse l'entendement. Et je ne puis croire qu'il a été « évalué par trois chercheurs qui ignorent le nom de l'auteur de l'article ».

1- Cette évaluation globale, définitive et essentiellement dénigrante, de ce livre s'accompagne d'un procès d'intention qui aurait dû mettre la puce à l'oreille des animateurs de Recherches amérindiennes : « Cette conception technocratique de l'édition critique, quoique anachronique, n'est pas moins propre à séduire les fonctionnaires gérant les programmes de subventions. Pour la rentabilité des recherches, calculée en pages imprimées, il est évidemment avantageux de pouvoir remplacer l'analyse par la compilation. Ainsi, chaque volume de la collection [« Bibliothèque du Nouveau Monde »], souvent en plusieurs tomes, exploite à bon compte la confiance des lecteurs par son épaisseur ». Ce procès d'intention est d'autant plus incompréhensible que (1) G. Laflèche a demandé et obtenu des subventions, qu'il a publié quatre ou cinq volumes sur les seuls « Martyrs canadiens »; (2) qu'il donne des armes à ceux qui soutiennent que les organismes subventionnaires en lettres et sciences humaines gaspillent les fonds publics (alors qu'en réalité ce secteur est sous-financé).

2. Mais venons à l'essentiel. G. Laflèche prétend nous donner une leçon sur l'édition critique moderne. Quand il affirme que l'étude des sources est absolument nécessaire, de même que l'utilisation de « nos techniques modernes d'analyse textuelle », on ne peut qu'être d'accord avec lui, et l'annotation du Leclercq le montre amplement. Mais quand il ne mentionne pas que la première tâche d'un « éditeur » est de procurer un texte authentique correctement établi, tel que l'a voulu son auteur, on se dit qu'il oublie une chose essentielle. De même, il ne dit pas explicitement que l'« éditeur » doit rendre ce texte lisible aujourd'hui, c'est-à-dire que l'« éditeur » doit élucider mille questions de langue (« penser » au XVIIe siècle signifiait souvent « faillir », « venir près de »), d'histoire (qui était la « Princesse d'Épinoy » ?), d'ethnographie (est-il exact que les Micmacs « font avaler de l'huile d'ours ou de loup marin » aux enfants naissants ?), d'intertextualité (telle phase attribuée à saint Paul est-elle exacte ? la référence à Pline vient-elle directement de lui ou par l'intermédiaire de Lescarbot ?), etc. Donc, avant d'interpréter quoi que ce soit, il faut se livrer à un travail textologique long et méticuleux qui a été accompli pour Leclercq. Il ne s'agissait donc pas pour nous « d'étaler d'impressionnants fichiers », mais de donner aux lecteurs les nombreuses informations dont il a besoin pour bien saisir un texte assez complexe.

3. Voyons d'abord l'introduction, contre laquelle G. Laflèche en a particulièrement. Il affirme péremptoirement que les dix pages sur l'ethnographie des Micmacs est un plagiat, et que les 128 autres pages ne sont qu'un ramassis maladroitement constitué avec « des fragments de manuels d'histoire de la Nouvelle-France, des bouts d'anthropologie des Micmacs et quelques aperçus d'histoire ou d'apostolat des récollets ». Et il ajoute : « Rien de tout cela n'est au service du texte qui ne donne lieu à aucune relecture depuis l'édition critique (véritable celle-là) de William F. Ganong (1910) ». Tout cela est manifestement faux.

3.1 Il n'y a pas dans l'introduction de « fragments de manuels d'histoire de la Nouvelle-France » : les p. 15 à 85, rédigées dans leur plus grande partie par P. Dubé, sont fondées essentiellement sur des documents d'archives, comme le signalent les 277 notes infrapaginales.

3.2 Les « quelques aperçus d'histoire ou d'apostolat des récollets », rédigés par P.-A. Dubois, sont aussi un travail original fondé sur des textes publiés comme les Relations des jésuites, mais aussi, largement, sur des pièces d'archives.

3.3 La section « Leclercq écrivain » (p. 107-138), rédigée par R. Ouellet et M. Parent, tente de dégager l'originalité de Leclercq à travers ses emprunts, sa manière de raconter et de décrire, sa dramatisation de la matière narrative ou encyclopédique, ce qui constitue bien une relecture de l'oeuvre.

3.4 G. Laflèche m'accuse d'avoir plagié dans l'introduction (p. 86-96) l'étude bien connue de Passchier, alors que l'auteur de ces dix pages, Jean Tanguay, montre bien par ses références, qu'il lui a beaucoup emprunté. Il ne s'agit donc en rien d'un plagiat, qui est l'acte de s'attribuer à soi-même un texte d'autrui.

4. Plusieurs petits reproches disséminés ici et là peuvent laisser croire que G. Laflèche a raison de dénoncer le gros et le détail de cette édition.

4.1 Le lecteur ne trouverait pas facilement la « synthèse » sur le castor de Fr.-M. Gagnon signalée dans la note 11 de la p. 532. En réalité, tout lecteur normalement constitué ira soit à la table des matières au ch. 2 sur la chasse, soit à l'index, où il trouvera, à la sous-catégorie « castor », les p. 531-538 en caractères gras.

4.2 Accusant les responsables de l'édition de gonfler leur livre avec un fatras sans queue ni tête, G. Laflèche en voit un signe flagrant dans ce qu'il appelle « les index ». G. Laflèche parle à travers son chapeau, car, s'il avait seulement lu le livre, il aurait vu qu'il n'y a pas deux index, mais un seul, regroupant les noms propres et un certain nombres de réalités qui auraient pu être regroupées dans un index thématique. Toutes ses critiques sur le fait que des réalités comme la faune, la flore, la guerre, etc. prennent bizarrement place dans un index onomastique n'ont donc aucun sens.

4.3 « On se retrouve ainsi avec une sorte d'encyclopédie où les informations sur les Amérindiens et la Nouvelle-France, voire les entrées du Petit Larousse, prennent place de manière tout à fait hallucinante, dans l'ordre narratif [...] ». Il n'y a aucune entrée du Petit Larousse dans le Leclercq. S'il est vrai que l'édition peut se comparer à une encyclopédie par la masse informative de l'appareil critique, la disposition « dans l'ordre narratif » allait de soi, puisque, dans n'importe quelle édition sérieuse, l'annotation suit pas à pas le texte édité.

4.4 « Et nos éditeurs d'aligner les citations de Lescarbot, Lejeune, Sagard, Lahontan et Denys, sans compter Leclercq et Dières [Diéreville], lorsqu'ils ne remontent pas au déluge, ou peu après, au compilateur grec Élian ! [...] ce qui est à mourir de rire. » Si G. Laflèche avait lu le livre dont il prétend rendre compte, il aurait vu, justement, que Leclercq remonte au déluge (p. 228) et même à Baltazar (p. 211); s'il ne cite pas nommément Élian, il nomme Clément d'Alexandrie, Épicure, Pline et Pytagore. Quant aux citations de Lescarbot, Lejeune, Sagard et Denys, elles s'imposaient, puisque Leclercq leur emprunte largement.

5. On attend d'un compte rendu qu'il décrive d'abord le livre qu'il prétend recenser. Or, G. Laflèche ne décrit jamais le contenu du Leclercq. Il ne dit pas qu'outre le long texte de Leclercq longuement annoté, l'ouvrage contient une ample introduction, une chronologie de 38 pages, deux appendices (l'un constitué de notices biographiques, l'autre d'extraits de correspondance d'archives), un glossaire et une longue bibliographie, dont une partie décrit matériellement les éditions de Leclercq.

6. Qu'après cela G. Laflèche affirme que R. Ouellet écrit aussi mal que Leclercq, ou ne connaît pas le livre de Gagnon sur le castor (alors qu'il l'a publié dans la collection qu'il dirige chez Septentrion), on voit bien qu'il ne rédige pas un compte rendu critique mais un libelle diffamatoire inspiré par autre chose qu'une démarche intellectuelle juste et méticuleuse. Et ce n'est pas seulement R. Ouellet qui est vilipendé, mais les autres collaborateurs : Bécard, Caissie, Dubé, Dubois, Laberge, Paquet, Parent, Tanguay. C'est aussi toute la « savante collection » « Bibliothèque du Nouveau Monde », dont la « prétention encyclopédique » est « anachronique » et intéressée, selon lui : donc plus de trente éditions critiques regroupant au moins une centaine de chercheurs. On mesure la démesure de l'attaque.

7. J'aimerais terminer sur une note personnelle. G. Laflèche affirme qu'il faut « s'opposer énergiquement à la publication de ces travaux d'équipe » parce qu'ils sont médiocres. Je pense plutôt que, tout en poursuivant des recherches individuelles, nous devons constituer des équipes fortes. Pour deux raisons pricipales : (1) nos recherches en lettres et sciences humaines (tout particulièrement la préparation d'éditions complexes comme celle de plusieurs textes de la Nouvelle-France) sollicitent un travail interdisciplinaire dans plusieurs domaines : textologie, histoire, langues amérindiennes, ethnohistoire, géographie historique, etc. (2) pour donner un encadrement pédagogique solide à des étudiants de 2e et de 3e cycles qui se trouvent à travailler dans une espèce de laboratoire.

Ce travail en équipe, pour être gratifiant et efficace, exige l'esprit critique mais bannit évidemment le mépris du travail d'autrui. C'est cet esprit d'équipe qui a amené certains d'entre nous à mettre sur pied des regroupements et à tenter de créer un climat de solidarité et d'entraide par des rencontres, des échanges de documentation, diverses formes d'aide à la publication et à la diffusion, etc.

Voilà, Monsieur le Directeur, la réaction qui me vient à la lecture de ces pages remplies de jugements à l'emporte-pièce sans fondement. Je vous prie d'agréer l'expression de mes sentiments les meilleurs.

Réal Ouellet
Célat, Université Laval, Québec, G1K 7P4
Courriel : Real.Ouellet@arul.ulaval.ca

Réplique de Guy Laflèche à Réal Ouellet

La théorie et la pratique
dans l'art de l'édition critique

Guy Laflèche
Département des études françaises
Université de Montréal

      Qualité essentielle de la porte, c'est également la vertu qu'on doit souhaiter à tout enseignant : l'art de ne pas sortir de ses gonds. Vous faites un exposé qui vous paraît clair, mais vous trouvez toujours des auditeurs ou des lecteurs qui n'ont pas compris. C'est normal et cela peut se présenter à divers degrés. On peut ne pas avoir compris un point particulier qui a été exposé trop sommairement, voire incorrectement. Mais il s'en trouve toujours qui n'ont pas compris l'essentiel, voire qui n'ont absolument rien compris. On en perd facilement patience, particulièrement s'il devient évident que le mauvais étudiant ne comprend même pas qu'il ne comprend rien.

      Prenons un bon exemple. Vous faites l'analyse du traitement des Micmacs dans deux éditions critiques récentes, celle en particulier de la Nouvelle Relation de la Gaspésie de Chrestien Leclercq par Réal Ouellet. Vous proposez même un exercice pratique pour montrer que l'analyse de la genèse et la critique de sources n'ont pas été faites, tellement que sur ce point, l'anthropologie des Micmacs, on en arriverait purement et simplement au plagiat ou à la réécriture désordonnée de fragments d'un mémoire de maîtrise, réalisé il y a dix ans déjà. Le sujet de votre chronique, c'est donc le traitement des Micmacs dans l'édition critique en question : « LES MICMACS DE LA BIBLIOTHÈQUE DU NOUVEAU MONDE ». Et voilà qu'on réplique en vous demandant un compte rendu de l'édition critique de la relation de Leclercq, un exposé sur les objectifs de l'édition critique et même d'envisager que votre chronique puisse nuire à la subvention de l'édition critique dans ce secteur déjà « sous-financé » des travaux en « lettres et sciences humaines ». Édition critique, édition critique, édition critique ! Vous n'avez pas fait de compte rendu, vous n'avez pas traité des objectifs de l'édition critique et encore moins des politiques de subvention à ce sujet... Vous avez, bien entendu, deux bras à ramasser pour prendre votre courage à deux mains et répondre à une telle critique. Avec le sourire, en plus.

      Et ce sera long, car il faut bien entendu commencer par corriger les erreurs de faits, ce qui est inhabituel. En effet, lorsqu'on répond à la critique d'un spécialiste, on le fait brièvement en venant tout de suite au coeur du débat. Avec la réplique de Réal Ouellet, c'est absolument impossible, d'abord parce qu'il ne traite nulle part des questions que j'ai étudiées et ensuite parce que je ne suis nullement responsable des fautes et des inexactitudes graves qui défigurent complètement ma dernière chronique. Commettre une erreur, c'est vite fait; la corriger, c'est bien plus long.

1. François-Marc Gagnon

      Un exemple très simple, pour commencer. Réal Ouellet écrit : « G. Laflèche affirme que R. Ouellet [...] ne connaît pas le livre de Gagnon sur le castor (alors qu'il l'a publié dans la collection qu'il dirige chez Septentrion) ». La conclusion de mon exposé sur le castor, qui porte sur deux livres, est celle-ci : « Et la preuve en est que lorsque cette analyse est déjà faite [par F.-M. Gagnon], nos éditeurs ne la connaissent pas [le cas du second livre dont je parle] ou ne savent pas l'utiliser [le cas de Réal Ouellet] ! » (p. 97c). Réal Ouellet, dira-t-on, a mal compris. C'est absolument impossible, on va le voir. D'abord, j'ai justement expliqué qu'il était bien difficile de trouver où le livre de Gagnon était utilisé dans son édition, en précisant qu'on le trouvait dans deux notes et en donnant leur référence ! « En tout cas, pour en revenir au castor, ce serait bien surprenant que le lecteur [du livre de Réal Ouellet] trouve facilement l'essentiel, soit la synthèse sur cette question par François-Marc Gagnon (Gagnon 1994), puisque cela se réduit à deux déclarations bibliographiques (p. 532, n. 11, et 534, n. 16)  » (p. 97c). Bref, on le voit, Réal Ouellet connaît le livre de Gagnon, son édition en donne même les « références bibliographiques » dans deux notes. Ensuite, et c'est le comble, Réal Ouellet lui-même reprend l'exemple que j'ai donné (au point 4.1) pour tenter de me contredire. Selon moi, écrit-il « le lecteur ne trouverait pas facilement la « synthèse » sur le castor de Fr.-M. Gagnon signalée dans la note 11 de la p. 532... ». Alors, comment expliquer qu'on puisse me faire dire que Ouellet ne connaît pas le livre de Gagnon si en même temps on dit que j'ai tort d'affirmer qu'on trouvera bien difficilement où il l'a cité à l'aide de l'index et de ses sous-index ?

      Encore un travail d'équipe ! Cet exemple montre qu'on s'est mis à plusieurs pour rédiger cette réplique, puisque c'est la seule façon d'expliquer une contradiction aussi flagrante. Or, il y en a au moins un dans l'équipe qui ne sait pas lire, celui qui me fait dire que Réal Ouellet ne connaît pas le livre de Gagnon qu'il a lui-même publié. Cela paraît tellement incroyable, qu'on peut se demander s'il n'a pas fait exprès de comprendre de travers la première phrase que j'ai citée pour faire magistralement la preuve du contraire. Quoi qu'il en soit, le résultat net est de m'attribuer une erreur que je n'ai jamais commise. Ce travail d'équipe a du moins l'avantage d'être fort instructif, puisqu'il explique à la fois la piètre qualité de la réplique de Réal Ouellet à ma chronique et qu'il illustre de lui-même une des conclusions de mon analyse, à savoir que l'on doive s'opposer à la publication de prétendus « travaux d'équipe » qui ne sont pas des travaux de recherche et remplacent l'analyse par la simple compilation, ce qui n'a rien de formateur pour des étudiants.

2. Le déluge et ses prophètes

      Voici un second exemple, aussi important qu'amusant, qui illustre encore ce problème.

      Décrivant son annotation du texte de Leclercq sur le castor, toujours lui, j'ai écrit que Réal Ouellet citait à ce sujet des sources et des textes contemporains, lorsqu'il ne « remont(ait) pas au déluge, ou peu après, au compilateur grec Élian ! (Ouellet 1999 : 533, note 15) » (p. 97c). Non seulement l'éditeur prend sans rire l'expression au premier degré, mais il se met en frais de faire la preuve qu'il était tout à fait légitime de parler du déluge, puisque Leclercq en parle lui-même dans sa relation ! « Si G. Laflèche avait lu le livre dont il prétend rendre compte [comme c'est gentil...], il aurait vu, justement, que Leclercq remonte au déluge (p. 228) et même à Baltazar (p. 211); s'il ne cite pas nommément Élian, il nomme Clément d'Alexandrie, Épicure, Pline et Pytagore » ! Leclercq parle du déluge au début de son deuxième chapitre, mais moi, j'en suis (dans ma lecture !) au chapitre 18 et à ses notes sur le castor.

      Le moins que l'on puisse dire est que la réplique ignore complètement l'autocritique, probablement parce qu'elle ne voit pas l'importance de la critique : alors que ma question portait sur l'étalement gratuit d'informations qui ne servent nullement à la compréhension ou à l'évaluation de l'exposé de Leclercq sur le castor, Réal Ouellet s'inquiète du nombre de notes, sans s'occuper de savoir ce qu'on y trouve, pour justifier l'épaisseur de son livre. Et on a droit en effet à de magnifiques recoupements d'informations sans analyse sur le déluge et ses prophètes dans cette édition.

3. Un index et ses sous-index

      Je n'aurais pas vu, paraît-il, que l'ouvrage de Réal Ouellet n'a qu'un index et j'en aurais même compté deux, voire plusieurs, ce qui est faux. En revanche, j'ai justement fait la critique de l'inefficacité de son index et de ses sous-index. Là-dessus, la réplique donne une justification vraiment incompréhensible (sur la « bizarrerie » justifiée d'un index thématique dans un index onomastique !), alors que la question me paraît essentielle dans un ouvrage qui se présente finalement comme une encyclopédie.

      Je ne vois pas, par exemple, pour y revenir, comment le recoupement d'informations sur le déluge pourrait être le moindrement utile au lecteur de Leclercq; en revanche, le spécialiste ne trouvera pas facilement la note de la page 228 de l'ouvrage. Ainsi se pose la question de l'index. Cela dit, lorsqu'il l'aura trouvée, ce sera pour constater comme moi que ce sont là des fiches de travail.

4. Amalgames appréhendés

      Réal Ouellet est de ceux qui mettent de l'avant leur collaborateurs. Il fait même appel aux trente auteurs qui ont publié dans la même collection que lui, ce qui donne cent ouvrages, prévient-il, alors que ma chronique implique nommément deux auteurs et en particulier les ouvrages de Réal Ouellet dans la collection « Bibliothèque du Nouveau Monde ». En bonne logique, avant de prétendre qu'une généralisation est abusive, on commence par étudier les exemples sur lesquels elle est fondée. Il s'agit ici des éditions critiques de Réal Ouellet. Et la généralisation que j'ai faite s'applique modestement aux ouvrages comparables de la collection sur les écrits de la Nouvelle-France.

5. Le Petit Larousse

      « Il n'y a aucune entrée du Petit Larousse dans le Leclercq ». Encore une expression prise au pied de la lettre, s'agissant de désigner des notes inutiles consignant des informations archi-connues. Ensuite, dans le cas du Leclercq, c'est différent (on n'a pas le temps de tout expliquer dans une brève chronique), mais bien plus prétentieusement encyclopédique, puisque une bonne partie des notes accumulent en fait des informations sans rapport direct et essentiel avec le texte. C'est en particulier le cas de la « déclaration bibliographique », accumulations de références inutiles au lecteurs et que les spécialistes ont déjà dans leurs fichiers. Fin de la note sur le déluge : « Sur les traditions diluviennes dans les mythes cosmogoniques amérindiens, voir D. G. Brinton, Myths of the New World, p. 215-217; S. D. Gill et I. F. Sullivan, « Flood(s) », dans Dictionary of Native American Mythology, p. 92; A. Hultkrantz, Les Religions des Indiens primitifs de l'Amérique, p. 34 ». C'est ce qu'on trouve dans plus d'une note sur trois et généralement plusieurs fois dans ces notes.

6. Fragments de manuel d'histoire

      Réal Ouellet me fait dire que son introduction est « un ramassis maladroitement constitué AVEC » des fragments de manuel, ce qui est faux. Ensuite, c'est la troisième expression prise au pied de la lettre : « Il n'y a pas dans l'introduction, se défend-il, de « fragments de manuels d'histoire de la Nouvelle-France » : les p. 15 à 85, rédigées dans leur plus grande partie par P. Dubé, sont fondées essentiellement sur des documents d'archives, comme le signalent les 277 notes infrapaginales ». Si je devais rendre compte de ces soixante-dix pages, je devrais être bien sévère, puisque ce sont précisément d'inutiles « fragments de manuels d'histoire ». Il s'agit de présenter l'ouvrage de Leclercq paru en 1691 : p. 15, découverte de l'Amérique (cf. Petit Larousse); p. 16, Jacques Cartier à Montréal (cf. Petit Larousse); p. 17, Samuel de Champlain à Tadoussac (cf. Petit Larousse), p. 18, Argall ravage l'Acadie (cf. Petit Larousse)... p. 37 (trente-sept, oui !) entrée en scène du bon père Leclercq. Or, je dois le répéter, ces soixante-dix pages d'histoire ne sont nullement au service du livre de Leclercq, d'une part parce que n'importe quel manuel d'histoire ferait mieux l'affaire pour situer le texte et son auteur et d'autre part parce que ces pages n'apportent absolument aucun éclairage nouveau sur la relation de l'ecclésiastique. D'ailleurs, son auteur ne saurait pas faire la différence entre un aumônier des seigneurs d'Acadie et un missionnaire, comme le sont les jésuites contemporains.

7. Des critiques ne sont pas des insultes

      « G. Laflèche affirme que R. Ouellet écrit aussi mal que Leclercq », écrit Ouellet dans sa réplique. Non seulement je n'ai jamais proféré cette insulte, mais ma critique était bien plus grave : « Malheureusement, il [Leclercq !] sait si peu écrire qu'il doit s'aider (comme son éditeur de la « Bibliothèque du Nouveau Monde » aujourd'hui !) de textes qu'il copie ici et là, essentiellement chez Sagard, Lescarbot et Lejeune » (p. 99c). Je n'ai jamais écrit non plus que les travaux d'équipes ni même ceux de Réal Ouellet étaient « médiocres », ma critique était là encore bien plus grave, comme on le voit encore ici. Enfin et surtout, je n'ai jamais écrit que l'édition du Leclercq était un « fatras sans queue ni tête ». Mais je commence à être franchement très inquiet : est-ce que Réal Ouellet prétendrait lire dans mes pensées ?

8. Les insultes ne sont pas des critiques

      Réal Ouellet écrit deux fois plutôt qu'une que je n'ai pas lu l'oeuvre de Chrestien Leclercq et son édition. À son avis, le texte de ma chronique serait « injuste, hargneux et méprisant », mon évaluation serait « globale, définitive et essentiellement dénigrante », il s'agirait d'un « procès d'intention » (dit-il deux fois), j'aurais rédigé un « libelle diffamatoire inspiré par autre chose qu'une démarche intellectuelle juste et méticuleuses », sans compter mon éventuel « mépris du travail d'autrui » et mes « jugements à l'emporte-pièce sans fondement », sans compter non plus que je « parle à travers (mon) chapeau ».

      Nulle part dans ma chronique je n'ai donné dans l'insulte. Je m'en suis tenu à la critique, en exposant des faits et en posant des questions. On remarquera que Réal Ouellet ne me signale aucune faute ou erreur de fait, tandis que sa réplique en comprend plusieurs qui me seraient gravement préjudiciables si je ne pouvais les corriger ici aussitôt. Mais ce que l'on aura surtout remarqué, c'est que sa réplique laisse dans l'ombre toutes les questions précises et importantes que j'ai soulevées.

Le plagiat

      L'accusation de plagiat est tellement grave qu'on ne saurait la porter à la légère et qu'on doit traiter toute apparence de plagiat avec la plus grande attention. La réplique de Réal Ouellet sur ce point tient en quelques lignes d'une désinvolture désarmante. Il vaut la peine de les citer : « G. Laflèche m'accuse d'avoir plagié dans l'introduction (p. 86-96) l'étude bien connue de Passchier, alors que l'auteur de ces dix pages, Jean Tanguay, montre bien par ses références, qu'il lui a beaucoup emprunté. Il ne s'agit donc en rien d'un plagiat, qui est l'acte de s'attribuer à soi-même un texte d'autrui ». La question est fort simple : une section de l'introduction de l'ouvrage paru dans la collection « Bibliothèque du Nouveau Monde » sous la direction de Réal Ouellet est une mauvaise copie sur l'anthropologie des Micmacs presque entièrement sortie du mémoire de maîtrise de Françoise Passchier réalisé il y a dix ans et publié en 1985. Texte à l'appui, j'ai montré, dans ma chronique, que des fragments du livre de Passchier étaient repris mot pour mot, sans guillemets ni référence et d'autres réécrits. Je le demande encore : n'y a-t-il pas là apparence de plagiat ? On s'attendrait à ce que le responsable de la publication étudie sérieusement la question, dès que le cas lui est signalé, qu'il prenne conseil auprès de spécialistes qui se prononceront formellement et de personnes en autorité (comité d'édition, directeurs de publication, etc.), avant d'innocenter ou au contraire de sanctionner le responsable de la section qu'il désigne et qu'il a dirigé. Autrement, on pourrait voir là une très grave collusion dans un éventuel délit intellectuel, puisque l'ouvrage paraît sous le nom du directeur, responsable de la publication et en particulier de la section sur les Micmacs. Sans compter que c'est précisément sur cette question que j'ai mis en cause l'intérêt de publier des travaux d'équipe qui peuvent donner de tels résultats. Chose certaine, on pouvait s'attendre à ce que ce soit le sujet de la réplique de Réal Ouellet, tant la question est importante du point de vue de son livre.

L'ethnologie historique des Micmacs

      De mon point de vue, la question du plagiat appréhendé est secondaire, puisqu'elle découle entièrement de la mauvaise évaluation de la valeur anthropologique de la relation de Chrestien Leclercq. C'était le sujet de ma chronique. D'un côté le « travail interdisciplinaire » a été incapable de produire l'encadrement nécessaire à l'étude anthropologique du texte en regard de ses utilisations dans les travaux sur les Micmacs jusqu'ici et d'un autre côté on n'a pas correctement situé le document en regard des autres sources et documents sur les Amérindiens d'Acadie.

L'étude des sources

      Il en est de même des études littéraires. Réal Ouellet déclare que son équipe s'est livré à « un travail textologique long et méticuleux », comme s'il suffisait de bonnes intentions pour réaliser un bon travail. Pourtant, personne ne saurait plus confondre aujourd'hui la recherche des sources d'un texte et leur analyse par la critique de sources et l'étude de genèse. L'édition de Réal Ouellet accumule au fil de la relation de Leclercq des rapprochements (c'est-à-dire des citations de textes contemporains sur le même sujet), des textes utilisés, réécrits et recopiés par Leclercq pour rédiger sa relation (ceux de Lescarbot, Sagard et Lejeune, notamment) et des textes cités, ce qui se fait de façon plus ou moins textuelle, notamment pour les textes bibliques connus de tous. Ces diverses opérations ne sont jamais évaluées, ni même distinguées et encore moins étudiées. Pour bien montrer que l'étude de sources n'a même pas été entreprise, j'ai présenté un cas précis dans ma chronique, celui portant sur l'esprit ou l'« âme » des choses pour les Micmacs, étude qui débouche tout à la fois sur la genèse de la Nouvelle Relation de la Gaspésie d'une part et l'évaluation de la valeur ethnologique propre du document. Rien de tout cela ne semble avoir le moindrement intéressé notre éditeur. « G. Laflèche prétend nous donner une leçon sur l'édition critique moderne. Quand il affirme que l'étude des sources est absolument nécessaire, de même que l'utilisation de 'nos techniques modernes d'analyse textuelle', on ne peut qu'être d'accord avec lui, et l'annotation du Leclercq le montre amplement ». Des « sources » rapaillées au petit bonheur et citées ici et là, cela n'a évidemment rien à voir avec l'étude de sources, et « l'annotation du Leclercq le montre amplement », comme j'en ai fait la démonstration. Or, l'essentiel est là : tout l'apparat critique de l'ouvrage correspond à la publication de fichiers fort impressionnants, mais inutiles. Ce sont des notes de travail, rien de plus.

L'édition critique

      Réal Ouellet énumère dans sa réplique les nombreux sujets qui ont été traités au fil de l'apparat critique de son livre, les « mille » questions qui se posaient dans l'annotation du texte, de même que les diverses sections de l'introduction. Fort bien, et c'est d'ailleurs ainsi que l'on justifie les « travaux d'équipe » et que l'on aboutit rapidement à de nombreuses et imposantes publications, comme cette édition critique de conception entièrement technocratique.

      L'art de cette édition critique se réduit à la rhétorique. Et Réal Ouellet de nous citer ses manuels : « La première tâche d'un éditeur est de procurer un texte authentique correctement établi, tel que l'a voulu son auteur ». Mieux : « dans n'importe quelle édition sérieuse, l'annotation suit pas à pas le texte édité » ! Bref l'éditeur édite et l'annotation est faite de notes. On croit rêver, étant donné les questions que j'ai soulevées sur le contenu de cette édition et de ses notes...

      En relisant dans cette perspective la réplique de Réal Ouellet, on se demandera simplement à quoi donc a servi tout ce soi-disant travail de recherche. À quelles conclusions nouvelles l'édition de la relation de Leclercq nous conduit-elle ? Si Réal Ouellet en avait une seule à proposer, elle serait en bonne place dans la défense et illustration de son édition.

      L'édition critique véritable est au contraire un travail de recherche comme les autres. Ainsi, est-elle l'occasion de renouveler la lecture d'un texte ou d'élaborer une nouvelle analyse sur l'un de ses aspects majeurs. On ne devrait jamais commander artificiellement la réalisation d'une édition — sauf évidemment pour les éditions scolaires ou commerciales, qui n'ont rien à voir avec l'édition critique. C'est plutôt le renouvellement de la recherche qui doit la susciter. Ainsi, on ne se lance pas dans l'édition d'un texte quelconque pour obtenir des subventions de recherche, mais parce que l'on vient de faire une découverte ou qu'on a mis en place une série d'hypothèses qui en renouvellent complètement l'appréhension et qui en justifient l'édition critique. Bien entendu, personne ne trouvera rien de tel dans la récente édition de la relation de Leclercq. Autrement, cela se saurait.

Lettre de Normand Doiron

Date: Mon, 18 Jun 2001 21:58:09 -0400
From: Normand Doiron
Subject: Deux articles de Guy Laflèche

Montréal, le 18 juin 2001

Monsieur le directeur,
Recherches amérindiennes au Québec,
Monsieur,

Je suis surpris de lire dans Recherches amérindiennes au Québec (XXX-2 et XXXI-1) deux articles où Guy Laflèche critique deux ouvrages dont je suis l'auteur.

Je ne suis qu'une victime parmi d'autres de son impitoyable censure, et je ne saurais répondre pour elles toutes. Quant à moi, je puis vous assurer que les propos de Guy Laflèche sont tout à fait impertinents, sans rigueur ni intérêt (1). Il ne me viendrait pas à l'esprit de les analyser plus avant, encore moins de répondre (2). Je ne suis pas contre la polémique (3), mais il faut pour cela qu'on attaque des idées, qu'on apporte des arguments. Ce que Guy Laflèche ne fait pas, à mon sens. Il déblatère à tort et à travers (4). En toute injustice, quand il accuse bêtement (4) les directeurs de la « Bibliothèque du Nouveau Monde ». Tous ceux et celles (5) qui ont connu Roméo Arbour et Jean-Pierre (6) Major regretteront (7) ses malheureuses médisances (8).

Je ne comprends pas les raisons qui vous ont incité à publier ces textes, qui dévaluent l'excellente revue (9) que vous dirigez.

Cordialement,

Professeur Normand Doiron
Département de langue et littérature françaises
Université McGill

Réplique de Guy Laflèche à Normand Doiron

(1) Ce sont là, je crois, des affirmations gratuites. Il n'est pas sans rigueur, sans intérêt ni impertinent d'évaluer la documentation ethno-anthropologique dans l'édition d'un document de cet ordre; de s'interroger sur la place de l'étude de genèse et des études de sources dans l'édition d'un ouvrage sur l'Acadie et ses Micmacs en 1708; de constater enfin que l'éditeur avait sous les yeux le nom de Marin Dières et qu'il n'a pas su le lire. Pour m'en tenir à ma chronique sur le second livre de Normand Doiron (n'ayant pu consacrer au premier qu'un grand total de deux colonnes et demie, dans une série totalisant quinze pages), je ne pense pas qu'il soit raisonnable de rejeter du revers de la main mes analyses, sans compter que plusieurs de mes conclusions, sous le couvert de la critique, sont extrêmement positive, à commencer par l'importance de la publication qui est la première à rassembler l'oeuvre poétique de Marin Dières.

(2) Absolument aucune analyse n'a été entreprise encore. Jusqu'ici, il s'agit d'une protestation auprès du directeur de RAQ, rien de plus. Et il ne lui « vient pas à l'esprit » de répondre ? Mais alors, quel est le problème ? Que demande-t-il au directeur de RAQ ? S'il ne lui « vient pas à l'esprit » de répliquer, pourquoi va-t-il s'en vanter à la direction de la revue ? Peut-être « lui vient-il à l'esprit » de dénoncer ? Les délateurs n'ont en général pas grand chose à dire, comme on le voit. Pas grand chose « leur vient à l'esprit ».

(3) Aucune des deux chroniques incriminées par Doiron n'avaient quelque rapport que ce soit avec la polémique.

(4) Comme on le voit, ce n'est pas moi qui donne dans l'injure.

(5) Style bigenre.

(6) Tous et toutes pardonneront ce lapsus, les grands hommes comme les Arbour et Major n'étant pas toujours morts et pouvant encore être fort bien connus. Évidemment, quand on dénonce un critique, on n'est pas forcé d'être trop précis et on peut oublier un directeur comme Paul Mailhot, par exemple. Sans compter Jean-Marie Lepage, ciel !. Voir note suivante.

(7) Argument d'autorité. Voir aussi note (9).

(8) Médisances. Roméo Arbour et Jean-Louis Major voudront bien excuser le style de leur thuriféraire (qui doit vouloir parler de quelques odieuses calomnies), car, si je n'ai évidemment aucune malveillance, je pense bien que mes critiques sont malheureusement en effet parfaitement justes.

(9) Flagornerie. Doublée d'un appel à la censure, premier objetif de la délation.

      Le plus gênant ici n'est pas la lettre de dénonciation de Normand Doiron, en service commandé (« ... victime [...] parmi d'autres [...] je ne saurais répondre pour elles toutes » : il veut dire Réal Ouellet. Il a donc été, vraisemblablement, mal conseillé.

      Le plus gênant est que je doive la rendre publique. J'ai simplement demandé à Doiron de retirer sa lettre et de s'en excuser ou encore de s'en expliquer. Ma requête est restée sans réponse et n'a donc pas porté fruit. Dommage.

      En effet, le professeur Normand Doiron occupe une fonction publique, écrit ses livres pour le public et toute personne a le droit le plus strict d'en faire la critique. Un intellectuel ne se dérobe pas et doit faire face à la critique. Il ne saurait dénoncer un critique à la direction d'une revue. Il faut le répéter : la délation, car c'est bien de cela qu'il s'agit, est indigne et du travail et de la fonction d'un universitaire. Voilà ce que dénonce la présente publication.

      __gl>-

      Guy Laflèche,
      13 octobre 2002


TdMTGdM