TdM | Lahontan, « Lettre XVI » des Nouveaux Voyages | TGdM |
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NOUVEAUX VOYAGES DE MR LE BARON DE LAHONTAN, DANS L' A M E R I Q U E SEPTENTRIONALE. Qui contiennent une relation des differens Peuples qui y habitent, la nature de leur Gouvernement, leur Commerce, leur Coûtumes, leur Religion, & leur maniere de faire la Guerre. L'interêt dès François & des Anglois dans le Commerce qu'ils font avec ces Nations, l'avantage que l'Angleterre peut retirer dans ce Païs, étant en Guerre avec la France. Le tout enrichi de Cartes & de Figures. TOME PREMIER, ˜**˜ [= ornement gravé] A L A H A Y E, Chez les Freres Lhonore', Marchands Libraires. [Filet] M. DCCIV.
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L E T T R E
X V
I. Qui contient le départ de l'Auteur de Miƒƒilimakinac. Deƒcription de la Baye des Puants, & de ƒes villages. Ample deƒcription des Caƒtors, ƒsuivie du voyage remarquable de la Riviere Longue, avec la Carte des Païs découverts, & autres. Retour de l'auteur à Miƒƒilimakinac. <M> O N S I E U R, Me voici, graces à Dieu, de retour de mon voyage de la Riviere Longue, qui ƒe décharge dans le Fleuve de Miƒƒiƒipi. J'en aurois pû ƒuivre le cours juƒqu'à ƒon origine, ƒi pluƒieurs obƒtacles ne m'en avoient empêché. Je partis d'ici le 24. du mois de Septembre dernier avec mon détachement, & ces cinq Outaouas bons chaƒƒeurs, dont je vous ai parlé, qui m'ont été fort utiles. Tous mes Soldats étoient pourvûs de Canots neufs remplis de vivres, de munitions de Guerre & de Marchandiƒes propres pour les Sauvages. Le vent de Nord, dont je profitai, me pouƒƒa en trois jours [à] l'entrée de la Baye des Pouteouatamis. Elle eƒt éloignée d'ici d'environ quarante lieuës. L'ouverture de cette Baye eƒt presque fermée d'Iƒles; elle a dix lieuës de largeur & vingt-cinq de profondeur. Nous entrâmes le 29. dans une petite Riviere aƒƒez profonde, qui ƒe décharge où l'eau du Lac monte trois pieds à pic en douze heures, & deƒcend tout autant; c'eƒt une remarque que je fis durant trois ou quatre jours que j'y ƒéjournai. Les Sakis, les Pouteouatamis & quelques Malominis, ont leurs Villages ƒituez au bord de cette Riviere. Les Jeƒuites y ont auƒƒi une Maiƒon. Il ƒe fait en ce lieu là un grand commerce de Pelleteries & de bled d'Inde que ces Sauvages trafiquent aux Coureurs de bois, qui vont & viennent; car c'eƒt le paƒƒage le plus court & le plus commode pour aller au Fleuve de Miƒƒiƒipi. Les terres y ƒont ƒi fertiles qu'elles produiƒent preƒque ƒans culture du Froment de nôtre Europe, & des Pois, des Féves, & quantité d'autres fruits inconnus en France. Dés que j'eus mis pied à terre, les Guerriers de ces trois Nations vinrent tour à tour dans ma Cabane me régaler de la Danƒe du Calumet & de celle du Capitaine; la premiere, en témoignage de paix & de bonne amitié; la ƒeconde, pour me marquer leur eƒtime & leur conƒideration. J'y répondis par quelques braƒƒes de tabac de Breƒil dont ils font beaucoup de cas, & par certains cordons de raƒƒade ou conterie de Veniƒe, dont ils brodent leurs Capots. Le lendemain matin je fus prié de me trouver au Feƒtin d'une de ces Nations; & aprés y avoir fait porter de la vaiƒƒelle ƒelon la coûtume, je m'y en allai vers le Midi. Ils débuterent par me complimenter ƒur mon arrivée, & moi leur ayant fait une réponƒe de remerciment, ils ƒe mirent tous deux l'un aprés l'autre à chanter & danƒer d'une maniere dont je vous ferai le détail quand j'aurai plus de loiƒir. Ces chanƒons & ces danƒes durerent deux heures. Cela fut aƒƒaiƒonné de cris de joye & de quolibets qu'ils font entrer dans leur Muƒique ridicule. Enƒuite les Eƒclaves ƒervirent : Toute la Troupe étoit aƒƒiƒe à la maniere Orientale, chacun avoit ƒa portion comme nos Moines dans leurs Refectoires. On commença par mettre devant moi quatre plats; le premier conƒiƒtoit en deux Poiƒƒons blancs boüillis ƒimplement à l'eau; le ƒecond étoit garni de côtelettes & d'une langue de Chevreüil, le tout boüilli; le troiƒiéme de deux Gelinotes de bois, d'un pied d'Ours de derriere, & d'une queuë de Castor, le tout rôti; le quatriéme contenoit un copieux boüillon de pluƒieurs ƒortes de viandes. Ils me firent boire d'une liqueur délicieuƒe, qui n'eƒt pourtant qu'un ƒyrop d'érable battu avec de l'eau, je vous en parlerai quelque jour. Le Feƒtin dura deux heures, aprés-quoi je priai un des chefs de cette Nation de chanter pour moi, car c'eƒt la coûtume lors qu'on a des affaires d'employer un ƒecond pour ƒoi en toutes les ceremonies qui ƒe font parmi les Sauvages. Je lui fis preƒent de quelques morceaux de tabac pour l'obliger à tenir la partie juƒqu'au ƒoir. Le lendemain & le jour ƒuivant, je fus pareillement engagé d'aller aux Feƒtins des deux autres Nations, où l'on obƒerva les mêmes formalitez. Je ne trouvai rien de plus curieux dans ces Villages que dix ou douze Caƒtors auƒƒi apprivoiƒez que des chiens. Ils alloient & venoient des Cabanes aux Rivieres & des Rivieres aux Cabanes ƒans s'égarer. Je m'informai des Sauvages ƒi ces animaux pouvoient vivre hors de l'eau; ils me répondirent qu'ils y vivoient auƒƒi facilement que les chiens, & qu'ils en avoient gardé pendant un an, ƒans en ƒortir que pour courir dans le Village; d'où je conclus que Meƒƒieurs les Caƒuiƒtes ont grand tort de ne pas mettre les Canards, les Oyes & les Sarcelles au nombre des amphibies, auƒƒi-bien que les Naturaliƒtes. Il y avoit déjà long-temps que pluƒieurs Ameriquains m'avoient dit la même choƒe, mais comme je croyois qu'il y avoit des Caƒtors de differentes eƒpeces, je voulus en être encore mieux informé. Il eƒt vrai qu'il s'en voit d'un certain genre particulier, qu'on appelle terriens; mais ƒelon le rapport même des Sauvages, ceux-cy ƒont d'une eƒpece differente des amphibies : Ils font des tanieres ou des trous en terre comme les Lapins & les Renards, n'allant jamais à l'eau que pour boire. Ils les appellent des pareƒƒeux qui ont été chaƒƒez de quelques Cabanes dans leƒquelles ces animaux habitent juƒqu'au nombre de quatre -vingt. Je vous en parlerai quelque jour. Ces animaux faineans ne voulant pas travailler, ƒont chaƒƒez par les autres, comme les Gueƒpes par les Abeilles, & ils en ƒont maltraitez ƒi violemment, qu'ils ƒont obligez d'abandonner les Cabanes que la bonne race conƒtruit elle-même ƒur les Etangs. Ces Caƒtors indolens ont la figure des autres, ƒi ce n'eƒt que leur poil eƒt rongé ƒur le dos et ƒur le ventre, ce qui vient de ce qu'ils ƒe frottent contre la terre quand ils vont à leur taniere ou quand ils en ƒortent. Les Naturaliƒtes ƒe trompent groƒƒiérement lors qu'ils prétendent que ces animaux ƒe coupent les teƒticules quand les Chaƒƒeurs les pourƒuivent. C'eƒt une verƒion toute pure, car la partie que les Medecins appellent Caƒtoreum, ne réƒide point-là, elle eƒt renfermée dans une certaine poche que la Nature ƒemble avoir faite exprés pour ces animaux. Ils s'en ƒervent pour ƒe dégacer les dents, quand ils ont mordu quelques arbriƒƒeaux gommeux. Mais ƒuppoƒé que le Caƒtoreum fut dans les teƒticules, il ƒeroit impoƒƒible que cet animal pût les arracher ƒans déchirer les nerfs des aînes où elles ƒont cachées prés de l'os pubis. Il eƒt aiƒé de s'appercevoir qu'Elian & pluƒieurs autres Naturaliƒtes ne connoiƒƒoient guéres la chaƒƒe des Caƒtors, ils n'auroient point avancé qu'on pourƒuit ces animaux, qui ne s'écartent jamais du bord de l'Etang où leurs Cabanes ƒont conƒtruites; & qui au moindre bruit plongent & nagent entre deux eaux pour retourner dans leurs nids aprés le danger. Si ces animaux ƒçavoient la raiƒon pour laquelle on leur fait la guerre, ils devroient s'écorcher tous vifs, puiƒqu'on n'en veut qu'à leur peau; car le Caƒtoreum n'eƒt rien en comparaiƒon de ce qu'elle vaut. Un grand Caƒtor a vingt-ƒix pouces de longueur de l'occiput à la racine de la queuë; ƒa circonference eƒt de trois pieds huit pouces; ƒa tête a ƒept pouces de longueur & ƒix de largueur; ƒa queuë fait bien l'étenduë de quatorze pouces, elle en a ƒix de largeur & au milieu elle eƒt épaiƒƒe d'un pouce & deux lignes. Cette queuë eƒt d'une figure ovale, l'écaille dont elle eƒt couverte eƒt un exagone irrégulier; ce qui fait un épiderme, c'eƒt-à-dire, en terme de Medecine, une petite peau qui enveloppe la grande. Cet animal ƒe ƒert de ƒa queuë pour porter de la bouë, de la terre, & toutes les autres matieres dont ƒont formées les Digues & les Cabanes qu'il conƒtruit par un inƒtinct admirable. Ses oreilles ƒont courtes, rondes & enfoncées; ƒes jambes ont cinq pouces, ƒes pattes trois & demi du talon juƒqu'au bout du grand doigt; ƒes pieds ont ƒix pouces & huit lignes de longueur. Ses pattes ƒont faites à peu prés comme la main d'un homme, & il s'en ƒert pour manger à la maniere des Singes, elles ƒont feüilluës, & les cinq doigts joints enƒemble comme ceux d'un Canard par une membrane de couleur d'ardoiƒe. Ses yeux plus petits que grands à proportion de ƒon corps, ƒont de la figure de ceux des Rats. Il a au-devant de ƒon muzeau quatre dents de défenƒe, deux à chaque machoire comme les Lapins, & ƒeize molaires, huit en haut & huit en bas . Ses dents de défenƒe ou inciƒives, ont plus d'un grand pouce de longueur & un quart de largeur, avec cela elles ƒont fortes & tranchantes comme un ƒabre de Damas; car cet animal, ƒecondé par ƒes confreres ( pardonnez-moi ce terme- -là, j'entends d'autres Caƒtors ) coupe des arbres gros comme des bariques; ce que je n'euƒƒe jamais crû ƒi je n'avois remarqué moi-même plus de vingt troncs de ces arbres coupez. Son poil eƒt double; l'un eƒt long, noirâtre, luiƒant, & gros comme du crin; l'autre délié, uni, long de quinze lignes pendant l'Hiver; en un mot, le plus fin duvet qui ƒoit au monde. La peau d'un tel Caƒtor peƒe deux livres, le prix en eƒt different. La chair en eƒt délicate l'Hiver & l'Automne, mais il faut la rôtir pour la manger tout-à-fait bonne. Voilà, Monƒieur, la deƒcription exacte de ces prétendus amphibies, dont les ouvrages ƒont la production d'une ƒi fine ƒtructure, qu'à peine l'Art peut-il fournir rien d'auƒƒi beau. Peut-être vous en ferai-je quelque jour le détail, la diƒgreƒƒion ƒeroit à preƒent trop longue. Il n'eƒt donc plus queƒtion que d'abandonner la Navigation des Lacs en partant de cette Baye, où je commençai le Journal que je vous envoye, avec la Carte de tous les Païs que j'ai decouverts. Je m'embarquai le trentiéme Septembre avec tous mes gens, & le deuxiéme Octobre j'arrivai au pied du Saut du Kakalin aprés avoir refoulé quelques petits courans dans la Riviere des Puants. Le lendemain nous fiƒmes ce petit portage, & le cinquiéme j'arrivai au Village des Kikapous, auprés duquel je campai le jour ƒuivant pour y prendre langue. Ce Village eƒt ƒitué ƒur le bord d'un petit Lac, où les Sauvages pêchent quantité de Brochets & de Goujons. Je n'y trouvai que trente ou quarante Guerriers pour la garde, car les autres étoient allez à la chaƒƒe des Caƒtors depuis quelques jours. Le ƒeptiéme je me rembarquai; & aprés avoir bien ramé, nous entrâmes vers le ƒoir dans le petit Lac des Malominis, où nous tuâmes aƒƒez de Canards & d'Outardes pour ƒouper. Nous y cabanâmes ƒur une pointe de terre. Dés le point du jour nous nous mîmes en Canot pour aller à leur Village, où nous ne reƒtâmes qu'une heure pour parler à quelques Sauvages à qui je fis preƒent de deux braƒƒes de tabac, qui par reconnoiƒƒance nous donnerent deux ou trois ƒacs de farine de fole Avoine. Ce Lac eƒt couvert de cette ƒorte de Grain qui y croît en touffes, & dont la tige eƒt haute. Ces Sauvages en font des moiƒƒons abondandes. Le neuviéme j'arrivai au pied du Fort des Outagamis, où je ne trouvai que peu de gens : Ils me firent un fort bon accueil, car aprés avoir danƒé le Calumet à la porte de ma Cabane, ils m'aporterent des Chevreüils & du Poiƒƒon. Le Lendemain ils m'accompagnerent juƒqu'au haut de la Riviere où leurs gens étoient à la chaƒƒe des Caƒtors. Le onziéme nous nous embarquâmes de compagnie, & nous mîmes pied à terre le treiziéme au bord d'un petit Lac où nous trouvâmes la Cabane du Chef de cette Nation. Dés que nous eûmes canabé, ce Capitaine vint me rendre une viƒite de ceremonie, & s'informa de quel côté je prérendois aller. Je lui répondis que bien loin de marcher vers les Nadoueƒƒious ƒes ennemis, je n'en approcherois de plus de cent lieuës, & que pour l'en aƒƒurer davantage, je le priois de vouloir bien me donner ƒix Guerriers pour m'accompagner à la Riviere Longue que je voulois remonter juƒqu'à ƒa ƒource. Il me dit qu'il étoit ravi que je ne portois ni armes ni hardes aux Nadoueƒƒious, qu'il voyoit bien que je n'étois pas en équipage de Coureur de bois, & qu'au contraire je méditois quelque découverte; mais qu'il ne me conƒeilloit pas de remonter trop haut cette belle Riviere, à cauƒe de la multitude de Peuples que j'y trouverois, quoy qu'ils n'euƒƒent pourtant aucun talent pour la guerre. Il vouloit dire par là que je pourrois être ƒurpris durant la nuit par quelque grand parti, cependant au lieu de ƒix Guerriers que je lui demandai, il m'en donna dix, qui ƒçavoient la langue & connoiƒƒoient le Païs des Eokoros avec leƒquels ƒa Nation étoit en paix depuis plus de vingt ans. Je demeurai deux jours avec ce Chef, pendant leƒquels il me |
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régala parfaitement bien, ƒe promenant
même avec moi, pour me donner le plaiƒir de remarquer la ƒéparation des Cabanes des chaƒƒeurs dans les Païs où l'on trouve les Caƒtors. Je vous expliquerai quelque jour ce que c'eƒt que ces Cabanes. Je lui fis preƒent d'un fuƒil, de deux livres de poudre, de quatre livres de balles, de douze pierres à fuƒil, & d'une petite hache. Je donnai auƒƒi à ƒes deux enfans chacun un Capot & une braƒƒe de tabac de Breƒil. Entre ces dix Guerriers, il s'en trouva deux qui parloient parfaitement bien la langue des 0utaouas, c'eƒt-à-dire, des Algonkins. Ce n'eƒt pas que je n'entendiƒƒe un peu la leur, parce que la difference n'en eƒt pas fort grande. Cependant cela me fit plaiƒir, car il y a certains mots qui m'auroient fait de la peine; Mes quatre Outaouas furent ravis de voir ce petit renfort, cela les encouragea tellement qu'ils me dirent plus de quatre fois que nous pouvions aller juƒqu'à la Cabane du Soleil, ƒans rien craindre. Je m'embarquai donc avec cette petite eƒcorte le ƒeize à midi, & nous arrivâmes le ƒoir au portage de Ouiƒconƒinc, que nous fîmes en deux jours, c'eƒt-à-dire, que nous quittâmes la Riviére des Puants, en tranƒportant nos Canots & nôtre bagage juƒqu'à la Riviére de Ouiƒconƒinc, qui n'en eƒt éloignée que de trois quarts de lieuë tout au plus. Je ne vous dis rien de cette Riviére abandonnée, ƒinon qu'elle eƒt ƒalle, bourbeuƒe, & bordée de côteaux eƒcarpez, de marais & de rochers effroyables. Le dix-neuf nous nous embarquâmes ƒur la Riviére de Ouiƒconƒinc, & à la faveur d'un paiƒible courant nous arrivâmes en quatre jours à ƒon embouchure, dans le Fleuve de Miƒƒiƒipi, lequel peut avoir une demi- lieuë de largeur en cet endroit-là. Cette Riviére n'eƒt ni plus large, ni plus rapide que la Loire. Elle gît Nord-Oüest & Sud-Oüeƒt, elle eƒt bordée de prairies : de bois de haute futaye, & de ƒapins; je n'y ai vû que deux Iƒles, peut-être en a-t-elle d'autres que l'obƒcurité de la nuit m'empêcha de découvrir en deƒcendant. Le vingt-trois, nous allâmes cabaner dans une Iƒle, ƒur le Fleuve de Miƒƒiƒipi, vis-à-vis de la Riviére dont je vous parle. Nous eƒperions y trouver des Chevreüils, mais par malheur il n'y en avoit point. Le lendemain nous traverƒâmes de l'autre côté du Fleuve en ƒondant par tout comme le jour précedent, & je trouvai neuf pieds d'eau en l'endroit le moins profond. Le deux Novembre nous arrivâmes à l'entrée de la Riviére Longue; aprés avoir refoulé pluƒieurs courants de ce Fleuve aƒƒez rudes, quoi qu'en ce tems-là les eaux fuƒƒent au plus bas. Dans le cours de cette petite Navigation, nous tuâmes deux Boeufs ƒauvages que nous fîmes boucaner, & nous péchâmes quelques Barbuës aƒƒez groƒƒes. Le trois nous entrâmes dans l'embouchure de cette Rivière Longue, qui forme une eƒpece de Lac rempli de joncs : nous trouvâmes dans le milieu un petit chênal que nous ƒuivîmes juƒqu'à la nuit, laquelle nous paƒƒâmes à dormir dans nos canots. Le matin je demandai aux dix Outagamis qui m'accompagnoient, ƒi cette Navigation parmi ces joncs dureroit longtemps; ils me répondirent qu'ils n'avoient jamais été à l'entrée de cette Riviére en Canot, que cependant, ils m'aƒƒuroient qu'à vingt lieuës plus haut ƒes bords n'étoient que des bois ou des prairies. Nous n'allâmes pas neanmoins ƒi loin, car le lendemain ƒur les dix heures du matin, nous trouvâmes cette Rivière aƒƒez étroite, & ƒes rivages garnis de bois de haute futaye, & naviguant le reƒte du jour, nous vîmes quelques prairies d'eƒpace en eƒpace. Le même ƒoir, nous cabanâmes ƒur une pointe de terre pour faire cuire nos viandes boucanées, n'en ayant pas encore de fraîches. Le jour ƒuivant, nous nous arrétâmes à la première Iƒle que nous découvrîmes : nous n'y trouvâmes ni hommes, ni bêtes, & comme il étoit un peu tard je ne voulus pas aller plus loin, me contentant de faire pêcher quelques méchans poiƒƒons qui ƒentoient la vaƒe. Le six à la faveur d'un petit vent en poupe, nous allâmes cabaner à douze lieuës plus haut dans une autre Iƒle. Nous fîmes cette Navigation fort promptement, nonobƒtant le grand calme qui règne dans cette Rivière, que je crois la moins rapide qu'il y ait au monde. Cette diligence me ƒurprit, auƒƒi- bien que de ne point voir-là autant de Cerfs, de Chevreüils & de Poulets d'Inde, que j'en avois v:u dans les autres endroits de ma découverte. Le ƒeptiéme le même vent nous porta dans une troiƒiéme Iƒle, éloignée de dix ou onze lieuës de celle que nous quittâmes le matin; Nos Sauvages y tuërerent [sic] trente ou quarante Faiƒans, qui me firent quelque plaiƒir. Le huitiéme ne pouvant preƒque plus nous ƒervir du vent, à cauƒe de certains Côteaux couverts de Sapins, nous reprîmes l'aviron, & ƒur les deux heures aprés midi nous découvrîmes de grandes prairies ƒur la gauche avec quelques Cabanes à un quart de lieuë de la Riviere. Auƒƒi-tôt nos Sauvages ƒauterent à terre avec dix de mes Soldats pour s'y en aller. Ils y trouvérent cinquante ou ƒoixante chaƒƒeurs, qui les ayant attendus l'arc & la fléche à la main, mirent les armes bas, dés qu'ils eurent entendu les cris des 0utagamis. Ces chaƒƒeurs firent preƒent à nos gens de quelques Cerfs qu'ils avoient tué sur le lieu, & ils aiderent à tranƒporter ces viandes juƒqu'à mes Canots. C'étoit des Eokoros qui avoient quitté leur Village pour aller à la chaƒƒe, & qui furent ravis de nous trouver; car par politique plûtôt que par reconnoiƒƒance, je leur donnai du tabac, des coûteaux, & des aiguilles, qu'ils ne pouvoient ƒe laƒƒer d'admirer. Ils coururent promptement aux Villages pour avertir leurs camarades qu'ils avoient rencontré de bonnes gens, tellement que le lendemain vers le ƒoir, nous vîmes paroître ƒur le bord de la Riviere plus de deux mille Sauvages qui nous ayant apperçus ƒe mirent à danƒer. Nos Outagamis aborderent à terre, & leur ayant parlé, quelques-uns des Principaux s'embarquerent dans nos Canots juƒqu'au premier Village, où nous n'arrivâmes qu'à minuit. Je cabanai ƒur une pointe de terre à un quart de lieuë de là, prés d'une petite Riviere. Quoique ces Sauvages me preƒƒaƒƒent extrémement de loger dans un de leurs Villages, il n'y eût que les Outagamis, & les quatre Outaouas qui y allerent, & qui les avertirent de ne point approcher la nuit de mon campement. Le jour ƒuivant je laiƒƒai repoƒer mes Soldats, & je viƒitai les Chefs de cette nation, en leur preƒentant des coûteaux, des cizeaux, des aiguilles & du tabac. Ils me firent dire qu'ils étoient ravis de ce que nous étions venus dans leurs païs, parce qu'ils avoient entendu parler des François à d'autres Nations Sauvages qui les loüoient beaucoup. Le douze, j'en partis avec une eƒcorte de cinq ou six cens Sauvages, qui marchoient par terre à côté de nos Canots, & laiƒƒant un Village à main droite de la Riviere, je fis arrêter mes gens à un troiƒiéme Village, éloigné de cinq lieuës du premier ƒans pourtant débarquer; car je n'avois point d'autre but que de faire un présent aux Chefs, de qui je reçûs plus de bled d'Inde & de viandes boucanées qu'il m'en falloit. Enfin, paƒƒant de Village en Village ƒans m'arrêter, sinon pour cabaner la nuit ou pour leur donner quelques bagatelles, je voulus pouƒƒer jusqu'au dernier pour y prendre langue. Arrivé au pied de celui-cy, le grand Chef, qui étoit un vénérable Vieillard envoya des chaƒƒeurs en campagne dans le deƒƒein de nous faire bonne chere. Il me dit qu'à ƒoixante lieuës plus avant, je trouverois la Navigation [= Nation] des Eƒƒanapés, avec laquelle ils étoient en guerre, que ƒans cela il me donneroit une eƒcorte juƒqu'à leur Païs; qu'il me livreroit pourtant ƒix eƒclaves de cette Nation pour les ramener chez eux & m'en ƒervir dans l'occaƒion; & que je n'avois rien à craindre en remontant la Riviére, ƒi ce n'étoit quelque ƒurpriƒe de nuit. Enfin, aprés qu'il m'eût inƒtruit de pluƒieurs autres circonƒtances fort utiles, je me diƒpoƒai à partir inceƒƒamment. Ces Chefs nous dirent qu'ils étoient 20000. Guerriers en douze Villages, & qu'ils avoient été beaucoup plus nombreux avant la guerre, ayant eu tout à la fois ƒur les bras les Nadoueƒƒis, les Panimoha & les Eƒƒanapés. Ces peuples ƒont aƒƒez civils, ils n'ont rien de feroce, au contraire ils paroiƒƒoient avoir beaucoup de douceur & d'humanité. Leurs Cabanes ƒont longues & rondes par le haut, à peu prés comme celles de nos Sauvages; mais elles ƒont faites de roƒeaux & de joncs entrelacez et plâtrez de terre graƒƒe; Ils adorent le Soleil, la Lune & les Etoiles. Au reƒte, les hommes & les femmes vont nuds, excepté à l'égard de ce que la pudeur oblige de cacher. Les femmes ƒont plus laides que celles des Lacs en Canada. II y a quelque ƒorte de ƒubordination entr'eux. Leurs Villages ƒont fortifiés de branches d'arbres & de faƒƒines garnies de terre graƒƒe. Nous nous embarquâmes à ce dernier Village le vingt- uniéme à la pointe du jour, & le ƒoir même nous mîmes pied à terre dans une iƒle couverte de pierres & de gravier, aprés en avoir paƒƒé une, où je ne voulus pas m'arrêter pour ne pas perdre l'occaƒion d'un vent favorable. Ce même vent continuant le lendemain, nous fimes voile, & nous marchâmes non-ƒeulement le jour, mais encore la nuit, ƒur le rapport que les six Eƒƒanapés me firent, que la Rivière étoit ƒûré [sic], n'y ayant ni rochers ni bancs de ƒable à apprehender. Le vingt-troiƒiéme de grand matin nous abordâmes la terre à main droite, pour gommer un de nos Canots qui faiƒoit eau. Pendant ce tems-là nous fiƒmes cuire les viandes de chevreüil dont le Chef du dernier Village des Eokoros m'avoit fait présent, & comme le terrain où nous débarquâmes ce Canot étoit couvert de bois, nos Sauvages y entrerent pour chaƒƒer, mais ils n'y trouverent que de petits Oiƒeaux, ƒur leƒquels ils ne s'amuƒérent pas de tirer. Dés que nous fûmes rembarquez, le vent ayant ceƒƒé tout à coup, il fallut avoir recours aux avirons; mais comme la plûpart de mes gens avoient fort peu dormi durant la nuit, ils ne nageoient que trés-foiblement, ce qui m'obligea de m'arrêter à une groƒƒe iƒle deux lieuës plus haut, étant averti par les ƒix Eƒclaves Eƒƒanapés, que nous y trouverions quantité de Lièvres, ce qui fut effectivement vrai. Ces animaux n'étoient pas d'un mauvais inƒtinct de chercher-là leur azile, car ces bois étoient ƒi épais que nous fûmes contraints de mettre le feu en pluƒieurs endroits pour les obliger d'en ƒortir. Cette chaƒƒe finie, mes Soldats ƒe donnerent au coeur joye de ce Gibier ce qui leur procura un ƒommeil ƒi profond, que j'eûs toutes les peines du monde à les réveiller, ƒur une fauƒƒe alarme qu'une troupe de Loups nous donna, par le bruit qu'ils faiƒoient en terre ferme dans les brouƒƒailles. Le lendemain vingt-quatre nous nous embarquâmes à dix heures, & nous ne pûmes faire que douze lieuës en deux jours, parce que nos Sauvages voulurent marcher le long de la Riviere avec leurs fuƒils pour tuer des Oyes & des Canards, en quoi ils eurent grand ƒuccés. Nous cabanâmes à l'emboucheure d'une petite Riviere à main droite, où les Eƒƒanapés me firent entendre qu'il n'y avoit delà juƒqu'au premier Village que ƒeize ou dix-huit lieuës, ce qui fit que par le conƒeil de nos Sauvages j'en fis partir deux pour y aller annoncer nôtre arrivée. Le vingt-ƒix nous continuâmes à ramer de toute nôtre force pour tâcher d'y arriver le même jour; mais la quantité de bois flottans que nous rencontrâmes en quelques endroits nous en empêcha : de ƒorte que nous fûmes obligez de coucher dans nos Canots. Le vingt-ƒept à dix ou onze heures nous arrivâmes auprés du Village, où nous nous arrétâmes, aprés avoir arboré le grand Calumet de Paix à la proue de nos Canots. Dès que nous parûmes, trois ou quatre cens Eƒƒanapés accoururent nous recevoir, & après avoir danƒé vis-à-vis de l'endroit où nous étions, ils nous appellerent & nous inviterent à gagner terre. A nôtre abord ils ƒe mirent en devoir de ƒe jetter ƒur nos Canots, mais je leur fis dire par les quatre Eƒƒanapés qui étoient avec moi, qu'ils ƒe retiraƒƒent, ce qu'ils firent auƒƒi-tôt. Enƒuite je mis pied à terre avec nos Sauvages Outagamis & Outaouas, ƒuivi de vingt Soldats, ayant donné ordre à mes Sergens de débarquer & d'établir des ƒentinelles. Etant ƒur le rivage cette multitude de gens ƒe proƒterna trois ou quatre fois devant nous les mains ƒur le front, & nous fûmes à l'instant portez & enlevez au Village en ceremonie, c'eƒt à dire avec des cris de joye qui m'étourdiƒƒoient. Quand nous fûmes à la porte ceux qui nous portoient s'arrêterent, juƒqu'à ce que le Chef, qui étoit un homme de cinquante ans, fut ƒorti avec cinq ou ƒix cens hommes, armez d'arcs & de fléches. A l'inƒtant nos Outagamis me dirent que ces gens-là étoient des inƒolens de venir recevoir des étrangers avec des armes, ce qui les obligea de leur crier de loin en langage des Eokoros, qu'ils jetaƒƒent leurs arcs & leurs fléches : mais les deux Eƒƒanapés que j'avois renvoyés le jour précédent s'étant approchés de moi, me firent entendre que c'étoit leur coutume de porter leurs armes, & que je n'avois rien à craindre. Cependant les Outagamis obƒtinez m'obligeoient déja à regagner mes Canots, quand tout à coup le Chef & ƒa |
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troupe jetterent l'arc & la fléche à
l'écart. Je revins donc ƒur mes pas, & nous entrâmes tous au Village avec nos fuƒils, que ces Sauvages ne pouvoient ƒe laƒƒer d'admirer; car ils ne connoiƒƒoient que par ouy dire ces instrumens meurtriers. Le Chef nous conduisit dans une grande Cabane, où il ne paroiƒƒoit pas que personne eût jamais demeuré. Lors que mes vingt hommes & moi fûmes dans cette Cabane, on, refuƒa d'y laiƒƒer entrer les Outagamis; par la raison, leur diƒoit-on, qu'ils ne meritoient pas d'entrer dans la Cabane de Paix, puiƒqu'ils avoient voulu ƒuƒciter la guerre, & former une querelle entre nous et les Eƒƒanapés. Cependant j'ordonnai à mes Soldats d'ouvrir la porte, en criant aux Outagamis de ne maltraiter perƒonne; mais au lieu d'entrer ils me preƒƒerent de regagner au plus vîte nos Canots, ce que j'executai ƒur le champ, emmenant avec nous les quatre eƒclaves Eƒƒanapés, pour les conduire juƒqu'au premier Village que nous devions trouver. Nous ne fûmes pas plûtôt embarquez que leurs deux camarades qui étoient avec cinquante hommes dans une Pirogue vinrent m'annoncer que le Chef nous barroit ƒa Rivière, à quoi les 0utagamis répondirent qu'il falloit donc qu'il y transportât une montagne; & sans nous amuƒer davantage à diƒputer, nous voguâmes juƒqu'à l'autre Village, quoi qu'il fut déjà tard, la diƒtance pouvant être de trois lieuës tout au plus. Il faut remarquer que durant le voyage j'avais pris ƒoin de m'informer exactement de mes ƒix eƒclaves, ce que c'étoit que leur Païs, et ƒurtout du Village principal : ils m'avoient aƒƒuré que cette capitale champêtre étoit ƒituée ƒur le bord d'une eƒpece de Lac : Ainƒi ƒans m'arrêter à tous les Villages où je n'aurois fait que parlementer, & perdre mon temps & mon tabac, je réƒolus d'aller au Village principal, pour me plaindre au grand Chef. En effet, nous y arrivâmes le troiƒiéme Novembre, & l'on nous y fit la plus honnête reception da monde. Nos Outagamis ƒe plaignirent de l'affront qu'ils avaient eƒƒuyé; mais le grand Chef déjà informé de l'affaire, leur répondit qu'ils devoient avoir enlevé l'autre Chef, & l'avoir emmené avec nous. Au reƒte, pendant l'eƒpace de cinquante lieuës que nous naviguâmes du premier Village à celui- ci, nous fûmes ƒuivis d'une proceƒƒion de gens qui nous parurent beaucoup plus ƒociables que ce Chef, qui nous fit l'avanie dont j'ai parlé. Nos gens ayant dreƒƒé les Cabanes à une portée du Canon du Village, nous nous rendîmes conjointement avec les Outagamis & les Outaouas auprés du Cacique de cette Nation : où dix Soldats amenerent les quatre eƒclaves Eƒƒanapés. J'étois actuellement avec cette eƒpece de Roi, lors que ceux-cy paƒƒerent une demie heure à ƒe proƒterner pluƒieurs fois devant lui. Je lui fis preƒent de tabac, de coûteaux, d'aiguilles, de ciƒeaux, de deux battefeux avec des pierres à fuƒil, d'hameçons, & d'un beau ƒabre : II fut plus content de ces bagatelles qu'il n'avoit jamais vû, que je ne ƒerois d'une groƒƒe fortune : il nous marqua ƒa reconnoiƒƒance par une matiere qui n'étoit pas beaucoup plus précieuƒe, mais qui étoit plus ƒolide, c'étoit des poix, des féves, des Cerfs, des Chevreüils, des Oyes & des Canards, qu'il fit apporter dans mon Camp en profuƒion, ce qui nous fit un fort grand plaiƒir. Il me dit que puiƒque j'avois le deƒƒein d'aller chez les Gnacƒitares, il me donneroit deux ou trois cens hommes pour m'eƒcorter; que ces Peuples étoient d'honnêtes gens : qu'ils étoient liez d'un interêt commun pour ƒe défendre des Mozeembek, qu'il avoüoit être une Nation fort inquiéte & fort belliqueuƒe : Il ajoûta même qu'ils marchoient en grand nombre; que la moindre de leurs troupes étoit de vingt mille hommes, & qu'enfin pour ƒe garantir des inƒultes de ces dangereux ennemis, les Gnacƒitares & ƒa Nation avoient fait une Alliance depuis vingt-ƒix ans : que par cette raiƒon-là ces Alliez habitoient dans des Iƒles le ƒeul endroit où ils peuvent trouver leur ƒûreté. J'acceptai ƒon eƒcorte avec plaisir, & lui en marquai beaucoup de reconnoiƒƒance : Je lui demandai quatre Pirogues qu'il m'accorda de fort bonne grace, m'ayant même donné à choiƒir ƒur cinquante autres. Quand je me vis ƒûr de la choƒe, je ne perdis pas de temps, je fis doler les Pirogues par mes Charpentiers, qui les rendirent de la moitié plus minces & plus legeres. Ces innocens ne pouvoient concevoir le travail de la hache. Ils s'écrioient à chaque coup comme à quelque nouveau prodige, & nous ne pouvions pas même les faire revenir de leur admiration en tirant des coups de piƒtolet en l'air, quoique ils fuƒƒent également neufs en l'un & en l'autre. Mes Pirogues étant prêtes, j'abandonnai mes Canots à ce Chef; je le priai de vouloir bien me promettre que perƒonne n'y toucheroit; ƒur- quoi il me tint parole fort exactement. Je dois vous dire ici que plus je montois la Riviere, plus les Sauvages me paroiƒƒoient raiƒonnables. Mais ne quittons point ce dernier Village ƒans vous dire ce que c'eƒt. Il eƒt plus grand que tous les autres; le grand Chef y fait ƒa réƒidence; Sa Cabane eƒt bâtie vers la Côte du Lac, dans un quartier ƒéparé, mais environné de cinquante autres, où logent tous ƒes parents. Quand il marche on ƒeme des feüilles d'arbres dans le chemin. Il eƒt ordinairement porté par ƒix esclaves : Son habit Royal n'eƒt pas plus magnifique que celui du Chef des Eokoros : On le voit tout nud, excepté les parties inférieures, qui ƒont couvertes devant & derriere d'une grande écharpe de toile d'écorce d'arbre. Ce Village meriteroit bien le nom de Villle par ƒa grandeur. Les maiƒons ƒont construites à peu prés comme des Fours, mais grandes & hautes, la plûpart des roƒeaux cimentez avec de la terre graƒƒe. La veille de mon départ, me promenant dans le Village, je vis courir à toute jambe trente ou quarante femmes. Le ƒpectacle me ƒurprit. J'engageai mes Outagamis de s'informer de la choƒe, ils le demanderent à mes quatre eƒclaves, qui me ƒervoient entierement d'interpretes dans cette terre inconnuë. Ceux-ci furent s'informer, & rapporterent, que c'étoit de nouvelles mariées qui alloient recevoir l'ame d'un Vieillard qui ƒe mourrait. Je conclus de là qu'ils étoient Pitagoriciens, ce qui m'obligea de leur faire demander pourquoi ils mangeoient des Animaux & des Oiƒeaux où leurs ames pouvoient être transfuƒes. Ils répondirent que la métampƒicoƒe ne paƒƒoit point chaque eƒpece, que l'ame de l'homme n'entroit point dans le corps d'un Oiƒeau, ou de quelqu'autre bête que ce fut, & ainƒi de tous les Animaux. Au reƒte, ces Sauvages, tant hommes que femmes, ne ƒont ni mieux faits, ni plus agiles que les Okoros. Je partis de ce Village le quatre de Décembre, ayant dix Soldats avec moi dans ma Pirogue, ƒans compter nos dix Oumamis, les quatre Outaouas & les quatre eƒclaves Essanapés, dont je vous ai déja parlé plus d'une fois. Ici finit le crédit & l'autorité du Calumet de Paix. Les Gnacƒitares ne connaiƒƒent point ce symbole de concorde. Le premier jour nous fîmes ƒix ou ƒept lieuës avec aƒƒez de peine, à cauƒe de la quantité de joncs dont ce Lac eƒt rempli; les deux jours ƒuivans nous fîmes vingt lieuës. Le quatriéme un vent d'Oüeƒt-Nord-Oüeƒt nous ƒurprit avec tant de violence que nous fûmes obligez de gagner terre : Nous reƒtâmes deux jours ƒur un fond ƒablonneux, & dont la ƒterilité nous cauƒa d'autant plus de peine, qu'il n'y eût pas moyen de trouver un morceau de bois pour faire cuire les viandes ou pour ƒe chauffer; ce qui penƒa nous faire perir de faim & de froid, car tout le Païs d'alentour n'étoit que des prairies à perte de vûë, & des marais de vaƒe & de roƒeaux. Nous étant rembarquez, nous voguâmes juƒqu'à une petite Iƒle, où l'on campa. Le ƒéjour étoit fort déƒagreable, c'étoit un tapis qui ne laiƒƒa pourtant pas de nous être utile, car nous y pêchâmes quantité de petites Truites, que nous trouvâmes une fort bonne Manne. Enfin aprés ƒix autres jours de Navigation, nous arrivâmes à la pointe d'une Iƒle; c'eƒt celle que je vous deƒƒine ƒur ma Carte par une fleur de lis. C'étoit juƒtement le dix-neuviéme du même mois de Decembre : juƒques-là nous n'avions point encore éprouvé toute la rigueur du froid. Dés que j'eus mis pied à terre et dreƒƒé mes Cabanes, je détachai mes Eƒclaves Eƒƒanapés pour aller au premier des trois Villages qui ƒe trouvoient ƒur nôtre route, n'ayant pas voulu m'arrêter à ceux que j'avois trouvé dans une Iƒle que je côtoyai pendant la nuît. Ils revinrent à mon cabanage fort allarmez de la mauvaiƒe réponƒe du Chef des Gnacƒitares, qui nous prenoient pour des Eƒpagols, & qui vouloient leur faire un mauvais tour pour nous avoir intorduit [sic] dans leur Païs. Je ne m'amuƒerai pas à vous faire le recit de tout ce qui ƒe paƒƒa, de peur de vous ennuyer. Il me ƒuffira de vous dire que ƒur le rapport de mes eƒclaves, je m'embarquai ƒur le champ pour m'aller poƒter dans une petite Iƒle, qui tenoit le milieu, entre la grande & la Terre-ferme, ƒans permettre que les Eƒƒanapés fuƒƒent du campement. Cependant les Gnacƒitares envoyerent de bons Coureurs juƒqu'à quatre-vingt lieuës chez les peuples demeurant au Sud. Comme ces peuples étoient cenƒez connoître bien les Eƒpagnols du Nouveau Mexique, on les pria de nous venir examiner. La longueur du chemin ne les rebuta point, ils entreprirent ce voyage auƒƒi gayement que s'il ƒe fût agi de quelque affaire Nationnale, & aprés avoir conƒideré nos habits, nos épées, nos fuƒils, nôtre air, nôtre teint, & nous avoir entendus parler, ils furent contraints d'avoüer que nous n'étions pas de veritables Eƒpagnols. Cela joint à quantité de raiƒons que je leur donnai du ƒujet de mon voyage, de la guerre que nous faiƒions aux Eƒpagnols mêmes, & du Païs que nous habitions du côté de l'Orient, les diƒƒuaderent entierement de leur opinion mal fondée. Alors ils me prierent d'aller camper dans leur Iƒle, & m'apporterent d'une eƒpece de grains du Païs, qui reƒƒemblent fort à nos lentilles, dont ils recueillent une copieuƒe moiƒƒon. Je les en remerciai, diƒant que je ne voulois pas être obligé à me méfier d'eux, ni leur donner occaƒion, de ƒe méfier de moi. Cependant je m'embarquai pour faire ce petit trajet avec mes Sauvages & ƒix Soldats bien armez, & faiƒant couper les glaces en certains endroits; car il y avoit dix ou douze jours qu'il geloit d'une grande force, je débarquai à deux lieuës d'un de ces Villages où j'allai enƒuite par terre. Il eƒt inutile de vous marquer les cérémonies qui s'obƒerverent dans cette occaƒion-là; ce ƒeroit toûjours la même chanƒon. Il me ƒuffira de vous dire que mes preƒens produiƒirent un effet merveilleux dans l'eƒprit de ces gens, que je nommerai canailles, quoi qu'ils fuƒƒent des plus polis que j'euƒƒe encore vû en ce Païs-là. Leur Chef eƒt celui de tous qui a le plus la figure de Roi. Il domine absolument ƒur tous les Villages qui ƒont décris [sic] dans ma Carte, ce ƒont eux-mêmes qui me l'ont donnée. II y avoit dans cette Iƒle auƒƒi-bien que dans les autres, de grands Parcs remplis de Boeufs ƒauvages pour l'uƒage de cette Nation. Je demeurai deux heures avec ce grand Chef ou Cacique, parlant preƒque toujours des Eƒpagnols du Nouveau Mexique, qu'il m'aƒƒura n'être pas plus éloignez de leur Païs que de quatre-vingt tazous, qui font chacun trois lieuës. Ma curioƒité ne cedoit pas à la ƒienne; j'avois du moins autant d'envie qu'il m'informât des Eƒpagnols, qu'il ƒouhaitoit en être inƒtruit de moi, & nous nous aprîmes réciproquement bien des choƒes là-deƒƒus. Il me pria d'accepter une grande Maiƒon qu'il avoit fait préparer pour moi, & ƒa premiere civilité fut de faire venir quantité de filles, entre leƒquelles il nous preƒƒoit moi & les miens de choiƒir. La tentation auroit été plus forte dans un autre tems, le mets ne valoit rien pour des Voyageurs affoiblis de travail & d'abƒtinence, ƒine Cerere & Baccho friget Venus. Sur cette honnêteté nos Sauvages lui repreƒenterent, à ma ƒollicitation, que les Soldats de mon détachement m'attendoient à une certaine heure, & que pour peu que je tardaƒƒe ils ƒeroient en peine de moi. Nous nous ƒéparâmes aƒƒez contens l'un de l'autre : Cette avanture m'arriva le ƒeptiéme Janvier. Deux jours aprés le Cacique vint me voir, emmenant avec lui quatre cens des ƒiens, & quatre ƒauvages Mozeemlek, que je pris pour des Eƒpagnols : Cette mépriƒe venoit de la grande difference qu'il y a entre ces deux Nations Ameriquaines. Ces quatre Mozeemlek étoient vétus; ils portoient la barbe touffuë & les cheveux juƒqu'au deƒƒous de l'oreille : ils avoient le teint bazané; enfin par leur abord civil & ƒoûmis, par leur air poƒé & leurs manieres engageantes, je ne pouvois m'imaginer que ce fuƒƒent des Sauvages : Je me trompois neanmoins, ils en avoient le nom & la choƒe. Voici ce que j'appris du Païs de ces Eƒclaves, ƒuivant la description Géographique que les ƒix Gnacƒitares firent en forme de Carte ƒur une peau de Cerf : Je vous en envoye la Copie. Leurs Villages ƒont ƒituez ƒur le bord d'une Riviére, qui tire ƒa ƒource d'une chaîne de Montagnes où la Riviere Longue ƒe forme auƒƒi par quantité de grands ruiƒƒeaux qui font-là un confluant. Quand les Gnacƒitares vont à la chaƒƒe des Boeufs ƒauvages, ils ƒe ƒervent ordinairement |
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de Pirogue pour voiture, & pourƒuivent leur route juƒqu'à la Croix que vous voyez marquée dans la Carte, laquelle Croix T ƒe trouve à [la] fourche de deux petites Rivieres. Cette chaƒƒe de Boeufs ƒauvages dont les Vallées ƒont toutes remplies pendant l'Eté, eƒt quelquefois l'occaƒion d'une cruelle guerre; Vous ƒçaurez que l'autre Croix T que vous voyez dans la Carte, ƒert auƒƒi de borne aux Mozeemlek; ƒi-bien que pour peu que ces deux Nations avancent mutuellement ƒur le terrain, c'eƒt un ƒujet de carnage. Ces Montagnes ont ƒix lieuës de largeur. Elles ƒont ƒi hautes, qu'il faut faire de grands détours pour les traverƒer, & elles ne ƒont habitées que d'Ours & d'autres bêtes ƒauvages. La Nation des Mozeemlek eƒt grande & puiƒƒante; cependant ces quatre Sauvages que j'avois pris pour [des] Eƒpagnols, m'aprirent quelques particularitez de leur Païs, & me dirent qu'à cent cinquante lieuës la principale Riviere ƒe décharge dans un grand Lac d'eau ƒalée de trois cens lieuës de circuit, dont l'embouchure n'en a tout au plus que deux; qu'au bas de la Riviere étoient ƒituées ƒix belles Villes; l'enceinte en eƒt de pierre enduite de terre graƒƒe; les Maiƒons ƒont découvertes, ƒans toît & en matiere [= maniere] de platte- forme; je vous en donne le plan dans la Carte : II ajoûterent qu'il y en avoit encore plus de cent, tant petites que grandes, autour de cette eƒpece de Mer, ƒur laquelle ils naviguoient avec des Bâteaux tels que vous les voyez ici dépeints; que ces gens-là faiƒoient des étoffes, des haches de cuivre, & pluƒieurs autres ouvrages, dont mes Outagamis, auƒƒi-bien que les autres Interprétes, fort ignorans en cela, ne pûrent jamais me donner aucune connoiƒƒance : Que leur Gouvernement étoit deƒpotique, tout ƒe réüniƒƒant à un Grand Chef ƒous qui tous les autres tremblent : Que ces Peuples s'appelloient Tahuglauk, qu'ils étoient auƒƒi nombreux que les feüilles des arbres, (car c'eƒt ainƒi qu'ils s'expriment dans leur hiperbole ƒauvage.) Ils diƒoient de plus, que leurs gens, c'eƒt-à-dire les Mozeemlek, amenoient dans les Villes des Tahuglauk des troupeaux de petits Veaux pris dans les Montagnes dont je vous ai parlé, & dont ces derniers ƒe ƒervent à plus d'un uƒage : lls en mangent la viande, ils les dreƒƒent au labourage, & la peau ƒert aux vétemens, aux bottes, &c. Ils m'aprirent auƒƒi qu'ils avoient eu le malheur d'être pris par les Gnacƒitares pendant une guerre qui duroit depuis dix ans, mais qu'ils eƒperoient que la Paix ƒe feroit, & qu'alors tous les priƒonniers ƒeroient échangez ƒelon la coûtume. lls ƒe vantoient d'être ƒort raiƒonnables, en comparaiƒon des Gnacƒitares, qu'ils diƒent n'avoir que la figure d'hommes, & qu'ils regardent comme des bêtes. Je crois qu'en cela ils ne ƒe trompoient pas tout-à-fait, car en effet, je remarquai tant d'honnêteté & tant de politeƒƒe dans ces quatre Mozeemlek, que je croyois commencer [= commercer] avec des Européens, quoi que cependant il faut demeurer d'accord que les Gnacƒitares ƒont d'ailleurs la Nation la plus traitable que j'aye vûë parmi les Sauvages. L'un de ces quatre Mozeemlek avoit une Médaille penduë au coû d'un eƒpece de cuivre tirant ƒur le rouge, de la figure que vous voyez ƒur ma Carte : Je la fis fondre par l'Arquebuzier de Mr. de Tonti aux Ilinois, qui avoit quelque connoiƒƒance des métaux; mais la matiere devint plus peƒante & la couleur plus foncée qu'auparavant, & même un peu maniable. Je les priai de m'inƒtruire à font [= fond] de ces ƒortes de Médailles : lls me dirent que les Tahuglauk qui en ƒont les Artiƒans, en font beaucoup de cas. Au reƒte, je n'ai rien pû apprendre des Pays, du Commerce & des moeurs de ces Peuples éloignez. Tout ce qu'ils me dirent, c'eƒt que leur Riviere décendoit toûjours vers le Couchant, & que le Lac d'eau ƒalée dans lequel elle ƒe décharge, & que je vous ai dit avoir trois cens lieuës de circuit, en a trente de largeur, ƒon embouchure étant bien loin vers le Midi ou le Sud. J'aurois eu beaucoup de curioƒité d'aprendre à fond les moeurs & les manieres des Tahuglauk, mais ne pouvant me ƒatisfaire [= ƒatiƒfaire] par mes propres yeux, je fus obligé de m'en rapporter au témoignage des Mozeemlek, qui m'aƒƒurerent avec toute la bonne foi ƒauvage, que ces Peuples portoient la barbe longue de deux doigts; que leurs robes venoient juƒqu'aux genoux, qu'ils étoient coëffez d'un bonnet pointu, qu'ils avoient toûjours à la main un long bâton, à peu prés ferré comme les nôtres, & qu'ils étoient chauƒƒez d'une bottine qui leur monte juƒqu'au genoüil; que leurs femmes ne ƒe montroient point, apparremment ƒur le même principe qu'en Italie ou en Eƒpagne, & qu'enfin ces Peuples, quoi que toûjours en guerre avec de puiƒƒantes Nations, ƒituées aux environs & au-delà du Lac, n'inquiétent point les Nations errantes qui ƒe trouvent ƒur leur chemin, par la raiƒon qu'elles ƒont plus foibles qu'eux : Belle leçon pour les Princes, qui ƒçavent ƒi bien mettre en uƒage le droit du plus fort. Je n'ai pû tirer d'autres lumieres touchant les Tahuglauk. Ma curioƒité me portoit aƒƒez à m'informer à fond de tout ce qui concerne ce Païs-là, mais malheureuƒement je manquois d'un bon Interpréte, & ayant affaire à plusieurs hommes qui ne s'entendoient pas eux-mêmes, c'étoit un galimatias où je ne comprenois rien, ce qui m'obligea de m'en rapporter à ce qui en eƒt. Je me contentai donc de faire à ces quatre malheureux Eƒclaves quelques liberalitez à la magnificence de ce Païs- là; j'euƒƒe bien ƒouhaité de les amener en Canada; je tâchai même de les engager à ce Voyage par de certaines offres qui devoient leur paroître des Montagnes d'or; mais l'amour de la Patrie l'emporta, & il me fut impoƒƒible de perƒuader ces malheureux, tant il eƒt vrai que la Nature réduite à ƒes juƒtes bornes ƒe ƒoucie peu de la fortune. Cependant le dégel étant ƒurvenu, & le vent s'étant remis au Sud-Oüeƒt, je fis dire au grand Cacique des Gnacƒitares que je voulois m'en retourner; Je réïtérai mes préƒens, en recompenƒes deƒquels ils me donnerent autant de viandes de Boeufs que mes Pirogues en pouvoient contenir, aprés quoi je m'embarquai. De la petite Iƒle d'où je partois, je traverƒai d'abord en terre ferme pour y faire planter un long & gros poteau, ƒur lequel les armes de France paroiƒƒoient ƒur une plaque de plomb. Je partis de là le vingt-ƒix Janvier, & j'arrivai heureuƒement avec toute ma troupe le cinq Février au Païs des Eƒƒanapés. Je deƒcendis la Riviére Longue, avec beaucoup plus de plaiƒir que je ne l'avois montée : je me divertiƒƒois à voir une quantité de Chaƒƒeurs tirer heureuƒement ƒur des Oiƒeaux de Riviére qui ƒe trouvent-là en abondance. Vous ƒçaurez que cette Riviére eƒt d'un cours aƒƒez calme, excepté depuis le quatorziéme Village juƒq'au quinziéme, où ƒon courant peut être appellé rapide; ce qui fait tout au plus l'eƒpace de trois lieuës. Elle eƒt ƒi droite qu'elle ne ƒerpente preƒque pas depuis ƒon embouchure juƒqu'au Lac; j'avouë qu'elle eƒt triƒte. La pluƒpart de ƒes Rivages ƒont affreux; ƒon eau même eƒt dégoûtante; mais elle dédommage de tout cela par ƒon utilité, car elle eƒt fort navigable, & elle porteroit même juƒqu'à des barques de cinquante tonneaux, ce qui finit à l'endroit marqué ƒur la Carte par une fleur de Lis, lieu où je plantai un poteau, que mes Soldats nommerent la borne de Lahontan. J'arrivai le deux de Mars au Fleuve de Miƒƒiƒipi, que je trouvai beaucoup plus rapide & plus profond que la premiere fois, à cauƒe des pluyes & du débordement des Riviéres. Pour nous épargner de la rame nous nous abandonnâmes au courant. Le dixiéme nous arrivâmes à l'Iƒle aux Rencontres. Cette Iƒle eƒt ƒituée vis-à-vis. On lui a donné le nom de Rencontres, depuis qu'un parti de quatre cens Iroquois y fut défait par trois cens Nadoueƒƒis. Voici en peu de mots comment la choƒe arriva. Ces Iroquois ayant deƒƒein de ƒurprendre certains peuples ƒituez aux environs des Otentas, & que je vous ferai bien tôt connoître, arriverent chez les Ilinois, qui leur fournirent des vivres, & chez leƒquels ils conƒtruiƒirent leurs Canots. S'étant embarquez ƒur le Fleuve de Miƒƒiƒipi, ils furent découverts par une autre petite Flote qui deƒcendoit le même Fleuve de l'autre côté. Les lroquois traverƒerent auƒƒi-tôt à cette Iƒle, nommée depuis aux Rencontres. Les Nadoueƒƒis ƒupçonnant leur deƒƒein, ƒans ƒçavoir quel étoit ce peuple, (car ils ne connoiƒƒent les Iroquois que de réputation) ƒe hâterent de les joindre. Les deux partis ƒe poƒterent chacun ƒur une pointe de l'Iƒle, ce ƒont les deux endroits deƒignez ƒur ma Carte par deux croix. Ils ne furent pas plûtôt en vûë que les Iroquois s'écrierent qui êtes vous ? Nadoueƒƒis, répondirent les autres. Ceux-ci ayant fait à leur tour la même demande, les Iroquois répondirent avec une pareille franchiƒe. Et où allez vous, continuerent les Iroquois ? A la chaƒƒe aux Boeufs, repliquerent les Nadoueƒƒis; mais vous Iroquois, quel eƒt vôtre but ? Nous allons, repartirent-il à la chaƒƒe aux hommes : Et bien dirent les Nadoueƒƒis, nous ƒommes des hommes, n'allez pas plus loin. Sur ce défi les deux Partis débarquerent chacun à un côté de Iƒle, enƒuite le Chef des Nadoueƒƒis ayant briƒé tous ƒes Canots à coups de hache, il dit à ƒes Guerriers qu'il falloit vaincre ou mourir, & en même tems donna tête baiƒƒée contre les Iroquois. Ceux-ci les reçûrent d'abord avec une nuée de flêches; mais les autres ayant eƒƒuyé cette premiere décharge qui ne laiƒƒa pas de Ieur tuër quatre-vingt hommes, fondirent la maƒƒuë à la main ƒur leurs ennemis, qui n'ayant pas le tems de recharger, furent défaits à platte couture. Ce Combat qui dura deux heures, fut ƒi chaud que deux cens ƒoixante Iroquois y perdirent la vie, & tout le reƒte du parti fut pris, pas un ƒeul n'échapa. Quelques Iroquois ayant tenté de ƒe ƒauver ƒur la fin du combat, le Chef victorieux les fit pourƒuivre par dix ou douze des ƒiens dans un des Canots qui lui reƒtoi[en]t pour butin, ƒi bien qu'on atteignit les Fuyards qui furent tous noyez. Aprés cette victoire, ils couperent le nez & les oreilles aux deux Priƒonniers les plus agiles, & les ayant munis de fuƒils, de poudre & de plomb, ils leur laiƒƒerent la liberté de retourner dans leur Païs, pour dire à leurs Compatriotes qu'ils ne ƒe ƒerviƒƒent plus de femmes pour faire la chaƒƒe aux hommes. Le douziéme nous arrivâmes au Village des Otentas où nous remplimes nos Canots, avec une copieuƒe proviƒion de bled d'Inde, dont ces Peuples font une abondante recolte. lls nous dirent que leur Riviére étoit aƒƒez rapide, qu'elle tiroit ƒa ƒource des Montagnes voiƒines, & que vers le haut elle étoit habitée en pluƒieurs Villages par les Panimaha, les Paneaƒƒa & [les] Pa[ne]tonka; mais comme le tems me preƒƒoit, & que je ne voyois point d'apparence d'apprendre ce que je voulois ƒçavoir, touchant les Eƒpagnols, j'en partis le lendemain treizième, & au bout de quatre jours je gagnai à la faveur du courant & de la rame, la Riviere des Miƒƒouris. Enƒuite refoulant ƒon courant, qui eƒt pour le moins auƒƒi rapide que celui du Miƒƒiƒipi l'étoit alors, j'arrivai le dix-huitiéme au premier Village des Miƒƒouris. Je ne m'y arrêtai que pour faire quelques preƒens qui me valurent une centaine de Cocs d'Indes, ces Peuples ayant leurs Cabanes trés-bien fournies de ces munitions de broche. Etant remontez en Canot, nous voguâmes de force, & le ƒoir ƒuivant nous mîmes pied à terre prés du ƒecond Village. Auƒƒi-tôt je détachai un Sergent avec dix Soldats pour y accompagner nos Outagamis pendant que mes |
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gens cabanoient & débarquoient leurs
Canots. Par malheur, les uns ni les autres ne pûrent ƒe faire entendre à ces Sauvages, & ceux ci étoient ƒur le point de faire main baƒƒe ƒsur nos gens, lors qu'un bon Vieillard ƒe mit à crier que ces étrangers n'étoient pas ƒeuls, & qu'on avoit découvert nos Cabanes & nos Canots. De ƒorte, que nos Outagamis & mes Soldats s'en revinrent fort allarmez, & réƒolus de faire bonne garde pendant la nuit. Sur les deux heures aprés minuit deux hommes s'aprocherent du Cabanage, criant en langue Ilinoiƒe qu'ils vouloient nous parler, à quoi les Outagamis fort contens d'apprendre qu'il y avoit des gens avec leƒquels ils pourroient ƒe faire entendre, répondirent en Ilinois, que dés que le Soleil paroîtroit ils ƒeroient les biens venus, ce qui arriva; mais ces 0utagamis indignez de l'outrage qu'ils avoient reçû, me perƒecuterent durant la nuit pour m'obliger de brûler ce Village, & paƒƒer tous ces coquins au ƒil de l'épée : Je leur répondis, que nous devions être plus ƒages qu'eux, & mettre nôtre application non à nous venger inutilement, mais à découvrir les choƒes que nous cherchions dans nôtre route. Dés le point du jour, ces deux crieurs de nuit s'approcherent, & après nous avoir interrogez plus de deux heures, ils nous inviterent de nous approcher du Village, à quoi les Outagamis répondirent, que le Chef de leur Nation ne devroit pas avoir tant tardé à nous venir rendre le ƒalut, ce qui les obligea de retourner pour l'en avertir. Trois heures ƒe paƒƒerent ƒans voir paroître perƒonne. A la fin, & l'impatience nous prenant déja, nous apperçûmes ce Chef qui nous aborda preƒque en tremblant. Il étoit accompagné de quelques-uns des ƒiens, chargez de viandes boucanées, de ƒacs de bled d'Inde, de raiƒins ƒecs, & de quelques peaux de chevreüils teintes de diverƒes couleurs. Je répondis à ƒon preƒent par un autre de moindre conƒéquence. Ensuite, je fis lier une converƒation entre mes Outagamis, & ƒes deux meƒƒagers nocturnes, pour tâcher d'apprendre tout ce qui concernoit le Païs, mais ce Chef répondit conƒtamment à ces Outagamis qu'il n'en ƒçavoit rien, mais que je l'apprendrois par d'autres Nations qui habitoient plus avant dans îa Riviére. Si j'avois été du ƒentiment des Outagamis, nous euƒƒions fait de vaillans exploits, mais il s'agiƒƒoit d'être éclaircis de pluƒieurs choƒes que nous n'aurions pas appris en brûlant ƒon Village : Enfin, le même jour à deux heures aprés midi, nous nous rembarquâmes pour remonter un peu plus avant, & aprés avoir vogué prés de quatre heures nous trouvâmes la Riviere des Oƒages, à l'embouchure de laquelle nous cabanâmes; Nous eûmes trois ou quatre ƒauƒƒes allarmes durant la nuit par des Boeufs ƒauvages, ƒur leƒquels nous nous vengeâmes avantageuƒement : car le lendemain nous en fîmes un bon carnage, quoi qu'une horrible pluye qui ƒurvint nous permit à peine de ƒortir de nos Cabanes. Cette pluye ayant ceƒƒé vers le ƒoir, alors que je faiƒois tranƒporter à notre petit Camp deux ou trois de ces Boeufs, nous vîmes paroître une Armée de Sauvages qui venoit droit à nous. Alors mes gens tâchant de ƒe retrancher, & de déchargers leurs fuƒils avec des tirebours pour les recharger de nouveau, quelqu'un ayant tiré ƒon coup en l'air pour avoir plûtôt fait, toute cette troupe diƒparut, s'enfuyant deçà & delà, comme les Peuples de la Riviére Longue, les uns ni les autres n'ayant jamais vû ni manié d'armes à feu. Cette rencontre m'obligea de me rembarquer le ƒoir même pour retourner ƒur mes pas, & pour ƒatisfaire les Outagamis. Nous abordâmes prés du Village vers la minuit, & nous tenant dans un profond ƒilence; nous attendîmes le jour; enƒuite nous voguâmes juƒqu'au pied de leur Fort, où étant entrez, nous y fîmes une décharge en l'air, ce qui donna tellement l'épouvente aux femmes, aux enƒans & aux vieillards, ( car les Guerriers étoient ceux-là même qui avoient voulu nous attaquer le jour précedant ) qu'ils ƒe ƒauvoient deçà & delà, criant miƒericorde. Alors les Outagamis s'écrierent qu'il falloit que tout le monde ƒortit de ce Village; donnant le tems aux femmes deƒolées d'enlever leurs enfans, & lors que toute cette canaille en fut ƒortie, nous y mîmes le feu de tous côtez. Euƒuite, nous continuâmes à deƒcendre cette Riviere rapide. Le vingt-cinq à bonne neure, nous entrâmes dans le Fleuve de Miƒƒiƒipi, & le lendemain à trois heures après midi nous apperçûment trois ou quatre cens Sauvages qui étoient à la chaƒƒe des Boeufs, dont toutes les prairies étoient couvertes du côté de l'Oüeƒt. Dés que ces Chaƒƒeurs nous eurent découverts ils nous appellerent, en nous ƒaiƒant ƒigne d'approcher. Comme nous ne ƒçavions ni quels gens c'étoient, ni en quel nombre, nous heƒitâmes un peu; mais à la fin nous allâmes aborder à portée de mouƒquet au deƒƒus d'eux, en leur criant qu'ils ne s'approchaƒƒent pas de nous tous à la fois. Alors quatre des leurs vinrent droit à nous d'un viƒage riant, en nous diƒant en langue Ilinoiƒe qu'ils étoient Akanƒas. Cette nouvelle nous parut vraye, car ils avoient quelques coûteaux, ciƒeaux pendus au coû, & mêmes de petites haches donc les Ilinois leur font preƒent quand ils les rencontrent. Enfin ne doutant plus qu'ils ne fuƒƒent de cette Nation ƒi connuë de Mr. de la Salle, & de pluƒieurs autres François, nous débarquâmes au même lieu, & après avoir danƒé & chanté, ils nous régalèrent de toutes ƒortes de viandes. Le lendemain, ils nous montrerent un Crocodile qu'ils avoient aƒƒommé depuis deux jours, de la maniere que je vous l'expliquerai ailleurs. Enƒuite ils firent devant nous une chaƒƒe d'adreƒƒe à une lieuë de là, car c'eƒt leur coûtume, lors qu'ils veulent ƒe divertir, de prendre les Boeufs des differentes manieres que vous voyez ici dépeintes. Je voulus m'informer des Eƒpagnols à ces Peuples, mais ils ne m'en donnerent aucun éclairciƒƒement; ils me dirent ƒeulement que les Miƒƒouris & les Oƒages étoient des Peuples nombreux & méchans, qui n'avoient ni courage ni bonne foi, que leurs Riviére étoient fort grandes & leur Païs trop beau pour eux. Enfin, aprés avoir demeuré deux jours avec eux, nous nous ƒeparâmes pour continuër nôtre voyage juƒqu'à !a Rivière Ouabach, faiƒant toûjours bonne garde contre les Crocodiles, dont ils nous dirent des choƒes incroyables. Le jour ƒuivant, nous entrâmes dans l'embouchure de cette Riviére, pour voir en ƒondant ƒi ce que les Sauvages rapportent de ƒa profondeur étoit vrai. En effet, nous y trouvâmes trois braƒƒes & demie d'eau : II eƒt vrai qu'au rapport des Sauvages de ma Compagnie, cette Riviere paroiƒƒoit alors plus enflée qu'à l'ordinaire; quoiqu'il en ƒoit, on dit qu'elle eƒt navigable plus de cent lieuës, j'aurois bien voulu que le temps m'eut permis de la remonter juƒqu'à ƒa ƒource, mais n'y ayant point d'apparence, je remontai le Fleuve juƒqu'à la Rivière des Ilinois avec aƒƒez de peine, car le vent nous fut contraire les deux premiers jours, & les courans tout à fait violents : Cependant nous arrivâmes à cette Riviere le neuviéme d'Avril. Tout ce que je puis vous dire du Fleuve de Miƒƒiƒipi avant que de le quitter; c'eƒt que ƒa moindre largeur eƒt d'une demie lieuë, & ƒa moindre profondeur d'une braƒƒe & demie d'eau, qu'il n'eƒt pas trop rapide durant ƒept ou huit mois de l'année, ƒelon le raport des Sauvages. Pour des battures ou bancs de ƒable, je n'y en vis point. Ce Fleuve eƒt rempli d'lƒles, leƒquelles paroiƒƒant comme autant de boƒcages par une grande quantité d'arbres, ils font dans le tems de la verdure un aƒpect fort agréable; Il eƒt bordé de bois, de prairies & de côteaux. Je ne ƒçai d'ailleurs ƒi ce Fleuve ƒerpente; mais autant que j'ai pû le remarquer, ƒon cours eƒt fort different de celui de nos Fleuves de France; car je vous dirai ici en paƒƒant que les Rivieres de l'Amerique courent aƒƒez droit. Pour revenir à nôtre Fleuve, il eƒt riche par lui-même par la bonté du climat, par la quantité prodigieuƒe de Boeufs, de Cerfs, de Chevreüils, de Cocs d'Inde qui paiƒƒent ƒur ces rivages. On y voit auƒƒi d'autres bêtes & Oiƒeaux, dont je ne ƒçaurois vous parler, ƒans vous envoyer un volume. Si je pouvois vous faire tenir la copie de mon Journal, vous y verriez jour pour jour des chaƒƒes & des pêches de differentes eƒpeces d'Animaux, auƒƒi-bien que des rencontres de Sauvages; & tout ce détail vous rebuteroit par ƒa longueur. Enfin, je finis l'article du Fleuve par la quantité d'arbres fruitiers que nous y vîmes dans un triƒte état, dépoüillez de verdure, & ƒur tout les treilles dont la beauté des grapes & la groƒƒeur des grains vous ƒurprendroient. J'ai mangé de ces raiƒins deƒƒechez au Soleil, comme je vous ai dit; le goût m'en a parû merveilleux. Pour des Caƒtors ils y ƒont auƒƒi rares que fur la Riviere Longue, où je n'ai vû que des Loutres, dont ces Peuples font des fourrures pour l'hiver. Je partis donc de la Riviére des Ilinois le dixième d'Avril, & à la ƒaveur d'un vent d'Oüeƒt-Sud-Oüeƒt, nous gagnâmes en ƒix jours le Fort de Crevecoeur. J'y trouvai Mr. de Tonti de qui je reçûs toutes les honnêtez [= honnêtetez] poƒƒibles. Les Ilinois l'honorent infiniment, & avec raiƒon. Je reƒtai trois jours dans ce Fort, où y il avoit trente Coureurs de bois qui trafiquoient avec les Ilinois, au Village deƒquels j'arrivai le vingtiéme. Je commençai par engager quatre cens hommes à faire mon portage pour me tirer plus promptement de cette penible corvée : Or ce portage étant de douze bonnes lieuës, je fus obligé de donner aux plus conƒidérables d'entr'eux un grand rouleau de tabac de Brezil, cent livres de poudre, deux cens livres de balles, avec quelques armes. Cette largeƒƒe me fut fort utile, & les anima ƒi bien que mon portage fut fait en quatre jours. Car le vingt-quatriéme j'arrivai à Chekakou, & ce fut-là que mes Oumamis [= Outagamis] me quitterent pour s'en retourner chez eux, auƒƒi contens de moi que du preƒent que je leur ƒis de quelques fuƒils & de quelques piƒtolets. Le vingt-cinquiéme je me rembarquai, & naviguant à toute force pour profiter du calme, j'entrai le vingt-huitiéme dans la Riviére des Oumamis; j'y trouvai quatre cens Guerriers au même endroit où Mr. de la Salle fit autrefois bâtir un Fort. Ces Guerriers brûloient actuellement trois Iroquois, qu'ils diƒoient avoir bien mérité ce ƒuplice; ils vouloient même que nous priƒƒions plaiƒir à le voir, car les Sauvages ƒe ƒcandaliƒent qu'on ne ƒe divertiƒƒe pas de ces tragédies réelles. Ce ƒpectacle me fit horreur, car on faiƒoit ƒouffrir à ces malheureux des tourmens inconcevables, cela me fit réƒoudre à me rembarquer au plus vîte, & j'en trouvai le prétexte. Ce fut en leur diƒant que mes Soldats étant pourvûs d'eau de vie, ne manqueroient pas de ƒe ƒaouler durant la nuit à l'honneur de leur victoire, & qu'enƒuite ils feroient un déƒordre qu'il me ƒeroit impoƒƒible d'empêcher. Ainƒi je me rembarquai, & aprés avoir côtoyé ce Lac, & traverƒé la Baye de l'Ours qui dort. Je mis pied à terre à Miƒƒilimakinac le vingt-deuxiéme du mois preƒent, j'appris que le Sieur de S. Pierre de Repantigni, qui étoit monté ƒur les glaces de Quebec juƒqu'à ce poƒte-là, que Mr. de Denonville voulant faire la Paix avec les Iroquois, & comprendre en même tems ƒes Nations alliées ils les envoyoit avertir de ceƒƒer d'aller en parti chez ces Barbares. Il me dit auƒƒi que ce Gouverneur écrivoit au Commandant de ce poƒte, qu'il tâchât d'obliger adroitement le Rat, qui eƒt un des Chefs des Hurons, à de deƒcendre à la Colonie, afin de le faire pendre, ce que ce Sauvage ayant fçû, il publia par tout qu'il vouloit faire ce voyage exprés pour lui en faire le défi. C'eƒt ce qu'il doit executer en partant demain avec une grande troupe d'Outaouas & de Coureurs de bois, qui deƒcendent ƒous le commandement de Mr. Dulhut. Au reƒte, j'ai déja diƒperƒé les Soldats de mon détachement en pluƒieurs Canots parmi des Sauvages & des Coureurs de bois, & comme j'ai des affaires à régler; |
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ici, je ƒuis contraint d'y demeurer encore ƒept ou huit jours. Voilà, Monƒieur, la relation de mon petit voyage. Je ne vous en mande que l'eƒƒentiel; j'aurois pû la groƒƒir davantage, mais j'ai crû que le reƒte n'étoit qu'un amas de minuties qui ne meritent point vôtre curioƒité. Quand au Lac des Ilinois il a trois cens lieuës de tour, comme vous le verrez ƒur ma Carte par l'échelle des lieuës. Car je ne ƒçaurois m'aƒƒujettir à tracer dans une lettre les differentes diƒtances des lieux. Ce Lac eƒt ƒitué dans un beau climat; ƒes rivages ƒont couverts de bois de ƒapins & de haute futaye; mais peu de prairies. La Rivière des Oumamis ne vaut pas la peine d'en parler. La Baye de l'Ours qui dort eƒt aƒƒez grande, c'eƒt ƒur la Riviere qui s'y décharge que les Outaouas ont coûtume de faire tous les trois ans leurs chaƒƒes de Caƒtors. Au reƒte, il n'y a ni batures, ni rochers, ni banc de ƒable dans ce Lac. Les terres qui le bordent du côté Méridional ƒont remplies de Chevreüils, de Cerfs & et de Poulets d'Inde. Adieu Monƒieur, ƒoyez perƒuadé que je me ferai toûjours un ƒenƒible plaiƒir de vous amuƒer, en vous rendant compte de tout ce que j'apprendrai de plus curieux. Au reƒte je vous prie de ne pas trouver étrange que ma relation de ce voyage ƒois ƒi abregée; il me faudroit plus de tems & de loiƒir que je n'en ai à preƒent pour vous particulariƒer quantité de choƒes curieuƒes, dont le détail ƒeroit un peu trop long. Il ƒuffit que je vous envoye l'eƒƒentiel, en attendant que je puiƒƒe moi-même vous faire le recit d'une infinité d'avantures, de rencontres & d'obƒervations, capables de reveiller l'eƒprit des réflexionnaires. Le mien eƒt trop ƒuperficiel pour philoƒopher ƒur l'origine, la croyance, les moeurs & les maniéres de tant de Sauvages, non plus que ƒur l'étenduë de ce Continent vers l'Oüeƒt. Je me ƒuis contenté ƒeulement de faire réflexion ƒur les cauƒes du mauvais ƒuccez des découvertes que pluƒieurs habiles Hommes ont entrepris dans l'Amerique par Mer & par Terre. Je croi ne m'être pas trompé dans le jugement que j'en ai fait. L'exemple recent de Mr. de la Salle & de quelques autres malheureux découvreurs ont ƒçû donner de très-grandes leçons à leurs propres dépens, à ceux qui voudroient entreprendre à l'avenir de découvrir tous les païs inconnus de ce nouveau Monde. Il n'appartient pas à toutes ƒortes de perƒonnes de s'en mêler, non licet omnibus adirè Corinthum. Il ƒeroit très-facile de penetrer juƒqu'au fonds des Païs Occidentaux de Canada en s'y prenant comme il faut. Je ƒuppoƒe premierement qu'au lieu de Canots on ƒe ƒervit de certaines Chaloupes d'une conƒtruction particuliere qui tiraƒƒent peu d'eau, qui fuƒƒent legeres de bois & portatives, lesquelles contenant treize hommes avec trente-cinq ou quarante quintaux de peƒanteur, reƒiƒtaƒƒent vigoureuƒement aux vagues des grands Lacs. Il ne ƒuffit pas d'avoir du courage, de la ƒanté & de la vigilance pour faire ces entrepriƒes. Il faut bien d'autres talens qui ƒe trouvent rarement en une même perƒonne. La conduite de trois cens hommes avec leƒquels on pourroit faire ces découvertes me paroît aƒƒez épineuƒe. C'eƒt ici que l'induƒtrie & la patience ƒont neceƒƒaires pour contenir une pareille troupe dans le devoir. Les ƒéditions, les querelles & mille autres deƒordres n'arrivent que trop ƒouvent parmi des gens qui étant éloignez des Villes ƒe trouvent en même tems en droit de tout entreprendre par la force de leurs ƒuperieurs. Il s'agit ici de diƒƒimuler, & de fermer les yeux quelquefois pour ne pas irriter le mal; la voye de la douceur eƒt la plus ƒûre pour celui qui conduit la troupe : S'il arrive quelque mutinerie ou mauvais complots, il faut que les Officiers tâchent d'y remedier, en perƒuadant aux mutins qu'il ƒeroit fâcheux d'en donner connoiƒƒance à leur Commandant. Celui-ci doit toûjours faire ƒemblant d'ignorer ce qui ƒe paƒƒe; ƒi ce n'eƒt que le mal éclate en ƒa preƒence; car alors il eƒt indiƒpenƒablement obligé de les punir à la ƒourdine au plûtôt, à moins que ƒa prudence ne l'engage d'en retarder l'execution lors qu'il en prévoit les ƒuites fâcheuƒes. On leur doit tolerer mille choƒes en ces Voyages, dont on auroit toute ƒorte de raiƒon de les châtier ailleurs. C'eƒt-à-dire, qu'un Commandant doit feindre de ne pas ƒavoir leur commerce avec les Sauvageƒƒes, les petites querelles qu'ils peuvent avoir entr'eux, leurs négligences à faire la garde comme il faut, & toutes les autres choƒes qui ne tendent ni à la deƒobeance ni à la revolte. Il doit avoir le ƒoin de choiƒir dans ƒa Troupe un eƒpion, lequel étant bien récompenƒé l'informe adroitement de tout ce qui ƒe paƒƒe, afin d'y remedier directement ou indirectement. Il eƒt queƒtion de découvrir avec beaucoup de fineƒƒe & de ƒecret un chef de cabale, & lorƒque le Commandant en eƒt tellement éclairci qu'il ne lui eƒt plus permis de douter du crime, il eƒt expedient de s'en défaire avec tant d'adreƒƒe, qu'on ne ƒçache ce qu'il eƒt devenu. Au reƒte, il doit leur donner du tabac & de l'eau de vie de tems en tems, leur demander avis en certaines occaƒions, les fatiguer le moins qu'il eƒt poƒƒible; les exciter à ƒe réjoüir, à joüer, à danƒer, & en même temps les exhorter à vivre en bonne intelligence. La meilleure invention dont il puiƒƒe ƒe ƒervir pour les contenir dans leur devoir, c'eƒt la Religion & l'honneur de la Nation. Il faut qu'il les exhorte lui- même à cela, car quoique j'aye beaucoup de foi au pouvoir des Eccleƒiaƒtiques, ils font plus de mal que de bien en ces ƒortes de Voyages; ce qui fait que je m'en paƒƒerois. Celui qui ƒe charge de ces découvertes doit bien choiƒir ƒes gens; car tout le monde n'eƒt pas propre à cela. Il faut des hommes de trente à quarante ans, d'un temperament ƒec & d'une humeur paiƒible, qui ƒoient actifs, courageux, & accoûtumez aux fatigues des Voyages. Parmi ces trois cens perƒonnes il y doit avoir des charpentiers de chaloupes, des armuriers, des ƒcieurs de long avec tous leurs outils, des chaƒƒeurs, des pêcheurs. Outre cela, des Chirurgiens qui ne portent autre choƒe que des raƒoirs, des lancettes, des drogues pour les bleƒƒures, de l'orvietan & du ƒené. Tous les gens de la troupe doivent être munis de capots, de buffe & de botines pour reƒiƒter à la fléche, car les Sauvages des Païs dont je parle n'ont jamais vû d'armes à feu, comme je vous l'ai déja dit. II faut avec cela qu'ils ƒoient armez d'un fuƒil à deux coups, d'un piƒtolet de même, & d'une épée de bonne longueur. Le Commandant aura le ƒoin de faire proviƒion d'une aƒƒez grande quantité de peaux de Cerfs, d'Orignal, ou de Boeuf, qu'il fera coudre les unes aux autres pour faire l'enceinte de ƒon Camp, par le moyen de quelques piquets plantez de diƒtance à autre. J'en avois ƒuffiƒamment pour garnir un quarré de trente pieds ƒur chaque face, parce que chaque peau ayant cinq pieds de hauteur, & prés de quatre de largeur, j'en fis faire deux bandes de huit peaux chacune, qui étoient tenduës & levées en un inƒtant. II faut avoir des Canonieres de Coeti de huit pieds de longueur & de ƒix de largeur, deux Moulins à bras, qui ƒont de petites machines portatives comme de grands Moulins à Caffé. On s'en ƒert pour moudre du bled d'Inde avec beaucoup de facilité. On portera des clouds de toutes eƒpeces, des pics, des pioches, des bêches, des haches, des ameçons, du ƒavon & du coton à faire des chandelles. Je ƒuppoƒe ƒur tout qu'on ƒera muni de bonne poudre, d'eau de vie, de tabac de Breƒil, & de mille autres choƒes qu'on eƒt obligé de preƒenter aux Nations Sauvages qu'on découvre. Le Commandant ƒe munira pareillement d'un Aƒtrolabe, d'un demi cercle, de pluƒieurs bouƒƒoles ou compas ƒimples & à variation, d'une pierre d'aiman, de deux groƒƒes montres de trois pouces de diametre, de pinceaux, de couleurs, de papier à deƒƒein, & autre pour faire ƒes Journaux & ƒes Cartes, pour déƒigner les bêtes terreƒtres, volatiles & aquatiques, les arbres, les plantes & les grains, & generalement tout ce qui lui paroîtra digne de ƒa curioƒité. Je ƒerois auƒƒi d'avis qu'il eût des trompettes & quelques joüeurs de violon, tant pour réjoüir ƒa troupe que pour cauƒer de l'admiration aux Sauvages. Enfin, Monƒieur, je ƒuis perƒuadé qu'avec cet équipage tout homme d'eƒprit, de conduite & de détail, c'eƒt-à-dire ƒoigneux, prévoyant, ƒage & de bon exemple, mais ƒur tout patient, moderé, & d'un talent à trouver des expediens à tout, peut aller hardiment tête levée dans tous les Païs Occidentaux de Canada ƒans rien craindre. Pour moi je vous avouë que ƒi j'avois toutes ces qualitez- là je m'eƒtimerois fort heureux d'être employé à faire cette entrepriƒe, tant pour la gloire du Roi que pour ma propre ƒatisfaction, car enfin j'ai tant goûté de plaiƒir dans mes Voyages par la diverƒité continuelle d'objets, que je n'ai preƒque pas eu le tems de m'apercevoir de mes peines & de mes fatigues. Je ƒuis, Monƒieur, vôtre, &c. A Miƒƒilimakinac, ce 28. Mai 1689.
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