Gaspard de la nuit, cinquième rêve (*)
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Aloÿsius Bertrand,
Gaspard de la nuit,
recueil de poèmes en prose,
1842
X
L A S A L A M A N D R E (a)
« Il jeta dans le foyer quelques frondes de houx
bénit,
qui brûlèrent en craquetant ». |
Ch. Nodier, Trilby (1). |
« Grillon, mon ami, es-tu mort, que tu
demeures sourd au bruit de mon sifflet, et aveugle à la
lueur de l'incendie ? ». Et le
grillon, quelque affectueuses que fussent les paroles de la
salamandre, ne répondait point, soit qu'il dormît d'un
magique sommeil, ou bien soit qu'il eût fantaisie de
bouder.
« Oh ! chante-moi ta chanson de
chaque soir dans ta logette de cendre et de suie, derrière
la plaque de fer, écussonnée de trois fleurs-de-lys
héraldiques ! ».
Mais le grillon ne répondait point
encore, et la salamandre éplorée, tantôt
écoutait si ce n'était pas sa voix, tantôt
bourdonnait avec la flamme aux changeantes couleurs rose, bleue,
rouge, jaune, blanche et violette.
« Il est mort, il est mort, le grillon
mon ami ! ». — Et
j'entendais comme des soupirs et des sanglots, tandis que la
flamme, livide
maintenant, décroissait dans le foyer attristé.
« Il est mort ! Et puisqu'il est
mort, je veux mourir ! ». — Les branches de sarment
étaient consumées, la flamme se traîna sur la
braise en jetant son adieu à la crémaillère,
et la salamandre mourut d'inanition.
Notes
(*) Comme on le verra à la situation du chapitre dans le recueil, ce texte
n'est pas un récit de rêve, mais plutôt un conte
poétique, tandis que le chapitre précédent
paraît alors un conte féérique.
(1) Suzanne Bertrand dans son étude sur
le Poème en prose de Baudelaire jusqu'à nos
jours rapproche ce poème de ce fragment de Trilby
de Nodier : « La flamme des tisons pâlit; une
lumière bleue courut sur la braise éteinte et
s'évanouit » (cité par Jean Richer, Paris,
Flammarion, 1972, p. 230).
Variantes
(a) Le manuscrit comprend également une
épitaphe biffée : « Le pendu rit au
soleil qui s'efface / En face ».
Références
Aloÿsius Bertrand, Gaspard de la nuit : fantaisies à
la manière de Rembrandt et de Callot, édition
publiée d'après le manuscrit de l'auteur par Bertrand
Guégan, Paris, Payot (coll. « Prose et
vers »), 1925, p. 108-109.
Édition originale
Aloÿsius Bertrand, Gaspard de la nuit : fantaisies
à la manière de Rembrandt et de Callot,
préface de Sainte-Beuve, Angers, Pavie, 1842.
Éditions critiques
Aloÿsius Bertrand, Gaspard de la nuit : fantaisies
à la manière de Rembrandt et de Callot,
introduction et présentation de Jean Richer, Paris,
Flammarion, 1972, p. 105.
Aloÿsius Bertrand, Gaspard de la nuit : fantaisies
à la manière de Rembrandt et de Callot,
édition présentée, établie et
annotée par Max Milner, Paris, Gallimard, 1998 (nouv.
éd. augmentée).
Situation matérielle
Il s'agit du dernier chapitre du
troisième livre intitulé « La nuit et ses
prestiges », soit le chapitre X. Le recueil compte six
livres.
Situation narrative
Gaspard de la nuit est un recueil de 51
poèmes en prose.
Le troisième livre, comme son titre
l'indique, explore l'univers mystérieux de la nuit. Ce
chapitre est le quatrième d'une série qui peut
apparaître comme une suite de
« rêves » (chapitre VII, « Un
rêve », chapitre VIII, « Mon
bisaïeul », chapitre IX,
« Ondine », et chapitre X, « La
salamandre »). Mais en
réalité, absolument rien d'autre que ce contexte
général ne permet de considérer ce texte comme
un rêve. Bien au contraire, il présente nettement la
forme d'un conte poétique.
Bibliographie
Canovas : Gaspard de la nuit figure en bibliographie, mais
n'est jamais évoqué dans la thèse.
Pierrot : 62-63.
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