Le « songe » ou les visions de Cyrille
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François-René de Chateaubriand,
les Martyrs,
poème épique en prose,
1809
Cyrille (1), après
avoir médité la parole de vie, se jeta sur une couche
de roseaux. Mais à peine avait-il fermé les yeux,
qu'il eut un songe : il lui sembla que les blessures de son
ancien martyre se rouvraient, et qu'avec un plaisir ineffable, il
sentait de nouveau son sang couler pour Jésus-Christ. En
même temps, il vit une jeune femme et un jeune homme
resplendissants de lumière monter de la terre aux
cieux : avec la palme qu'ils tenaient à la main ils lui
faisaient signe de les suivre; mais il ne put distinguer leur
visage, parce que leur tête était voilée. Il
se réveilla plein d'une sainte agitation; il crut
reconnaître dans ce songe quelque avertissement pour les
chrétiens. Il se mit à prier avec abondance (a) de larmes, et on l'entendit plusieurs fois
s'écrier dans le silence de la nuit :
« Ô mon Dieu, s'il faut encore des
victimes, prenez-moi pour le salut de votre peuple » (b) !
Notes
(*) Le songe prémonitoire, dans la
tradition la plus classique, est constitué de deux visions.
La première qui correspond à la prière de
Cyrille (le martyre) sera rejetée par l'Éternel
dès le livre suivant; la seconde préfigure la fin de
l'épopée, le martyre d'Eudore et de sa jeune
épouse convertie, Cymodocée, qui vient le rejoindre
dans l'arène romaine pour partager sa gloire.
(1) Cyrille, évêque de
Lacédémone : « laissé pour mort par les
bourreaux dans une persécution contre les Chrétiens,
il avait été élevé malgré lui au
sacerdoce » (Chateaubriand).
Variantes
(a) Les épreuves dites « Vintimille
» donnent une version singulièrement différente
de l'extrait cité, où Cyrille n'a pas de songe :
« Cyrille ne se coucha point : à la veille de la
persécution dont l'Église était
menacée, il croyait qu'un évêque devait
redoubler de vigilance et d'austérité. Il
éprouvait pour son troupeau la tendre sollicitude qu'une
poule ressent pour ses petits. L'étoile du matin avait
déjà paru sur le mont Ida, il priait encore avec
abondance » (F.-R. de Chateaubriand, OEuvres
romanesques et voyages, vol. 2, les Martyrs,
éd. Maurice Regard, Paris, Gallimard (coll.
« Bibliothèque de la pléiade »),
1969, p. 1566).
(b) Les épreuves Vintimille étaient
plus succinctes, Cyrille n'y disant plus que :
« Ô mon Dieu, prenez-moi pour le salut de votre
peuple » !
Références
François-René de Chateaubriand, les Martyrs,
la Renaissance du livre, Paris, sans date, p. 54.
Édition originale
F.-R. de Chateaubriand, les Martyrs ou le Triomphe de la
religion chrétienne, Paris, Le Normant, 1809, 2 vol.
Éditions critiques
F.-R. de Chateaubriand, les Martyrs de Dioclétien,
version primitive et inédite des Martyrs,
présentée par B. d'Andlau, Paris, Belin, 1951.
—, OEuvres romanesques et voyages, vol. 2, les
Martyrs, éd. Maurice Regard, Paris, Gallimard (coll.
« Bibliothèque de la pléiade »), 1969,
p. 138.
Situation matérielle
Fin du livre deuxième, deux derniers
alinéas. C'est donc au début de
l'épopée qui compte vingt-quatre livres.
Situation narrative
Sous l'empereur Dioclétien, «
les temples du vrai Dieu commencent à disputer l'encens aux
temples des idoles », pour citer Chateaubriand. Nous suivons
les pérégrinations au livre deuxième de
Démodocus, dernier descendant des Homérides, et de
Cymodocée, sa fille, en Arcadie (Grèce), où
ils vont voir la famille de Lasthénès. Ils la
découvrent chrétienne. Chez elle est Cyrille,
évêque et martyr vivant. Après avoir
dîné, on chante des hymnes à la gloire de Dieu,
puis voici qu'on va se coucher, le milieu de la nuit venu. C'est
alors que Cyrille a son songe.
Bibliographie
Canovas, 46, 55.
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