Avant de décrire les cartes de Lahontan
pour les analyser, voyons comment il les présente
lui-même.
Ce tout simple exposé permet de mettre en place
de manière élégante les hypothèses
qu'on n'arrivera pas ensuite à montrer fausses. Bien
entendu, ce n'est pas Lahontan qui nous dira qu'il n'est l'auteur
que d'une seule et unique « carte » ou pour
mieux dire d'un dessin géographique à l'aquarelle,
dessin inédit, la Mappa del rio Missisipi (1699).
Ensuite, en ce qui concerne à proprement parler
« ses » cartes, celles publiées dans les
deux premiers des trois tomes de son oeuvre en 1702 (les trois
tomes étant datés de 1703), il apparaît vite
qu'il ne s'agit là que de compositions autour d'une seule
carte, la Carte generale de Canada, dont Lahontan tire un
sommaire, la Carte generale de Canada a petit point, et dont
il développe ensuite une pure affabulation, la Carte de
la riviere Longue. Or, cette carte, dont Lahontan tire les
deux autres, n'a aucune chance d'être de lui. Dans sa vie
comme dans son oeuvre — car chez lui les deux sont
intrinsèquement liées —, Lahontan est un
fabulateur de génie : ce n'est pas un stratège
militaire, mais un beau parleur; ce n'est pas un explorateur, mais
un voyageur, voire un touriste; ce n'est pas un écrivain,
mais un littérateur; ce ne sera donc pas non plus un
cartographe, alors même qu'il nous aura
présenté « ses » cartes de la
Nouvelle-France comme les seules qui soient fidèles et
correctes de toutes celles parues ou dressées
jusques-là,
à l'extraodinaire exception de celle qu'il a vue
« entre les mains d'un gentilhomme de Quebec »
(MA, p. 126)... mais qui n'a malheureusement jamais
été publiée !
Au moment de la publication des deux premiers
tomes de son ouvrage, Lahontan fait la promotion de ses cartes sur
ses pages de titre. À cette époque, la page titre
d'un volume correspond à peu près à ce qu'on
trouve aujourd'hui en « quatrième de
couverture », soit un petit placard publicitaire. Bien
en évidence, à la dernière ligne du
titre, on annonce : « Le tout enrichi de
cartes & de figures ». Les figures sont nombreuses, mais
pas les cartes. Si on laisse de côté le sommaire de
la Carte à petit point (en tête du premier tome,
annonçant ou préfigurant la Carte
générale en tête du second) et quelques plans,
on ne trouve en fait qu'une seule carte pliée en tête
de chacun des deux volumes. On lit à la fin de la
préface de l'éditeur, rédigée par
Lahontan, la note typographique désignant la
première : « La carte mise en tête du
premier volume doit se raporter à la 16e Lettre du
même volume ». Le renvoi à la carte en
question est mis en évidence dans le titre du chapitre
correspondant (NV, p. 136) et, par conséquent, à
la table des matières en tête de l'ouvrage qui
annoncent la relation de découverte de la
rivière Longue, « avec la carte des païs
découverts, & autres ». La supercherie commence
donc avec le titre et l'annonce de sa carte, la cartographie d'une
affabulation et la fabulation cartographique, car les deux sont
étroitement liées. Pas plus que le premier, le tome
second n'est enrichi d'aucune « cartes »,
pluriel, puisqu'on y trouve enfin la seule et unique production
cartographique proprement dite de l'ouvrage, la Carte generale
de Canada, pliée en tête du volume. En fait, il
s'agit de la première des nombreuses pièces
documentaires rassemblées dans les Mémoires de
l'Amerique septentrionale (MA) et sur laquelle prend appui son
tout premier chapitre, la « Description
abrégée du Canada ». On verra que le
chapitre en question est une lecture de la carte. Or, c'est
l'éloge de cette carte que Lahontan fera sous la
désignation de ses cartes.
Cela commence en tête de l'ouvrage, dans
la « Preface » que Lahontan attribue à
ses éditeurs, les frères L'Honoré. Parmi les
nombreux éloges sur l'ensemble de son oeuvre, bien en
évidence, au dernier alinéa, il y en a un qui ne
manquera pas de séduire le lecteur (car cela est
« très conforme au goût du
siècle »), « c'est que l'on donne des
cartes fort bonnes & fort exactement dessinées ».
Tout autant que les précieux détails précis
sur les moeurs des Amériquains, « l'on verra d'un
coup d'oeil la véritable disposition de ce
païs-là ».
Et, bien entendu, « l'on doit
ajoûter à tout [cela] d'autant plus de foi, que
l'auteur a parcouru ces terres du Nouveau Monde pendant plusieurs
années » (NV, « Preface »,
dernier alinéa, juste avant la Table des lettres). Que
voilà donc une belle mise en évidence et au pluriel
de la seule et unique carte véritable de son ouvrage. Mais
il ne saurait s'agir ici de dénigrer Lahontan, bien au
contraire : comme partout ailleurs, le littérateur de
talent est assez habile pour éblouir ses lecteurs à
partir d'une réalité incontestable, une vraie carte
qu'on mettra beaucoup d'énergie à évaluer,
pour faire de lui rien de moins qu'un... cartographe !
Tout Lahontan est là, dans le titre de
deux volumes, le titre d'un chapitre et le fion d'une
préface attribuée à ses éditeurs. On
n'a pas commencé à lire son ouvrage que l'on sait
déjà qu'on se trouve en présence d'un fameux
auteur. C'est le baron Louis-Armand de Lom d'Arce de La Hontan,
officier de la marine, promu lieutenant du roi à Plaisance.
Et cartographe, donc.
Après avoir laissé ses titres et
les éditeurs de son ouvrage louanger ses cartes, Lahontan
s'y mettra lui-même en tête du second volume, celui de
ses Mémoires. Et il saura le faire avec une remarquable
rhétorique narrative, celle de la mise en scène
autobiographique, sous la forme d'une adresse à son
correspondant, le parent auquel étaient adressées les
25 Lettres des Nouveaux Voyages (NV), au volume
précédent, et auquel il présente maintenant
ses Mémoires et, bien sûr « ses »
cartes (MA, p. 5). La rhétorique développe
l'argumentaire en trois dimensions. D'abord ces cartes vont
permettre à son correspondant (et, bien entendu, aux
lecteurs) de suivre pas à pas ses itinéraires lors de
sa relecture (ou de leur lecture) de la correspondance :
« Si vous consultez mes cartes à mesure que vous
relirez les Lettres que je vous ai écrites depuis
l'année 1683, vous trouverez tous les lieux dont je vais
mention ». Ensuite, ces cartes seront d'autant plus
utiles qu'elles sont à nulle autre pareilles et cette
fois-ci
l'éloge est d'autant plus efficace qu'il se construit
négativement, car c'est parce qu'il n'y en a pas de
meilleure : « elles sont très
particularisées, & j'ose vous assurer qu'il n'en a jamais
parru de si correctes ».
Enfin, car le talent de Lahontan pour la mise
en scène est vraiment extraordinaire, créant des
arguments très astucieux, voire rusés et retors,
comme ici : « Je mets la Carte de Canada à
la tête de ces mémoires; la grace que je vous
demande, c'est de ne la communiquer à personne sous mon
nom » (MA, p. 5) ! Bien entendu, la situation
a changé entre la rédaction puis la publication de
l'ouvrage, et c'est là aussi une des importantes mises en
scène de Lahontan. Le « lecteur » a
maintenant accès à des cartes secrètes !
Nous voilà en effet dans un roman d'espionnage. Car
l'ouvrage, dédié « à sa
majesté Frédéric IV », roi des pays
scandinaves, expose « l'avantage que l'Angleterre peut
retirer dans ce païs, étant en guerre avec la
France », comme le dit le titre du premier tome, tandis
que la préface attribuée aux éditeurs expose
de manière machiavélique les causes et les objectifs
de la publication : on a dû arracher à l'auteur
sa correspondance et ses mémoires, ce qu'il n'a consenti
qu'avec beaucoup de répugnance (car il ne les destinait
nullement à la publication), pour se justifier
auprès du public des calomnies dont ses adversaires
ont convaincu le roi de France qui lui a refusé son appui et
sa reconnaissance pour ses nombreux services. Il suit, c'est
clair, que nous sommes ainsi en face de documents
révélant des secrets d'État. Et tel est donc
la nature de cette Cartes générale de la
Nouvelle-France,
que son correspondant devait garder secrète, ne
pouvant en tout cas la communiquer sous son nom, et qu'il doit
maintenant publier pour laver son honneur : « se
voyant absolument ruïné dans l'esprit de son
maître, il a crû ne pouvoir mieux faire que de se
disculper aux yeux du public, c'est une consolation fort naturelle
pour tous les honnêtes gens » (fait-il dire
à ses éditeurs à l'avant-dernier alinéa
de sa Préface).
Le point central reste celui exposé
plus haut; c'est lui qui est mis en relief par les deux autres et
il n'aura pas manqué de pénétrer l'esprit du
lecteur. C'est le fameux message subliminal, d'autant plus puissant
que Lahontan ne l'exprime qu'en passant, sans se mettre en peine
d'en faire la moindre démonstration. Or, c'est toujours sur
cette question de la qualité et de l'authenticité de
cartes sans pareilles qu'il reviendra dans une inoffensive
« digression » qui renverra explicitement, si
l'on peut dire, au point central de l'exposé
machiavélique qui vient d'être analysé. Et ce
sera encore digne de Machiavel. Nous sommes, dans les
Mémoires, au coeur d'un exposé qui dénigre les
relations des jésuites de la Nouvelle-France, sans les
désigner nommément, bien entendu, pour expliquer que
jamais le diable ne se manifeste aux Amérindiens,
contrairement à ce que prétendent les missionnaires,
qui ne comprennent même pas le sens premier de l'expression
machi manitou (« mauvais esprit »,
mauvaise chose ou événement malheureux). Bref,
on ne peut vraiment pas se fier à ces relations
missionnaires où, écrit-il, « j'ai lû
cent folies sur ce sujet ». Et d'ajouter, prêchant
pour sa paroisse (c'est bien le cas de le dire) :
« Je ne sçaurais m'empêcher de dire encore
une fois qu'il en est des relations de Canada, comme ces cartes
geographiques de ce païs-là; c'est à dire que,
de bonne foi, je n'en ai vû qu'une seule de fidèle
entre les mains d'un gentilhomnme de Quebec, dont l'impression fut
ensuite défenduë à Paris, sans que j'en
sçache la raison » (MA, p. 126). Il faut
admirer la remarquable habileté de ces deux innocentes
petites propositions : Lahontan s'excuse (« je ne
sçaurais m'empêcher de dire ») de
répéter (« dire encore une
fois »), ce qu'il n'a jamais dit (explicitement) et qu'il
ne dira pas ici non plus, à savoir que ses cartes sont d'une
valeur scientifique ou documentaire à nulle autre pareilles.
Plus encore, la preuve incontestable de ce qui n'est pourtant que
suggéré s'appuie sur une seule et unique carte
(comparable aux siennes) non pas d'un cartographe de Québec
(ce pourrait être Jean-Baptiste Franquelin), mais bien d'une
carte anonyme qu'il a vue
entre les mains d'un gentilhomme tout aussi anonyme. Et, pour
finir, il prend
soin de la faire disparaître : « dont
l'impression fut interdite à Paris, sans que j'en
sçache la raison ». C'est la rhétorique de
la négation des affirmations, l'une après l'autre.
Certes, les deux propositions sont d'un humour sarcastique corrosif
contre les relations des jésuites, mais elles sont aussi un
très efficace éloge de son oeuvre et de ses
cartes.
Voici donc un cartographe exceptionnel,
autoproclamé. Champlain ou les jésuites (Allouez et
Dablon, puis Marquette, par exemple) avaient publié les
premières grandes oeuvres cartographiques dans leurs
relations de la Nouvelle-France : c'étaient des
cartographes. Ensuite, de très nombreux auteurs ont
adjoint une carte du nord-est de l'Amérique à leur
relation : une carte générale
accompagnait les relations populaires de Bressany en 1653, de
Ducreux en 1664, de Hennepin en 1683, puis en 1697, et l'ouvrage de
Leroux en 1691. Il ne viendrait à l'esprit de personne
d'imaginer qu'on trouve là des cartographes. On voit
dès lors combien Lahontan est un auteur tout à fait
exceptionnel. Un romancier de la cartographie, digne de Stevenson
et de sa fabuleuse carte de l'Île au trésor.
Justement, il faut encore analyser le
rôle des cartes dans l'oeuvre de Lahontan pour en tirer nos
dernières hypothèses. Ce sera vite fait et
concluant. La première carte, au premier tome, est
désignée, on l'a vu, dès le titre de la
Lettre XVI et, tout au long de ce chapitre, elle est
nommément convoquée pas moins de dix fois (onze fois,
sans compter l'occurrence du titre, pour être précis).
Il suit que la carte a été dessinée, sur la
base et comme prolongement de la Carte générale, pour
accompagner, illustrer et authentifier la relation de la
« découverte » de la rivière
Longue. Cela confirme que nous sommes en pleine affabulation
narrative et cartographique. Un coup d'oeil sur la carte de
l'exploration du haut Mississippi par Marquette (1673) ou celle de
la côte du Labrador par Jolliet (1694) suffit pour en avoir
la preuve irréfutable. Et c'est l'art (populaire) de
Lahontan que de rendre tout à fait crédible une
invraisemblable et pure fiction, même pour de nombreux
savants, on le sait, qui seront victimes de sa
rhétorique.
Voilà pour l'utilisation de la carte de
la rivière Longue. En revanche, il est extrêmement
significatif que la Carte generale de Canada ne soit jamais
ni citée ni évoquée tout au long de la
correspondance, avant la seule désignation qu'on en trouve
dans la Lettre XXIII (datée de 1692, en France)
présentant le plan de défense militaire contre
l'Iroquoisie, soit le mémoire qui date d'une année
à ce moment (1691). Le projet repose sur la construction de
trois forts. La description de Lahontan s'ouvre ainsi :
« Je ferai trois petits fortins en différens
endroits, l'un à la décharge du lac Errié, que
vous verrez sur ma Carte de Canada sous le nom de "Fort
Supposé" » (NV, p. 239). Et deux
« forts supposés », dont
celui-là,
sont effectivement portés sur la carte que
Lahontan publie en 1702. Cette seule et unique désignation
de la carte dans les Nouveaux Voyages est très
précieuse, car elle permet de dater la version de la carte
publiée en 1702. Cette version est donc de 1691 et a
été présentée à Ponchartrain,
à Paris, l'année suivante.
Dès lors, une question toute simple se
pose : de quand date donc la version originale de la Carte
générale ? L'hypothèse la plus probable
(c'est en logique l'« hypothèse nulle »
qui sera vraie jusqu'à ce qu'on puisse la montrer fausse)
consiste tout simplement à inverser l'affirmation de
l'affabulateur. Relisons ce qui a été cité
plus haut : « Si vous consultez mes cartes à
mesure que vous relirez les Lettres que je vous ai écrites
depuis l'année 1683, vous trouverez tous les lieux dont je
fais mention... » (MA, p. 5). On ne fait pas
l'expérience très longtemps pour comprendre que rien
n'est plus juste : c'est même tout à fait
exceptionnel. La vérité saute d'ailleurs vite aux
yeux, et c'est la bonne expression : Lahontan a cette carte
sous les yeux lorsqu'il rédige ses itinéraires
depuis le tout début de sa correspondance. Non, il n'a pas
inventé ses déplacements et ses itinéraires
à partir de la carte et la preuve en est qu'on trouve
très souvent des toponymes qui ne sont pas sur sa carte (cap
Tourmente, l'île d'Orléans, le lac Saint-Pierre ou
Sorel, par exemple, NV, L4). En fait, il utilise sa carte de la
Nouvelle-France, comme tous les voyageurs, dans ses
déplacements, et, tout comme eux, il s'en sert ensuite comme
aide-mémoire pour rédiger ses Lettres. Tel est
précisément le cas ici. Faire la preuve que ce n'est
pas « cette » carte (singulier) qu'il utilise
ne sera certainement pas chose facile. En revanche, lorsqu'on
décrit son arrivée à Québec et qu'on
situe la ville au 47e degré de latitude « et
quelques minutes » (NV, L2, p. 13), on n'a
certainement pas sorti son astrolabe pour déterminer cette
position ! Même chose lorsqu'on situe la ville de
Trois-Rivières au 46e degré (L4, p. 23) et
Montréal au « 45e degrez de latitude, & quelques
minutes » (p. 25). Il serait difficile d'en arriver
à cette précision approximative avec la bonne vieille
carte de Samsom, par exemple (les latitudes réelles pour
Québec, Trois-Rivières et Montréal sont
respectivement de 46,49, de 46,21 et de 45,30). Or, dès la
Lettre XVII,
datée du 2 novembre 1684, on voit que la description du
trajet de Montréal à la rivière La Famine,
au-delà
du fort Frontenac, est calquée sur la Carte
générale qui sert d'aide-mémoire à
Lahontan. Il a réalisé ce trajet en juin ou juillet
1684, pour en revenir en octobre probablement. Le récit
vivant et précis de son voyage s'appuie de toute
évidence sur la toponymie de la Carte generale de
Canada et on peut en voir la preuve en ce que cette description
ne se trouvera pas, pour ne pas faire double emploi, dans la
« Description abrégée du Canada »
décrivant la carte, comme ce sera aussi le cas de
l'itinéraire de l'Outaouais jusqu'au lac Huron, par
exemple.
L'hypothèse s'impose donc que Lahontan
obtient ou acquiert cette Carte générale lors de son
arrivée à Québec à l'automne 1683,
et plus probablement au cours de l'hiver suivant, en 1684. Du
coup, il suit qu'elle est
antérieure à cette date, probablement du début
des années 1680, et, bien entendu, que
Lahontan n'en est pas l'auteur. Le contraire serait
d'ailleurs bien surprenant. Or, il n'est pas nécessaire
d'étudier longuement la question pour en faire la preuve
cartographique. Un coup d'oeil sur la carte de la
rivière Longue suffit pour voir que l'excroissance
ajoutée à la Carte générale n'est pas
du même ordre. On le voit tout de suite au dessin des lacs,
ombragés, tandis que ceux de la Carte générale
sont tracés en ombrageant leur seul contour. En fait, il
apparaît vite que les caractéristiques des deux
parties de la carte sont contradictoires. Plus encore, le
« dessinateur » de la Mappa del rio
Missisipi, qui est bien, lui, Lahontan, n'a absolument rien du
cartographe de la Carte generale de Canada. Notre
aquarelliste donne plutôt dans les arbres suçons et
les petites collines galbées, les villages roulés en
boules décoratives et les forts fortement carrés,
sans compter les majestueuses sinuosités de tous les
contours du fleuve, des rivières et des lacs. Là est
manifestement l'art cartographique de Lahontan, l'art d'un amateur
du dessin, qui n'a aucun rapport avec celui d'un géographe,
aussi peu savant et aussi pragmatique soit-il, celui de l'auteur de
la Carte générale du Canada.
Que voilà donc un enseignement
important. On est ici en face d'une grande oeuvre de
littérature populaire — et ces quatre vocables ont
leur poids. Rien ne dit que l'art populaire ne soit pas parfois du
grand art. La grande littérature n'est pas faite seulement
par Flaubert : Balzac et Zola y participent aussi, et on ne
saurait les confondre avec les Eugène Sue, les Ponson du
Terrail et les autres amuseurs qui jouent de la plume. C'est un
grand plaisir de lecture que de voir Lahontan se présenter
comme un imparable et formidable cartographe, on en conviendra.
Qui donc ne prendra pas plaisir à relire dans leur contexte
les extraits cités ici pour fin d'analyse ? On ne
manquera certainement pas de retrouver ce plaisir tout vif dans le
dessin et le récit de la découverte de la
rivière Longue. Mais, conscient de ce qu'on peut bien
appeler la « supercherie littéraire »
(la littérature l'est toujours un peu et l'art populaire en
vit), on découvre tout à coup une information
documentaire que les savants, les historiens et les
spécialistes de la cartographie, n'avaient encore jamais
vraiment vue, tout occupés de la supercherie (la Carte de
la riviere Longue), soit la Carte generale de
Canada : une carte de la Nouvelle-France qui constitue
manifestement un document exceptionnel.
Oh ! Cela ne nous empêchera
évidemment pas d'étudier aussi la carte de la
rivière Longue, avec non moins de plaisir et
d'intérêt. La fiction la plus fabuleuse peut
être également un « document ».
Les romans autobiographiques en font la preuve.
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