Les interventions du redoutable polémiste (nous le sommes tous) restent généralement sans réplique, malheureusement, ses victimes n'éprouvant pas le besoin qu'on mesure davantage la justesse de la critique et c'est bien dommage, cela nous permettrait de rire encore un peu, car si le polémiste est intervenu, c'est évidemment parce que ce n'était pas drôle du tout. La formule : polémique = réplique (pamphlétaire (sans réplique)).
L'éléphant de porcelaine L'arpenteuse du racisme La brouillonnologue de la CGMM Notre critique et sa poésie
Les fulminations de Dominique Deslandres, de René Latourelle et de Robert Toupin contre le « Mythe contemporain Laflèche »

Polémiques II

Guy Laflèche,
Université de Montréal

Texte publicitaire rédigé par Guy Laflèche pour les Éditions du Singulier. Publicité refusée par le Devoir.

Table

Quatre questions pour les historiens

À l'occasion de la parution du dernier livre de l'auteur aux Éditions du Singulier, nous sommes heureux d'offrir aux lecteurs du Devoir le texte d'opinion qu'ils n'ont pas pu lire dans la page « Idées » de leur journal. Pourquoi ? Parce que la direction a eu la chienne. — Guy Laflèche, éditeur.

Guy Laflèche

Professeur au département des Études françaises de l'Université de Montréal,
l'auteur publie cet automne le cinquième volume
d'une série d'analyses historiques sur les « saints martyrs canadiens ».
Ce volume est une réinterprétation du célèbre combat du Long-Sault contre les Iroquois.


      Une sorte de festival des historiens du monde se tient à Montréal la semaine prochaine, du 27 août au 3 septembre [1995] : c'est le Congrès international des sciences historiques. Alors j'ai quatre questions pour les historiens de chez nous.

      La question plate : c'est pas nécessaire d'y répondre. Elle est posée par le mauvais esprit, là, au fond de la classe, à gauche. Dès que j'ai reçu le programme du congrès, j'ai posé la question suivante aux organisateurs de Montréal : pourquoi donc n'y a-t-il que DEUX (2) communications en français sur les vingt-huit communications inscrites par des historiens du Canada d'une mer à l'autre ? Et pourquoi, sur les quatorze historiens de France, cinq seulement feront leur communication en français ? José E. Igartua, du comité d'organisation, répond aux questions concernant le programme sur Internet (cish95@uqam.ca). Il m'a répondu à côté de la question, comme on dit, que les choix ne dépendaient pas du comité d'organisation mais du bureau, qu'on ne trouve pas au Québec des historiens dans tous les domaines, que le congrès ne comprend pas seulement des communications sur des thèmes majeurs et spécialisés mais aussi des présidents de séance, des rapporteurs, des tables rondes et des réunions d'organismes nationaux et internationaux où la participation des Québécois francophones est d'un remarquable dynamisme, etc. Bof ! Comptez-les vous-même, vos figurants, si vous ne voulez pas comprendre la question, celle de la place du français dans votre congrès.

      La question retournée : pourquoi tu me poses la question, professeur, si tu connais la réponse ? Dominique Deslandres, professeure d'histoire à l'Université de Montréal, vient cet été même de grimper dans les rideaux de la revue Études d'histoire religieuse de la Société canadienne d'histoire de l'Église catholique. Elle y fait un compte rendu sulfureux des trois premiers volumes de ma série sur les Saints Martyrs canadiens, vouée au feu de l'enfer. Je ne corrigerai pas tout, car ce n'est pas le temps de rire. Je dirai seulement que D. Deslandres entretient des doutes sur ma capacité à traiter de la question (ce qui est peu dire, car elle conclut que je suis anti-jésuite et anti-Église-catholique !) étant donné que je me suis présenté pour ce que je suis, rationaliste athée, matérialiste et hégélien. Elle écrit : cela « laisse planer quelque doute sur sa capacité de prendre en compte la dimension spirituelle des faits ». Il faut être à genoux pour prier, d'accord, mais pas pour parler de la prière. Je lui ai donc retourné sa question : êtes-vous « pratiquante », catholique, êtes-vous chrétienne, Dominique Deslandres ? recevez-vous le magistère de l'Église du Vatican, oui ou non ? Est-ce que je ne pourrais pas croire, moi aussi, que ses convictions laissent planer des doutes ? Dominique Deslandres n'a pas répondu jusqu'ici à la question que je lui ai retournée et on pense bien que je ne veux rien savoir de ses convictions religieuses, si elle tient à les garder pour elle, mais j'aimerais comprendre quel intérêt il y aurait eu à ce que j'aie moi aussi caché les miennes. La question se retourne comme un gant.

      La question embarrassante : elle répond à la question qui n'était même pas posée. C'est au cours de l'été 1989, que j'ai trouvé par hasard tout un trousseau de clés, en faisant l'analyse narrative des quatre récits du combat de Dollard des Ormeaux au Long-Sault en 1660. C'est une découverte spectaculaire, comme on le verra dans mon prochain livre en septembre. Aussi surpris qu'enthousiasmé, j'ai proposé à l'Association canadienne-française pour l'avancement des sciences (ACFAS) d'en faire une communication au congrès de l'association, à l'Université Laval, en mai 1990. Johanne Daigle, historienne de l'Université Laval, alors responsable de la section « Histoire », avec le comité d'experts anonymes qu'elle avait constitué, a refusé ma communication pour la stupéfiante raison suivante : « sujet déjà couvert par la documentation existante » ! S'agissant d'un des « sujets » classiques de notre historiographie, n'y aurait-il pas lieu d'interroger l'historienne sur ce refus ? La question, on le voit, se pose d'elle-même.

      Mise en question et question de confiance : toi, tais-toi ! C'est la réponse que vient de me servir l'historien Jacques Rouillard de l'Université de Montréal à titre de directeur de la Revue d'histoire de l'Amérique française. Le troisième volume de mes ouvrages sur les Saints Martyrs canadiens est une biographie sérielle de Jean de Brébeuf. J'y réinterprète complètement ce que l'on croyait être son « journal spirituel » en l'étudiant en regard des genres littéraires et des diverses spiritualités des jésuites de la colonie française. Par ailleurs, j'ai situé sa mort dans les bonnes séries d'événements, le commerce de la fourrure des Grands Lacs, la guerre des Iroquois et le supplice archaïque dont il a été victime. Ce volume est paru en 1990 et j'avais déjà étudié le mythe national créé autour du personnage au XIXe siècle, de même que la béatification et la canonisation qui en découlaient au XXe siècle, dans le premier volume, en 1988. On pense bien que j'ai lu dès sa sortie en librairie, en 1993, la biographie de Jean de Brébeuf par l'historien et théologien jésuite René Latourelle, qui ne dit pas un mot de mes travaux, comme cela est assez naturel pour un ouvrage de vulgarisation, pieux et hagiographique. Après tout, il n'est pas trop surprenant qu'un jésuite fasse oeuvre de piété et publie un ouvrage d'édification sur un saint. En revanche, je n'ai pas été simplement surpris, mais bien stupéfait d'en lire un compte rendu dithyrambique dans la savante revue de l'Institut des historiens du Québec.

      Question de bon sens, j'ai donc demandé des comptes, si je puis dire, à la responsable des comptes rendus, Denyse Baillargeon, qui a elle-même demandé la recension anachronique que tout le monde peut lire dans le numéro de l'été dernier. Comment ? En rédigeant une note critique pour expliquer précisément que l'ouvrage, dont la revue fait la propagande, est pour l'essentiel la transcription d'un livre de Lucien Campeau, souvent copié mot pour mot. Qu'il porte sur Jean de Brébeuf, victime de la guerre des Iroquois et mort du supplice archaïque, deux choses dont l'auteur ne dit pas un seul mot dans son livre, négligeant tout ce qui est paru dans le domaine depuis quarante ans, ce dont je donne plusieurs exemples (un demi-siècle, en historiographie, c'est bien entendu considérable). Enfin, la prétendue originalité du livre serait de renouveler l'analyse de la spiritualité de Brébeuf et la notion de martyre : je prouve au contraire, exemples et textes à l'appui, qu'il n'en est rien, puisque les études que René Latourelle utilise et ses propres ouvrages ne peuvent prétendre à ce renouvellement. Ma mise en question de cet ouvrage, c'est une question de confiance, une mise en cause de la Revue d'histoire de l'Amérique française. Aussi le comité de rédaction ne s'y est pas trompé et sa réponse est-elle claire et nette : la revue « a comme politique éditoriale de refuser les textes qui comprennent des attaques personnelles ou constituent des règlements de compte. Il apparaît au Comité de rédaction que votre mise au point se situe dans cette catégorie de texte. Nous ne pouvons donc la publier ». Il n'y a nulle attaque personnelle, ni règlement de compte à faire la critique d'un ouvrage public. On pourra d'ailleurs lire ma note critique dans « Littératures » , la revue des études littéraires de l'Université McGill. En revanche, il est vrai que ce compte rendu est de lui même une mise en question de la politique de la revue officielle des historiens patentés du Québec : peut-elle se livrer à la propagande religieuse et refuser ensuite qu'on lui en demande des comptes ? Toi, tais-toi. Pourquoi, monsieur le directeur ? Vous n'aimez pas les questions ?




 

A - P - P - E - N - D - I - C - E - S

Le refus du Devoir de publier
un texte publicitaire
retenu par les Éditions du Singulier.

Guy Laflèche
Tél. : 514-343-6111#5474

LES ÉDITIONS DU SINGULIER LTÉE
30, place Giroux,
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Télécopie/FAX : 514-343-2256

COORDONNÉES

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Date : lundi, 13 novembre 1995.

Nombre de pages (incluant celle-ci) : 8 pages.

Communiqué de presse

Une polémique d'universitaires interdite de publication

Le Devoir refuse un texte publicitaire
des Éditions du Singulier

MESSAGE

      Madame, monsieur,

      Je vous prie de trouver ci-après notre communiqué de presse sur le refus du journal le Devoir de faire paraître notre publicité dans ses pages. Le texte publicitaire refusé est intitulé « Quatre questions pour les historiens ». Vous trouverez une brève présentation du texte litigieux par son auteur et la lettre du directeur de la Revue d'histoire de l'Amérique française à l'origine de la polémique.

      On peut facilement faire confirmer le refus de publication par Mme Jacqueline Avril, du service de la publicité du Devoir : tél. 514-985-3319; FAX 985-3390.

      On obtiendrait la version de la direction du journal en contactant M. Bernard Descôteaux (514-985-3333) qui a pris la décision ou transmis la directive de la direction du Devoir, refusant la publicité, jeudi à 13h30.

      On peut me rejoindre très facilement pour obtenir davantage d'informations. Bien à vous,

      Guy Laflèche, éditeur

Communiqué de presse

Lundi, 13 novembre 1995

Un article publicitaire d'une demi-page des Éditions du Singulier vient d'être refusé par le journal le Devoir de Montréal. Guy Laflèche, professeur titulaire au département des études françaises de l'Université de Montréal est interdit de parole. Son texte polémique visait d'autres universitaires, ses collègues historiens.

Je ne suis pas en vain propriétaire et président de ma maison d'édition. J'ai donc décidé de faire paraître ce texte à l'occasion du lancement du dernier de mes livres qui porte sur les Hurons de Québec (1650-1660) et le combat de Dollard des Ormeaux. Une publicité polémique pour anoncer la fin d'un ouvrage polémique sur les saints martyrs canadiens. J'ai donc retenu près d'une demi-page de publicité dans le premier cahier du journal le Devoir, pour le numéro de samedi-dimanche dernier, 11-12 novembre 1995, soit juste avant l'ouverture du Salon du livre de Montréal.

La direction du journal a refusé de faire paraître la publicité.

On en lira le texte dans les pages qui suivent.

Je ne suis pas à la tête d'une maison aussi puissance que Québec/Amérique, mais comme éditeur j'étais persuadé de détenir un ultime droit de parole que personne ne pouvait m'interdire d'exercer sans raisons extrêmement graves. On verra bien en lisant ce texte publicitaire qu'il n'y a pas l'ombre d'une raison pour en empêcher la publication. Conclusion : Censure ? Autoritarisme de petits potentats se prenant terriblement au sérieux ? J'ai mieux à proposer : le Devoir est dirigé par une flicaille d'intellectuels. Des grosses polices montées sur les idées et les sujets qu'ils manipulent à leur guise. Des journalistes totalement incapables de supporter que d'autres qu'eux puissent avoir des idées, des idées dans les domaines qui les intéressent et la volonté de les défendre. En tout cas, le Devoir ne va pas me dicter le contenu de ma publicité : à titre d'éditeur je peux bien éditer ce que je veux, à commencer par mes messages publicitaires, puisqu'ils paraissent sous mon nom et à mes frais !

Cela dit, mes opinions sur les dirigeants du journal, personne n'est forcé de les partager. En revanche, les faits sont là : une polémique d'universitaires est interdite de publication par le Devoir qui refuse un texte publicitaire des Éditions du Singulier. C'est un événement. Un scandale.

Guy Laflèche, éditeur


Historique

Dimanche, 12 novembre 1995

Histoire d'une polémique

Guy Laflèche proteste contre la propagande religieuse de
la Revue d'histoire de l'Amérique française
à l'occasion du compte rendu d'un livre sur Jean de Brébeuf :
il est accusé de règlement de comptes !
Il proteste encore plus fort.

Pourquoi un article sur cette censure
est-il lui-même censuré ?

Il est pourtant d'intérêt public de faire savoir
que la revue officielle des historiens du Québec
est dirigée en toute impunité
par des propagandistes religieux,
comme au bon vieux temps !

      Voici l'histoire de ce petit texte polémique que le Devoir vient d'interdire aux Éditions du Singulier de publier dans ses pages. Cette histoire est longue, mais assez simple. Je suis professeur au département des études françaises de l'Université de Montréal. Je suis spécialisé dans le domaine des écrits de la Nouvelle-France. J'ai publié un livre sur Jean de Brébeuf dans le troisième volume de mon ouvrage sur les Saints Martyrs canadiens en 1990. Trois ans plus tard, en 1993, le père jésuite René Latourelle a fait paraître à son tour un ouvrage sur le même Jean de Brébeuf. Un livre pieux. Il s'agit en effet d'une édifiante bondieuserie destinée aux dames de Sainte Anne et aux élèves du collège Jean-de-Brébeuf. Si vous ne me croyez pas, lisez-le.

      Or voici que la revue officielle des historiens du Québec, aussi savante que bien subventionnée, celle de l'Institut d'histoire, la Revue d'histoire de l'Amérique française en publie un compte rendu fort élogieux qui présente l'ouvrage du père jésuite comme un vrai chef-d'oeuvre. Oh, minute ! nous ne sommes plus à l'époque de Lionel Groulx qui a fondé la revue, nous sommes en pleine période postmoderne où la propagande religieuse ne peut plus avoir sa place dans une savante revue universitaire.

      Surpris et choqué par tant d'ignorance dans mon propre domaine de recherche, en bon professeur, je rédige une sévère note critique à l'intention des lecteurs de la revue. Nouvelle surprise : ma note est refusée sous prétexte qu'il s'agit d'un « règlement de comptes » doublé d'« attaques personnelles ». Je sais, l'accusation est tellement grossière qu'elle est incroyable. Aussi je joins la lettre du directeur Jacques Rouillard au présent exposé des faits. C'est un document historique.

      Mais dès lors, j'ai deux objectifs : non seulement je veux absolument faire paraître ma note critique, mais je veux aussi faire connaître la réponse insultante et indigne des responsables de la Revue d'histoire de l'Amérique française. Le premier objectif n'est pas trop difficile à réaliser : on pourra lire ma note critique dans un prochain numéro de la revue Littératures de l'Université McGill.

      Le second objectif est beaucoup plus difficile à atteindre. Il est même pratiquement impossible de le réaliser. Il n'est pas croyable combien les universitaires sont inattaquables dans les décisions publiques qu'ils prennent, notamment en occupant des postes de direction prestigieux. Malheureusement, je suis un intellectuel responsable et personne ne peut me faire taire. La preuve en est que je suis encore devant ma machine à écrire à vous raconter l'histoire. Bref, six mois plus tard, après je ne sais combien de refus, j'ai saisi le prétexte du Congrès des sciences historiques de Montréal, qui me paraissait d'autant plus problématique à bien des égards que le journal le Devoir y accordait une couverture médiatique aveugle. J'ai donc rassemblé une petite partie de mes griefs contre les historiens du Québec et j'en ai fait l'article « Quatre questions pour les historiens » que j'ai proposé à la page « Idées » du journal. Mon texte a été refusé sous des prétextes qui me paraissent tout à fait saugrenus.

      Ce n'était toujours qu'un refus de plus et le Devoir exerçait son droit le plus strict de refuser un texte d'opinion qui lui était proposé. Mais qu'à cela ne tienne. À titre d'éditeur, à titre de président de ma maison d'édition, j'ai eu l'idée géniale de consacrer une part essentielle de mon budget de publicité à la publication de ma protestation.

      Comme auteur, j'étais bien entendu très déçu d'en venir là. Mais cela s'appelle avoir le courage de ses convictions. Mon texte aurait dû faire la honte de tous ceux qui l'avaient refusé, mais sa forme publicitaire même lui enlevait une bonne part de son impact. Je préfère toutefois murmurer comme honteusement mes protestations plutôt que de me taire devant la meute qui grogne que ces protestations sont des « règlements de comptes » et des « attaques personnelles ».

      Je suis donc l'auteur du texte que le Devoir a refusé deux fois. Je persiste et signe, en espérant qu'il parvienne enfin à la connaissance du public auquel je l'ai destiné,

      Guy Laflèche, auteur,
      professeur à l'Université de Montréal.
      Adresser ses électrons à guy.lafleche@umontreal.ca


Le refus de la RHAF
de publier la note critique sur le « Brébeuf » de Latourelle

      La Revue d'Histoire de l'Amérique française a publié un compte rendu fort élogieux de l'ouvrage de vulgarisation de René Latourelle sur Jean de Brébeuf. J'ai alors rédigé une mise au point critique à ce sujet. Je l'ai d'abord adressé au journal le Devoir, le 30 novembre 1994. En espérant qu'on puisse la publier en entier, mais en expliquant que je serais déjà très heureux si l'on voulait bien en faire paraître les trois ou quatre premières pages en guise de protestation. Je n'en espérais pas plus, bien entendu. Le journal n'a pas accusé réception de mon envoi et je n'ai pas insisté.

      Ensuite seulement, simple formalité, je l'ai adressée à la Revue d'histoire de l'Amérique française, aux bons soins, comme on dit, de son directeur, Jacques Rouillard, et de la responsable des comptes rendus, Denyse Baillargeon. Le vendredi, 13 janvier 1995. Dans mon esprit, il n'a jamais fait l'ombre d'un doute que ma mise au point serait refusée. Alors voici ma réplique.


      Vendredi, 17 février 1995

      COMITÉ DE RÉDACTION,
      a/s M. Jacques Rouillard, directeur,
      Revue d'histoire de l'Amérique française,
      261, avenue Bloomfield,
      Outremont (Mtl), Québec H2V 3R

      Monsieur,

      Je ne suis nullement surpris de la lettre de refus que vous m'adressez au nom du Comité de rédaction de votre revue. Je l'ai déjà écrit, en appendice à ma note critique. Vous y verrez sûrement une « attaque personnelle » et un « règlement de comptes ». Vous avez demandé à M. Nive Voisine le compte rendu que vous vouliez du livre de M. René Latourelle sur Jean de Brébeuf et vous l'avez obtenu. N'importe qui peut d'ailleurs le lire dans vos pages. Vous suivez votre politique éditoriale, oubliant de préciser qu'elle n'a pas d'autre but.

      Je prouve que l'ouvrage, dont vous faites la propagande, est pour l'essentiel une transcription d'un livre de M. Lucien Campeau, souvent copié mot pour mot. Il porte sur Jean de Brébeuf, victime de la guerre des Iroquois et mort du supplice archaïque, deux choses dont l'auteur ne dit pas un seul mot dans son livre, négligeant tout ce qui est paru dans le domaine depuis quarante ans, ce que je démontre exemples à l'appui (un demi-siècle, en historiographie, n'est-ce pas un retard dont il pourrait être tenu compte dans la politique éditoriale de la revue de l'Institut officiel des historiens de l'Amérique française ?). Enfin, la prétendue originalité du livre serait de renouveler l'analyse de la spiritualité de Brébeuf et de la notion de martyre : je prouve au contraire, exemples et textes à l'appui, qu'il n'en est rien, puisque les études que M. René Latourelle utilise et ses propres ouvrages ne peuvent prétendre à ce renouvellement.

      Que des historiens universitaires patentés traitent cette mise au point critique d' « attaque personnelle » et de « règlement de comptes », pour se protéger de la critique, qui en sera dupe ? Mais, je ne saurais dire que je n'en attendais pas moins de vous et du Comité de rédaction. Je ne pouvais prévoir que l'injure allait s'ajouter à la dérobade, car il est difficile d'imaginer qu'on puisse ignorer ce que signifient l'attaque personnelle et le règlement de comptes qui ne sauraient être confondus avec les critiques, aussi virulentes, sévères et polémiques soient-elles, portant sur des ouvrages publiés et dont la revue fondée par Lionel Groulx fait même scandaleusement la promotion.

      En tout cas, ce sera aux lecteurs et chercheurs de juger. Je compte bien publier votre lettre à la suite de ma mise au point critique, reproduisant la présente réplique d'abord, vous laissant la parole pour finir. Une petite pointe, avant ? Pourquoi suggérez-vous que j'instruise M. Nive Voisine des informations et opinions que vous censurez et dont vous privez vos lecteurs ?

      Guy Laflèche


REVUE D'HISTOIRE
DE L'AMÉRIQUE FRANÇAISE

      Outremont, le 9 février 1995

      Monsieur Guy Laflèche,
      Département des études françaises,
      Université de Montréal.

      Monsieur,

      Je viens de lire la proposition de note critique que vous soumettez à la Revue d'histoire de l'Amérique française. Vous n'avez pas apprécié le compte rendu de Nive Voisine, paru dans nos pages, du volume de René Latourelle.

      Je tiens d'abord à préciser que la « Revue » ne doit pas être tenue responsable de l'évaluation des ouvrages qui paraissent dans sa rubrique « comptes rendus ». Nous ne censurons pas les auteurs de compte rendu à moins qu'ils ne se livrent à des attaques personnelles. Ils ont toute la liberté de faire valoir leur point de vue et ils doivent être tenus responsables de leurs opinions. Si l'auteur d'un volume recensé s'estime lésé, nous lui accordons un droit de réplique.

      Dans le choix des auteurs de comptes rendus, nous faisons appel, au meilleur de notre connaissance, à des spécialistes reconnus dans leur domaine de recherche. Dans ce cas-ci, Nive Voisine a publié abondamment en histoire religieuse et il a été le directeur de la collection « Histoire du catholicisme québécois ». S'il n'a pas tenu compte de certaines faiblesses de l'ouvrage de Latourelle, c'est lui qui doit en porter la responsabilité. Je vous suggère de lui faire parvenir copie de votre texte.

      La « Revue » accepte les notes de recherche qui font le point sur une question historiographique après une évaluation positive du Comité de rédaction et de deux évaluateurs externes. Mais elle a comme politique éditoriale de refuser les textes qui comprennent des attaques personnelles ou constituent des règlements de comptes. Il apparaît au Comité de rédaction que votre mise au point se situe dans cette catégorie de texte. Nous ne pouvons donc la publier.

      Je vous remercie de l'attention que vous portez à la « Revue » et vous prie d'agréer mes meilleurs sentiments,

      Jacques Rouillard, directeur.


      Il reste à identifier les membres du Comité de rédaction de la Revue d'histoire de l'Amérique française qui ont pris cette décision. Outre Jacques Rouillard, il s'agit de Raymond Duchesne, de Claudette Lacelle et de Louis Michel. Tous les promoteurs du culte de nos saints Martyrs canadiens ont le droit de passer à l'histoire.

      Guy Laflèche
      Université de Montréal


La chronologie de cette saga

  1. Mon compte rendu critique du Brébeuf de Latourelle.
  2. Refus de la RHAF de le publier (9 février 1995);
  3. Ma réplique au Comité de rédaction (17 février).
  4. Historique  : le texte est refusé par le Devoir.
  5. Publicité refusée par le Devoir (10 novembre).
  6. Communiqué de presse dénonçant le Devoir aux médias.

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