Cet article a paru pour la première
fois au journal citoyen AgoraVox.fr le vendredi 3 juin 2011.
Comme
on le verra à l'appendice, je n'ai pu le publier dans aucun
journal de Montréal et le Devoir l'a refusé
obstinément pour sa page « Idées
».
Les universités et la Loi canadienne de
l'immigration
Les jeunes chercheurs canadiens sont-ils protégés
?
Guy Laflèche
Professeur à l'UdeM
11 mai 2011
Les universités sont-elles au-dessus du
règlement de 1978 adopté en vertu de la Loi
canadienne de l'immigration ? Aux articles 18 et 20 de ce
règlement, il est stipulé qu'il est
« interdit à quiconque, à l'exception
d'un citoyen canadien ou d'un résident permanent, de prendre
ou de conserver un emploi au Canada sans une autorisation d'emploi
en cours de validité » et que cette
autorisation ne peut être délivrée si
« l'embauchage de cette personne nuit à celui
des citoyens ou des résidents permanents au
Canada ». L'interprétation de ce
règlement est la prérogative des agents du
ministère de l'Immigration du Canada, mais on peut se poser
la question de leur portée quand on considère
certaines décisions d'embauche de ressources professorales
étrangères à des postes dont les concours de
recrutement sont publiquement affichés comme des postes
réservés aux citoyens canadiens. Plusieurs facteurs
contribuent à rendre la discussion sur cette question aussi
urgente que délicate. Parmi ceux qui la rendent urgente, il
faut compter la croissance au Canada, au cours de la
dernière décennie, d'un groupe toujours plus
considérable de titulaires de doctorat, engagés dans
la poursuite d'une carrière de recherche et maintenus aux
portes de l'université (on pense aux chargés de
cours) par la raréfaction des postes et la stabilité
de la cohorte des années soixante-dix et quatre-vingt
(tandis que les ouvertures de poste doivent être
négociées durement par les syndicats de professeurs).
La question est par ailleurs délicate, car elle se pose dans
un contexte où l'internationalisation des échanges,
souhaitable en principe, se heurte aux limites des
législations de la plupart des pays occidentaux.
Ce problème a pris une acuité
particulière dans mon département des
Littératures de langue française cette année,
alors qu'une recommandation d'embauche d'un candidat
non-résident au Canada a été
entérinée par le comité de nomination de la
Faculté des arts et des sciences, sur proposition du
directeur, appuyée quasi unanimement par les professeurs du
département (ce qu'on ne manque pas de trouver hallucinant
lorsqu'on apprend qu'il s'agit d'un poste en... création
littéraire dans une université du
Québec !). Contrairement aux autres candidats retenus,
celui-ci n'est ni citoyen canadien ni immigrant reçu. Les
premiers possèdent-t-ils un recours comme citoyens
canadiens ?
Comme cela est la procédure habituelle,
la description du poste identifiant les champs de compétence
aux fins du recrutement était accompagnée d'une
clause affirmant que le poste était offert en
priorité aux citoyens canadiens. Ce concours permit de
recueillir plus de trente candidatures. Les noms portés sur
la liste brève étaient ceux de trois citoyens
canadiens et d'un non-résident. Les membres du
département des littératures de langue
française ont considéré qu'il s'agissait de
fait d'un concours international. Auraient-ils dû, comme
d'autres départements ou comme l'Orchestre symphonique de
Montréal par exemple, faire un premier exercice
limité aux seuls candidats canadiens ? (En tout cas, il
n'ont pas tenu compte de l'avis en ce sens de l'Université
de Montréal dans une affaire semblable survenue en 1998 dans
leur propre département). Dans une
lettre du 20 April dernier, j'ai saisi la Faculté et
l'Université de la question. Mon intervention est
restée sans réponse et la procédure suivra
vraisemblablement son cours jusqu'à l'embauche du candidat
étranger le 1er juin prochain.
En dépit de sa complexité, ce
dossier pose une question simple. Dans le cas où leur
compétence est reconnue pour le poste à combler, les
candidats canadiens sont-ils protégés par le
règlement de 1978 ? S'ils ne le sont pas, quelle est
alors la portée de ce dernier ? Que signifie
l'expression « offert en priorité, ou
réservé aux citoyens canadiens » dans
l'appel de candidatures ? Cette priorité impose-t-elle
une procédure spécifique dans le processus de
recrutement ? Quelle est la marge de manoeuvre des
fonctionnaires responsables ? Sont-ils tenus, ou ont-ils tout
simplement l'habitude de sanctionner les recommandations
émanant des universités, sans tenir compte de
l'application précise de l'article 20 ? Comme personne,
dans le présent concours, ne peut soutenir qu'advenant
l'absence de la candidature d'un non-résident, le
département n'aurait recommandé aucun candidat
canadien, la question se pose donc sérieusement.
Dans ce débat, on peut être
d'avis que les départements devraient être
laissés libres de choisir, selon leurs procédures, le
candidat qui leur semble le meilleur et de procéder à
un recrutement international sans restrictions. On peut penser au
contraire que cette ouverture n'a de sens que s'il existe une
réciprocité dans d'autres pays, et que, comme ce
n'est pas le cas, une protection doit être trouvée
dans la loi. Le Canada et le Québec ont accueilli un grand
nombre de chercheurs étrangers, qui ont apporté une
contribution admirable au développement de la recherche,
notamment en formant la génération qui attend
maintenant la possibilité de faire le travail. La question
est donc la suivante : cette nouvelle
génération, en contexte de compétition accrue,
doit-elle être plus protégée qu'auparavant,
alors qu'il n'existait aucune réelle concurrence ?
La jeune génération —
autant celle qui a terminé sa formation et tente de se
maintenir active dans la recherche, tout en peinant dans des postes
précaires, sinon dans des activités de survie, que la
génération de ceux et celles qui poursuivent des
diplômes d'études supérieures — ne
devrait-elle pas savoir dans quel marché de concurrence elle
se trouve engagée ? Si les dispositions du
règlement de 1978 sont pure rhétorique, alors qu'on
ne l'abuse pas sur la protection dont elle pourrait jouir et qu'on
lui présente le tableau clair de ses perspectives ici et
à l'étranger. Sauf dans le cas de sommités
mondialement reconnues, la plupart des pays européens et
américains ne recrutent que leurs propres citoyens. Si par
ailleurs, les dispositions de ce règlement ont une
portée; elles devraient avoir comme corollaire dans les
universités des procédures précises
évitant les situations dont le département des
lettres françaises de l'UdeM donne l'exemple actuellement.
Un débat public me semble s'imposer, il déborde, sans
le marginaliser, le cas précis dénoncé ici, ou
celui d'autres jeunes collègues dépassés au
cordon d'arrivée par un candidat non-résident. Il
faudra interpeller le prochain ministre responsable du
Développement des ressources humaines, et son
collègue à Immigration Canada, qui sont responsables
de la Loi sur l'immigration. Il faut interpeller également
la Fédération québécoise des
professeures et professeurs d'université et l'Association
canadienne des professeurs d'université. La jeune
génération aura tout avantage à
connaître la règle du jeu et il est urgent qu'elle
s'implique dans ce débat.
J'ai adressé la lettre qu'on vient
de lire aux journaux de Montréal où elle n'est pas
parue. C'est tout à fait normal dans le cas d'un journal
comme la Presse, mais cela est inadmissible dans le cas du
Devoir. C'est évidemment la rançon de
l'ostracisme dont je suis victime au journal — notamment pour
sa condamnation par le Conseil de Presse pour avoir publié
les propos diffamatoires de la direction de la BNQ à mon
endroit. Mais c'est encore plus évident lorsqu'on sait que
le journal a déjà publié à peu
près le même texte il y a treize ans sous une autre
plume ! comme on le verra plus bas.
De : Laflèche Guy
Date : mer. 2011-05-11 15:56
À: machouinard@ledevoir.com
Objet : Poste en création littéraire à l'UdeM
donné
à un Français
Mme Marie-Andrée Chouinard,
Journaliste, éditorialiste,
Responsable de la page Idées
Chère madame Chouinard,
Je n'ai pas le choix de m'adresser à
vous, même si on a eu des mots dans le passé
(maintenant lointain), car c'est vous qui allez arbitrer la
publication de mon intervention sur un sujet qui me tient à
coeur, quelques semaines seulement avant ma retraite comme
professeur de l'Université de Montréal.
Vous trouverez ci-joint deux versions de mon
« article » (mon « papier »
comme disent plus justement les journalistes).
Je travaille, heureusement pour moi, avec un
programme de traitement de texte qui s'appelle WordPerfect —
malheureusement pour vous.
Je vous en fais une copie en format pdf (que
vous aurez facilement à l'écran et pourrez imprimer)
et une autre en format html que vous pourrez traiter avec votre
Microsoft Word.
Vous trouverez vite une coquille dans mon
texte, April pour avril. Laissez-la, je vous en prie, car il s'agit
d'un message subliminal aux professeurs qui étaient
impliqués en 1998 dans les affaires d'engagements de
citoyens étrangers. Cela n'est pour vous et vos lecteurs
qu'une innocente coquille que vous aurez laissé passer. Pour
de nombreux professeurs d'université, le lapsus est
freudien, car il implique Maître April, une avocate qui
s'occupait alors de ces dossiers.
Comme vous le verrez, pour une fois mon
intervention n'est nullement pamphlétaire. J'ai beaucoup
réfléchi et pris conseil avant d'intervenir. Mon
objectif est donc de poser la question de l'embauche des
professeurs étrangers (au détriment des canadiens et
en particulier des citoyens du Québec dans nos
universités) de la manière la plus
générale et abstraite possible.
J'espère qu'un débat s'ouvrira
à la suite de mon intervention et que je pourrai rapidement
intervenir sur l'engagement auquel on procède de la
manière la plus irresponsable et immorale dans mon
département actuellement.
Avec l'expression de mes meilleurs
sentiments,
__gl>-
Domicile : ...
Téléphone à la maison : ...
Historique. J'avais adressé le 3
mai le «Document » qu'on lira ci-dessous
à monsieur Stéphane Baillargeon. Il m'a
répondu le jour même qu'il l'avait transmis à
la responsable du secteur de l'éducation. Je me doutais
bien qu'on n'en ferait rien et on n'en a rien fait. J'ai donc
composé « ma » lettre, adressée
comme on le voit ci-dessus le 11 mai. J'ai rappelé le bon
souvenir de mon envoi à Mme Chouinard et à M.
Baillargeon les 19 et 21 mai. Je n'ai jamais reçu le
moindre accusé de réception de ces envois. Il s'agit
d'un refus de publication, d'un refus injustifié, dans les
deux sens du mot
Voici maintenant le document que j'ai
préparé pour la direction de ma Faculté des
arts et des sciences et de l'Université de Montréal.
Le 22 avril, je l'ai adressé aux autorités qui n'en
ont tenu aucun compte ni n'en ont donné aucune suite, non
plus que mes collègues du département des
Littératures de langue française qui en ont
évidemment eu copie. Je l'ai transmis au journal le
Devoir le 3 mai. À ma grande surprise, ce
« document d'accompagnement » que j'ai
présenté à l'appui de ma lettre au journal
AgoraVox a été publié avec elle ce 3
juin ! J'en suis évidemment fort aise.
Guy Laflèche
Plaidoyer contre le détournement d'un poste de
professeur
20 avril 2011
Un poste de création littéraire
au Département des littératures de langue
française
de l'Université de Montréal
donné à un Français
Introduction
Pour l'instant, une introduction succincte
suffit, bien entendu. D'ailleurs, il n'en n'est même pas
besoin. Voici les faits. Un poste de professeur en
création littéraire a été ouvert au
Département des littératures de langue
française; les candidatures devaient être
déposées avant le 15 novembre 2010, l'entrée
en fonction était prévue pour le 1er juin 2011.
On trouvera ici un plaidoyer, qui prend la
forme de dix arguments plus un, qui prouve que le processus doit
être repris et corrigé, car il est entaché de
plusieurs irrégularités, de sorte que le
résultat est illégal, injuste, immoral et, surtout,
significatif d'une remarquable absence de conscience sociale de la
part d'intellectuels et d'universitaires.
Il faut reprendre et relancer l'intervention
du sculpteur Gilles Mihalcean, dans le Devoir du 4 mars
2011 : « Le Canada abandonne-t-il ses
artistes ? ». L'argument est simple : les
sculptures étrangères peuvent immigrer au Canada sans
aucune retenue. En revanche, tel n'est pas le cas des sculpteurs
ou des professeurs, comme de n'importe quel autre travailleur, s'il
s'agit d'occuper un emploi au Canada au détriment de
Canadiens.
En effet, les articles 18 et 20 de la Loi
canadienne de l'immigration de 1978 sont limpides à ce
sujet. Personne ne peut être embauché au Canada si un
citoyen (citoyen canadien ou immigrant reçu) peut occuper ce
poste (« si l'embauchage de cette personne nuit à
celui des citoyens ou des résidents permanents du
Canada »).
Voici le sommaire de l'exposé de la
doyenne de la Faculté des arts et des sciences que l'on
trouve à ce sujet en tête de la 300e séances du
Département des études françaises du 22 mai
1998 : « La Doyenne de la FAS, madame Mireille
Mathieu, rencontre les membres de l'Assemblée avant que la
séance commence. Elle les informe des dispositions
relatives à la Loi canadienne sur l'immigration qui exigent
d'abord de vérifier qu'il n'y a pas de citoyen canadien ou
de résident permanent au Canada apte à combler un
poste avant de procéder à la recherche et à
l'évaluation des candidats étrangers. La Doyenne
explique la position de l'Université de Montréal et
répond aux questions des membres de
l'Assemblée ». On trouve ensuite, au point
ADFRA-300-5
du procès-verbal, un sommaire des dispositions
juridiques à ce sujet, et, à la suite, les
interprétations du contentieux de l'Université
après consultation des experts.
Pour l'instant, voici un plaidoyer
énumérant dix arguments (plus un) propres à
engager les autorités de l'Université de
Montréal à corriger rapidement le processus en cours
d'engagement d'un professeur de création littéraire
au Département des littératures de langue
française.
Dix arguments plus un
1. Le poste
Il s'agit d'un poste en création littéraire dans un
département de Lettres françaises
(littératures de langue française). On en trouvera
la description en appendice. En pratique, le poste correspond
à quatre cours par année, à la rigueur quatre
ateliers de création au baccalauréat, enseignement
auquel s'ajoute la direction de mémoires de maîtrise
en création, au niveau des études
supérieures.
2. Les candidats
Trois candidats canadiens de très haut niveau ont
été retenus sur dossier. Ils sont tous trois aptes
à remplir le poste, compétents, et comme enseignants
et comme chercheurs ou créateurs. Je ne dis rien de ces
trois candidats ici, mais on peut voir à leur dossier qu'il
s'agit de personnes d'avenir et déjà
d'expérience. Il sera même difficile de choisir le
meilleur, étant donné la diversités de leurs
qualités exceptionnelles et de la variété de
leurs expériences.
On ajoute sans raison à ces trois
candidats aptes à remplir le poste, un candidat qui ne l'est
pas, n'ayant pas la citoyenneté canadienne (n'étant
pas non plus immigrant reçu). C'est la liste courte.
3. Le problème
Je viens de dire « sans raison ». Ce n'est pas
vrai, car le candidat étranger a un excellent dossier, que
l'on pourrait considérer dès le départ comme
supérieur aux trois autres candidats. Pourtant la
règle, comme la loi en matière d'immigration, est
très claire : il ne s'agit pas d'un concours
international. Il s'agit de trouver et de choisir le candidat le
plus compétent apte à remplir le poste — et non
pas le meilleur candidat au monde.
Et ce n'est pas tout :
l'idéalisme a ses limites. Lorsqu'on n'a pas la
citoyenneté requise, il suit qu'on n'a aucune connaissance
du milieu pédagogique montréalais, que la
connaissance des cultures du pays est un projet d'avenir, etc. Il
me semble difficile d'être considéré alors
comme le candidat idéal, à moins de considérer
que la « citoyenneté » n'est pas un
avantage intellectuel, social et pédagogique non pas
important, mais éventuellement essentiel dans l'enseignement
universitaire. Cela dit, les universités du Québec
ont pu faire la preuve des avantages à étudier
à l'étranger, mais aussi à enseigner au
Québec lorsqu'on y revient. J'imagine que
l'expérience doit être vrai pour l'ensemble du Canada.
En revanche, je ne m'étendrai pas sur les effets
néfastes et pervers d'importer des professeurs lorsqu'on
peut s'en passer.
4. La nature du poste
Par ailleurs, il s'agit d'un poste en création
littéraire dans un département de Lettres. N'importe
qui ne peut remplir ce poste, bien entendu (ce sera l'objet du
point suivant sur l'expérience nord-américaine), mais
il ne s'agit pas non plus d'un poste dans une
spécialité où les ressources seraient assez
réduites pour compter ses candidats à
l'extérieur du pays. L'enseignement de la création
littéraire n'est évidemment pas un domaine de pointe,
dont les spécialistes se compteraient sur les doigts de la
main, ni même sur quelques dizaines de mains. Il s'agit au
contraire, au Québec, au Canada et en Amérique, d'une
spécialité très répandue. — En
revanche, il s'agit d'un enseignement pratiquement inconnu en
Europe.
Il faut ajouter que cet enseignement est
multiforme, aussi bien dans ses réalisations
pédagogiques que dans ses contenus. Ses réalisations
oscillent entre les ateliers d'écriture (où les
oeuvres hebdomadaires aux sujets et genres programmés sont
évaluées en classe par le groupe sous la direction du
professeur) et le cours de création (où des exercices
de rédaction développent petit à petit et sous
diverses formes ce qui devient à la fin du cours
l'ébauche d'une création littéraire). Par
ailleurs, notamment au niveau des études supérieures,
la pratique de la création littéraire se double d'une
réflexion critique sur les mécanismes de la
création et de ses produits.
Je n'ai donné qu'une seule fois un tel
cours (Londres, Birkbeck College, 1993), mais c'est assez pour
expérimenter que les habiletés pédagogiques du
professeur sont incomparablement plus importantes que son art (la
création) et sa science (théories littéraires
liées aux mécanismes de rédaction). Ce n'est
pas le lieu ici de juger de cet enseignement et ce n'est pas le
dénigrer que de constater qu'il ne s'agit nullement d'un
domaine de recherche hautement spécialisé et qu'il y
faut surtout de l'expérience de cet enseignement, de la
pratique pédagogique.
5. L'expérience nord-américaine
La création littéraire s'enseigne depuis cinquante
ans en Amérique. Dans le monde francophone, il ne fait pas
de doute que le Québec aura été un pionnier de
cet enseignement, qui compte plusieurs dizaines de cours dans plus
d'une dizaine d'universités depuis au moins trente ans.
Monique Bosco aura été à
l'Université de Montréal l'initiatrice de cet
enseignement (engagée en 1962), comme peut en
témoigner la création de son étudiant Jean
Larose (« Seuil du sens et consumation de
l'écriture », mémoire de maîtrise,
1975). Aujourd'hui, tous les départements de Lettres de nos
universités donnent des cours, des programmes, voire des
maîtrise et même des doctorats en création
littéraire — ce qui, répétons-le, ne se
fait pratiquement pas en Europe. Il serait vraiment extraordinaire
qu'on ne trouve pas un citoyen canadien à Montréal,
Québec, Sherbrooke, Trois-Rivières ou Ottawa —
de l'une de leurs universités, propre à enseigner la
création littéraire au Département des
littératures de langue française de
l'Université de Montréal.
6. Concours national
Il suit, c'est le bon sens qui le dit, que le concours lancé
pour le poste de professeur en création à
l'Université de Montréal était un concours
national, comme l'indique la note finale de l'annonce du poste.
Si, par extraordinaire, on n'avait pas
trouvé de candidat canadien pour occuper ce poste, alors un
concours international serait maintenant lancé. Il est peu
probable, dans ces conditions, que le meilleur candidat ne vienne
pas d'un département de French Studies des
États-Unis,
pays où la création littéraire a
été enseignée dès ses origines, avant
même qu'elle ne s'enseigne au Canada et au Québec,
alors que cet enseignement, on l'a vu, ne se pratique que
très exceptionnellement en Europe. En tout cas, il faudrait
pour cela que deux conditions soient évidemment
réunies : (1) que l'Université de
Montréal constate qu'aucun candidat canadien n'est apte
à remplir le poste en création à son
département des littératures de langue
française; et (2) qu'elle lance en conséquence un
concours international pour combler ce poste.
On ne peut pas avoir fait les deux
opérations en même temps pour la raison toute simple
qu'aucun étranger le moindrement informé de la
situation culturelle du Québec ne saurait imaginer un
instant avoir aucune chance d'obtenir le poste. Et si l'on croyait
que tout le monde a bien le droit de tenter sa chance,
notamment si un candidat étranger croyait avoir un excellent
dossier correspondant parfaitement au profil, on ne saurait s'en
tenir à ce hasard qui ne fait jamais bien les choses. Dans
ce cas, en effet, retenir ce candidat de hasard correspond à
une double injustice : si c'est injuste pour les candidats
canadiens aptes à remplir le poste, c'est injuste pour tous
les candidats étrangers potentiels qui ont su lire
correctement l'annonce du poste et ne pouvaient imaginer cette
aberration, cette iniquité.
7. Création et littérature au Québec
Est-ce qu'il ne faudrait pas être un peu malade, et
passablement épais, franchement colonisé, pour
imaginer un instant que le Québec, où la
création artistique et littéraire a eu une
remarquable vitalité, depuis un demi-siècle, aurait
été incapable de produire un spécialiste de la
création propre à occuper aujourd'hui ce poste ?
Il n'y aurait pas un Canadien, pas un Québécois
capable d'enseigner la création à l'Université
de Montréal ? Un professeur autochtone ? Il nous
faut, pour remplir ce poste, un Européen, un
Français ? Personne ne le croira ! Franchement,
là, là... (expression populaire pour
caractériser les épais).
8. Création littéraire et littérature
québécoise
Oui, mon sous-titre dit tout. Voilà un poste en
création s'adressant à des citoyens canadiens et
immigrants reçus, avec un profil qui exige une excellente
connaissance de la langue française et un dossier de
publications. Il me semble qu'il faudrait un miracle pour que ces
publications, ces oeuvres de création notamment,
échappent à la littérature
québécoise. Cela va d'ailleurs de soi dans le cas
d'un concours pour un poste de création au
Département des littératures de langue
française de l'Université de Montréal.
9. Illégalité
Lorsque trois candidats sont reconnus compétents pour
remplir un poste universitaire et qu'on en choisit un
quatrième qui n'est pas apte à remplir ce poste,
puisqu'il n'est ni citoyen canadien ni immigrant reçu, on
commet un acte illégal.
10. Conclusions
Or, il s'agit d'un problème intellectuel bien plus que
légal lorsqu'il est le fait d'universitaires :
iniquité, absence de conscience sociale et
immoralité. Lorsque des professeurs d'université se
livrent à cette compromission, il ne s'agit plus simplement
d'une question légale ou législative, pourtant
essentielle et préliminaire, mais d'un grave problème
intellectuel. Quel message envoyons-nous à nos
étudiants ? Oubliez la littérature
québécoise : la création
littéraire, c'est un Français qui doit vous enseigner
cela ! Quel message envoyons-nous au public ?
Citoyens : généreux citoyens, vos deniers iront
à un immigrant qui ne sera pas un médecin ou un
chirurgien (par exemple, car nous en manquons cruellement et
chipotons sur leur intégration), mais... à un
fabuleux professeur de création littéraire ! Il
y a là, de la part d'intellectuels et d'universitaires un
très grave manque de conscience sociale. C'est
profondément immoral.
10 + 1. Évaluation du processus
d'évaluation
[Ce dernier point n'est pas reproduit ici
parce qu'il concerne le fonctionnement interne de
l'Université de Montréal, comme la convention
collective du Syndicat des professeurs, les règlements de
l'Assemblée universitaire en matière d'embauche,
etc.]
__gl>-
Guy Laflèche
Professeur titulaire
Littératures de langue française
Faculté des arts et des sciences
Université de Montréal
20 avril 2011
Appendice
Annonce ou description du poste (septembre 2010)
Professeur de création littéraire
Le Département des littératures de langue
française de l'Université de Montréal
sollicite des candidatures pour occuper un poste à temps
plein de professeure ou de professeur de création
littéraire au rang d'adjoint.
Fonctions
Les candidats seront appelés à enseigner aux trois
cycles, à encadrer des étudiants aux études
supérieures, à poursuivre des activités de
recherche, de publication et de rayonnement ainsi qu'à
contribuer aux activités de l'institution.
Exigences
- Doctorat en littérature.
- Expérience de l'enseignement de la création
littéraire.
- Dossier de publications.
- Un intérêt pour le théâtre serait un
atout.
- Excellente maîtrise de la langue française.
Traitement
L'Université de Montréal offre un salaire
concurrentiel jumelé à une gamme complète
d'avantages sociaux.
Entrée en fonction
À compter du 1er juin 2011.
Clôture du concours
Le dossier de candidature, constitué d'une lettre de
motivation, d'un curriculum vitae et d'un exemplaire des
publications ou des travaux de recherche récents, doit
parvenir à l'adresse ci-dessous au plus tard le 15 novembre
2010. Aucun dossier transmis par courrier électronique ne
sera accepté.
Les candidats doivent également demander à trois
personnes de faire parvenir une lettre de recommandation au
directeur du département à l'adresse
suivante :
Benoît Melançon, directeur
Département des littératures de langue
française
Université de Montréal
C. P. 6128, succursale Centre-ville
Montréal (Québec) H3C 3J7 CANADA
Les personnes intéressées trouveront des
renseignements sur le Département des littératures de
langue française en consultant le site Web à
l'adresse suivante : www.littfra.umontreal.ca.
Politique linguistique de l'Université de
Montréal
L'Université de Montréal est une université
québécoise de langue française, à
rayonnement international. Dans le cadre du renouvellement de son
corps professoral, elle intensifie le recrutement des meilleurs
spécialistes dans le monde et s'assure par ailleurs que,
conformément à la Politique linguistique de
l'Université de Montréal
[http://www.direction.umontreal.ca/secgen/recueil/politique_lingu
istique.html], les professeurs qu'elle recrute qui ne
maîtrisent pas le français à leur entrée
en fonction bénéficient d'un programme de soutien
à l'apprentissage de la langue française.
Privilège de confidentialité des
candidatures
Les procédures de nomination en vigueur à
l'Université de Montréal prévoient que tous
les dossiers de candidature puissent être consultés
par tous les professeurs membres de l'assemblée
départementale. Toute personne désirant que sa
candidature demeure confidentielle jusqu'à
l'établissement de la liste restreinte (candidatures
retenues pour entrevue) est priée de le mentionner dans sa
lettre de motivation.
Programme d'accès à l'égalité en
emploi
L'Université de Montréal souscrit au principe
d'accès à l'égalité en emploi et invite
les femmes, les membres des minorités visibles, les membres
des minorités ethniques, les personnes handicapées et
les autochtones à poser leur candidature. Nous invitons les
candidats qui s'identifient à l'un ou l'autre de ces groupes
à remplir le Questionnaire d'identification - accès
à l'égalité en emploi, disponible à
l'adresse suivante :
www.fas.umontreal.ca/affaires-professorales/documents/quest-acces
-emploi-FR.pdf, et à le joindre à leur dossier de
candidature.
Exigences en matière d'immigration
Conformément aux exigences prescrites en matière
d'immigration au Canada, cette annonce s'adresse en priorité
aux citoyens canadiens et aux résidents
permanents.
Responsable : Département des littératures de langue
française.
4. L'original de « ma »
lettre ouverte
En effet, la lettre ouverte que j'ai
adressée aux journaux et que j'ai publiée sur
AgoraVox n'est pas de ma plume. J'ai simplement
adaptée une
lettre ouverte rédigée il y a plus d'une
décennie, treize ans maintenant ! L'objectif de ma
reproduction est de montrer que rien, absolument rien n'a
changé depuis 1998, alors que l'Université de
Montréal, tout comme l'Université du Québec
à Montréal, se trouvaient exactement dans la
même situation, la même situation que maintenant en
2011 ! Voici donc le texte original de la lettre ouverte
publiée dans le Devoir le 28 septembre 1998
(p. A7) : il s'agit d'un texte collectif signé
par dix professeurs en plus du rédacteur, Georges Leroux.
Comme on va le voir, je n'ai rien changé de substantiel
à ce texte : j'y ai ajouté quelques
parenthèses et soustrait les passages qui impliquaient
directement la situation ponctuelle de l'Université du
québec en 1998. Pour le reste, je n'ai changé que
les chiffres et les dates ! Bref, en 2011, nous en sommes
toujours au même point qu'en 1998 ! — Il va sans
dire que je n'ai pas demandé au rédacteur et aux
signataires de l'article la permission de les reproduire : ce
qu'ils ont dit et assumé publiquement en 1998, en ce qui
concernait alors une pénible affaire de l'UQAM, c'est moi et
moi seul qui l'assume maintenant en 2011 à propos d'une
autre affaire bien trop semblable. Du pareil au
même.
|
Les universités et la Loi canadienne de
l'immigration
Les jeunes chercheurs canadiens sont-ils protégés
?
GEORGES LEROUX
Professeur à l'UQAM
Les universités sont-elles au-dessus du
règlement de 1978 adopté en vertu de la Loi
canadienne de l'immigration ? Aux articles 18 et 20 de ce
règlement, il est stipulé qu'il est
« interdit à quiconque, à l'exception
d'un citoyen canadien ou d'un résident permanent, de prendre
ou de conserver un emploi au Canada sans une autorisation d'emploi
en cours de validité » et que cette
autorisation ne peut être délivrée si
« l'embauchage de cette personne nuit à celui
des citoyens ou des résidents permanents au
Canada ». L'interprétation de ce
règlement est la prérogative des agents du
ministère de l'Immigration du Canada, mais on peut se poser
la question de leur portée quand on considère
certaines décisions d'embauche de ressources professorales
étrangères à des postes dont les concours de
recrutement sont publiquement affichés comme des postes
réservés aux citoyens canadiens. Plusieurs facteurs
contribuent à rendre la discussion sur cette question aussi
urgente que délicate. Parmi ceux qui la rendent urgente, il
faut compter la croissance au Canada, au cours de la
dernière décennie, d'un groupe toujours plus
considérable de titulaires de doctorat, engagés dans
la poursuite d'une carrière de recherche et maintenus aux
portes de l'université par la raréfaction des postes
et la stabilité de la cohorte des années soixante en
place. La question est par ailleurs délicate, car elle se
pose dans un contexte où l'internationalisation des
échanges, souhaitable en principe, se heurte aux limites des
législations de la plupart des pays occidentaux.
Ce problème a pris une acuité
particulière dans notre université, alors qu'une
décision récente de recommandation d'embauche d'un
candidat non-résident au Canada a été
entérinée par le conseil d'administration, sur
proposition de l'administration de l'université. Cette
proposition faisait suite à un vote, majoritaire par une
voix et au quatrième tour, du département de
philosophie favorisant Jean-Christophe Merle et plaçant en
second Michaël La Chance. Le premier n'est pas immigrant
reçu, le second est citoyen canadien. Ce dernier est
également chargé de cours syndiqué dans notre
université depuis quatorze années et possède
de ce fait un recours en vertu de la convention collective de nos
syndicats. Mais possède-t-il un recours comme citoyen
canadien ?
Comme cela est la procédure habituelle,
la description du poste identifiant les champs de compétence
aux fins du recrutement était accompagnée d'une
clause affirmant que le poste était offert en
priorité aux citoyens canadiens. Ce concours permit de
recueillir plus de cinquante candidatures. Les noms portés
sur la liste brève étaient ceux de trois citoyens
canadiens et d'un non-résident. Les membres du
département de philosophie ont voté de bonne foi et
ont saisi l'administration de la difficulté résultant
d'un vote consistant en une si courte majorité en faveur
d'un non-résident. Ils ont demandé que
l'administration propose une interprétation de la loi
canadienne pour éclairer leur décision. Auraient-ils
dû, comme d'autres départements ou comme l'Orchestre
symphonique de Montréal par exemple, faire un premier
exercice limité aux seuls candidats canadiens ? Ils se
sont en tout cas déclarés prêts à rendre
leur décision conforme aux exigences de la loi canadienne
s'il s'avérait que leur vote n'était pas
recevable.
Dans une lettre du 30 juin, l'avocate de
l'université, Me April, en réponse aux procureurs de
M. La Chance mettant l'université en demeure de
reconnaître ses droits comme citoyen canadien, a
proposé une interprétation juridique
défavorable au candidat canadien mais reconnu qu'en
dernière instance, seul le bureau compétent de
Immigration Canada pouvait porter jugement. C'est cette position
qui a été reprise par le conseil d'administration,
qui a recommandé l'embauche du candidat non résident,
sous condition d'acceptation par Immigration Canada. Le Syndicat
des professeures et professeurs de l'UQAM, dans une lettre
signée par son vice-président, Louis Gill, s'est
opposé formellement à cette recommandation d'embauche
et les professeurs membres du conseil d'administration n'ont pas
voté en faveur de l'embauche du candidat non-résident
canadien.
En dépit de sa complexité, ce
dossier pose une question simple. Dans le cas où leur
compétence est reconnue pour le poste à combler, les
candidats canadiens sont-ils protégés par le
règlement de 1978 ? S'ils ne le sont pas, quelle alors
la portée de ce dernier ? Que signifie l'expression
« offert en priorité, ou réserve aux
citoyens canadiens » dans l'appel de
candidatures ? Cette priorité impose-t-elle une
procédure spécifique dans le processus de
recrutement ? Quelle est la marge de manoeuvre des
fonctionnaires responsables ? Sont-ils tenus, ou ont-ils tout
simplement l'habitude de sanctionner les recommandations
émanant des universités, sans tenir compte de
l'application précise de l'article 20 ? Comme personne,
dans le présent concours, ne peut soutenir qu'advenant
l'absence de la candidature d'un non-résident, le
département n'aurait recommandé aucun candidat
canadien, la question se pose donc sérieusement.
Dans ce débat, on peut être
d'avis que les départements devraient être
laissés libres de choisir, selon leurs procédures, le
candidat qui leur semble le meilleur et de procéder à
un recrutement international sans restrictions. On peut penser au
contraire que cette ouverture n'a de sens que s'il existe une
réciprocité dans d'autres pays, et que, comme ce
n'est pas le cas, une protection doit être trouvée
dans la loi. Le Canada et le Québec ont accueilli un grand
nombre de chercheurs étrangers, qui ont apporté une
contribution admirable au développement de la recherche,
notamment en formant la génération qui attend
maintenant la possibilité de faire le travail. La question
est donc la suivante : cette nouvelle
génération, en contexte de compétition accrue,
doit-elle être plus protégée qu'auparavant,
alors qu'il n'existait aucune réelle concurrence ?
La Jeune génération —
autant celle qui a terminé sa formation et tente de se
maintenir active dans la recherche, tout en peinant dans des postes
précaires, sinon dans des activités de survie, que la
génération de ceux et celles qui poursuivent des
diplômes d'études supérieures — ne
devrait-elle pas savoir dans quel marché de concurrence elle
se trouve engagée ? Si les dispositions du
règlement de 1978 sont pure rhétorique, alors qu'on
ne l'abuse pas sur la protection dont elle pourrait jouir et qu'on
lui présente le tableau clair de ses perspectives ici et
à l'étranger. Sauf dans le cas de sommités
mondialement reconnues, la plupart des pays européens et
américains ne recrutent que leurs propres citoyens. Si par
ailleurs, les dispositions de ce règlement ont une
portée; elles devraient avoir comme corollaire dans les
universités des procédures précises
évitant les difficultés et les déchirements
dont le cas du département de philosophie de l'UQAM donne
l'exemple actuellement. Un débat public nous semble
s'imposer, il déborde, sans le marginaliser, le cas
précis de M. La Chance ou d'autres jeunes collègues
dépassés au cordon d'arrivée par un candidat
non-résident et désireux de faire valoir leurs
droits. Nous interpellons le ministre responsable du
Développement des ressources humaines, Pierre Pettigrew, et
sa collègue à Immigration Canada, Lucienne Robillard,
qui sont responsables de la Loi sur l'immigration. Nous
interpellons également la Fédération
québécoise des professeures et professeurs
d'université et l'Association canadienne des professeurs
d'université. Nous croyons que la jeune
génération aura tout avantage à
connaître la règle du jeu et qu'il est urgent qu'elle
s'implique dans ce débat.
Ont également signé l'article :
Pierre Ouellet, Camil Bouchard, François Crépeau,
Louise Poissant, Régine Robin, Thierry Hentsch, Georges
LeBel, Jean-Guy Meunier, Simon Harel, André Vidricaire
Le Devoir, 28 septembre 1998
|
|
|